Réunion commune du bureau de l'Assemblée Nationale et du Präsidium du Bundestag à Marseille - BREXIT

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Discours de Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale Les suites du référendum britannique sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne Marseille, Préfecture – Lundi 6 février – 9h

Monsieur le Président, cher Norbert, Chers collègues, Chers amis, Je n’ai pas de mots assez chaleureux pour exprimer l’honneur que je ressens à me retrouver à nouveau devant vous. Le dialogue que nous aurons ce matin me semble fondamental pour construire une réponse commune à deux des grands défis auxquels l’Union doit faire face aujourd’hui. Le vote des Britanniques en faveur du « Brexit » constitue évidemment un tournant historique majeur. Il porte un coup d’arrêt à la construction européenne telle que nous l’avons connue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale : pour la première fois, l’Union européenne vit l’expérience du rétrécissement. Pour la première fois, un peuple se sent plus protégé hors de l’Union qu’en son sein. Il est pour moi fondamental que les parlements nationaux se saisissent dès maintenant de ce sujet. C’est pourquoi, dès juillet dernier, j’ai souhaité qu’une mission d’information soit créée à l’Assemblée nationale, afin d’identifier les grands enjeux économiques, politiques, stratégiques posés par le Brexit, d’informer nos citoyens et de contrôler l’élaboration de la position française en amont des négociations. Après plusieurs mois d’auditions, cette mission 1/6


d’information, dont je dirige les travaux, adoptera ses conclusions le 15 février prochain. Au terme de ces six mois de réflexion, de nombreuses incertitudes subsistent. Le discours prononcé par la Première ministre Theresa May à Lancaster House le 17 janvier n’a pas dissipé le brouillard qui entoure la position britannique. Dès le déplacement d’une délégation de notre mission à Londres en novembre dernier, il apparaissait que l’on s’acheminait vers un Brexit « dur ». Ce discours n’a donc rien apporté de véritablement nouveau, même s’il a enfin apporté des éléments de clarification indispensables, en confirmant que le Royaume-Uni souhaite sortir du marché intérieur, mais aussi de l’Union douanière. La Première ministre a explicitement confirmé ce que nous savions déjà : le gouvernement britannique souhaite obtenir le plus possible des avantages de l’Union européenne. Il veut protéger les services financiers londoniens et l’industrie automobile britannique, mais sans en endosser les contreparties. Si de nombreux doutes persistent donc quant aux modalités de ce « Brexit », j’ai en revanche acquis au cours des six derniers mois une certitude : la cohésion des Vingt-Sept sera une condition absolument déterminante de la réussite des négociations pour l’Union. Le sommet de Bratislava, en septembre, a envoyé un signal fort d’unité, mais il ne faut pas minimiser le risque que les négociations à venir fassent émerger de nouvelles divisions entre Etats membres, nouvelles divisions dont l’Union pourrait ne pas se remettre. Pour prévenir ce risque de divisions, il me semble notamment primordial de promouvoir une approche globale des négociations. Il faut éviter de conduire des négociations « secteur par secteur », qui pourraient raviver inutilement des tensions entre Etats membres. 2/6


Le couple franco-allemand devra être le ferment de cette unité des Vingt-Sept. Hier comme aujourd’hui, nos deux nations ensemble doivent être au rendezvous de l’Histoire. Nos deux pays, dont le poids sera mécaniquement revalorisé dans une Union européenne amputée du Royaume-Uni, auront la responsabilité de produire des positions de compromis acceptables par tous, et de le faire au moyen d’un travail de préparation et de conviction des pays dont ils sont le plus proches. Cette tâche sera d’autant plus difficile que des séquences électorales s’ouvrent aujourd’hui dans nos deux pays, mais je sais que la force de notre relation nous le permettra. Notre priorité, dans ces négociations, devra être de préserver la cohérence et la solidité de l’édifice européen, patiemment construit pierre par pierre depuis plus de cinquante ans. Je vous le dis : il est si difficile de construire alors qu’il est si facile de détruire. Préserver l’intérêt de l’Union avant tout, c’est ce que les Vingt-Sept ont déjà réussi à faire en conditionnant l’accès au marché unique à l’acceptation des quatre libertés fondamentales. Ce principe, répété tout au long du semestre, a finalement été entendu par les Britanniques. Il ne s’agit pas d’une pure position de principe, loin de là. La liberté de circulation est une liberté fondamentale du projet politique européen, le marqueur d’un projet construit au bénéfice des citoyens, le principal acquis populaire de l’Europe, acquis que les jeunes de nos pays se sont pleinement approprié. Cette liberté n’est pas négociable. Affirmer l’indivisibilité de ces quatre libertés était un préalable nécessaire. Plus largement, il nous faudra rappeler sans cesse, au cours de ces négociations, que l’Union européenne est un tout, qu’elle est issue d’une addition de différents points d’équilibre. Si nous fragilisons ses fondations, nous prenons le risque qu’elle s’écroule.

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Prenons l’exemple de la Cour de Justice : le Royaume-Uni souhaite s’en émanciper, mais comment accepter dans ce cas qu’il continue à faire partie intégrante de certaines politiques européennes ? L’ordre juridique européen est fondé sur l’unicité du droit et sur son application effective dans l’espace européen : remettre ce principe en cause menacerait sa viabilité. Depuis les Lumières, il n’y a pas de liberté sans droit, il n’y pas d’espace politique sans ordre juridique. Bien sûr, nous avons intérêt à trouver un accord avec les Britanniques pour faciliter le plus possible nos relations commerciales. Aujourd’hui, aucun pays tiers entretenant une relation privilégiée avec l’Union ne bénéficie d’un statut tel que le souhaite le Royaume-Uni, et pour cause : ce serait inacceptable. Mais je n’oublie pas non plus qu’aucun de ces pays ne dispose d’un poids équivalent à celui du Royaume-Uni dans l’économie européenne et mondiale. Rappelons toutefois que 44% des exportations britanniques sont aujourd’hui dirigées vers le marché intérieur. Seulement 16% de ces exportations vont vers les Etats-Unis, et moins de 2% vers l’Inde… Il faut conserver cette asymétrie à l’esprit, et ne pas se laisser prendre au piège d’un discours de politique intérieure, qui tenterait de nous faire croire que l’Union a autant besoin de l’économie britannique que l’économie britannique a besoin de l’Union. Les entreprises allemandes que j’ai rencontrées lors de mon déplacement à Berlin en décembre ont d’ailleurs clairement souligné que, pour elles, la consolidation du marché intérieur était prioritaire sur le maintien des débouchés britanniques. Cette question du statut futur du Royaume-Uni ne peut pas et ne doit pas être notre priorité. Ce n’est pas dans notre intérêt, et ce n’est pas non plus le texte du traité. Les négociations devront d’abord porter sur les aspects liés au divorce luimême, y compris sur question épineuse de la charge financière qui pèsera sur le 4/6


Royaume-Uni du fait de sa sortie. L’obtention d’accords sur de nombreux sujets devra constituer le préalable à toute relation future. Je voudrais insister sur un point qui me semble fondamental. Contrairement à une idée préconçue qui semble prévaloir notamment au Royaume-Uni, la France ne souhaite aucunement « punir » les Britanniques. Elle ne sera dans les négociations à venir ni dogmatique ni intransigeante. Elle n’a pas aujourd’hui une position différente de celle de ses partenaires européens. J’ai d’ailleurs été frappé, lors de nos entretiens avec des membres du Bundestag et avec votre secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Michael Roth, de la convergence de nos points de vue. Au contraire, je suis intimement persuadé de la nécessité de rechercher les meilleurs accords possibles avec le Royaume-Uni, dans l’intérêt des citoyens européens. Ne fermons pas la porte au Royaume-Uni s’il souhaite être étroitement associé à des politiques communes – je pense notamment à la coopération scientifique et universitaire – et assurer au côté des Etats membres la sécurité de l’Union. Nous n’avons qu’une seule ligne rouge : de tels compromis ne devront en aucun cas se faire au détriment du projet européen. Pour cela, il faudra également éviter de jeter toutes nos forces dans ces négociations, car l’Union européenne doit aujourd’hui se battre sur beaucoup d’autres fronts. Evidemment, le risque d’enlisement ne pourra pas être totalement évité : il y a en effet tant de sujets à aborder pour trouver un accord ! Il faudra toutefois limiter les dommages collatéraux en allant à l’essentiel. Avec ou sans Brexit, l’Union doit continuer à avancer. Mais il ne suffit pas de dire que l’Union doit continuer à avancer : encore faut-il savoir vers où. Faire comme si de rien était – « business as usual », pour reprendre l’expression britannique - serait une erreur tragique. Le sommet de Bratislava a permis de faire émerger des orientations concrètes autour de 5/6


grandes priorités, au premier rang desquelles la sécurité intérieure et extérieure de l’Union. Le Royaume-Uni contribuait de manière fondamentale, bien qu’ambigüe, à cette sécurité. Sa sortie et les possibles inflexions de sa politique étrangère ne feront que rendre plus criant le besoin d’approfondir notre coopération policière et en matière de renseignement, de créer un parquet européen, de se doter d’une véritable défense européenne et d’affirmer la place de l’Union sur la scène internationale. Mais il faudra toutefois aller beaucoup plus loin. Comme toute rupture historique, le Brexit est le symptôme d’une tendance profonde, en l’espèce d’une fracture bien plus grave : celle qui s’est creusée entre l’Union européenne et les citoyens européens. L’absence de réponse à ce défi majeur serait au mieux une faute coupable, et au pire une marque de mépris à l’égard des peuples. Le Brexit ne fait donc pas disparaitre la principale question qui se pose à nous, bien au contraire : quelle Europe voulons-nous construire? Il y a plus de soixante ans, devant le Bundestag, Konrad Adenauer déclarait : « L’unité de l’Europe était le rêve de quelques-uns. Elle est devenue l‘espoir d’une multitude. Elle est aujourd‘hui une nécessité pour nous tous. Elle est nécessaire pour notre sécurité, pour notre liberté, pour notre existence en tant que nation et en tant que communauté de peuples créatifs et inventifs ». Il faudra recourir à cette créativité, mais aussi faire preuve d’une volonté politique sans faille, pour, d’un côté, organiser le départ des Britanniques, et, de l’autre côté, reprendre le fil d’un récit européen. Amis allemands, amis français, souvenonsnous du projet des Pères fondateurs, de cet héritage que nous portons tous en nous, au fond de notre cœur. Monnet, Schuman, Adenauer, Spinelli nous ont légué un devoir de philosophie, et certainement pas un devoir de gestion. A nous, ensemble, main dans la main, de trouver la force et le courage de continuer à éclairer l’avenir de l’éclat de leurs flambeaux.

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