discours slovaquie ambassadeurs de l'UE

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Discours de Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale Réunion des ambassadeurs de l’Union européenne Ambassade de Slovaquie, 10 octobre 2016 Monsieur l’Ambassadeur Marek Estok, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Je vous remercie chaleureusement, Monsieur l’Ambassadeur Marek Estok, pour cette invitation dont je sais qu’elle sera très fructueuse. J’ai transmis à mon homologue slovaque Andrej Danko, président du Conseil national de la République slovaque, mes excuses pour ne pas avoir honoré son invitation à Bratislava, où nous devions, nous les présidents de Chambres parlementaires européennes, poursuivre il y a trois jours les débats que nous avons eus à de nombreuses reprises en d’autres enceintes, et que nous aurons encore. Mais je me rattrape ce matin, puisque nous sommes, tous ici entre les murs de l’Ambassade, sur le territoire national de Slovaquie. Je remercie également tous les diplomates présents pour leur présence en ce début de semaine. A travers nous, toute l’Europe, toute l’Union européenne, ce matin, se parle les yeux dans les yeux. J’ai depuis le début de mes fonctions de président de l’Assemblée nationale un ferme désir de participer, de tout mon travail, de tous mes efforts, à l’intégration et à la consolidation de l’Union européenne. J’ai beaucoup travaillé avec mes homologues, je les vois souvent.

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Nous travaillons selon des rythmes et des degrés de coopération différents les uns avec les autres, mais c’est aussi comme cela que l’Europe, à des moments critiques, dépassent ses différences pour tendre vers son idéal. Que l’Union européenne soit en crise, peu de gens le nient. Pour la première fois, un peuple souverain a considéré qu’il serait mieux protégé en-dehors de ses frontières qu’en son sein. Référendum après référendum, nos peuples crient leur désillusion, leur souffrance, leur défiance. Comment faire ? J’ai une idée, simple, claire et cristalline : revenir aux sources, revenir aux principes de nos Pères fondateurs, les Schuman, les Monnet, les Spinelli, de De Gasperi, les Spaak, les Adenauer. En créant l’Europe irréversible, ils n’ont pas voulu faire un devoir d’économie ou de gestion ; ils ont fait un devoir de philosophie. Accablés par des guerres incessantes, des conflits d’identité insolubles, des abîmes de souffrance causés par les nationalismes, des femmes et des hommes ont décidé de lier leur destin non seulement par des solidarités de fait, mais surtout par la réalisation de politiques publiques fondées sur des principes. Quels étaient ces principes ? La liberté de circulation, la tolérance, la conscience d’un mouvement universel vers la sécurité universelle et l’application de standards sociaux.

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Or, que deviennent ces principes ? Car, n’en doutez pas, nos peuples nous jugent à l’aune du respect des principes que nous nous donnons ! Il y a deux jours, j'étais à Blois dans le cadre des journées des Rendez-vous de l'Histoire. Je participai à une table ronde avec l'historien Benjamin Stora sur le thème « partir ». Je disais à cette occasion que la vraie révolution, ce serait de faire de l’asile une politique européenne et non plus nationale. C'est une évidence. Seules les survivances des pires facettes du nationalisme séculaire, mortifère, induisent les esprits à s'acharner à construire des murs que l'Histoire jugera mal, et que l'Histoire, d'ailleurs, de toute façon démolira. En 2015, 3500 personnes, 3500 réfugiés, 3500 êtres humains, ont perdu la vie en mer durant leur périple. Quant à 2016, nous en sommes peut-être à 4000 morts. La Méditerranée, berceau des civilisations, est devenue leur tombeau. Comment regarder l’Histoire avec les yeux clairs de ceux qui ont la conscience tranquille ? Croyons-nous vraiment qu’ils se jettent en famille par plaisir dans des flots déchaînés ? Avec mes homologues de vos pays respectifs, ensemble, nous avons décidé de réagir. Nous sommes conscients de la mesure de nos forces, des échéances de nos mandats, de la complexité des représentations politiques de nos nations. Mais nous avons de l’énergie, et nous savons ce que nous voulons.

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Avec mes homologues italienne Laura Boldrini, allemand Norbert Lammert, luxembourgeois Mars Di Bartolomeo, nous avons signé le 14 septembre 2015 une déclaration commune. Nous y appelions à un sursaut européen pour que l’Union européenne s’engage dans davantage d’intégration. Elle vous est distribuée, elle est intitulée « Plus d’intégration européenne : le chemin à parcourir ». Aujourd’hui, mes homologues ont signé le texte dans quinze pays. Nous avons défendu la vision de l’Europe qui émane de la Déclaration partout où nous pouvions le faire. Bien entendu, les peuples, inquiets, expriment quelquefois la tentation du repli. Il ne s’agit pas de les mépriser ou de les stigmatiser. Et je veux ici m’adresser particulièrement à nos amis hongrois et polonais, avec qui nous avons, c’est vrai, un dialogue franc. J’ai présenté la Déclaration à l’invitation du groupe de Visegrad, en Bohême. Mon homologue tchèque Jan Hamacek a d’ailleurs décidé de la signer. Il est hors de question de remettre la souveraineté des peuples qui, en démocratie, sont les seuls maîtres d’eux-mêmes. Il s’agit d’être plus forts ensemble, plus forts car nous serons plus solidaires. Sans souveraineté, les peuples sont esclaves. Mais sans solidarité, les peuples sont impuissants. L’objectif de la Déclaration est d’exprimer un élan populaire. Il est de crier très fort notre attachement à cette formidable construction européenne qui doit

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désormais, non pas s’éteindre sous les coups de butoir des extrémismes, des racismes, des xénophobies, mais s’accélérer. Après les Italiens, j’ai souhaité mettre à disposition des citoyens français une plate-forme d’expression, de doléances et de propositions sur le site de l’Assemblée nationale en avril dernier. Pour que les peuples retrouvent le goût de l’aventure européenne en s’exprimant sur elle, non pas en la subissant, j’ai souhaité que la plate-forme informatique soit ouverte à tous les citoyens. Ils ont ainsi pu donner leur avis sur notre appel à davantage d’intégration européenne. La consultation a révélé des citoyens qui voulaient plus d’Europe, tournée vers la liberté de circulation, mais devant sortir de l’austérité budgétaire et la casse des services publics pour construire une amélioration des conditions de vie et des standards sociaux. Quand je regarde les peuples que nous représentons ce matin, je sais que ces peuples élisent, mandatent des personnes avec des doléances, des espoirs et des attentes. Je vois une Histoire derrière, pleine de souffrances et de guerres, mais aussi pleine de beautés. Les grandes capitales qui abritent vos ministères des affaires étrangères, où vous avez été ou serez en poste, de Paris à Bratislava, d’Amsterdam à Prague, de Lisbonne à Athènes, aucune de ces villes ne s’est édifiée sans la rencontre entre des milliers d’architectes et artistes de toute l’Europe et un génie national.

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Souvenons-nous de l’époque que nos amis italiens appellent l’Illuminismo, que nous appelons, en France, les Lumières. Souvenons-nous de ces artistes, écrivains, musiciens, penseurs, toujours sur les routes, des Voltaire, des Diderot, des Mozart, des Goldoni, des d’Holbach, des Casanova, des Grimm, qui ne voyaient dans les lettres à Frédéric le Grand, à Joseph II, à Catherine de Russie, aux cardinaux romains, que des coups d’accélérateur à l’Europe qu’ils désiraient. Il y a trois siècles, déjà, pour ces consciences qui s’éveillaient, les guerres et les pillages des monarques étaient des guerres civiles européennes ! Quelques années plus tard, nous avons été trop patients avec trop de manquements. Dans trente ans, un quart de l’humanité sera africain. Les pays du Nord concentrent 16 % de la population mondiale, mais produisent 70 % de la richesse dans le monde, alors que pour les richesses naturelles, c’est l’inverse. Les 10 % des habitants de notre planète les plus riches possèdent 83 % de la richesse mondiale. Dans ces pays riches, les élites économiques sont de plus en plus convaincues par une éthique de la production où celui qui domine capte toute la plus-value, the winner takes all. Regardez les élections américaines, regardez les inégalités mondiales, regardez les équilibres démographiques, et posez-vous la question suivante. Qui d’autre que l’Europe peut réagir à ces défis et s’y confronter avec la force, le courage de valeurs universelles et la rage de les faire triompher ?

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La seule solution à l’agressivité réactionnaire des forces de dilution de la mondialisation, c’est une Union européenne qui agit pour les peuples, pour les pauvres, pour ceux qui souffrent, pour tous ceux qui veulent rester conquérants de leur destin dans un avenir dont il faut démêler les fils historiques dans les grandes confusions contemporaines. Les effets pervers de la mondialisation seront mieux corrigés avec une Europe forte ! Aujourd’hui, en Europe, les citoyens ne sont pas aussi bien soignés partout, les infrastructures ne sont pas aussi solides partout ! On n’est pas, sur notre continent, protégé avec la même efficacité contre les risques de l’existence, contre le chômage, contre la concurrence déloyale, contre le dumping social, contre les faiblesses de la vieillesse. Ne nous voilons pas la face : sans l’Europe, le monde tombera, encore une fois, dans les pièges des concurrences entre grandes puissances. Encore une fois, les impérialismes se déchaîneront. Seule l’Europe, parce qu’elle a connu tant de fois ces dérives dans son histoire, peut l’en empêcher. Je vous remercie.

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