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Les annonceurs de la presse

La publicité et la presse féminine, grande histoire d’amour

Avec des prix avoisinants les deux euros et jamais plus chers que cinq euros, la presse féminine vit grâce à la publicité. Mais l’attente des annonceurs dépasse parfois les lignes éditoriales.

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« La presse féminine a une spécificité qu’on retrouve moins chez ses concurrents. Il s’agit de son fort lien de dépendance aux revenus publicitaires », rappelle Clémence Rolin, ancienne journaliste de presse féminine et autrice d’un mémoire de recherche, Magazine féminin et information : Étude de cas dans Grazia. Dépendance, mais pas seulement. « Les partenariats avec des marques influencent aussi le contenu des rubriques. Notamment en beauté, où les journalistes recommandent des produits. Ce plein pouvoir de l’annonceur participe à façonner l’image d’une femme marketée et superficielle. C’est malheureusement le talon d’Achille de cette presse... Toutefois, il faut savoir nuancer son propos : il y a des enquêtes sérieuses, publiés dans les colonnes des magazines féminins », ajoute-elle.

La baisse des investissements publicitaires

Et cette dépendance est d’autant plus importante en ces temps où la presse féminine se vend moins. Car il est dur de refuser une publicité lorsque les annonceurs se tournent davantage vers les réseaux sociaux. Selon l’article La presse féminine en plein bouleversement, publié dans Les Echos et écrit par Marina Alcaraz et Nicolas Madelaine le 22 mars 2018, « c’est surtout côté publicité que la chute a été rude. » Ainsi, la presse féminine, qui était jusqu’alors le premier secteur d’investissement de la pub dans les magazines, « a enregistré une baisse de 11 % de ses investissements publicitaires bruts (hors promotions), et de 11 % du nombre de pages (hors encarts) », en 2017.

Relation saine ou malsaine ?

Les points de vue diffèrent. Soit, la publicité engendre une sacrée contradiction : « parfois entre des sujets hyper graves, il y a parfois à côté une pub PRADA », s’exprime Gaëlle Rolin, ancienne journaliste du Madame Figaro. Parfois, à côté d’un sujet pour se sentir bien dans sa peau, il y a l’image d’une femme très mince [ndlr : voir l’article sur le bodypositivisme]. C’est une situation « compliquée », que nous rappelle Gaëlle. « Lorsque tu parles de quelque chose, tu ne le dézingues pas. Si tu n’aimes pas, tu n’en parles pas. Car il y a de fortes chances que ce soit des annonceurs. Surtout que telle boîte est dans tel gros groupe… Les journalistes malheureusement doivent accepter, ils n’ont pas trop le choix. » Mais pour Lisa Bron, rédactrice en chef de LYFE, même si « cela participe au fait que les femmes pensent que les féminins sont dédiés aux riches, [parce que] ce sont les marques de hautes coutures qui ont les moyens de payer de la publicité », c’est une relation saine. « À partir du moment où on choisit ses annonceurs…par exemple si on est engagé contre la fourrure, on ne met pas d’annonceurs qui en vendent, […] je pense que c’est un fonctionnement qui est sain. » Et Claire Sassonia, ancienne rédactrice en chef d’Aufeminin, partage son avis : « la publicité elle est nécessaire, parce qu’elle permet à la presse de survivre. […] C’est le rôle des médias d’éduquer les annonceurs vers des publicités plus inclusives, moins injonctives. C’est timide, c’est lent, mais ça bouge quand même. »

Dans un panel de douze magazines féminins de mars 2020 (Vogue, Vanity Fair, BIBA, ELLE, Femme Actuelle, Avantages, Glamour, Marie Claire, Grazia, Causette, Madame Figaro et Cosmopolitain), il y a en moyenne 29,66% de pages de publicité / © Clémence Bouquerod