Agronews, Edition Réunion-Mayotte/océan Indien, N°9

Page 1

AGRONEWS Édition Réunion-Mayotte / océan Indien

le journal du cirad en outre-mer

DOSSIER

Le numérique au service d’une agriculture durable

Numéro 9 # septembre 2019


EDITO

SOMMAIRE

©

D.

M

ar

t

L’ambition « science » au cœur de notre activité

DOSSIER

le numérique au service d’une agriculture durable

L

utter contre les grands fléaux en ri rra e santé animale, mais aussi en -F in santé végétale ; rechercher des solutions agro-écologiques pour endiguer durablement les nouvelles espèces invasives et répondre aux enjeux sociétaux sans pesticide ; faire de la bio-économie circulaire non plus un concept mais une réalité insulaire et industrielle ; faire avancer les connaissances dans les agro-biosciences pour mieux innover et participer activement à la compétitivité des agricultures ultramarines en alliant amélioration des itinéraires techniques et scénarios de rupture… Telles sont les avancées significatives de nos fronts actuels de recherche que nous vous invitons à découvrir dans ce nouvel AGRONEWS. Pour les cinq prochaines années, le Cirad s’est construit de nouveaux objectifs de stratégie scientifique partenariale. L’ambition « science » est réaffirmée comme notre socle d’activité au travers de six priorités thématiques pour un impact concret sur le développement : • La biodiversité comme levier de développement et de résilience . • La santé des plantes, des animaux et des écosystèmes dans une approche intégrée et « One Health ». • Une ingénierie des transitions agro-écologiques. • Des territoires comme leviers de développement durable et inclusif • Des systèmes alimentaires plus durables et inclusifs. • Des agricultures du Sud accompagnées face au changement climatique. Tout ceci vient à point nommé pour nourrir la réflexion lancée cette année par la Commission européenne avec le document d’orientation du « Plan stratégique du programme-cadre de recherche et d’innovation Horizon Europe », qui prendra la suite du programme Horizon 2020 sur la période 2021-2027. A La Réunion, nous revisitons nos ambitions en terme d’agriculture en vue de la nouvelle programmation territoriale des fonds européens 2021-2027. Nul doute que nos prochains projets de recherche seront en phase et au service du développement des territoires de La Réunion et de Mayotte et de leur rayonnement régional. Car le partenariat est au cœur de la mission du Cirad. C’est un levier stratégique qui accompagne la production scientifique pour catalyser le développement. A La Réunion, comme à Mayotte, des relations fortes ont été tissées dans la durée et constituent un capital précieux et un avantage comparatif.

(pages centrales, numérotées de I à IV)

LE CIRAD À LA RÉUNION

INNOVATION

Page 3

Page 10

Quelle coopération régionale pour la sécurité alimentaire de l’océan Indien ?

Nouvelle filière : valoriser le poivre sauvage réunionnais Stimuler les défenses naturelles de l’ananas Page 11

RECHERCHE

Favoriser le bio et les produits péi dans les cantines

Page 4

Approvisionnement en fruits et légumes : quel rôle jouent les bazardiers ?

Comment maintenir la diversité génétique du Bois puant Mieux comprendre les épidémies agricoles Page 5 Simuler des lâchers de moustiques tigre stériles. Le point avec Annelise Tran et Marion Haramboure Page 6 Taille du manguier : un modèle pour évaluer les conséquences, une thèse pour améliorer la coupe

Eric Jeuffrault, directeur régional du Cirad pour La Réunion-Mayotte et les pays de la COI (hors Madagascar)

La microbiologie au service des fruits Page 8 Un observatoire de l’herbe pour les éleveurs Un drone pour calculer la biomasse fourragère Page 9 Fertilisation en phosphate : mieux connaître les sols réunionnais Une cartographie automatisée des sols

MINISTÈRE

Un guide pour reconnaître les auxiliaires des cultures à La Réunion Page 13 Agro-écologie : le Cirad accompagne la lutte contre la mouche de la fraise La lutte bio est-elle efficace contre Bactrocera dorsalis ?

MAYOTTE ET OCÉAN INDIEN Page 14 L’élevage, réserve potentielle de bactéries résistantes aux antibiotiques ? Nouvelles crises sanitaires à Mayotte et Mohéli Page 15 Les zébus Moka et Mahorais reconnus comme races bovines françaises La renaissance d’une filière d’agrumes sains

CHIFFRES-CLÉS/FOCUS Page 16

Directeur de publication : Eric Jeuffrault

Photo de couverture : © Antoine Franck, Cirad

Coordination éditoriale : Sophie Della Mussia

Conception graphique et réalisation : Patricia Doucet, avec la contribution de Marie Rousse

Relecture : Nadège Nanguet, Jean-Cyril Dagallier Textes : Laurent Decloître, Laurent Bouvier, avec la contribution des équipes du Cirad à La Réunion-Mayotte

Les projets du Cirad à La Réunion sont financés par l’Union européenne (Feader et Feder), la Région, l’État et le département de La Réunion

Une mallette pédagogique pour les vétérinaires

Page 7

Pour notre dossier spécial, nous avons choisi de faire un point sur nos activités en matière de "transition numérique". Le rapport « Agriculture-Innovation 2025 » du ministère de l’Agriculture a souligné l’enjeu que représente l’exploitation des données numériques pour le monde agricole : applis pour smartphones, services internet, Big data, robots, drones... Nous vivons actuellement la nouvelle révolution d’une agriculture plus connectée. Et à La Réunion où en sommes-nous ? Bonne lecture !

Page 12

Illustrations : Delphine Guard-Lavastre, Marie Rousse Impression : NID Imprimerie, La Réunion

Direction régionale du Cirad pour La Réunion-Mayotte et les pays de la COI (hors Madagascar) Station de la Bretagne - 40, Chemin de Grand Canal - CS 12014 97743 Saint-Denis Cedex 9 - Ile de La Réunion Tél. standard : +262 (0)2 62 72 78 00 - Tél. direction : +262 (0)2 62 72 78 40 Fax : +262 (0)2 62 72 78 01 Courriel : dir-reg.reunion@cirad.fr - Site web : http://reunion-mayotte.cirad.fr

Le Cirad est membre du RITA Réunion

Le Cirad est membre fondateur de MUSE

DES

2

AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 SEPTEMBRE 2019


Quelle coopération régionale pour la sécurité alimentaire de l’océan Indien ? Une réflexion et un exercice de construction collective autour d’un enjeu capital commun : la sécurité alimentaire. Tel était l’objet de la conférence-débat co-organisée par le Cirad, dans le cadre de la plateforme régionale en recherche agronomique pour le développement en océan Indien (PRéRAD-OI). Cet événement se tenait en marge de la 42e foire agricole de Bras-Panon.

P

rofessionnels de l’agriculture, chercheurs, acteurs publics, économiques et politiques : plusieurs dizaines d’acteurs du monde agricole et de la coopération régionale des cinq pays de la zone océan Indien se sont retrouvés le 16 mai dernier pour échanger sur leurs actions en matière de sécurité alimentaire. En présence de l’Union européenne, de la Commission de l’océan Indien (COI), de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Fonds international de développement agricole (FIDA), il s’agissait d’un point d’étape, trois ans après la première conférence qui avait jeté les bases d’une coopération, posant notamment la question de l’intensification des échanges dans la zone.

Plusieurs dizaines d’acteurs de l’océan Indien se sont réunis en marge de la 42e foire agricole de Bras-Panon, autour du thème de la sécurité alimentaire.

Les acteurs présents ont insisté en premier lieu sur l’importance de faire progressivement émerger une vision commune des enjeux liés à la sécurité alimentaire. « L’objectif est d’atteindre une production suffisante, adaptée et dédiée prioritairement aux réponses des besoins alimentaires des populations de chaque île et pouvoir exporter demain pour se développer ». Pour cela, il faut parvenir à engager des opérateurs économiques (agriculteurs, coopératives, agro-industries) dans le développement de projets de coopération. En second lieu, il importe de disposer d’une plus grande visibilité de l’écosystème actuel de la coopération régionale, à savoir des projets et des acteurs engagés en matière de sécurité alimentaire. De très nombreuses initiatives sont identifiées

mais chacun a pu témoigner du manque de concertation, de coordination entre les projets, notamment lorsqu’ils dépendent de financements distincts. Il nous faut militer pour une meilleure articulation et une plus grande cohérence de l’action collective au service de la stratégie régionale. « A cet égard, il est impératif de poursuivre et d’approfondir les efforts engagés en matière de connaissance mutuelle des territoires, des productions, des acteurs et des marchés à professionnaliser, structurer et sécuriser », souligne Eric Jeuffrault, directeur régional du Cirad à La Réunion-Mayotte et pays de la COI (hors Madagascar). En troisième lieu, il apparaît que des territoires comme Maurice, Madagascar mais également les Comores et dans une moindre mesure les Seychelles, ont tout à gagner en développant une stratégie intensifiée d’import/substitution, à l’exemple de ce que La Réunion a entrepris depuis les années 70-80. La coopération régionale doit pouvoir soutenir ces dynamiques territoriales, en favorisant les processus de structuration de filières et de transfert de savoir-faire, dès lors qu’ils visent à mieux répondre aux enjeux de production et de consommation locales. La présentation de projets emblématiques et les débats ont permis d’identifier des déterminants de succès de collaboration comme l’analyse des besoins des parties prenantes, la confiance mutuelle entre les acteurs, l’ancrage territorial des initiatives et leur articulation avec l’existant, la lisibilité de la gouvernance des projets,

la convergence des dynamiques afin de maintenir les mobilisations et inscrire les actions dans la durée, etc. Les échanges tenus lors de cette conférence ont enfin permis d’identifier deux initiatives prioritaires pour demain : constituer un observatoire des agricultures et des marchés de l’océan Indien et favoriser les échanges physiques entre opérateurs agricoles de la zone, afin de « mettre en commun les données, connaissances et savoir-faire ». Le succès historique de la foire de Bras-Panon, élargie depuis quelques années à des opérateurs de l’océan Indien, conduit à s’interroger sur sa duplicabilité dans la région : l’évolution de la foire en Salon professionnel des agricultures de l’océan Indien, organisé sur une base itinérante dans les îles de la COI fait son chemin. A suivre…

La parole à nos partenaires Daniel GONTHIER,

Maire de la Ville de Bras-Panon

« En partenariat avec le Cirad, nous envisageons d’organiser un salon agricole de l’océan Indien ». « La Foire Agricole de Bras-Panon a toujours apporté une attention particulière à la coopération régionale. Ces échanges sont essentiels au rapprochement de nos peuples et à la réalisation de nos projets. La Foire Agricole 2019 a été l’occasion d’une ouverture sur l’agriculture dans l’Indianocéanie, ponctuée par la tenue du COPIL 3 du Programme Régional de Sécurité Alimentaire et de Nutrition et le deuxième forum sur la Sécurité Alimentaire en présence des pays membres de la COI. Menée en étroite collaboration avec le Cirad, cette action en présence de la FAO, du FIDA et de la COI a permis des échanges nourris autour du savoir-faire de chaque pays dans un esprit de complémentarité et de solidarité.

© Ville de Bras Panon

Toujours en partenariat avec le Cirad, il est envisagé l’organisation d’un salon professionnel de l’Océan Indien, tous les 2 ans, tour à tour dans chaque île, afin de faire la promotion du professionnalisme agricole en Indianocéanie dans toutes ses dimensions : de la recherche au terrain, de la fourche à la fourchette ! »

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019

3

Le cirad à la réunion

CONFÉRENCE-DEBAT


ANALYSE DES HERBIERS HISTORIQUES

Il reste moins de 300 spécimens de Bois puant (Foetidia mauritiana) dans les milieux naturels à La Réunion ! Cet arbre endémique de l’île et de Maurice subit les conséquences de la déforestation. Autrefois commun dans les forêts tropicales sèches, son avenir est incertain car les zones où il survit sont désormais fragmentées. Le Bois puant est hermaphrodite et cela complique ses chances de pollinisation croisée. Par ailleurs, les graines, contenues dans des fruits à coque dure, germent difficilement. Nicolas Cuénin, doctorant au Cirad, s’est penché sur le sort de Foetidia mauritiana pour évaluer sa diversité génétique et les risques pour sa survie. Ce sont 196 arbres en milieux naturels et 93 en plantations qui ont été échantillonnés par l’équipe de recherche. Les deux ravines (Tamarins et Grande Chaloupe) ont été explorées pour y recueillir 1660 fruits. Sur les 592 graines extraites, 169 plantules sont sorties de terre sous les serres du Cirad à Saint Pierre. Tous ces arbres ont été génotypés. « A notre heureuse surprise, constate Nicolas Cuénin, la diversité génétique est très forte chez les adultes. Leur durée de vie étant très longue, ces arbres ont vraisemblablement poussé avant les débuts de la déforestation et n’ont donc pas été impactés ». Le régime de reproduction relève aujourd’hui surtout de l’auto-fécondation. Les distances sont désormais trop grandes entre les arbres pour une bonne pollinisation. « Cela entraîne une baisse de diversité génétique chez les nouvelles générations, ce qui peut conduire à une baisse de la capacité de survie globale de l’espèce », analyse Nicolas Cuénin. Pour la réhabilitation de cette espèce emblématique et la préservation de sa diversité génétique, il faudrait augmenter les flux de pollen entre les arbres. Pour y parvenir, l’équipe de recherche préconise de diminuer les distances entre chaque arbre nouvellement planté, pas à plus d’une centaine de mètres les uns des autres. Des résultats très utiles aux programmes de conservation et de restauration, comme celui mené par le Parc national à la Grande Chaloupe. nicolas.cuenin@cirad.fr

>

Les abeilles sont peut-être moins efficaces que les chauves-souris pour polliniser le Bois puant.

Les scientifiques du Cirad et du MNHN recherchent dans des herbiers historiques de l’ADN de la bactérie responsable du chancre citrique. Objectif : reconstituer son évolution, dater son introduction et suivre sa propagation dans l’océan Indien.

>

© A. Rieux, Cirad

Comment maintenir la diversité génétique du Bois puant

Mieux comprendre les épidémies agricoles

D’où vient le chancre des agrumes, une maladie qui sévit dans la majorité des îles de l’océan Indien ? Quand a-t-elle émergé ? Est-ce que la bactérie responsable, Xanthomonas citri pv. citri, a évolué ? Pour répondre à ces questions, des chercheurs du Cirad et du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) se sont lancés dans la paléogénomique. Il s’agit de reconstruire les génomes d’organismes anciens à partir de matériel biologique conservé dans des ossements fossiles, des tissus momifiés ou encore des plantes d’herbiers, comme ceux de l’Université de La Réunion et de l’île Maurice. « Les micro-organismes qui vivaient dans les plantes lors de la mise en collection sont bien évidemment morts mais il est possible, à l’aide de protocoles moléculaires spécifiques, d’extraire, amplifier et séquencer leur ADN » s’enthousiasment Paola Campos et Karine Boyer, respectivement doctorante et technicienne au Cirad, et impliquées dans ce projet au Pôle de Protection des Plantes.

© N. Cuenin, Cirad

Une fois séquencé, l’ADN bactérien peut être comparé avec celui de ses homologues contemporains. Pour le chancre des agrumes, les chercheurs ont estimé, pour la première fois, la vitesse d’évolution de cette bactérie et daté l’arrivée de la maladie autour des années 1850 dans la zone océan Indien. « Cette date

suivant d’assez près l’abolition de l’esclavage, la maladie a pu être introduite avec des plants importés d’Asie lors du recrutement de travailleurs “engagés” dans les plantations » analyse Adrien Rieux, généticien des populations au Cirad. « Ces résultats illustrent l’immense potentiel des collections d’herbiers historiques dans la compréhension de l’émergence et de l’évolution des micro-organismes pathogènes des cultures » confirme Nathalie Becker du MNHN. « Ils seront complétés par des données issues d’échantillons provenant d’autres herbiers du monde afin d’avoir une image globale de la façon dont cette maladie s’est propagée depuis l’Asie vers l’ensemble de la zone intertropicale et de comprendre les mécanismes évolutifs sous-jacents » précise Lionel Gagnevin du Cirad. De nouvelles études sur d’autres maladies et cultures sont actuellement en cours et permettront d’améliorer nos connaissances sur l’histoire et l’évolution de plusieurs micro-organismes phytopathogènes (bactéries, virus) ; un prérequis indispensable à une meilleure gestion de ces derniers. adrien.rieux@cirad.fr

EN BREF L’épidémiologie au secours des agrumes sous la menace du greening Cette maladie bactérienne est une menace sanitaire majeure pour les producteurs d’agrumes. Le Greening des agrumes (Huanglongbing ou HLB) est transmis par des insectes, les psylles, et infecte les arbres qui dépérissent et meurent en quelques années. L’arrachage des arbres malades fait partie des stratégies de lutte ayant fait preuve d’efficacité

4

dans les zones touchées. Afin de les adapter aux situations épidémiologiques des régions ultra-marines, des chercheurs du Cirad, en partenariat avec l’Anses, ont entamé un travail de recherche combinant modélisation et épidémiologie. L’objectif est également de mieux comprendre la ré-émergence du greening à La Réunion.

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

© A. Franck, Cirad

RECHERCHE

UNE OPPORTUNITE POUR LA REFORESTATION ?


LUTTE CONTRE LA DENGUE

« Simuler des lâchers de moustiques tigre stériles mais boostés » Pour lutter contre les épidémies véhiculées par le moustique tigre, les chercheurs du Cirad et de l’IRD expérimentent la technique de l’insecte stérile et une variante « boostée ». Le moustique tigre (Aedes albopictus) est impliqué dans de nombreuses épidémies à travers le monde, y compris à La Réunion... A La Réunion, ce moustique est directement impliqué dans l’épidémie de dengue qui sévit depuis 2017. En juillet 2019, plus de 24 370 cas autochtones ont été confirmés par la Préfecture de La Réunion depuis le début de l’épidémie.

R. Carayol © Cirad

Sans remède efficace contre la maladie, il apparaît essentiel d’en contrôler le vecteur...

Annelise Tran

sabilité d’une variante de la TIS, appelée « boosted TIS », est également étudiée. Les mâles sont stérilisés et « contaminés » avec du pyriproxyfène, un régulateur de croissance affectant le développement larvaire. Le biocide est transmis aux femelles lors des accouplements puis dispersé sur les gîtes larvaires par celles-ci au moment de la ponte. Où en est l’évaluation de cette variante ?

Exactement, puisqu’aucun médicament n’est disponible, le contrôle des populations de moustiques tigre reste donc la pierre angulaire pour maîtriser l’épidémie.

Avant d’expérimenter ces pratiques sur le terrain, nous avons développé des modèles pour explorer les effets de ces stratégies de contrôle sur le moustique tigre à La Réunion. Les modèles montrent que la boosted TIS présente des résultats plus efficaces à long terme.

Les insecticides ne jouent-ils pas ce rôle ?

A quand les essais terrain ?

Les insecticides sont les principaux moyens de lutte mais ils présentent de nombreux inconvénients pour l’écosystème. D’autres méthodes de contrôle doivent être développées.

Un premier lâcher de moustiques mâles stériles a été réalisé mi-juin par l’IRD. Pour la boosted TIS, il faudra attendre de nouvelles autorisations administratives.

Parmi lesquelles la technique de l’insecte stérile...

Cette méthode a-t-elle prouvé son efficacité ?

Marion Haramboure

Les diptères sous surveillance

La TIS présente des résultats positifs pour lutter contre les ravageurs des cultures. Par contre, son efficacité doit encore être évaluée dans le cas du moustique. Dans le cadre du projet «Revolinc», la fai-

On connaît l’implication des moustiques, et plus généralement celles des diptères, dans la transmission de maladies à l’homme. Mais, on le sait moins, les diptères sont aussi des vecteurs d’agents pathogènes pour les animaux. Les Culicoides, petits moucherons qui se nourrissent de sang, transmettent aux ruminants des orbivirus, dont deux sont présents à La Réunion : les virus de la Bluetongue (BTV) et de la maladie hémorragique des cervidés (EHD). « Si l’EHD s’avère

© IRD

R. Carayol © Cirad

Cette technique de l’insecte stérile (TIS) est une méthode alternative consistant à libérer des mâles stérilisés par irradiation. Ces mâles, stériles mais sexuellement actifs, réduisent le succès de reproduction des moustiques femelles rencontrées, entraînant ainsi un déclin de la population de l’espèce de moustique ciblée. Les mâles de moustiques stériles réduisent le succès de reproduction des moustiques femelles rencontrées (ici femelle d’Aedes albopictus, vectrice de la dengue et du chikungunya), entraînant ainsi un déclin de la population cible.

épizootique* à La Réunion, nos travaux montrent que pour la BTV, on assiste plutôt à une circulation enzootique**, c’est-à-dire que le virus est présent toute l’année à la fois chez les hôtes et chez les vecteurs de la maladie », explique Catherine Cêtre-Sossah, chercheuse au Cirad. L’objectif de ces travaux est de mieux orienter le contrôle de ces maladies à La Réunion à travers une méthode originale de surveillance des deux virus.

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 -septembre 2019

© F. Boucher, Cirad

© C. Garros, Cirad

*Qui a les caractères de l’épizootie, épidémie qui frappe les animaux. **Maladie infectieuse des animaux sévissant dans une zone donnée (étable, village, région, etc.) ou à certaines époques périodiques, sans tendance à l’extension.

© C. Garros, Cirad

Systèmes de piégeage des diptères sur le terrain à La Réunion pour assurer leur surveillance.

5

RECHERCHE

LE POINT AVEC ANNELISE TRAN ET RE, MARION HARAMBOU MODéLISATRICES AU CIRAD


Ne pas couper n’importe comment Une thèse étudie comment le manguier réagit à la taille, de façon à maîtriser les dimensions de l’arbre et favoriser la production de fruits.

T

ailler un arbre n’est pas anodin : cette pratique le traumatise et affecte sa croissance végétative, sa floraison et sa production de fruits. Pourtant, la taille est une pratique agricole indispensable. Elle permet de mettre en forme les arbres et de maintenir leurs dimensions dans des limites raisonnables pour favoriser l’entretien du verger et la récolte. La réponse des arbres fruitiers à la taille a été peu étudiée, sauf sur des espèces tempérées comme le pommier ou le pêcher. Pour les fruitiers tropicaux comme le manguier, on en connait moins les conséquences. Du coup, les pratiques reposent essentiellement sur l’expérience empirique des producteurs. Dans le cadre de sa thèse au Cirad, Séverine Persello a mis en place et suivi pendant deux ans une expérimentation visant à décrypter les effets de la taille sur la croissance végétative et la floraison du manguier. Ses résultats, publiés dans European Journal of Agronomy, montrent que le manguier émet rapidement de nouvelles pousses, au niveau des points de taille et à distance dans la canopée. « L’intensité de cette réaction et son déroulement dans le temps dépendent de facteurs liés au point de taille (position le long de la branche,

Un modèle pour évaluer les conséquences de la taille

diamètre) et à l’arbre (quantité de branches et feuilles retirées) » détaille Séverine Persello. La floraison est ensuite affectée par les caractéristiques des nouvelles pousses induites par la taille. « La réponse du manguier est très complexe, précise Frédéric Normand, responsable des recherches. Cette thèse va nous

Comment évaluer la réponse du manguier à différentes stratégies de taille sans avoir à réaliser des expérimentations coûteuses en temps et en main-d’œuvre ? En réalisant des simulations numériques ! Les chercheurs du Cirad peuvent désormais prédire quelle sera la croissance végétative du manguier si on enlève peu de grosses branches ou beaucoup de petites branches. Pour réaliser de telles simulations, ils ont mis au point un modèle numérique qui simule la manière dont l’arbre se développe, fleurit, produit des fruits et, poursuit Frédéric Boudon, « sa réponse à la taille ». Le modèle est ensuite appliqué à la maquette 3D d’un arbre adulte digitalisé. Différentes stratégies de taille, définies par la quantité de bois et de feuilles retirés et par la profondeur

6

Les huiles essentielles au secours des mangues

Et si les huiles essentielles venaient au secours des mangues péi ? C’est l’hypothèse sur laquelle travaille le Cirad pour aider à lutter contre l’anthracnose, une maladie fongique qui attaque les mangues après leur récolte. Les exploitants ont bien du mal à se débarrasser des Colletotrichum gloeosporioides agresseurs. Le Cirad s’est intéressé aux propriétés fongitoxiques de deux huiles essentielles : X2 et X5. Un test in vitro a montré l’efficacité de X5. Les concentrations de composés phé-

permettre de tester, avec les producteurs, de nouvelles techniques visant à trouver un bon compromis entre le maintien des dimensions des arbres et les effets négatifs potentiels de la taille sur la floraison et la production de fruits ». frederic.normand@cirad.fr

de taille le long des branches, peuvent alors être simulées. Le modèle calcule « la quantité de nouvelles pousses qui apparaissent ensuite, leur localisation et la dynamique de leur apparition dans le temps », précise Isabelle Grechi, chercheuse au Cirad. Les premiers résultats montrent que la surface foliaire retirée par la taille n’est pas compensée par de nouvelles pousses sur les branches taillées, mais « elle l’est largement par les nouvelles pousses qui apparaissent sur les branches non taillées », ajoute Frédéric Normand. A terme, ces simulations seront utilisées pour tester virtuellement différentes stratégies de taille et sélectionner celles dont les résultats correspondent à des objectifs fixés avec les agriculteurs, avant de les tester au champ.

Réponse simulée du manguier à la taille : les pousses colorées sont apparues en réaction à la taille. Leur couleur indique leur date d’apparition, plus ou moins précoce après la taille.

Simulation d’une taille sur un arbre adulte : les branches colorées sont taillées et retirées. Leur couleur correspond à la profondeur de la taille de long des branches.

EN BREF

La taille du manguier modifie sa croissance végétative, au niveau des points de taille ainsi que sur des branches non taillées.

© F. Normand, Cirad

RECHERCHE

TAILLE DU MANGUIER

noliques et de résorcinol ont augmenté dans les fruits, ce qui est essentiel pour résister à C. gloeosporioides. En revanche, les tests n’ont eu aucun effet détectable lors de l’application de l’huile essentielle par volatilisation sur des nécroses de la mangue. D’autres modes de traitement de conservation doivent donc encore être testés.

Bonne évolution des porte-greffes nanisants de manguiers

Quelles nouvelles des porte-greffes testés par le Cirad, sur lesquels les variétés de mangues José et Cogshall ont été greffées ? Un

an après la plantation, sur les trois parcelles situées sur la station de Bassin-Plat à SaintPierre et chez deux agriculteurs dans l’ouest, les chercheurs ont constaté « une bonne reprise » avec des différences attendues de développement végétatif. En particulier, les manguiers greffés sur le porte-greffe Vellaikulamban sont ainsi plus petits que les autres. Les observations de développement et de production de ces arbres seront poursuivies dans les années à venir. L’objectif de ces porte-greffes (la partie racinaire d’un arbre fruitier greffé) est in fine d’améliorer les rendements sur des arbres de petite taille.

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019


RECHERCHE R. Carayol © Cirad

AGRO-ALIMENTAIRE

La microbiologie au service des fruits

EN BREF

Comment mieux étudier les maladies qui touchent la mangue, l’ananas, la banane après la récolte ? Comment trouver des solutions de conservation alternatives ? Pour le Cirad, les solutions passent par la mise en œuvre «d’outils microbiologiques». Plusieurs approches sont développées. La première concerne la microbiologie classique, basée sur la culture et l’isolement des microorganismes. Elle permet de faire l’inventaire des espèces microbiennes cultivables

(bactéries, levures, moisissures). Les isolats

non, présentes dans l’aliment.

jean-christophe.meile@cirad.fr

Détecter les mycotoxines

atelier s’est déroulé au sein des laboratoires Qualisud du Cirad à Saint-Pierre. Jean-Christophe Meile, chercheur au Cirad, coordonnateur d’une action de recherche sur les mycotoxines, et Noël Durand, expert venu de Montpellier, ont animé des travaux pratiques. Une cinquantaine d’échantillons (arachides, café, cacao, maïs, riz, lait) apportés par les participants ont été testés à cette occasion. Le travail se poursuit en s’attachant plus particulièrement au riz et au maïs.

gestion des ravageurs, des maladies et des adventices des cultures maraîchères et fruitières, sans utilisation de pesticides de synthèse, a été dressé en collaboration avec 35 agriculteurs. Ce premier travail a permis d’identifier un ensemble de techniques telles que les associations et rotations culturales, les plantes de services, les bandes enherbées, les filets anti-insectes, les extraits naturels de plantes, l’ensachage des fruits etc. Il va nourrir la phase suivante du projet consistant à combiner et équilibrer ces leviers et à concevoir de nouveaux systèmes horticoles innovants qui seront expérimentés à SaintPaul, Bassin-Martin et Bassin-Plat.

Il faut savoir qu’un quart des cultures vivrières de la planète est attaqué par des moisissures productrices de mycotoxines, occasionnant près d’un milliard de tonnes de pertes de denrées par an. En décembre 2018, des chercheurs et techniciens de Madagascar, Maurice, Comores, Seychelles et La Réunion ont participé à un atelier de formation du projet Qualinnov 2, consacré à la détection des mycotoxines dans les aliments de l’océan Indien. Cet

sont ensuite caractérisés puis les souches intéressantes sont archivées pour une réutilisation ultérieure. La deuxième approche est basée sur l’extraction et le séquençage d’ADN microbiens. Cette approche moléculaire permet de dresser un inventaire exhaustif des espèces microbiennes, cultivables ou

ST0P aux pesticides de synthèse

Le Cirad et ses partenaires* se sont lancés en 2018 dans un projet ambitieux – financé par Ecophyto – le projet ST0P (Systèmes Tropicaux 0 Pesticides de synthèse). Un inventaire des pratiques déjà utilisées pour la

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

Les «outils microbiologiques» sont ainsi utilisés sur fruits frais pour étudier les maladies post-récolte mais également sur les fruits transformés pour en suivre la qualité, et parallèlement pour rechercher des espèces microbiennes d’intérêt pour la bio-préservation. Ils sont également mis à profit pour caractériser les terroirs de produits à haute valeur ajoutée comme le poivre sauvage, le cacao ou la vanille.

* L’Armeflhor, la FDGDON, la Chambre d’agriculture et le Lycée agricole de Saint-Paul

7


© A. Franck, Cirad

Un drone pour calculer la biomasse fourragère Avec un drone couplé à une caméra et un spectromètre, le Cirad teste une nouvelle méthode pour évaluer la biomasse de fourrage disponible dans l’île.

S

ans fourrage, pas d’élevage ! La connaissance de la quantité de biomasse de fourrage disponible est essentielle à la filière. C’est pourquoi le Cirad accompagne l’Association Réunionnaise de Pastoralisme (ARP) dans le suivi hebdomadaire d’un réseau de parcelles fourragères représentatives des différents sols et climats de l’île. Ce suivi permet de collecter des informations sur les dynamiques de croissance de l’herbe afin de restituer aux éleveurs des indicateurs leur permettant une gestion efficace des ressources fourragères. L’évaluation de la biomasse nécessitait jusque-là un très grand nombre de mesures de la hauteur du couvert herbacé et du poids de biomasse correspondant pour prendre en compte l’hétérogénéité des parcelles. Ces mesures étaient faites manuellement. Une méthode alternative est actuellement en phase de test. Elle

consiste à utiliser des images «multi spectrales» (dans les spectres visible et infrarouge) prises à faible altitude (40 m) à l’aide d’une caméra spéciale fixée sur un drone. Ces images permettent de calculer des « indices de végétation » reliés à la biomasse d’herbe disponible. Au terme des tests et de la phase de calibration, la méthode sera transférée à nos partenaires professionnels. « Elle facilitera la collecte d’informations en permettant la couverture complète d’une parcelle de 5 hectares en seulement 10 minutes », précise Serge Nabeneza, technicien au Cirad. Elle permettra également d’améliorer la précision des mesures avec une résolution de 2 cm au sol et ainsi de mieux prendre en compte l’hétérogénéité de la pousse de l’herbe dans la parcelle.

Les indices de végétation, reliés à la biomasse fourragère disponible au sol, sont calculés à partir des images prises par le drone.

serge.nabeneza@cirad.fr

PRODUCTION FOURRAGERE

Un observatoire de l’herbe pour les éleveurs Maximin Bonnet remporte le premier prix sur le thème de la filière bovine allaitante

Trop de foin, puis pas assez… A La Réunion comme en métropole, la production fourragère est très saisonnière, avec un excédent d’herbe en saison chaude et un déficit en saison fraîche. Ce qui complique la tâche des éleveurs pour nourrir leurs bêtes. Pour optimiser la conduite des pâturages, le Cirad et l’Association réunionnaise de pastoralisme (ARP) ont créé un « observatoire de la pousse de l’herbe ». Entre 2017 et 2019, le suivi hebdomadaire d’un réseau de parcelles fourragères représentatives des différents contextes pédoclimatiques de l’île a permis de collecter des informations sur « les densités des couverts prairiaux, les dynamiques de croissance et la composition de l’herbe », détaille Maëva Miralles-Bruneau, ingénieure à l’ARP.

ma thèse en 180 secondes

La finale régionale du concours « Ma thèse en 180 secondes » a été remportée par Maximin Bonnet, doctorant au Cirad*, pour le « pitch » de sa thèse. Pas facile d’expliquer en trois minutes seulement un travail de plusieurs années sur l’évaluation de scénarios d’augmentation de la production dans la filière bovine allaitante. Mais la capacité de synthèse et l’éloquence de Maximin Bonnet ont su séduire le jury et le public puisque qu’il a remporté non seulement le premier prix du jury mais aussi le premier prix du public. Son travail permettra de dégager plusieurs scénarios d’augmentation de la production intégrant les contraintes de l’île.

Au sein du réseau de parcelles, la hauteur du couvert herbacé est mesurée par l’ARP chaque semaine grâce à un herbomètre. La densité de la végétation est également mesurée, ce qui permet de calculer la production d’herbe en kg de matière verte ou sèche par jour et par hectare. Ces informations sont ensuite communiquées aux éleveurs par l’ARP. Elles leur permettent de connaître le stock d’herbe disponible et d’optimiser la gestion de leurs parcelles. « Ils pourront par exemple adapter la charge animale ou le rythme de rotation, ou de faucher la parcelle », prévoit Emmanuel Tillard, chercheur au Cirad. La Guyane et la Nouvelle-Calédonie sont intéressées par la mise en place d’un tel observatoire. Un réseau d’échange inter-Dom a d’ailleurs été créé dans le cadre des Rita (Réseaux d’innovation et de transfert agricole) pour le partage des méthodes et des compétences. emmanuel.tillard@cirad.fr

8

* En collaboration avec le Centre d’économie et de management de l’océan Indien (CEMOI)

>

© Uniiversité de La Réunion

Un suivi hebdomadaire d’un réseau de parcelles fourragères a permis de collecter des données sur les densités des couverts prairiaux, les dynamiques de croissance et la composition de l’herbe.

R. Carayol © Cirad

RECHERCHE

ELEVAGE

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019


au service d’une agriculture durable Coordination : Agnès Tendero, Pierre Todoroff, Jean-Christophe Soulié Textes : Laurent Bouvier, avec les chercheurs du Cirad cités dans ce dossier Illustration : Marie Rousse

L

e secteur agricole connaît aujourd’hui sa révolution numérique. Les appareils de précision, les objets connectés, les capteurs intelligents, les systèmes de positionnement, les bases de données satellitaires, les drones, les robots, l’intelligence artificielle et les supports que sont les smartphones et tablettes permettent la création de nouvelles applications au service d’une agriculture intelligente. Dans cette « forêt » de l’agriculture numérique, le Cirad a choisi d’orienter ses recherches et ses outils à La Réunion vers l’aide aux décideurs dans l’élaboration de pratiques qui optimisent les bénéfices agro-environnementaux des productions agricoles.

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019

I

A travers de nombreuses applications accessibles à tous, le Cirad met, non seulement ses compétences et ses connaissances en agronomie tropicale au service de La Réunion, mais également au service des pays en voie de développement. Dans ce dossier, nous vous proposons de plonger au cœur de la boîte à outils conçue par les équipes à La Réunion pour les agriculteurs et décideurs du monde agricole. Des outils qui leur permettent par exemple de suivre sur leur smartphone la récolte de canne à sucre en temps réel, de simuler finement la croissance de leurs cultures ou encore d’utiliser les engrais de façon raisonnée et efficace.

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

Le numérique


© A. Franck/Cirad

numérique

« Des outils intelligents pour une agriculture tropicale durable » EN QUOI CONSISTE VOTRE TRAVAIL AU CIRAD À SAINT-PIERRE ? Nous conce-

vons des outils numériques d’aide à la décision pour les professionnels et décideurs du monde agricole. Précisément, il s’agit pour nous d’exploiter des informations quantifiées pour les transformer en informations utilisables en agronomie.

AUTREMENT DIT, VOUS FABRIQUEZ DES OUTILS D’AGRICULTURE INTELLIGENTE OU NUMÉRIQUE ? Oui, notre métier va

de la mesure à son stockage, en passant par sa mise à disposition via un support numérique comme le PC, la tablette ou le smartphone.

© Cirad

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

Accentuer la durabilité de l’agriculture à La Réunion peut aussi passer par l’usage des nouvelles technologies, données et méthodes du numérique.

Agnès Tendero, ingénieure en informatique et conception d’outils d’aide à la décision au Cirad. Pierre Todoroff, chercheur en modélisation et information spatiale au Cirad.

A Saint-Pierre, une équipe spécialisée en analyse de l’information spatiale, développe des applications au service des agriculteurs et décideurs pour l’élaboration de compromis agroenvironnementaux.

QUELLES SONT LES DONNÉES QUE VOUS UTILISEZ ? Elles sont de

nature, de sources et de formats différents. Mais nous exploitons principalement ici les données de télédétection couplées aux données des capteurs in situ. Mais nous pouvons utiliser aussi des échantillons de sol, des enquêtes...

LA DONNÉE N’A DE VALEUR QUE SI ON LUI APPORTE UN SENS... Exactement, le plus impor-

au début des années 2010, lorsque notamment la NASA puis l’Europe ont souhaité promouvoir l’utilisation de l’information satellitaire pour le plus grand nombre. D’où le programme Copernicus de l’Agence Spatiale Européenne qui met gratuitement à notre disposition les images de sa constellation de satellites Sentinelles. C’est en partie grâce à ces images que nous avons aujourd’hui une couverture intégrale du globe tous les 5 à 6 jours. Bref, nous nous retrouvons avec un flux énorme d’informations à traiter mais qui permet aujourd’hui de rattraper le retard.

POUVEZ-VOUS NOUS DONNER UN EXEMPLE D’OUTIL DÉVELOPPÉ DANS LE BUT D’UNE AGRICULTURE DURABLE ? Prenez MASH.

Pour optimiser la logistique de la récolte de la canne et maximiser sa teneur en sucre, les opérateurs sucriers doivent quantifier les surfaces restant à récolter. MASH (Mapping Sugarcane Harvest) cartographie l’avancement de la récolte via un traitement automatique des images satellitaires libres (radar et optique) acquises à haute fréquence. Cela limite les erreurs de prévision de récolte, réduit les pertes, augmente la productivité de la filière et donc diminue sa pression sur l’environnement.

GRÂCE AU

tant c’est de savoir comment extraire le savoir de cette donnée, comment on transforme cette donnée en connaissance. Et pour cela, nous mettons au point des modèles et des algorithmes.

TRAITEMENT D’IMAGES SATELLITES NOUS ARRIVONS

L’AGRICULTURE NUMÉRIQUE EST UN SECTEUR VASTE, DANS QUEL AXE S’ORIENTENT LES OUTILS PRODUITS PAR LE CIRAD À LA RÉUNION ?

À CARTOGRAPHIER EN TEMPS RÉEL

Nos travaux ont tous pour fil conducteur l’optimisation des services environnementaux fournis par les productions agricoles et les filières. Nos outils apportent aux agriculteurs et décideurs des éléments chiffrés qui leur sont nécessaires pour élaborer les compromis qu’ils doivent faire.

L’ÉTAT DE RÉCOLTE DES PARCELLES EN

UN AUTRE EXEMPLE ? L’outil PHYTO’AIDE évalue les risques de transfert des pesticides vers l’environnement. Il permet de déterminer les marges de progrès et proposer différents leviers (ex : type de pulvérisateur, type de buse, présence de bande enherbée, distance au point d’eau, etc…) pour limiter ces transferts. Il évalue les risques de différents scénarios de conditions d’utilisation et d’application, et fournit des résultats sous forme d’arbre de décision graphique. CES SOLUTIONS N’IMPLIQUENT PAS SEULEMENT DE SAVOIR ANALYSER DES DONNÉES, ELLES IMPLIQUENT LA CRÉATION D’INTERFACE CONVIVIALE... Nous devons traiter de grosses

quantités de données, mais c’est vrai, pour traduire ces données en interfaces conviviales, il faut avoir des spécialistes capables de concevoir des applications et développer des programmes, et nous les avons. Nous tenons à préciser qu’à chaque fois, les utilisateurs finaux sont associés à la conception de l’outil. C’est une condition de réussite.

CANNE À SUCRE.

C’EST UN CHAMP QUI A ENCORE ÉTÉ ASSEZ PEU EXPLOITÉ ? Il

existe depuis longtemps des outils au service de l’agriculture de précision, qui permettent de moduler les pratiques. Mais ce sont des outils connectés par les pays développés pour les cultures industrielles. Les pays en voie de développement et les agricultures tropicales ont été laissés de côté.

POURQUOI ? Parce que les données satellitaires dont nous nous

servons pour développer ces outils étaient très coûteuses et relativement rares, tout comme l’électronique nécessaire aux capteurs in situ. Autrement dit, pour développer des outils numériques en agriculture tropicale, nous manquions de données.

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

TOUT A CHANGÉ ASSEZ RÉCEMMENT… La tendance a changé

II

QUE DEVIENNENT CES OUTILS UNE FOIS DÉVELOPPÉS ? L’outil « chercheur » est transformé en outil « web » utilisable par tout le monde. Notre rôle au Cirad est, non seulement d’aider au rayonnement scientifique de La Réunion, mais aussi de transférer nos outils aux pays en voie de développement. MASH, par exemple, est aujourd’hui utilisé en Afrique du Sud et en Thaïlande. Nous avons un outil de mesure de la séquestration de carbone pour lequel nous travaillons à un transfert sur Maurice, Madagascar et le Sénégal.

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019


Une boîte à outils d’aide à la décision Riche de ses 50 années de recherches et d’appui au développement des filières agricoles, le Cirad, et son équipe spécialisée en analyse spatiale à La Réunion, a conçu et développé la plateforme Smart IS, pour « Smart Information System ». Cette plateforme propose une dizaine d’outils pour suivre la progression de la récolte de canne (MASH), prédire sa

a

1

production (SHARP), simuler sa croissance (MOSIWEB), simuler la planification de récoltes d’ananas (Victoria), aider à la fertilisation des sols (SERDAF), ou encore évaluer les risques de transfert des pesticides vers l’environnement (PHYTO’AIDE). Ces outils reposent sur un système d’informations aux sources de données variées : données météorologiques, données parcellaires, données

2

Smart IS met en œuvre un large éventail de systèmes d’acquisition de données provenant de sources hétérogènes (réseau de capteurs météo (a), imagerie satellitaire (b), etc...) pour fournir des outils d’aide à la décision.

3

TRAITEMENT DES DONNÉES

Des modèles d’analyse de données (statistique, fouille de données, télédétection, etc.) ou des modèles agronomiques (de croissance des cultures, de bilan environnemental, etc…) transforment les données en information utile, telle que prévision de rendement, progression de récolte, risque de transfert de pesticides vers l’environnement, conseil en fertilisation, etc.

https://smartis.re agnes.tendero@cirad.fr

Suivre la récolte de canne à sucre en temps réel cruciale pour ajuster les prévisions de récolte, la trésorerie des sucreries, les ressources humaines et la logistique de la récolte. Voilà pourquoi l’unité de recherche du Cirad, spécialisée en analyse de l’information spatiale, a développé une méthode de cartographie à partir des images libres des satellites européens Sentinelles.

satellitaires de la région de production et les analyse », précise Lionel Le Mézo, ingénieur au Cirad. Elle combine à la fois les images optiques des satellites Sentinel-2 et les images radar des satellites Sentinel-1, insensibles aux nuages, permettant ainsi de détecter les zones récemment coupées à coup sûr.

Avec des acquisitions systématiques tous les 5 à 12 jours, les satellites permettent de détecter les surfaces récoltées et de cartographier les parcelles de canne récoltées et celles encore sur pied, tout au long des 5 mois de la campagne.

Cette application web de cartographie est actuellement utilisée pour suivre les zones en canne à sucre à La Réunion (24 000 ha) mais aussi en Thaïlande (400 000 ha) et bientôt en Afrique du Sud (120 000 ha).

« Ces cartes sont produites par une chaîne de traitement automatique qui télécharge quotidiennement les images

RESTITUTION DES DONNÉES À L’UTILISATEUR

C’est à travers des plateformes web telles Smart IS que les données sont restituées aux différents utilisateurs pour suivre la progression de la récolte de canne, simuler sa croissance, aider à la fertilisation des sols, etc.

Parole de filière

MASH, LA CARTE INTELLIGENTE

D

Smart IS propose également des tableaux de bord et des indicateurs clairs et pertinents mis à jour en temps réel. Enfin, l’application Web offre un accès à des ressources telles

que des jeux de données climatiques à télécharger (METEOR) et des web services permettant aux utilisateurs de télécharger des données directement dans leurs propres systèmes, logiciels bureautiques ou scientifiques. Une vraie boîte à outils.

b

ACQUISITION DE DONNÉES

ans les pays où la canne est produite par des milliers de petits agriculteurs, c’est-à-dire la majorité des pays producteurs, connaître les surfaces de canne récoltées et celles restant à récolter en temps quasi réel est mission impossible. Cette information est pourtant

issues de chaînes d’acquisition, images satellites... et dont certaines sont couplées à des modèles agronomiques (modèle de croissance de la canne à sucre, modèle de maturité de l’ananas, etc.).

https://smartis.re/p/MASH lionel.le_mezo@cirad.fr pierre.todoroff@cirad.fr

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019

III

Yannick Soupapoullé, chef de projet à l’ARIFEL* © L. Decloitre

S

i les outils d’aide à la décision prennent de plus en plus de place dans la vie des professionnels du secteur agricole, ils tiennent aujourd’hui dans la poche. Les producteurs, décideurs politiques, techniciens des chambres d’agriculture ou des coopératives utilisent aujourd’hui au quotidien ces applications web accessibles sur tablettes et smartphones.

« L’ananas constitue la première culture de diversification en valeur et tonnage à La Réunion. Chaque année, ce sont ainsi entre 6 à 7 000 tonnes d’ananas qui sont produites sur une surface de 400 ha par 380 exploitations.

L’outil Victoria, disponible sur la plateforme Smart IS, s’inscrit dans le plan de relance de la production d’ananas, établi par l’ARIFEL pour répondre à l’augmentation de la demande. Il s’adresse d’une part, aux agriculteurs pour les aider à optimiser les coûts de production avec un plan de fertilisation personnalisé et des dates de prévisions de récolte, et d’autre part à la coopérative pour planifier les plantations et prévoir les récoltes au plus près des besoins du marché. L’ARIFEL dispose ainsi d’une vue globale de la production et des prévisions de récolte, peut anticiper les risques éventuels de surproduction et optimiser les écoulements vers différents marchés frais et transformés. » https://smartis.re/VICTORIA * ARIFEL : Association Réunionnaise Interprofessionnelle des Fruits & Légumes

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

LA PLATEFORME SMART IS


© R. Carayol/Cirad

Des données météo en accès libre sur toute l’île

L

’agriculture est par nature une activité conditionnée par le climat. La connaissance de la météo est donc essentielle pour prévoir la production agricole et raisonner la conduite d’une exploitation, mais aussi pour comprendre les phénomènes climatiques naturels affectant la surface terrestre et prévoir les épidémies. A La Réunion, un réseau de stations météorologiques uniformément réparties sur le territoire, conjointement gérées par le Cirad et par Météo-France, produit de la donnée climatique de qualité. La recherche agronomique s’appuie sur cette

grande quantité de données pour alimenter des modèles scientifiques et proposer des outils d’aide à la décision à l’usage des agriculteurs, des filières ou des aménageurs du territoire. Pour rendre ces données disponibles au plus grand nombre, le Cirad a développé l’outil MeteoR (Météo Réunion). Chaque jour, les données provenant des stations météorologiques sont intégrées au système d’information Smart IS par télécommunication (internet, GSM, téléphone). « MétéoR utilise des équations d’interpolation spatiale, pour

estimer la pluie, le rayonnement solaire, la température ou encore l’évapotranspiration potentielle en n’importe quel point de l’île », explique Mickaël Mezino, ingénieur au Cirad à La Réunion. L’interface se présente à l’utilisateur sous forme d’une carte, de sorte qu’il puisse ainsi saisir la position voulue pour y recueillir les données en un clic. Des données météo téléchargeables gratuitement. http://smartis.re/METEOR mickael.mezino@cirad.fr

SERDAF, UNE GESTION DURABLE DES SOLS

Un système expert d’aide à la fertilisation

U

tiliser les engrais de façon raisonnée et efficace. Tel est l’objet de SERDAF, un outil très fin d’aide à la gestion durable des sols et à la fertilisation de la canne. Fort d’une expertise agronomique et pédologique de plusieurs décennies à La Réunion, le Cirad a développé dans les années 90 un premier système expert informatisé afin d’améliorer

les rendements des parcelles cultivées en canne à sucre. « Le fonctionnement de cet outil repose sur une excellente connaissance des sols ainsi que sur un long historique d’essais agronomiques mais surtout sur une base de données contenant plus de 30 000 analyses de sol », souligne Antoine Versini, chercheur au Cirad.

SERDAF, le système expert réunionnais d’aide à la fertilisation, se base sur ces références. Il permet ainsi d’établir un diagnostic de fertilité chimique des sols à partir de l’analyse d’un échantillon de terre. Cette première étape permet une gestion appropriée de l’acidité et du statut organique des sols, de la disponibilité du phosphore et du potassium et de la

capacité de rétention des éléments nutritifs. Dans un second temps, SERDAF apporte un conseil chiffré et optimal en terme de fertilisation de la canne à sucre pour les trois principaux éléments nutritifs nécessaires aux plantes pendant leur développement (azote, phosphore, potassium), ou de fertilisation organique le cas échéant, en tenant compte

des pratiques agricoles, de la fourniture par le sol, des besoins des cultures cannières et de l’efficience des fertilisants. Aujourd’hui disponible en ligne sur la plateforme Smart IS, SERDAF réalise près de 1 000 préconisations chaque année. http://smartis.re/SERDAF antoine.versini@cirad.fr

MOSIWEB, UN MODÈLE SIMPLE ET PRATIQUE

© R. Carayol/Cirad

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

METEOR, LE CLIMAT GÉOLOCALISÉ

Chaque jour, les données provenant des stations météorologiques sont intégrées au système d’information Smart IS.

Un simulateur de croissance de la canne

Q

Le modèle MOSIWEB calcule la croissance quotidienne de la canne

Dossier > Le numérique au service d’une agriculture durable

uel producteur n’a jamais voulu prévoir d’un simple clic sur une carte le rendement de ses parcelles de canne ? Le Cirad a construit, dès les années 90, un modèle de croissance de la canne à sucre qui simule le développement des différents organes de la plante, jour après jour, en fonction des données météorologiques et des caractéristiques du sol. Pour diagnostiquer les accidents de croissance constatés sur le terrain, prédire le rendement, simuler la production selon différents scénarios (années sèches, calendriers d’irrigation,

IV

dates de semis/plantation, réchauffement climatique, etc…) ces questions complexes sont en général réservées à l’usage de spécialistes. A La Réunion, les chercheurs du Cirad ont connecté le modèle de croissance de la canne à sucre au système d’information Smart IS qui lui délivre automatiquement toutes les données dont il a besoin. L’utilisateur clique sur la carte de La Réunion, là où il souhaite simuler la croissance de la canne à sucre, choisit la date de début et de fin de la

simulation. Smart IS interroge alors la base de données climatiques et la carte pédologique de La Réunion, génère la série de données météo correspondante ainsi que les paramètres du sol, et le modèle MOSIWEB calcule la croissance quotidienne de la culture. Les résultats sont fournis sous forme de tableaux et de graphiques, à la fréquence définie par l’utilisateur. Simple et pratique. https://smartis.re/MOSIWEB pierre.todoroff@cirad.fr

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019


FERTILISATION EN PHOSPHATE

Une cartographie automatisée de l’occupation des sols

Mieux connaître les sols réunionnais

Les chercheurs du Cirad ont mis au point une cartographie automatisée de l’occupation des sols. Les cartes obtenues permettent de localiser les principales cultures mais aussi les zones bâties et les espaces naturels. Les cartes sont en libre accès sur AWARE.

Les chercheurs du Cirad ont ainsi mis au point, dans le cadre du projet GABIR, la chaîne de traitement « Moringa » qui minimise les interventions compliquées des utilisateurs, nécessaires auparavant, en automatisant la plupart des processus d’analyse et de traitement des images. Les cartes d’occupation des sols ainsi obtenues permettent de localiser les principales cultures mais aussi les zones bâties

et les espaces naturels. Cependant, la cartographie précise des zones arboricoles et maraîchères reste encore difficile à établir. La petite taille des parcelles et la grande variabilité de ces cultures les rendent souvent complexes à différencier à coup sûr. Pour améliorer cela, l’équipe envisage de tester de nouveaux algorithmes de classification utilisant l’intelligence artificielle afin d’obtenir de meilleurs résultats. Par ailleurs, les images optiques pourraient également être combinées avec des images radar afin de s’affranchir des problèmes liés à la présence de nuages. stephane.dupuy@cirad.fr

TÉMOIN

>

D

es changements importants sont intervenus ces dernières années dans le domaine du traitement des images issues de capteurs spatiaux (cf. notre dossier) : l’accès aux images satellitaires s’est ouvert et les logiciels de traitement d’images ont évolué.

Attention aux faux amis ! Un sol riche en phosphore ne signifie pas qu’il met à disposition des plantes le précieux élément nutritif. C’est ce que viennent de confirmer des travaux du Cirad récemment publiés dans la revue scientifique Soil Use & Management. Prenons le cas des andosols, c’est-à-dire les sols jeunes d’origine volcanique : ils contiennent plus de phosphore que les vieux sols, proches du littoral. Pour autant, le phosphore des andosols est fortement retenu. Il est donc peu disponible pour les cultures. C’est d’autant plus vrai que ces sols volcaniques sont généralement plus acides que les autres sols réunionnais ; or l’acidité limite également la disponibilité du phosphore pour la culture.

MINÉRALE

LISIER

COMPOST

Les mesures révèlent que le phosphore est plus « biodisponible » pour la plante, dans certains composts et lisier, que dans des engrais minéraux.

© Cirad

Les recherches du Cirad révèlent également que si le type de sol joue un rôle important, « l’historique des fertilisations doit également être pris en compte pour ajuster au mieux les futures pratiques de fertilisation ». Ces résultats sont le fruit de recherches courant sur plusieurs années, sur cinq sites représentatifs des principaux types de sols de l’île.

Cette carte de l’occupation du sol en 2018 de La Réunion a été obtenue à partir d’images satellites. Trois niveaux de précision sont disponibles en ligne sur AWARE.

AWARE, l’atlas de la recherche agronomique

agnes.tendero@cirad.fr

Certes, la teneur en phosphore des sols est importante de façon générale à La Réunion, mais la fertilisation étant néanmoins nécessaire, autant la gérer au mieux, en dosant les apports au plus juste. Accessoirement, on peut remplacer le phosphore des engrais minéraux importés par du phosphore présent dans les engrais organiques disponibles localement comme les lisiers de porc ou encore les boues d’épuration. « L’utilisation de ces engrais organiques semble d’ailleurs d’autant plus intéressante qu’ils permettent de corriger l’acidité des sols et ainsi favoriser la mise à disposition du phosphore à la fois apporté et initialement présent dans le sol », précise Matthieu Bravin. Ces travaux sont d’ores et déjà utilisés dans le cadre d’une thèse Cifre eRcane-Cirad avec l’objectif d’améliorer l’outil de conseil en fertilisation « Serdaf » (voir p. IV de notre dossier), utilisé à La Réunion. matthieu.bravin@cirad.fr

Le laboratoire d’analyses agronomiques du Cirad à La Réunion, qui dispose d’une connaissance unique des sols de l'île, est désormais laboratoire de référence pour l’océan Indien.

>

Quelle meilleure façon de diffuser des données géographiques qu’à travers un recueil de cartes, autrement dit un atlas ? AWARE, l’atlas web agricole de la recherche agronomique, rassemble les données géographiques produites par les chercheurs du Cirad. Il propose plus de 400 ressources dans ses catalogues de couches, cartes et documents... AWARE s’adresse à un large public : chercheurs, professionnels de l’agriculture, enseignants, bailleurs de fonds. Les utilisateurs sont rapidement autonomes grâce une interface conviviale. Au-delà du catalogage, AWARE offre de nombreuses fonctionnalités en accès libre comme la recherche à partir de métadonnées, la visualisation, le téléchargement de données géographiques ou encore la création et la personnalisation de cartes au sein même de l’atlas. Enfin, AWARE est ouvert et compatible avec des logiciels de système d’information géographique et d’autres atlas web cartographiques. http://aware.cirad.fr

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

RECHERCHE

PROJET GABIR

9


INNOVATION

UNE NOUVELLE FILIÈRE

Valoriser le poivre sauvage réunionnais

>

Pour accompagner la mise en place d’une filière Piper borbonense à La Réunion, le Cirad a étudié l’impact des procédés de transformation sur la qualité de ce poivre sauvage.

Le poivre sauvage réunionnais est une richesse en devenir. Parmi les 700 espèces de poivre dans le monde, le poivre sauvage réunionnais – Piper borbonense – a été identifié en 2011 par le Conservatoire Botanique National de Mascarin. Il s’agit d’une espèce endémique de l’île, cousine des poivres sauvages malgaches appelés Tsiperifery. Ces derniers, très appréciés par la haute gastronomie occidentale, sont commercialisés depuis 2008 à des prix élevés, alors que le poivre réunionnais demeure inexploité à ce jour. Le Cirad a étudié l’impact des procédés de transformation sur la qualité du poivre Piper borbonense dans la perspective de mettre en place une filière de transformation à haute valeur ajoutée à La Réunion. Nos recherches ont permis de comprendre les mécanismes qui sous-tendent la qualité sanitaire et sensorielle du poivre. Le process habituel comprend le blanchiment, l’étuvage et le séchage.

EN BREF « Planté pou Manzé » à Mafate

Le Projet Alimentaire Territorial « Planté pou manzé » du cirque de Mafate fait partie des 31 lauréats de l’édition 2018-2019 du Programme National pour l’Alimentation. Ce projet est porté par le Parc National de La Réunion, en collaboration avec le Cirad et les communes de la Possession et de Saint-Paul. Il entend favoriser les synergies d’acteurs pour réinventer une agriculture mafataise valorisant la tradition culinaire, les savoir-faire et les produits agricoles oubliés. Des études sont menées afin de connaître le potentiel agricole censé garantir un approvisionnement local des cantines scolaires et des gîtes.

Appui à la filière cacao. Tout savoir sur le cacao et le chocolat !

Pour accompagner le développement de la filière cacao à La Réunion, le laboratoire d’analyse sensorielle et la micro chocolaterie du Cirad organisent des formations pratiques. Il s’agit de permettre aux associations de producteurs de développer leur panel d’experts capables de reconnaître les descripteurs de qualité et les défauts du cacao. Les techniques organoleptiques abordées lors de ces formations ont pour objectif de définir avec méthode la qualité de leurs produits (apparence, odeur, goût, texture ou encore consistance) avant la mise en marché.

© Cirad

Ces procédés ont peu d’impact sur le piquant et l’arôme mais dégradent significativement la couleur du poivre. Plutôt qu’un procédé unique universel, une méthode « voie sèche » (séchage direct après cueillette) et une méthode « voie humide » (intégrant blanchiment et séchage) sont proposées. Elles sont, au choix, fonction de la qualité de la matière première à traiter d’une part et des demandes du marché d’autre part. Des travaux restent à mener pour bien comprendre comment limiter les phénomènes de brunissement du poivre et lui conserver sa couleur rouge. Fruit de ces résultats de recherche publiés dans Food Chemistry, un guide de bonnes pratiques de transformation à destination de futurs opérateurs a été élaboré. L’étude des conditions de durabilité d’une filière Piper borbonense à La Réunion est en cours. mathieu.weil@cirad.fr

STIMULER LES DÉFENSES NATURELLES

Déstresser les ananas En réintroduisant de la biodiversité dans les champs d’ananas, ceux-ci peuvent lutter plus efficacement contre leurs agresseurs.

C

omme l’homme, un ananas stressé est fragile face aux maladies. Il est pourtant possible d’améliorer son « bienêtre » en intégrant, par exemple, des plantes de service comme les crotalaires en rotation dans les champs. Ces légumineuses restaurent les régulations naturelles qui avaient été perdues dans les cultures intensives. D’une part, elles réduisent les populations de parasites du sol et d’autre part, leurs fleurs attirent les prédateurs des bioagresseurs. « Un système multi-espèces réduit fortement les stress en fournissant à l’ananas un milieu propice à son installation, confirme le chercheur du Cirad, Alain Soler. Le redémarrage des populations de bioagresseurs est alors empêché ou ralenti par ces défenses naturelles ». Les modalités d’application en plein champ restent toutefois à préciser pour la mise au point d’une véritable pratique de biocontrôle compatible avec le Bio ou le Zéro pesticide. Dans l’attente, les défenses naturelles de l’ananas peuvent être activées avec des produits naturels issus de plantes, algues ou micro-organismes, ou directement avec des microorganismes vivants. Les gènes de défense produisent alors des

10

• Le séchage : est indispensable pour stabiliser le poivre d’un point de vue microbiologique, mais impacte négativement la couleur.

© A. Soler, Cirad

M. Weil , Cirad

• Le blanchiment : présente de nombreux avantages. Il nettoie et décontamine le poivre, augmente la vitesse du séchage et limite le brunissement.

• L’étuvage : est à bannir. Il influence négativement la couleur et augmente très largement la charge microbienne du poivre.

Sur la station de Bassin-Plat, le Cirad expérimente un système de rotation Bio dans le cadre du projet Ananabio : ananas, crotalaire, maraîchage.

substances toxiques pour les parasites de la plante. Elles sont efficaces sur les nématodes (des vers ronds), les insectes et les champignons pathogènes. Ainsi, en inhibant les protéases digestives des nématodes, les pontes « sont réduites de 70 % en milieu contrôlé et de 50 % au champ après 8 mois de culture », se félicite Alain Soler. C’est le même principe qui permet, en milieu contrôlé, de lutter contre la multiplication des cochenilles responsables de la maladie du Wilt ou du flétrissement de l’ananas. alain.soler@cirad.fr

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019


INNOVATION

FRUITS ET LÉGUMES

Quel rôle jouent les bazardiers ? Quel est le rôle de ces acheteursrevendeurs de fruits et légumes qui fleurissent sur les marchés et trottoirs de La Réunion ? Le Cirad se penche sur cette profession peu connue mais essentielle.

© L. Piccin, Cirad

E

n métropole, les trois quarts des fruits et légumes sont achetés en grande surface. À La Réunion, au contraire, les têtes de gondoles sont remplacées par les visages bien sympathiques des bazardiers. Une spécificité « historique et culturelle » selon Luca Piccin, auteur d’une thèse de géographie économique au Cirad sur les dynamiques du marché des fruits et légumes à La Réunion. Parmi les 3 000 producteurs de l’île, 500, regroupés dans des organisations de producteurs, livrent plutôt à la grande distribution ; 400 travaillent avec des bazardiers grossistes ; 800 livrent au marché de gros à St Pierre. Les autres travaillent en direct avec environ 1 000 bazardiers présents sur toute l’île. Certains bazardiers sont parfois critiqués pour leurs pratiques commerciales plutôt informelles, sans facturation. « Ils constituent cependant un débouché crucial pour les exploitants agricoles », constate le chercheur italien. Quand les grandes surfaces exigent des produits calibrés, en grande quantité et à n’importe quel moment de l’année, les bazardiers sont plus proches du terrain et savent faire preuve de souplesse. De ce fait, ils conservent une image positive auprès des consommateurs réunionnais. Ainsi, la plus grande centrale d’achat a récemment lancé une marque qui fait référence à la figure du bazardier.

Les bazardiers sont des intermédiaires dont on peut difficilement se passer, comme dans ce marché rural à Cilaos.

La thèse de Luca Piccin mesure également l’émergence, parmi les coopératives, de nouveaux modèles comme les Amap (associations qui militent pour les circuits courts), ou encore les « paniers bio » commandés sur internet... Pour Jean-Paul Danflous, socio-économiste au Cirad, ces travaux sont essentiels pour les produc-

teurs. « Il ne suffit pas de s’intéresser à la production, il faut aussi écouler les produits ! Il est donc important de bien connaître les circuits de distribution et les habitudes de consommation ».

luca.piccin@cirad.fr

RESTAURATION COLLECTIVE

Favoriser le bio et les produits péi

Mais ce n’est pas si facile ! Les producteurs locaux doivent proposer des produits variés et labélisés en quantités suffisantes, des approvisionnements très réguliers et de qualité constante… Ils doivent également se doter des labels demandés, ce qui exige souvent des aménagements importants dans la

Depuis 2018, des chercheurs du Cirad les accompagnent. L’objectif est de « comprendre la nature des leviers et des freins », indique Claire Cerdan, chercheuse au Cirad. Un exemple de verrou à lever : à La Réunion, le pic de production des fruits et légumes tombe entre décembre et janvier, alors que les établissements scolaires sont fermés ! Pour y faire face, l’objectif est de créer et de mutualiser un réseau de producteurs, « souple et réactif », qui pourrait

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

© DAAF

conduite de leurs exploitations. Difficulté parmi d’autres, le label «Volay Péi », important à La Réunion, n’est pas reconnu par la loi Egalim… Il convient donc de travailler à une meilleure définition des cahiers des charges des labels et aux modalités de certification avec une reconnaissance des démarches qualité déjà mises en place à La Réunion. Un séminaire de travail s’est tenu sur le sujet en novembre 2018, qui a réuni tous les acteurs de la filière de la restauration collective.

>

Les parents en rêvent : que leurs marmailles mangent « bio » ou « local » à la cantine. Ce devrait bien être possible sur les quelque 160 000 repas servis chaque jour dans les écoles, collèges et lycées ! Possible, et même obligatoire dans trois ans, avec la loi Egalim. Cette loi vise à l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et à « une alimentation saine, durable et accessible à tous ». Elle va imposer à la restauration collective de servir 50 % de produits ayant un signe de qualité ou une mention valorisante, dont 20 % de produits « bio ». Il est également envisagé d’expérimenter un repas végétarien par semaine.

Les casse-têtes de la commission « menu » d’une commune : distinguer le local, valoriser les produits locaux, les allergies et l’équilibre nutritionnel des repas.

répondre à des allotissements mieux adaptés. Mais dans un même temps, rappelle Claire Cerdan, « il faut éviter de trop grands déplacements pour de petites quantités livrées ». claire.cerdan@cirad.fr

11


Une mallette pédagogique pour les vétérinaires Dans le cadre du dispositif One Health-OI, le Cirad a développé une mallette pédagogique en santé animale, mise à disposition des vétérinaires et des agents de terrain. L’outil les aide à une meilleure prise en charge des maladies animales rencontrées.

U

n manuel de terrain en santé animale, trente fiches techniques sur les maladies prioritaires et un kit pédagogique pour les formateurs : la mallette pédagogique, dont 70 exemplaires ont été distribués aux acteurs de la zone, est un outil précieux pour les vétérinaires, techniciens et auxiliaires de santé animale. Les documents décrivent les rôles et missions de chacun, les techniques de base en santé animale, les maladies les plus couramment rencontrées, les mesures immédiates à mettre en œuvre en cas de détection, les méthodes de diagnostic (examen clinique, autopsie, prélèvements), les médicaments susceptibles d’être utilisés… La mallette contient également des guides pratiques portant sur des techniques vétérinaires (autopsie, pédiluve, contention). Le kit pédagogique se compose quant à lui d’un guide d’usages et de fiches décrivant des techniques à utiliser pour des besoins de sensibilisation et de formation, en lien avec la santé animale. Tout ceci afin d’améliorer encore le savoir-faire des formateurs.

© G. Laveissière, Cirad

INNOVATION

GUIDES PRATIQUES

cecile.squarzonidiaw@cirad.fr Ces ressources sont téléchargeables sur le lien suivant : https://www.onehealth-oi.org/formations/mallettes-pedagogiques/mallette-pedagogique-sa

LES AUXILIAIRES DES CULTURES

Ces amis qui vous veulent du bien Arthropodes, nématodes, micro-organismes... On désigne couramment sous le nom « d’auxiliaires des cultures » ces organismes qui contribuent à limiter les pullulations des ravageurs. Afin de permettre à un professionnel de reconnaître ces amis des cultures, le Cirad et la Chambre d’agriculture publient un guide pratique illustré de magnifiques photos*. On y retrouve des descriptions détaillées de ces auxiliaires, qu’il s’agisse de prédateurs comme les coccinelles, qui capturent leurs proies avant de les dévorer, ou des « parasitoïdes » comme les micro-hyménoptères qui pondent sur ou dans leurs proies. En complément, un chapitre entier est consacré aux méthodes d’observation et de récolte des insectes et un autre sur les pratiques agricoles qui favorisent ces auxiliaires. « L’enjeu, c’est de faire bouger les lignes afin d’inciter les agriculteurs conventionnels à aller vers des pratiques agro-écologiques où le recours aux pesticides n’est plus qu’un ultime recours », indique Jean-Philippe Deguine, entomologiste au Cirad. Cet ouvrage, tiré à 2750 exemplaires, est disponible depuis août 2019 auprès des professionnels de l’agriculture : techniciens agricoles, agriculteurs, enseignants. Une version grand public, adaptée aux jardins et potagers, est en cours d’élaboration.

Caro Canne: deux cahiers techniques pilotés par le Cirad Deux cahiers techniques viennent d’être édités sous la direction de chercheurs du Cirad dans Caro Canne, le magazine des professionnels de la canne à la Réunion. L’objet de ces deux cahiers est de renforcer les connaissances des planteurs sur leur terroir et sur les pratiques permettant une gestion durable des sols. Dans le N° 45 de Caro Canne, paru en août 2018, l’équipe du Cirad (Matthieu Bravin, Antoine Versini, Frédéric Feder et Lionel Le Mezo) propose de « mieux connaître ses sols » tandis que dans le N° 46 de Caro Canne, paru en décembre 2018, l’équipe (Matthieu Bravin, Laurent Thuriès et Antoine Versini) propose aux professionnels de mieux s’approprier « les fertilisants et les outils disponibles pour un pilotage raisonné de la fertilisation. » Retrouvez Caro Canne : https://fr.calameo.com/books/0028734591fee8d85cd10

jean-philippe.deguine@cirad.fr antoine.franck@cirad.fr didier.vincenot@reunion.chambagri.fr * prise avec un système d’imagerie composé d’un macroscope (avec un grossissement de 0 à 400 fois), couplé à un module photographique.

12

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019


INNOVATION INNOVATION

AGRO-ÉCOLOGIE

Le Cirad accompagne la lutte contre la mouche de la fraise

S

on nom est Drosophila suzukii, mais en France métropolitaine, on l’appelle la mouche de la cerise. A La Réunion, elle mériterait le nom de mouche de la fraise tant elle est focalisée sur ce fruit cultivé principalement dans les hauts, entre 600 et 1 000 m. Détectée pour la première fois sur l’île en 2015, cette mouche est l’un des insectes les plus envahissants au monde. Or aujourd’hui, il y a peu de solutions techniques de lutte et les pesticides sont inefficaces. Le Cirad a donc entrepris, depuis 2017 avec l’Inra, un premier travail pour répertorier les plantes hôtes de la mouche. Cette étude a montré qu’elle s’attaquait essentiellement aux fraises et aux goyaviers. Un premier état des lieux a permis de montrer les limites de la lutte chimique et de faire des propositions de gestion agro-écologique. « Une surveillance régulière des populations de Drosophila suzukii à l’échelle de l’exploitation est réalisée, avec la mise en place de pièges alimentaires », indique Jean-Philippe Deguine. « Il est préconisé aux agriculteurs de ramasser les fruits tombés piqués par la mouche, car c’est là que se trouvent ses œufs ». Cela permet de

© A. Franck, Cirad

Cette mouche est l’un des insectes les plus envahissants au monde. A La Réunion, elle a jeté son dévolu sur la fraise. Le Cirad accompagne, avec ses partenaires agricoles*, la gestion de la lutte avec des recommandations de gestion agro-écologique.

A La Réunion, Drosophila suzukii s’attaque aux fraises et aux goyaviers.

réduire considérablement les populations de mouches. Mais pour qu’elle soit efficace, cette prophylaxie doit être réalisée très régulièrement durant toute l’année. « Enfin, il faut fractionner la récolte tous les deux jours pour prévenir les attaques de mouches ». Ces recommandations impliquent que les producteurs mettent en adéquation leurs objectifs de production

avec leurs moyens humains. Elles ont fait l’objet de restitutions à l’interprofession et seront publiées prochainement dans la revue de vulgarisation Phytoma. jean-philippe.deguine@cirad.fr *en collaboration avec la FDGDON, la Chambre d’Agriculture, l’Armeflhor, la DAAF.

MOUCHE DES FRUITS

© A. Franck, Cirad

La lutte bio est-elle efficace contre Bactrocera dorsalis ?

>

La mouche orientale des fruits, Bactrocera dorsalis, est présente depuis 2017 à La Réunion.

Depuis 2017, la mouche orientale des fruits, Bactrocera dorsalis, fait rage à La Réunion. Les larves et asticots blanchâtres de cette Tephritidae originaire d’Asie du Sud-Est se nourrissent de la pulpe des fruits, occasionnant d’importants dégâts. Cette mouche invasive présente une gamme d’hôtes très variée et une fécondité très élevée. Face à cette menace, le Cirad a collecté fruits, légumes et hôtes sauvages potentiels à différentes altitudes. Résultats : en à peine un an, la mouche s’est répandue partout, de 0 à plus de 1 400 m, avec une prédilection pour les badamiers, goyaves et goyaviers. La nouvelle campagne d’échantillonnage effectuée en 2019 montre que la gamme d’hôtes s’allonge encore. « B. dorsalis a été retrouvée dans la mangue, la banane, la papaye… en quantités parfois impressionnantes », s’alarme Laura Moquet, chercheuse en charge de cette action. Au total, le ravageur a été observé dans 40 espèces de fruits et légumes à La Réunion !

introduit à La Réunion pour lutter contre d’autres espèces de mouches des fruits. Mais qu’on ne se réjouisse pas trop vite : les premiers résultats montrent à La Réunion des taux de parasitisme encore faibles sur la mouche orientale des fruits. Est-ce dû à « un temps d’adaptation encore nécessaire pour qu’il s’habitue à cet hôte ? » s’interrogent les chercheurs ? Pour mieux comprendre les interactions entre ces deux espèces, des expériences en laboratoire sont en cours et de nouvelles collectes sur l’île vont permettre de suivre l’évolution du taux de parasitisme.

helene.delatte@cirad.fr

Pour le contrer, les espoirs se portent aujourd’hui sur Fopius arisanus, un parasitoïde d’origine asiatique qui pond à l’intérieur des œufs de B. dorsalis… En 2003, il avait été

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

13


MAYOTTE et océan indien

ONE HEALTH

L’élevage, réserve potentielle de bactéries résistantes aux antibiotiques ?

L

L’océan Indien n’est pas épargné par ce problème et les pays en développement semblent plus impactés encore. Mais quelles sont les principales sources responsables de la contamination des hommes ? Est-ce l’élevage qui contribue le plus à l’évolution de la résistance bactérienne aux antibiotiques à cause de l’usage abusif des antibiotiques par le passé ? Est-ce l’environnement, qui préserve les bactéries pendant de longues périodes jusqu’à contaminer un animal ou un homme ? Ou est-ce encore les hôpitaux, où l’on soigne des patients fragiles et où l’on utilise de nombreuses classes d’antibiotiques ? qui constituent des réservoirs de bactéries résistantes ? Les travaux en cours de Noellie Gay, chercheuse au Cirad, semblent indiquer que l’élevage constitue une réserve conséquente de bactéries résistantes, et le démontre dans un article publié dans la

SURE : surveiller les maladies infectieuses animales Le projet SURE, hébergé à La Réunion et piloté par le Cirad, vise à fédérer des partenaires de l’océan Indien et du continent africain pour surveiller et modéliser les risques de transmission des maladies infectieuses animales entre la Région est-africaine, l’Union des Comores et l’Afrique du Sud. Les Comores importent tous les ans plus de 5 000 ruminants en provenance d’Afrique continentale. Pour cette raison, le risque d’introduction de maladies présentes en Afrique et les vecteurs qui leur sont associés est considérable. Cela a déjà été illustré par de récentes émergences de maladies comme la theilériose, la fièvre de la vallée du Rift, la peste des petits ruminants ou encore plus récemment la fièvre aphteuse. Le projet SURE va permettre de répondre à des appels à projets fédérateurs importants pour anticiper l’émergence de crises sanitaires liées aux mouvements d’animaux.

revue Veterinary Sciences. Pour le moment, leur présence ne pose pas de problème concret pour la santé des hommes, mais qu’en sera-t-il demain ? Pour le savoir, l’équipe du Cirad conduit une étude à Madagascar avec l’Institut Pasteur et le docteur Jean-Marc Collard. Ce travail est essentiel pour comprendre

© Cirad

Ces recherches devraient aider à lutter plus efficacement contre ce fléau sanitaire. Couper les voies de la transmission des bactéries résistantes pourrait en effet enrayer une partie du problème.

OCÉAN INDIEN

Nouvelles crises sanitaires à Mayotte et Mohéli Deux nouvelles crises sanitaires frappent l’océan Indien depuis la fin de l’année dernière : la fièvre de la vallée du Rift à Mayotte et la fièvre aphteuse à Mohéli. La fièvre de la vallée du Rift, maladie transmise par les moustiques à l’homme et à l’animal, s’est déclarée en fin d’année dernière et a gagné l’ensemble de Mayotte avec 138 cas humains et 124 foyers détectés chez les ruminants, recensés au 29 juin 2019. La circulation du virus, toujours sous surveillance depuis la dernière épidémie en 2008 reculait pourtant chaque année et, début 2018, moins de 10 % des ruminants montraient encore des traces du passage de ce virus. Les raisons de cette réémergence sont à l’étude. Par ailleurs, c’est en février 2019 que les premiers cas de fièvre aphteuse ont été détectés à Mohéli. Aujourd’hui, plus de 500 cas ont été observés sur les ruminants mais la maladie semble cantonnée sur cette petite île de l’Union des Comores. L’ensemble des acteurs de la santé, humaine et animale, ont agi de concert dès la détection des premiers signes pour prendre les mesures qui s’imposaient : réduction des mouvements d’animaux, utilisation d’insecticides et de désinfectants… La Commission de l’Océan Indien, via son réseau SEGA One Health, a débloqué les vaccins pour assurer la première campagne de vaccination à Mohéli.

14

la transmission de bactéries résistantes aux antibiotiques, entre les hommes et les animaux et par la consommation d’eau.

© V. Porphyre – S. Detournay, Cirad

EN BREF

A Madagascar, comme dans d’autres îles de l’océan Indien, les antibiotiques sont utilisés dans les élevages de porc pour lutter contre certaines maladies bactériennes. Mais les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques.

© V. Porphyre, Cirad

es bactéries sont présentes partout : dans le sol, sur notre peau, dans notre tube digestif, celui de nos animaux de compagnie. Certaines nous sont utiles alors que d’autres nous rendent malades. Or, les résistances bactériennes aux traitements antibiotiques augmentent, conduisant parfois à l’échec de tous les traitements disponibles sur le marché.

>

Les bactéries résistantes aux antibiotiques constituent un problème sanitaire majeur à travers le monde. Des travaux du Cirad cherchent à identifier les principales sources de bactéries résistantes à l’origine de la contamination des hommes dans les îles de la zone océan Indien.

Deux nouvelles crises sanitaires frappent l’océan Indien depuis la fin de l’année dernière : la fièvre de la vallée du Rift à Mayotte et la fièvre aphteuse à Mohéli.

D’autre part, les ADN des virus ont été séquencés ce qui a permis de conclure à leur origine est-africaine. Le risque d’introduction depuis le continent africain reste visiblement toujours très présent : il faut donc impérativement limiter l’importation d’animaux sur pieds et vérifier avec soin leur état de santé. eric.cardinale@cirad.fr

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019


La renaissance d’une filière d’agrumes sains Le Cirad s’est attelé, avec ses partenaires dans le cadre du RITA Mayotte, à relancer la filière agrumes après l'épidémie de chancre citrique qu'elle a subie.

T © A.L. Rioualec

ous les plants d’agrumes des pépiniéristes de Mayotte avaient dû être détruits. Un arrêté préfectoral avait imposé cette mesure radicale pour enrayer l’épidémie de chancre citrique détecté sur l’île en 2012 et dû à la bactérie Xanthomonas citri. Une catastrophe, alors même que le Conseil départemental et la Chambre d’agriculture avaient initié un plan de relance de la filière !

Deux serres insect-proof destinées à la culture d’agrumes sains abritent les collections de « pieds mères » et les « blocs d’amplification ».

La parole à nos partenaires Abdou MOUSTOIFA, directeur adjoint à la Direction Ressources Terrestres et Maritimes du Conseil départemental de Mayotte « Un partenariat exemplaire » « De façon générale, les Réseaux d’Innovation et de Transfert Agricole (Rita) sont un outil formidable pour Mayotte, où l’on manque d’ingénierie de projets. Le fait de pouvoir mutualiser sur une plateforme de concertation, c’est très positif pour notre département. Pour notre part, nous veillons à ce que les projets aboutissent à un consensus au bénéfice du développement agricole de notre île. Ce fut le cas

avec le projet de relance de la filière agrumes. Le Conseil départemental avait constaté une dégénérescence variétale et subventionnait donc de nouveaux plants pour les exploitants. Mais est apparu le chancre, qui nous a obligés à interrompre ce programme. C’est à ce moment que nous avons fait appel au Cirad (voir l’article ci-contre). Que ce soit pour le portage financier, la caution scientifique et technique, ce fut un partenariat exemplaire, un réel travail collaboratif. »

En 2015, la relance de la production de plants sains a alors été inscrite dans les priorités du Réseau d’innovation et de transfert agricole (RITA) et de son projet Innoveg (Itinéraires techniques innovants en filières végétales). Un groupe de travail regroupant le Cirad, la Direction des ressources terrestres et maritimes du Conseil départemental, la Chambre d’agriculture, des pépiniéristes, la Daaf et le réseau d’épidémio-surveillance a élaboré un schéma de production, avec l’appui financier de l’Europe. En 2018, le Conseil départemental a construit sur le site de Coconi deux serres insect-proof destinées à la culture de plants sains, suite à la mission d’un généticien et sélectionneur du Cirad. En avril dernier, 21 variétés ont été introduites depuis La Réunion. Le greffage, le rempotage des plants et la formation du personnel technique ont été assurés par des techniciens du Cirad. « Ce plan d’envergure devrait permettre à Mayotte de produire à nouveau 12 à 13 000 plants d’agrumes par an pour satisfaire producteurs et consommateurs », se félicite Joël Huat, le chef de projet du Cirad. Les agriculteurs pourront se fournir en plants sains dans un peu plus d’un an. joel.huat@cirad.fr

DEUX NOUVELLES RACES BOVINES FRANÇAISES

Les zébus Moka et Mahorais reconnus années. « Nous avons étudié, détaille Olivia Fontaine du Cirad, l’élevage et les populations locales de zébus, les caractéristiques morphologiques et raciales, la diversité génétique ou encore les capacités d’adaptation aux contraintes environnementales ».

>

© J. Magné, Cirad

Les dossiers ainsi constitués ont ensuite été déposés auprès de la Commission nationale d’amélioration génétique du ministère de l’Agriculture, qui a officiellement ajouté le zébu Moka de La Réunion (code 80) et le zébu Mahorais (code 90) à la liste officielle des races françaises. Le zébu de Mayotte est désormais une race officiellement française.

Avec leur bosse sur le dos, les zébus sont aisément reconnaissables. Mais ceux de La Réunion et de Mayotte constituent-ils des races à part ? Pour le savoir, le Cirad, l’Association pour la promotion du patrimoine et de l’écologie à La Réunion, la Coopérative agricole des éleveurs de Mayotte (Coopadem) et la Chambre d’agriculture de Mayotte ont travaillé sur la question durant plusieurs

Le zébu présent à Mayotte depuis le XIII-XIVème siècle montre une forte proximité génétique avec les populations de zébus indiennes du berceau d’origine dans la vallée de l’Indus. « Il constitue une population homogène, peu métissée et peu consanguine », précise Solène Raoul de la Coopadem. Les premières implantations de zébus Moka à La Réunion sont plus tardives (XVII-XVIIIème siècle). La race présente un

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - septembre 2019

taux d’ascendance, de proximité, supérieur avec les taurins africains (20 % contre 2 % pour le zébu Mahorais). Avec moins de 600 mères recensées, le zébu Moka est aujourd’hui menacé de disparition. Comme le précise Jérôme Janelle du Cirad, « ces deux races ont su s’adapter à un environnement contraint ». Elles constituent ainsi des réservoirs de gènes d’adaptation face à des conditions d’élevage dures, essentiels face aux changements climatiques à venir. Les caractéristiques de ces races locales présentent également un intérêt pour l’agro-écologie et la petite agriculture familiale. Ces éléments soulignent « la nécessité d’élaborer pour chacune d’elles un vrai schéma de conservation et de valorisation de la race », préconise Emmanuel Tillard, chercheur au Cirad. jerome.janelle@cirad.fr olivia.fontaine@cirad.fr

15

MAYOTTE et océan indien

APRES L’APPARITION DU CHANCRE A MAYOTTE


22 M€ de budget 205 salariés 34 ha d’expérimentation 14 000 m2 d e laboratoires,

RECHERCHE

13 unités de recherche dont 7 unités mixtes 140 publications scientifiques 247 citations comme auteurs

serres et bureaux

PARTENARIAT

FOCUS

200 heures de cours délivrées 37 doctorants dont 6 bourses Cifre 25 ingénieurs 86 s tagiaires

18 juin 2019 : Journée d’échanges et d’évaluation participative d’innovations techniques sur le thème de la production biologique de l’ananas Victoria à La Réunion, co-organisée par

* en 2018

70 partenaires locaux et nationaux 39 partenaires internationaux 161 missions sur 1 873 jours 184 personnes accueillies de 25 institutions différentes, dont 21 étrangers

ENSEIGNEMENT

l’Armeflhor et le Cirad – Projet ANANABIO, financé dans le cadre d’un appel à projets du Casdar par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

© Armeflhor

LE CIRAD À LA RÉUNION EN CHIFFRES*

RESSOURCES

16

AGRO NEWS > Edition Réunion-Mayotte / océan Indien • Numéro 9 - SEPTEMBRE 2019


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.