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Les premières dispositions de la Loi Qualité

Peter Bruynooghe, Lien Van Tilborgh Fin juin dernier, l’entrée en vigueur de la loi du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (dite « Loi Qualité ») a été reportée au 1er juillet 2022. En décembre 2021, le parlement a toutefois décidé que l’article 88 s’appliquerait dès le 1er janvier 2022, ce qui revient dans la pratique à implémenter d’ores et déjà une grande partie de la nouvelle loi (à l’exception, notamment, de son art. 87). Quelles sont les conséquences concrètes pour vous, en tant que kinésithérapeute ?

Précisons d’emblée au passage que la disposition générale (art. 1), les définitions (art. 2) et le champ d’application (art. 3) de la Loi Qualité visent également les prestataires qui exercent une pratique « non conventionnelle » (acupuncture, chiropraxie, homéopathie ou ostéopathie). Liberté diagnostique et thérapeutique Le kinésithérapeute choisit librement – dans les limites de ses compétences légales – les moyens qu’il utilise dans le cadre de la dispensation des soins. Aucune restriction réglementaire ne peut lui être imposée à ce niveau : ses choix doivent certes reposer sur des données scientifiques et une expertise pertinentes et prendre en compte les préférences du patient, mais « les dispositions reprises dans des conventions conclues par un professionnel des soins de santé qui portent atteinte à sa liberté de choix […] sont réputées non écrites ». Compétences et visa Le kinésithérapeute ne peut dispenser que les soins pour lesquels il dispose des compétences et de l’expérience nécessaires et démontrables. Pour apporter la preuve de ces compétences et de cette expérience, il tient un portfolio, de préférence sous forme électronique. Les dispositions concernant la formation continue, elles, sont définies d’une manière beaucoup moins spécifique dans la nouvelle loi. Le critère de l’évaluation par les pairs ou « peer review », en particulier, n’y figure plus de manière explicite. Pro-Q-Kine restera responsable de la gestion des portfolios des kinésithérapeutes en 2022 et formera avec des représentants de l’INAMI, d’AXXON et des organismes assureurs un comité d’accompagnement chargé de définir les conditions à remplir pour obtenir l’accréditation. La réglementation relative à l’accréditation des kinésithérapeutes fait l’objet d’une loi distincte, en attente de publication depuis plusieurs années déjà.

Si les soins requis dépassent les limites de ses compétences, le kinésithérapeute se devra de référer le patient à un prestataire plus compétent dans ce domaine spécifique et le mentionner dans le dossier-patient.

Enfin, le kinésithérapeute ne peut dispenser des soins de santé qu’à condition de disposer d’un visa attestant de son aptitude à exercer la kinésithérapie. Ce document sera désormais délivré par la Direction générale Soins de santé du SPF Santé publique sur la base du diplôme obtenu.

Encadrement (équipement du cabinet) La loi prévoit que le kinésithérapeute doit s’assurer de disposer de l’encadrement nécessaire pour lui permettre de dispenser des soins de haute qualité. Continuité La Loi Qualité stipule que le kinésithérapeute ne peut pas interrompre un traitement en cours sans prendre au préalable toutes les dispositions nécessaires à la continuité des soins. Il a également l’obligation de communiquer à un confrère/une consoeur désigné(e) par le patient toute l’information diagnostique nécessaire à la poursuite du traitement.

Dans certains cas, il peut arriver que la Commission de contrôle (encore à constituer) ou l’organe déontologique compétent doive prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation adéquate des dossiers-patients ou la continuité des soins et pour préserver le secret professionnel en cas de décès ou d’arrêt définitif de la pratique. Prescription Dans la Loi Qualité, les conditions auxquelles doit répondre une prescription sont définies de façon générale pour l’ensemble des professionnels des soins de santé. Leur application concrète tiendra compte du déploiement de la prescription électronique obligatoire et des considérations techniques qui y sont liées.

Lorsqu’un prestataire de soins souhaite faire appel à un autre professionnel des soins (pour poser ou confirmer un diagnostic/initier un traitement) et qu’il rédige une prescription dite « de renvoi », celle-ci devra répondre aux conditions suivantes : 1. Elle mentionne les nom et prénom du patient.

2. Elle est rédigée sous forme électronique ou éventuellement sur papier.

3. Elle est datée et signée par le prestataire sur papier ou par des moyens électroniques (suivant une procédure fixe).

4. Soit elle est signée par le prestataire de soins, soit l’identité de celui-ci/celle-ci est authentifiée au moyen d’une procédure fixe. La signature d’une prescription de renvoi ne peut pas être déléguée.

5. Elle mentionne le diagnostic ou les données diagnostiques disponibles.

6. Elle peut mentionner la demande d’exécuter certaines prestations diagnostiques ou thérapeutiques et, en ce qui concerne les secondes, un nombre maximal de séances. Le kinésithérapeute qui reçoit une telle prescription peut y déroger dans les limites de ses compétences. Le Roi peut toutefois décider que certains professionnels de la santé ont besoin, pour cette dérogation, d’une autorisation du prescripteur.

7. Elle mentionne les éventuelles contre-indications à certaines modalités thérapeutiques.

8. Elle peut comporter une demande de rapportage du diagnostic, du traitement ou des résultats obtenus.

L’art. 29 de la loi traite des prescriptions de groupe [N.B. : comprenez, de celles qui concernent le traitement d’un patient unique par une équipe multidisciplinaire], qui sont soumises à plusieurs conditions notoires. Non seulement elles nécessitent en effet une concertation préalable avec le patient et le prestataire de soins prescripteur, mais elles devront aussi faire l’objet d’un retour d’information régulier vis-à-vis de ces deux acteurs. Informations professionnelles Le kinésithérapeute ne peut communiquer au public des informations concernant sa pratique professionnelle qu’à condition qu’elles soient conformes à la réalité, objectives, pertinentes, vérifiables et scientifiquement étayées. Elles ne peuvent en aucun cas inciter à des examens ou traitements superflus, ni avoir pour but de « rabattre » des patients. Elles devront par ailleurs mentionner les titres professionnels particuliers dont dispose le kinésithérapeute. Une courte présentation informelle sur le site internet ou la page Facebook du cabinet (où vous mentionnez par exemple votre genre musical préféré) n’est donc pas autorisée, même si vous n’insistez pas sur cet aspect. Structure et organisation de la pratique La loi prévoit que le Roi peut fixer des règles plus précises quant à la structure et à l’organisation de la pratique des dispensateurs de soins individuels et des accords de collaboration. Elles peuvent porter notamment sur le dossier-patient, sur la continuité et la permanence des soins dispensés, sur les rôles de chaque prestataire, sur la collaboration entre prestataires (que celle-ci s’inscrive ou non dans le cadre d’un accord de collaboration) et sur des conditions d’encadrement permettant de dispenser des soins de haute qualité. Dossier-patient La loi fixe le contenu minimal du dossier-patient. Les dispositions concernant la gestion obligatoire et la conservation électronique de ces dossiers n’entrera en vigueur qu’à une date ultérieure. Le délai de conservation des dossiers est de 30 ans au minimum et de 50 ans au maximum, à dater du dernier contact avec le patient. La mise en pratique de cette obligation peut être extrêmement chronophage dans certains cas s’il n’existe pas de système efficace pour filtrer les dossiers (et en particulier les dossiers papier) sur la base du temps écoulé. Visa et portfolio Les dispositions de la Loi Qualité vont dans le sens d’un élargissement de la notion de visa, qui ne recouvre plus uniquement l’aptitude physique et psychologique, mais aussi la preuve que le prestataire dispose des compétences nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce document devient ainsi une véritable « autorisation d’exercer ». Ces conditions relatives à la compétence du prestataire viennent s’ajouter à celles qui touchent à l’agrément, à l’accréditation et à la formation dans le cadre de l’assurance soins de santé. Elles seront complétées dans un avenir proche par l’introduction du portfolio, du registre des pratiques et de la Commission de contrôle fédérale.

À l’heure d’écrire ces lignes, les articles 85 et 86 de la Loi Qualité (suppression du remboursement réduit de 25 % pour les prestations des kinésithérapeutes déconventionnés) restent toutefois lettre morte en dépit de plusieurs amendements apportés au texte par les partis de l’opposition et de la pression politique et juridique exercée par AXXON.

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