Le cordonnier, la cuisinière et le coiffeur

le cordonnier, la cuisinière et le coiffeur

Voyager, s’ouvrir sur le monde et les particularités des terres qui me sont inconnues m’ont toujours inspiré. En tant que future designer, j’estime devoir faire preuve d’ouverture d’esprit et de curiosité.

Je crois que c’est comme cela que l’on peut créer des artéfacts en s’inspirant du réel. Il est bien vrai que les créations sont en réalité un travail de recyclage, on crée à partir du vrai soit d’éléments déjà réalisés par le passé. On continue les recherches de nos prédécesseurs en espérant aller plus loin.

C’est ce processus que je veux mettre au point au travers de mon travail sur l’espace public et le sans-abrisme.

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Sommaire

1 Introduction

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2 S’approprier la rue comme extension de l’habitat

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3 Transformer la rue comme demeure

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4 Conclusion

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5 Bibliographie

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6 Iconographie

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“Habiter c’est s’approprier un espace, l’investir de sens par des pratiques quotidiennes. On agit sur l’environnement, on se l’approprie et on le transforme” Gaspard Lion, sociologue

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1 Introduction

Il y a 12 ans je suis allée pour la première fois en Afrique de l’Ouest, plus précisément au Togo. Ce voyage visait à me faire découvrir mes racines. Ce qui m’a d’abord frappée, en dehors de la chaleur, c’était la vivacité de la ville. Un nombre incroyable de commerces de rue et de vente informelle animent quotidiennement l’espace. Dès le matin, les commerçants de rue déambulent avec leurs produits.

À Lomé on habite la rue comme extension de notre propre demeure en y réalisant des activités quotidiennes. Parallèlement, à Paris, on habite dans la rue quand on est dépourvu de “chez-soi”. La rue apparaît ici comme un simple lieu de circulation que certains sont contraints de transformer comme substitut de logement. Ce double sens de la manière d’habiter relève alors d’un paradoxe.

«Sacomi! Sacomi!» criait chaque matin le vendeur de baguettes togolaises.

Peut-on “habiter la rue” quand on habite dans la rue ?

Chacun faisait remarquer sa présence par un bruit distinct voire un cri annonçant leur spécialité. Je me souviens particulièrement du cordonnier qui utilisait deux de ses outils, les cognant l’un contre l’autre pour alerter de son passage dans le quartier.

Il était toujours équipé d’un sac rempli de ses outils pour réparer les chaussures et s’arrêtait en pleine rue pour en rafistoler une paire dès qu’on lui faisait signe.

Cette manière surprenante d’interagir avec les habitants m’a fait découvrir une différente manière d’habiter la rue.

Si habiter signifie vivre dans un espace offrant les conditions nécessaires à notre développement, cela revient aussi à occuper un lieu de manière habituelle.

Ainsi, habiter ne se limite pas qu’aux formes variées et déclinées d’une habitation. En outre, habiter prend forme dans différentes enveloppes passant du corps, au mobilier et au type d’espace allant de l’intime, au privé, au semi-privé et au public. On passe graduellement de l’habitation, à la rue, au quartier et à la ville.

De plus, on observe rapidement qu’habiter renvoie à la culture et au degré d’intimité de chacun.

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Une femme déambule en portant des tissus sur le haut de la tête.

Kidus Tesfaye, Conakry, 2020.

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2 S’approprier et habiter la rue comme extension de l’habitat Proxémie, cohabitation et héritage d’un membre de la famille du voisinage.

La famille concernée célébrait le décès en dansant et en mettant la musique dans la rue. La célébration à l’honneur du défunt était ouverte au regard de tous, mais également accessible à tous. N’importe qui était libre de les joindre. C’était impressionnant mais aussi inattendu de mon point de vue.

Depuis très jeune, j’ai toujours été intriguée par les installations dans l’espace public et la manière à chacun d’en occuper l’espace.

Que cela soit lors d’événements publics, au quotidien, ou bien lors d’une célébration à l’échelle familiale. Dans mes plus anciens souvenirs, je me rappelle d’avoir voyagé de Paris jusqu’en Normandie en famille, dans l’optique d’aller à la mer. Lors de ce voyage, nous avions emmené draps, matelas, et tissus pour s’approprier un espace comme une extension de notre maison que nous avions temporairement quittée. Ceci est un exemple extrême car je n’ai jamais vu jusqu’à ce jour de matelas utilisé sur la plage. Mais cela en dit beaucoup sur la manière dont chacun peut utiliser l’espace. Est-ce que cela a été influencé par notre culture africaine assez libre et décomplexée ?

Ce qui est normalement caché en huit clos et d’une ambiance morose, était ici rempli d’énergie et accessible à tous. Le rythme de la musique, les mouvements de danses et les chants faisaient vibrer le sol et les murs du voisinage. Cependant, chacun respectait la célébration en tolérant les nuisances sonores. Cela s’explique par les valeurs culturelles du Togo ainsi que son rapport avec la manière dont l’homme occupe la rue ; Il s’agit de la proxémie1. Cette dernière désigne l’ensemble de ces paramètres responsables de la vivacité de la ville.

Bien que l’on soit dans un espace structuré de manière sociopète2, il est inconcevable que nous vivions de cette manière en France. Les espaces ont été conçus de manière à favoriser la communication entre les sujets avec ces jardins, terrasses et grandes places. A l’opposé des villes américaines où l’utilisation de la voiture peut être indispensable pour se déplacer, Paris n’est pas entièrement dominée par la voiture. La voiture présente une barrière à la création du lien social car elle isole les conducteurs.

Mon voyage au Togo m’a permis de réaliser que l’utilisation de la rue est fortement liée aux valeurs culturelles. Les relations interpersonnelles et la chaleur ont facilité des interactions décomplexées. Cela peut se communiquer par les différentes formes de vente informelle. En effet, il est très courant de voir des vendeurs porter leur marchandises aisément sur le haut de la tête lorsqu’ils déambulent à la recherche de clients. On peut également voir des coiffeurs s’occuper de clients dans la rue, ou des traiteurs cuisiner dans la rue à même le sol. Habiter la rue est une pratique indispensable dans certaines cultures pour la survie de chacun.

Cependant, la culture française possède un degré du sentiment d’intrusion supérieur à celle des togolais, où le sentiment de communauté et de chaleur est dominant.

De ce fait, ce qui prend place de manière spontanée permettant des rassemblements avec la cuisine de rue serait difficilement accepté au quotidien en France.

Les rapports de voisinage révèlent également la facilité qu’ont les togolais à cohabiter. J’ai été témoin de célébrations d’ordre du privé qui prennent place dans la rue. Il m’a semblé impensable qu’une chose pareille puisse se passer en France.

En effet, il s’agissait des funérailles 1. La proxémie est un néologisme créé pour désigner l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique. (T. Hall, 1966)

2. Le médecin chercheur Humphry Osmond observa que les espaces sociopètes visent à provoquer le contact comme les terrasses de café en France. Au contraire, certains espaces comme les salles d’attente ont pour effet de maintenir le cloisonnement des individus. Il s’agit d’espace sociofuge. (T. Hall, 1966)

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Les termes comme nuisance sonore, tapage et trouble de voisinage peuvent en témoigner. Il y a un écart entre les codes sociaux que nous avions intégrés ici et ceux du Togo.

“Maïs chaud! Mais chaud!” répètent tout haut les vendeurs de maïs dans le brouhaha parisien. À Barbès, dans le quartier de Château Rouge, on peut retrouver des vendeurs de maïs chaud, de brochettes de viande selon la saison. Contrairement à la forme de vente déambulante, ici les vendeurs se placent à un endroit stratégique qui leur permet de se retirer rapidement dès la présence des forces de l’ordre. On les retrouve souvent à l’entrée des bouches de métros, où alors sur des passages qui y sont à proximité. Il peut aussi arriver qu’on en trouve dans les couloirs du métro.

Généralement, les vendeurs cuisinent tout à l’avance, et n’effectuent que la dernière étape de préparation avant de vendre leur produit.

En plus de la différence culturelle, cela doit aussi s’expliquer par la différence d’échelle des deux villes : Paris et Lomé n’ont ni la même histoire, ni la même démographie.

De plus, Paris est une ville habitée par des individus venant de cultures très différentes. Il serait difficile de mettre en place un dispositif convenable à tous.

Bien que la divergence entre Paris et Lomé soit évidente, on peut observer des espaces parisiens dans lesquels des pratiques sont similaires à celles constatée au Togo. Les quartiers populaires de Paris sont des espaces dans lesquels il est facile de retrouver des comportements semblables à ceux que l’on peut trouver en Afrique. Cela s’explique par l’identité des communautés qui y vivent et qui s’approprient la rue. À Paris Nord-Est, le XVIIIe arrondissement est considéré comme le “Paris Noir”. En passant de Clignancourt, à la Goutte d’Or et enfin, Barbès-Rochechouart, on retrouve une certaine centralité africaine. Apprécié par certains car représentant une Afrique dans Paris, ce secteur peut aussi être vu par d’autres comme “un quartier en perdition” pour sa rupture avec la culture française.

Barbès est connu pour être un quartier où la vente “à la sauvette” est très présente.

Cette pratique de vente informelle que l’on retrouve au Togo sous plusieurs formes est ici limitée dans les moyens et vue de manière péjorative.

Ce type de cuisine de rue prend aussi place en banlieue proche telle que Saint-Denis, Sarcelles, ou encore Grigny. En effet, on la retrouve là où les communautés ont un héritage culturel où la pratique de cuisine de rue est très présente. Ce moyen rapide de faire du commerce de rue à Paris s’inspire essentiellement des multiples dispositifs mis au point en Afrique et en Asie.

Sacomi, maïs chaud et boui-boui Dans les pays du sud, énormément d’activités prenant habituellement place dans un espace clos se décontextualisent pour s’installer dans l’espace public. Au Togo comme au Vietnam, on retrouve des cuisines de rue et des restaurants ambulants. Ce système fait parti de la culture et témoigne de la précarité. La pauvreté et le niveau d’éducation sont les facteurs déterminants du niveau d’informalité d’un pays. Ainsi, cette pratique est intégrée dans une grande partie des pays du tiers-monde et continue à se transmettre à travers les générations.

Bien qu’elle soit illégale en Afrique, elle y est tolérée car elle est très intégrée dans la culture. Ici, l’aspect illégal est bien plus prononcé dû aux lois créées.

En conséquence, cette pratique a donné lieu à la création d’une brigade sauvettecontrefaçon. Malgré cela, cette activité perdure.

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Une femme prépare des beignets dans sa cuisine de rue.

Claire Lengagne, Niamey, 2020.

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En effet, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a déclaré que 93% des emplois informels se trouvent dans les pays en développement1.

Tout d’abord cela permet de retrouver une clientèle habituelle, mais aussi de donner à sa cuisine de rue une forme de «foyer au sol». C’est-à-dire que le vendeur s’installe sur le sol qu’en début de journée et ne range tout qu’en fin de service. Ce qui est moins physique que le système ambulant.

Enfin, on peut trouver des aspects positifs aux deux formes de cuisine ouverte. Si l’une permet aux restaurateurs d’aller directement vers les clients en déambulant, l’autre leur permet de s’approprier un espace bien précis et d’y retrouver des clients habitués avec certitude.

On expliquait plus tôt l’importance des commerçants ambulants à Lomé (Togo) qui permettent de dynamiser l’espace public mais aussi de créer des liens ainsi qu’un sentiment de communauté entre les citadins. Le même phénomène peut être observé en Asie, avec le Vietnam qui est connu pour ses différents systèmes de cuisine ouverte. En effet, le boui-boui ambulant, appelé le Gánh Hàng Rong en vietnamien est particulièrement intéressant.

Il s’agit d’un dispositif permettant le transport de nourriture, ainsi que la préparation des aliments mais également la consommation sur place. Fabriqués de manière ingénieuse, deux paniers tiennent sur une tige de bambou permettant le port du dispositif. Le vendeur transporte donc ses éléments en déambulant dans la rue, signalant sa présence par une exclamation, et s’arrêtant à des points stratégiques. A ces endroits-là, il dispose des assises en plastique permettant aux intéressés de se restaurer dans la rue. Cependant, dû au caractère illégal du dispositif, il arrive que le restaurateur quitte les lieux en urgence afin d’éviter les représentants de la loi.

Ce qui peut donner lieu à des scènes plutôt amusantes. On a pu retrouver un témoignage qui énonçait des incidents insolites. En effet, il arrive souvent que les vendeurs laissent les clients manger sur place et fassent le tour du quartier en attendant que les policiers partent. Il peut aussi arriver, plus rarement, que les clients prennent leur chaise et courent avec eux.

Nous avons vu des formes de commerces naître dans l’espace public tel que le food truck qui pourrait être mis en tension avec les cuisines ouvertes nomades. Cependant, elles présentent des formes et fonctions divergentes. Les moyens de présentation, de préparation et de déplacement diffèrent.

En Europe et en Amérique, les dispositifs de cuisine de rue prennent souvent la forme de véhicules à moteur. Cela témoigne de la différence de moyens entre le nord et le sud même si ce dispositif s’exporte petit à petit vers les pays plus pauvres. On notera tout de même que le phénomène inverse se développe aussi.

Ainsi, des dispositifs plus économes voient le jour. Par exemple, on peut retrouver des systèmes de vente à la sauvette dans des quartiers parisiens. Notamment avec les vendeurs de maïs qui s’installent dans la rue. Pour passer inaperçu, ils utilisent des cabas à roulette dans lesquels ils mettent un sac rempli de maïs chauffés à la vapeur. D’autres vendeurs utilisent des caddies comme dispositif de cuisson. Ils y installent un tonneau en métal dans lequel ils disposent du charbon et du feu afin de griller le maïs. Ces systèmes s’inspirent des procédés que l’on retrouve en Afrique, Asie ou Amérique latine où l’usage de brouette et de charrette comme cuisine ambulante est courant. Le caddie étant un symbole de la société de consommation, on peut y trouver dans ce nouvel usage une mixité des cultures et coutumes entre le Tiers Monde et l’Europe.

Cela s’explique par l’aspect illégal de cette forme de commerce dû à l’enrichissement des pays, soit des gouvernements. Face à cela, des commerçants ont su trouver une solution pour occuper des endroits spécifiques dans la rue. Par exemple, ils s’arrangent avec des propriétaires pour pouvoir occuper le devant de leur maison en échange de services.

1. La vente informelle dans le monde (OIT) . 93% des emplois informels se trouvent dans le tiers-monde.

85% de la vente informel en Afrique, 68% en Asie et 40% en Amérique selon l’OIT.

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Thailande

de sécurité drastiques qui régissent e l’espace public ont en partie conditionné modes de sociabilité. Or les aspirations mporains à renouer avec des formes Thailande e temps collectif, pour réactiver la rue nte croissance, entraînent une mutation een général, et des arts de la subsistance nt dans les traditions populaires et dispositifs plus sommaires venus d’autres pe, on trouve nombre de petites baraques Niger estaminet, vieux petit resto populaire nctionnant un peu comme un kiosque. on stand de marché investissent rues. Mais on croise aussi de micros eux utilisés en Asie ou en Afrique : caddies petit foyer pour cuire par exemple du maïs. e Berlin comptent une version littérale porteur, harnaché d’un mini comptoir fabrique et distribue des hot dogs.

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Regards d’artistes

Chine

L’Institut Mali français propose dix-huit photographies issues de l’exposit destinée à une circulation internationale. Elles ont été présentées de l’édition 2011 du Festival international de la photographie culinaire, édition, qui se tiendra du 24 octobre au 11 novembre 2012 à Pari Ma cantine en ville dans son parcours.

France Chine Chine

Regards

PHOTOGRAPHES Claudia Albisser Hund • Gérard Cambon • Sergio Coimbra • Anthony Guillaume Czerw • Guillaume Ferrari • Erwan Fournier Le Ray • Barbara Gatea d’artistes Marielys Lorthios • Andrea Maia • Beena Paradin • Pascale Pey Anne-Lise Pham et Gildas Pare • Nathanaël Turpin-Griset • Jean-Pierre Cécile Venaille et Guillaume Van Santen • Frederic Verhoye

Pour en savoir plus : www.festivalphotoculinaire.com L’Institut français propose dix-huit photographies issues de l’exposition Arts & Food, Vietnam Vietnam Vietnam Mali Mali destinée à une circulation internationale.

Elles ont été présentées à l’occasion de l’édition 2011 du Festival international de la photographie culinaire, dont la prochaine Extraitintègrera d’un Iinventaire de cuisine de édition, qui se tiendra du 24 octobre au 11 novembre 2012 à Paris, rue dans le monde paru dans le Mini Ma cantine en ville dans son parcours. maousse 5 : « Voyage au coeur de la cuisine de rue » (2012)

PHOTOGRAPHES Claudia Albisser Hund • Gérard Cambon • Sergio Coimbra • Anthony Cottarel • Vietnam Guillaume Czerw • Guillaume Ferrari • Erwan Fournier Le 17Ray • Barbara Gateau • Emilie Gentil • Marielys Lorthios • Andrea Maia • Beena Paradin • Pascale Peyret • Anne-Lise Pham et Gildas Pare • Nathanaël Turpin-Griset • Jean-Pierre Van Der Elst •

Si l’on compare la cuisine de rue dans les pays du sud à celle que l’on retrouve en Europe, on remarque qu’un décalage perdure. Dans le tiers monde, la cuisine de rue est cuisinée dans la rue afin d’être consommée dans la rue. Tandis qu’en Europe, la cuisine de rue équivaut à une cuisine à emporter. Il est alors moins courant de voir des espaces mis en place pour la consommation sur place dans la rue. Il n’est pas non plus rare de retrouver des espaces à ciel ouvert créés spécifiquement pour consommer de la cuisine en extérieur. Mais on peut s’interroger quant au statut de la cuisine dans ce cadre-là. S’il s’agit d’un cadre spécifique créé pour la spatialisation de cuisine en extérieur, est-il réellement question d’une cuisine de rue? Est-ce qu’une cuisine de rue a pour objectif d’être indépendante et spontanée, au lieu d’être préméditée?

La vente ambulante démontre qu’habiter la rue est une possibilité. Cette pratique s’est intégrée dans la culture au point d’être indispensable dans les pays du sud.

De ce fait, on peut en déduire que cette manière d’animer la rue révèle un degré d’habitabilisation qui n’est pas moindre. Si la rue n’apparaît pas seulement comme un espace de circulation mais aussi un lieu d’urbanité1, on peut se demander ce qu’il en est du point de vue de l’habitation. Quel rapport y a-t-il entre la demeure et l’espace extérieur ?

1. Un lieu d’urbanité correspond à l’articulation de la morphologie urbaine et de la convivialité qui se crée dans la rue. (F. Choay, 1994)

Des femmes pillent la pâte dans la rue.

Gégé NBS, Bocanda, 2019.

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Le “Chez-soi”, la rue et le quartier

On évoquait plus tôt les différentes enveloppes liées à l’action d’habiter.

Habiter commence par le “chez-soi”, territoire de l’intimité, pour ensuite passer à la rue, au quartier, à la ville… Ces différents espaces connotent différentes manières d’habiter car elles engendrent des activités bien précises selon la culture.

Ainsi, la manière d’habiter le “chez-soi” et la rue au Togo est une expérience différente qu’en France.

A Lomé, ma mère et ma grand-mère ont des habitations voisines. L’une témoigne de la manière d’habiter propre au pays, tandis que l’autre tend plutôt vers un métissage culturel s’inspirant du monde occidental.

La maison de ma grand-mère, connexe à celle de ma mère, mettait en lumière une rupture entre deux styles d’architectures différents. Celle de ma grand-mère était une maison typiquement togolaise avec une cour et un seul niveau. Dans la cour, on pouvait accéder une petite pièce donnant accès sur l’extérieur. C’est ici que ma grand-mère vendait ses pagnes, aussi appelés “wax”. De l’autre côté de la cour, il y avait une deuxième maison.

Dans celle-ci, on y trouvait la cuisine ainsi que des pièces vacantes, anciennement utilisées par mes tantes et oncles. Les trois bâtiments s’organisent autour d’une cour dans laquelle nous cuisinons, lavons le linge ou faisons la vaisselle dans une grande bassine. Cette cour donne sur un portail qui nous mène à la rue, toujours animée par les passages de voisins, commerçants ambulants et zémidjans1.

1. Moto-taxi.

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Photographie de ma mère et mes tantes dans la cour de ma grandmère. Elles posent devant le local de vente de pagnes.

Photographie de ma grand-mère.

Elle pose devant la porte principale de sa demeure.

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La maison de ma mère, voisine, s’étale sur 3 niveaux. Elle est faite de pierre, et l’influence occidentale se ressent rapidement aux vues des façades. Les ouvertures et terrasses ajoutent un aspect “tape-à-l’oeil” du point de vue d’un local togolais. Pour moi, elle représente un mélange des deux cultures. Ma mère a forcément été influencée par l’architecture européenne. Cependant, elle a tout de même conféré des fonctions “togolaises” à certains espaces de la maison. Par exemple, un espace au rez-de-chaussé était destiné à servir de local de commerce de la même manière que ma grand mère et son local de pagnes.

Plan illustrant la situation des deux maisons.

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Si ces deux habitations témoignent d’un métissage de culture qu’on dira francotogolais, elles témoignent aussi d’une manière bien différente de communiquer avec la rue. La maison de ma grandmère ne communique pas directement avec la rue, contrairement à celle de ma mère. Malgré l’existence de son portail, la maison de ma grand-mère restait ouverte à l’échange venant de l’extérieur.

Ce portail n’était jamais fermé dans la journée, il arrivait régulièrement que des habitants du quartier passent saluer ma grand-mère. Ainsi, la porte ne conférait pas un réel rôle de séparation ou une barrière à la sociabilisation.

La manière d’habiter le “chez-soi” au Togo se rapproche encore une fois de la manière d’habiter la rue. En effet, dans les deux cas l’extérieur présente une complémentarité. L’extérieur n’est pas utilisé comme une option vis-à-vis de l’habitation mais comme une partie essentielle, donnant elle aussi lieu à des activités de l’ordre de l’habitat.

Cette manière de vivre n’est pas seulement observable au Togo ou en Afrique. En Asie, plus particulièrement au Kazakhstan, des cultures nomades présentent des similarités dans leur rapport à l’espace. Pour les kazakhs, s’approprier l’espace extérieur est aussi facile que s’approprier l’espace intérieur.

Dû au climat continental marqué par les chaleurs et froids extrêmes, les kazakhs ont mis au point une pratique que l’on peut considérer authentique et inspirante. En effet, la création de lieu de vie en extérieur est réalisé par le déplacement du mobilier à l’extérieur. Ils utilisent du mobilier nomade que l’on considère comme des architectures miniatures. Parmi cellesci, le tapchan,plateforme faite de bois surélevée est utilisé comme une table ou un espace de repos. On retrouve aussi le tekematy (tapis de feutre), utilisé pour ses propriétés thermiques. Les kazakhs l’utilisent en extérieur lorsqu’il fait chaud et en intérieur quand il fait froid.

Tandis que la maison voisine était fermée, presque froide envers ces mêmes flux. En effet, la maison de ma mère gardait un caractère très privé avec son architecture ne permettant pas au regard de voir au-delà des murs. Les ouvertures étaient toutes accompagnées de barrières, témoignant peut-être d’une crainte envers l’extérieur. De ce fait, le seuil qui est en contact avec la rue n’est pas investi. En contrepartie, un toit terrasse donnait un accès visuel et physique sur l’extérieur tout en conservant son caractère privé.

On remarque que ces deux manières d’habiter sont bien différentes et portent sur une manière de vivre selon deux cultures divergentes. Ainsi, la maison de ma grand-mère joue essentiellement avec l’espace extérieur, utilisé comme une pièce complémentaire de la maison où ont lieu des activités bien précises.

Ce système est également présent dans les habitations collectives où une cour commune est utilisée par tous. Elle permet de se rassembler et d’effectuer des tâches du quotidien. D’une part, on retrouve une manière de s’approprier l’espace extérieur comme une extension de notre habitation selon la culture togolaise, d’autre part on retrouve une habitation avec un seuil qui met à distance tout individu venant de l’extérieur comme nous pouvons le voir en France.

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(Photographie du haut) Maison de ma mère pendant sa phase de construction

(Photographie du bas) Utilisation de l’espace extérieur, transformé en espace intérieur dans une yourte

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Cette manière de faire se rapproche des pratiques togolaises où du mobilier de maison est déplacé à l’extérieur pour utiliser la rue comme lieu de vie. Ainsi, on peut retrouver des chaises, des grandes bassines remplies d’eau, ou encore des ustensiles de cuisine menant à des activités ménagères dans la rue.

Par exemple, il arrive que des voisines se rassemblent pour cuisiner ensemble.

Utilisant plusieurs pilons, les femmes se mettent à triturer l’igname bouilli dans le mortier dans le but de cuisiner du fufu, plat traditionnel togolais.

Cette approche face à la rue démontre que le fait d’avoir un “chez-soi” n’exclut pas la possibilité d’habiter la rue, d’y réaliser des activités bénéfiques pour soi ou alors créatrice de lien social. Si cela est une pratique pour les “logés”, habiter la rue selon ces cultures peut être une solution pour ceux dépourvu d’habitation.

A travers ces pratiques nous pouvons trouver des solutions pour habiter dans la rue. Cette manière d’utiliser la rue pourrait stimuler le design d’urgence en présentant des pratiques activement explorées par les plus précaires en Afrique et en Asie. Bien que les situations soient différentes, les solutions possibles quant à la problématique d’habiter la rue convergent. On peut alors se demander si un dispositif de ce type serait fonctionnel pour la communauté des sans-abris afin de répondre à leurs besoins.

2 jeunes filles aident une femme à se coiffer. Celle-ci prépare les mèches. Elles sont installées en pleine rue.

Maputo, 2018

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Certains occupent la rue pour se coiffer, d’autres pour déjeuner. On retrouve des scènes ménagères mais aussi des activités professionnelles. Ici elles sont illustrées avec la vente ambulante (la potière et sa fille qui déambulent avec les pièces sur la tête) ou les dispositifs fixés en plein air (le taxiphone).

Mère et fille déambulent dans la rue avec les poteries posées sur le haut de la tête.

Wade, 2010

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Une femme attend devant le taxiphone du quartier.

Zam Huck, 2018

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Un jeune homme se fait coiffer dans la rue.

Abayomi Akande, Accra, 2019.

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Une famille prend le thé devant leur demeure, Catherine Lomedico, Karang, 2018.

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3 Transformer la rue comme un “chez-soi” Installations, campements de fortune et bidonvilles En 2012, l’INSEE définit le sans abri comme quelqu’un qui dort habituellement dans un lieu qui n’est pas adapté pour l’habitation. Cependant, la définition choisie en Belgique est bien plus pertinente. Elle définit le sans abris comme une personne sans espace habitable, dû à une situation précaire, et qui se retrouve dès lors sans habitation, voire dans un logement collectif de manière transitoire dans l’attente d’obtenir un espace personnel. Cette définition nuancée permet de considérer les individus vivant dans des installations comme des sans abris. En soit, nous pouvons parler de sans lieu fixe, voire de créateurs d’architectures de ceux qui ne possèdent rien. Cela peut nous renvoyer aux sans-abris tout comme aux habitants de bidonvilles.

n’aura pas tant de possibilité de survie dû aux conditions climatiques. Habiter la rue dans le tiers monde et l’occident est donc une expérience différente.

La précarité dans le monde renforce le besoin d’habiter la rue. C’est pourquoi nous retrouvons essentiellement dans les pays du sud des activités professionnelles ou de l’ordre de l’habitat qui démontrent un certain degré d’habitabilisation de la rue.

Comme nous avons pu le voir précédemment, le rapport à la rue diffère selon les cultures. Cela nous mène à deux manières d’occuper la rue. Habiter la rue et habiter dans la rue sont deux situations différentes. D’une part, habiter la rue renvoie à l’activité et l’animation de la rue par divers moyens. D’autre part, habiter dans la rue connote le fait de simuler un lieu de résidence. Dans ce cas-là, on transforme la rue de sorte à la rendre habitable car c’est le seul espace que l’on peut occuper. Pour un sans-abri, cette manière de s’insérer dans la rue se présente sous diverses formes.

Pour contextualiser le sans abrisme dans le monde, il faut d’abord spécifier ce qu’est la pauvreté selon les régions ainsi que sa corrélation avec le sans abrisme. Dans L’Architecture de Survie, Yona Friedman évoque la notion d’habitabilisation1 selon laquelle un individu peut survivre plus facilement dans une région où les conditions climatiques sont favorables aux récoltes. Il cite les régions chaudes riches en végétation, et dotées de terres fertiles et les met en tension avec celles froides, ou désertiques. Par conséquent, un individu pauvre dans une région froide voire rocailleuse connaîtra une pauvreté plus forte que celui vivant dans une région chaude. On s’appuie ici sur un cadre moins industrialisé que celui d’aujourd’hui, cependant la situation reste la même. La pauvreté en Afrique n’est pas égale à celle que l’on retrouve en Europe. Un africain pauvre peut toujours faire des récoltes, se nourrir, s’abriter tandis qu’un européen pauvre, selon le climat,

En effet, il y a plusieurs procédés visant à recréer un “chez-soi” précaire et temporaire. Les sans-abris transforment la rue comme demeure déstructurée en adossant une installation à un mur, ou en dormant sur leur effets personnels pour les sécuriser. Certains les utilisent comme mobilier pour définir un espace de “propriété” tandis que d’autres se procurent des protections occultantes pour se créer un espace personnel et intime. Cette manière de transformer et d’occuper la rue crée une nouvelle façon de percevoir la rue. La rue appartient à tout le monde car elle est pratiquée par tous pourtant les installations de sansabris provoquent une gêne.

1. L’habitabilisation correspond à rendre habitable un espace qui peut être habité mais ne l’est pas encore.

(Friedman, 1978)

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Par installations, on pense aussi aux tentes et autres fabrications précaires qui agissent sur l’espace dans lequel elles sont implantées. Quel rapport ont-elles avec la rue? Si elles semblent altérer la lisibilité de la rue, les installations semblent surtout connoter un espace vu comme inconfortable et parfois hostile. Du point de vue d’un sans-abri, la manière de percevoir la rue change du fait de leur interaction avec elle. Non seulement par leur positionnement dans la rue qui les résigne à subir une cohabitation mais aussi car cela les contraint à être marginalisé au sein de la société.

Si Lacaton & Vassal décrivent l’architecture comme la recherche de solutions pour créer un espace habitable. On peut dire qu’elle est pratiquée au quotidien par les sansabris et habitants de bidonvilles. L’espace est alors transformé avec des solutions précaires mises en place in situ. Si le design correspond à trouver des solutions à des situations, on peut aussi affirmer que le design de rue existe. Les objets de design ne correspondent pas tous à des objets rares ou précieux. Il s’agit également d’objets du quotidien, de solutions face à une problématique faits à partir d’éléments de récupération. C’est ainsi que dans le cas des sans-abris, habitants de bidonvilles ou migrants, on retrouve du “design de rue”. Le design de rue fait partie du design d’urgence. Cette notion a été évoquée par l’anthropologue Michel Agier dans Un monde de camps (2014). Dans cet ouvrage, il déplore la disparition des solutions créées dans les camps de migrants. En effet, les campements de fortune sont démantelés après avoir été évacués. Cela engendre une disparition des traces, de l’histoire et des créations de rue. Si l’on conservait ces traces, les mêmes créations pourraient être approfondies, développées et à nouveau utilisées par d’autres individus vivant la même expérience.

Dans les pays du nord, un sans-abri peut habiter dans la rue cependant il ne peut pas répondre à certains besoins liés à l’habitat.

De ce fait, un sans-abri est continuellement en déplacement. Allant d’installation en installation, cherchant un espace comme substitut de logement. Cette situation instable le fragilise dans son inclusion sociale. Pour répondre à un besoin, il doit aller à des lieux précis et stratégiques.

Pour rester propre, il fréquente des bains publics. Pour se nourrir, il a recours à des espaces associatifs comme les Restau’ du Coeur. C’est une routine pleine de déplacements qui rythme la vie du sansabri et assure sa survie. C’est ainsi que les sans-abris circulent activement dans la rue.

Ils circulent puis s’arrêtent. S’il n’y a pas de tâche à accomplir, le sans-abris occupe la rue sans but.

Les bidonvilles peuvent alors être mis en tension avec les campements de fortune.

Dans les bidonvilles, l’ensemble des espaces regroupent une main-d’œuvre faite avec de pauvres moyens. Yona Friedman parle dans l’Architecture de survie (1978) d’un “groupe critique” se formant au sein des habitants d’un bidonville. Ce groupe d’habitants est responsable du système.

Ils construisent et réparent les systèmes nécessaires au fonctionnement du bidonville. Friedman va jusqu’à les qualifier d’architectes et ingénieurs aux “pieds-nus”.

En d’autres termes, ces ateliers de l’avenir regroupent une population marginale autosuffisante de la même manière que dans les campements de fortune. Ces espaces sont améliorés par leur habitants en permanence.

Le sans-abrisme présente des similitudes avec la manière d’habiter du quart-monde.

Le quart-monde désigne une fraction de la population d’un pays développé vivant dans une grande précarité. Cela s’applique particulièrement aux habitants de bidonvilles. Est-ce qu’il s’agit réellement d’habiter quand l’habitat est très précaire?

La précarité de l’habitat nous renvoie au design et à l’architecture de rue. Dans ce contexte, on peut se demander ce que représente précisément l’architecture pour ces gens-là.

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Des abris construits par les migrants à Calais.

Susan Meiselas,Calais, 2008

(Photo du haut) Cabane des afghans qui attendent de traverser la Manche.

(Photo du bas) Abri détruit par les gendarmes

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Ils innovent par la force des choses, par un recyclage donnant lieux à une transformation ainsi que du D-I-Y (doit-yourself). Cette pauvreté urbaine est créatrice d’innovations au niveau de l’espace et des objets. C’est pourquoi le bidonville est aussi perçu comme un “laboratoire de la ville durable”. Les solutions économes en ressources et en énergie que nous découvrons dans les bidonvilles pourraient très bien présenter des solutions plus consciencieuses de l’environnement dans un futur proche pour les logés.

Communauté, choc des cultures et mixité

La rue est un espace de circulation dans lequel on fait des rencontres. On circule, on se croise, on s’arrête. C’est dans cet espace que des communautés différentes interagissent et cohabitent. La rue rassemble ceux qui l’animent et ceux qui y résident.

Ainsi, la rue comprend deux manières de cohabiter. Premièrement, il y a une forme de cohabitation au sein de ceux qui occupent la rue comme lieu de résidence. Parmi eux, il y a des sansabris et des migrants. Dû à la progression de l’immigration provoquée par la crise migratoire, le sociologue Julien Damon évoque le phénomène de “migrantisation” du sans-abrisme. En effet, 40% des sans-abris sont des migrants. Cela nous renvoie à une cohabitation inévitable entre les sans-abris et les migrants. En conséquence, cela complexifie le rapport à l’espace habitable.

Le bidonville est formateur d’une communauté solidaire qui s’est adaptée à l’espace. L’espace collectif est porteur de pratiques collectives. En effet, dans Bidonvilles : Architectures de la ville future on y voit des habitants qui ont su se fabriquer une petite chapelle à partir d’éléments de récupération. Chaque Dimanche ils y célèbrent la messe. D’autres se fréquentent entre voisins le temps d’un dîner. Ici, la pauvreté resserre les liens et le sentiment d’appartenance à une communauté.

Ainsi, la rue peut être animée par une communauté qui habite la rue comme lieu de résidence. Cet espace devient “chezsoi” et porteur d’activités bénéfiques et sociales. Dans le cadre du bidonville ou du campement de fortune, la rue devient une extension de l’installation précaire. Le rapport à la rue délivre une autre interaction entre l’installation et l’espace extérieur.

La mixité des cultures résultant d’une cohabitation forcée pourrait provoquer des tensions. Par exemple, dans le camp de Moria, la surpopulation et l’interaction entre cultures dites incompatibles ont été à l’origine de violences. Malgré cela, la cohabitation est possible entre plusieurs cultures. Notamment dans la jungle de Calais où des espaces ont été créés selon l’appartenance à un groupe culturel. Les migrants ont «créé de l’habiter» selon les cultures pour une meilleure cohabitation.

Chacun peut vivre, et pratiquer en respectant l’autre.

En conséquence, la rue qui appartient à tous est créatrice de rencontres entre sansabris, migrants et logés. On peut alors se demander de quelle manière cette mixité impacte la rue.

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(Figure du haut) Enquête de terrain, Jungle de Calais, 2016.

Réalisée par Eleonore Bully

(Photographie du bas) Les migrants afghans et kurdes mangent les repas apporté par l’association Salam.

Susan Meiselas, Calais, 2008.

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La deuxième forme de cohabitation prend place entre les logés et ceux qui habitent dans la rue. Bien que la stigmatisation des sans-abris soit fortement présente au sein de notre société, des systèmes ont été mis en place pour leur venir en aide. Cette manière d’agir est énormément présente dans le monde occidental. Dans d’autres cultures, le rapport aux sans-abris peut être différent. Il peut parfois y avoir une forte solidarité au sein d’une communauté qui mène à l’entraide. Mais cela n’est pas propre à une culture en particulier, il semblerait que cela prenne place au sein de microsociologies où la pauvreté est déjà présente. Dans les bidonvilles par exemple, les habitants sont unis par la solidarité et le partage.

Ainsi habiter dans la rue revient à être au contact des gens qui habitent la rue temporairement. Cela crée une mixité entre logés et sans-abris qui sont également en situation de cohabitation car la rue appartient à tous. Si à première vue leur interactions semblent limitées par de courts échanges voire inexistants.

Parfois la rue apparaît comme un point de contact où la solidarité prend place.

Cela s’articule avec des interventions menées par des associations, d’anciens sans-abris ou simplement de bons samaritains.

C’est le cas du coiffeur britannique Joshua Coombes. Ce coiffeur ambulant utilise son talent pour rendre service aux sans-abris. En faisant cela, il espère leur permettre de retrouver leur dignité et leur estime de soi. En coiffant les sans-abris, un échange prend place lui permettant d’en apprendre plus sur leur histoire. Ce qui est intéressant c’est la manière dont ils s’installent dans la rue pour réaliser la coiffure. Cette manière d’habiter la rue nous évoque la culture africaine décomplexée où des scènes similaires ont lieu dans la rue. Le coiffeur ici s’arrête dans un lieu de circulation pour réaliser une tâche de l’ordre de l’habitat.

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Cependant il n’est pas le seul à s’engager pour cette cause. D’autres s’arrêtent également pour échanger avec ces personnes qui résident dans la rue. Que cela soit pour une discussion autour d’un café ou pour demander un renseignement sur le quartier, les interactions entre logés et sans-abris ont bien lieu et permettent à deux individus connaissant une situation divergente d’habiter la rue.

Joshua Coombes coiffant un sans-abri à Londres.

2018

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4 Conclusion

Les pratiques des cultures étrangères vis-à-vis de la rue peuvent être une source de solution pour le sans-abrisme. Dans les pays du sud, habiter la rue est source de partage, de convivialité. La rue apparaît alors comme une extension de la maison où l’on peut cuisiner, manger, se coiffer...

Ces activités transforment et animent la rue. Une appropriation réelle de l’espace se réalise. Ainsi le coiffeur, la cuisinière et le cordonnier sont des personnages emblématiques de cette manière particulière d’habiter la rue. Leur présence dans les pays africains démontrent une diversité liée à l’appropriation de l’espace.

Pour eux, habiter la rue renvoie à la déambulation, à l’occupation permanente d’un espace et à une activité. Cela démontre qu’habiter n’est pas forcément lié à la demeure ni à la possession d’un “chezsoi”. Lorsqu’il s’agit de la rue, habiter peut renvoyer à un espace qu’on s’approprie temporairement le temps d’une activité.

On peut habiter sans être propriétaire ou locataire quand on anime un espace donné de manière répétée.

Cependant, plutôt que d’alimenter la stigmatisation face aux sans-abris, on pousserait à la mixité ainsi qu’à une cohabitation physique de la rue où sansabris et logés pourraient se mêler autour d’activités créatrices de lien.

Cette manière de vivre l’espace peut être une solution pour ceux qui sont contraints à vivre dans la rue. Cette dernière est empruntée par tous, de ce fait elle appartient à tous. Ainsi, une cohabitation se crée entre les sans-abris et les passants. Ce partage de l’espace permet la création d’interactions sociales. Être sans-abri et habiter dans la rue permet également d’habiter la rue, notamment par sa présence et ses activités avec autrui.

Avec le design, on peut apporter des solutions à ceux qui ne peuvent qu’habiter dans la rue. Une de ces solutions viserait à permettre aux sans-abris d’habiter la rue comme un “chez-soi” en y réalisant des activités liées à l’habitat.

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6 Iconographie

Couverture Zam Huck, Maputo, 2018

Page 26-27 FA, Maputo, 2018.

Pages 8-9 Claire Lengagne, Niamey, 2020.

Page 28 Wade, 2018.

Page 10 Kidus Tesfaye, Conakry, 2020.

Page 29 Zam Huck, Maputo, 2018.

Page 13 Claire Lengagne, Niamey, 2020.

Page 30 Abeyomi Akande, Accra, 2019.

Pages 14-15 Rehahn, Gàng Hàng Rong, Hôi An.

Page 31 Catherine Lomedico, Karang, 2018.

Pages 18-19 Gégé, Bocanda, 2019.

Pages 34-35 Susan Meiselas, Calais,2008.

Pages 20-21 Photographie de famille dans les années 2000-2010.

Page 37 Susan Meiselas, Calais, 2008.

Pages 38-39 Eleonore Bully, Enquête de terrain, Jungle de Calais, 2018. (haut)

Page 22 Plan à partir de ce dont je me souviens de mon voyage en 2012.

Susan Meiselas, Calais, 2008. (bas)

Page 25 Photographie personnelle, 2010. (haut)

Pages 40-41 Joshua Coombes, Londres, 2018.

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ESAAB Design Espace 2019-2021 Cindy Hukportie