"Nous parcourons ensemble les chemins de la débrouille"

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AGRICULTURE ET ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES « Nous parcourons ensemble, les chemins de la débrouille »


Page de couverture Citation : OGOR Yannick, Le paysan impossible, Les ĂŠditions du bout de la ville, juin 2017, 214 p. Illustration : GAZONNEAU ClĂŠmence, Autonomie collective, montage photographique, 2017


Qu’est ce que l’architecte peut apprendre des alternatives économiques en agriculture ?

Hypothèses : . Les difficultés économiques vécues sur les territoires ruraux induisent l’émergence d’alternatives économiques aujourd’hui . Cette recherche d’alternatives se construit grâce à un travail collectif et sur une quête d’autonomie par la « débrouillardise » . Les pratiques collaboratives dans le domaine de l’architecture peuvent se nourrir des formes de travail collectif dans « l’agriculture paysanne »

Tome 1 : Comment le réseau de «l’agriculture paysanne» rebondit face aux problématiques de la pratique de l’agriculture aujourd’hui ?

Gazonneau Clémence Mémoire de Master 2 Janvier 2018 École Nationale Supérieure d’architecture de Lyon Sous la direction de Sandra Fiori


SOMMAIRE 6-7

INTRODUCTION

8 - 11

PROBLÉMATIQUE-MÉTHODE Origine du sujet Questionnements Vocabulaire Méthode

12 - 27

16 - 21

22 - 27

PARTIE I - REGARD PRÉALABLE SUR L’AGRICULTURE : MYTHES ET REPRÉSENTATIONS SOCIALES 1. Le « paysan bouseux », figure prétexte à la modernisation de l’agriculture a. Après la Grande Guerre, nourrir le pays b. Devenir moderne 2. La nostalgie de la vie post-exode a. L’illusion de la conservation de la figure paysanne au profit de la société marchande b. Entre mythe de la terre salvatrice et réalités actuelles

28 - 57

PARTIE II - LES EFFETS DU SYSTÈME PRODUCTIVISTE SUR LE MÉTIER D’AGRICULTEUR

32 - 38

1. La liberté, condition disparue du paysan aliéné ? a. Dans l’après-guerre, le rôle de la jeunesse agricole catholique (JAC) b. La construction du couple industrie-état 2. La dépossession du sens du travail a. Production intensive, quand le système productiviste s’invite dans les fermes b. L’encadrement administratif et normatif ignore le « bon sens paysan »

48 - 57

3. La transmission-reprise des fermes au centre des enjeux contemporains a. Problématique foncière b. Répondre aux enjeux d’une mutation de société : « aider » l’installation ?


58 - 95

PARTIE III - INITIATIVES ALTERNATIVES ET COLLECTIVES AVEC L’AGRICULTURE PAYSANNE

62 - 75

1. Favoriser l’investissement collectif et agir en réseau a. Le réseau de l’agriculture paysanne, une action locale et engagée b. Terre de Liens et l’ADDEAR s’emparent de la problématique de la transmission-reprise des fermes

76 - 85

86 - 95

96 - 99 100 - 103 104

2. Mètis, ruse, bricolage : quand l’expérience nourrit l’intelligence de la pratique a. Retrouver du sens dans la pratique de l’agriculture b. Réappropriation du métier : production collective de savoirs et savoir-faire 3. Quête d’autonomie : quand la débrouillardise passée se lie à l’auto-formation a. L’agriculture comme moyen d’émancipation et d’auto-gouvernance b. L’habitude du bricolage et l’émergence de « l’architecture paysanne libre »

CONCLUSION ET OUVERTURE VERS LA MENTION RECHERCHE

BIBLIOGRAPHIE

REMERCIEMENTS


INTRODUCTION Pendant ma première année d’étude en architecture, j’ai d’abord appris l’observation des édifices : l’usage, l’âge, le type de construction ; puis ce qui les environne : les pleins, les vides et donc l’histoire durant laquelle ils ont été construits. Grâce à ces lectures, j’ai fini par comprendre que l’environnement dans lequel j’avais grandi était en souffrance. Sur ce plat pays qu’est le Berry, on pouvait ne rien voir d’autres que des arbres, des haies sur des kilomètres. Parfois, on pouvait seulement observer l’horizon et les cultures gigantesques qui le délimitaient. La campagne était déserte. L’avait-elle toujours été ? Ce n’est pas le souvenir que j’en avais. Ayant grandi dans une ferme, j’avais plus jeune l’impression que les lieux vivaient. Les bâtiments d’exploitation étaient des lieux parfaits pour des jeux de cache-cache à grande échelle. Week-end et vacances, étaient consacrés à l’arpentage des grands espaces qui s’offraient à nous. Nous croisions souvent le chemin des ragondins et parfois nous avions la chance d’apercevoir un chevreuil s’enfuir hâtivement. Mes sœurs et moi avions une liberté que tout enfant envierait. L’engouement pour cette vie naïve et riche de simplicité a brutalement cessé quand l’activité à la ferme s’est arrêtée. Quelques zones de stockage ont continué à être utilisées mais l’abandon des bâtiments et de leur environnement a commencé. Les espaces vides étaient dans une sorte d’attente d’un renouveau. En m’éloignant de ce lieu intime, de par mes études ou mes voyages, j’ai pris conscience que la campagne des alentours s’était aussi désertifiée. Cette campagne-là du moins, celle loin des grandes villes, celle de la « diagonale du vide ». Ces territoires en déprise, quand ils ne sont pas vides, laissent derrière eux une France pauvre ; pauvre d’activités, d’emplois, de culture, d’infrastructures, de savoirs. Pourtant, il me semblait aussi que l’éloignement de ces territoires laissait une plus grande place aux initiatives « en dehors du système ». Le monde rural était donc dans mon imaginaire un territoire ambivalent : il avait perdu une grande part de sa richesse agricole mais il accueillait aussi de « nouvelles richesses ».

Ce travail sur le monde rural et l’agriculture découle donc d’une recherche de compréhension d’un environnement personnel mais aussi d’une envie de prise de recul sur la pratique de l’architecture. S’il est simple de savoir ce qui n’est pas souhaitable, il est plus compliqué de se positionner sur une posture claire pour l’avenir. En effet si les études m’ont appris à observer, elles m’ont aussi appris à remettre en question beaucoup de choses et notamment l’apprentissage en lui-même. En quittant en fin de licence l’école de Paris Val-de-Seine, j’étais en quête d’un autre apprentissage, d’un rapport moins hiérarchique et de la prise en compte de questions d’actualité. Ces volontés, je les avais découvertes dans un investissement bénévole avec le collectif d’architectes nommé Bellastock. Cette expérience a été riche de découvertes et de rencontres mais a aussi été l’illustration de la possibilité de changer de façon de pratiquer son métier. Le collectif, structuré en association, œuvre aussi bien pour sensibiliser la population à l’architecture que pour remettre en cause la façon de la mettre en œuvre aujourd’hui. 6


En parallèle, les stages en agence que j’ai effectués n’ont pas été satisfaisants. J’ai été, comme beaucoup d’autres, parachutée dans un environnement de travail inconnu pour quelques semaines. J’avais comme l’impression d’être un pion de plus qui permettait d’éviter l’embauche. On m’a donné des tâches et imposé une nécessité de produire des images. J’ai exécuté sans témoigner ma peine, de peur de mettre mon cursus en défaut (puisque les notes ont plus d’importance que la remise en question de ses choix). À peine formée, il fallait déjà maîtriser les outils et dans l’idéal exceller. La stimulation intellectuelle à travers la recherche par exemple ? Inexistante. Le lien humain et les discussions horizontales et constructives ? Réservées aux initiés et experts confirmés. L’expérimentation ? Impossible faute de temps. Pourtant, ce sont autant d’envies et de nécessités, je crois, pour rajeunir une pratique. Celle-ci se construit certainement dans une autre temporalité que celle d’aujourd’hui mais dans la volonté de trouver des réponses personnelles et collectives à un fonctionnement économique, social, qui n’a plus de sens pour moi. Le mémoire est donc comme une nouvelle façon de rebondir et de se questionner avant le « grand pas » vers la professionnalisation et « l’action concrète », l’entrée dans la « vie active ».

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PROBLÉMATIQUE - MÉTHODE ORIGINE DU SUJET

Ce mémoire de fin de master a été entamé en octobre 2016 sur le vaste thème des alternatives économiques en milieu rural. D’abord intéressée par le phénomène de « déshérence » de certains villages comme évoqué ci-dessus, je souhaitais comprendre les processus qui les ravivent parfois (pratiques sociale, économique, culturelle, quotidiennes). J’avais pour ambition de saisir les dynamiques, l’implication du citoyen, les choix démocratiques, car j’avais l’intuition que ces initiatives étaient impossibles sans l’implication citoyenne. J’étais également sensible à l’abandon des fermes, patrimoine en ruine et à l’inverse à la prolifération des lotissements synonymes, pour moi, d’individualisme capitaliste. À partir de mars 2017, j’ai intégré le laboratoire EVS-Laure de l’école d’architecture pour approfondir ma recherche, avoir un support de travail concret, tout en découvrant le milieu de la recherche scientifique. Ce stage de deux mois (étalé de mars 2017 à octobre 2017) a pris la forme d’une enquête exploratoire sur les Monts du Lyonnais, territoire rural à l’ouest de Lyon. Nous avons découvert le territoire et ses enjeux par la participation à des événements locaux, à la rencontre d’acteurs identifiés comme engagés sur leur territoire et le bénévolat avec l’association Terre de Liens. Ceci a été l’occasion de recenser diverses initiatives citoyennes, particulièrement axées sur les domaines de l’agriculture et de l’énergie. L’hypothèse qui guidait ce travail est que ces initiatives, en développant des modes de gestion des ressources et formes d’agir en « commun » (Dardot et Laval, 2014 ; Bollier, 2014), font des territoires ruraux, et des Monts du Lyonnais en particulier, un lieu privilégié d’alternatives. L’accumulation d’informations engendrée par le stage, mon travail en parallèle sur le mémoire et l’engagement bénévole avec Terre de Liens a induit de nombreux aller-retours entre réflexions et cible de travail pour le mémoire. Finalement, c’est par le stage au Laure que je suis revenue à la première porte d’entrée de ma sensibilité pour les territoires ruraux : l’agriculture. Même si j’ai grandi avec un père et des grands-parents agriculteurs, je n’avais aucune connaissance de l’histoire de l’agriculture. J’avais seulement des intuitions, nourries très certainement par l’expérience personnelle mais aussi les représentations mentales inculquées par la société. « L’intelligence collective et la débrouillardise » dans le travail des paysans semblaient être, pour moi, une chose assez évidente.

QUESTIONNEMENTS Le questionnement sur la « France rurale » et notamment sur l’agriculture et son lien à l’architecture a débuté suite à plusieurs réflexions. La première, intime, est celle d’un contexte personnel, celui d’une éducation entre ville et campagne. Le département de l’Indre, à « vocation agricole », connaît une baisse d’actifs (environ 2 600 personnes depuis 10ans) « en raison de 8


la réduction du nombre d’exploitants, des économies d’échelle et d’une mécanisation accrue.1 » La « désertification2 » des campagnes et des bourgs engendrée par ces choix rationnels, se manifeste d’une part de façon visuelle : les fermes tombent en ruine, les maisons des centresbourgs s’affichent « à vendre » et les commerces disparaissent. Ensuite, c’est par le dynamisme quotidien qu’on observe le déclin : « l’assèchement » des contacts humains dû à la disparition des commerces, mais aussi de l’arrivée d’une population moins disponible bouleverse l’idée de « sociabilité de proximité » (Simmel G., 1981) des villages3. Ces territoires sont-ils donc en perte d’identité ou au contraire dans un radical renouvellement ? Cette aridité quotidienne, Christophe Guilluy, géographe français, l’explique dans son essai La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires4 par l’arrivée de « rurbain ou néo-ruraux » qui parfois n’ont d’autres choix que de s’éloigner de la ville pour accéder à la propriété. S’ils perdent en nombre des actifs agricoles, les territoires ruraux comptent souvent de nouveaux arrivants. Christophe Guilluy signale également sur ces territoires l’émergence d’une « contresociété qui se structure par le bas en rompant peu à peu avec les représentations politiques et culturelles de la France d’hier» (Guilluy, 2014 : 11). Ce mélange social permettrait le partage et la cohésion autour d’une « même perception des effets négatifs de la mondialisation » (Guilluy C., p.14). Les communes à « dominances rurales » dans lesquels se développent ces prises de conscience sont considérées aujourd’hui comme « communes isolées hors influence des pôles5 ». Ainsi il n’y aurait plus d’opposition urbains/ruraux mais des « territoires dynamiques » et d’autres en marge. Cette mise à l’écart d’un « territoire plus affluent » perceptible quotidiennement impacterait sur une prise de recul sur le modèle proposé – ou imposé - et amènerait au développement d’autres modèles sociétaux. Ces populations seraient tentées de « faire société » à l’instar du modèle économique actuel. Certains territoires parviendraient à formaliser des stratégies basées sur un développement économique et social local et « s’affranchiraient par le bas du discours dominant ». Les différents documentaires Sous les pavés, la Terre (2011), Remuer la terre, c’est remuer les consciences (2013), En quête de sens (2014), Demain (2015), ou encore Qu’est-ce qu’on attend ? (2016), m’ont finalement fait prendre conscience que ces initiatives étaient partout en émergence. Grâce à l’étude faite sur les Monts du Lyonnais, la question agricole s’est alors avérée cruciale. En effet, tous les films précédemment cités traitent (entre autre) des alternatives trouvées en agriculture pour pallier à l’essoufflement d’un modèle sociétal. Ces alternatives particulièrement structurées s’illustrent surtout comme fédératrices et créatrices de liens à différentes échelles. Il 1.http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_D3611A01-2.pdf 2. Usuellement employé pour signifier un phénomène de dégradation des terres qui peut mener à une catastrophe naturelle à long terme, ce terme ainsi que celui d’assèchement ou d’aridification sert ici à retranscrire un processus de disparition de ce qui nourrit habituellement les rapports humains et les activités rurales. 3. Les notions de « France rurale », « village », et « campagne » ne seront pas discutées dans ce mémoire 4. Ed.Flammarion, 2014, 192 p. 5. DUMONT Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, 2012, Armand Colin 9


semblait toutefois difficile de déceler limpidement le but de leurs actions et les moyens déployés pour parvenir à leurs fins. C’est la recherche-action expérimentée lors de mon stage de recherche qui a été riche d’illustrations diverses d’entraide, qu’elle émane d’agriculteurs ou de citoyens. Mais ces alternatives émergent- elles d’une intelligence développée collectivement selon des besoins ou correspondent elles aux « lubies » d’une minorité ? Sont-elles ancrées sur des territoires particuliers ? La ruralité, contrairement à l’urbanité possède peut être un caractère moins reproductible.

VOCABULAIRE La ferme6 : c’est ce qui regroupe les terres et les bâtiments de travail d’une exploitation agricole, ainsi que le logement des « actifs familiaux ». L’exploitation agricole est quant à elle « une entité économique qui participe à la production agricole7 ». L’agriculture productiviste : Système d’organisation de la production agricole cherchant à maximiser la production de façon excessive. Tous les facteurs permettant la création des produits (main d’œuvre, matériel agricole mais aussi faune et flore) sont considérés comme des marchandises. Elle repose sur l’usage optimum d’engrais chimiques, de traitements herbicides, de fongicides, d’insecticides, de régulateurs de croissance dépendant de la technique moderne : machinisme agricole, sélection génétique, irrigation et drainage des sols, culture sous serre et hors-sol, etc. L’agriculture paysanne : se différencie de l’agriculture familiale d’antan par son caractère autonome (liberté d’agir) plutôt qu’autarcique (échange en vase clos). Elle se construit comme une alternative économique ( orientée vers des productions à forte valeur ajoutée sur de petites structures, avec une commercialisation en circuits courts) mais aussi sociale, professionnelle et culturelle au modèle dominant. Elle est définie par ses porteurs comme un modèle soutenable. Le paysan : dans la perception ancienne, le paysan est une personne de la campagne qui vit de la culture du sol et de l’élevage des animaux8. Des sociologues (dont Henri Mendras) ont annoncé la mort des paysans et sociétés paysannes à la suite de modernisation mais d’autres chercheurs (Van der Ploeg) ont mis en avant un processus de « repaysannisation » des territoires ruraux. L’agriculteur : Personne dont l’activité, exercée le plus souvent de façon indépendante, a pour objet principal la culture du sol en vue de la production des plantes utiles à l’homme et à l’élevage des animaux, et accessoirement l’élevage des animaux9.

6. Elle n’est ici pas considérée au sens étymologique du terme d’une exploitation donnée à bail mais plutôt au sens usuel. 7. http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_D3611A01-2.pdf 8. http://www.cnrtl.fr/definition/paysan 9. http://www.cnrtl.fr/definition/agriculteur 10


MÉTHODE La rédaction de ce mémoire a débuté par une déconstruction nécessaire des mythes engendrés par la société et ce à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Cette période, qui correspond au début de la révolution agricole « modernisatrice » est celle qui semble avoir induit le plus de bouleversements dans la profession mais qui a aussi beaucoup utilisé la figure du paysan pour permettre ces changements. Cette prise de recul, par une analyse de l’histoire des représentations sociales semblent donc nécessaire pour adopter un regard plus objectif dans le questionnement de ce travail. La seconde partie vise à se rendre compte des enjeux actuels de la profession pour mieux comprendre les engrenages qui ont menés à son étranglement. La lecture du livre de Yannick Ogor a été d’une aide précieuse pour comprendre les liens entre les différents mécanismes à l’œuvre. Pour permettre une illustration plus limpide de ces derniers et rendre compte de l’importance du rôle de l’État, la partie est structurée en deux sous parties : l’une illustrant des constructions internes aux mondes agricoles et l’autre des constructions externes. Les trois enjeux principaux relevés sont mis en résonance avec les hypothèses initiales : la notion de « débrouillardise » et d’autonomie et celle du rôle du collectif. La troisième partie a été l’occasion d’approfondir mes hypothèses de recherche et notamment « l’intelligence collective » et la recherche d’autonomie dans les dynamiques liées aux changements de pratique de l’agriculture. Chaque fois, les sous-parties se nourrissent du contexte général et d’exemples d’application concrets relevés lors des entretiens effectués dans les Monts du Lyonnais, ou lors de recherches personnelles.

POURSUITE DU SUJET Toutes ces réflexions m’ont amené à faire un parallèle avec la pratique de l’architecture. Connaissant le travail de plusieurs collectifs d’architectes, j’ai remarqué que si l’agriculture semblait travailler en réseau, l’architecture, même si elle travaillait en groupe, semblait pratiquer en vase clos. De plus, la volonté d’être plus autonome face au système n’est pas toujours revendiquée et c’est pourtant ce qui me semble particulièrement intéressant dans les recherches en agriculture. En ce sens, il semblerait que les pratiques dans le domaine de l’architecture pourraient se nourrir des formes de travail collectif dans l’agriculture. Ainsi, en me nourrissant du changement de modèle appliqué dans « l’agriculture paysanne », je souhaite, explorer la possibilité de modifier la pratique de l’architecture. Le but étant toujours de s’autonomiser du modèle productiviste et capitaliste dominant. Ce premier travail mènera, je l’espère, à la poursuite de ce mémoire en une mention recherche liée aux questionnements sur la pratique de l’architecture.

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Montage photographique, Imaginaire versus RĂŠalitĂŠ, 2017

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PARTIE I REGARD PRÉALABLE SUR L’AGRICULTURE : MYTHES ET REPRÉSENTATIONS SOCIALES

« Le mythe paysan est d’une puissance telle que, depuis un siècle, il a su se fonde

dans chaque nouvelle époque, toujours en rupture avec la précédente. Pour accompagner les mutations décisives de l’administration de l’alimentation de masse, le mythe d’une « paysannerieforcément-vertueuse » a su changer costumes et décors chaque fois que nécessaire.10 »

Les récits sur le rural ont, bien souvent, été adaptés à des discours politiques ou des situations sociales permettant de répondre à des crises ou des évolutions précises. Connaître les mythes c’est donc nous permettre d’éclairer le passé pour mieux comprendre les enjeux actuels de l’agriculture et des territoires ruraux. Pour beaucoup, la campagne est un lieu de loisir et de détente préservé des villes. On y pratique la marche à pied, le vélo ou la cueillette saisonnière lors de journées ensoleillées ; on y achète des « produits du terroir » pour s’assurer de la qualité des productions mais on oublie ceux qui y vivent et qui font que le paysage tant apprécié est ce qu’il est. Les territoires ruraux ont connu sur un très court terme de grands bouleversements démographiques mais aussi culturels et l’histoire ou la façon de la narrer nous ne a pas toujours permis de comprendre les enjeux qui s’y jouaient. Ces bouleversements ont été induit par l’exode rural mais aussi parce que la pratique s’est profondément modifiée. On est bien loin des tableaux de Jean-François Millet peintre du XIXème ayant sacralisé le travail de la terre en mêlant symbolisme et réalisme des scènes paysannes. Les nombreux scandales sanitaires et écologiques nous ont récemment rappelé que l’agriculture avait bien changé sans pour autant avoir perdu sa place dans notre quotidien. Nous avons encore, pour beaucoup, un parent plus ou moins proche qui travaille ou travaillait la terre. Cette proximité apparente nous permet-elle d’avoir un regard plus juste sur ce qu’est l’agriculture aujourd’hui ? Les productions ou événements « grand public » ne manquent pas de rappeler certains stéréotypes ancrés depuis plusieurs générations dans nos esprits. On remarque pourtant que certains se confrontent : les agriculteurs sont à la fois perçus comme des « ploucs » « rustres » mais qui sont porteurs de « vrais valeurs ». Le paysan radin, enraciné dans sa glèbe et dans la lenteur du temps est aussi tenace et courageux. La sagesse de sa vie sobre fait rêver des citadins en mal de simplicité. Le village est à la fois un « havre d’inter-connaissances » et de solidarité mais son confinement induit aussi querelles et contraintes (Jessenne). Ces images nous confondent-elles dans un leurre lié aux souvenirs lointains ? 10. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Ed. Du bout de la ville, juin 2017, p. 164 15


A travers une démarche explicitant des faits historiques et sociétaux, cette première partie cherche à mettre en perspective les représentations symboliques mais aussi les « généralités d’ordre philosophique, métaphysique ou social » liées à la figure du paysan et de son mode de vie.

1. LE « PAYSAN BOUSEUX », FIGURE PRÉTEXTE À LA MODERNISATION DE L’AGRICULTURE

L’agrarisme défendant « l’ordre éternel des champs » tend à disparaître à la suite de la guerre. Cette « idéologie paysanne glorificatrice11 », de la fin du XIXème siècle de défense du monde paysan, était encore très présente durant la seconde guerre mondiale à travers la figure de Pétain et la devise « Travail, Famille, Patrie ». Opposée au prémisse du libéralisme, elle porte une haine de la vie urbaine considérée comme décadente. Pourtant, c’est bien ce mode de vie qui va s’imposer dans la seconde partie du XXème siècle, largement suivis part nombre des membres de cette idéologie à travers le syndicat de la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Ce syndicat agricole unique, est créé au sortir de la guerre par l’administration agricole du régime pétainiste (Corporation paysanne vichyste), les propriétaires exploitants et plus généralement la droite paysanne. En 1954, il affirme pourtant toujours « l’exploitation familiale est le maillon initial où se forme le génie de la race (…) elle assure la conservation des traditions.12» Comment ce basculement, illustrant l’opposition de visions sociétales, a t-il eu lieu si rapidement ?

a. Après la Grande Guerre, nourrir le pays

C’est à la suite de la seconde guerre mondiale que la France rurale est en déclin, elle ne parvient plus à nourrir le pays. Très rapidement, la mécanisation et la motorisation de l’agriculture (arrivées des Etats-Unis) facilitent le travail au champ et le remembrement permet le travail de plus grandes surfaces. Mais cette révolution agricole est loin d’être acceptée de tous. Avant les bouleversements engendrés par la modernisation des exploitations, la structure de l’exploitation est très souvent de type familiale. Des exceptions existent dans le bassin parisien, là où les « bourgeois de la capitale » avaient investi au XVIIIème siècle dans l’achat de terre. Là, l’exploitation entière ou partielle est mise en fermage13. Quand l’exploitation n’est pas entretenue par un fermier, elle appartient donc bien souvent à une famille, présente depuis plusieurs générations et reproduisant les techniques apprises des parents (transmission de père en fils le plus souvent).

11. JESSENNE Jean-Pierre, « L’idéologie de la terre : Entre glorification des terroirs, mystique de l’unité et interrogations sur la ruralité, l’idéologie paysanne occupe une place centrale dans l’univers politique contemporain », in Les paysans en France, n°1040, pp. 22-23 12. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Ed. Du bout de la ville, juin 2017, p. 59 13. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, p.21 16


Dans ce fonctionnement autarcique, on se suffit à soi-même pour la production et la consommation des biens. Cultiver la terre vient à développer des habilités motrices et mentales chez le travailleur qui reproduit à l’identique celles de ses parents. Si on change la façon de produire, c’est donc toute la structure sociale qui est changée. Henri Mendras, spécialiste de sociologie rurale, développe longuement dans l’ouvrage La fin des paysans (1967) la réaction des paysans face à ces tentatives d’implantation d’un renouveau. L’étude sociologique qui est faite est très riche et dépeint toute la complexité de structuration de ce milieu sinon de son mode d’existence. La taille de l’exploitation, le type de culture ou d’élevage et le pays a une véritable influence sur la réaction des populations concernées. Si ces changements se font sur un plus ou moins long terme, il amène dans les années 60 à une généralisation des pratiques agricoles modernes à savoir la mécanisation, la motorisation, l’insémination, la sélection génétique, l’utilisation de semences hybrides (le maïs notamment). Ces changements de pratique ont un impact considérable dans la structuration de la société et de la famille. La répartition des tâches ne se fait plus selon âge et sexe mais selon les instruments et habilités techniques. La révolution des consciences finit par s’imposer petit à petit malgré « l’enracinement des pratiques » tant décrié. Les paysans ont le désir de se libérer de la dureté d’un métier très physique et chronophage pour « acquérir le statut de citoyen comme les autres ». Pour remuer les esprits, politiques et «modernes » n’hésitent pas à stigmatiser les pratiques et individus des « exploitations archaïques » (Hervieu, Purseigle, 2013) pour « les modeler au libéralisme et productivisme14 ». D’après Pierre Bitoun, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique rencontré lors de la présentation de son livre Le sacrifice des paysans, on assiste à un véritable « ensauvagement des paysans », qu’on accuse, entre autre, de ne pas vouloir aider une France en souffrance suite aux nombreux bouleversements engendrés par la guerre. Les « paysans arriérés et figés » dans leur traditions sont violemment critiqués et certains se résignent à se moderniser pour ne plus se sentir marginalisés. « Le monde paysan est un monde de culs-terreux, de mal décrottés, de pauvres types. Le métier d’agriculteur, une condition d’infortune pour gens ne sachant pas faire grand-chose. » Si ce témoignage d’un jeune paysan breton à Michel Debatisse15 révèle un certain complexe d’infériorité face à sa condition, il exprime également une sorte de défaitisme face à une destinée inextricable.

14. Expressions empruntées à Pierre Bitoun, lors de la présentation de son livre. 15. DEBATISSE Michel, La révolution silencieuse, Paris, Calmann-Lévy, 1963, passim cité par J.P. Jessenne, Les campagnes françaises, entre mythe et histoire (XVIIIème-XXIème siècles), Ed. Armand Colin, 2006, p.14 17


Montage photographique, Imaginaire versus RĂŠalitĂŠ, 2017

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b. Devenir moderne

En effet, « être paysan » ce n’est pas un métier appris et acquis mais plutôt une « condition », celle d’une « personne de la campagne qui vit de la culture du sol et de l’élevage des animaux16 ».« On naît paysan et on le demeure » explique Henri Mendras. Mais suite aux nouveautés induites après la guerre, ce n’est plus la majorité des paysans qui restent dans les campagnes mais ceux qui parviennent à s’agrandir et donc probablement à accepter voire à favoriser le départ de leur voisin. De ce fait, la transmission de l’exploitation et des terres familiales ainsi que la condition sociale n’est plus assurée. Les nouveaux agriculteurs « modernes et innovants » sortent des « ténèbres » et de « l’enracinement » de la condition paysanne. De la même façon, les jeunes filles des campagnes finissent par fuir ce destin hérité en allant travailler en ville. Ainsi, elles se libèrent d’une condition personnelle mais aussi sociale ne correspondant plus au mode de vie moderne. Ce départ pour la ville a une incidence néfaste pour les agriculteurs mais surtout les petits paysans qui vivent toujours dans un environnement révolu. « Le célibat des agriculteurs, condamnés à ne pas se marier du fait de la mauvaise image de leur profession et de leur isolement, s’est accentué dans les années 60.17 » Cette situation est particulièrement vraie dans les exploitations de polyculture-élevage qui ne répondent pas aux exigences de spécialisation et de productivisme du pays. « Les parents âgés s’efforcent d’aider le fils à maintenir l’intégrité de la ferme » dont la conduite se doit de rester irréprochable sans pour autant se moderniser. Ces structures familiales de par leur pratique et leur mode de vie conservent donc une image misérable et arriérée et le courage «synonyme d’ardeur au travail et de domination de soi » ne reste qu’une vertu essentielle pour la « petite paysannerie ». Le labeur agricole se retrouve rejeté par les jeunes générations qui cherchent à avoir un mode de vie « moderne » donc plus de temps pour le divertissement et moins de peines au travail. L’arrivée de la mécanique est alors perçue comme une aubaine qui va considérablement réduire la peine. La vie urbaine, elle, s’introduit dans les campagnes par les médias et l’arrivée d’une nouvelle population qui travaille en ville mais achète des résidences (souvent secondaires) pour profiter des « bienfaits » de la campagne. La Montagne, chanson de Jean Ferrat écrite en 1967 décrit ce processus : « Ils quittent un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie, loin de la terre où ils sont nés. Depuis longtemps ils en rêvaient, de la ville et de ses secrets, du formica et du ciné. » Ce refus du perfectionnement technique ou du moins la difficulté à y parvenir semble avoir une toute autre connotation aujourd’hui où l’on parle avec nostalgie de l’effervescence passée des campagnes. Mais en réalité, cette « peur » de l’innovation est aussi due au peu de revenus dont bénéficiaient les paysans autarciques vivant de polyculture. Si leur mode de vie où l’on consomme ce que l’on produit leur permettait de vivre, cela ne leur permettait pas de capitaliser des biens. En cas d’excédant pécuniaire, l’argent n’était pas dépensé, « dépensé trop était mal vu18 » dans 16. selon la définition du CNTRL 17. BETEILLLE Roger, Que sais-je ? La crise rurale, Presses Universitaires de France, 1994, p.46 18. MENDRAS Henri, La fin des paysans, Ed. Babel, 1984, p.72 19


la paysannerie d’avant-guerre. Il était investi dans les terres, le cheptel ou l’or, seules garanties d’une prospérité ce qui était totalement opposé à la dynamique des « Trente Glorieuses » où la consommation de masse était en plein essor. Ainsi, quand il a été question de se mécaniser, les solutions étaient le refus ou l’emprunt. Les récoltes fluctuant beaucoup, seuls les « gros paysans » ou ceux qui mutualisaient leurs biens pouvaient prendre des risques. (Mendras, 1984 : 148) Ainsi, suite à la guerre, le paysan est aussi perçu comme un être « radin », « proche de ses sous » qui n’est pas dans une dynamique investissement-profit. La mise en place de la politique agricole commune (PAC) européenne en janvier 1962 change le mode de rémunération des agriculteurs mais aussi impact sur les mentalités prévoyantes et économes. Le conseil des ministres de la commission européenne décide d’une PAC qui garantit des prix et des subventions : la production agricole est ainsi conditionnée par des décisions prises à Bruxelles et les agriculteurs adaptent les cultures selon les avantages accordés par les primes.

Suite à la guerre 39-45, on peut dire que deux visions s’opposent : le paysan « arriéré » seul et exclu doit laisser la place à un agriculteur dont le travail est avant tout technique. La connaissance parfaite que les paysans avait de leur métier avant les perturbations apportées par la « révolution agraire » leur aurait donc empêché de prendre conscience de leur situation en marge de la société?

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Montage photographique,La nostalgie passĂŠe,, 2017

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2. LA NOSTALGIE DE LA VIE PAYSANNE POST EXODE

À la suite du premier choc pétrolier, le système montre ses faiblesses. Jusque là, la société consumériste et le système productiviste n’avaient montrés aucune faille. Cependant, l’agriculture intensive et spécialisée se révèle fragile mais perdure grâce aux aides nationales et communautaires. Elle renvoie toutefois à un manque de respect à la terre nourricière. Les désillusions des agriculteurs face à ce type d’agriculture apparaissent, surtout dans les petites et moyennes exploitations dont la situation s’est aggravée. En ville, la population exilée des champs est nostalgique de la vie passée. Le besoin de « renouer avec ses racines » va être manipulé par l’industrie pour vendre.

a. L’illusion de la conservation de la figure paysanne au profit de la société marchande

Dès la fin des années 60, un discours nostalgique sur le passé des campagnes se dévoile

notamment de la part de la population ayant rejoint la ville. De nombreux écrits paraissent également sur la « disparition » des paysans révélant un sentiment d’inquiétude face à l’amenuisement d’une société structurante de l’histoire du pays. La baisse conséquente du nombre de paysans dans les campagnes est surtout effective sous la présidence de De Gaulle qui annonce « l’élimination de plus de la moitié des paysans, soit un million.19 » Cette « élimination » est justifiée par la nécessité de faire baisser les coûts de production par la mécanisation et le remembrement du parcellaire pour permettre au ménage de « libérer leur pouvoir d’achat de la nécessité première de manger.20 » Acquis, savoir-faire et outillage se retrouvent sans but et on voit bientôt disparaître de nombreux métiers (maquignons, maréchal-ferrant, ferronniers, forgerons). Pour certains21, la transformation des comportements nécessite de conserver une trace des coutumes passées. Pour d’autres, la « paysannerie » continue à vivre à travers les publicités, produits de marque et films qui jouent de l’image du paysan pour enfanter d’un mythe vendeur. Ce mythe est « fabriqué par et pour les habitants des villes sur image d’une ruralité idyllique, avec des valeurs d’authenticité et de simplicité »22. Le premier salon de l’agriculture en 1964 en est l’aboutissement parfait : son succès populaire permet de « se réapproprier les saveurs d’autrefois ». C’est le « passage obligé » des politiques qui se montrent familiers à la culture agricole française et qui sensibilisent ainsi un électorat choisi. «La paysannerie est le peuple choisi qui conserve les valeurs éternelles sur lesquelles ce monde sera forcément bâti. (…) le paysan est toujours considéré comme la base politique la plus saine de la nation.23 »

19. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Ed. Du bout de la ville, juin 2017, p. 70 20. Ibid. 21. PIERRE-JAZEK Hélias, Le cheval d’orgueil, 1975 ; VINCENOT Henri, la Billebaude, 1982 ; GUILLAUMIN Emile, La vie d’un simple, 1977 22. Voir le documentaire d’Audrey Maurion Adieu Paysans, 2014 23. MENDRAS Henri, La fin des paysans, Ed. Babel, 1984, p.300 22


Quand les innovations sont à destination des agriculteurs modernes, le folklore est destiné au public friand de retrouver les coutumes regrettées faisant écho à leurs « racines» paysannes. Les fêtes dans les villages (des moissons par exemple) célèbrent les moments de travail collectif disparus de la vie rurale. Les soirs de veillées sont remplacés par la télévision, où dans les années 70, on peut encore se raccrocher au passé en regardant le feuilleton sur Jacquou Le Croquant « meneur d’une révolte paysanne ». L’aboutissement de cette vision « politiquement rentable » se fait sous Mitterand quand le cœur de Paris devient un vaste champ de blé où le défilé des moissonneuses batteuses se mêle aux danses folkloriques où hommes et femmes sont habillées comme autrefois. La commercialisation de la tradition ne cesse de cacher la réalité d’un quotidien. La publicité renforce cette vision idyllique et rêvée de la campagne accueillante qui détient un savoir ancestral. La promotion de la générosité de la nature permet en réalité de vendre des produits industriels. La mère Denis avec ses bonnes joues roses et son accent du terroir devient l’emblème de la marque Vedette (machines à laver) et tourne huit films publicitaires entre 1972 et 1980. En 1982, ils feront d’elle un personnage connu par plus de 80 % des Français alors que la marque Vedette est en deuxième position sur le marché24. Plus récemment, en 1993, trois sœurs portant une coiffe bigoudène traditionnelle de la Bretagne font la publicité de la marque Tipiak, groupe agroalimentaire. Hubert Grouès, président-directeur général de la marque, explique au journal Ouest-France : « La coquille saint-jacques est un produit typiquement breton et les bigoudènes, des femmes expertes en cuisine et symboles de la Bretagne. On voulait des personnes authentiques avec des traditions culinaires.» Conjointement et selon Jean-Pierre Houssel, professeur de géographie à l’université Lyon 2, médias et milieux officiels «admettent volontiers que la plus grande transformation sociale de l’après-guerre est la promotion des paysans.25» La famille agricole, à travers la figure de la femme, change également et rêve de conditions de vie moderne ce qui passe inévitablement par l’achat de produits industriels. De la même façon qu’à travers les CETA (centre d’étude technique agricole) qui réunissent les agriculteurs d’un pays, les CETMA, regroupent des femmes, souvent épouses d’agriculteurs adhérents au CETA. « Son action collective s’inscrit dans le changement de la condition féminine.» La place de la femme, dans la tradition, lui octroie une condition inférieure à l’homme. Outre ses tâches besogneuses (soin des bêtes et de la maison principalement) elle n’a pas de poids dans les prises de décision. En travaillant pour l’exploitation, elle est employée du « chef » d’exploitation. La hiérarchie au travail se reflète au foyer. Avec la mécanisation et l’inscription de l’agriculture dans un marché plus vaste, elle est tenue de suivre la comptabilité de l’exploitation, ce qui « lui confère une place centrale. » Grâce à ces réunions, les femmes abordent diverses questions liées à leur place de mère et de femme, à la modernisation de leur lieu de vie mais aussi à l’éducation de leurs enfants. « Dès 1961, trois ans seulement après ses débuts, le CETMA entreprend de s’émanciper des carcans de la société paysanne. » 24. https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8re_Denis 25. HOUSSEL Jean-Pierre, « Des débuts de la révolution fourragère dans le lyonnais à la modernisation en petite culture », Conclusion ,Géocarrefour, vol. 81/4, 2006 (et citations suivantes) 23


Montage photographique,Les Glaneuses revisitĂŠe, 2017

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b. Entre mythe de la terre salvatrice et réalité d’un métier industrialisé

Alors que le paysan pouvait être considéré auparavant comme un « rempart » (Lefebvre, 1972 : 121) au potentiel développement de la grande industrie (de part son mode de vie autarcique et sa « lenteur » liée au « rythme biologique de la nature » (Mendras, 1984 : 297)) il disparaît suite aux bouleversements consécutifs des grandes guerres et devient même objet de consommation. Le passé rural est quant à lui muséifié. On pourra d’ailleurs être surpris par la découverte des « écomusées » des parcs naturels régionaux, instantanés figés des pratiques passées. Ils ne reflètent pas les enjeux de l’agriculture actuelle et permettent seulement d’illustrer une certaine cohésion avec une nature bienveillante. On observe, en parallèle, l’engouement d’un « retour à la terre ». Les personnes en mal du rythme effréné des villes recherchent une vie moins aliénante. Ce n’est pas sans compter l’appareillage administratif et normatif mis en place depuis plusieurs décennies. Pourtant, l’imaginaire lié au travail paysan est encore aujourd’hui très bucolique. On perçoit toujours une lenteur, une sagesse liée au rythme fondamental de la vie, à l’inverse de la pulsation effrénée de la ville. Les films Le bonheur est dans le pré (Chatillez, 1996), Une hirondelle a fait le printemps (Carion, 2002) ou encore Pieds nus sur les limaces (Berthaud, 2010) illustrent des vies sauvées grâce à une reconversion ou reconnexion heureuse avec une nature idéalisée et bienveillante. A l’inverse, un céréalier possédant 300 hectares en Bretagne confie dans le documentaire Le champ des possibles26 « Je me suis rendu compte à 45ans que j’ai cassé tout l’équilibre du sol pendant 25ans. » Quel rapport le paysan entretient-il réellement avec la terre et la nature ? « Qu’est-ce que la terre ? Le support matériel des sociétés (...) Ce support des sociétés humaines, de l’origine à la fin des hommes, n’est ni immuable ni passif. La terre est d’abord «le grand laboratoire» qui fournit aussi bien l’instrument et la matière du travail que son siège, son lieu. (...) » (Lefebvre, 1972 : 80) « Pour l’agriculteur, ce mot (la terre) évoque à la fois le sol qu’il travail, l’exploitation qui fait vivre sa famille depuis des générations, le métier qu’il exerce, tout autant que la condition paysanne (...) » (Mendras, 1984 : 79). Le paysan se doit donc d’être patient, attentif aux saisons et capable de transmettre son savoir que lui même a appris de son aîné. L’ambivalence du rapport à la nature à la fois généreuse et capricieuse était déjà peinte par Millet dans ses œuvres alternant entre «sérénité bucolique et morale » (La bergère gardant ses moutons, 1862) et paysannerie abrutie par la rudesse du travail de la terre (L’homme à la houe, 1860)27. Avant la révolution agricole et la mise en place de la PAC, la surface moyenne d’une exploitation était inférieure à 20 hectares (un peu plus pour l’élevage laitier). Elle permettait ainsi, pense t-on, a très bien connaître chacun de ses champs et donc à connaître et maîtriser le sol. « Chaque terre est unique ». La terre est associée aux souvenirs de ceux qui l’ont cultivés. De la même façon, la dizaine de bêtes présente dans la ferme permettait un soin à taille humaine. 26. BARRIER Marie-France, Le Champ des possibles, diffusé le mercredi 20 décembre à 20h55 sur France 5. 27. JESSENNE Jean-Pierre, Les campagnes françaises, entre mythe et histoire (XVIIIème-XXIème siècles), Ed. Armand Colin, 2006, p.55 25


« Pour que l’agriculteur moderne reste un homme de valeur, il doit continuer à penser

et à dominer son travail, régir librement son exploitation, participer à des communautés de base où jouent encore l’association et la solidarité (…). Mais que cette rapide mutation ne détruise pas le capital inestimable de richesses humaines accumulées au cours des siècles par l’homme et la terre.28 »

Mais après la réduction drastique du nombre d’exploitations, la superficie moyenne passe entre 80 à 120 hectares pour les cultures ce qui bouleverse le lien à la terre si longtemps entretenu. Les agriculteurs qui sont parvenus à s’agrandir récupèrent des terres qu’ils ne connaissent pas ou très peu mais la modernisation fait du paysan un exploitant agricole technicien de la terre29. Le métier s’est transformé. Les « mauvaises terres », que certains se plaignent d’avoir récupérées lors du remembrement, sont labourées et transformées sous les roues du tracteur. Mis en place depuis la libération par le ministre de l’agriculture François Tanguy-Prigent (socialiste et syndicaliste), le regroupement des parcelles agricoles permet un accès plus direct aux champs mais coupe « charnellement l’agriculture de son passé ». Par conséquent, ceci amène rancœur et tensions dans les campagnes car « on touche à la mémoire familiale et à la propriété30 ». L’entreprise est titanesque : « 150 millions de parcelles enchevêtrées pour 3 millions d’exploitation » et bouleverse considérablement la construction des paysages. Talus et haies disparaissent ce qui impacte sur l’érosion des parcelles. De ce fait, le réseau de fossés servant à drainer l’eau n’est plus efficient.

Les paysages et constructions géographiques sont finalement très récentes. L’image des territoires ruraux et particulièrement de l’agriculture est complètement différent de ce qui est encore véhiculé aujourd’hui. C’est donc en retraçant l’histoire récente sous le prisme de trois points considérés comme essentiels que l’on va maintenant tenter de comprendre les enjeux actuels de l’agriculture.

28. La citation est extraite de journaux professionnels des années 1954-55 in MENDRAS Henri, La fin des paysans, Ed. Babel, 1984, p.299 29. ALARY Eric, L’histoire des paysans français, Ed. Perrin, 2016, p.10 30. Voir le documentaire de MAURION Audrey, Adieu Paysans, 2014 26


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Montage photographique, L’agriculture productiviste, 2017

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PARTIE II LES EFFETS DU SYSTÈME PRODUCTIVISTE SUR LE MÉTIER D’AGRICULTEUR

« Moi je suis parti de Bretagne en 63, il y avait des basses-cours dans les fermes,

trois ou quatre cochons dans les étables, plusieurs vaches et sous les pommiers. Ce n’est que lorsque je suis arrivé en retraite que j’ai pris conscience que l’agriculture que j’avais connu quand j’étais gamin, elle avait complètement évoluée. Quand je rentre à l’intérieur des terres pour aller chercher des piquets de bois pour entourer un champ, j’ai un rendez vous dans une maison toute blanche, un grand bâtiment blanc et je vois des hommes en blanc sortir en scaphandre avec des gants, des bottes blanches, se laver les pieds. Je dis à celui qui m’avait convoqué « Qu’est ce qu’il se passe ? c’est une station expérimentale ? - Mais non monsieur, c’est un élevage de dinde reproductrice. » Alors là, le ciel m’est tombé sur la tête.31 »

C’est parce que l’on perçoit bien souvent le travail de la terre comme un métier émancipateur et permettant de rester libre que j’ai fait le choix d’axer cette partie sur plusieurs points questionnant la « débrouillardise » et « l’intelligence collective ». Être agriculteur aujourd’hui est-ce synonyme d’autonomie et d’autodétermination ? Si certains vont vers l’agriculture aujourd’hui, est-ce nécessairement synonyme de la reconquête d’un métier porteur de sens ? Enfin, l’accession à la propriété, usuelle en France pour pratiquer le métier d’agriculteur est-elle un but, simple d’accès, quand on veut s’installer ? Aujourd’hui, un paysan sur deux gagne moins de 350€ par mois32. Mis à l’écart spatialement et socialement, l’agriculteur travaille principalement seul, son métier ne permettant plus de dégager deux salaires comme à la suite de la modernisation. A bout de souffle et dans des impasses financières, certains paysans vont jusqu’au suicide. « Selon tout à la fois les “modernistes” et les marxistes, les paysans sont devenus soit des entrepreneurs, soit des prolétaires ». (Van Der Ploeg, 201433) Les normes et l’appareil administratif aggravent très souvent les situations d’impasses mais rappelons-le, cette « sélection économique des agriculteurs » (Brunier, 2016) a lieu depuis les années 50. Si, au départ, les plus petites fermes étaient visées, c’est aujourd’hui celles qui ne parviennent plus à s’agrandir et répondre aux normes toujours plus imposantes qui sombrent. 31. Journal breton – saison 2 (6/10) : «La fabrique du silence : les citoyens», émission Les pieds du terre, 12 décembre 2017, France Culture 32. Barrier Marie-France, Le Champ des possibles, diffusé le mercredi 20 décembre à 20h55 sur France 5. 33. COURLEUX Frédéric, « note de lecture du livre de VAN DER PLOEG Jan Douwe, Les paysans du XXIè siècle : mouvement de repaysanisation dans l’Europe d’aujourd’hui », Economie rurale, 351, janv.fev. 2016 31


À en croire la difficulté d’accès au foncier aujourd’hui, la possibilité d’être propriétaire s’amenuise de plus en plus. L’urbanisation, l’enfrichement, l’accumulation de capital foncier mais aussi la spéculation chez des acteurs non agricoles (Arpenter n°2, fev. 2017) sont autant de paramètres qui rendent difficile la possibilité d’installation de nouveaux agriculteurs mais aussi de transmission des fermes. C’est par le rapprochement des stratégies politiques et des réactions du milieu agricole que se structure cette seconde partie. Toujours sous un angle historique elle permet de comprendre comment la mise en place d’outils administratifs, techniques et normatifs a engendré la crise d’une partie de l’agriculture aujourd’hui.

1. LA LIBERTÉ, CONDITION DISPARUE DU PAYSAN ALIÉNÉ ?

« (…) toutes les théories globalisantes en sociologie rurale reposent (elles ne font pas que le mentionner) sur un rapport dominant/dominé où le monde rural apparaît privé de pouvoir sur lui-même.34» Michel Robert, a contrario des propos mystificateurs encore actuels, dépeint « le monde rural » et l’agriculture entre autre comme une entité qui a toujours été dominée soit par la nature, soit par une « instance économique supérieure » ; la première dictant les récoltes et les rendements, la seconde vérifiant l’achat comme la vente des produits. Essayons donc de comprendre comment et pourquoi la notion d’autonomie, faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d’agir librement35, (liée d’abord à l’autarcie du modèle de société paysanne) est-elle toujours revendiquée aujourd’hui ?

a. Dans l’après-guerre, le rôle de la jeunesse agricole catholique (JAC)

Avant qu’existe les communautés paysannes (familiales et agricoles), les serfs travaillaient pour les seigneurs. Ces derniers recevaient les droits de succession des travailleurs sans descendance empêchant ainsi aux paysans d’hériter les uns des autres. C’était le droit de main morte. Pour résister à ce droit, les paysans de différentes familles décidèrent de se regrouper en communautés et exigèrent que les terres reviennent à celles-ci. Les seigneurs, pour garder une certaine dignité, exigèrent qu’ils vivent « au même pot et au même feu », le pot et le feu c’est-àdire la cuisine «était à tout le monde et personne ne possédait rien.36 » Ces communautés qui devaient quand même travailler pour vivre étaient encadrées par un maître répartissant le travail des hommes et une maîtresse s’occupait des enfants et distribuait le travail à faire aux femmes. Le soir, lors des veillées, on s’occupait des travaux pour la communauté : confection de sabots, d’huile, 34. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, p.39 35. http://www.cnrtl.fr/definition/autonomie 36. DUSSOURD Henriette (historienne) dans le documentaire Paysans d’autrefois, les communautés familiales et agricoles réalisé par BARJOL Jean-Michel 32


de tissus. Chaque personne avait sa spécialité et les enfants aussi aidaient. C’est la communauté qui importait car elle permettait l’autonomie face au seigneurs et « l’autarcie assurait au paysan une indépendance admirable à l’égard des puissants » (Mendras, 1984 : 164). Mais les bouleversements du XIXème siècle ont mené à la dissolution de ces communautés. Pour cause, les idées individualistes du XVIIIème siècle et l’arrivée du code civil qui promulguait « nul n’est tenu de rester dans l’indivision ». Ceci a mené « au grand partage » à partir de 1842. Mais qu’en est-il ensuite ? En faisant un bon dans le temps pour revenir à la période étudiée (19452017), on observe que dès 1946 est mis en place le Plan Monnet qui vise, en 4ans, à augmenter la capacité de production et productivité par la modernisation (construction de canaux pour étendre les terres cultivables). Le plan Marshall l’assoie (1947) en aidant la France à se reconstruire et arrivent par dizaine des tracteurs américains. Les avancées techniques libèrent le paysan du dur labeur des champs, mais l’agriculteur équipé mécaniquement est-il pour autant plus libre ? Il est assez communément admis que « ‘’Ne pas obéir à un patron’’ ou ‘’ne pas avoir toujours quelqu’un sur son dos’’ fait la fierté des agriculteurs qui assimilent volontiers l’ouvrier d’usine au domestique agricole. » (Mendras, 1984 : 247) La modernisation de l’agriculture, dont nous avons parlé précédemment, finit donc par s’imposer dans de nombreuses exploitations, et plus largement dans les campagnes françaises où l’église possède une place importante. Ce mouvement émancipateur pour une part de la population rurale est considérée comme une menace de déchristianisation pour l’église qui le rejoint donc pour mieux le « contrôler ». Elle mise sur la JAC (jeunesse agricole catholique) qui devient un acteur majeur de la réorganisation du monde rural. Elle parvient à revaloriser le métier d’agriculteur en érigeant un type de « paysan modèle » capable de contribuer à l’approvisionnement alimentaire du pays et de moderniser l’agriculture. D’après Henri Mendras, toujours, c’est poussé par l’église à panser les « campagnes malades » et par une avidité à « construire eux-mêmes leur avenir37» (tout en étant aidé par l’État) que la jeunesse catholique parvient à s’entourer d’agronomes qualifiés dans les CETA (centres d’étude technique agricole, réunissent exploitants d’un même canton et technicien). Le but étant de faire parvenir dans les campagnes un souffle de modernité. La JAC contribue à défaire le mythe de la paysannerie et à se détacher de la figure patriarcale qui soumet femme et enfants à la tenue de la ferme. Dans la « France rurale progressive38 », celle où les JAC sont les plus actives, l’amélioration des revenus et des rendements des agriculteurs est considérable. Un réseau de centres, de coopératives et de groupements d’agriculteurs favorise une dynamique de travail collectif en faveur de la modernité. Mais en parallèle, on fait le constat que « plus l’entreprise agricole se modernise, moins elle compte de salariés. L’idéal, souvent atteint, en étant l’absence totale.39 » Mais personne ne se préoccupe encore de cela tant les moyens humains que matériels sont abondants pour permettre la modernisation des exploitations. La structuration est telle que les 37. MENDRAS Henri, La fin des paysans, Ed. Babel, 1984, p.306 38. HOUSSEL Jean-Pierre, « Des débuts de la révolution fourragère dans le lyonnais à la modernisation en petite culture », Géocarrefour, vol. 81/4, 2006 39. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, p.31 33


JA sont représentés à échelle étatique dans les CNJA (cercle national des jeunes agriculteurs) qui élabore une politique dite des structures. Elles aboutissent en 1960 à la Loi d’orientation et à la Loi complémentaire en 1962. Ces lois mettent en place des mesures pour « inciter les plus âgés à cesser leur activité (indemnité viagère de départ), pour encadrer la recomposition foncière des exploitations via la SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’équipement rural)40». Elles facilitent également l’accroissement en surface des exploitations des jeunes en facilitant l’investissement (opportunités de prêts bonifiés via le Crédit agricole) (Gavignaud-Fontaine, 1996). La mise en place de ces cadres légaux illustrent une volonté de préserver l’agriculture tout en favorisant sa modernisation et son renouvellement. Le remembrement ajouté à la mécanisation, à la sélection génétique et à l’utilisation de produits phytosanitaires induisent une augmentation considérable des rendements et libèrent le travail de l’homme, physiquement éreintant. Elle permet donc l’affranchissement de la nature et de ses caprices. Dans la famille, le couple acquiert une place moins enfermée dans les carcans imposés par la société paysanne. La transformation des comportements s’accélère ensuite par la mise en place (toujours par la JAC) d’une vie associative particulièrement active autour des loisirs, de la vie culturelle et de la vie sociale (J.-P. Houssel, 2006). « La multiplication des collèges à partir de 196041» permet aux enfants de poursuivre les études de leur choix. « Les nouvelles générations créent et occupent des emplois dans l’industrie et les services.» La transmission des fermes (outil de travail et habitat) n’est plus assurée et mène ainsi à l’agrandissement des voisins. L’étonnement est d’autant plus grand lorsque l’on comprend que l’adaptation nécessaire ne peut pas se faire isolément mais en groupe. Ces changements, qui passent par la mécanisation, la motorisation, l’achat des semences, « sont rendus possibles grâce au développement de l’agriculture de groupe» (Mendras, 1984). C’est donc à la suite que sont créés des organismes de crédit et de mutualité (crédit agricole, CUMA) permettant de diminuer les coûts et des coopératives d’achat et de maîtriser les ventes. La culture du groupe engage une marche en avant car c’est lorsque le paysan est « porté par son groupe », qu’il a le sentiment de ne pas faire isolément quelque chose que le « mécanisme de changement » opère42 . Peut-on alors considérer que c’est l’effet de groupe qui confond l’agriculteur dans l’illusion d’être libre ? « La coopération est encore à l’époque la solution défendue pour freiner les ardeurs capitalistes et rester maître de son destin.43 » La fin des années 60 laisse percevoir les prémices de la convulsion du monde paysan : impatience, désespoir, violence s’empare de la « sagesse » des paysans. Des foyers de contestation s’organisent en Bretagne, dans le Midi et mène à la création de comités autonomes provoquant occupations et barrages. Ce basculement survient principalement des exploitations les 40. BRUNIER Sylvain, « Des intermédiaires sur mesure : les conseillers agricoles ont-ils été des modernisateurs (1945-années 70) ? », Varia, Vol. 5, n°3, juil.-sep. 2016, p. 71 41. HOUSSEL Jean-Pierre, « Des débuts de la révolution fourragère dans le lyonnais à la modernisation en petite culture », Géocarrefour, vol. 81/4, 2006 (et citations suivantes) 42. MENDRAS Henri, La fin des paysans, Ed. Babel, 1984, p.65 43. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p.65 34


plus modestes : « Les agriculteurs (…) sont menés en bateau... Du moins les petits agriculteurs, car les autres ont su tirer profit de la colère des petits producteurs pour augmenter leurs bénéfices en jouant du mythe de la solidarité professionnelle dans le secteur agricole ce qui permet depuis des années de masquer les conflits de classe extrêmement violent qui s’y déroulent44. » Ainsi, comme l’explique Jean-Pierre Houssel, il s’est développé dans les campagnes «un comportement individualiste et d’assistés45» pourtant, tout le travail mis en place par les JAC (CUMA, CETA, services de remplacements) laisse penser le contraire. Alors s’agit-il d’une manipulation des esprits pour favoriser la quête du profit ?

b. La construction du couple industrie-État

« Ces questions de « l’oubli », par l’appareil d’État, des grandes cultures paysannes en

France et la violence liée aux politiques de vulgarisation et d’incitation économique, recouvrent, dans leur apparente banalité, une interrogation sur les formes de violence de l’appareil d’état d’une société démocratique.46 »

Si Mendras et Houssel mettent en avant l’importance des JAC, Sylvain Brunier part du prisme du conseiller agricole mis en avant par « l’appareil d’encadrement de l’agriculture » (Robert, 1986 : 58). A la fin de la guerre et dès le début des années 50, les « nouvelles élites agricoles » (Brunier, 2016) en lien avec l’état décident de mettre en place des « intermédiaires de terrain » pour inciter les paysans à changer leur mode de production en investissant dans de nouveaux moyens de production. On parle alors de « vulgarisation agricole ». L’Association pour l’encouragement à la productivité agricole (AEPA) et l’Association général des producteurs de blé (AGPB) représentent à la fois des commerciaux des industriels producteurs d’engrais et des grands exploitants céréaliers. Ils octroient des aides financières pour mettre en place des « agents techniques au contact permanent des agriculteurs connaissant bien la pratique et capable d’inspirer confiance aux exploitants47 ». Cette incitation impacte sur la « sélection économique des exploitations agricoles » tout en invitant les agriculteurs à faire leur propre promotion sociale (Brunier, 2016). Les actions de la JAC, décrite précédemment, illustre parfaitement cette auto promotion sociale. La jeunesse est plus ouverte à la technique et n’a pas encore d’impératifs familiaux nécessitant de mesurer les choix faits en connaissant leurs impacts. Cette coproduction d’action industrie-état pour la « vulgarisation » permet à l’État mais surtout aux « élites » de « leur assurer une emprise durable sur le secteur agricole48» 44. B. Jaumont, D. Lenègre, M. Rocard, Le marché commun contre l’Europe, Point Seuil, 1973, p.66 passim, cité par JESSENNE Jean-Pierre, Les campagnes françaises, entre mythe et histoire (XVIIIèmeXXIème siècles), Ed. Armand Colin, 2006, p.12 45. HOUSSEL Jean-Pierre, « Des débuts de la révolution fourragère dans le lyonnais à la modernisation en petite culture », Géocarrefour, vol. 81/4, 2006 46. SALMONA Michèle, Les paysans Français, Ed. L’Harmattan, 1994, p.21 47. Hallé, P., « L’action technique des associations spécialisées », Chambres d’agriculture, 9, octobre décembre, 1951, p. 11. in BRUNIER Sylvain, « Des intermédiaires sur mesure : les conseillers agricoles ont-ils été des modernisateurs (1945-années 70) ? », Varia, Vol. 5, n°3, juil.-sep. 2016, p.63 48. BRUNIER Sylvain, « Des intermédiaires sur mesure : les conseillers agricoles ont-ils été des moderni35


mais aussi d’avoir un « pouvoir d’incitation sur les choix individuels » que les paysans opèrent. Dans les années 60, l’État met en place les chambres d’agriculture qui proposent des services aux agriculteurs souhaitant se moderniser. Ce n’est sans compter l’apparition du « soutien » aux agriculteurs des organisations économiques (crédit, coopératives, associations spécialisées). Ces services se développent dans différentes formes organisationnelles encadrées par des conseillers (villages témoins de l’AGPB, zones témoins (aidées financièrement par l’État) gérées par les chambres d’agriculture, CETA (centre d’étude technique et agricole) lancées par des grands exploitants, etc.). Les conseillers-techniciens sont pour la plupart fils d’agriculteurs. Ainsi, c’est toute une organisation construite par et autour des agriculteurs. Ces organisations, de par leur ancrage, permettent à la partie du monde agricole en voie de modernisation de « se constituer comme un groupe professionnel homogène » (Brunier, 2016) Chaque groupement reproduit le même répertoire d’actions : visites individuelles et réunions permettent de mettre au point des essais et d’en comparer les résultats ; les voyages d’études sont l’occasion de constater de visu l’intérêt d’une innovation technique ; les démonstrations visent à familiariser les agriculteurs avec une nouvelle variété végétale, une nouvelle machine ou une nouvelle méthode de travail. La connaissance du territoire et des problématiques agricoles est essentielle pour la crédibilité et l’acceptation de la figure du conseiller. Son dévouement auprès des agriculteurs mais aussi son lien aux institutions d’encadrements (administrations, banques, mutuelles, coopératives, collectivités locales) est primordiale (Brunier, 2016). La modernisation des exploitations induira des changements dans l’organisation du travail de conseil : spécialisation par type de production, place croissante de la gestion, bureaucratisation de l’encadrement des agriculteurs (Brunier, 2016). Le modèle de l’exploitation familiale a complètement disparu dans ces exploitation modernes qui n’ont plus de main d’œuvre familiale, des investissements très lourds à destination d’une technique toujours plus complexe (Rémy, 2013 ; Salmona, 1994). « L’agriculture devient une activité secondaire dans la mesure où elle s’appuie sur un haut niveau de consommation de facteurs de production exogènes. Elle constitue dès lors un débouché essentiel pour les secteurs de l’industrie situés en amont : la chimie (engrais et pesticides), la mécanique et, désormais, la génétique (pour les semences, les plants et les animaux).49 » Des agents commerciaux, salariés des industries combinent démonstrations techniques et démarchages (Jas, 2001). Les industries agro-alimentaires auparavant peu concentrées finissent par connaître un développement exceptionnel en France et constituent des puissances économiques considérables. Les « élites modernisatrices » possèdent tout : groupements techniques locaux, droit de regard sur la transmission du foncier, coopératives de production, de vente ou d’utilisation du matériel en commun. Elles contribuent activement à l’installation et au façonnement du modèle dominant de développement agricole. Les agriculteurs quant à eux, maintenant seuls à travailler dans leur ferme, ne peuvent plus échapper à cette « chaîne de dépendance » (Ogor, 2017) qui commence par les sateurs (1945-années 70) ? », Varia, Vol. 5, n°3, juil.-sep. 2016, p. 59 49. CALAME Matthieu. « L’agroécologie envoie paître l’industrie », Revue Projet, vol. 332, n°1, 2013, pp. 50-57. 36


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prêts à la banque. Le risque étant, si on choisit de ne plus accepter le modèle, d’être totalement dépossédé de son cheptel, ses terres, ou même son compte en banque.

2. LA DÉPOSSESSION DU SENS DU TRAVAIL

« Depuis toujours, ni on sème la terre, ni on ne l’endette, s’endetter c’est confesser sa misère et se rendre dépendant des banquiers. » Mais « Le progrès n’a pas de souvenir » (Maurion, 2014) et la logique paysanne laisse place à la rationalité économique. La campagne est devenue une grande usine. Les agriculteurs ont besoin de toujours plus de machines, toujours plus de surfaces, toujours plus de têtes de bétail pour être plus rentables. C’est une véritable course à la productivité qui mènent les plus fragiles à des situations inextricables.

a. Production intensive, quand le système productiviste s’invite dans les fermes

Dans le fonctionnement d’avant-guerre, « Produire d’abord pour se nourrir, tel est le fondement de l’exploitation familiale.50 » Le travail de polyculture-élevage n’a pas de prix mesurable, il n’a pas de « valeur d’échange » (Robert, 1986). L’entraide ou l’appui des enfants lors des périodes d’intensification des productions convergent vers un tout bénéfique à l’exploitation. Chaque produit est transformé à la ferme : la farine de blé sert à faire le pain, une à deux vaches produisent le lait pour faire les fromages et les crèmes, quelques cèpes de vigne permettent d’avoir du vin de table, et les fruits dont la pomme, les jus. Les céréales (le maïs par exemple) qui ne servent pas à une consommation directe sont données aux animaux dont s’occupe généralement la femme. Comme nous l’avons déjà dit, c’est la terre, l’exploitation et l’habitat qu’il est nécessaire de considérer et d’entretenir. L’exploitation de type familiale vise à être transmise. Le travail de la terre mais aussi le soin qui lui est apporté est donc d’une grande importance. Pour cela, on ne fait pas de frais financiers hasardeux qui ne sont pas sûrs d’être récompensés. La récolte dépend avant-tout du climat mais le lisier (engrais naturel) ou les semences sont une partie qu’on « rend à la terre » (Mendras, 1984 : 185) sur ce qu’elle a produit. Les heures passées à la culture ne se comptent pas mais comme l’explique Henri Mendras, «les règles de travail en usine ou au bureau ont un caractère de contingence que n’a pas le travail agricole (...). » Au début des années 60, le ferme en polyculture-élevage est petit à petit abandonnée au profit de la monoculture productiviste. L’insertion de la technique qui permet cette mutation bouleverse les rapports sociaux et l’économie de l’exploitation. Les techniciens qui la promeuvent dont nous venons de parler, formés par l’institut agronomique ou par les écoles d’agriculture, amènent une dépendance considérable à leur expertise technique. « Il (le paysan) n’est plus son maître et il a besoin en permanence d’un maître pour l’instruire. » (Mendras, 1984 : 163) Pour 50. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, p.32 39


se faire, l’INRA (institut National de Recherche agronomique) est créé et répond au changement de pratique de l’agriculture. Les organismes de développement agricole, de groupes locaux de vulgarisation aux instituts techniques nationaux, contribuent par leur pratique à renforcer le rôle des modèles de production dominants. Cette « tutelle technique imposée par le progrès » (Mendras, 1984 : 163) est un nouvel événement lors duquel le paysan retrouve un statut d’apprenti. Ceci a une importance psychologique non négligeable pour la construction du travailleur car « son apprentissage, qu’il croyait fini, devient perpétuel. » (Mendras, 1984 : 164). Le paysan est alors humilié quand il se voit « prescrire par des technocrates les « bonnes pratiques agricoles » » (Ogor, 2017). Au delà des problématiques psychologique et sociologique que cela pose, la modernisation de l’agriculture a un impact important sur la gestion de l’exploitation. Si le paysan assurait un travail nourricier, l’agriculteur s’engage dans une économie bien plus large. Yannick Ogor, dans le livre Paysan Impossible, récit de luttes, explicite cette démarche aliénante. Il s’appuie sur le film Cochon qui s’en dédit, réalisé à la fin des années 70 par Jean-Louis Le Tacon, suite à l’implantation d’élevage hors sol de cochons et de volailles à proximité de villes bretonnes bien desservies en transports. « Les gestes de l’éleveur ne traduisent jamais une attention portée aux animaux mais suivent scrupuleusement une procédure dont on devine qu’elle a été fixée en amont par des équipes de techniciens et de chercheurs. (…) Son seul objectif est la production de viande. » Ceci s’explique par la demande croissante en production, qu’elle soit animale ou céréalière. Ainsi, les rendements doivent augmenter proportionnellement à la demande. L’industrie agroalimentaire, qui permet et favorise cela, n’hésite pas à provoquer demandes et besoins. La nourriture du cochon « calculée scientifiquement, est livrée par la firme industrielle » qui rachètera le produit à la fin de son élevage. Le modèle du « maïs-soja » comme nouvelle base de l’alimentation des bovins finit également par s’imposer. Dans beaucoup d’exploitations, la vache, pourtant animal herbivore, ne va plus dans les prés. Les races les plus productives sont sélectionnées et la grande diversité des races animales est oubliée. Pour exemple, aujourd’hui, 70% du cheptel bovin laitier est constitué de la race ‘Prim’Hostein’. Quant à l’industrie chimique, elle vend engrais et semences céréalières pour améliorer les récoltes et réduire les pertes.

« Ce que la science a créé, c’est une image et un modèle d’agriculteur entrepreneur, un

modèle qui définit ce que doivent être l’agriculteur, ses pratiques et les relations qu’il entretient.51 »

Le syndicat des paysans travailleurs (aujourd’hui représenté par la Confédération Paysanne), luttant contre ce modèle depuis une quarantaine d’année, caractérise ce processus par le terme « d’intégration ». Les « firmes intégratrices » proposent des contrats d’un an, écrits ou verbaux, aux petits agriculteurs qui cherchent un revenu complémentaire. L’éleveur est dépossédé de son travail : aliments nécessaire à l’élevage, séquençage et conduite de l’engraissement sont imposés. « Ils (les porcs) reçoivent une nourriture spécifique pendant une période fixée scientifiquement qui 51. COURLEUX Frédéric, « note de lecture du livre de VAN DER PLOEG Jan Douwe, Les paysans du XXIè siècle : mouvement de repaysanisation dans l’Europe d’aujourd’hui » , Economie rurale, 351, janv.fev. 2016 40


leur assure un « gain moyen quotidien » (GQM)52 ». La firme achète et vend à la fois et propose même parfois des crédits qui lient pour plusieurs années entreprise et agriculteur. C’est notamment lors des investissements nécessaires à la production (aménagement, construction, équipement) que la banque de la firme prête les capitaux (Lambert, 1970). Georges Rouquier a tenté de capturer ces mutations rapides dans deux films Farrebique en 1946 et Biquefarre en 1984. Trente-huit ans après le premier film, l’environnement s’est transformé. Les bâtiments de la ferme de Farrebique ont été abandonnés pour que l’aîné construise une « maison moderne, une unité laitière et un élevage en batterie.» Il ne travaille pas moins dur que son père mais utilise mécanique, engrais et nourriture industrielle pour son cheptel. Il ne redoute plus la pluie mais que les cours s’effondrent et n’est plus maître chez lui comme l’était son père. De façon générale, même si le temps de travail est divisé par quatre certains travailleurs témoignent « plus on en fait, plus il faut en faire, l’argent ne rentre pas quand même.53 » En effet, il arrive alors souvent que le kilo de porc, par exemple, n’est pas acheté par la firme à son prix de revient parce qu’elle s’aligne aux prix du marché, aujourd’hui mondiaux. Si la production est trop chère, c’est donc qu’elle n’est pas assez conséquente et ni les prix des intrants, ni ceux des productions, ni le volume de ces dernières ne sont maîtrisés par les agriculteurs français. Dans ce cas, il faut investir dans du matériel ou des produits chimiques et ainsi, s’endetter auprès du Crédit Agricole ou davantage auprès des firmes. Comme à l’usine, la division du travail finit par façonner le métier. L’individu « subit une activité et une situation imposée » (Lefebvre, 1972) mais qu’il accepte par besoin de rentabilité. Ainsi, l’agriculteur perd tout contact avec son travail originel en lien avec les cycles naturels de la terre et du vivant. Il n’est plus soumis aux aléas du temps, mais à celui des plannings imposés par l’agro-industrie. Il ne nécessite plus d’un savoir-faire accumulé, ce sont les techniciens qui dictent. « Le vivant devient une matière première, un matériau à modeler selon des normes de rentabilité économique.54 » L’optimisation de la productivité et l’intensification liées imposent des cadences détachées de tout bien-être, induit des systèmes d’élevage concentrationnaire où les bêtes sont mutilées pour éviter qu’elles s’entre-tuent ou qu’elles se blessent elle-mêmes. Cornes, dents, queues sont ainsi coupées pour éviter tout problème d’hygiène qui interférerai dans la chaîne de production des aliments. La question même de l’animal n’est plus considérée puisqu’il n’est plus qu’un « fond de roulement » (Ogor, 2017) qui permet de produire. L’éleveur exécute, puisque cela correspond aux normes imposées par les filières agro-industrielles. Les femelles sont soumises à des cycles de gestation sans pause, restant en vie jusqu’à ce qu’elles ne soit plus rentables. Elles sont alors mises « à la casse ». De la même façon, la terre n’est plus mise au repos, on lui impose un rythme de production allant parfois jusqu’à son épuisement total. La première mise à distance avec le matériau du labeur, à travers le remembrement par exemple, est donc accentuée par cette seconde mise à distance de l’Homme avec la terre et l’animal. 52. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p. 24 53. Voir le documentaire de MAURION Audrey, Adieu Paysans, 2014 54. DELÉAGE Estelle, SABIN Guillaume, « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, Vol. 42, n°4, 2012, pp. 667-676. 41


Moins l’affection et le lien affectif et sentimental sont forts, plus la probabilité de performance et rentabilité sera possible (Ogor, 2017). « L’humain lui-même n’est qu’un des termes de l’équation économique.55 » La mise en place de contrats entre éleveurs et filières agro-alimentaires l’illustrent : des pénalités sont imputées aux éleveurs ne respectant pas les exigences de l’industrie alors que l’éleveur n’a aucun moyen de vérifier la qualité de l’approvisionnement alimentaire des firmes. Certains d’entre eux cumulent alors des payes négatives, ce qui les noient dans des situations inextricables. Les « exploités » ne font pas le poids face à des groupes internationaux.

« On laissait aux gars la responsabilité des emprunts pour la mise en place de l’appareil

de production, c’est-à-dire les équipements, les bâtiments, et on leur laissait la responsabilité des emprunts pour des poussins, des aliments, des porcelets ou des médicaments, etc. Ce qui était une manière de leur faire prendre la totalité des responsabilités des pertes en cas de pépin dans l’élevage. C’est en fait comme cela qu’on supprime le droit de grève chez les paysans, c’est évident. Si moi, actuellement, j’arrête de faire des poulets, je perds 18 millions. Dans mon métier, la grève est hors de prix.56 »

Ceux qui ne veulent pas prendre part à ce bouleversement, parce qu’ils refusent ce nouveau modèle, sont contraints de trouver des alternatives de production et de vente. Les autres s’alignent aux exigences car ils perçoivent des aides qui permettent d’éviter toute crise interne. Ainsi, banque, État et bientôt l’Europe (via la PAC) s’immiscent dans la marche de l’exploitation. L’agriculteur est complètement dépossédé de sa liberté si souvent revendiquée. Ce constat, encore actuel, s’illustre dans le film Qu’est ce qu’on attend ? De Marie-Monique Robin où témoigne un agriculteur qui est conscient de la nécessité de changer de façon de produire, il en émet le souhait, mais il ne sait absolument pas comment faire. Il témoigne le sentiment d’être désarmé et impuissant. La « domination politico-économique » (Robert, 1986 : p.74) du monde agricole a atteint son but. L’agriculture comme art de produire est devenue un métier qui s’adapte à la loi du marché.

b. L’encadrement administratif et normatif ignore le « bon sens paysan »

« Dans les travaux et les jours, Hésiode unit l’agriculture au développement de qualités mentales essentielles : observer les saisons, ne pas ménager sa peine, être patient, attentif et prudent, comme Déméter et ses filles.57 » Est-ce donc cette capacité d’adaptation, « processus par lequel un être s’adapte naturellement à de nouvelles conditions d’existence58 », en lien potentiel 55. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p. 25 56. LAMBERT Bernard, BOURQUELOT Françoise, MATHIEU Nicole, Bernard Lambert : un paysan révolutionnaire, ed. Ladyss, collection Strates, 1989 in OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p.52 57. ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Les empêcheurs de penser en rond, éditions La Découverte, 2016, p.18 58. http://www.cnrtl.fr/definition/adaptation 42


avec la « débrouillardise » qui fait qu’on considère toujours le paysan comme un homme de « bon sens » ? N’est-ce pas toujours un mythe illusoire que de croire que l’agriculteur aujourd’hui développe toujours ces facultés liées au bon sens de sa pratique quotidienne ? La société, de façon générale, est de plus en plus organisée et bureaucratique, ce qui détruit toujours plus le rapport sensé aux éléments et contextes. « L’État fixe le cadre dans lequel les vies quotidiennes s’administrent.59 » L’agriculture est bien loin d’y échapper. Les données quantifiables, les règles à respecter dépossèdent l’agriculteur de son métier et annule le rapport sensible pourtant structurant des pratiques d’antan. Tout se doit d’être maîtrisé, paramétré et contrôlé dans l’idéal à distance et rapidement. Si l’agriculteur ou l’éleveur se refuse à ce mode de fonctionnement, c’est le respect des normes permettant entre autre de toucher les subventions qui l’obligent aujourd’hui à se moderniser. Les conditions pour bénéficier des aides publiques encourageant l’installation et la modernisation des exploitations, prolongées par les normes imposées par la CEE (Communauté Economique Européenne) dans les années 70 contribuent à la popularité du modèle dominant liée aux industries agro-alimentaires. Pourtant, la modernisation des exploitations (et l’intensification des productions qui en découle) induit une surproduction qui ne correspond pas à la demande qui croit moins vite. L’État finit par se positionner pour une « politique sociale60» pour donner un revenu minimal aux agriculteurs mais elle impacte sur les structures : les petites exploitations ne peuvent plus suivre le rythme de la concurrence. Dans les années 70, la surproduction, de lait notamment, permet la création de nouvelles filières industrielles. L’élevage de veaux en batterie permet « d’absorber et de valoriser les excédents de lait sous forme de poudre.61 » Sous cette forme, le lait peut s’exporter et se conserver plus facilement. Dans les années 80, c’est la mise en place de quotas laitiers qui structure la filière laitière imposant aux producteurs des quantités limites à ne pas dépasser. Au début des années 90, la mise en place de la PAC à l’échelle de l’Union Européenne induit la mise en place de « récompenses » qui constituent aujourd’hui l’intégralité (ou presque) des revenues de l’agriculteur. Ceci lui garanti un « salaire » fixe et une moindre dépendance aux acheteurs à condition que le type d’agriculture qu’il pratique, et que le nombre d’hectares qu’il possède correspondent aux critères PAC. Ces primes, en complément de celles données par le département, la région ou l’État (selon les politiques adoptées) ne vont que dans le sens de l’aide à l’investissement correspondant aux contraintes réglementaires mises en place (qu’elles soient sanitaires, écologiques, ou liées au « bien-être » animal). Ainsi, ce qui ne peuvent investir ou contracter de nouveaux crédits pour répondre aux normes sont éliminés. Quelque soit la taille de l’exploitation et le type d’élevage, agriculteurs et éleveurs doivent répondre à des contraintes liées à une agriculture productiviste. Lors des récentes crises sanitaires, 59. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.232 60. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, p.47 61. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p. 25 43


il en a été de même : une grande partie des animaux, même ceux non touchés, ont été éliminés pour éviter la propagation éventuelle de l’épidémie. Le scandale sanitaire induit a trouvé, pour réponse, la mise en place de nouvelles normes toujours plus drastiques. Pourquoi ne pas avoir reconsidérer la source même du problème ? On sait pourtant que, dans le cas de la grippe aviaire (années 2000) par exemple, c’est la concentration trop importante des animaux qui développe les épidémies. Mais remettre en cause ce type d’élevage, c’est remettre en cause le modèle productiviste, et donc revenir sur le modèle dominant mis en place par l’État et par les industries agro-alimentaires. Yannick Ogor (2017) caractérise ce fonctionnement de « gestion par les risques et par les crises » c’est-à-dire qu’on normalise et encadre la profession en réponse aux événements liés aux crises, épidémies et risques induits. Ceci impacte sur la dépossession toujours plus importante de l’agriculteur ou l’éleveur du bon sens de sa pratique. L’exemple de l’abattage illustre le même processus : l’éleveur a perdu sa liberté de tuer lui-même ses bêtes sur place, même lorsque la taille de son exploitation est petite. Les normes ainsi créées induisent que tous finissent par faire de l’agriculture ou de l’élevage industriels ou bien ils finissent découragés et s’ils sont seuls se retrouvent dans des impasses inextricables62. Le nombre de suicides d’agriculteur recensés l’atteste. L’acte désespéré de Jérôme Laronze, éleveur bovin de 37 ans, tué par deux gendarmes à Sailly, en Saône-et-Loire, le samedi 20 mai 2017 en est une autre illustration. « L’agriculteur était recherché par les forces de l’ordre depuis le 11 mai. Ce jour-là, un contrôle vétérinaire avait eu lieu sur son exploitation et Jérôme Laronze avait foncé avec son tracteur sur les gendarmes qui accompagnaient les inspecteurs des services sanitaires.63 » Le voisin de celui-ci lui aussi agriculteur témoigne au journaliste : «Je le connaissais depuis tout jeune. C’était un garçon très intelligent, un fort tempérament qui avait du mal à se faire aux règlements. Et au fond, il n’avait pas tout à fait tort. On est submergé par l’administration contre qui il avait une dent. Mais on n’a pas le choix. Ce sont les contraintes de la PAC (Politique agricole commune). Et c’est la DSV (Direction des services vétérinaires) qui doit faire tous ces contrôles. Parfois abusifs64».

« (…) entre des agriculteurs administrés et des habitants des cités périphériques en

situation de dépendance vis-à-vis de l’aide sociale, on trouve la « patte » de l’administration. On trouve la volonté aveugle d’avoir voulu faire correspondre une population à une logique bureaucratique. Logique qui s’est révélée être systématiquement créatrice de conditions d’existence intenables. Puis, de mesures inadaptées en solutions inefficaces – et méprisantes -, on fabrique des situations humainement invivables mais qui restent sous contrôle...65 »

Les effets liés à l’intensification de la production agricole sont connus : pollution des eaux

62. Voir à ce sujet le documentaire de GINTZBURGER Anne, Les champs de la colère, 2018 63. https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/saone-et-loire/saone-loire-agriculteurtue-gendarmes-ete-touche-trois-balles-1259103.html 64. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/05/22/01016-20170522ARTFIG00036-agriculteur-abattuen-saone-et-loire-deux-gendarmes-en-garde-a-vue.php 65. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.233 44


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et des sols, érosion, diminution de la biodiversité, etc. En 1982, la ‘diversité des modèles’ avait été reconnue et légitimée lors des États-Généraux du développement Agricole (EGDA), organisés à l’initiative du ministère de l’agriculture (Cordelier, 2008). Des démarches explorant de nouvelles voies contre le « tout intensif » ou prônant la prise en compte du milieu ambiant avaient trouvé des appuis. Pourtant, « en 2009, les agriculteurs bretons reçoivent encore 605 millions d’euros d’aides dont la destination principale est l’agriculture intensive et ceux en dépit des réformes successives de la PAC (Politique Agricole Commune)66 ». Le mécanisme de dépendance économique et l’impact sur le désespoir croissant des agriculteurs est lui aussi bien connu du monde agricole pourtant, dans le documentaire Le champ des possibles (Barrier, 2017), un agriculteur témoigne : « A l’école, on nous apprend à faire de gros emprunts, à acheter des gros tracteurs à construire des serres qui coûtent chères mais qui seront subventionnées.67 » Toutes les décisions de l’agriculteur sont aujourd’hui orientées pour favoriser le profit des industries tout en donnant l’illusion à la société que ce qui est fait est bon pour le peuple. L’engouement pour le bio illustre le même mécanisme. Combien se « convertissent » pour être mieux rémunérés plutôt que par engagement vrai ? Le contexte de l’agriculture est si difficile que toutes décisions sont prises selon ce qui permettra un instant peut-être de sortir la tête de l’eau. Alors que le taux de conversion a progressé de 12% en un an (32 000 exploitations fin 2016), Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture sous la présidence de François Hollande, a profité de l’occasion pour dorer le blason de la politique socialiste en lançant un plan « Ambition bio 2017 » pour « donner une nouvelle impulsion au développement et à la structuration de la filière. » Communication politique ou engagement écologique ? Les promesses précédentes mises en place par la PAC n’ont toujours pas été tenues : « 80% des fermes bio n’ont pas reçu toutes les aides à la conversion et au maintien qui leurs sont dues68». Mais aujourd’hui, ces primes, « directement versées aux producteurs en fonction de leur production » affine la capacité pour l’administration de cogestion des exploitations en connaissant les cas individuels de chacune d’entre elles (Ogor, 2017). Suite au « verdissement de la PAC » sus-cité, les aides sont attribuées aux exploitations justifiant de critères « environnementaux et sanitaires » qui impliquent une surenchère dans la normalisation de l’agriculture (label, mesure agro-environnementale, cahier des charges bio, contrôle de la qualité du lait, génotype des mâles reproducteurs, traçabilité, étiquetage, etc.). L’agriculteur finit par être à son tour un simple « gestionnaire » d’espaces, d’animaux, de paysages qui garantit « l’équilibre des écosystèmes » et qui justifie des « dispositifs de gestion de pâturage » (Ogor, 2017). Les investissements conséquents sont un bénéfice pour les banques et les fabricants de matériels qui induisent l’endettement toujours plus conséquent de l’agriculteur. 66. DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 67. Témoignage d’un viticulteur dans le reportage Le Champ des possibles, de Marie-France Barrier (2017, 70min). Diffusé le mercredi 20 décembre à 20h55 sur France 5 68. Citations et données du paragraphe issues de l’article issu du journal Le Monde, 22 mars 2017, Agriculteurs convertis au bio : « Je sais que je n’empoisonne personne, c’est très bien pour ma conscience. », LAMOTHE Jérémie 46


Les dernières grandes crises, porcines, céréalières ou laitières illustrent la « guerre économique » que provoque le marché mondial basé sur le profit. Le foncier n’y échappe pas. Ceci n’épargne pas les agriculteurs qui souhaitent s’installer, prenant la suite de ceux qui ont subi une sélection drastique suite aux faillites. Le mode de fonctionnement sectoriel de l’agriculture inhibant tout le bon sens de la pratique, va t-il définitivement impacté sur la pérennité d’une agriculture qui ne peut se passer de l’autre ?

« L’administration nous avait envoyés pour négocier le prix d’achat, car c’était à leur

yeux, la seule variable d’ajustement [pour faire baisser les frais induits par la mise en conformité]. (…) Leur colère ne se tourna pas contre nous, ils étaient trop intelligents pour cela. Ils connaissaient la violence d’une bureaucratie qu’ils avaient eux-mêmes vu grandir parallèlement à leur carrière. Ils virent que ce dernier beau geste bureaucratique avant qu’ils ne quittent à jamais le monde agricole, celui d’empêcher la transmission de leur ferme, était à l’image de tout ce qu’ils avaient vécu ces quarante dernières années à son contact : une insulte à leur intelligence, du mépris pour leur travail. Et ils finirent par vendre à un Anglais éleveur de chevaux, avant d’aller rejoindre un pavillon fraîchement sorti de terre dans un lotissement de Saint-Yrieix-la-Perche, à deux encablures de leur ancienne ferme. Sans transmettre.69 »

69. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.43 47


Alexa Brunet, sĂŠrie Dystopia, 2015

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3. LA TRANSMISSION – REPRISE DES FERMES AU CENTRE DES ENJEUX CONTEMPORAINS

« Les zones de faible densité se classent le plus souvent parmi les espaces ruraux fragiles car les systèmes agricoles ou les entreprises individuelles y sont majoritairement en phase régressive, confinant parfois à la léthargie.70 » On a tendance à considérer les campagnes comme des constructions immuables, présentes depuis toujours. Pourtant leur modification ne cesse de s’accroître et aujourd’hui les paysages agraires ont tendance à disparaître au profit de l’enfrichement, de l’imperméabilisation du sol ou de l’urbanisation. Pour conserver le « réservoir » des villes, l’État et l’Europe mettent en place des mesures qui permettent de protéger les espaces naturels (PENAP, Zone Natura 2000) mais peu vont jusqu’à préserver l’agriculture. Comment cet « oubli » est-il envisageable ? La terre est un bien commun dont l’équivalent d’un département français disparaît tous les dix ans sous le bitume. Quel impact cela a t-il sur l’agriculture ?

a. La problématique foncière

« Sur l’ensemble de la France, dans les années 2000, environ 80 000 hectares de

terres agricoles étaient consommés par an. A partir de 2008, ce chiffre est descendu à 50 000 hectares (...) mais aujourd’hui, on est reparti de plus belle dans la bétonnisation71 ».

En France et notamment en région Rhône-Alpes, la problématique de la « consommation foncière », c’est-à-dire la consommation surfacique de terres, a une place de plus en plus importante. La démographie croit, et certaines zones, autour de pôles influents (Genève, Lyon, Grenoble) voient leur espaces naturels, agricoles et forestiers, diminuer allant parfois jusqu’à une consommation de 3% (contre 1,1% en France)72. L’étalement urbain c’est à dire autant la construction de logements que de « zones d’activités économiques » ne cesse de se poursuivre. Dans ces territoires en voie progressive de « dépaysannisation », l’attrait engendré par la proximité de grandes agglomérations induit une forte spéculation foncière, qu’elle soit sur les terres comme sur le bâti. Cela engendre deux phénomènes : certains agriculteurs attendent que les prix augmentent pour vendre leurs terrains tandis que d’autres privilégient la vente de leurs corps de ferme à des personnes travaillant en ville. Cela impacte sur la transmissibilité des outils de production de denrées vivrières. Sans bâtiments pour travailler, l’agriculteur ne peut faire correctement son métier. C’est un phénomène d’autant plus complexe pour les éleveurs qui doivent vivre à proximité immédiate de leurs animaux. Dans certaines zones sous influence urbaine forte, cela est très problématique car même en location, 70. BETEILLLE Roger, Que sais-je ? La crise rurale, Presses Universitaires de France, 1994, p.20 71. LERAS Gérard, SAUZION Coline, « Retour sur l’expérience de la mise en place d’une stratégie foncière en Rhône-Alpes (2010-2015) », entretien avec LERAS Gérard, conseiller spécial à la politique foncière de la région de 2010 à 1015 et administrateur chez AGTER (association pour contribuer à l’amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles), 16 oct. 2017 72. Ibid. 49


l’agriculteur ne peut se loger tant les prix sont élevés en comparaison de sa rémunération. Dans les Monts du Lyonnais, territoire à l’ouest de Lyon, que j’ai étudié lors de mon stage de recherche au laboratoire EVS-Laure, les enjeux sont conséquents. La proximité des grandes villes (Lyon, Saint-Étienne, Villefranche, Roanne) font des Monts du Lyonnais un territoire très attrayant pour la population citadine (+ 15% de résidences principales en 10 ans). La maîtrise de la croissance démographique du territoire doit être faite tout en confortant la qualité de vie des habitants. Cet engouement a un impact sur le quotidien : pression foncière, augmentation des déplacements, conflits d’usage, etc. Entre 2000 et 2010, le prix des maisons anciennes a doublé, créant une vraie problématique pour la population paupérisée ou celle, agricole, qui cherche à s’installer. « Les domaines qui font l’évaluation des biens, font des moyennes de prix au regard des moyennes des ventes faites sur un secteur dans les 5 dernières années. Si on laissait les prix s’envoler à des 30-40 fois le prix, a un moment on aurait des terrains agricoles qui seraient plus du tout cohérents avec les réalités des métiers d’exploitants.73 »

Cette urbanisation exponentielle va parfois jusqu’à impacter sur l’exploitation elle-même. On sait par exemple, que la construction du « Groupama stadium » de l’OL, en plus d’avoir consommer une importante surface de foncier (50 hectares de stade mais aussi 110 hectares de parcs de stationnement (60 000 places), bureaux et prolongement du tramway et autres dessertes74) a impacté sur des fermes dont certains agriculteurs ont été expropriés alors que le foncier s’y vend aujourd’hui à prix d’or. Dans d’autres projets, des exploitations ont été « coupé en deux » ne permettant plus à l’agriculteur de travailler avec un outil complet. Ces constructions de « grands projets urbains » induisent aujourd’hui une mobilisation plus large que celle de l’agriculture. Après plusieurs années de consommation effrénée de foncier, agriculteurs et citoyens s’unissent pour défendre la pérennité de l’agriculture. Elles se matérialisent notamment à travers les ZAD (Zone à Défendre) dont celle de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens en sont l’illustration. Aujourd’hui, leur nombre croit. On dénombre en France une quizaine de zones à défendre que ce soit pour des projets d’infrastructures, de divertissement ou d’enfouissement de déchets radioactifs. Dans les Monts du Lyonnais, nous avons rencontré des agriculteurs et des élus engagés contre la construction de l’A45, autoroute devant relier Lyon à Saint-Étienne. La « coordination des opposants à l’A45 » regroupe plusieurs milliers de personnes. Certains paysans des Monts du Lyonnais, même s’ils ne sont pas directement impactés s’engagent pour lutter contre ce projet : «Deux autoroutes côte à côte [le tracé est parallèle à celui existant de l’A47], une gratuite, une payante, 500 hectares de terres agricoles qui s’en vont, 375 paysans impactés de près ou de loin, dans un secteur où l’agriculture est déjà en voie de disparition..75» Pourquoi une telle mobilisation ? La construction de ce projet engendrerait la construction du contournement de l’ouest lyonnais, impactant sur plusieurs autres centaines d’hectares, sans compter les zones d’activités qui risquent de s’y construire. Le 73. DUSSERT Julie, directrice du SMMO, entretien effectué le 26 juin 2017 à Limonest 74. https://reporterre.net/A-Lyon-trucage-du-budget-public-et 75. BARANGE Jérome, éleveur de vaches laitières à Duerne, entretien effectué le 26 juin 2017 à Duerne 50


problème engendré est aussi celui du prix du m². Vinci Autoroutes, entreprise concessionnaire pour la construction, achète un euro le prix du m² alors qu’il vaut entre trente et quarante centimes quand la vente se fait pour de l’agricole. Ces gros projets d’infrastructures, en plus d’impacter sur le territoire et ses dynamismes, font s’envoler les prix et déstabilisent le marché foncier qui devient inaccessible pour les paysans dont les revenues sont rythmés par les crises continuelles. Récemment, une autre problématique a émergé : celle de l’achat de terres par des sociétés basées dans des pays étrangers. Pourtant, ceci est interdit en France et les outils mis en place depuis plusieurs dizaines d’années pour préserver le foncier agricole semblait être infaillibles. Pourtant, en 2015 « 1700 hectares de terres céréalières76 » soit le regroupement de quatre grosses exploitations agricoles ont été acheté par une société chinoise. Le faille s’est trouvée lors de la transaction : les investisseurs n’ont pas acheté l’intégralité des parts sociales de la société agricole française qui les possédait. Après la mise en place d’une loi contre l’accaparement des terres agricole, voté suite au scandale, c’est à nouveau 900 hectares de terres céréalières qui ont été acheté en novembre 2017 dans l’Allier par cette même société77. « Profitant d’une faille juridique, elle a contourné les instances chargées du contrôle du foncier agricole et contribue au développement d’une agriculture sans paysan.78 » Si la question de la souveraineté alimentaire prévaut, c’est encore une fois le prix d’achat qui alarme. Le prix à l’hectare a été payé trois fois plus cher que le prix habituel dans la région. Ceci inquiète donc quant à la capacité d’installation des jeunes agriculteurs qui ne pourront se surendetter avant même de pouvoir commencer à travailler. C’est la SAFER, société d’aménagement foncier et de l’espace rural, qui a été créé avec les lois de 1960 et 1962 (précédemment citées). C’est une société anonyme privée avec mission de service public agissant à une échelle régionale79. Un domaine géographique est défini par un décret (auparavant renouvelé tous les 5ans) qui depuis la loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation et la forêt de 2014 est définitif. Un comité technique composé de commissaires du gouvernement (ministères de l’agriculture et des finances) décide de l’attribution des terres. Elle est composée d’un conseil d’administration qui regroupe trois collèges : syndicat agricole ; collectivité locale et SAFER ; représentants d’État, chasseurs et associations pour l’environnement. En temps que «gardienne» de l’espace rural, son champ d’action est large. Elle est censée permettre l’installation et/ou le maintien d’exploitations, améliorer le parcellaire via l’échange de terre, veiller à la diversité des paysages, protéger les espaces naturels pour le maintien de la biodiversité, veiller au marché foncier rural et rapprocher des propriétaires et locataires potentiels. Elle a donc une mission publique pour surveiller les ventes de foncier agricole. Pour cela, elle possède, entre autre, un droit de préemption qui lui permet de bloquer une vente si le prix est trop important. Dans le cas de cet 76. https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/indre-les-mysterieux-achats-deterres-agricoles-par-la-chine_1437292.html 77. https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr 78. https://reporterre.net/Des-Chinois-achetent-en-France-des-centaines-d-hectares-de-terres-agricoles 79. Informations collectées lors d’une journée de formation sur les acteurs du foncier agricole organisée le 7 octobre 2017 à Lyon pour les bénévoles de l’association Terre de Liens et animée par une juriste spécialisée dans le code rural 51


Montage photographique, Le remembrement, 2017

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achat, la SAFER n’a pas été prévenue de la cession80 car toutes les parts de la société n’ont pas été vendues. Mais, il semblerait que « des agents apportent leur expertise juridique aux exploitants agricoles qui veulent devenir plus gros que leur voisin, qu’ils soient français ou étrangers81 » a expliqué Régis Lemitre, président de la SAFER du Centre, à un journal. Depuis 2017, cette société privée ne reçoit plus de subvention de l’état. Elle est donc obligée de trouver de l’argent dans des pratiques divergentes (rémunération pour réponses rapides lors de transaction, entre autre) et qui ne sont pas toujours au profit du maintien ou même de l’installation d’exploitations.

b. Répondre aux enjeux d’une mutation de société : « aider » l’installation ?

« La recherche de foncier agricole entre en concurrence avec des acteurs plus

richement dotés d’un point de vue financier (prétendants à une résidence secondaire, population urbaine à la recherche d’une résidence principale à la campagne) et symbolique (agriculteurs bien implantés dans les réseaux syndicaux et politiques issus de la cogestion instituée par l’agriculture conventionnelle).82 »

Un deuxième phénomène est également notable, c’est celui de la disparition toujours importante des exploitations agricoles. Ainsi, « préserver le foncier agricole ne suffit pas pour garantir l’activité agricole83 ». Densifier dans les centralités ou limiter les constructions neuves est pourtant un premier moyen qui peut être efficace car les acteurs du foncier agricole ne se limitent pas aux agriculteurs ou aux grands spéculateurs. En plus de ces derniers, on trouve aussi les collectivités locales. A travers leurs documents d’urbanisme, elles ont une marge de manœuvre non négligeable sur les orientations et décisions urbanistiques. Par exemple, l’adaptation des SCOT (schéma de cohérence territoriale), dans certaines communes, a permis de freiner la consommation foncière. En effet, cet outil urbanistique, permet de donner des indications générales mais importantes pour un ensemble de communes regroupées autour du SCOT. Sur l’intercommunalité des Monts du Lyonnais, le SCOT oblige les communes à limiter au maximum les constructions et l’étalement urbain. Les PLU (plans locaux d’urbanisme) ont aussi leur importance car ils permettent d’agir spécifiquement sur chaque parcelle. Si cela ne vient pas d’un élan politique, car l’élaboration des documents d’urbanisme est techniquement complexe, il faut donc que les agriculteurs ou les citoyens alarmés soient présents lors de l’élaboration de ces documents pour faire valoir l’importance de l’agriculture sur les territoires. C’est aujourd’hui plus simple suite à la loi ALUR 80. http://www.lefigaro.fr/societes/2016/04/13/20005-20160413ARTFIG00138-des-terres-agricoles-rachetees-par-un-mysterieux-groupe-chinois-dans-le-berry.php 81. https://reporterre.net/Des-Chinois-achetent-en-France-des-centaines-d-hectares-de-terres-agricoles 82. DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 83. LERAS Gérard, SAUZION Coline, «Retour sur l’expérience de la mise en place d’une stratégie foncière en Rhône-Alpes (2010-2015)», entretien avec LERAS Gérard, conseiller spécial à la politique foncière de la région de 2010 à 1015 et administrateur chez AGTER (association pour contribuer à l’amélioration de la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles), 16 oct. 2017 53


de 2014 qui a permis la mise en place des PLUI (plans locaux d’urbanisme intercommunaux) et qui peuvent « faciliter la mobilisation des citoyens durant les phases d’élaboration» (Leras, 2017) du document. Ceci permettent d’avoir une meilleure vue d’ensemble sur des décisions entre plusieurs communes ce qui est important pour les agriculteurs ayant des terres sur plusieurs communes. Mais ceci ne résout pas toutes les problématiques. Nous l’avons déjà développé, l’association fonctionnelle exploitation agricole-logements de la famille était le fondement de la société paysanne ; la famille, la cellule sociale fondamentale, suivie par le village. Mais suite à la modernisation, ce n’est plus la famille mais le couple qui gère l’exploitation puis petit à petit, la femme finit par aller travailler en ville. Ainsi, c’est bien souvent l’homme seul qui assure la tenue de la ferme. Face à cette solitude imposée, les agriculteurs en place, et ce depuis plusieurs générations, ne favorisent pas l’installation de leurs enfants. Le métier est trop dur physiquement (en élevage notamment), trop contraignant du point de vue normatif et coûteux en infrastructures. Aujourd’hui, c’est donc bien souvent la vente de l’exploitation qui est en le point d’orgue d’une vie de labeur au profit de l’agrandissement des voisins, friands en terres pour toucher plus de primes. La PAC (politique agricole commune) ne va donc ni dans le sens de la qualité de l’eau, de l’air, des aliments, ni dans la possibilité de transmettre ou de s’installer. « Sur l’ensemble de Rhône-Alpes, en 2010, on observe un rythme de disparition des exploitations de 2,5% par an.84 » Il s’ensuit soit l’abandon des bâtiments d’exploitation, la maison étant parfois encore habitée par les membres retraités, soit la vente à une famille qui ne travaille pas la terre. Cela pose donc la question de la possibilité d’installation de nouvelles générations. La « concentration des terres », l’agrandissement des exploitations mais aussi les mises aux normes répétées sont un risque pour la pérennité de l’agriculture. Les lois d’orientation de 1960 et 1962 précédemment évoquées avaient également induit la mise en place d’un autre outil administratif contrôlant la réforme des structures, c’est-à-dire l’agrandissement d’exploitations et l’installation d’agriculteurs. C’était auparavant appelé le contrôle des cumuls. La commission de contrôle des structures octroient ou non l’autorisation pour exploiter des terres. On peut faire la demande sans avoir jouissance des terres. Ainsi, c’est le préfet (souvent décisionnaire) qui favorise soit l’agrandissement, soit l’installation. Si un propriétaire veut vendre et qu’un fermier est déjà en place depuis au moins 3ans, ce dernier est prioritaire devant la SAFER mais cela est possible sans prendre en compte la question de la « mise en conformité » (Noulhianne, 2016) de l’exploitation rendue obligatoire par le parcours de l’installation aidée. Même pour les exploitants favorisant la transmissibilité de leur bien en vendant à un prix faible pour aider l’installation, le coût de « mise en conformité » de celle-ci peut annuler le projet de reprise. En effet, la viabilité du projet peut être mis en cause par les coûts de mise aux normes (surtout en élevage et dans le cas de transformation de production, c’est-à-dire là où le paysan est le moins dépendant) qui passe bien souvent par l’emprunt car il oblige à investir en plus de l’achat de l’exploitation. Ceci impacte donc 84 54

Ibid.


sur l’activité de la ferme qui doit permettre le remboursement du prêt. « Du nombre d’animaux (…) découle ensuite la surface de terres nécessaire, ainsi que la taille et la quantité de matériel agricole indispensable pour abattre le travail.85 » Ainsi, le nouvel installé est certes aidé mais il est poussé à contracter plus de prêts pour rembourser l’initial, l’obligeant donc à s’installer en pratiquant un type d’agriculture à grande échelle même si cela ne correspond pas nécessairement au besoin local. Durant mon stage au laboratoire EVS-Laure, nous avons rencontré des personnes tachant de trouver des réponses à ces problématiques d’installation. En plus d’agriculteurs engagés pour favoriser l’installation nous avons aussi réalisé un entretien avec la directrice du Syndicat Mixte des Monts d’Or (SMMO). L’objectif premier de cette structure, qui regroupe 13 communes, est la gestion des espaces naturels et agricoles. Ce territoire, « aux portes de Lyon » connaît des problématiques persistantes depuis 20ans (étalement urbain, forte pression foncière, etc.) A sa création, il y a dix ans, les agriculteurs vieillissants n’avaient pas forcément de repreneurs. Au moment où ils cessaient leur activité, ils ne transmettaient pas leur outil de production (terrain, maisons et bâtiment agricole). Ils étaient dans un secteur très prisé et les élus transformaient les zones agricoles en zones constructibles sur le PLU car ils pensaient « De la friche, nous on veut pas en voir, donc plutôt qu’il y ait de la friche on va passer les terrains en constructibles.». Donc avant la mise en place de cette politique, l’agriculture avait presque complètement disparu des Monts d’Or. Sans transmissibilité de père en fils, comme cela était usuel à une époque, c’est l’installation de nouveaux agriculteurs qui a été privilégiée. En effet, la majorité des installations dans les zones péri-urbaines aujourd’hui sont des personnes en reconversion professionnelle complète qui veulent revenir à des métiers avec des « valeurs ». Ces personnes, étant non issues du milieu agricole, ont de grande difficulté pour parvenir à s’installer, la reprise d’une exploitation étant soit très coûteuse soit impossible faute de proposition. Le SMMO a donc mis en place une politique foncière avec la SAFER qui a des outils pour pouvoir « capter » du foncier. En zone urbaine, c’est la commune qui a la primauté sur la SAFER si un propriétaire veut vendre mais la SAFER peut faire du portage de foncier sur une courte durée (5ans voire 15ans maximum) ce qui peut être intéressant. Il s’agit de baux précaires qui doivent aboutir à une revente mais qui peuvent éviter l’agrandissement d’exploitations en préservant pour un temps court un outil de travail complet (terres et bâtiments). Dans ce partenariat là, le SMMO et la SAFER assurent une veille foncière systématique quand des terrains naturels ou agricoles sont vendus dans les Monts d’Or. Ils préemptent ainsi lorsque les ventes sont hors de prix du marché ou que les terrains sont intéressants pour la collectivité. Aujourd’hui la collectivité est propriétaire de 60 hectares de terrains en zone agricole ou naturelle dont 44 hectares (non bâtis) sont mis à bail à une quinzaine d’exploitants du massif. L’importance de la transmissibilité de l’outil a été privilégiée par l’achat ou la construction en parallèle de logements et bâtiments agricoles dont la structure est propriétaire. Les agriculteurs installés n’ont pas eu à s’endetter et ont donc pu rapidement tirer des revenus 85. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.44 55


décents de leur activité.

« On investit pour un projet d’intérêt général, parce qu’aujourd’hui, la collectivité

reconnaît l’agriculture comme étant une activité qui est garante de la qualité de ce territoire. L’activité est transmissible parce que c’est la collectivité qui maîtrise l’outil. Et comme on est dans une logique de maintenir l’activité agricole, eh bien c’est un outil qui sera toujours proposé à la location agricole et pour garantir la pérennité de la vocation agricole des bâtiments agricoles qu’on construit, on travaille avec la SAFER et on intègre des cahiers des charges : on s’engage dans le cadre d’un acte enregistré chez le notaire, rédigé par les juristes de la SAFER qui ont pour vocation de maintenir la vocation agricole des terrains et bâtiments, à ce que ces bâtiments et terrains qu’on achète conservent à minima une vocation agricole pendant au moins 50ans. On a fait ça parce qu’on utilise de l’argent public donc on se doit de garantir ce qu’on fait avec les deniers publics et parce qu’on n’est pas à l’abri des remaniements des politiques publiques et de la disparition du syndicat des Monts d’Or.86 »

Mais aujourd’hui, l’action de cette collectivité « exemplaire » s’essouffle. Elle a beaucoup investi ces dix dernières années n’ayant reçue des aides de l’État qu’à partir de 2011 (les achats ayant commencés en 2007). Le budget de la structure ne s’alimente qu’avec la participation des collectivités membres. Elle ne prélève pas l’impôt. Elle est donc tributaire de ce que vote ses membres et aujourd’hui elle a atteint sa capacité d’auto-financement. Elle doit donc trouver d’autres moyens d’investissement car les participations de l’État chutent. Ainsi, c’est aujourd’hui, quand cette politique montre qu’elle a du sens, qu’elle a le plus besoin d’argent. La question de l’intelligence collective a alors ici toute sa place : des financements participatifs sur des projets portés par les potentiels agriculteurs ont-ils leur place ici ou s’agit-il avant tout du rôle de l’État qui doit renouveler ses politiques agricoles pour favoriser l’installation en agriculture ? L’administration française définit ces novices de « hors cadre familial », mention négative, de personnes considérées comme en dehors de la norme. Aussi, chacune des institutions chapeautant l’agriculture française impose aux jeunes installés des dossiers et déclarations à remplir, ainsi que de nombreuses informations à fournir à leur dossier d’installation (Noulhianne, 2016). Demander à bénéficier de « l’installation aidée » pour les jeunes agriculteurs complexifie davantage encore le processus d’installation car nécessite l’instruction d’un dossier par la CDOA (Comission départementale d’organisation agricole). Elle regroupe organisations professionnelles, banques et autres acteurs pour « gérer certaines orientations de la politique agricole du département87 » et ainsi valide ou invalide le dossier d’installation complexifiant davantage la possibilité de s’installer. Aussi, la mentalité agricole a ses particularités et la nécessité de «faire ses preuves» en est une essentielle ce qui n’est pas toujours facile pour un nouvel installé qui reste pendant 86. DUSSERT Julie, directrice du SMMO, entretien effectué le 26 juin 2017 à Limonest 87. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.36 56


plusieurs années sous l’œil médusé des agriculteurs en place. La course aux primes, comme nous l’avons déjà évoquée, n’aide pas cette situation car elle est calculée selon la taille de l’exploitation (plus on a d’hectares, plus on touche de prime). Ainsi, favoriser l’installation de nouveaux sur les fermes, c’est s’empêcher de s’agrandir et donc de bénéficier de plus de prime. Certains décident toutefois de récupérer du foncier pour permettre l’installation de jeunes en fermage. Dans les Monts du Lyonnais, nous avons rencontré plusieurs paysans engagés qui ont pris le parti de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs en leur laissant quelques hectares. Cela permet d’éviter l’endettement à l’achat (les terrains sont loués) et d’éviter la spéculation sur la terre. L’association Terre de Liens, dont nous développerons des cas spécifiques en troisième partie, s’est construite autour de cette idée de terre comme «bien commun». Elle est née de la difficulté de porteurs de projet à s’installer et à rassembler de l’épargne citoyenne pour aider à la transmission de fermes.

Le positionnement sur l’agriculture et la considération qui lui est aujourd’hui apportée illustrent-ils un basculement d’une préoccupation politique vers une préoccupation citoyenne de la mort des paysans comme un risque pour la préservation de l’agriculture ? Si auparavant on pouvait s’assurer d’une préservation de l’agriculture liée au grand électorat que formait la société paysanne, on peine aujourd’hui à croire que sa place dans les décisions politiques va perdurer : quel avenir alors pour la population agricole et l’agriculture ?

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Photographie personnelle, Plan d’Hotonnes, mai 2017

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PARTIE III INITIATIVES ALTERNATIVES ET COLLECTIVES AVEC L’AGRICULTURE PAYSANNE « Les exploitations entrepreneuriales considérées comme les plus «compétitives» ont le plus de mal à faire face aux conditions inhérentes à la mondialisation et à la libéralisation, du fait de la rigidité de leur structure de coûts et des limites à l’artificialisation des modes de production. En période de crise de prix, l’agriculture entrepreneuriale entrerait dans des phases de désactivation, faute de retours sur investissement des capitaux engagés, là où l’agriculture paysanne trouve sa résilience dans sa logique propre.88»

Après tout ces constats alarmants, reste-t-il encore du sens dans la pratique de ce métier dont beaucoup rêvent pourtant ? A en croire les témoignages d’agriculteurs dans les documentaires Qu’est ce qu’on attend ? De Marie-Monique Robin ou encore Le champ des possibles de MarieFrance Barrier, ce n’est pas la pratique « conventionnelle » de l’agriculture qui permet de garder un lien tangible avec son métier. Beaucoup expriment un manque de savoir-faire, le sentiment d’avoir pris une voie sans issue. La « paysannerie » pourrait-elle donc connaître une nouvelle définition ? Comme l’explique François Plassard en introduction de son ouvrage La vie rurale, enjeu écologique et de société écrit en 2003, la modernisation de l’agriculture et son industrialisation sousjacente n’a pas eu que des effet bénéfiques sur les territoires ruraux. Si elle a mené à la désertification des campagnes et l’agrandissement des exploitations (« deux fois moins d’agriculteurs et une production agricole multipliée par trois89 »), elle a aussi eu un impact considérable sur la qualité des sols, de l’eau et de la vie animale et végétale. Les dégradations encourues mènent aujourd’hui à une prise de conscience à grande échelle de la part des agriculteurs et des consommateurs. L’impasse du consumérisme comme modèle dominant n’a apporté que des désillusions. La pratique d’une agriculture paysanne, qui s’affranchit des modèles de production et de consommation de produits standards (Mundler, 2009) est-elle une réponse potentielle? L’agriculture industrielle, gourmande en rentabilité et en marge n’a vue, pendant plusieurs décennie, que le profit personnel à l’instar d’un respect pour les éléments permettant la production (la terre, l’animal, le végétal). L’agriculture paysanne n’est pas la « société paysanne », autarcique, qui craint le changement. Il semblerait au contraire qu’elle s’étende à un réseau large où les acteurs agissent collectivement pour répondre aux mutations nécessaires de l’agriculture. Oublié puis décrié, l’importance du modèle « d’agriculture paysanne » repparait aujourd’hui car il permettrait une plus grande autonomie face au modèle économique. Cet engouement ne viendrait-il pas 88. COURLEUX Frédéric, « note de lecture du livre de VAN DER PLOEG Jan Douwe, Les paysans du XXIè siècle : mouvement de repaysanisation dans l’Europe d’aujourd’hui », Economie rurale, 351, janv.fev. 2016 89. PLASSARD François, La vie rurale, enjeu écologique et de société, Ed. Yves Michel, 2003, p.22 61


Montage photographique, Engagement, 2017

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également d’une volonté de s’extirper d’une solitude imposée par le modèle productiviste ? Cette dernière partie, s’intéresse aux réponses apportées par l’agriculture paysanne. Elle se nourrit de l’engagement bénévole auprès de l’association Terre de Liens mais également de nombreux échanges effectuées lors d’entretiens ou de rencontres lors de mon stage effectué sur les Monts du Lyonnais. Elle constitue également un positionnement engagé face à la pratique d’un métier qui refuse le modèle économique dominant. L’organisation, l’entraide, la coopération et la mutualisation sont autant d’actions qui permettent, semble t-il, de construire collectivement cet engagement.

1. INTELLIGENCE COLLECTIVE : QUAND LES INDIVIDUS SE STRUCTURENT EN RESEAUX

Les paysans ont construit tout un réseau collectif d’organisations et d’associations qui leur

permet aujourd’hui de trouver plus facilement les gages d’une certaine autonomie face au modèle d’agriculture productiviste. Cette construction émane à l’origine d’aspirations et de choix individuels (Cordellier, 2008) mais qui aujourd’hui se structure pour la défense d’une « fédération paysanne ». Par l’impulsion de nombreux collectifs d’individus, des alternatives apparaissent aujourd’hui. Elles visent à défendre plus que l’agriculture, un modèle de société. Ces alternatives de plus en plus nombreuses se réinscrivent dans une échelle locale où ruraux et citadins sont intimement liés et où la solidarité devient vecteur d’émancipation (Ogor, 2017).

a. Le réseau de l’agriculture paysanne, une action locale et engagée

Le sentiment d’union promulgué par la JAC n’a pas été long. Il existe de vraies divisions au sein des agriculteurs (conservateurs, modernes, alternatifs). Des courants contestataires voient le jour dès la fin des années 60. En 1971, la contestation interne à la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) se structure et prend le nom de Paysans travailleurs90. Bernard Lambert « figure de proue » appelle à « renouveler le militantisme rural » et à se rattacher au prolétariat pour « abattre le système capitaliste » (Roullaud, 2017). Mais François Guillaume alors ministre de l’agriculture et ancien président de la FNSEA « refuse de recevoir les syndicats minoritaires et rétablit le mode de scrutin majoritaire dans la perspective des élections aux chambres d’agriculture de 1989. » La confédération paysanne naît alors en 1987 de l’unification de plusieurs syndicats : la Fédération nationale des syndicats paysans et la Confédération nationale des syndicats de paysans travailleurs. Les lois de 1990 et 1997 « officialisent la participation des différents syndicats à la gestion des 90. E. Roullaud, Contester l’Europe agricole, la Confédération Paysanne à l’épreuve de la PAC, 2017, Presses universitaires de Lyon, 227p. (et citations suivantes) 63


organismes agricoles et à l’élaboration de la loi d’orientation agricole. » Mais seuls, les territoires ruraux et les agriculteurs ne parviennent pas à sortir la tête de l’eau. Au printemps 90, les manifestations d’éleveurs sont déjà nombreuses. La crise touche tout le monde rural : même la CNJA et la FNSEA organisent des événements pour « préserver une campagne vivante » car « la crise de l’agriculture entraîne la crise du monde rural et menace les équilibres de notre société toute entière91». Au mois de septembre 1991 a lieu la manifestation « rendez-vous des terres de France ». Agriculteurs et élus parviennent à rassembler 300 000 personnes à Paris. C’est la première fois que la ruralité appelle la ville au secours « Paysans en détresse, Parisiens avec nous ! » Le monde rural se montre alors uni « préservons nos racines aux valeurs superficielles et instables92 ». Le fossé éloignant ville et campagne se réduit pour tenter de sauver les racines paysannes du pays. A la fin des années 90, ce sont les « actions d’éclat » portés par la Confédération paysanne (syndicat alors minoritaire) et son représentant charismatique José Bové qui impactent sur la stigmatisation d’une partie des paysans (démontage d’un Mac Donald’s à Millau en 1999 ou fauchage volontaire de champs d’OGM). Pourtant, dans le Larzac, la victoire contre l’extension d’un camp militaire qui menaçait plusieurs paysans (sur une douzaine de communes) avait réussi à fédérer. Des actions non violentes et événements festifs avaient été organisés durant une décennie (1971-1981) et à partir de 1973, de 60 000 à 100 000 personnes de différents courants (avec entrre autre de jeunes protestataires des villes) avaient convergé vers le Larzac pour soutenir les paysans. « Le Larzac restera notre terre ». Le réseau national résultant de la convergence des luttes sera le terreau du mouvement altermondialiste français. Ces actions vont au delà d’une simple idéalisation mais cherche à défendre une nouvelle lutte sociale et politique pour la valorisation d’une production non concurrentielle. La fédération autour du mouvement de l’agriculture paysanne est issue de ces luttes de la fin du XXème siècle, la Confédération Paysanne ayant induit l’émergence de nombreuses associations agissant dans le milieu rural sous des domaines très divers. Elles ne se limitent plus aujourd’hui à défendre les paysans rattachés au syndicat mais cherchent à construire le renouvellement d’une population d’agriculteurs qui souhaitent se rapprocher d’une agriculture locale et respectueuse de l’environnement « Les associations ont souvent joué un rôle pionnier et défricheur dans la détection de nouveaux besoins sociaux en émergence et dans l’invention de modes de réponse à ces besoins (...)93. » Ce réseau bien qu’inégalement développé en France illustre sa capacité d’action pour l’agriculture notamment dans la région lyonnaise, où s’est porté notre travail de recherche. Malgré une « rupture massive de financements publics » générale, vérifiée l’année passée en région Rhône-Alpes, le réseau d’associations favorisant l’agriculture paysanne et plus largement le dynamisme rural continue à se battre mais marque « déchirures » et « fractures » entre État et 91. Documentaire Le dimanche des Terres de France, un élan fondateur, par Sol et Civilisation 92. Ibid. 93. CORDELLIER Serge, MENGIN Jacqueline, « Les associations agricoles et rurales, l’Etat et les politiques publiques », Pour, n°201, fev. 2009, pp. 51-68 64


Photographie personnelle, Saint-Franc, juin 2017

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associations qui avaient pourtant travailler ensemble à la « modernisation » et à la « promotion » du milieu rural. « Celles-ci tendent à n’être plus soutenues qu’isolément et à être mises en concurrence entre elles (mais aussi souvent avec des opérateurs privés à but lucratif) par les procédures d’appel d’offres.94 » Pourtant, tout le monde est important sur ces territoires souvent délaissés. « Pour faire face à cette nouvelle situation, il va falloir jouer la complémentarité et non plus la superposition de strates d’actions95 ». Ainsi, tous sont amenés à travailler de pairs dans le but commun de la survie des activités en milieu rural. « Ce n’est que dans l’union que nous arriverons à maintenir nos espaces ruraux vivants96 ». Mais qu’est-ce exactement que « l’agriculture paysanne » ? « L’agriculture paysanne a été déposée comme marque par la Fadear (Fédération des associations le Développement de l’Emploi Agricole et Rural), non pour être utilisée comme argument commercial mais au contraire pour être protégée de détournements à intention lucrative. » Sa charte éditée en 1998 définie des « orientations agricoles permettant à des paysans nombreux de vivre de leur travail de façon durable. » Six thèmes renvoient à des principes qui constituent le cadre de ce type d’agriculture à savoir : - l’autonomie (dans une logique de complémentarité, avec les autres acteurs locaux, valoriser au maximum les ressources humaines, techniques et financières présentes localement), - la répartition (des volumes de production, des terres, des ressources), - le travail avec la nature (son respect et le maintien de la biodiversité animale et végétale), - la transmissibilité des fermes, - la qualité des produits (passant par la transparence dans les actes d’achat, de production, de transformation et de vente), - le développement local et la dynamique territoriale97. Elle s’intéresse particulièrement aux liens possibles avec les citoyens « car l’agriculture est la responsabilité de tous ». C’est ainsi qu’a été créé le réseau des Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) qui permet aux citoyens d’acheter à l’avance des produits pour soutenir les paysans. C’est le pôle InPACT qui regroupe les réseaux de développement agricole « partageant des valeurs communes pour une agriculture respectueuse des hommes et de l’environnement et pour des systèmes de productions économes et autonomes98 » Ces mêmes réseaux sont fédérés en association nationale mais ont tous des entités régionales voire départementales qui leur permettent d’agir localement sur diverses problématiques : 94. Ibid. 95. Paroles de SASSAN Rolande (présidente de la chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ariège), Quel avenir pour le milieu rural français ? In « les associations face aux mutations du monde rural », Pour, n° 201, fev. 2009 96. Ibid. 97. http://www.agriculturepaysanne.org/la-charte-de-l-agriculture-paysanne 98. http://www.agriculturepaysanne.org/nos-partenaires 66


Solidarité paysan (aide envers les paysans en difficulté)

Coopérative de matériel agricole (CUMA)

Formation collective à la gestion (AFOG)

Réseau de l’agriculture durable

STRUCTURES AIDANT AU DÉVELOPPEMENT DE L’AGRI PAYSANNE

Accueil paysan (hébergement et animation)

Achat de foncier agricole pour aider l’installation (Terre de Liens)

Coopérative d’autoconstructeurs (Atelier Paysan)

Réseau de semences paysannes (RSP)

Exemple de structures autour de l’agriculture paysanne

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- Accueil paysan : développement d’activités d’accueil diverses à la ferme (hébergements, restauration, animations) dans le but de dynamiser les territoires ruraux et la découverte du « monde paysan » - AFIP (‘Association de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales) - AFOG (Associations de Formation Collective à la Gestion) : propose des formations en comptabilité/ fiscalité pour permettre aux paysans d’être plus autonome et un accompagnement de projets (installation, durabilité, transmission, sociétés, commercialisation) - Atelier Paysan : coopérative d’auto-construction qui accompagne les paysans dans la conception et la fabrication de machines et de bâtiments destinés à une agriculture adaptée aux spécificités des territoires Elle permet de « retrouver collectivement une souveraineté technique, une autonomie par la réappropriation des savoirs et des savoir-faire99 » - CIVAM (Centre d’Initiative pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural) : travaille à la promotion de l’emploi et la création d’activités en milieu rural à partir de l’agriculture, le développement local et son ancrage territorial - MRJC (Maison rurale de la Jeunesse Chrétienne) : comme son nom l’indique, c’est une émanation de la JAC d’antan. Elle permet à des jeunes des territoires ruraux de se réunir pour réaliser des projets locaux d’utilité sociale - RAD (Réseau Agriculture Durable) : groupes d’agriculteurs qui expérimentent une agriculture plus autonome et économe «et respectueuse de l’environnement». - Solidarité paysan : accompagne et défend les familles d’agriculteurs en difficulté. Elle apporte un soutien aux paysans isolés qui ne peuvent pas toujours prévenir de leur situation. - Terre de Liens : association qui s’est dotée d’outils (foncière et fondation) pour acheter du foncier agricole. Elle permet de résoudre la problématique de la transmission-reprise des fermes et assure au nouvel installé l’ancrage dans un réseau déjà en place Toute ces associations (et il en existe de nombreuses autres) sont issues du mouvement d’éducation populaire qui valorise aussi bien l’engagement associatif par la formation de ses membres que la promotion des pratiques de l’agriculture paysanne auprès des citoyens. Le partage des savoirs et savoir-faire qu’il soit interne aux paysans ou diffusé, permet la collectivisation de données, la constitution de réseaux locaux et l’ouverture vers des publics variés. L’exemple d’Accueil Paysan mais aussi défendu par les Accueils à la ferme (accueils pédagogiques d’enfants en sortie scolaire) illustrent la capacité d’ouverture de ces groupes sociaux ce qui permet de se détacher de la vision passée des « sociétés paysannes ». Si l’autonomie « fait de se gouverner par ses propres lois100 » est recherchée, l’autarcie, dans le sens d’échanges commerciaux ou sociaux fermés, n’est pas désirée. L’isolement des agriculteurs, ayant été l’un des revers de médaille de la modernisation, a fortement impacté sur l’habitude d’entraide du milieu paysan mais on peut penser que cela a également 99. https://www.latelierpaysan.org/ 100. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/autonomie 68


permis son élan plus volontaire aujourd’hui. L’association Solidarité Paysan, par exemple, permet de renouer avec cette forme d’entraide qui passe notamment par le soutien dans les épreuves, le partage sur des situations ou conditions d’existence difficile. Elle permet donc le regroupement d’acteurs isolés dans leurs difficultés économiques ce qui leur permet d’échanger et de travailler pour un avenir meilleur. Ce rapprochement de paysans en difficulté permet de faire tomber les barrières du jugement qui rendent difficile le quotidien mais auquel la profession s’est pliée dans le fonctionnement compétitif du productivisme. « Quand j’ai raconté mon histoire, on a tous pleuré ensemble. Aujourd’hui, j’ai trouvé une grande famille.101 » Ces échanges permettent également la réappropriation du métier de cultivateur ou d’éleveur notamment par la prise de recul sur le discours des techniciens agricoles. « Le métier que je fais maintenant, je suis fier de le faire, c’est quelque chose qui me porte » témoigne un paysan qui est sorti de l’impasse grâce à l’association CIVAM. On comprend ainsi toute l’importance de ce maillage associatif qui répond spécifiquement aux problématiques variées de la profession. Un mensuel nommé « Campagnes solidaires » permet de suivre l’actualité d’une agriculture engagée.

b. Terre de Liens et l’ADDEAR s’emparent de la problématique de la transmission- reprise des fermes

« Ce que nous appelons la terre est un élément de la nature qui est inextricablement

entrelacé avec les institutions de l’homme. La plus étrange de toutes les entreprises de nos ancêtres a peut-être été de l’isoler et d’en former un marché. Traditionnellement, la main-d’œuvre et la terre ne sont pas séparées ; la main-d’œuvre fait partie de la vie, la terre demeure une partie de la nature, la vie et la nature forment un tout qui s’articule. La terre est ainsi liée aux organisations fondées sur la famille, le voisinage, le métier et la croyance – avec la tribu et le temple, le village, la guilde et l’église…102 ».

Grâce au stage effectué au sein du laboratoire EVS-Laure de l’école d’architecture de Lyon, et par la méthode de la recherche-action sur le territoire des Monts du Lyonnais et l’engagement dans l’association Terre de Liens, nous avons mieux compris le contexte agricole actuel et notamment la difficulté d’installation pour les nouveaux agriculteurs. La transmission des fermes dans certaines régions provoquent des situations difficiles voire conflictuelles. Certains agriculteurs se positionnent volontairement pour l’installation de jeunes (ou de moins jeunes) sur leur terre. Sans descendance ou avec des enfants exerçants d’autres métiers, ces travailleurs affirment leur souhait de voir vivre leur ferme et les campagnes qui l’environnent. « L’engagement d’une population autour de l’avenir 101. Le Champ des possibles, de Marie-France Barrier. Diffusé le mercredi 20 décembre à 20h55 sur France 5. 102. POLANYI Karl, La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, 1983, pp. 238 et suiv. (éd. orig. The Great Transformation, New York, Toronto Farra & Rinehart, 1944 69


de son territoire est une des clefs de son développement.103 ». Pourtant ceux qui ne sont pas conscients de l’importance de cette action, laisse bien souvent disparaître leur ferme. La possibilité de reprise des fermes est donc une vraie difficulté à la fois économique mais aussi technique : comment, lorsqu’on n’est pas issu du milieu agricole, parvenir à s’inventer agriculteur en quelques mois d’apprentissage ? Le profil des candidats à l’installation a évolué ces dernières années, « plus de 60 % ne sont pas issus du milieu agricole et ne reprendront pas une ferme familiale. De l’autre côté, plus de la moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans et 30 % d’entre eux déclarent ne pas connaître leur repreneur104 ». L’enjeu des années à venir est donc de permettre que le départ des anciens se traduisent par la reprise de fermes, nombreuses et diverses. Terre de Liens, par sa capacité à impliquer les citoyens en faveur de l’agriculture paysanne, comme l’ADDEAR (association départementale pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural), par son dynamisme et sa capacité à trouver des réponses locales à des problématique plus large, œuvrent toutes deux à l’installation de nouveaux paysans sur les territoires ruraux. Une part aujourd’hui non négligeable de postulants à l’installation ne sont soit pas issus du territoire dans lequel ils souhaitent s’installer soit connaissent peu le monde agricole ; alors, dans ces cas là, l’aide des réseaux est précieuse à la fois pour les connaissances apportées mais aussi pour le soutien social. Ceci permet la création de nouveaux liens entre habitants et territoire L’association Terre de Liens, émanation de réseau Relier, a été créé en 2003 dans le but de répondre à la problématique de la transmission des fermes par l’achat de celles-ci. C’est par la collecte de l’épargne solidaire des citoyens que l’association compte aujourd’hui une centaine de fermes sur toute la France (une vingtaine en Rhône-Alpes). Pour se faire, elle s’est dotée de plusieurs outils : en 2006 elle a créé une « foncière » entreprise de l’économie sociale et solidaire en lien avec la Nef (banque solidaire) qui permet l’achat de fermes via des collectes citoyennes ou par le placement de parts. Depuis 2013, une fondation, reconnue d’intérêt public, permet la donation ou le leg d’argent et de fermes. L’association nationale est divisée en sous associations régionales (19) qui elles-mêmes se décomposent en groupes locaux ancrés sur leur territoire. Les groupes locaux travaillent à l’accueil et à l’accompagnement des porteurs de projet qui ne parviennent pas à s’installer par leur propre moyen ou qui veulent s’inscrire dans une démarche liée aux valeurs de Terre de Liens (considérer la terre comme bien commun et donc ne pas en être nécessairement propriétaire). Après avoir acquit la ferme via un achat de la foncière ou du binôme foncière/fondation, des fermiers sont installés sous un bail rural environnemental long. Ceci permet donc de retirer ce foncier de la spéculation et d’assurer une continuité dans le rôle de ces terres à savoir l’agriculture vivrière. L’agriculture paysanne est un métier spécifique qui se rapproche du mode de vie paysan d’avant103. RONDEPIERRE Serge (animateur TdL Auvergne), « Terre de liens, pour l’accès collectif au foncier», Pour, n°201, fev. 2009, pp. 143-147 104. Données pour le cas spécifique du Rhône : http://www.auvergne-rhone-alpesolidaires.org/offres-emploi/l-addear-du-rhone-recrute-un-animateuraccompagnateur-hf-en-cdd-lyon 70


adhésions

épargne solidaire

legs, dons, subventions

association

foncière

fondation

2003

2006

accompagne des projets de transmission et d’installation

2013

achètent et gèrent des fermes

Pôle Ferme

Groupes Locaux et Référent Ferme

Commission de Suivie des Fermes Structuration de l’association Terre de Liens

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guerre où métier et vie personnelle étaient intimement liés. Si les grandes exploitations ont souvent plusieurs salariés non domiciliés sur place, les fermiers pratiquant l’agriculture paysanne se doivent de loger sur place et d’avoir des bâtiments permettant de travailler de façon adaptée. Terre de Liens achète le foncier agricole mais aussi les bâtiments d’exploitation et le logement (même si des exceptions existent). Ainsi, en plus d’avoir une expertise sur l’achat du foncier, Terre de Liens se doit aussi d’assurer un entretien des bâtis. Pendant plusieurs mois nous avons donc été investies dans l’association par la participation aux réunions mensuelles du groupe local lyonnais, la présence au rassemblement lors de l’assemblée générale de l’association régionale, la visite de fermes Terre de Liens (ou destinées à l’être), le reportage pour le journal trimestriel dédié aux fermes rhonalpiennes, la participation aux journées d’échange et de formation (l ‘association milite également pour l’éducation populaire). Une fois une ferme installée, il arrive que les groupes locaux organisent différents chantiers pour aider les jeunes installés à prendre plus rapidement place dans leur nouveau lieu de vie. Le paysan a la réputation d’accumuler beaucoup car tout peut servir un jour ou l’autre mais pour les nouveaux arrivants, cela peut-être particulièrement difficile et décourageant. A la ferme de la Fournachère dans le Pilat, premier achat de ferme par le groupe lyonnais, les travaux de mise aux propres étaient titanesques. La démarche de réhabilitation s’est faite de façon coopérative en impliquant artisans et bénévoles. Là s’illustre toute la force de l’agriculture paysanne et du réseau qu’elle parvient à fédérer autour de ses enjeux. L’ampleur du « parc immobilier », problématique que l’association n’avait pas anticipé, mène aujourd’hui à des situations difficiles. Les paysans vivent parfois dans des conditions précaires et insalubres. Le travail de la foncière tend aujourd’hui à y répondre mais manque de moyens humains. Toutefois, cette nouvelle expertise, en cours d’acquisition « lui donne assez d’expérience et d’autorité pour penser à partir d’un large panel de situations, constituant ainsi une échelle intermédiaire entre les normes déconnectées de la réalité du terrain, et les micro-initiatives d’individus isolés et marginalisés.105 » Encore une fois, ce travail ne se fait pas sans des outils de réflexion communs qui tentent de faire émerger une « intelligence collective » : outils méthodologiques de terrain, diagnostic sur la ferme, etc. Il est assez intéressant de remarquer que la constitution du groupe local lyonnais est différent des autres de part l’âge de ses bénévoles mais aussi de part leur profession. Beaucoup d’entre eux sont architectes, géographes, chercheurs ou techniciens du territoire. Ce cas illustre une position assez particulière sur la région car, avec Grenoble, il est le seul groupe à se situer en milieu urbain. Son impact et son rôle diffèrent donc des autres départements car il peut toucher un public plus large et moins averti mais sensible à la question de l’alimentation. Épargner pour Terre de Liens permet la participation financière à l’acquisition d’une ferme, mais aussi le bénéfice possible d’une nouvelle activité économique en territoire rural proche de Lyon (achat des productions ou participation aux 105. MIALOCQ Madeleine, avec la collaboration de DALBAVIE Brunelle, « Habiter une ferme Terre de Liens, Enjeux et perspectives », Pour, n° 225, Janv. 2015, pp. 139-145 72


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événements organisés). La construction de ces projets permet de mettre en lien différents acteurs jeunes et moins jeunes mais qui s’impliquent pour un but commun : faire vivre les territoires ruraux grâce à une agriculture vivrière respectueuse de la nature. Cette synergie autour des projets s’illustre également par le travail de l’ADDEAR. L’ADDEAR du Rhône a été créée en 1991 par un groupe d’agriculteurs pour réagir à la diminution du nombre d’exploitations parallèlement à l’augmentation de la précarisation des paysans. L’ADDEAR du Rhône et de la Loire sont particulièrement actives sur les Monts du Lyonnais (chaque ADDEAR développe ses propres interventions à l’échelle départementale). Outre une tentative de création d’un GFA (groupement foncier agricole) citoyen, outil foncier de territoire, géré localement, à l’image de l’action de Terre de Liens, l’association développe tout un travail de mise en réseau des porteurs de projet avec les futurs cédants de fermes. Ces événements appelés « café-installation» permettent aux porteurs de projet, ne connaissant pas nécessairement les acteurs agricoles du territoire, de découvrir des témoignages de transmission de fermes mais aussi de rencontrer potentiellement un futur retraité dont la ferme correspond aux besoins du premier. La sensibilisation à l’agriculture paysanne est quant à elle promue par des interventions dans les organismes de formations pour sensibiliser les élèves mais veille aussi à la découverte du public avec le week-end « De ferme en ferme ». Elle a aussi mis en place des formations pour accompagner des projets individuels et collectifs comme la formation « Mûrir ses idées pour en faire un projet » pour approfondir les différents aspects de son projet. Tout ce travail permet donc l’adéquation entre projet, motivations personnelles et territoire choisi mais induit aussi la possibilité de tisser un réseau professionnel et social. C’est la mise en place des « espaces test agricoles » qui en est certainement l’aboutissement : ces espaces test implantés localement induisent une certaine solidarité entre les différents acteurs du territoire. Les espaces test sont une sorte de couveuse d’activité de 1 an renouvelable 3 fois, proposés à des porteurs de projet, pour tester leur projet grandeur nature. « Ça fait environ 10 ans que ça existe en agriculture, souvent autour de petits élevages, petits fruits…106 ». Auparavant ces espaces test étaient dispersés en « archipel » sur le département du Rhône, chez des paysans acceptant de laisser quelques hectares à des jeunes. Le projet des ADDEAR du Rhône et de la Loire est de mettre en place plusieurs espaces test sur une ferme à Grammond (Loire). Ceci permettrait à plusieurs porteurs de projet de tester en même temps diverses productions et ainsi « éviterait l’isolement des expérimentations, pour développer les synergies, mutualiser les outils et en construire de nouveau107 ». Sur ce site, sept productions seraient envisagées en même temps : bovin lait et transformation, caprin/ovin lait, porc, volaille, maraîchage, paysan-boulanger et bovin viande. « Tout pourrait être fourni sauf le cheptel avec lequel le paysan viendrait et repartirait, soit environ 5 à 10 000€ investis au maximum. » La question 106. DESORME Gaëlle, salariée de l’ADDEAR Rhône, entretien effectué le 3 avril 2017 à Lyon 107. FAVRELIERE Vincent (animateur du réseau AFIP association de formation et d’information pour le développement d’initiatives rurales), « Le lieu-test agricole, une étape vers l’installation », Pour, n°201, fev. 2009, pp. 135-142 74


de l’investissement est essentielle. Pour quelqu’un qui souhaite s’installer, elle nécessite la prise en compte du coût du foncier, du bâti, des outils, du matériel agricoles et/ou des animaux. Tester une production pendant plusieurs mois permet ainsi de se faire un meilleur avis sur la pratique et sur les autres possibilités de production. L’accompagnement se ferait via des « tutorats techniques » dispensés par des paysans et par une aide sur les différents scénarii possibles pour la suite. Avec un riche réseau d’acteurs dispensant des formations et des aides techniques, l’agriculture paysanne d’aujourd’hui ne fonctionne plus de façon autarcique. Au contraire, elle vise à l’ouverture (de la ferme, des expérimentations, des échanges) tant à destination des futurs installant qu’aux partages des connaissances. La ferme devient aussi un lieu propice aux rencontres et aux échanges en dehors du cadre de l’agriculture.

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2. METIS, RUSE, BRICOLAGE : QUAND L’EXPERIENCE NOURRIT L’INTELLIGENCE DE LA PRATIQUE

« C’est souvent au sein des exploitations définies comme « non professionnelles » que se

trouvent les agriculteurs qui choisissent de s’installer avec des projets différents et dont l’élément commun est le caractère autonome et économe de leur activité. Cette autre forme d’agriculture a un effet positif certain sur le maintien de l’emploi, le maillage rural et l’environnement.108 »

« La foi dans la technique obère la principale capacité de l’homme, celle d’adopter des dispositifs sociaux intelligents qui lui permettent de s’organiser mieux pour répondre aux défis auxquels il est confronté.109 » Mais ce n’est sans compter l’existence de la culture des techniques paysannes, développées et nourries par les désillusionnés ou les allergiques à la technologie. Cette « culture des techniques », niée par le développement, s’est pourtant développée au travers de la résistance des individus, productrice d’innovations sociales.

a. Retrouver du sens dans la pratique de l’agriculture

Dans la société productiviste et l’économie capitaliste dans laquelle nous restons, les hommes sont des « ressources humaines contractuellement subordonnées et dont la productivité doit être optimisée110 ». Comme les marchandises, ils sont de plus en plus soumis à l’ouverture de la concurrence mondiale sans avoir toujours la possibilité de s’en insurger. Cette partie vise donc la compréhension des mécanismes par lesquels les paysans parviennent à s’organiser pour défendre une conception particulière de leur travail en temps que « construction sociale collective » ( Dujarier, 2010). Des manifestations d’agriculteurs démarrent dans les années 70, entre autre suite au mouvement de mai 68, où la population ne veut plus «perdre sa vie à vouloir la gagner». On assiste à une remise en question de la société, du travail et de la consommation parallèlement à une remise en cause de l’autorité et des grandes institutions (Hanique, 2010). S’ensuit l’installation de nouvelles populations dans les campagnes : nouvelle génération d’agriculteurs et « néo-ruraux111» sont souvent mal accueillis. Ils restent en marge des institutions et doivent «faire leur preuve » devant une population qui n’est toujours guère habituée au changement. Pourtant, ils proposent « une agriculture de qualité et de proximité112 » qui viendra se rassembler autour du terme « d’agriculture 108. DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 109. CALAME Mathieu, MOUCHET Christian, « Alimentation et agriculture : une nécessaire gouvernance mondiale.» 110. DUJARIER Marie-Anne, « Qu’est ce qui m’arrive au travail ? Actualité de la recherche-action clinique » in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, p. 85 111. Personne venant s’installer en campagne et dont la famille proche n’est pas issue du monde agricole. 112. PLASSARD François, La vie rurale, enjeu écologique et de société, Ed. Yves Michel, 2003, p.31 76


paysanne » ou « agriculture durable » dont nous venons de détailler les principes. Bercés ou non par le mythe d’une nature bienveillante, ils ont la volonté de travailler la terre, d’en prendre soin et de respecter ce qu’elle leur offre. Le choix est également d’éviter les dépenses inutiles si le cycle naturel et la nature (faune ou flore) peut l’apporter d’elle même. Dans l’économie quotidienne,on ne se positionne pas radicalement dans le choix de la mécanisation ou non des structures. On connaît les limites et les risques d’une sur-mécanisation inutile. Cela permet la réduction des coûts et réintroduit du « bon sens » dans la pratique. Parfois ce « bon sens » se traduit par quelques réappropriation de savoirs passés comme dans l’agriculture raisonnée (la plus proche du modèle productiviste) où on arrête de retourner la terre pour préserver la vie du sol. On réapprend aussi à mieux le connaître plutôt qu’à le détruire pour qu’il aide à produire. Le verre de terre, par exemple, permet le labour du sol riche en micro-organismes, c’est le pilier du système. En détruisant la vie du sol, on empêche ce travail naturel et pourtant peu coûteux de la terre. Des agriculteurs en conversion témoigne dans le documentaire Le Champ des possibles, « Le schéma du conventionnel forme dans un sens mais on a accepté de se remettre en question. On voit notre sol sous un autre angle et en voyant le nombre de vers de terre augmenter on est fier. » Changer de voie n’est pas toujours décidé c’est parfois une question de survie. Dans ce même documentaire, un éleveur, ayant évité de peu la faillite explique qu’à force d’avoir écouté les discours technicistes, il avait oublié que la vache est avant tout un herbivore et que manger exclusivement du maïs ne fait pas parti du cycle naturel de l’animal. Pourtant, l’herbe coûte bien moins chère à produire que ce dernier qui est gourmand en eau et dont l’achat des semences favorisent les industries chimiques. Ces prises de conscience sont encore marginales : la France est le premier pays européen consommateur de pesticides. Mais les nouveaux arrivants viennent en appui aux paysans tentant depuis les années 70 de montrer une autre voie. Ils tentent des choses, apprises de façon scolaire ou informelle que les paysans en place n’osent pas faire « On a besoin de la preuve par l’exemple que ça marche. » Toujours dans ce même documentaire, le fils d’un viticulteur, parti pour faire des études, revient finalement au travail du raisin dans l’exploitation familiale pour prendre la suite de son père. Il passe immédiatement en agriculture biologique et en développant des traitements naturels tandis que son père confie « moi je suis un pure produit technique de la formation agricole. J’y connais rien en bon sens paysan ».

« L’emploi des pesticides demande un « verrouillage » technologique et social que des

projets alternatifs tentent de contrarier au moyen d’une approche systémique (englobant acteurs locaux, filières, consommateurs et politiques publiques) des opportunités. L’analyse révèle une rupture de plus en plus forte entre la maîtrise technocentriste de la production agricole et les « approches agroécologiques » qui remettent radicalement en question l’emprise techniciste.113 »

113. LAMY Jérôme. « Le grand remembrement. La sociologie des savoirs ruraux depuis les années 1950 », Zilsel, Vol. 1, n°1, 2017, pp. 263-291. 77


Photographie personnelle, Plan d’Hotonnes, mai 2017

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D’après Michèle Salmona, docteur en sociologie, les femmes et notamment les néorurales des années 70 ont eu un rôle important dans la mètis (intelligence rusée, engagée dans la pratique) du métier. Avec les animaux notamment, elles ont développé des méthodes de soin qui s’apparentent à celui que les femmes ont avec leur enfant « elles ne crient pas, évitent les mouvements brusques, les postures qui peuvent les inquiéter114 ». La « culture du sens » initie et développe chez l’éleveur le rapport au corps, aux gestes, au toucher mais aussi induit une certaine façon de parler, d’approcher. Il semblerait d’ailleurs que lors de la modernisation des méthodes d’élevage (insémination artificielle, nutrition avec des produits industriels, vaccinations multiples) les femmes aient préféré des méthodes plus douces, épargnant au mieux l’animal (pédagogie du soin, responsabilité, attachement, patience, douceur, lien corporel affectif et communication par la parole, la caresse, le chant, la voix). Il serait d’ailleurs intéressant de le mettre en perspective avec le fait que c’est la femme, dans la paysannerie d’avant-guerre, qui s’occupait du soin des bêtes servant à nourrir la famille. L’homme quant à lui, n’aurait pris conscience de l’impact néfaste des méthodes productivistes que lors des crises sanitaires impactant les bêtes. Est-ce parce que c’est particulièrement l’homme qui a été formé aux techniques de l’agriculture moderne ? Comme nous l’avons déjà expliqué dans la seconde partie de ce travail, la perte des savoirs et savoir-faire est due à la « vulgarisation » agricole suivie de la modernisation des exploitations. Les structures d’encadrement agricole ainsi que les agents techniques ancrés sur les territoire ont favorisé une pratique axée sur la raison et la rationalité plutôt que l’intuition et l’émotion pourtant « si présentes dans le travail de la matière, la nature et le vivant en général115 ». Elle fait donc « perdre sens à la pensée de l’action » (Salmona, 2010) ce qui rend les agriculteurs d’autant plus dépendants de la technique en cas de risques ou d’aléas. Mais d’après la sociologue, c’est « l’expérience personnelle et la mémoire de ceux qui enseignent le métier116 » qui permettent de nourrir la pensée rationnelle en « ruse » ou « contournement/détournement ». Pourrait-on parler d’une persistance de la « pensée sauvage » propre à Claude Levi Strauss ? La « pensée sauvage », titre de son livre écrit en 1962 est présente en tout homme tant qu’elle n’a pas été cultivée et domestiquée pour combler les besoins grandissants de l’économie capitaliste. La pensée sauvage, «bricoleuse», science empirique, de l’accumulation des expériences des membres constitutifs de la communauté, s’oppose à la pensée moderne, «ingénieuse», science expérimentale, spéculative et théorique. Cette science serait donc liée à « l’intelligence pratique » qui, d’après M. Salmona, ne peut être complètement maitriser par la pensée scientifique. Toutes les pratiques et actions, en lien avec l’animal, les éléments, la nature, le vivant en général, induisent une maîtrise expériencielle, celle de « l’action du quotidien ». En effet, le vivant induit à l’action des « aléas » qui ne peuvent pas toujours être maîtrisés et qui nécessitent de « composer » sans pouvoir distinguer la raison de l’action. « Le paysan s’adapte à l’ordre des saisons, au climat, aux 114. SALMONA Michèle, « Des paysannes en France : violences, ruses et résistances », Cahiers du Genre, Vol. 35, n° 2, 2003, pp. 117-140. 115. SALMONA Michèle « Une pensée de l’action avec la nature et le vivant : la Mètis et Jean-Pierre Vernant in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, p. 187 116. Ibid. p. 188 79


LA PENSÉE RATIONNELLE

nourrit intuitions

EXPÉRIENCE RUSE émotions

nourrit

L’INTELLIGENCE DE LA PRATIQUE

«maitrise expérientielle de l’action du quotidien»

Tentative d’illustration du principe de Mètis

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sols et aux récoltes, comme le voilier se plie au souffle du vent117 » Aujourd’hui, avec du recul, on comprend que les techniques scientifiques ne peuvent abolir le poids du climat et de la nature, l’influence des saisons et le caractère cyclique des travaux agricoles. Cette indépendance face à la terre est d’autant plus remise en cause face au caractère capricieux du climat lié au réchauffement de la planète. Les exceptions climatiques d’autrefois (sécheresse, fortes chaleurs) sont plus fréquentes et tous les outils artificiels créés pour réduire la charge de travail liée à la nature se révèlent aujourd’hui inefficaces. « La mise en évidence de la pertinence de ces compétences liées à l’expérience, en situations problématiques, conforte les résistances paysannes et interpelle les marges du développement.118 » Les nouvelles conditions climatiques vont requestionner le rapport de force établit entre nature et homme notamment dans la gestion de l’eau « actif sans être dominateur, et attentif sans être obéissant » (J. Zask, 2016). Peut-être que cela déstabilisera également le duel inégal entre grandes exploitations qui veulent toujours s’agrandir et petites qui luttent pour perdurer.

b. Réappropriation du métier : production collective de savoirs et savoir-faire

« Le choix délibéré d’assumer l’activité agricole comme une relation avec le monde

vivant (végétal et animal) oriente la nature de la production : petites ou moyennes surfaces cultivées, troupeaux limités en nombre, volonté d’adaptation des races et des cultivars aux conditions pédoclimatiques locales. Leurs pratiques viennent rappeler les liens affectifs qui se tissent entre un terroir, le monde vivant qu’il accueille, un producteur et les consommateurs.119 »

Face aux impasses du système productiviste et pour se réapproprier les savoirs et savoirfaire de leurs métiers, certains agriculteurs décident de développer des « savoirs hybrides » (Deléage et Sabin, 2012) c’est-à-dire de réapprendre des techniques anciennes tout en les mêlant aux connaissances scientifiques développées durant plusieurs décennies. Pour cela, ils s’arment d’une patience liée au caractère aléatoire de la nature, de l’espace et du temps et acceptent que les recherches ne trouvent pas de réponse immédiate, comme nous le laisse entendre la réussite de la science raisonnée. La répétition, le tâtonnement se mêlent au caractère collectif de l’élaboration de systèmes permettant d’être plus « autonomes et économes ». La réorganisation de l’activité trouve son caractère collectif120 dans la capacité de pouvoir agir ensemble pour « s’entendre » dans 117. ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Les empêcheurs de penser en rond, éditions La Découverte, 2016, p. 50 118. NICOURT Christian, « Michèle SALMONA, Souffrances et résistances des paysans français, Paris, Éditions L’Harmattan, 1994, 254 p. », Ruralia, 06 | 2000 119. DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 120. comme défini par BOURNEL-BOSSON Maryse dans l’article « Analyse du travail et revitalisation du collectif » in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, p. 228 81


l’élaboration de pratiques « hors cadre ». Ces transformations illustrent un positionnement au sein de la profession mais aussi de façon plus générale, d’une posture face à la société. En 1982, le CEDAPA (Centre d’Étude pour un Développement Agricole Plus Autonome) élabore des systèmes de production agricole dont le but principal est de maîtriser son développement et requalifier les normes agronomiques par la construction de savoirs croisés issus de la tradition revisitée : transmission intergénérationnelle liée à l’observation et non à la tradition et utilisation des méthodes d’experts spécialisés. Les acteurs sont variés et mobilisent tant des agriculteurs et techniciens que des enseignants, environnementalistes et chercheurs. Ils se dotent de d’outils permettant de partager les savoirs développés au travers de forums et de « cahiers techniques de l’agriculture durable ». Un groupe « d’autodéveloppement » créé en 1954 est à l’origine du CEDAPA. Il définissait le « progrès technique à partir de trois principes : « la responsabilité de l’agriculteur ; l’initiative à la base ; et, enfin, l’importance du groupe » (Cerf et Lenoir, 1987)121 ». En 1999, l’ASPAARI (Association de Soutien aux Projets et Activités Agricoles et Ruraux Innovants) met en place un mode d’organisation où des personnes ressources sont rattachées à des porteurs de projet. Ceux s’y s’inscrivent dans une volonté de développer des projets « atypiques » : travail de petites parcelles, avec pas ou peu de mécanisation, diversifiée et peu consommatrice d’intrants. Ces projets cherchent à valoriser le lien social par l’intermédiaire de formations et chantier, et à mutualiser les compétences. La visite de lieux d’activité décloisonnent les sphères compartimentées de l’agriculture productiviste et permet de se réinterroger sur des améliorations possibles, qu’elles soit culturelles ou socialles (temps de travail, relation avec les consommateurs, qualité de la vie, etc.)122 L’élaboration de ses savoirs visent toujours à être diffusés dans la volonté d’une amélioration de la société dans son sens large.

« Parce qu’ils sont imposés par des acteurs extérieurs aux zones rurales concernées,

certains savoirs sont perçus comme des tentatives de préemption politique. Cette opposition n’est pas seulement une réification potentielle d’une hiérarchie plus ou moins implicite entre des savoirs scientifiques et des savoirs pratiques. Elle est aussi une forme d’affirmation des autonomies locales et/ou professionnelles.123 »

Suite à une réglementation semencière drastique, dépossédant les agriculteurs de la possibilité de ressemer leur propre récolte, le Réseau Semences Paysannes (RSP) s’est créé en 2003. Ils revendiquent « le droit pour les agriculteurs de cultiver et d’échanger des semences de variétés non inscrites au Catalogue officiel des Obtentions Végétales124 ». Des variétés reléguées 121. Toutes les informations sont tirées de l’article de DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 122. Ibid. 123. LAMY Jérôme. « Le grand remembrement. La sociologie des savoirs ruraux depuis les années 1950 », Zilsel, Vol. 1, n°1, 2017, pp. 263-291. 124. DEMEULENAERE Elise et BONNEUIL Christophe, « Des Semences en partage », Techniques & Culture, 57 | 2011, 202-221. 82


depuis les années 1950 par le marché et la réglementation sont ainsi réutilisées pour répondre aux besoins spécifiques des territoires. Ce positionnement permet donc une adaptation de la technique aux conditions de reproduction mais est aussi la possibilité de « reconquérir une autonomie » par la possibilité de s’approvisionner hors du marché. Mais ces choix « requièrent des savoirs spécifiques sur la conservation, la production à la ferme des semences et la conduite agronomique particulière des variétés anciennes125 ». Dans les Monts du Lyonnais, nous avons rencontré un paysan, éleveur de vaches laitières qui a, depuis plusieurs années maintenant, adapté sa réflexion et sa façon de travailler pour réduire l’impact de sa pratique sur l’environnement. Ayant d’abord arrêté l’utilisation de produits chimiques, il travaille aujourd’hui, avec un groupe d’agriculteurs à la sélection de semence de maïs à partir de variétés anciennes pour nourrir ses bêtes, le « maïs population126». Alors que dans le livre d’Henri Mendras, La fin des paysans, le sociologue décrivait la méfiance puis l’acceptation du maïs hybride, entraînant la disparition de la « société paysanne » on observe aujourd’hui le parti pris de retravailler avec ces semences. Chronophage mais moins coûteux, ce choix illustre, dans les sociétés rurales contemporaines, les relations d’entraide mobilisant des travailleurs issus d’horizons différents (faisant de l’agriculture biologique, raisonnée, biodynamique, etc.)127 mais également les « relations de réciprocité dans l’acte de production agricole et non pas une relation d’échange marchand» (Labourin, 2007). « Là on est à 800mètres d’altitude donc c’est difficile de faire mûrir. Il y a certaines années, je récupérais des semences de maïs population chez un copain qui habite du côté de l’Isère ». Aujourd’hui, l’agriculteur nous confie sans aucune hésitation qu’il va produire plus que nécessaire « si il y en a qui ont besoin ce sera pour eux ». Les semences sont libres de droit, étant données qu’elles appartiennent aux paysans, ils peuvent les donner et les échanger mais ne peuvent les vendre. Le collectif sur le maïs population, dont nous parle l’éleveur rencontré, s’est créé avec l’ADDEAR de la Loire depuis 2008 « on est devenu des vrais professionnels de la semence de maïs. On est carrément au point ! » La fierté de cette reconquête d’une part de liberté est perceptible chez cet agriculteur engagé à la Confédération Paysanne. Pour lui, c’est une part d’autonomie qu’il retrouve, et ce collectivement. Sur les Monts du Lyonnais, c’est paraît-il une trentaine de paysans qui « multiplient » alors que l’année précédente ils n’étaient pas cinq. La stimulation dans les échanges créés est perceptible. Avec le réseau des ADDEAR, ils travaillent aujourd’hui avec d’autres groupements d’agriculteurs biologiques qui font également du maïs population dans le Centre, dans le Périgord, et même jusqu’au Brésil. « Maintenant on a monté un groupe maïs pop national, ça marche quoi ! »

125. Ibid. 126. Une population, c’est plusieurs maïs qui sont travaillés ensemble mais qui ne sont pas hybridés. Un maïs hybride c’est deux lignées pures qui sont croisées et qu’on ne peut ressemer qu’une seule fois et qui dégénère ensuite rapidement. Ces semences nécessitent donc d’être rachetées chaque année à un semencier ce qui génère des frais conséquents. 127. Elles sont aussi présentes dans certaines traditions paysannes (vendanges, abattage du cochon, pressage de pommes) où l’entraide se défie des cadres professionnels (aide des voisins, parents, amis, etc.). 83


L’importance du processus de compréhension et la finesse de la connaissance du vivant est aussi perceptible dans le descriptif des étapes de sélection des semences : « la première année, on le sélectionne en fonction de sa hauteur, de la taille de la poupée, du nombre de grains par poupée enfin il y a tout un tas de critères, on prend une moyenne, pas les meilleurs, pas les pires mais la moyenne. Si on prend les meilleurs, l’année d’après il s’adapte à un climat. L’année N ça va être un climat favorable ben si t’as sélectionné que les favorables, il va pas s’adapter quand t’as un climat défavorable. Enfin il y a plein de choses. C’est super intéressant ! » Toutes les poupées, récoltées manuellement sont triées à la main. Elles nécessitent une grande patience tout au long du processus de croissance de la plante. Toute la sélection des semences se base donc sur du travail manuel, et sur l’observation fine de l’acclimatation du plant (hauteur et risque de verse par rapport au vent, hauteur et quantité des poupées, etc). Les coupes sont donc sélectionnées par un passage dans les rangs pour garder les plus précoces. « On passe du temps dedans. C’est pour ça qu’on y fait à plusieurs. Tout seul c’est moins marrant ! » Pour permettre de bons résultats, il faut s’isoler des « autres hybrides », « il faut qu’on soit à 300 mètres des autres parcelles et moi j’en n’ai pas !» L’engouement sur les Monts du Lyonnais leur a permis de trouver une parcelle isolée chez l’un des paysans du groupe. Le travail va donc se faire chez lui : « on va faire de la sélection, aller castrer, ramasser le maïs, on le trie, on l’égraine et c’est pour la collectivité. » La quête, c’est le gain de l’autonomie individuelle, dont l’agriculteur nous répète tendre le plus possible. Aujourd’hui, il parvient presque à ressemer ses propres semences pourtant, cela fait déjà dix ans qu’il est investi dans ce processus. La temporalité du vivant, et la possibilité de travailler à nouveau de pair avec lui, renvoie donc à des échelles temporelles qui n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Elle nécessite une flexibilité face aux aléas du temps mais qui est permise par l’expérimentation collective. Ainsi, l’importance de ce travail commun, au delà des apports sociaux créés, illustre le gain d’énergie et de temps apporté. Les membres (néo-ruraux, paysans en reconversion, nouveaux paysans) de ces différents réseaux travaillant à des expérimentations de terrain pour l’amélioration de techniques et de savoirs, œuvrent à la possibilité d’être plus autonomes face au système normatif et économique. Lorsque ces groupes se constituent, ils ne se marginalisent pas des savoirs scientifiques et techniques, ils sont en relation plus ou moins directe avec eux. Ils s’autonomisent des « doctrines » et les connaissances restent largement maîtrisées par les paysans. Ils luttent contre le « principe de la délégation de l’innovation aux chercheurs »128 »

128. SABOURIN Eric, « L’entraide rurale, entre échange et réciprocité », MAUSS, n°30, fev. 2007, pp.

198-217 84


Photographie personnelle, Saint-Franc, juin 2017

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3. QUÊTE D’AUTONOMIE : QUAND LA DÉBROUILLARDISE PASSÉE SE LIE A L AUTOFORMATION

« J’ai compris que l’équilibre que j’avais respecté en n’élevant pas plus de bêtes que

ce que pouvait nourrir mes prairies, me permettait de produire du lait et une viande de qualité... Sans compter que, finalement, je travaille moins. Ce qui m’a laissé le temps de faire connaître mes techniques et d’en discuter avec des personnes de tous horizons qui ont autant que moi droit au chapitre pour construire l’avenir de l’agriculture.129 »

« (…) chacun se plaît à reconnaître dans le paysan l’archétype de l’homme indépendant et libre, qui est son propre maître et que le monde propose toujours en modèle à l’homme aliéné, à l’ « étranger » de la civilisation technique. » (Mendras, 1984 : 284). Les nouveaux paysans, ceux qui viennent de la ville et qui n’ont pas appris le métier de leurs parents parviennent-ils à être moins aliénés que les « historiques » ? Leur détachement vis à vis de la pratique leur permet-il d’avoir moins d’apriori et donc plus de liberté ? Quelle soit liée à du concret ou du psychique, la liberté est une notion redondante quand il est question de l’agriculture. Elle se nourrit depuis toujours de l’idée que le culture de la terre rend plus libre car elle est « liée à la culture de soi » (Zask, 2016). Aujourd’hui, la quête de liberté est liée à la notion d’autonomie, « fait de s’administrer de ses propres lois et s’administrer soi-même130 »

a. L’agriculture comme moyen d’émancipation et d’auto-gouvernance

« C’est la force de l’agroécologie que d’intégrer dans le système agronomique lui-

même des facteurs de stabilité et de résilience. Les différents mouvements se revendiquant de l’agroécologie s’efforcent de développer de nouveau la résilience et l’autofertilité des systèmes en fermant la parenthèse de l’agronomie industrielle. Ils cherchent à retrouver, en les perfectionnant, les principes du progrès agronomique historique – diversité et complémentarité des cultures, taille et forme des parcelles, éléments paysagers – à partir d’une compréhension accrue des potentiels de chaque lieu : sol, exposition, pluviométrie.131 »

En France, les vertus émancipatrices de la terre sont défendues par de nombreux groupes engagés dans les pratiques de l’agriculture paysanne. Les groupes de travail, précédemment cités, illustrent la remise en cause de la séparation entre le spécialiste et le profane. Tous ceux qui s’investissent, redeviennent sachant et maître de la bonne tenue de leur activité « Le motif de 129. DELÉAGE, Estelle et SABIN Guillaume « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, vol. 42, no. 4, 2012, pp. 667-676. 130. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/autonomie 131. CALAME Matthieu. « L’agroécologie envoie paître l’industrie », Revue Projet, vol. 332, n°1, 2013, pp. 50-57. 86


l’indépendance économique et sociale du paysan s’adosse à l’examen de ce que doit le caractère du paysan à la résistance que lui oppose la terre qu’il cultive132 ». Pour cela, ils s’inscrivent dans une temporalité qui se soustrait de « l’ère de l’accélération globalisée133 » car l’accélération financière et technologique imposent un rythme qui détache l’Homme des rythmes de la nature et du vivant. Réacquérir une part d’autonomie passe donc par la reconquête du temps qui permet la possibilité de s’interroger sur le sens politique, social et écologique de leur métier. L’épanouissement prévaut à la productivité. Il faut toutefois noter un fait important qui réduit la part de dépendance économique au système agricole : la plupart des conjointes d’agriculteurs pratiquent un métier extérieur à l’exploitation. En 1970, elle était 5% seulement à déclarer une profession principale non agricole contre plus de 40% en 1994 pour les conjointes d’exploitants de moins de 35 ans et aujourd’hui elles ont certainement largement dépassé la majorité. La diversification des revenus des ménages induit une moindre dépendance au système appuyé par une recherche effrénée de l’autonomie dans la marche de la ferme (confection de ses propres semences, valorisation de la matières première, etc.). Le cas de l’éleveur laitier précédemment cité illustre par son mode de vie et sa façon de gérer sa ferme ce cas. Travaillant auparavant avec son père, il est aujourd’hui aidé d’un salarié. Sa femme travaille à Lyon et permet de dégager un revenu stable pour la famille. Lui, ne fait que des choix pour limiter les charges sur sa ferme : il est en cours de conversion à l’agriculture biologique et change de coopérative laitière pour Biolait, société privée qui collecte du lait biologique. Il développe en parallèle avec trois autres fermes un projet de laiterie sur les Monts du Lyonnais (territoire à dominance vache laitière) pour mieux valoriser la matière première mais aussi apporter une plusvalue au territoire. Il cultive également du colza qu’il transforme en huile pour le carburant de ses tracteurs « et le résidus du pressage, c’est un aliment à base de protéines pour les vaches ». Ceci lui permet de moins acheter d’aliments à l’extérieur. « J’ai jamais acheté une graine de colza de ma vie, j’ai commencé avec les graines d’un gars qui les faisait déjà et c’est toujours la même graine ». Comment parvient-il a être si autonome avec 40 hectares ? « On s’adapte » dit-il. En effet, plutôt que de chercher la valorisation maximale possible, il est en quête d’un bon équilibre pour lui et la planète. L’évolution de sa pratique se fait en fonction de son gain d’autonomie. « Si jamais on produit pas assez avec les 40 hectares, ça veut dire qu’on a trop de vaches. » A contre tendance des dynamiques habituelles qui visent à s’agrandir pour gagner plus de primes, ce paysan là préconise la baisse du volume de charges car acheter à l’extérieur coûte trop cher. L’achat est donc seulement toléré pour « dépanner ». Sa production est donc adaptée avec ce que ses terrains peuvent produire. Cette posture, il parvient à la prendre car en se convertissant en agriculture biologique, la matière première est mieux valorisée. Il n’est donc pas nécessaire de produire autant de litres de lait qu’avant et donc avoir moins de bêtes n’est pas gênant. Pour avoir plus de gains, il 132. ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Les empêcheurs de penser en rond, éditions La Découverte, 2016, p. 49 133. Voir à ce sujet le documentaire de BORREL Philippe, L’urgence de ralentir, 2014, 84min 87


lui faudrait plus de surfaces, mais ceci ne l’intéresse pas car plus on a d’hectare et plus on passe du temps dans les champs. « On mets une heure ou une heure et demi par hectare. En chimique, ça prend 20 minutes et c’est fini mais après il faut acheter le produit désherbant, tous ces produits, qu’est ce que ça devient ? » Sa posture est donc à la fois complexe et pleine de « bon sens » car elle considère sa pratique et l’impact de celle-ci dans sa globalité. Que ce soit des considérations personnelles ou environnementales, c’est autant le bien être du sol, des vaches que le sien et celui de l’humain qui est pris en compte. Mais il avoue qu’il se pose beaucoup de questions pour parfaire ses actes quotidiens et pour cela, l’appui des agriculteurs biologiques lui semblent précieux « je bosse qu’avec des paysans en bio parce qu’ils se posent beaucoup plus de questions que les autres, ils se remettent bien plus en cause. Tous les gars de mon village, ils traitent, ils désherbent chimiquement et puis voilà ils se posent pas de question ! » Cet agriculteur, qui a disposé d’un outil de travail légué par son père est ancré sur le territoire. Pour d’autres qui ne viennent pas du milieu paysan et/ou même de la région décrivent leurs choix comme de « vrais obstacles » : « Le fait d’être à contre courant induit qu’on n’est pas toujours bien accueilli par les acteurs historiques.134 »

« Celui qui dispose de terre, d’eau et de courage aura réuni des valeurs sûres, garantes

au moins de sa survie alimentaire dans un monde où la précarité est une menace à laquelle de moins en moins de gens sont sûrs d’échapper.135 »

D’après Béatrice Mesini, sociopolitologue, le choix de travailler la terre et d’élever des animaux en milieu rural permet également à certaines populations de retrouver de l’intégrité dans leur vie sans avoir à être « sustenté artificiellement, comme des invalides sous perfusion, avec des aides sociales136 ». Il s’agit des « marginalisés », des « exclus économiques » qui ne trouvent pas leur place dans la ville, haut lieu du modèle dominant. Leur décision est donc plus un « mode de résistance à l’exclusion » (Mesini, 2004) tel qu’existant dans le mouvement « Droit paysan », créé en 1998, qui milite pour « le droit à l’espace minimum d’existence ». Il est ouvert aux « Rmistes, aux chômeurs, aux agriculteurs “bio”, aux artisans, aux musiciens, aux SDF, aux nomades, aux sympathisants, aux expérimentateurs de nouvelles formes d’existence en dehors des normes productivistes actuelles et soucieux de la préservation de “notre environnement nature” » Ils se réinscrivent dans la dimension initiale de la définition du paysan à savoir «celui qui habite la campagne et cultive la terre137», c’està-dire celui qui a une terre et un toit. Pour eux, la condition paysanne relève d’un mode de vie, celui de l’« être au monde »: elle a donc une activité vivrière pour se nourrir correspondant à un « droit 134 Le Champ des possibles, de Marie-France Barrier. Diffusé le mercredi 20 décembre à 20h55 sur France 5. 135. MESINI Béatrice, « Résistances et alternatives rurales À la mondialisation », Études rurales, 169170 | 2004, 043-059. 136 Cf. Feuille paysanne n° 2 figurant dans Ots et al. [2001 : 21] in MESINI Béatrice, « Résistances et alternatives rurales À la mondialisation », Études rurales, 169-170 | 2004, 043-059. 137. http://www.cnrtl.fr/etymologie/paysan 88


Photographie personnelle, Plan d’Hotonnes, mai 2017

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coutumier » lié à l’usage. Mais « le droit à la ruralité englobe aussi les activités annexes qui lui sont liées depuis toujours, artisanales et culturelles (Buendia, Gilet et Mésini, 2001).138 » On passerait ainsi d’une agriculture paysanne « raisonnée » et contrôlée par des syndicats à une agriculture vivrière « minimaliste » qui organise l’échange et la passation des savoirs (J.Zask, 2017). Ce type d’agriculture, renvoie à un statut particulier de l’agriculteur, celui « d’agriculteur cotisant solidaire » contre « agriculteur à titre principale » pour les premiers. Ce statut de « cotisant solidaire » a été créé suite aux lois de modernisation et permettait aux paysans déracinés de « conserver une activité agricole de subsistance139 » sur une surface inférieure à dix hectares. Il permet aujourd’hui à beaucoup de néoruraux « de prendre pied dans l’agriculture en cultivant quelques hectares.140 » Il permet la vente de produits sans retraite ni sécurité sociale (Ogor, 2017). Plus ou moins « marginaux » ou « hors normes », le choix de ces paysans reflètent d’abord la volonté de répondre à des besoins vitaux (subsistance alimentaire principalement) puis celui de tendre à la construction d’une société idéale liée d’abord à une base territoriale proche et qui vise, par le système de réseaux à s’étendre. La diversification des productions ou des métiers et le lien avec d’autres paysans permettent d’avoir un large choix de denrées et de s’autonomiser le plus possible face à la société marchande. La pluri-activités permet de s’essayer à de nouvelles productions, de nouvelles techniques et de nouvelles variétés. Si la diversification ne se fait pas sur la ferme, elle peut se faire à l’échelle d’une plusieurs communes, permettant ainsi aux habitants de bénéficier d’un large choix de produits qui les dévie des « grands circuits de distribution » et qui permettent aux paysans de maîtriser leurs réseaux de distribution (Benezech, 2012). Ces paysans vendent donc leurs produits dans un périmètre restreint : sur les marchés locaux, en vente directe (sans intermédiaire) ou dans des magasins de producteurs. Cela leur permet de récupérer une plus forte valeur ajoutée à leur production et donc de récompenser leur travail et leur engagement local. D’autres proposent également de la vente à la ferme, permettant de compléter les ventes et de faire découvrir aux clients le lieu de production. L’implication locale est donc essentielle car elle vise le changement de la consommation de la société en général et défend par ce biais « des idées relatives à la fonction sociale de « paysan »141 ». Cette volonté de changement sociétal est perçue individuellement mais laisse aussi une place à la collectivisation : achat de terres, partage de terrains, mutualisation de matériel, entraide, etc. La vie en collectivité apporte également une souplesse dans le quotidien. En Haute-Vienne, une ferme Terre de Liens regroupe 11 ingénieurs agronomes qui se sont rassemblés pour travailler sur une ferme de 80 hectares. La production est très diversifiée et même si certains ont des affinités quant à certaines productions, tout le monde sait tout faire. En effet, une fois toutes les 11 semaines, une personne reste d’astreinte le week-end pour permettre aux autres d’être libres. Cette 138. MESINI Béatrice, « Résistances et alternatives rurales À la mondialisation », Études rurales, 169170 | 2004, 043-059. 139. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p.182 140. Ibid. 141. BENEZECH Danièle, « Des circuits courts pour un agriculteur entrepreneur ? », L’innovation verte. De la théorie aux bonnes pratiques, Peter Lang, 2012, pp. 253-270 90


organisation nécessite d’avoir un minimum de connaissances sur chacune des productions. Cela leur permet aussi d’organiser d’autres activités sur place notamment culturelles. À Saint-Franc, en Charteuse, une autre ferme Terre de Liens accueille un groupe de jeunes paysans. Si certains travaillent la terre ou élèvent des chèvres, d’autres ont créé l’association La Mijote. L’été l’association réorganise l’étable et l’investie pour des séances de projection de cinéma en plein air. Les événements sont organisés pour faire vivre la campagne et permettre aux voisins comme aux clients de profiter de l’énergie du groupe (concert, bar associatif, construction, etc.). « Ensemble, on a une part de créativité plus importante et on parvient mieux à s’en sortir. Dès qu’on s’y met à plusieurs on peut accomplir des miracles ! »

« La relation d’entraide, par excellence, dépend de liens sociaux, sentimentaux et

symboliques, et elle se différencie du troc ou de l’échange marchand (...). il existe une attente de retour de l’aide (...) qui peut également être différée dans le temps, assumée par un autre membre de la famille ou se traduire par une prestation qui n’est pas un effort de travail, mais un don de semences par exemple ou un geste d’amitié. Ces relations se maintiennent souvent bien au-delà de leur réel bénéfice matériel pour les participants. Précisément parce que la relation d’entraide, qu’elle soit bilatérale ou ternaire, produit des valeurs humaines spécifiques d’amitié, d’alliance, de confiance et de justice, valeurs qui contribuent elles-mêmes à la reproduction de ces relations ou prestations au sein d’un groupe humain 142»

La coproduction, la lutte pour l’autonomie, la réappropriation des savoir-faire, la diminution d’échelle et la multifonctionnalité (Courleux, 2016) sont autant de paramètres qui s’unissent également à la volonté d’auto-construire son habitat et ses outils de productions pour « s’émanciper de tout subside ».

b. L’habitude du bricolage et l’émergence de « l’architecture paysanne libre »

Les paysans tendent à ne plus subir la « gestion des masses » mais contournent et détournent les dispositifs administratifs ou normatifs en place (Ogor, 2017 : 181). Dans ces cas là, ce sont des groupes plus restreints de « dissidents » qui remettent en cause la gestion des fermes par des « valeurs comptables : UTH, UGB/ha, SAU, etc » et refusent de considérer leur métier comme une « gestion d’entreprise ». « On apprend à échapper à la vigilance des administrations et aux impératifs économiques de l’agriculture conventionnelle.143 » Il ne se considère pas comme des chefs d’exploitations correspondant à un cadre socioprofessionnel défini mais avant tout comme des paysans qui choisissent leur marge de manœuvre et qui bricole le quotidien. 142. SABOURIN Eric, « L’entraide rurale, entre échange et réciprocité », MAUSS, n°30, fev. 2007 pp.

198-217

143. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017, p.182 91


Photographie personnelle, Saint-Franc, juin 2017

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Cette notion de « bricolage », « fait de se livrer à des travaux manuels accomplis chez soi par économie » nous renvoie à celle de « débrouillardise», « gain obtenu par des moyens astucieux 144». Chacun de ces termes renvoie à une nécessité de faire avec sobriété et précaution. « La culture paysanne est une culture du peu, où le soin apporté aux choses l’emporte sur le bénéfice à en retirer » (Ots, Buendia, Gilet et Mésini, 2001) Elle fait écho à la « débrouille légendaire » du métier d’agriculteur qui sait tout faire et qui garde toujours de la matière pour réparer quelque chose. Elle renvoie également à l’architecture vernaculaire, « propre au pays et à ses habitants » c’est à dire implicitement liée aux ressources du territoire. Cette « culture paysanne » de l’habitat et de la construction est une richesse considérable en comparaison des présupposées de l’architecte seul. Elle vient se confronter à la vision figée qu’offre les écomusées des Parcs Naturels Régionaux. Je me permet de faire ce parallèle en regard de ma présence au colloque du réseau scientifique ERPS (Espace Rural Projet Spatial) qui s’est déroulé à la maison de l’écomusée de Marquèze en 2017. Son thème de travail durant deux jours, « l’alter-ruralité », coexistait avec l’environnement figée propre aux écomusées. La connaissance et l’analyse des transformations actuelles ne peuvent certainement pas se faire sans une clairvoyance sur les réalités sociales et économiques des territoires. Si certaines questions agricoles ont été évoquées, celle de l’auto-construction de l’habitat pour les « petits paysans », ceux qui travaillent sur des surfaces de moins de dix hectares n’a pas été évoqué. Pourtant, l’écomusée renvoie à l’attachement des pratiques d’antan, celles des paysans qui travaillaient sur des surfaces inférieures ou égales à ces 10 hectares. Certes cela ne correspond pas à la majorité des problématiques agricoles actuelles, mais ne sommes-nous pas sensé aborder la question de l’alter-ruralité ? Ces paysans, pas considérés comme des agriculteurs à part entière ne peuvent aspirer à la possibilité de construire sur les terres agricoles145 alors que bien souvent, ils n’ont pas acheté de bâtis, faute de moyens. A l’inverse des aspirations d’appropriation de l’environnement d’existence et de fabrication avec peu de moyens, les cadres normatifs induisent le respect de lois défiant la nécessité d’économie des ressources. Pour exemple, les normes écologiques concernant la « transition énergétique » et les conditions d’éligibilité aux subventions et assurances (Ogor, 2017) : c’est le choix de matériaux, et la nécessité de faire travailler des entreprises aux modes de construction normalisés qui priment. La possibilité d’autoconstruction ou même de réemploi des matériaux est prohibée. On préfère l’utilisation de matériaux issus d’industries polluantes et/ou bien souvent d’essences non locales pour la construction écologique. Ceci inhibe toute volonté de « débrouillardise » et inventivité possible de la part des paysans pourtant avides de cette liberté. De la même façon, la DJA (dotation jeune agriculteur) ne permet le financement de construction que si la fourniture et la pose est faite par l’entreprise. Mais une fois encore, les paysans (et leur réseau construit depuis plusieurs années) sont parvenus à se structurer pour répondre à leurs besoins en auto-construction, que ce 144. http://www.cnrtl.fr/definition/bricolage et http://www.cnrtl.fr/definition/d%C3%A9brouille 145. Les lois de modernisation ont encadré la possibilité de construire sur les terres agricoles : seuls les agriculteurs (à titre principale) ont le droit de construire. 93


soit de bâtis comme de matériel agricole. Pour exemple, l’action de l’association dASA (Développement Animation Sud Auvergne) a pour but initial « d’œuvrer avec d’autres pour que les territoires ruraux soient des lieux vivants mêlant vie économique, échanges, partages et réflexions146 ». Elle a fait le constat que si les paysans d’avant avaient de réel savoirs et savoir-faire en terme constructif, aujourd’hui, les nouveaux installés ne savent plus faire grand-chose et se trouvent désarmés quand ils veulent s’installer à moindre frais. Cela engendre une incapacité d’autonomie complète et caractériser le paysan de « débrouillard » n’est plus forcément représentatif aujourd’hui. L’association s’est donc donnée pour mission de combler les manques et donne des formations à l’auto-construction147. Pour cela, elle organise sur deux cessions de deux journées des moments d’échanges, de conception et de visites pour permettre au futur installé d’avoir un regard complet sur ses possibilités d’action : la visite d’autres fermes auto-construites permet de se confronter aux problématiques et solutions dans un cadre réel, l’aide à la conception leur permet d’anticiper des questionnements et d’avoir des outils de conception (prendre en compte le paysage, anticiper l’agrandissement éventuel, choisir des matériaux adapté à l’usage, anticiper les hauteurs, etc.) L’importance de l’ergonomie des bâtiments de travail est aussi mise en avant car « économiser cinq minutes sur une tâche comme la traite par exemple, ça permet d’en économiser dix par jours, soixante-dix par semaine, etc. » Un couple architecte-technicien bois permet de répondre à un large panel de problématiques allant de la conception à la réalisation du bâtiment. La problématique de la rénovation se pose également, pour ceux qui rachète des corps de ferme, mais cela complexifie la possibilité d’aide, car l’intervention sur de l’existant nécessite une connaissance de l’environnement bâti. Ces formations, localisées sur un environnement donné, permettent aux jeunes installés de rencontrer d’autres paysans alentours mais n’offrent pas nécessairement la richesse de formations ouvertes à d’autres autoconstructeurs ou artisans du bâtiment. La capacité de « faire réseau » pourrait certainement se déployer davantage. L’atelier paysan est une autre structure dispensant des formations à l’auto-construction de bâtiments agricoles mais surtout de machines adaptées à l’agriculture paysanne. Cette « coopérative d’auto-constructeurs » accompagnent les agriculteurs dans la conception et la réalisation de ces outils de travail dans le but de « retrouver une souveraineté technique et la possibilité de se réapproprier savoirs et savoir-faire ». Au delà des formations et rencontres organisées, le site de l’Atelier Paysan accueille un forum, qui « se veut une plate-forme d’échange pour les agriculteurs autoconstructeurs adhérant aux valeurs de la bio ». Le but est de faire progresser la communauté par la diffusion des inventions ou des modifications d’outils effectués au travers de retours d’expériences enrichies de supports visuels. Un volet sur « l’architecture paysanne libre148 » illustre également toutes les réponses trouvées aux besoins des éleveurs et des cultivateurs. Ceci permet d’orienter de choix de matériaux à privilégier pour leur résistance par exemple ou encore de la 146. https://associationdasa.fr/ 147. J’ai assisté à l’une de ces formations les 14 et 15 décembre 2017 à Brioude 148. http://forum.latelierpaysan.org/architecture-paysanne-libre.html 94


nécessité de tout faire soi-même ou de déléguer certains lots à des entreprises pour permettre le fonctionnement de la ferme en annexe. Cela pose donc la question de la place de l’architecte dans ces réalisations, s’il peut en avoir une. En mars 2016, l’Atelier Paysan ainsi que la FADEAR, l’interAFOCD, le réseau des CUMA, et l’UMR Innovation AgroParisTech, ont participé à un séminaire organisé dans le cadre du projet de Mobilisation Collective pour le Développement Rural (MCDR) (2015-2018) autour de l’innovation par les usages en agriculture149. La réflexion, plus large, est portée par le Pôle InPACT National autour de la « Souveraineté technique des paysans, d’un Commun agricole et alimentaire ». Le but du travail étant « d’identifier et accompagner les innovations par les usages, situer, analyser, comprendre et donc apprendre ces pratiques, élargir les champs et croiser les approches et apprendre des autres, créer des livrables pour mutualiser, témoigner, diffuser, partager largement les enseignements de ces travaux. L’usager impliqué, devient producteur d’une partie de la réponse à ses besoins, il n’est donc plus passif mais est moteur de la réponse au service dont il a besoin.

149. https://www.latelierpaysan.org/Plaidoyer-souverainete-technologique-des-paysans 95


Photographie personnelle, Villeneuve-de-Marc, septembre 2017

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CONCLUSION ET OUVERTURE VERS LA MENTION RECHERCHE Les alternatives misent en place en agriculture s’illustrent par un foisonnement d’organisations collectives aux buts variés mais concordant tous vers un même idéal : celui de « repaysanisation » (Van Der Ploeg, 2014) des territoires ruraux. Ce mouvement se met particulièrement en place suite à l’arrivée « d’individus n’étant pas forcément issus de parents eux-mêmes agriculteurs, mais cherchant dans l’agriculture un projet de vie ou un complément d’activité150 » et par la volonté de certains agriculteurs de réorienter leur système de production pour s’extirper de l’emprise croissante de l’empire agroalimentaire. C’est donc face à une prise de conscience, interne et externe au métier, que la mutation d’une profession normalisée et encadrée par le système d’intégration des exploitations a pu s’organiser. Il ne faut toutefois pas adopter un regard naïf. Comme toutes organisations, celles autour des alternatives agricoles ne vivent pas qu’un quotidien idyllique. La nécessité, pour les organisations avec des salariés, de garder des financements stables est délicate à cause des changements politiques. De la même façon, la posture des nouveaux installés n’est pas toujours engagée et claire. Ils peuvent avoir une représentation idéalisée du monde paysan et de la communauté villageoise, véhiculée par la société mais aussi certains réseaux. « Associée à un rêve de symbiose, la confrontation avec la réalité leur impose le plus souvent de faire leur deuil151». Mais les conflits passés laissent aujourd’hui place à des formes d’intégration de plus en plus courantes (exercice de fonctions locales ou syndicales, relative revitalisation démographique, création de projets culturels, etc.) Plus largement que des volontés individuelles, ces formes de « résistances paysannes collectives » renseignent l’espoir d’un contre-projet de société plutôt que le refus de la modernité. Le monde agricole est-il en train d’entamer sa propre révolution ? Les modes d’organisation et de travail implantées localement permettent de retrouver une force de réflexion et d’action collective permettant de s’appuyer sur l’énergie et les ressources du groupe. Les territoires révèlent alors leurs spécificités sociale et culturelle oubliées avec l’industrialisation et l’uniformité des productions.

150. COURLEUX Frédéric, « note de lecture du livre de VAN DER PLOEG Jan Douwe, Les paysans du XXIè siècle : mouvement de repaysanisation dans l’Europe d’aujourd’hui », Economie rurale, 351, janv.fev. 2016 151Issue de la note de lecture de JESSENNE Jean-Pierre sur le livre de ROUVIERE Catherine, Retourner à la terre. L’utopie néo-rurale en Ardèche depuis les années 1960, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p .197 97


Ceci fait écho au concept développé par l’urbaniste italien Alberto Magnaghi de « biorégion urbaine », qui renoue avec le patrimoine territorial pour favoriser l’auto-développement local et durable. Reprenant les aspirations individuelles des individus promouvant l’agriculture paysanne, le territoire serait constitué d’un réseau d’agglomérations autonomes, autogérées et interconnectées, développant des économies et des cultures locales en accord avec l’environnement. Comment l’architecte peut-il donc redéfinir son métier pour s’insérer dans cette utopie à concrétiser ? Le but de ce travail était de comprendre les modes d’organisation du monde paysan essayant de s’inscrire dans un modèle de société alternatif, c’est-à-dire détaché du système productiviste lié à l’économie capitaliste actuel. Comment donc, en tant qu’architecte, parvenir à ne pas être intégré au système ? C’est en réempruntant la méthode développée pour ce travail, à savoir, un retour historique pour mieux mettre en exergue les enjeux actuels de la profession que je souhaite pouvoir poursuivre ce mémoire en mention recherche. L’architecte ne peut-il exercer son métier qu’en étant inscrit à « l’Ordre » ? Qu’elle place et rôle avant l’architecte auparavant ? Depuis quand est-il qualifié de « maître d’œuvre » ? Dans toutes ces terminologies, beaucoup de mots me semblent aujourd’hui inappropriés. Au-delà de problématique linguistique, c’est aussi la question de la marge de manœuvre de l’architecte qui se pose : quelle dépendance a-t-il face aux normes et à l’industrie du bâtiment ? Qu’est-ce que la loi lui permet ? Comment exercer cette profession sans nourrir l’environnement néfaste du système et utiliser, au contraire, son énergie à la construction d’une utopie ? La terre, qui est notre patrimoine naturel, culturel est un élément duquel on ne peut se détacher. C’est ce qui nous construit. L’environnement ou plutôt le milieu ambiant fait partie intégrante de notre territoire et donc de notre façon de vivre et d’appréhender les lieux. « Connaître les racines du milieu dans lequel on vit, son histoire, c’est soi-même former et ancrer ses racines dans un milieu ambiant qui nous est propre152 » Comment l’architecte, dans la volonté de s’inscrire dans une pratique soutenable, peut-il donc œuvrer pour le respect de ce patrimoine naturel ? Seraitce en produisant soi-même la matière nécessaire à la construction ? Envisager ces possibilités passent par un nouveau questionnement complet de son rôle dans la société. Resterons-nous architecte c’est-à-dire un individu qui exerce « art, science et technique de la construction », ou bien redeviendrons nous charpentier ou bâtisseur ? Posé différemment, on pourrait même se demander si ce n’est pas l’action directe, avec ces mêmes paysans qui œuvrent quotidiennement dans le respect de nos « racines » qui permettrait de répondre au mieux aux enjeux sociétaux et professionnels. Ce positionnement pourrait remédier au vide architectural entourant la question des conditions de vie paysannes (Terre de Liens a toutefois engager un travail sur la question) mais ne serait-ce pas là limiter sa capacité à envisager la problématique d’une façon plus large ?

152. FRAMPTON Kenneth 98


« Disons-le une bonne fois : il n’y a pas d’agriculture industrielle, il n’y a qu’une industrialisation du monde à laquelle l’agriculture n’échappe pas.153 » De la même façon, il n’y a pas d’architecture industrielle, il n’y a que l’architecture dans un monde industrialisé. Si on refuse cette industrialisation générale, est-il encore possible de faire de l’architecture vernaculaire ? « L’architecture paysanne libre », « l’auto-construction » à base de récupération de matériaux ou encore « l’architecture ordinaire » image véhiculée dans lors de la biennale d’architecture de Venise, constituent-elles une réponse à ces questionnements ? Tous ces termes ne sont-ils pas une construction du bien fondée de l’architecture actuelle qui cherche à se renouveler ?

153. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, p.226 99


BIBLIOGRAPHIE ARTICLES SCIENTIFIQUES BENEZECH Danièle, « Des circuits courts pour un agriculteur entrepreneur ? », L’innovation verte. De la théorie aux bonnes pratiques, Peter Lang, 2012, pp. 253-270 BOURNEL-BOSSON Maryse, « Analyse du travail et revitalisation du collectif » in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, pp. 225-236 BRUNIER Sylvain, « Des intermédiaires sur mesure : les conseillers agricoles ont-ils été des modernisateurs (1945-années 70) ? », Varia, Vol. 5, n°3, juil.-sep. 2016, pp. 59-81 CALAME Matthieu, « L’agroécologie envoie paître l’industrie », Revue Projet, vol. 332, n°1, 2013, pp. 50-57 CORDELLIER Serge. « L’émergence de groupes promouvant des systèmes de production « différents » », Pour, Vol. 196-197, n°1, 2008, pp. 220-229. CORDELLIER Serge, MENGIN Jacqueline, « Les associations agricoles et rurales, l’État et les politiques publiques », Pour, n°201, fev. 2009, pp. 51-68 COURLEUX Frédéric, note de lecture du livre de VAN DER PLOEG Jan Douwe, Les paysans du XXIè siècle : mouvement de repaysanisation dans l’Europe d’aujourd’hui, Economie rurale, 351, janv.-fev. 2016 DELÉAGE Estelle, SABIN Guillaume, « Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles », Ethnologie française, Vol. 42, n°4, 2012, pp. 667-676. DEMEULENAERE Elise et BONNEUIL Christophe, « Des Semences en partage », Techniques & Culture, 57 | 2011, 202-221. DUJARIER Marie-Anne, « Qu’est ce qui m’arrive au travail ? Actualité de la recherche-action clinique » in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, pp. 83-94 FAVRELIERE Vincent, « Le lieu-test agricole, une étape vers l’installation », Pour, n°201, fev. 2009, pp. 135-142

100


HOUSSEL Jean-Pierre, « Des débuts de la révolution fourragère dans le lyonnais à la modernisation en petite culture », Conclusion, Géocarrefour, vol. 81/4, 2006 JESSENNE Jean-Pierre, « L’idéologie de la terre : Entre glorification des terroirs, mystique de l’unité et interrogations sur la ruralité, l’idéologie paysanne occupe une place centrale dans l’univers politique contemporain », in Les paysans en France, n°1040, pp. 22-23 JESSENNE Jean-Pierre, note de lecture du livre de ROUVIERE Catherine, Retourner à la terre. L’utopie néo-rurale en Ardèche depuis les années 1960, Presses universitaires de Rennes, 2015, p .197 LAMY Jérôme. « Le grand remembrement. La sociologie des savoirs ruraux depuis les années 1950 », Zilsel, Vol. 1, n°1, 2017, pp. 263-291. MENDRAS Henri, « L’invention de la paysannerie : Un moment de l’histoire de la sociologie française d’après guerre », Presses Universitaires de Sciences Po, Vol. 41, n°3 (jul. - sept. 2000), pp. 539-552 MESINI Béatrice, « Résistances et alternatives rurales À la mondialisation », Études rurales, 169170 | 2004, 043-059. MIALOCQ Madeleine, avec la collaboration de DALBAVIE Brunelle, « Habiter une ferme Terre de Liens, Enjeux et perspectives », Pour, n° 225, Janv. 2015, pp. 139-145 MUNDLER Patrick, « Les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne : solidarité, circuits-courts et relocalisation de l’agriculture », Pour, février 2009, pp.155-162 NICOURT Christian, note de lecture du livre de SALMONA Michèle, Souffrances et résistances des paysans français, Éditions L’Harmattan, 1994, 254 p., Ruralia, 06 | 2000 RONDEPIERRE Serge, « Terre de liens, pour l’accès collectif au foncier », Pour, n°201, fev. 2009, pp. 143-147 SABOURIN Eric, « L’entraide rurale, entre échange et réciprocité », MAUSS, n°30, fev. 2007, pp. 198-217

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SALMONA Michèle, « Des paysannes en France : violences, ruses et résistances », Cahiers du Genre, Vol. 35, n° 2, 2003, pp. 117-140. SALMONA Michèle, « Une pensée de l’action avec la nature et le vivant : la Mètis et Jean-Pierre Vernant » in Agir en clinique du travail, dir. CLOT Y. et LHUILIER D., ed. Eres, 2010, pp. 185-202 SIGAUT François, Centre de recherches comparatives et interdisciplinaires, groupe international « Ecologie et Sciences Humaines », 1974 in SALMONA Michèle, Les paysans Français, Ed. L’Harmattan, 1994, 346p.

OUVRAGES SCIENTIFIQUES ALARY Eric, L’histoire des paysans français, Ed. Perrin, 2016, p.10 BETEILLLE Roger, Que sais-je ? La crise rurale, Presses Universitaires de France, 1994, 127p. JESSENNE Jean-Pierre, Les campagnes françaises, entre mythe et histoire (XVIIIème-XXIème siècles), Ed. Armand Colin, 2006, p.55 MENDRAS Henri, La fin des paysans, Babel, 1984, 437p. ROBERT Michel, Que sais-je ? Sociologie rurale, Presses Universitaires de France, 1986, 125p. ROULLAUD Elise, Contester l’Europe agricole, la Confédération Paysanne à l’épreuve de la PAC, Presses universitaires de Lyon, 2017, 227p. SALMONA Michèle, Les paysans Français, Le travail, les métiers, la transmission des savoirs, L’Harmattan, 1994, 346p.

ESSAIS BITOUN Pierre, DUPONT Yves, Le sacrifice des paysans ; une catastrophe sociale et anthropologique, L’échappée, 2016 LEFEBVRE Henri, La pensée marxiste et la ville, Casterman, 1972

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GUILLUY Christophe, La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, 192 p. NOULHIANNE Xavier, Le ménage des champs, chronique d’un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville, septembre 2016, 248 p. OGOR Yannick, Le paysan impossible, récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, juin 2017, 214 p. PLASSARD François, La vie rurale, enjeu écologique et de société, Ed. Yves Michel, 2003, 141p. ZASK Joëlle, La démocratie aux champs, Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques, Les empêcheurs de penser en rond, éditions La Découverte, 2016, 237p.

DOCUMENTAIRES - ÉMISSIONS BARJOL Jean-Michel et DUSSOURD Henriette, Paysans d’autrefois, les communautés familiales et agricoles, juin 2004, 57min BARRIER Marie-France, Le Champ des possibles, octobre 2017, 68min BORREL Philippe, L’urgence de ralentir, 2014, 84min DHELSING Marie-Dominique, Pierre Rabhi, Au nom de la terre, 2013, 98min GINTZBURGER Anne, Les champs de la colère, 2017, 70min MAURION Audrey, Adieu Paysans, 2014, 63min ORIOT Eric, Remuer la terre, c’est remuer les consciences, 2013, 38min VESCOVACCI Nicolas, Pour quelques hectares de plus, 2016, 70min « Journal breton – saison 2 », Les pieds sur terre, émission France Culture

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REMERCIEMENTS Au delà des remerciements, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à Sandra Fiori, qui m’a encouragée et soutenue dans ce travail qui ne s’inscrit pas directement dans l’élaboration d’un mémoire de fin de master en Architecture. Les nombreux échanges et journées passées dans les Monts du Lyonnais, ont été une expérience très riche dans la découverte du « monde scientifique ». Je tiens également à témoigner ma gratitude envers les membres de Terre de Liens que j’ai rencontré et qui illustrent l’importance de l’action bénévole dans les territoires ruraux. Aussi, je souhaite préciser que tous les paysan.ne.s rencontré.e.s durant cette année de travail ont été un terreau très fertile de réflexion mais m’ont aussi conforté dans l’idéal d’une pratique engagée au delà des normes imposées par la société. L’énergie et le goût pour les discussions collectives de toutes ces personnes ont appuyé ma détermination à l’élaboration de ce travail. Ce mémoire n’aurait pas eu la même résonance sans tout le soutien et la bienveillance que m’ont apporté mes sœurs et mon ami qui m’ont supportés durant tous ces mois de questionnements. Les débats mais aussi les relectures pointilleuses qu’ils m’ont accordés ont été un soutient précieux. Enfin, je tiens à souligner la place de mes parents dans ce travail qui indirectement et de part la pratique de leur métier m’ont sensibilisés à la nécessité de l’épanouissement dans le travail, au delà de l’agriculture et de la nécessité de faire avec peu.

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« Les hommes peuvent fort bien vivre sans travailler, ils peuvent forcer autrui à travailler pour eux et ils peuvent fort bien décider de profiter et de jouir du monde sans y ajouter un seul objet utile […]. Mais une vie sans parole et sans action […] est littéralement morte au monde ; ce n’est plus une vie humaine, parce qu’elle n’est plus vécue parmi les hommes. […] C’est par le verbe et l’acte que nous nous insérons dans le monde humain » (H. Arendt, 1994).


Qu’est ce que l’architecte peut apprendre des alternatives économiques collectives dans «l’agriculture paysanne» ? Ce travail, construit en deux temps, vise à comprendre comment l’architecte peut repenser sa pratique pour exercer selon un autre modèle (politique, économique, culturel). Cette première partie a pour but de répondre à la question suivante : Comment le réseau d’acteurs rebondit face aux problématiques de la profession d’agriculteur (crises des productions, transmission-reprise des fermes, dépossession du métier) ? Cette recherche s’est construite sur l’hypothèse que les difficultés économiques vécues sur les territoires ruraux induisent l’émergence d’alternatives économiques (Guilluy, 2014) ; cette recherche d’alternatives se construit dans l’agriculture grâce à un travail collectif et sur une quête d’autonomie par la «débrouillardise». Ce mémoire s’appuie sur l’engagement dans une association regroupant des citoyens achetant collectivement du foncier agricole (Terre de Liens) ainsi que sur un travail de recherche développé durant un stage au sein du laboratoire EVS-Laure (enquête exploratoire sur les Monts du Lyonnais : participation à des événements, entretiens avec élus, agriculteurs, techniciens du territoire). Il constitue la première partie d’un travail qui souhaite se poursuivre en une mention recherche sur le rapprochement à la pratique de l’architecture.


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