La reprise

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LA REPRISE

Une topographie sĂŠlective de pratiques artistiques contemporaines

Christèle Selliez-Vandernotte



Mémoire sous la forme d’un objet d’écriture réalisé dans le cadre du Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique.

Accompagné par Alejandra Riera, artiste et enseignante à l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges.

Cette topographie sélective a été inspirée par un territoire habité, fait de rencontres variées. Je voudrais les remercier et plus particulièrement : Darren Flook et Christabel Stewart (co-directeurs de la galerie GENERAL HOTEL à Londres), Anne-Laure Franchette (artiste et curatrice), Véronique Frémiot (médiatrice à La Box, espace d’exposition de l’ENSA Bourges), Antonio Guzmán (commissaire d’exposition, essayiste, conférencier et enseignant à l’ENSA Bourges), Oier Iruretagoiena (artiste), Cécile Ligier (bibliothécaire à l’ENSA Bourges), The Showroom à Londres, dont Emily Pethick (directrice et curatrice de l’espace d’exposition), ainsi

que

Eve

Smith

(responsable

des

programmes

de

l’espace

d’exposition

et curatrice indépendante) ; Yves Thevenard (écrivain), Hervé Trioreau (artiste et enseignant à l’ENSA Bourges), Claudia Triozzi (danseuse, plasticienne et enseignante à l’ENSA Bourges) ainsi que Antonio Zuluaga (étudiant à l’ENSA de Bourges).

École Nationale Supérieure d’Art de Bourges

2012-2013

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« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende la recrée sous une forme qui lui permet de courir le monde. » 1 Le récit qui suit se tisse comme une tentative d’appréhender quelques pratiques artistiques contemporaines et ces concepts qui cherchent à les définir, par un phénomène : la reprise. La reprise serait un mouvement de recommencement2 composé d’une temporalité décousue qui nécessite des pauses pour retrouver l’élan de repartir. Elle impliquerait des points de départ : ainsi nous nous reprenons lors d’une expérimentation qui au sein même de son affirmation comporte des moments de répit. Nous nous reprenons lors d’une cassure dans un texte au moment d’une relecture impliquant un contexte nouveau. Nous nous reprenons encore à partir d’une erreur en la transformant en regard critique. Comment

des

pratiques

artistiques

se

développent

dans

l’immense

nuage

de concepts dans lequel elles se retrouvent, soit pour être assimilées, ou être confrontées ? Comment ne pas se sentir troublé face à cette marrée complexe de définitions, de transversalités avec lesquelles le monde de l’art contemporain fabrique sa langue ? Comment figurer la désorientation dans laquelle nous nous trouvons, une fois que nous décidons d’entrer dans ce monde ? Partant aussi du fait que l’invention des mots et concepts autour des pratiques artistiques nécessite maintes reprises, le récit de ce mémoire propose, à travers une modélisation, de nous faire éprouver le besoin de se reprendre dans cette situation labyrinthique. C’est la figure du labyrinthe crétois, propre au langage, à l’énonciation, qui nous est apparue comme adaptée à cette ambition.

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Cette figure nous intéresse ici car, comme le suggère l’architecte Doina Petrescu, « en même temps qu’une figure spatiale, le labyrinthe fut aussi un langage : un langage avant l’écriture, à travers lequel se sont transmis plusieurs mythes originaux de nos cultures 3 ». Découvert dans l’ouvrage Théories Tentatives de Éric Duyckaerts 4, ce labyrinthe, dit unicursal est un outil de représentation et d’appréhension de l’histoire des formes et des idées, qui conteste un modèle strictement linéaire, une vision progressiste de l’histoire, et qui privilégie les allers retours autant que la redécouverte. Ce dessin à la capacité d’être outil de pensée, de formulation, de lecture ; il est une coupe possible d’un univers en mouvement constant dans lequel un individu s’inscrirait. De cet espace palimpseste, nombre de personnes qui l’ont traversé, peu en sont revenus. Une fois entrés dans ce parcours à sens unique, il s’agit d’accepter la frustration de ne pas savoir où l’on va et de s’adapter par strates aux territoires traversés. Le mouvement de révolution se réalisant, la reprise peut enfin être possible. C’est en marchant sur des fondations conceptuelles de différentes natures, de proche en loin et de loin en proche, que nous entrerons dans une étude de cas d’une œuvre 5 installée dans le contexte précis d’une exposition 6 articulée par un curateur 7, autour d’artistes 8 et d’ethnographes 9. A l’instar des figures conceptuelles qui évoluent dans Alphaville (la cité totalitaire du film de Godard), et de leur peur de ne pas pouvoir en sortir, notre écriture glissera du mythologique à la réalité, de la métaphore au fait. 12


Vous êtes ainsi invité à nous accompagner dans le tracé d’une pensée labyrinthique où « tout néophyte est errant » 10 , où « l ’intuition, la curiosité, l’enchantement, la mémoire et le bon usage de l’échec » 11 seront nécessaires à votre reprise.

1

Première réplique de Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution réalisé par Jean-Luc Godard en 1965 (00mn39sec à 01mn00sec). Alphaville est une cité déshumanisée où l’expression des sentiments et les interrogations sont chaque jours de plus en plus annihilées, remplacées par un ordinateur, Alpha 60 qui régit les fonctionnements de ce territoire. Dans une époque post années 60, un agent secret, Lemmy Caution est envoyé par les autorités des pays extérieurs. Il a pour mission de neutraliser le professeur à la tête de la maintenance de la machine, de détruire l’ordinateur « et de sauver ceux qui pleurent ». Il se retrouve impliqué dans un espace labyrinthique dans lequel il doit se positionner face aux diverses distractions qui veulent l’assimiler à cet environnement. La citation en exergue nous annonce la problématique qui sous-tend autant la fiction en ellemême que le format qui lui est propre. Ce film de la Nouvelle Vague est en effet construit en strates coordonnées de références culturelles, le plus souvent associées au mythe. Il a été tourné de nuit, faisant de Paris une ville fantomatique et totalitaire. 2

Comme l’écrit Nelly Viallaneix dans l’édition française de La reprise du philosophe Kierkegaard, « reprise en danois s’écrit Gjentagelse. Ce terme est formé du préfixe gjen, de nouveau, et d’un substantif forgé sur le verbe attage, prendre, substantif qui insiste par conséquent sur l’action ainsi désignée. Le sens littéral est donc bien re-prise. » La reprise telle que Kierkegaard la conçoit est un recommencement et non pas une répétition, il s’agit plutôt d’un renouvellement, d’une nouvelle naissance. Elle désigne d’abord le recommencement des relations entre Kierkegaard et Régine Olsen sa fiancé, et non pas leur répétition. La signification de la reprise doit ensuite être étendue de façon à ce qu’elle s’applique aux différents stades de l’existence de tout homme.

Dans ce cheminement la reprise aurait « la certitude de l’instant présent. » Nelly Viallaneix, Avertissement, dans La reprise, Kierkegaard, p. 56 et p. 16. 3

Doina Petrescu, Du commun dans le labyrinthe, texte paru dans le catalogue de l’exposition éponyme Erre, p. 22. 4 Éric Duyckaerts, Et ça ?, dans Théories Tentatives, considérations relatives à certains aspects de quelques problèmes, p.15. On le retrouve aussi dans le catalogue de l’exposition éponyme Erre, pp. 228-229. 5 Pour notre étude de cas, nous nous concentrerons d’avantage sur la pièce composée de plusieurs œuvres qu’a installé Sarkis au Palais de Tokyo dans le contexte de la Triennale de Paris en 2012 :

- Sarkis, Tête blessée avec os Timor, 2011 - Sarkis, La frise Trésors de Guerre, 1976-2012 - Sarkis, La grande vitrine, 1982-2011 - Sarkis, La chorégraphie des Trésors de Guerre, 2011 6

La Triennale de Paris : une intense proximité, exposition du 20 avril au 26 août 2012 au Palais de Tokyo, Paris. Cette exposition a été commanditée par le Ministère de la Culture et de la Communication au curateur Okwui Enwezor, assisté de quatre autres curateurs que sont : Mélanie Bouteloup, Abdellah Karroum, Emilie Renard et Claire Staebler. 7 Le projet est confié à Okwui Enwezor, curateur, critique, écrivain, enseignant américain, né au Nigeria en 1963. Classé 52e personne la plus puissante du monde de l’art contemporain en 2011, le directeur de la Haus der Kunst à Munich, prend le pas comme à son habitude, de faire du caractère politique de l’art une figure de proue de l’entreprise générale. < http://www.artreview100.com/power100-lists-from-2002-through-2008/2011/ >

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8 Parmi les artistes de la Triennale de Paris 2012, le travail de Sarkis semble être sous-tendu par certaines des problématiques que nous allons aborder dans cet écrit ci-présent. 9 Les ethnologues Marcel Mauss, Pierre Verger et Claude LéviStrauss ont marqué le XXe siècle par leurs tentatives de développer une forme d’observation, de documentation et de savoir. L’équipe de curateurs a basé le propos de l’exposition sur les similarités entre pratiques artistiques, curatoriales et ethnographiques. En tant que science, le rôle de ces pratiques a souvent été mis en doute car elle pose la question du rapport de pouvoir de l’interprétation et donc du positionnement adopté, d’une impossibilité de l’objectivité pure. Pour développer notre propos, nous avons choisi de nous pencher plus particulièrement sur les recherches de Claude Lévi-Strauss.

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10

Op. cit Doina Petrescu, Du commun dans le labyrinthe, p. 22.

11

Ibid. p. 22.


PrĂŠlude



Rechargez la batterie aux usines Wonder L’ouvrière : — Non! Moi, je rentrerais pas! Non! Moi, je rentrerais pas là-dedans! De toute façon je mettrais plus les pieds dans cette tôle hein! Vous rentrez-y vous allez voir quel bordel que c ’est! On est dégueulasses jusqu’à là! On est toutes noires hein faut le voir vous ! De toute façon les bonnes femmes qui sont dans les bureaux s’en foutent là!

Premier syndicaliste : — On le sait hm ...

L’ouvrière : — Elles fayotent avec le patron, c’est tout ce qu’elles savent faire de toute façon!

Deuxième syndicaliste : — On va pas trouver raison aujourd’hui ...

Premier syndicaliste : — On devrait y arriver à l’imposer...

L’ouvrière : — De toute façon c’est fini maintenant on pourra plus rien avoir!

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Premier syndicaliste : — Si!

L’ouvrière : — C’est pas vrai! Pas avec le patron! Hé! Tout gros...

Deuxième syndicaliste : — C’est une étape, c’est une étape!

L’ouvrière : — Bah oui!

Deuxième syndicaliste : — C’est pas fini hein!

Premier syndicaliste : — Il sait bien ce qu’il a perdu le vieux. Allez, te fais pas prier...

Deuxième syndicaliste : — C’est pas fini hein, c’est une étape hein!

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Dans le dialogue précédent (retranscrit pp. 17-18), une ouvrière affirme qu’elle ne veut pas rentrer dans l’usine. A la suite de trois semaines de mouvements de grève aux pieds de l’usine de piles, la reprise a été décidée. Des étudiants de l’IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques) cadrent la scène alors que des représentants syndicaux tentent de la convaincre et que le patron surveille. Il est à noter que cette séquence devait faire partie d’un long métrage intitulé Sauve qui peut Trotski au sujet du mouvement militant de l’Organisation Communiste Internationale et que le reste des prises de vues ont disparu, pillées le 14 juillet 1968. Cette séquence aura tout de même impulsé la création d’un long métrage appelé La reprise, conçu dans un processus d’enquête entrepris par Hervé Leroux pour retrouver, vingt-huit ans plus tard cette ouvrière.

En termes d’économie et de production, la reprise est le plus souvent espérée, comme un regain d’énergie positive. Ici c’est l’inverse, il s’agit d’accepter de prendre le risque que rien ne change ou encore que ce soit pire.

21 Photogramme réalisé à partir de la séquence documentaire filmée en juin 1968 à Saint-Ouen, nommée La reprise du travail aux usines Wonder.



Ne la prenez pas pour argent comptant

Pièce de monnaie en bronze du IIe au IVe siècle avant J.C, célébrant les royautés archaïques minoennes

23



Ériger les fondations Il est étonnant de savoir que l’on peut retrouver la forme du labyrinthe crétois dans des civilisations très différentes à travers le monde et à des époques très éloignées. De nombreuses pièces de monnaies ont été frappées à Cnossos, en Crète, avec ce motif, rappelant le lieu dans lequel le Minotaure avait été enfermé. On estime la date de création et l’usage de cette pièce entre le II e et le I er siècle avant J.C. D’autres pièces avaient été produites précédemment avec des labyrinthes de même nature mais de type rectangulaire 12 . On retrace pour le moment la première apparition de ce dessin au début de l’âge de bronze et l’on pense que ce sont chasseurs et marchands qui l’utilisèrent pour marquer un territoire de passage. Néanmoins, son existence la plus précisément datée provient des civilisations minoennes et mycéniennes, c’est à dire dans le contexte mythologique de la Grèce antique 13 .

Le labyrinthe crétois est constitué de deux murs, lignes intriquées ensemble et se rencontrant en un point central. Il est ce que l’on appelle un labyrinthe unicursal. L’entrée est aussi la sortie. Il n’y a pas d’impasses et si nous le déroulions, on obtiendrait un fil unique.

« La discipline procède d’abord à la répartition dans l’espace14. »

Parfois revendiqué, parfois interdit, ce tracé sinueux représente dans sa complexité des valeurs qui s’opposent. De la question de l’ordre, de l’obligation, de la rationalisation à la réalisation de soi, de sa croyance et de son émancipation ; c’est par la perméabilité du

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signe qu’il subira les aléas du temps et des civilisations. Symbole d’une découverte physique et mentale, il fut interdit en 1538 par le parlement de Paris qui le considérait comme un synonyme du mal, du péché, du luxe de la perdition, de l’errance et de la mutabilité de la matière15. En effet, cette architecture représente la finitude de la vie mais aussi la vision cyclique de l’histoire. « Tout revient éternellement, mais avec une dimension nouvelle, parfaite contradiction de la ligne, de la conception unilinéaire du temps16. » Comme nous pouvons le lire dans le texte de Doina Petrescu, Du commun dans le labyrinthe17, « la pensée labyrinthique remet continuellement en cause, et depuis toujours, le côté rationnel de notre pensée, et des époques entières ont essayé de la refouler [...] Jacques Attali le remarque, à partir de la Renaissance, les labyrinthes s’effacent : " La raison l’emporte dans le discours dominant la foi, [...] la vie réelle sur la vie éternelle, la transparence sur l’obscurité, la ligne droite sur le contournement. " La Renaissance, [...] fut le déni de cette pensée labyrinthique.  » Ici se trouve l’expression paradoxale de ce motif de nature ambivalente. De façon contradictoire à l’interdiction de 1538 en France, nous constatons qu’à la période du IIe siècle avant J.C au IVe siècle après J.C ce tracé sera diffusé dans l’Empire romain sous forme de mosaïques sur le seuil des maisons. Il prendra ainsi une valeur symbolique et protectrice18. Comme l’explique Hélène Guénin, dans l’article Le reclus et le panoptique, les formes du conditionnement19, c’est dans la nature même du labyrinthe que cette dualité conceptuelle naît : « à chaque fois que la mobilité est imposée, et ce d’une façon suffisamment complexe pour échapper à l’entendement immédiat du sujet de ce déplacement. Ne possédant qu’une vision fragmentaire de l’espace influencé dans son parcours, l’individu est assujetti au labyrinthe. »

26

Forme conceptuelle et sensorielle, il associe le vécu au projeté, le visible à l’invisible, la connaissance à la pratique. Ce territoire est la conjonction de paradoxes dans « l’interrelation entre


différents états apriori antinomiques20. » Le sujet qui s’engage dans un labyrinthe, transgresse l’espace, atteint en lui-même un état de confusion de sens et de production de connaissances. Ce bâti en devient un archétype.

On ne s’y perd pas, on s’y retrouve. Abraham Moles et Élisabeth Rohmer développeront l’idée dans Psychologie de l’espace. L’être inscrit dans ce parcours est alors contraint de reconsidérer sa décision, rencontrer un micro-échec et le prendre en charge dans le bilan de son expérience. Cette forme canonique de l’espace provoque à la fois l’anxiété due à l’ignorance du chemin à emprunter mais aussi le plaisir provoqué par des découvertes successives21. Dans cette approche parcellaire, subjective et intuitive, l’acte de la marche est ainsi celui de l’énonciation qui fait suite à la recherche subjective de l’intériorité, de l’inconscient par de longs détours et une intense concentration. Métaphore de l’homme face au monde, prisonnier d’un temps et d’un espace dont il ne peut s’évader, le labyrinthe est un espace global immersif ; une unité composée par un espace physique, un espace psychique, un espace fantasmatique (celui du mythe, du récit), un espace symbolique (celui de l’initiation comme incarnation de l’abstraction du destin). C’est « le combat de l’homme et de la circonstance22. »

Ici, la forme unicursale sera utilisée comme cheminement dans un espace double dans lequel les murs, dessins positifs, forment des balises concrètes dont l’espace interstitiel est le négatif, l’impalpable, celui de la pensée, de l’écriture.

« Je courais sur une ligne droite qui ressemblait au labyrinthe grec [...] où tellement de philosophes se sont perdus que même un agent secret finit par y perdre le nord23.»

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Le

labyrinthe,

forme

appartenant

au

mythe

et

à

une

époque

lointaine,

correspond à des préoccupations contemporaines que l’on constate très présentes dans le secteur de l’art. C’est un outil de représentation et d’appréhension de l’histoire des formes et des idées qui conteste un modèle strictement linéaire, une vision progressiste de l’histoire24 ; qui privilégie au contraire, les allers retours et la redécouverte. Une fois dans le bâti, une pensée spéculative émerge chez l’individu qui s’exerce à traverser les porosités des différents espaces de ce contexte. Nous pouvons noter que pour les alchimistes, le labyrinthe de tous types « serait l’image du travail entier de l’œuvre et de ses difficultés majeures : celles de la voie qu’il convient de suivre, pour atteindre le centre, où il se livre le combat de deux natures ; celle du chemin que l’artiste doit tenir pour en sortir25. » D’autre part, Léonard de Vinci, inspiré par les théories de Mondino dei Luzzi et son écrit Anathomia (1316), a longtemps considéré que l’utérus avait la forme du labyrinthe crétois à six boucles. Lorsqu’il se mit à la dissection, il corrigea cette vision fantasque26. Ce dessin aura traversé culturellement le monde et il aura notamment inspiré des thèses phénoménologiques sur la prise de conscience progressive du spectateur au sein de l’espace arpenté. Les artistes cinétiques s’en serviront pour étudier la relation cognition/perception et la représentation de l’espace comme construction mentale, réaction face à des perturbations de natures différentes. L’œil est mis à défaut, la confiance absolue n’est plus suffisante ; d’autres stratégies sont nécessaires. Le labyrinthe est alors transformé par les cinétiques. Il « n’est plus l’espace de soumission mais celui de la découverte, de l’expérimentation et d’une émancipation progressive du spectateur nommé participateur. Il s’affranchirait ainsi de l’aliénation au contexte et développerait une position critique et alerte à l’égard des repères qui 28

nous entourent27. »


L’épreuve labyrinthique implique le spectateur dans des stratégies qui nécessitent son attention ainsi que sa capacité à adapter en permanence son comportement. Le spectateur est placé « devant l’évidence de l’interdépendance de sa locomotion et de son équilibre postural. La vue quand elle est possible, reste entièrement assujettie à cette nécessité. Il est alors objet et sujet de l’expérience28. » Cet ensemble convoque une dimension politique radicale, libertaire dans le sens où le contrôle est ramené au niveau de l’individu comme stratégie de contre-hégémonie29. Nous pouvons remarquer cette récurrence de la question de l’individu face à un ensemble comme le point stratégique de l’exercice du pouvoir. Chez Foucault, dans Surveiller et punir, l’unité à la recherche de pouvoir, va opérer la division de l’unité adverse pour l’affaiblir par étape, désamorçant la résistance frontale. A l’inverse, dans le texte cité ci-dessus, un individu peux décider lui-même de se marginaliser d’un groupe pour résister à une homogénéisation latente. Nous pouvons alors faire le constat que cette problématique relève du libre-arbitre opéré en pleine conscience quant au choix de sa propre condition. L’appréhension d’un héritage, la constitution d’une mémoire résultent de cette attitude volontaire, mouvement de révolution dans lequel le sujet se positionne, s’affirme jusqu’à épuisement.

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Les deux faces de la médaille « C’est toujours comme ça, on comprend jamais rien...d’ailleurs c’est toujours comme ça, on ne comprend jamais rien et un soir on finit par en mourir30.» L’ensemble de ces circumambulations nous fait repenser à la pièce de bronze datant du IIe au IVe siècle avant J.C, célébrant les royautés archaïques minoennes, p. 23. Celle sur laquelle était imprimé le tracé du labyrinthe31. L’objet, est encore très présent, limpide dans notre esprit et nous emmène ailleurs. Lorsque l’on a écouté la conférence de Patricia Falguières à l’ouverture d’un colloque sur les relations entre Art et Science32, nous ressentons le besoin de dériver jusqu’à Aristote et son explication classique des relations entre les concepts d’empeiria, de theôria et de technê. « Pour ce philosophe et les grecs en général de cette époque, il y a deux modes de connaissances de valeur équivalente : c’est la theôria et la technê. » La theôria 33 représente la connaissance des choses sur lesquelles on ne peut rien faire 34. Elle se base sur une vue d’ensemble de systèmes permettant de rendre compte du réel. C’est à dire l’étude des choses impalpables 35. D’autre part, la technê ou ars 36 serait une science plus humaine et donc plus répandue car elle consiste en une connaissance où l’action, le faire est possible. Chez Aristote, l’art est une disposition à produire, dotée de logos. L’exigence conceptuelle se place dès le début de l’action. 30

En ce qui concerne l’empeiria, qui a donné le terme empirique 37, il ne s’agit pas du même type de faire. Ce dernier type de pratiques n’est pas forme de connaissances mais de routines ;


il n’y a pas de nécessité de lois ou de méthodes, c’est la répétition d’un geste. Pour que ce savoir faire possède la qualité de connaissance, il faudrait qu’il y ait une conceptualisation des modalités de production. C’est en cela que la theôria et l’empeiria sont deux pratiques de la connaissance qui se complètent et qui sont ainsi assimilées aux deux faces d’une même médaille. Ce sont deux mondes ; l’art fait de vie, de générations et de transformation et la theôria qui est un lieu où la contingence n’a pas de place mais où l’on peut s’extraire de la matière en formation pour l’observer. Si l’on se concentre plus précisément sur l’art, on voit que c’est là où se place la mimesis38 car c’est en soi l’attitude d’apporter dans le monde un peu de la perfection de la théorie par cette conceptualisation de l’acte qui est génération de nouvelles formes. Ainsi les savoirs ne sont pas dissociés39 et, s’il y a genèse, il y a alors corruption40.

12 En ce qui concerne l’image, plusieurs sources nous amènent vers cette affirmation. Le blog < vivrevouivre.over-blog.com/m/article53185908.html > propose le visuel et l’information la plus précise. Il n’est pas étonnant qu’une information de ce type reste aussi parcellaire et incertaine du fait qu’elle puise ses origines dans un mythe ancien. De plus, si elle s’exprime ici dans un blog, ce n’est pas un hasard. Les mythes, conçus pour une transmission orale retrouvent une autre forme fluide, subjective et amatrice de transmission à travers le blog et plus largement internet. 13

En 1900 Sir Arthur Evans fera la découverte d’un vaste palais à Cnossos qui ferait référence de façon troublante au labyrinthe du Minotaure. Ces informations croisées se retrouvent à la fois dans : - Jeff Saward, Les premiers labyrinthes, dans Labyrinthes, p. 16. - Léa Bismuth, Le labyrinthe, un archétype universel ?, dans le catalogue de l’exposition Erre, pp. 152-153. - Robert Graves, Minos et ses frères de l’ouvrage de référence qui réunit plusieurs versions de chaque mythes et tente d’en expliquer certaines parties, par de faits historiques et culturels : Les mythes grecs, p. 456. 14

Michel Foucault, Corps dociles, dans Surveiller et punir, p. 143. Il y développe la thèse que la discipline déterminée par un contexte;

opère sur les corps une prise immédiate en structurant et en orientant leurs déplacements. Une gestion diffuse sans contrainte. Le sujet de cette discipline est alors individualisé dans autant d’opérations jumelles où les deux constituants — distribution et analyse, contrôle et intelligibilité — sont solidaires l’un de l’autre. Le tableau, au XVIIIe siècle, c’est à la fois une technique de pouvoir et une procédure de savoir. Il s’agit d’organiser le multiple, de se donner un instrument pour le parcourir et le maîtriser ; de lui imposer un ordre. 15

< http://fr.wikipedia.org/wiki/Labyrinthe >

16

Guillaume Désanges et Hélène Guénin, « Erre », propos liminaire, dans le catalogue de l’exposition Erre, p. 11. Cette exposition du Centre Pompidou-Metz a été curatée par Hélène Guénin, responsable des programmes et Guillaume Désanges, commissaire d’exposition, critique et directeur de Work Method. Elle a été ouverte du 12 septembre 2011 au 5 mars 2012. 17

Op. cit Doina Petrescu, Du commun dans le labyrinthe, p. 22.

18

Léa Bismuth, De la Grèce à l’Empire romain, dans le catalogue de l’exposition Erre, pp. 152-153. 19

Hélène Guénin, Le reclus et le panoptique, les formes du conditionnement, dans le catalogue Erre, p. 13.

31


20

Abraham Moles, Le labyrinthe, dans le catalogue Erre, p. 12.

21

Abraham Moles et Élisabeth Rohmer, Le labyrinthe, solitude et densité, dans Psychologie de l’espace, pp. 153-156. 22

Op. cit Abraham Moles, Le labyrinthe, p. 12.

23

Lemmy Caution dans Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution, Godard, 1965 (1h 29mn 55sec à 1h 30mn 06sec). Après avoir tué le professeur Von Braun, inventeur en charge de l’ordinateur Alpha 60 et dictateur de Alphaville, on voit Lemmy Caution se faire poursuivre et ainsi, évoluer dans une suite de couloirs sombres, sans fin, dans lesquels d’autres tentent de sortir. Parce qu’il ne sont plus animés par leurs sentiments, ceux-ci restent coincés dans la dureté de la logique, collés au murs, n’arrivant plus à avancer dans les méandres. 24 Op. cit Guillaume Désanges et Hélène Guénin, « Erre », propos liminaire, p. 11. « Par ailleurs, cette exposition, malgré ses référents historiques, entend refléter certaines tendance esthétiques, politiques ou intellectuelles contemporaines. A savoir une appréhension de l’histoire des formes et des idées qui conteste un modèle strictement linéaire (...) ». 25

Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Labyrinthe, dans Dictionnaire des symboles, p. 555. 26

Op. cit Éric Duyckaerts, Et ça ?, p. 15.

27

Hélène Guénin, De l’instabilité ou du « spectateur-déplacement »,

p. 15. 28

Ibid. p. 15.

29

Hélène Guénin, La ville réticulaire, dans le catalogue de l’exposition Erre, p. 13. 30

Lemmy Caution en voix off dans Alphaville, une étrange aventure

de Lemmy Caution (13mn25 à 13 mn 47). Encore dans l’hôtel, les deux personnages principaux Natasha et Lemmy Caution, s’appréhendent, tentent de se comprendre mais sans succès. Ils prennent un ascenseur qui descendra. 31

Voir p. 23 de ce présent écrit La reprise.

32

Patricia Falguières, Entretien infini- Art et sciences (Quels dialo-

gues ?), colloque organisé par l’ERG (École de Recherche Graphique), aux Halles Schaerbeek à Bruxelles ;

le 5, 6, 7 mars 2012.

A l’occasion de l’invitation de Claudia Triozzi dans le cadre de son cours à l’ ENSA de Bourges, nous en avons produit un enregistrement. 33

32

Théorie, dans Le petit Robert 2013, p. 2548.

Théorie prend le sens en 1496 de science de la contemplation. C’est un ensemble d’idées de concepts abstraits, plus ou moins

organisés

qui

nécessite

d’être

mis

en

application.

Synthétique et didactique, il a souvent valeur d’hypothèse. 34 Theoricos en grec, c’est celui qui conçoit le monde céleste, comme le précise Patricia Falguières dans cette même conférence. 35 L’expression en théorie nous signifie bien l’existence d’un autre pendant qui permet de vérifier l’assertion : en pratique. Nous retrouvons le proverbe « Ce qui est bon en théorie, ne l’est pas forcément en pratique ». 36

Op. cit Art p. 148. A partir du Xe siècle, le mot ars devient Art. Cet ensemble de moyens, de procédés conscients, conçus pour une fin de production prédéterminée. C’est aussi la représentation du beau, d’un idéal artistique. 37 Op. cit Empirique, p. 854. Du latin empiricus et du grec, dérivé de peina : expérience , c’est ce qui ne tiens pas compte des données scientifiques et qui se base sur l’expérience spontanée ou commune comme procédé, comme mode de pensé et d’action. 38 Bien sûr nous n’entendons pas par mimesis l’acception commune qui est la copie, l’imitation mais bien comme une manière humaine de combler les défaillances de la nature. C’est le cas d’un médecin en l’occurrence (exemple donné par Patricia Falguières). 39

Patricia Falguières prend en exemple le sculpteur qui à une époque devait fabriquer ses outils, c’est à dire maîtriser la trempe des métaux, c’est à dire avoir aussi une connaissance des herbes. 40 Louis-Marie Morfaux et Jean Lefranc, Corruption, dans le Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, p. 109.

Du latin, corruptio : altération, destruction. Pour Patricia Falguières, l’automate serait alors le comble de l’art puisqu’il n’y aurait plus besoin de l’énergie humaine pour créer, une génération sans corruption. Ainsi, nous pouvons dériver jusqu'à Dédale : ingénieur notamment reconnu pour sa fabrication d’automates comme par exemple des petites poupées aux membres amovibles qu’il offrit aux filles de Colacos ; ainsi que Talos, le serviteur de Minos, au corps de bronze et à la tête de taureau, gardien de la Crète (Op. cit Robert Graves, Dédale et Talos, pp. 484-489).




35 Thésée combattant le Minotaure en présence d’Athéna. Médaillon de Kylix, coupe étrusque, reconnue comme une coupe d’Aison, peintre sur vases attiques, actif entre 430 et 400 avant J.C. Elle est conservée actuellement au musée archéologique national de Madrid.


En finir avec le Minotaure ?

Le courage nourri de curiosité me rendit volontaire. Enfant d’un père inconnu, je devais faire épreuve. Voile noire, voile blanche, nous prîmes la mer. Que le sinistre horizon se meuve! Moi, Thésée, j’accomplirai l’exploit que l’on ne pourra taire. Et que les quatorze compagnons s’en abreuvent!

Une rencontre fortuite m’offrit un fidèle guide. L’amour promis, j’avançais à l’aveugle dans cet effroyable bâti. Le fil ne conduisait pas vers l’objet de mon féroce appétit. Qui peux croire sortir des méandres sans combattre l’hybride ?

Quel est ce secret que l’on nomme Minotaure ? Bâtard, farce de la mythologie, erreur de la nature.

36

Symbole d’une passion de terrible augure. Cette malédiction ne pourrait s’achever que par la mort.

41


Les mythes n’ayant valeur de réalité, je m’approche. Prendre la vie du monstre ou perdre la mienne, les dieux ont choisi. Je veux tracer mon retour, son esprit dans la sacoche. Le chemin est trompeur ; concentration d’autre énergie. De l’errance, de la mémoire défaillante ; l’incertitude m’envahit. Quelques pas me séparent de l’avenir, j’entends sa cloche !

Je doute. Le peuple sera t-il prêt à recevoir ce don maudit ? Rares sont les bons conteurs, d’interprétations ma quête sera teintée. De toutes mes tâches, la déprise sera de celles à ne pas mépriser. Ô dieux ! Quelle est cette farce dont vous avez tant ri ?

41

Christèle Selliez-Vandernotte, En finir avec le Minotaure ?, dans Thésée et le labyrinthe.

Suivant le principe de la mythologie, le récit du combat de Thésée et du Minotaure a subi de nombreuses reprises. Voici celle que nous avons décidé de retenir.

37


Photo de la façade arrière, côté Seine, du Palais de Tokyo à gauche et du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris à droite, juin 2012.


Photo prise en juin 2012, suite aux travaux des architectes Lacaton et Vassal au Palais de Tokyo. Les traces de l’ancienne Cinémathèque Française ont été conservées au sein de l’espace d’exposition.


Vue de l’escalier en vis à l’intérieur de l’espace d’exposition du Palais de Tokyo, suite aux récents travaux. Photo prise en juin 2012.


Une des seize eaux fortes des Carceri d’invenzione, (prisons imaginaires) de Piranèse, 1745-1761.



Vers une intense proximité De loin en proche et de proche en loin nous dérivons, de l’usine au labyrinthe, de la théorie à la pratique. Nos déambulations nous entraînent dans l’étude de préoccupations contemporaines qui sont le lieu de résistances et de positionnements. Pour concrétiser notre propos, prenons des exemples précis dans la programmation et l’organisation de La Triennale de Paris : une intense proximité43, et plus particulièrement à partir de l’expérience sélective qui en a été faite au Palais de Tokyo en juin 201244.

Le Palais de Tokyo, un espace palimpseste « Avec leur extension du Palais de Tokyo à Paris, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal prouvent qu’une architecture de la démolition, de la soustraction et de l’incomplétude est ce qui résonne le plus intensément avec l’art contemporain d’aujourd’hui45. »

Figures de proue de l’agence d’architectes Lacaton et Vassal fondée en 1987, les deux français ont construits une image essentialiste de l’architecture sur le territoire français46. Connus du grand public parisien et mis au rang de référence vivante par Xavier Veilhan, qui en produit des sculptures échelle 1 au Château de Versailles en 200947 ; ces architectes s’engagent dans une réflexion qui privilégie la qualité de l’usage et de l’appropriation tout en respectant le contexte économique et écologique. C’est dans cette démarche que le duo appréhende les travaux du Palais de Tokyo48.

43


Annoncée comme une postproduction de l’héritage culturel européen que représente ce bâti49, leur intervention minimaliste a consisté uniquement à améliorer l’accès et la sécurité des lieux en enlevant le superficiel50. Cette coquille fragile51 est alors transformée en espace fluide sans divisions qui seraient des obstacles pour la production artistique ; et ainsi laisser place à la superposition d’évènements variés52. Instituée

sous

l’égide

du

Ministère

de

la

Culture

et

de

la

Communication,

l’altération aura agrandit les espaces de 16,500m avec un budget de 13 millions d’euros53. 2

L’entreprise

monumentale

s’inscrit

lieu ouvert pour la création et comme

l’agora

et

le

foyer,

dans

la

mission

culturelle

de

fonder

une

cité,

la production artistique avec des espaces distingués

comme

a

été

voulu

auparavant

Beaubourg

dans

sa

phase projet . A une différence près, un trait contemporain de politique culturelle, 54

institutionnelle fait surface au sein du projet, c’est l’accent sur l’évènementiel avec une pratique des expositions temporaires et la mise en avant de la performance ou pourrait-on dire du spectacle. Le lieu de vie est ainsi activé, régulièrement nourri, ce

qui

favorise

une

librairie,

vue

sur

une

Seine .

industrielle

55

est

les Il un

pratiques

de

consommation

cafétéria,

des

salles

est

que

cette

vrai

décorum

très

en

de

intégrées

cinéma

atmosphère

vogue

dans

ou

comme encore

d’effervescence, le

milieu

par un de

exemple restaurant la

institutionnel

friche depuis

le milieu des années 90 et aujourd’hui, il permet de renouveler une image et un public. Nous le constatons par exemple dans l’architecture Tanks de Herzog et de Meuron56 à la Tate Modern, où les règles de l’exposition doivent, à quelques détails près s’adapter de la même façon au béton, à l’évènementiel et à la pédagogie. La ressemblance est poussée à la référence 44

commune avec le Palais de Tokyo, la résurgence des gravures de Piranèse 57 . Le même vocabulaire


pour les mêmes ambitions. Les deux institutions de même génération doivent ainsi s’adapter à des altérations similaires58. En effet, ces deux espaces d’expositions ont été construits sur des architectures déjà existantes.

Pour la Tate Moderne, c’est la conséquence d’une division géographique de la collection assemblée depuis 1917, affiliée à la Sir Henry Tate Foundation, que la centrale électrique de Bankside, symbole londonien, sera recyclée en centre d’art dans les années 1990. Jacques Herzog et Pierre de Meuron seront choisis car ils ne considéraient pas le bâtiment comme une coquille dans laquelle la nouvelle structure prendrait place. L’édifice datant de l’après seconde guerre mondiale sera conceptualisé par les deux hommes comme le reflet de la pratique de nombreux artistes contemporains 59.

La différence majeure entre la Tate Modern et le Palais de Tokyo, c’est la possession d’une collection publique qui permet à l’institution britannique de fonctionner à partir d’un large fond d’œuvres britanniques et internationales, modernes et contemporaines, à disposition. L’évènementiel vient alors sublimer des problématiques qui sous-tendent la collection. Quant au Palais de Tokyo, centre de création contemporaine, il ouvre en 2002, succédant au Musée d’art et d’essai, aux réserves du Fond National d’Art Contemporain, à l’Institut des Hautes Études en Arts Plastiques (de Pontus Hulten), au

Centre

National

de

la

Photographie,

et

de

la

FEMIS 60.

Sans

collection,

le fonctionnement existe uniquement par un système d’expositions temporaires, même si elles tendent à s’étaler sur de longues programmations. Il s’agit alors pour cette institution publique, de faire jouer un relationnel quant aux prêts d’œuvres.

45


La gestion du budget est influencée, et c’est l’ensemble de la curation qui doit s’y conformer par arrangements inter-institutionnels, et souvent par la mobilisation de capitaux.

Le labyrinthe est là! Le passé, sous nos yeux, transperce le présent. C’est bien de cela dont il est question avec l’intervention de Lacaton et Vassal au Palais de Tokyo. Plongeons nous dans les échos de l’origine de ce lieu. Considérons ses différents états à partir de son origine, en 1934.

Cette année là, de par les relations politiques et financières de la ville de Paris et de l’État, se décide le projet d’une construction de deux musées d’art moderne dont l’inauguration se fera lors de l’Exposition Internationale61 de 1937 sous forme de Pavillon Français. Il constituera l’un des trois édifices permanents. A cette occasion, par le concours des architectes et des sculpteurs, prendra forme un édifice de style appelé, dans le cas présent, fascisant62. Construit sur les principes de symétrie, le bâtiment a tout pour rappeler la Rome antique. La façade est constituée de bas reliefs, de colonnes et de frontispices reprenant des divinités de la mythologie antique. L’imposant édifice reflète alors un contexte politique européen ambigu, complexe et controversé63. L’exposition internationale à pour objectif d’être un outil de paix et d’alliance au même moment où les différents pavillons mettent en scène leur idéologie. Les français verront ainsi au jour de l’ouverture, les deux principaux pavillons obtenir la médaille d’or. Ceux-ci se faisant face, étaient en réalité ceux de l’Allemagne Nazie et de l’U.R.S.S.

Le labyrinthe est là! C’est bien au cœur de ce pan de l’Histoire encore problématique, 46

souvent tabou, que s’installe ce centre monumental de la création contemporaine.


Et aujourd’hui, plus que jamais, les artistes ne peuvent ignorer la question du poids de l’Histoire collective, nationale, dans leur pratique. Exposer au Palais de Tokyo est un défi, celui de devoir se déprendre encore une fois avec cette histoire. Les travaux de 2012 sur les rives de Tokyo font ressurgir les dualités passées au sein même du présent. L’Antiquité romaine et sa chute64, l’angoisse pré-romantique annonciatrice de la Révolution avec Piranèse65, les troubles des années 1940, et ceux de notre époque tourmentée, se chevauchent sur le même terrain. L’Histoire faite de générations et de corruptions cycliques semble oublier son point d’origine.

Les prisons imaginaires de Piranèse 66 survivent pour nous le rappeler. C’est l’opération que réalisent Lacaton et Vassal par l’ajout de l’escalier en vis. Sans connaître l’ensemble de ces références, nous pouvons ressentir ces intensités par les ombres et les lumières naturelles du bâti, figées dans un état de ruine. Comme nous le lisons dans la monographie sur Piranèse, « la présence des ruines donne au présent une idée permanente (et sage) du relatif. [...] Mais frôlant ces splendeurs toutes récentes des fissures, dénoncent l’effondrement possible. Parmi les ors, c’est le battement d’une menace bien plus grande, qui vient là, rappeler que palais, temples, basiliques, églises sont destinées à disparaître 67 » ; comme « une espèce de dualité trouvant son visage propre, sa séduction et son équilibre de ses contrastes mêmes 68. » Nous percevons l’édifice comme un « organisme vivant 69 » dans lequel « tout homme de culture est un archéologue en puissance 70. » Mais notre esprit dérive toujours, tente de se libérer des méandres imaginaires. Toujours dans l’édifice, nous ne pouvons nous empêcher de penser à l’usage de l’imagerie des ruines à travers le temps.

47


Appuyons nous sur l’ouvrage Ruines de Michel Makarius pour envisager les différentes transformations sémantiques de cet amas de débris et comment il a pu être utilisé au travers des époques. Jusqu’au XX e siècle, les ruines incarnent, le plus souvent, une allégorie de la mélancolie qui permet de mettre en scène des vestiges monumentaux en tant qu’objets symboliques. Elle reflète le hasard de la rencontre, la perte et l’oubli de la raison ordonnatrice 71. « Ainsi l’absence de tout logique donne le sentiment d’un monde factice d’où l’homme est exclu, réduit à être une chose parmi les choses 72. [...] Au XX e siècle, le regard mélancolique prend une dimension critique. La vacuité, la privation, l’incommunicabilité sont des états psychiques qui intériorisent la réalité sociale. Être chose parmi les choses, c’est vivre subjectivement le processus de réification qui investit les relations humaines soumises au modèle de la marchandise 73. » «

Dénoncer

le

mirage

d’une

réalité

exempte

de

contradictions,

indemne

de

tensions et de luttes, implique donc de briser la bonne forme. [...] C’est avec le grand courant d’air du mouvement DADA que la discontinuité et l’hétérogénéité, voire le non-sens, deviennent des principes de création. » Cette vision évolue assez brutalement durant la période des Guerres Mondiales. La ruine devient un motif ambigu car il est autant utilisé par le camp de l’hégémonie que celui de la critique. Parmi

d’autres,

Albert

Speer,

architecte

allemand,

ministre

des

armements

de

la production de guerre durant le III e Reich, écrit une Théorie des ruines dans laquelle nous pouvons trouver l’usage de cette allégorie dans l’architecture fasciste allemande : « "Hitler aimait à expliquer qu’il construisait pour léguer à la postérité 48

le génie de son époque, car en fin de compte seuls les grands monuments rappelaient les grandes époques de l’histoire ", il envisageait (non sans raison)


une architecture qui au besoin supporterait l’état de ruine 74.» « A partir de 1945, les ruines ne renvoient plus au passé mais au présent — un présent qui voit le pouvoir de destruction changer d’échelle 75. » L’imagerie de la ruine apparaît alors comme un témoignage réaliste d’un traumatisme, celui de la disparition de la ville 76. Ce motif semble être le lieu d’un combat idéologique au point que les autorités allemandes, puis soviétiques interdiront toutes photographies des ruines d’après guerre 77. En tant que spectateurs au Palais de Tokyo, nous sommes à proximité de ces couches esthétiques et politiques.

43

Frédéric Mitterrand, Préface, dans le catalogue de l’exposition :

Intense Proximité, une anthologie du proche et du lointain, p. 9.

italien d’architecture Domus n° 959 (juin 2012) p. 41. « With their extension of the Palais de Tokyo in Paris, Anne Lacaton

l’Art,

and Jean-Philippe Vassal prove that an architecture of demolition,

à l’origine réservée à une promotion de la scène française.

subtraction and incompletion is that which resonates most intensely

Toujours dans l’objectif de « mettre en lumière la création

with today’s contemporary art. »

Elle

remplace

la

biennale

nommée

La

force

de

actuelle dans le domaine des arts visuels en France », cette édition a été orientée sur les questions de monde multipolaire, diversifié ; considérant

la

richesse

des

échanges

et

des

influences,

46

<

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lacaton_et_Vassal

>,

dans

l’article Réalisations et démarches. 47

Xavier Veilhan au Château de Versailles du 13 septembre

les croisements de recherche et de pensée, ouvrant ainsi la

au 13 décembre 2009. Cette exposition temporaire ouvre une piste

participation à des artistes et curateurs de nationalités variées.

dans notre propos à la problématique de l’intégration d’œuvres

« La Triennale [...] constitue la première grande exposition du Palais

d’art contemporain au sein des secteurs du patrimoine historique

de Tokyo rénové qui devient,

grâce à l’impulsion du Président

français. Une confrontation de l’ancien et du contemporain comme

de la République, l’un des plus grands sites dédiés à la création

nouveaux enjeux politiques, artistiques, culturels et économiques

contemporaine en Europe. »

par la pratique de l’évènementiel et du ludique comme pédagogie

44

A cette occasion aura lieu une présentation à l’extérieur de

des publics. Ici, Lacaton et Vassal ont été immortalisés, au même titre

l’institution, par l’architecte Christophe Catsaros, qui sera suivi

que d’autres architectes contemporains, de renom comme Claude

d’un dialogue avec l’historienne de l’art et enseignante à l’ENSA

Parent, Norman Foster et Renzo Piano.

de Bourges, Catherine Fraixe. Dans le cadre d’un projet organisé

Delicado et de Maria José Marcos, L’exposition après la démolition ou

48 Op. cit Gonzalo Herrero Delicado et Maria José Marcos, L’exposition après la démolition ou Exhibition after demolition, p. 41. Dans le paragraphe Fun Place traduit par Lieu Divertissant : « Considering today’s parameters of ecological sustainability and the precarious economic situation, the reuse or postproduction of this heritage clearly ought to be essential to primary strategies for the

Exhibition after demolition, écrit pour le mensuel bilingue anglais-

future development of cities. »

par Alejandra Riera, artiste et enseignante à l’ENSA de Bourges, nous avons pris le soin de produire un enregistrement. 45

Traduction par nos soins à partir d’un texte de Gonzalo Herrero

49


49

Ibid. p. 48.

« European cities today possess an extraordinary heritage of constructions, passed down through centuries of planning and architectural history. And yet, priority generally continues to be given to a policy of demolition and replacement by new buildings, be they service structures or residential. Considering today’s parameters of ecological sustainability and the precarious economic situation, the reuse or postproduction of this heritage clearly ought to be essential to primary strategies for the future development of cities. » 50

Ibid. p. 48.

« Only the necessary minimal changes were made to improve access and safety. » 51

Ibid. p. 48.

Terme venant du duo d’architectes : « a fragile shell : a facade that had resisted as the sole remaining feature of the original building. » 52

Ibid. p. 48.

« The Palais de Tokyo thus became a variegated and fluid space, with no subdivisions to obstruct the actions of the artists and the public that would inhabit the building daily. » 53

Ibid. p. 45

Op. cit Frédéric Mitterrand, Préface, p. 9. Nous constatons que sur la totalité de l’espace du Palais (22 000m2), seulement 5.500m2 sont dédiés aux espaces d’exposition. Outre les bureaux et la régie, l’espace est autant consacré à la convivialité et à la consommation. Ces lieux ont par ailleurs été commissionnés à des artistes. 54

< http://www.live2times.com/1977-inauguration-du-centrebeaubourg-e--1889/ > Croisons cette référence avec le film de commande de Roberto Rossellini, Le Centre Georges Pompidou, produit par Jacques Grandclaude et Imotion films, 57mn, 35mm optique, couleur, 1977.

50

Dernier film du réalisateur italien, ce document rare avait été présenté à La Box, espace d’exposition de l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges dans le cadre de la programmation Nous construirons des maisons passionnantes, dans l'exposition intitulée Des espaces autres, curatée par les étudiantes Marie Lemaire, Christèle Selliez-Vandernotte et Ariane Tillenon, encadrée par les professeurs et artistes Nicolas Hérubel, Didier Mencoboni ainsi que Hervé Trioreau dans le cadre d’un partenariat avec le FRAC Centre et Imotion films.

Réalisé lors de l’inauguration du centre en 1977 pour la télévision française, ce document nous permet de comprendre le type de polémiques inhérentes à la construction d’une institution culturelle publique. Le Centre Georges Pompidou, construit sur les plans de Richard Rogers, Renzo Piano, et Gianfranco Franchini, devait abriter une collection d’art moderne et contemporain entourée de littérature, de design, de musique et de cinéma dans un environnement transparent, accessible par un forum central dédié à la presse ; complètement amovible par un système de plateaux indépendants des parois. Cette structure interne innovante, telle qu’elle a été conçue par les architectes, choisie par le jury du concours, n’est plus reconnaissable dans ce lieu public de nos jours. 55

Sophie Flouquet, Lumière sur le Palais de Tokyo, dans le magazine mensuel français d’architecture AMC (Le moniteur d’architecture), n°215, p. 137. 56 < http://www.herzogdemeuron.com/index/projects/completeworks.html >

Herzog et de Meuron est un cabinet d’architecture suisse fondé en 1978 par Jacques Herzog et Pierre de Meuron. L’agence avait notamment réalisé les travaux pour la Tate Modern de 1995-2000, le stade national pour les J.O 2008 en Chine, le Stadium des J.O 2012 à Londres ainsi que les extensions Oil Tanks à la Tate Modern, aussi pour l’été 2012. 57 J . J Leveque, Ombres et lumières sur Rome, dans Piranèse, p. 11. Nous apprenons que Piranèse né à Venise en 1720, vécu entre Rome et Venise. Alors qu’il était destiné à la carrière d’architecte, il se dédia à la tradition de l’ornement par la matière noire que lui inspiraient les ruines romaines.

« Le Romantisme dont il amorce la venue se penchera sur le passé (de préférence médiéval, donc gothique) pour y nourrir un long gémissement, la lente plainte des choses inaccessibles ou perdues. » C’est par la déambulation, la circonscription d’un décor qu’il apprend à connaître  ; qu’il gravera la Rome antique, surgissant du passé. Ibid. p. 13. « Il pris ainsi possession de ce qui fût, pour ses ancêtres, le territoire de tous les pouvoirs et de toutes les débauches. [...] Terrain de l’attente, de la disponibilité, de la vacuité, Rome est aussi la ville des corruptions. »


58 < http://www.guardian.co.uk/artanddesign/2012/jul/01/tankstate-modern-review >

Ces liens sont ainsi corroborés par l’article The Tanks at Tate Modern publié outre-manche par Rowan Moore, journaliste pour The Guardian, le 1er juillet 2012. La traduction a été réalisée par nos soins. 59

Traduction par nos soins de Michael Craig Martin, Towards Tate Modern, dans Tate Modern the handbook, pp. 11 à 22. 60

< http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_de_Tokyo >

61

L’Exposition Internationale, Arts et Techniques dans la Vie moderne, aura lieu à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937. Les pavillons verront passer environs 30 700 000 visiteurs. 62

< http://en.wikipedia.org/wiki/Fascist_architecture >

Lors de notre rencontre avec Christophe Catsaros, il nous explique que ce retour au classicisme est dominant dans les années 30. Nous le retrouvons, entre autres, dans les esthétiques totalitaires, fascisantes, en Italie dans les années 1920, dans l’Allemagne nazie et sous Staline. Nous pouvons alors constater le radicalisme stalinien qui, par décret, interdira la modernité. Il est à noter que cette esthétique ne provient pas uniquement des gouvernements fascites. Ce style est symptomatique de l’époque dans laquelle il est produit. 63

partagé de connaissance universelle. On a l’impression que tout une société, précipitée dans un avenir qu’elle présentait incertain, s’appuyait pour se rassurer, sur un héritage qu’elle dépeçait parce que chacun voulait avoir sa part. » 66 La série des eaux fortes, Prisons imaginaires, sera reprise par Piranèse à plusieurs années d’intervalles, de 1744 à 1760. 67

Op.cit J.J Leveque, Ombres et lumières sur rome, p. 12.

68

Ibid. p. 13.

69

Op. cit J.J Leveque, La magistrature des eaux, p. 17.

70

Op. cit J.J Leveque, Un dépotoir archéologique, p. 25.

71

Op. cit J.J Leveque, Visages de la mélancolie, p. 193.

72

Ibid. p. 196.

73

Ibid. p. 196. Par exemple, chez Chirico, parmi les villes désertées qu’il peint, l’on peut rencontrer des mannequins inertes comme une « dépossession de l’individu, de son histoire, de son destin. » 74

Op. cit J.J Leveque, Grandeur et solitude, p. 147.

75

Op. cit Michel Makarius, Allemagne, année zéro, p. 208.

76

Ibid. p. 211.

77

Ibid. p. 208.

< http://fr.wikipedia.org/wiki/1937_en_France >

En 1937, la France vit une période de crise économique avec une inflation de 26%. De ce fait, Léon Blum décide un gèle des réformes. L’état lance un emprunt pour la défense nationale. Léon Blum démissionne le 21 juin et le Franc est dévalué le 30 juin. Guernica de Picasso est présenté à l’Exposition Universelle de Paris. Et s’ouvre cette année là, l’exposition Entarte Kunst ou Art Dégénéré, commanditée par Hitler pour discréditer l’avant-garde (Michel Makarius, Allemagne, Année Zéro, dans Ruines, p. 208.) 64

Rome, Le Petit Larousse illustré, p. 1637.

On détermine la fin de l’Antiquité à la chute de l’Empire romain en 476 après J.C. Au Ve Siècle, les invasions barbares touchent durement l’Empire d’Occident. En 410 c’est le sac de Rome par Alaric, roi Wisigoth ; et en 476, le roi barbare Odoacre tue le dernier empereur, Romulus Augustule ; c’est la fin de l’Empire d’Occident. 65

Op. cit J.J Leveque, Un dépotoir archéologique, p. 25.

C’est au travers de la « salutaire méditation des misères humaines », qu’il incarnera l’un des « guides involontaires d’un itinéraire non-conformiste, aventureux, dans les franges d’une réalité qui bascule très vite dans la fantasmagorie. » Op. cit J.J Leveque, Un champ de la mémoire, p. 71. Op. cit J.J Leveque, Architecte raté, p. 79. Sa « manie du collectionneur répondait à un souci largement

51







La Triennale de Paris au Palais de Tokyo : une intense proximité ? « Conscient du fort courant de globalisation des échanges qui traverse l’art contemporain, j’ai souhaité que cette nouvelle édition élargisse la notion de scène française pour donner à voir la création dans un monde multipolaire et diversifié, la richesse des échanges et des influences, les croisements de recherche et de pensée 78. »

Exposition à l’initiative du Ministère de la Culture, La Triennale 2012 a été annoncée comme l’un des prémisses du Grand Paris de la culture

79

. Cette manifestation a donc eu pour objectif

officiel de « mettre en lumière la création actuelle dans le domaine des arts visuels en France80 », dans la quête pleine d’espoir de redorer l’image de la scène artistique parisienne sur un plan international, et ainsi d'éclairer l’ensemble du fonctionnement culturel français. Outre l’amalgame ici présent entre la ville, l’état et son rayonnement, nous ressentons dans ce texte à quel point un évènement de cette échelle est un outil politique au delà même de la culture, sur un plan local et international81.

Secondé d’une équipe de curateurs qu’il a personnellement sélectionné82, Okwui Enwezor s’est emparé des récents débats mettant en évidence un phénomène, une politique de l’antidifférence. Intense Proximité prend toutes ses sources dans la quête de l’exploration et de l’appréhension des distinctions brutales qui traversent l’art contemporain à la suite de ces débats83.

57


Par

s’agit

de

l’étude poser

des des

zones de contacts de questions

autour

de

la

différents disjonction

systèmes spatiale

de et

pensée,

il

temporelle

dans une société où la distance du Moi et de l’Autre a disparu 84. Par exemple, lors de l’inauguration au Grand Palais, le public a pu goûter de la soupe. Cette action artistique, de l’ordre de l’esthétique relationnelle, a été réalisée par l’artiste Rirkrit Tiravanija. Accompagné pour l’occasion par Emmaüs, cette manifestation a été placée à contre-pied d’une actualité polémique française. Il est à noter que cette soupe a été distribuée sans porc, elle était donc accessible à tous ; contrairement à l’association charitable qui distribua, plus tôt dans l’année de la soupe gratuite, au porc. Ingrédient que l’on sait exclusif 85. Cela positionne les intérêts de cette édition sur le partage qui apparaît comme une revendication après le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui avait privilégié l’articulation de l’anxiété comme un outil radical de pouvoir 86. Dans cette période d’élections présidentielles, où les débats se ravivent autour des questions de la diffusion d’une société, de ce que l’on appelle un étranger, des notions de race et de préférence nationale  ; une exposition d’une telle échelle, compte tenu de sa dimension symbolique et paradoxale est rare 87. Dès l’entrée de l’exposition, le spectateur est alors happé par une seconde œuvre manifeste de Rirkrit Tiravanija : La peur mange l’âme 88.

Pour l’institution qu’est le Palais de Tokyo, ce contexte politique apparaît comme l’occasion d’affirmer que les études postcoloniales peuvent et doivent être abordées en France ; notamment 58

parce que la France a un long et lourd passé en ce qui concerne l’Empire des colonies mais aussi parce que ce type d’études transversales aura permit dans d’autres pays, comme par exemple,


en Grande Bretagne, de démystifier l’héritage colonial89. Dans le document de visite distribué à l’entrée, nous pouvons lire que le visiteur sera « embarqué dans une exploration où l’art et l’ethnographie convergent vers une fascination renouvelée pour l’inconnu et le lointain. »

Comme chaque introduction d’exposition, le propos reste très idéaliste et en surface compte tenu du projet complet du curateur. Et à ce stade, il nous est permis de douter ; douter que l’idéal du multiculturalisme ne serait que le vernis d’un consensualisme politique ennuyeux. Le même texte est approfondi avec quelques repères historiques. Nous apprenons ainsi que c’est au XX e siècle que « le phénomène de globalisation, précédé par des siècles d’échanges fondés sur le commerce, les guerres et les colonies, a accéléré à l’échelle mondiale la rencontre et l’échange entre des sociétés étrangères. » Elle aura eu pour effet le développement d’une science très occidentale, l’anthropologie, basée sur l’étude de certaines civilisations, leurs histoires, leurs mythes, et leurs fonctionnements sociaux jusqu’alors inconnus. La diffusion médiatique aura joué un rôle de cristallisation de la différence des corps, des peaux, des vêtements, des activités et des mouvements. « La figuration de l’homme jusque-là pilier de la représentation artistique occidentale s’en vit bouleversée, comme en témoigne l’éclatement progressif de la figure humaine dans les avant-gardes européennes de la période moderne. »

« Intense Proximité va à l’encontre des cartographies sédimentées et propose une vitrine pour l’art qui traverse le réseau des signes et des styles formels, mélangeant plusieurs générations d’artistes et plusieurs disciplines, et brouillant la frontière entre participants et experts en sciences sociales90. »

59


Dans son introduction à l’Anthologie du proche et du lointain, Okwui Enwezor revient sur les fonctions d’une exposition, de celle-ci en particulier et du rôle du curateur. « Organiser une exposition engage un processus qui donne vie à l’art et à la culture » ; c’est agir pour la circulation des signes en étant au cœur de la production artistique et cela implique donc de faire des choix pour « déterminer des postures artistiques valides. » Cet exercice de spéculation aboutit dans la formulation de logiques, de formats. Le directeur artistique rappelle : une exposition est une manifestation, une démonstration. Pour lui c’est la mise en « contexte philosophique et discursive au sein duquel la disjonction critique de la culture mondiale peut apparaître et faire l’objet d’une organisation, afin de formuler un projet cohérent qui rend les réalités contemporaines immanentes, visibles, présentes. « De par la gestation du projet, l’ensemble devient un « outil à penser, dans lequel l’œuvre d’art et l’objet culturel (avec des images de la réalité et des modèles d’approche de celle-ci) convergent dans une analyse systémique. » « Cette exposition constitue un système spatial et temporel dans lequel disjonctif et contigu coexistent dans le cadre de relations discursives complexes. » De fil en aiguille, nous tournons autour des études ethnographiques comme poétique de l’observation. Les similitudes avec le commissariat d’exposition sont nombreuses et c’est bien ce qui nous pousse à penser qu’ Intense Proximité est un commentaire sur son propre format, celui de l’exhibition. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas une basique exposition sur les exhibitions. A la manière du cheminement dans notre labyrinthe unicursal, la référence se décale et laisse apparaître un regard critique sur le genre pour proposer un format inattendu. L’introduction du directeur artistique confirme notre intuition. « Des années 1920 à nos jours, l’exposition est une médiation sur la transition qui s’est opérée entre la démarcation spatiale 60

proche/lointain et le réseau intriqué des identités culturelles contemporaines. »


La ruine figée du Palais de Tokyo est le décorum idéal pour « l’exploration spéculative, analytique, antique. » Les espaces ouverts de l’édifice permettent les confrontations possibles, les proximités entre les spectateurs, les « objets hétérogènes, les logiques artistiques et culturelles. » C’est bien le lieu d’« affrontement des discours », « l’engagement de la poétique ethnographique, des superpositions et des interprétations. » Nous pouvons comprendre dans cette même introduction qu’il s’agit de traverser physiquement et intellectuellement différentes zones, qui forment une cartographie de pratiques artistiques ; et d’explorer du même fait, les vecteurs qui relient ces territoires. Le catalogue est ainsi composé comme les fondations théoriques de l’entreprise. « Il est le produit de cercles concentriques qui intègrent la définition de la culture et sont représentés dans une dualité étroite entre le près et le loin. » L’ensemble des ruptures opérées dans l’espace semble surtout impliquer l’esthétique et repose de la question d'une attitude face aux mythes de la Terrae Incognitae, de la surproduction et par dessus tout, d'une traditionnelle régulation de nos définitions du temps, de l’espace, des hiérarchies culturelles pour nous ouvrir à un nouveau monde cognitif.

« Avec l’œuvre d’art, le récepteur rentre en contact avec un espace phénoménologique dans lequel les dimensions des modèles temporels et historiques, esthétiques et critiques, méthodologiques et disciplinaires convergent pour produire de nouvelles relations de proximité 91. »

61


« Invitation à repenser son propre système de valeurs et de jugements » l’exposition est un processus qui implique l’analyse, dans une rencontre entre le spectateur et l’œuvre92. « La pratique ethnographique, fondée sur la nécessité de la rencontre et de l’échange avec l’Autre, n’est pas étrangère à cette notion de désapprendre93. » Au-delà de simplement oublier ce que l’on a appris, c’est surtout que la rencontre, instant vécu, a la capacité de dépasser, de transformer et de sensibiliser ce qui est connu, par le biais du cognitif. Cela apparaît alors un outil prédisposé pour « briser des représentations établies et forger une nouvelle appréhension du monde qui s’éloigne des modes de pensée hérités de notre histoire proche de la modernité94. » Par cette opération, l’équipe de curateurs de La Triennale 2012 entend « créer un sens de scepticisme intellectuel concernant toute sorte de compréhension systématisée des différentes sphères culturelles95. « Dans cette coprésence de l’œuvre et du regard du public, le collage culturel transforme le spectateur en ce qu’Okwui Enwezor appelle l’observateur participant96. » « En retirant les outils de médiation et de synthèse, le spectateur n’est plus consommateur d’objets culturels mais voyageur au travers de l’histoire complexe de la pensée humaine97. » Le public est intégré à la mise en scène de l’art. Déambulant au sein du vaste espace d’exposition, il est submergé par l’ensemble vertigineux et complexe qui s’offre à lui.

Marchant jusqu’au bout de ses forces, il est motivé par la découverte de nouvelles œuvres et de nouveaux espaces, au risque de la proximité. Encadré par des barrières de constructions, ou de matériaux pour la fabrication de futures cages DIY98, l’observateur-participant vit l’inconfort inhérent à la cohabitation. Volontairement entré dans ce qui ressemble aux Prisons imaginaires 62

de Piranèse ; il sait qu’il est surveillé. Se prêtant au jeu non-innocent, le participateur devient en un clin d’œil le cobaye d’un format d’exposition hybride. Suivant toujours le même principe


du labyrinthe crétois, ce système peut-être expérimenté uniquement si le sujet est conscient, volontaire et critique des relations de pouvoir dans sa propre objectivation que cette situation voyeuriste engendre99. Non pas négligé mais discret, ce détail a le pouvoir de renverser cette exposition. Par ces détours, plus que jamais, nous ressentons que « le lointain est devenu inconfortablement proche100. » « Des capitales culturelles, comme Londres, Paris et New York possèdent un circuit affluent, établi et bien financé de musées et de galeries composés de programmes et de collections de qualité. Lorsqu’elles conçoivent une nouvelle biennale, il est difficile de ne pas suspecter de grossières stratégies désespérées de marketing pour obtenir plus de ressources, de visibilité, de public au sein d’un circuit artistique global et compétitif101. » Dans cette édition de La Triennale de Paris, placée à contre-pied des Forces de l’art précédentes, nous ne pouvons trouver de similarités. Ici plus de quarante nationalités trouvent leur place dans ce qui a été voulu comme « anti-spectacle, [...] orchestration d’engagements intellectuels d’identités politique102 . » Nicolas Bourriaud, ancien collègue de Okwui Enwezor sur la triennale de la Tate Britain, en tant que directeur sortant du Palais de Tokyo, il commissionne le directeur artistique pour le Ministère de la Culture103. Le critique et commissaire français précise : « lorsque quelqu’un se retrouve dans le rôle d’un jury de commission, la chose la plus importante est le succès du projet104. » Cette phrase somme toute évidente peut faire bondir. En effet, le succès implique une grosse fréquentation de l’exposition, un bouche à oreille qui amène d’autres publics dans une seconde vague. Pour que ce type de communication s’opère, elle aussi avec succès, il est nécessaire d’articuler un ensemble de concepts et de matériaux, quelques artistes et curateurs phares pour provoquer une impression mémorisable, positive d’un moment passé, à partager, à raconter.

63


Cela peut faire bondir lorsque l’on n’accepte pas que l’art soit l’outil d’une opération suffisamment digeste pour être transmise. C’est le rôle du directeur artistique, au delà de choisir les œuvres, d’être le gestionnaire de son budget d’une telle façon que la politique des dépenses serve son projet en terme de qualité d’exposition pour marquer les esprits plutôt que de viser les quotas en terme de chiffres d’entrées. Toujours est-il que la pérennité de ce type d’actions nécessite un soutien financier qui ne peut être tabou. Pour l’évènement de La Triennale de Paris, il s’agissait de créer une manifestation mémorable de par sa différence conceptuelle, plus que formelle ; se positionnant vis à vis du phénomène d’évènements modélisés, répétables comme certaines biennales ou triennales. Nicolas Bourriaud écrit alors : « Le fait est qu’une grosse exposition annuelle rassemblant plus ou moins une centaine d’artistes autour d’un vague thème à la mode, à part le fait d’être une biennale, est une mauvaise exposition105. » Il s’agissait alors pour l’équipe de curateurs de dé-biennaliser106 la programmation. Quelques professionnels de l’art auront été déçus de ne pas pouvoir accéder directement, rapidement à leur pré-sélection d’artistes 107 . Ils n’auront pu vraiment ressentir cette intense proximité qu’en acceptant de se perdre dans les méandres du palais comme tout banal badaud. Cette « prise de risque de parler d’histoire au présent, cette sorte de pensée sauvage va au-delà de l’ennui qui émane des grandes expositions internationales parfaites, domestiquées où l’on apprend plus sur le goût des gens que sur l’art108 » ; cherchant à dépasser le besoin de nouveauté et de jeunesse109. La Triennale de Paris, une Intense Proximité, est une exposition « détachée des conventions de style, de goûts ou de thématique organisationnelle dans laquelle nous découvrons des penseurs, des scientifiques, des artistes, des créatifs libérés de toute notion de hiérarchie110. » 64


78

Op. cit Frédéric Mitterrand, Préface, p. 9.

79

Ibid p. 9. < http://www.mon-grandparis.fr/le-grand-paris/

description-generale > « Le Grand Paris est né en réponse à une problématique vitale pour notre pays : comment inscrire durablement la France dans la compétition économique internationale ? Depuis plusieurs décennies, le monde évolue à une vitesse vertigineuse et les pays qui, hier, semblaient en retard, se développent aujourd’hui à toute allure. Face à ce constat, les grands pays émergents d’Asie et d’Amérique du Sud, mais aussi les États-Unis, l’Angleterre, s’arment avec de nouveaux outils : les villes-monde. New York et Londres ont ainsi changé de visage et attirent sans cesse à elles de nouveaux potentiels de développement. » 80

Op. cit Frédéric Mitterrand, Préface, p. 9.

81

Ibid. p. 9.

Frédéric Mitterand précise alors que « La Triennale [...] constitue la première grande exposition du Palais de Tokyo rénové, qui devient, grâce à l’impulsion du Président de la République, l’un des plus grands sites dédiés à la création contemporaine en Europe. » 82

Op. cit Okwui Enwezor, Mélanie Bouteloup, Abdellah Karroum,

Émilie Renard et CLaire Staebler, Remerciements, p. 15. 83

Op. cit Owkui Enwezor, Introduction, p. 11.

84

Ibid. p. 11-12.

85

A partir notre traduction de Stéphanie Moisdon, La France rencontre le monde ou France meets the world, dans Intense Proximité, La Triennale 2012 ou Intense Proximity, Triennale 2012 issu du magazine The Exhibitionist, Journal on exhibition making n°6, chapitre Assessments, p. 29. « It was an inalienable gift, as Marcel Mauss would have put it, excluding no one (there is no pork in tom kha gai soup). » 86

Ibid. p. 29.

« This opening gesture of the program bearing the title Intense Proximity immediately situated the stakes on the sides of sharing, a notion rather severely battered during the Nicolas Sarkozy era, and tackled head-on a historic moment of change, anxiety, and the radicalization of power relationships. » 87

Ibid. p. 29.

« Rarely has an exhibition of this scope (almost 1,000 works) taken on so striking a symbolic dimension, coming as it does within the fraught context of a presidential election [...] »

88 A partir de la traduction de Cristina Ricupero, Trop près pour le confort ou Too close for comfort dans Intense Proximité, La Triennale 2012 ou Intense Proximity, Triennale 2012 issu du magazine The Exhibitionist, Journal on exhibition making n°6, chapitre Assessments, p. 30.

« Intense Proximity almost seems intended as a pointed response to the Nicolas Sarkozy campaign, with its exploitation of fear to attract votes on the far right. Fear Eats Soul , written in rough, gigantic graffiti on the monumental walls of the venue’s entrance, brutally confronts the viewer with the general theme of the exhibition and successfully set the tone [...] » 89

Ibid. p. 30

« Intense Proximity comes a bit late but still in time to France, which had so far been insulated from the postcolonial studies that demystified the colonial legacy in Great Britain and elsewhere. » 90

Op. cit Owkui Enwezor, Introduction, pp. 11-14.

L’entièreté des deux paragraphes qui suivent l’exergue se référence à ce chapitre. 91

Ibid. p. 11.

92

Désapprendre. Intense Proximité, La Triennale de Paris 2012, document de visite distribué gratuitement, p. 3. 93

Ibid. p. 3.

94

Ibid. p. 3.

95

Op. cit Cristina Ricupero, Trop près pour le confort ou Too close for comfort p. 30. « Through a process of unlearning, Enwezor aims to create a sense of intellectual scepticism concerning any kind of systematized understanding of the different cultural spheres. » 96

A partir de notre traduction de Nicolas Bourriaud, L’effondrement de la distance ou The collapse of distance dans Intense Proximité, La Triennale 2012 ou Intense Proximity, Triennale 2012 issu du magazine The Exhibitionist, Journal on exhibition making n°6, chapitre Assessments, p. 41. « The participant observer, he evokes is connected to more than just ethnology and ethics. The subject was subtly evoked at the very start of La Triennale 2012. » 97 Op. cit Stéphanie Moisdon, La France rencontre le monde ou France meets the world, p. 29.

« By removing the tools of mediation and synthesis, Enwezor’s team proposes that the supposed consumer of cultural objects become a single spectator and travel through this complex history of human thought. »

65


98

Abréviation anglophone pour le mouvement qui redevient au goût du jour en ces périodes de tensions économiques : Do it yourself , Fais le toi-même. 99

Op. cit Cristina Ricupero, Trop près pour le confort ou Too close for comfort, p. 30. « The project recognizes ethnography’s contribution in terms of research methods and models of visual production but looks at the discipline with a critical eye, questioning its unconsciously voyeuristic approach and the power relationships it engenders. » 100

Ibid. p. 30.

« Indeed, the far has become uncomfortably near. » 101 A partir de la traduction de l’article Adriano Pedrosa, La centralité de la biennale périphérique ou The centrality of the peripheral biennale de issu du magazine The Exhibitionist, Journal on exhibition making n°6, chapitre Typologies, p. 44.

« Cultural capitals such as London, Paris, and New York have an affluent circuit of established, well endowed museums and galleries with the fine programs and collections. When they devise a new biennale, it is difficult not to suspect crass marketing strategies and desperation for resources, visibility, and audience in the competitive global art circuit.» 102 Op. cit Cristina Ricupero,Trop près pour le confort ou Too close for comfort dans Intense Proximité, p. 30.

« La Triennale is an anti-spectacular but intellectually ambitious orchestration of engagements with identity politics. » 103

Op. cit Nicolas Bourriaud, L’effondrement de la distance ou The collapse of distance, p. 41. « I worked with Okwui Enwezor on the Tate Britain Triennial in 2009, and now I am one of the commissioners of Intense Proximity, under the auspices of the French Ministry of culture. » 104

Ibid. p. 41.

« When one is in the position of commissioning, the most important thing is a project’s success. » 105

Ibid. p. 41.

« The fact is that a large, biannual exhibition bringing together a hundred or so artists around a vague, fashionable theme is, aside from being a biennale, a bad exhibition. » 106

Ibid. p. 41

« in order to de-biennialize the word »

66

107

Op. cit Stéphanie Moisdon, La France rencontre le monde ou

France meets the world, p. 30.

« At any rate, any expert claptrap tempted to dismiss the whole holy serves dodges what is essential. » 108

Ibid. p. 30.

« The qualities that distinguish this risky, dangerous attempt to write history in the present tense, this sort of pensée sauvage, from the ennui emanating from all great, international, perfectly domesticated exhibitions where one learn more about other people’s taste than about art. » 109 Op. cit Cristina Ricupero, Trop près pour le confort ou Too close for comfort, dans Intense Proximity p. 31.

« Indifferent to the typical triennial’s obsession with the young and the new, many of its most relevant proposals consist of already existing works. » 110 Op. cit Stéphanie Moisdon, La France rencontre le monde ou France meets the world, p. 29.

« It is a show without an author, unattached to conventions of style, taste, or organizational thematic, in which we discover, freed from hierarchy, thinkers, scientists, artists, and every field of contemporary creativity. »




Repères


Topographie générale

De la pratique à la connaissance, vision objectivante De la prise à la déprise, vision immatérielle, subjectivante A la rencontre des deux murs : la reprise

Le parcours intérieur du labyrinthe crétois

1

Début de la démarche

2

Fin de la démarche

Phases géologiques Fétichisation Interposition Assignation Corruption

70

Imprégnation Génération


IMPLICATION

ALTERATION DEMATERIALISATION LACUNE

MELANCOLIE SYNTHESE

INTERPRETATION QUETE

VALEUR

ISOLEMENT

OEUVRE PERMEABILTE

MODELE PRATIQUE PRODUCTIVITE

1 PRISE ENSEMBLE

ANTICIPATION

CONTRÔLE IDENTIFICATION REPRISE

PROXIMITE

EXPOSITION

RECEPTION

DEPRISE PROJECTION

RESISTANCE 2

CONNAISSANCE

IRONIE



La traversée de la légende •

111

Le périple achevé, moi l’homme qui grandit sans père, Éprouva le feu de mon expérience conservée. Que mes compagnons soient impressionnés de mon récit offert ! Le jour mourra, leur tour viendra, vers l’ultime traversée.

L’esprit de cet hybride embarqué, Ma conscience vive sonnait la vérité. Point de doute là-dessus, le plus simple : la mort de la bête ! Quant au retour, sortir de ces méandres fût ma vraie quête.

Habité par mon épreuve, je les guide. Le vent souffle, les voiles claquent, les flots s’abattent. Nourris par ma fougue, les marins chantent. Le tumultueux retour oubliera les âmes candides.

Les œuvres mortes appellent les œuvres vives, De part et d’autre, les cartes se dessinent. Que l’envie, la curiosité, l’aventure, attire les âmes combatives ! La légende se fera entendre, si ce n’est pour nos concubines. 111 Christèle Selliez-Vandernotte, La traversée de la légende, dans Thésée et le labyrinthe.

Suivant le principe de la mythologie, le mythe du combat de Thésée et du Minotaure a subi de nombreuses reprises. Voici le second pendant du diptyque nous avons décidé de retenir.

73


Vue d’ensemble Fétichisation : n.f du portugais feitiço, du latin facticius, artificiel. Façon de porter de la valeur à son propre environnement matériel ou à certains éléments spécifiques de celui-ci ; projetant un aura (en latin : souffle), un esprit qui les animeraient d’un pouvoir supérieur à la force de l’homme. Souvent positif, ce caractère peut traire au mystique. Fantasme provenant d’un passé vécu, cette idéalisation absolue provoque une adoration de l’objet modélisé, habitant l’esprit. S’en suit le renversement d’un rapport de pouvoir objet/sujet. Réalisée par la décontextualisation historique et géographique de l’existence de son objet, la fétichisation provoque l’élévation de la forme en tant qu’absolue. En art, cet état semblerais être la première phase de regard sur une matière première. C’est une notion qui prend forme autant dans le cadre de la pratique artistique que dans son marché. Elle implique une certaine croyance subjective, ressentie, de l’objet. Lorsqu’elle prend un caractère démesuré qui isole le fétiche dans un statut qui le dénature ; par exemple, en ce qui concerne sa valeur financière, ce concept devient ambivalent et critiquable car il réserve aux initiés l’accès du fétiche.

Interposition : n.f du latin interpositio, interponere rentre dans l’usage à partir du XVIe siècle. Résultat de l’action d’interposer. Elle consiste à provoquer une situation dans laquelle un corps 74

est posé entre deux autres choses. Cette intervention a pour principe un rapport de force, de tension, soit pour lier les deux éléments ou au contraire les séparer. En art, c’est une rupture


créative qui confronte l’objet à un contexte. Cette opération a pour but de trouver un accord, mettre en perspective, remettre en question. En tant que remise en jeu d’un état premier, cette relecture nécessite de s’ancrer dans une temporalité et un contexte. Ce montage peut prendre la forme d’une surélévation d’une œuvre, comme un cadre ou un socle, un regard comme réécriture, commentaire explicatif ou encore, une analyse. Il s’agit de vouloir défaire pour refaire autrement. Seconde phase qui constitue l’acte artistique, cette appropriation de la matière est une attitude productive de sens qui aboutit à la perte de sa substance magique, inexplicable. En la rendant visible le producteur la rend accessible ; il lui fait perdre son aura première. La confrontation de la matérialité de l’objet au monde des idées provoque sa dé-fétichisation. Intense proximité, la rencontre d’objets hétérogènes est reprise, découpage, choix.

Assignation : n.f dérivé du latin, assignare (vers 1160), asigner (vers 1216). Action d’assigner quelque chose à quelqu’un, ce terme possède une connotation juridique et financière, de l’ordre du droit et de la catégorisation. La façon de destiner ou de donner ce quelque chose apparaît comme normé par des obligations formées par le contexte ; ce qui délimite la compréhension et l’usage que l’on peut en faire et confère ainsi les propriétés de ce qui est assigné. En art, l’assignation serait comprise comme le fait de figer un élément dans une signification qui lui deviendra inhérente. Elle peut apparaître lors de la production de l’œuvre, lors de la cession des droits d’exposition, lors de la vente ou encore lors de son exposition quant elle est accompagnée de l’appareillage discursif dont elle dépend. Ce qui peut arriver aux objets, pouvant arriver aux individus, ce type de classifications, de déterminations est souvent critiqué car il est quasiment impossible pour l’artiste de contrôler ce que l’on percevra de son travail. Et à l’inverse, cette troisième phase semble être nécessaire à la médiation, au partage de la pratique artistique.

75


Corruption : n.f du latin corruptio, corrumpere, utilisé à partir de 1130. Altération de la substance par décomposition, ce terme représente une modification négative d’un modèle (jugement, goût, langage, devoir, conscience...). Le corrupteur est celui qui altère ce qui est sain, honnête par un système de persuasion. Il s’agit en réalité de toute action qui cherche à dénaturer quelque chose, de pervertir la fonction première. En art, ce terme est rarement utilisé lorsque l’on parle d’œuvres mais il est souvent sous-entendu quand il est question de l’environnement des pratiques. Au lieu de voir les choses d’une façon manichéenne, nous comprenons que la corruption est une phase de la création, la quatrième. Elle permet de travailler matériellement ou conceptuellement l’unité d’une production pour la rendre perméable au public. Ce qui a pour effet de la rendre interprétable et appréhendable par le plus grand nombre de regardeurs, même si cela se fait parfois au détriment des subtilités qui rendraient l’œuvre unique. Elle s’oppose à la génération.

Imprégnation : n.f utilisé à partir de 1390, dérivé du bas latin impregnare : féconder, et en 1620, il prend aussi le sens de rendre enceinte. Pénétration d’une substance souvent fluide ou impalpable dans un autre corps, cette diffusion dans l’organisme de produits qui n’en font habituellement pas partie, peuvent aussi exister métaphoriquement en terme d’influence intellectuelle. En science, ce phénomène est étudié comme une influence qui serait exercée par une première fécondation sur les produits des fécondations ultérieures. En art, ce phénomène physique découle de la reprise d’un concept premier qui vient inspirer, provoquer la naissance de nouvelles idées, pouvant 76

s’opérer sur un niveau plus instinctif que réfléchi. Cinquième mouvement de notre réflexion, c’est le résultat direct de l’interposition et de la corruption, empreintes sur l’esprit et la matière.


Génération : n.f dérivé du latin generatio : reproduction, generare : engendrer, de genus : race, genre. Dans l’antiquité grecque (notamment chez Aristote) le terme se traduit de genesis, passage du non-être à l’être. Fonction par laquelle les êtres se reproduisent et portent ainsi à conséquence la formation d’une matière. Opposée à la corruption, la génération est aussi une transformation d’énergie au résultat positif, la création d’une autre entité. En art, cet acte serait nécessaire à la perpétuation des pratiques et réflexions artistiques. C’est aussi l’aboutissement le plus positif d’une œuvre, lorsqu’elle influence la naissance d’une seconde. Dans ce cas la filiation et donc l’histoire de l’art est comprise comme le processus de transmission. Suite à ce sixième mouvement, une nouvelle fétichisation de la forme est possible.

77



Circumambulations112 112

Le processus de dérive interne au labyrinthe est ici décrit par un système de

définitions, détaillant chaque concepts rencontrés. Pour soutenir cette invention, nous nous appuierons sur deux ouvrages : Le petit Robert 2013 et Louis-Marie Morfaux et Jean Lefranc, le Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.


Extrait des photographies réalisée lors des voyages de recherches de Claude Lévi-Strauss ; associées par le Palais de Tokyo à quelques dessins facsimilés produits par l’ethnographe en 1937.


Phase géologique : Fétichisation Prise

Pratique n.f du latin practice, du grec praktikê, dérivé

n.f qui apparaît à la fin du XIIe siècle comme

de prattein : agir ; proche du mot grec praxis,

action de prendre quelque chose et qui prendra

action. Manière concrète d’exercer une activité

plus tard le sens de saisir, d’immobiliser.

à partir d’une idée, d’un projet, d’une décision.

Mouvement d’amener, d’attirer vers soi une

Comme une action qui suit l’application de règles

forme autre, l’enlevant à son contexte pour faire

prédéterminée, de protocoles, elle s’oppose

corps et ainsi l’activer. Cela part du principe que la

à la théorie. Cette connaissance acquise par

forme à prendre se trouvait dans un état passif et

l’expérience se réalise toujours dans un but voulu.

que pour exister, elle a besoin d’être activée par

En philosophie, ce terme est défini par Althusser

quelqu’un ; qu’elle ne se suffit pas à elle même.

comme le « processus de transformation d’une

La prise fonctionne dans une relation passif/actif,

matière première donnée, déterminée en un

objet/sujet dans laquelle l’un se sent la nécessité

produit déterminé, transformation effectuée

de décider pour l’autre, dans la probabilité de

par un travail humain déterminé, utilisant des

lui offrir une valeur nouvelle. Il faut dire que

moyens de production déterminés. » Pour Marx,

l’action de prise est motivée par un désir mental,

« toute vie sociale est essentiellement pratique.

qui habitera le corps. Comme mise en contact

Tous les mystères qui entraînent la théorie vers

active et volontaire vers un élément choisi,

le mysticisme trouvent leur solution dans la

ce geste a pour résultat une empreinte mutuelle

praxis humaine et dans la compréhension de

du rapport de force opéré.

cette praxis. » Cette activité se développe dans le temps et a pour mode opératoire la répétition d’une méthode vis à vis de plusieurs matériaux. Elle demande ainsi la capacité de s’adapter à des situations concrètes variées.

81


Avec l’usage de facsimilés de quelques dessins et photographies de recherche de Claude Lévi-Strauss dans l’exposition Intense Proximité, nous pouvons faire la rencontre des concepts de pratique et de prise.

Le format de monstration qu’est l’exposition se réalise par une pratique de la prise. Le choix vers un objectif précis amène à un découpage, à une décontextualisation de la matière. Ici les recherches de Claude Lévi-Strauss forment avec celles de ses paires, Pierre Verger et Marcel Griaule, le cœur physique et conceptuel de l’exposition. Le principe de documentation ethnographique est aussi une lutte avec ce même format du positionnement dans le rapport de pouvoir qu'est le changement d'un statut. Nous notons que ce sont la réception de ces expéditions ethnographiques qui ont eu pour effet de porter lumière sur des pratiques cultuelles et quotidiennes au point de modifier leur usage vers une fascination qui les a parfois mené à disparaître.

Alors que La Triennale de Paris 2012 choisi de questionner et de réactualiser des pratiques ethnographiques comme prisme pour lire une partie de l’art contemporain, cette action d’appréhension d’un concept qui allie théorie et pratique provoque un lissage confus chez le spectateur. L’exposition s’autoréférence dans les pratiques ethnographiques et artistiques provoquant des collages transversaux ; confrontant ce qui semble distant, fabriquant ainsi l’intense proximité. De manière structuraliste, l’analyse par la comparaison de ce qui est lointain a pour but de rapprocher, de créer du lien. Se tissent jusqu’à une certaine indistinction entre les artistes, les ethnologues et les curateurs des liens qui appartiennent à la méthode 82

d’observation et de collection de la matière environnante, celle du terrain.


« C’est ce que les hommes de la Renaissance ont entrepris, c’est à dire d’essayer de mieux se comprendre eux même à travers leur regard sur l’homme de civilisations qui étaient des civilisations exotiques, je veux dire la Grèce et Rome. C’était une manière de mettre leur propre société en perspective, de se mettre eux même en perspective et puis après ce premier humanisme, il y a un élargissement avec le développement des moyens de communications, des grands voyages d’exploration. [...] La troisième étape humaniste consiste à comprendre l’homme par la totalité de ses expériences et de ses réalisations113. »

Nous pouvons nous rappeler ce que Claude Lévi-Strauss expliquait à Bernard Pivot lors de leur entretien : « l’ethnographe ne se sent pas adapté dans la société où il est né. » Ne rien savoir provoque la curiosité et le besoin de s’approprier ; c’est ainsi que l’inadéquation est un outil opportun et subjectif pour le futur ethnographe. C’est bien cet état qui le pousse à fabriquer avec fascination une matière culturelle. Il décrit de la même façon son activité et c’est en cela que les similarités avec d’autres pratiques de recherche naissent.

« Dans des conditions normales, l’enquête sur le terrain se révèle déjà éprouvante. Il faut être levé avec le jour, rester éveillé jusqu’à ce que le dernier indigène se soit endormi et même parfois guetter son sommeil, s’appliquer à passer inaperçu en étant toujours présent. Tout voir, tout retenir, tout monter, faire montre d’une indiscrétion humiliante, mendier des informations d’un gamin morveux, se tenir prêt à profiter d’un instant de complaisance ou de laisser aller ou bien savoir pendant des jours refouler toute curiosité et se cantonner dans la réserve qu’impose une saute d’humeur de la tribu114. » 83


« Dans toutes les sciences, il y a des périodes fluctuantes. La première tâche, c’est de ramasser, d’accumuler des matériaux et là c’est le travail de terrain qui l’emporte et puis il y a d’autres moments où la masse des matériaux accumulée est devenue telle que l’on y comprend plus rien du tout. C’est devenu un fouillis, une sorte de désordre que l’on ne peux plus maîtriser et à ce moment là, il faut que certains parmi les représentants de cette science, je ne dirai pas tous parce que le travail sur le terrain doit constamment se poursuivre mais que certains s’arrêtent un peu et essayent d’assimiler la masse de matériaux et de les mettre en ordre et au fond, c’est la nécessité que j’ai ressenti.115 »

Œuvre : n.f et n.m qui apparaît au milieu du XIIe siècle à partir du latin opera : activité, travail et de opus, operis : opérer, manœuvre .

1. n.f / Exécution d’une tâche, activité du travail, mise en valeur, ce terme possède plusieurs usages. C’est à la fois l’organisation ordinaire due à l’initiative privée et ayant pour but de faire du bien à titre non lucratif et c’est aussi l’ensemble des opérations effectuées par quelqu’un ou quelque chose, le résultat sensible de ces dernières lorsqu’elles sont orientées vers une fin ; une création, une production. Un peu plus tard, ce terme prendra le sens d’ensemble organisé de signes et de matériaux propres à une pratique artistique, mis en forme par un esprit créatif. Par ailleurs, la coque d’un bateau est constituée des œuvres mortes et des œuvres vives ; respectivement la partie en dessous et au dessus de l’eau. 84


2. n.m / L’œuvre d’un artiste c’est en réalité l’ensemble de ses différentes productions, considérées dans leur suite, leur unité et leur influence. C’est aussi l’objet qui manifeste la volonté esthétique de l’artiste. Par déformation linguistique, il évoque de nos jours l’aboutissement d’un travail d’une grande valeur. Le gros œuvre est l’ensemble des ouvrages constituant la structure d’une construction. Le grand œuvre représente la transmutation des métaux en or, la fabrication de la pierre philosophale. Le chef-d’œuvre est une production particulièrement bien accomplie, parfaite en son genre.

Si l’on compare avec le terme en anglais et en allemand, c’est la consonance avec le travail qui prime. Par exemple, de l’anglais au français, works c’est l’ensemble de la production artistique et work of art, c’est l’œuvre d’art par excellence. Dans la conscience collective, l’œuvre est respectée car elle signifie que la réalisation est aboutie, souvent menée par un savoir-faire précis. Elle est associée à la notion de maître d’atelier, du temps de production et de chef-d’œuvre. En tant que pratique artistique, le terme prend aussi le sens de dispositif de présentation dans les espaces d’expositions diverses, avec des codes et des règles qui forment un certain type de reconnaissance sociale. En France, le terme a un usage réservé. S’il met à distance, c’est à cause de son assimilation à une unité ; impénétrable, qui se suffirait à elle même pour marquer les consciences. L’écart entre les différentes langues est significatif.

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Quête : n.f qui apparaît au XIIe siècle à partir du latin quaesita, substantif du participe passé quaedere : chercher. Action d’aller à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose, qui a, en général de la valeur et qui est souvent unique. Cela peux se produire réellement, métaphoriquement ou imaginairement. En tant que résultante d’une projection mentale et physique, ce processus préalable, qui parfois relève d’un idéalisme mystique, implique différents états : une progression initiée par une insatisfaction qui s’apaise par des épreuves et des rencontres, obligeant un positionnement de l’un à l’autre. C’est lorsqu’on le cherche trop en imitant que l’on finit par tourner autour à l’infini sans pouvoir le réaliser.

Modèle : n.f, ce terme tire son origine en 1564 de modelle, en italien modelo : moule, modèle, il provient d’un dérivé du latin, modulus, diminutif de modus, mesure. Processus de mise en forme de la pensée par le travail de la matière. Cette incarnation idéale tend à démontrer qu’elle est son unique étalon possible. Elle est l’entreprise d’un individu qui agit pour la postérité. Souhaitant faire empreinte par la matérialisation de son idée, l’individu opère un rapport de force, d’objectivation. En tant qu’agent moral, il est propice à l’imitation. En tant qu’outil scientifique de recherche, c’est la synthèse d’un ensemble d’observations et d’expériences qui permet de produire un ensemble artificiel analogue à son équivalent réel. Cette relation d’isomorphisme, de parenté de deux structures est un moyen d’auto-identification à partir d’un idéal ; l’idéal du moi. 86


Productivité : n.f qui apparait en 1283 du latin productus : allongement, de producere : mener en avant, faire pousser.

De production : 1. Dans l’économie classique, c’est l’une des grandes fonctions de l’économie avec la distribution et la consommation. Elle représente une société, une époque par les forces de productions matérielles. 2. « L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société : la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique à laquelle correspondent des formes de conscience déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle en générale116. » 3. En ce qui concerne le droit et l’administratif, une production est un document, une pièce que l’on présente, un ouvrage produit. 4. Ensemble des œuvres d’un auteur, d’un genre, d’une époque créé par l’esprit ; le fait et la manière dont cela a été produit. Lorsque l’on parle de production, d’autres termes qui lui sont associés, portent une consonance contemporaine péjorative liée à l’industrie du travail. C’est le cas du productivisme qui relève d’une pratique de production visant le profit en développant des produits superflus voire, nuisibles. Issue d’un processus de fabrication, la productivité concerne le rendement d’un travail, manuel ou intellectuel d’un travailleur, mesuré en quantité. L’accroissement fertile et lucratif de la productivité dans les sociétés industrielles est lié à la mécanisation, à l’organisation et à la rationalisation des tâches.

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Le producteur apparaît comme un gestionnaire, il est à la fois le concepteur et celui qui réalise en fonction des moyens financiers et techniques qui lui sont alloués. Même s’il a la contrainte de la productivité en tête, sa priorité est la faisabilité du projet, et non, son caractère lucratif. Toujours est-il qu’en bon producteur, il doit assurer la faisabilité d’un ensemble de productions en réseau et non au cas par cas. Au milieu du XIVe siècle, produire prend le sens de « faire apparaître, faire connaître ce qui existe déjà ou encore faire exister ce qui n’existait pas auparavant. » En d’autres mots : générer. En art, c’est une notion dont artistes et spectateurs se méfient généralement dans le sens où elle implique de sortir de stéréotypes vagues d'une création inspirée pour au fur et à mesure se rapprocher d'une fabrication normée qui prendrait le risque de faire perdre son aura au profit de modèles préconçus de pratiques artistiques qui peuvent alors s'approcher des pratiques d'usines. Pourtant, comme nous le disions auparavant, c'est cette même gestion des moyens de production qui permettent une génération sur le long terme.

Phase géologique : Interposition/Assignation Ensemble : n.m du latin impérial insimul, et du latin populaire insemul : à la fois, en même temps. Il apparaît sous cette nouvelle forme à la fin du XI e siècle en prenant le sens de l’un avec l’autre, conjointement. Tout, formé d’un certain nombre d’éléments, qui peuvent être de natures variées ou semblables ; les concepts de cohésion et de synchronisme sont au cœur de ce 88

terme. Parfois le résultat d’une rencontre fortuite, cette relation d’appartenance peut relever


des paradoxes logiques. L’ensemble peut-il ou non se contenir lui-même sans qu’apparaissent des contradictions ? Pour résoudre cette question, nous ne pouvons nous appuyer que sur un ensemble de règles logiques inhérentes à la formation de cette unité spécifique. Ce terme fait aussi référence à l’unité d’une œuvre d’art, tenant de l’équilibre et de l’heureuse proportion dans un mouvement diversifié. Par extension, nous pouvons affirmer que ce sont les mêmes règles qui agissent lorsqu’il s’agit de collection et d’exposition en tant que processus de formation d’un ensemble.

Identification : n.f, dérivé du latin, identitas : le même. Reconnaissance de caractères propres à une entité, et en particulier son origine, ce procédé permet à la fois de contrôler et d’organiser, classifier mais aussi d’assimiler un autre en tant que modèle ou antimodèle comme résultat d’un inconscient formaté par ces critères (grilles d’analyses). Produit dans un rapport de comparaison de propriétés génériques permanentes, ce phénomène fait acte en art au sein de plusieurs configurations : la reconnaissance d’un artiste, d’un style, d’une époque, d’un concept, d’un motif, d’une figure... C’est ce qui est conçu dès l’antiquité comme pouvant provoquer un effet de catharsis (du grec : purification, purgation) lorsque le regardeur se retrouve dans la personnalité ou la situation du héros lors d'une tragédie par exemple en tant qu’objet fictif de décharge. Il est étonnant de noter que le même terme définit à la fois un système de caractéristiques de différenciation comme le système opposé d’assimilation et de confusion des genres.

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Phase géologique : Interposition

Reprise : n.f, terme qui apparaît au début du XIIIe siècle au sens de reprendre. Au XIIe siècle, il avait déjà le sens de corriger, blâmer, réprimander, censurer, condamner, critiquer ; venant du latin, reprendere, de la famille de prendere. Il gagne au fur et à mesure sa signification de prendre de nouveau, (se) ressaisir, regagner, retrouver, revenir, resservir, rattraper, renouer, retoucher, répéter, récapituler, continuer. Il définit une action de faire de nouveau après une interruption, comme un rebond. Par exemple, on l’utilise en musique pour la seconde exécution d’un fragment d’un morceau de musique prévue par le compositeur ; ou encore une nouvelle interprétation. Dans ce concept, le repos considéré entre chaque essai est inhérent, même s’il est court. C’est donc le fait de reprendre un nouvel essor après un moment d’arrêt, de crise ; comme une seconde expansion. Au cours de notre trajet dans le labyrinthe, nous rencontrons trois fois ce concept qui appartient à la phase géologique centrale de l’interposition comme le point de rencontre de la pratique à la théorie, de la prise à la déprise. La première fois qu’apparaît ce mouvement constitué d’une nouvelle énergie, l’objet fétichisé puis identifié se trouve chargé d’un nouveau souffle, d’une transformation de son statut initial idéalisé. Celui ci prend corps à travers l’opération de catégorisation que consiste l’identification comme type de contextualisation et de formalisation. La deuxième reprise est aussi de l’ordre de l’interprétation comme relation de l’un à l’autre. Cette fois ci, l’énergie se forme dans la tension du contact lors de la réception critique qui juxtapose la chose donnée à voir, à des sensations homologues provenant

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de subjectivités différentes. Plus qu’une relecture, c’est un déplacement de l’énergie, sous forme d’allers retours entre la chose et le regardeur qui se positionne dans un rapport de force. La troisième fois que l’on peut rencontrer le phénomène de reprise, c’est lorsque l’on est proche de sortir des méandres, dans la phase géologique de génération. Encore une fois, la reprise insuffle une nouvelle énergie, cette fois ci productrice. Pour simplifier la compréhension, le concept de reprise dont nous parlons est une action qui s’inscrit dans le temps et l’espace ; qui a pour résultat la transformation d’un état stable, fixe en une (ré-)activation chargée d’une énergie nouvelle. Très différente de la répétition mécanique, cette mise en contact, plus organique, est un collage, un dialogue de deux états distincts, qui créent une hybridation par frottements, productive dans sa mise en perspective, son regard critique. Ce concept a été amené auparavant par Søren Kierkegaard117 dans son roman philosophique La Reprise. « La reprise, fut édité le 16 octobre 1843, en même temps que Crainte et tremblements et Trois discours édifiants. [...] La reprise, petit livre attribué au pseudonyme Constantin Constantius, avait été écrit à Berlin, lors du second séjour qu’y fit Kierkegaard (8 - 30 mai 1843). Il appartient à cette vaste construction architectonique où écrits pseudonymes et discours signés du nom de l’auteur se correspondent, de 1843 à 1846. Il comporte, lui aussi, des éléments autobiographiques et tente d’amorcer une sorte de communication secrète avec l’ancienne fiancée, Régine Olsen118. » Faisant suite à son choix difficilement compréhensible de rompre les 92

fiançailles en 1841, qu’il avait lui même engagé en 1840, Kierkegaard ressent le besoin de


s’expliquer. « Mais il considère que l’innocence et la spontanéité irréfléchie de l’amour qu’éprouve la jeune fille, lui interdisent d’exposer directement ses mobiles. Il y a aussi sa mélancolie, ce secret enfoui au fond de son être qu’il lui faut préserver, puisqu’il n’est pas le sien, mais celui de son père119. » La forme du roman semble être un détour adapté à cette condition, de façon oblique : il s’adresse à la jeune femme en écrivant, par l’intermédiaire de « personnages poétiques, de pseudonymes, qu’il place dans des situations imaginaires, quasi semblables à leur situation réelle à tous les deux. Ainsi tend-t-il tout à la fois de s’expliquer, dans la mesure du possible, de soulager la souffrance qu’il se reproche d’infliger, en prenant sur lui seul tout le poids de la faute, et de jouer le rôle de l’imposteur, voire du séducteur, afin de détacher définitivement de lui son amoureuse120. » Cette psychologie subjective écrite comme une fiction romanesque devient alors l’outil de reprise de l’auteur ; l’écriture lui permettant d’objectiver son ressenti, de le sortir de lui-même, pour mieux le comprendre, tentant de se délivrer de ses peines121. Kierkegaard introduit le concept de ressouvenir comme un type d’amour impossible qui prend forme chez les figures de son roman philosophique, les emprisonnant dans leurs sentiments.

« Point de reprise pour qui s’évade hors de la vie, afin de se réfugier dans l’imaginaire ou l’abstrait. Voilà pourquoi le jeune homme, d’abord emporté par le mouvement de l’existence, en suivant son désir, son amour passion, se retrouve ensuite bloqué, incapable de suivre le mouvement jusqu’au bout, jusqu’au mariage qui serait déjà une demi-reprise : une reprise éthique. Tombé amoureux fou d’une jeune fille, en effet, il a senti s’éveiller en lui la verve poétique et son imagination, ainsi mobilisée, fait de lui un amant malheureux qui rêve son amour au lieu de le vivre, qui le transforme en souvenir avant même de le réaliser . » 122

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« Re-souvenir, re-prise : même préfixe, même mouvement. Mais tandis que le ressouvenir se contente d’un seul moment ou élément ; [...] la reprise se sait au niveau de l’existence vécue, comme synthèse de deux moments. L’éternel et le temporel, comme ouverture du présent vers l’avenir123. »

« Le voyageur ne se préoccupe que de reconstituer les circonstances extérieures de l’heureuse expérience dont il a été une première fois gratifié. Il oublie que ces changements extérieurs ne sont pour l’esprit que pure distraction, alors que le mouvement de la véritable reprise doit s’effectuer au sein de l’intériorité. Il ne reste de son voyage, pour le lecteur de La Reprise , qu’une plaisanterie de poète124. »

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Á gauche : vue générale de la pièce réservée à Sarkis dans La Triennale de Paris : Intense Proximité, prise en juin 2012. Au premier plan, nous apercevons l’œuvre La chorégraphie des Trésors de guerre, 2011.

Détail de la documentation réalisée lors de notre visite en juin 2012. Au premier plan, se trouve l’œuvre La grande vitrine, 1982-2011.


Détail de La frise des Trésors de guerre, 1976-2012. Photo réalisée par nos soins en juin 2012.


Détail plus précis de Détail de La frise des Trésors de guerre, 19762012. Photo réalisée par nos soins en juin 2012. Sarkis y intègre sa propre œuvre Tête blessée avec os Timor, aussi présente dans la grande salle.



L’étude de cas comme reprise : Intense proximité avec les Trésors de guerre de Sarkis. « Au commencement...le souvenir, presque rien, le souvenir de quelques instants cumulés125. »

Sarkis est homme fait de plusieurs reprises. Enseignant à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, l’artiste aura vécu durant cette période une somme considérables d’allers retours entre son atelier parisien et cette ville « toujours française mais étrangère126. » Fasciné par Le retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, il avait l’habitude d’y conduire ses nouveaux élèves, d’observer les impressions premières de ces nouveaux regards et ainsi de tenter de « réactiver le souvenir de sa perception si forte, si troublante devant la peinture de Grünewald, le souvenir ancien de la vue de cette image qui laisse à tous une empreinte indélébile de sensation127. [...] L’empreinte fonctionne alors comme un fondement des images, de toutes les images, celles déjà perçues et celles que nous voyons devant l’œuvre de Grünewald128. » Le point d’ancrage fantasmatique existe dans sa tentative d’analogie entre peinture et poésie, réciprocité dans l’appréhension sensuelle du monde129.

« Il nous convie à le suivre dans son expérience de sensations. [...] n’est ce pas non plus le jeu (le plaisir?) de l’artiste d’offrir au spectateur un labyrinthe dans lequel ce dernier va se perdre pour son bonheur, découvrir la pluralité des sens, les joies de certaines sensations étouffées130 ? » 99


La déambulation labyrinthique stimulant la mémoire, cette matière cérébrale est le vecteur principal de la pratique de Sarkis, travaillant les fragments du passé de la même façon que ceux du présent. « Les images se chargent de temps131. » Les strates matérielles, temporelles et mémorielles, forment les ponts entre les différents médiums, les différentes appréhensions. « Se créé une véritable alchimie où dans le creuset de l’artiste, les multiples ingrédients s’enrichissent mutuellement pour donner naissance à l’œuvre, œuvre continuée de Grünewald, l’œuvre de Sarkis132. » « Sarkis ainsi est un révélateur, un passeur, un guérisseur. En pansant les plaies du Christ avec du miel, tout se passe comme s’il nous donnait à voir non pas une nouvelle image, mais une image de peinture, déchargée et guérie de ses symboliques qui l’étouffaient jusqu’alors133. » « Tout ce qui s’est passé dans l’histoire, nous appartient. Tout ce qui s’est fait à travers l’humanité, dans la douleur comme dans l’amour, est en nous, et c’est cela notre plus grand trésor. […] Et si on concrétise cela dans l’art, si on le rend visible, vivable, on peut voyager avec ces formes, on peut ouvrir des frontières au lieu de les fermer134. » Au Palais de Tokyo, La Frise des Trésors de guerre, créée pour l’occasion se compose de plusieurs images agrandies, d’objets culturels diverses en lien avec l’idée de trésors de guerre, Kriegsschatz ; concept que Sarkis explore depuis des années. Il nous met en garde contre la sacralisation des objets d’art par les musées. Les trésors de guerre, œuvres arrachées à leur contexte lors d’expéditions ou d’invasions et restituées aux musées, ont permis le transport des cultures. Cette délocalisation identitaire s’est accompagnée de changements dans les rapports sujets/ 100

objets ainsi que dans les projections mélancoliques dont on charge les objets dans une lutte


avec le réel. « Les expositions de Sarkis sont comme des partitions musicales. Ses installations théâtralisent et mettent en correspondance les items, comme pour indiquer la distance qui les sépare et la relativité de les rassembler au musée135. » Les différents montages, détournant les codes muséographiques et autres mises en scène habituelles de l’objet emmènent le spectateur dans un univers labyrinthique où chaque élément, chaque matériau est une porte sur un monde du passé, du présent ou du futur. L’ensemble cohabitant dans un échange perpétuel, comme une réflexion ouverte sur la transmission et l’interprétation comme processus de positionnement et de récit. Cette profanation de ces objets d’art s’exerce en tant que réutilisation incongrue du sacré. Cette reprise permet la survivance de ces images mentales, la continuation de leur voyage dans leur partage, ouvert. « La tradition se mue en régions imaginaires de la mémoire ; les postulats implicites du vécu apparaissent avec une lucidité étrange qui rejoint souvent, par bien des traits la perspicacité étrangère de l’ethnologue136. »

113

Claude Lévi-Strauss, dans Les grands entretiens de Bernard Pivot.

114

Ibid.

115

Ibid.

116

Karl Marx, Préface, Critique de l’économie.

117

Søren Kierkegaard est né le 5 mai 1813 à Copenhague, septième enfant de la famille. Il meurt le 11 novembre 1855, hospitalisé après s’être écroulé dans la rue quelques mois auparavant, cause de maux énigmatiques. La cause suspectée serait une crise d'épilepsie, maladie certainement héritée de sa mère, mais rien ne peux encore le prouver 118 Op. cit Nelly Viallaneix, Introduction, pp. 11-12.

119

Ibid. p. 13.

Note relative à cet extrait pour préciser le secret du père (Op.cit Nelly Viallaneix, Introduction, notes, p .43.) : « Il aurait eu un fils d’une jeune tante à vingt ans ; il a dû épouser sa servante enceinte, peu de temps après la mort de sa première femme. Du coup, sans doute vers 1835, s’éveilla chez le fils une profonde angoisse concernant toute vie sexuelle et la certitude qu’il n’atteindrait pas sa trente-quatrième année, comme ses autres frères et sœurs. » 120

Ibid. p. 13.

121

Ibid. p. 14.

101


122 Op. cit Søren Kierkegaard, La Reprise, un essai de psychologie : expériences par Constantin Constantius, pp. 65-66. 123 Op. cit Søren Kierkegaard, La Reprise, un essai de psychologie : expériences par Constantin Constantius, notes, p. 180. 124

Op. cit Nelly Viallaneix, Introduction, p. 18.

125

Ibid. p. 122.

126

Ibid. p. 122.

127

Ibid. p. 122.

128

Ibid. p. 123.

129

Ibid. p. 123.

130

Ibid. p. 124.

131

Ibid. p. 130.

132

Ibid. p. 131.

133

Ibid. p.129.

Sarkis et Uwe Fleckner, Trésor de la Mnémosyne, recueil de textes sur la théorie de la mémoire de Platon à Derrida, p. 18. 134

135

< http://www.latriennale.org/fr/artistes/sarkis >

Georges Didi-Huberman, Le lait de la mort, Sarkis, au commencement, le toucher, p. 111. 136

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Phase géologique : Assignation - Imprégnation Génération Exposition : n.f provenant du latin expositio : exposer, mettre en vue. Exponere : au sens de poser ; il remplaça l’ancien verbe espendre au XIIe siècle. En 1369, le dérivé exposant prend le sens de demandeur. Dispositif de connaissance, d’explication, cette manifestation publique a pour principe l’organisation d’arguments, le plus souvent visuels, à la destination d’un public ciblé. Par extension, ce terme définit la partie initiale d’un commentaire, d’une œuvre littéraire, qui contextualise le récit et les personnages principaux. C’est aussi l’orientation d’un objet à la lumière que l’on calcule en terme de durée et de quantité. Cette relation de pouvoir qu’est la projection d’une chose impalpable sur une matière concrète, est une prise de risque, une mise en péril de la matérialité de l’objet au profit de sa subjectivation. En effet, dans notre déambulation labyrinthique, nous rencontrons ce concept après l’interposition que peut-être l’identification. En art, ce serait l’ensemble de ces sens qui rendent le format de monstration problématique. Dispositif discursif de mise en lumière d’une œuvre, d’un artiste, il est critiqué pour la partialité de son découpage et de l’importance du caractère de contextualisation des pratiques artistiques, rendues visibles. S’il y a lumière, il y a ombre. S’il y a lumière, il a exposition. Le procédé de rendre visible, de partager l’existence, prendre le risque de montrer ; c’est aussi en contrepartie, une exposition à la subjectivation, à l’interprétation et à la corruption. Ce format normé par la mise en espace d’une argumentation est normé par des codes discursifs. Il s’agit alors de considérer si l’ensemble des œuvres influence le format discursif ou si c’est l’inverse et de déterminer en quoi cela peut-être bénéfique en terme de médiation et de représentation.

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Isolement : n.f dérivé d’un terme italien d’architecture datant de 1575, isolato : séparé comme une île. Procédé de séparation des choses de même nature, éloignement de ce qui forme un contexte, cette absence de proximité reflète le choix d’éviter le risque de l’engagement. Le contact ne peut plus se faire, l’élément (sujet ou objet) est mis à l’écart du reste de la société dans laquelle il était inscrit. En art, comme dans d’autres domaines qui ont trait à la relation, au lien et au partage, ce terme prend une dimension négative qui, parfois, est le risque à prendre lors d’une sélection pour une exposition, ou encore un contrat de vente ; par exemple pour des collections privées. Cela peut arriver que l’isolation soit le résultat d’un rapport discursif inégale à la pratique artistique qui vient alors catégoriser ses objets dans des cadres du mauvais format.

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Phase géologique : Assignation - Corruption Synthèse : n.f datant de 1576, du grec sunthesis : réunion, composition ; assemblage de sun : avec et de theinai : poser. Action de composer, de combiner plusieurs éléments à l’origine séparés. Que ce soit physique ou mentale, la synthèse est un mixage de plusieurs données de provenances diverses. En tant qu’opération réelle, c’est la recomposition à partir des corps simples séparés par l’analyse. C’est ce qui forme la contre-épreuve par la démonstration, déroulée des principes aux conséquences. Activité de l’esprit sur des objets de pensée, cette opération intellectuelle qui a pour but de rassembler les éléments de connaissance, cherche à produire un ensemble cohérent. Synonyme de fusion, formation, cohésion, cette production artificielle du langage parlé concerne le processus empirique d’appropriation mentale d’une totalité. Ajoutant de la compréhension au sujet, ces jugements rendent possible la construction de la connaissance et son progrès tout en lui conférant la même rigueur objective que celle des jugements analytiques.

« J’entends par synthèse au sens le plus général, l’acte de joindre l’une et l’autre de diverses représentations et de concevoir leur multiplicité sous la forme d’une connaissance unique137. »

105


Interprétation : n.f

du

latin

interpres

:

négociateur,

intermédiaire ;

interpretatio

:

explication.

Action d’interpréter. L’interprète est celui qui fait connaître les sentiments, les volontés, d’une personne ou d’un groupe, qui traduit d’une langue à une autre un message, qui élucide les sens des présages, des signes mystérieux. Il est l’intermédiaire, comme par exemple entre un artiste et son public. En psychanalyse, l’interprétation dans le langage usuel est le sens latent d’un phénomène résistant au transfert. En art, ces deux termes rentreraient en corrélation lorsqu’il est question de mise en scène, de display138, de documents didactiques ; ce qui relève de problématiques de curations139. La synthèse influence l’interprétation par la compréhension à laquelle on accède. L’objet d’étude composé d’un contexte, d’une temporalité et d’un processus de fabrication est alors synthétisé pour devenir plus accessible, plus appréhendable. Le choix du vocabulaire étant normatif et catalysant, a souvent pour effet la synthèse, voire la normalisation et la banalisation d’un propos. Le travail d’écriture et de documentation de la médiation d’un projet devrait alors répondre à la double contrainte140 de synthèse pour faciliter l’appréhension, et du même temps, d’un choix précis de vocabulaire qui permet de représenter les lignes directrices adaptées à la pratique. Il s’agit lorsque l’on édite un document de médiation de cibler le plus de publics possible, avec la même écriture qui se doit alors de se baser sur des concepts connus parfois simplifiés. Même si certains documents tentent d’expliquer les propos artistiques en plusieurs strates, force est de constater que si l’artiste ne se charge pas de cette phase, cela peut amener 106

à méprendre sa pratique. L’interprétation est un phénomène qui ne dépend pas uniquement de ce que le spectateur liras, mais aussi de sa sensibilité individuelle liée au display.


Phase géologique : Assignation - CorruptionFétichisation Valeur : n.f dérivé du latin valor, valere : être fort, bien portant, valoir. Estimer, mériter, distinguer de la valeur.

« Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre d’années141. »

Dans toute l’ampleur de l’utilisation de ce terme, la valeur implique une préférence, considérant que la valeur consiste moins dans ce qui est désiré que dans ce qui est désirable. La valeur d’usage d’un objet désirable s’établie en fonction du besoin du détenteur. La valeur d’échange est celle qui s’obtient vis à vis de son équivalent proposé. L’attribution de la valeur dépend donc d’un choix qui part du sensible qui évalue les qualités d’une chose dans une grille typologique de puissance. De nos jours, la valeur désigne de manière générale tout ce qu’une société considère comme bon et utile pour réussir à atteindre son idéal. On parle aussi de crise des valeurs lorsqu’un malaise occupe la société et que l’idéal a tendance à se transformer. Pour les économistes classiques du XIXe siècle, la valeur correspond aux coûts objectivement nécessaires pour la production d’une marchandise et particulièrement en termes de temps de travail socialement nécessaire selon les conditions moyennes de production.

107


Contrôle : n.m datant de 1422, dérivé de contre rôle comme un registre tenu en double, une vérification, une maîtrise suivant un système de notation, de règles. Le contrôle est une opération visant à confirmer le bon fonctionnement d’une chose. En tant que régulation, c’est une prise de pouvoir, de domination qui cherche à limiter, à diriger cette chose. En art, la valeur d’une œuvre équivaut à sa côte sur le marché spécifique à ce domaine, relié aux maisons de ventes et aux galeries. Comme fonctionne la bourse, ce marché repose tout particulièrement sur la spéculation, le goût et l’image qu’il dégage en tant que identité médiatisée. Le jugement de goût que l’on porte à une œuvre dépend de la façon dont on détermine le beau, le sublime. En quelque sorte, la valeur appelle le contrôle dans le sens où elle peut rapidement être démesurée. Le contrôle prend forme à la fois sous forme de réglementations mais aussi d’une médiation qui permet d’orienter le regard vers ce qui pourrait avoir de la valeur.

Phase géologique : Assignation - Imprégnation Interposition Proximité : n.f :

parenté, dérivé de proche, apparaît en 1479, du latin proximus, très près.

Situation d’une chose qui est à peu de distance d’une autre, de façon à ce que ces deux 108

éléments puissent être en contact, en contiguïté. Ce terme évoque des similitudes, des affinités, qu'elles soient sentimentales ou intellectuelles ; une certaine intimité.


Réception : n.f : accueil de voyageurs, ce terme apparaît en 1486 du latin recipere, famille de capere : prendre, saisir. Recevoir est ainsi être en possession de quelque chose. Ce terme, dérivé de recevoir, apparaît à la fin du Xe siècle, signifiant : laisser entrer. Palpable ou non, cette situation renvoi à l’acceptation, à l’approbation. De fil en aiguille, un récepteur est une personne ou un appareil qui reçoit de l’énergie brut pour la transformer en énergie utilisable. C’est aussi une cellule ou une terminaison nerveuse qui a pour fonction de recevoir différents stimuli en les transformant en différentes stimulations pour les différents organes. En

art,

ces

deux

notions

s’activent

et

se

répondent

en

tant

qu’interposition,

à la fois dans la pratique artistique et dans ses dispositifs de monstration. Toutes deux aboutissant à des mises en contact. C’est la proximité qui détermine la réception en tant que degrés de potentialité d’inversement des rapports de pouvoir. Le sujet et l’objet deviendraient alors perméables l’un à l’autre à l’aide d’un dispositif précis.

Phase géologique : Assignation- Génération Projection : n.f, du latin projectio : action d’avancer, de jeter en avant, projeter, jeter au dehors. Il prend acte lorsque le sujet perçoit inconsciemment les objets extérieurs à travers ses propres intérêts ; le test de Rorschach en est la démonstration. En psychologie, il est déterminé comme un mécanisme inconscient de défense du Moi en tant que décharge de ses sentiments et traits de personnalités

109


en les attribuant à autrui se libérant d’affects générateurs de tensions. En terme d’optique, les rayons d’une source de lumière intense sont réfléchis et projetés en un faisceau orientable et autonome. Accepté dans le langage courant comme un phénomène de la subjectivité consciente qui forme une idée et les moyens pour y parvenir, préparant l’avenir.

Résistance : n.f, ce terme apparaît à la fin du XIIIe siècle, provenant du latin du Ve siècle, resistentia, de resistere : ne pas avancer d’avantage. Phénomène physique d’opposition de forces, pour tenter de ne pas subir certains effets. C’est le rapport entre la différence de potentiel aux bornes d’un conducteur et de l’intensité qui le traverse. En tant que force, c’est l’aptitude de supporter les difficultés par un effort intense. Au sens figuré, la résistance est le refus individuel ou collectif d’obéir, une insurrection, une rébellion comme défense à une forme d’autorité considérée comme non-légitime. Elle a le potentiel d’être non-violente jusqu’à repousser le désir de l’autre et, parfois même, d'entraîner une révolution.

En art, ces deux notions se recoupent souvent, au propre comme au figuré que ce soit la résistance de la matérialité de l’art et a t-on dit à une époque de sa commercialisation mais aussi comme une situation relationnelle entre ce qui est produit, montré et perçu. De cette façon, la projection devient une métaphore au positionnement intellectuel individuel et opère ainsi dans sa proximité, une résistance. De l’assignation se produit une génération de force, d’énergie. 110


Phase géologique : Corruption Ironie : n.f, du latin ironia, du grec eirôneia : action d’interroger en feignant l’ignorance à la manière de Socrate. En effet, l’ironie est pratiquée par Socrate dans les dialogues de Platon comme une démarche interrogative, affectant l’ignorance. Dès le début du XIIIe siècle, l’ironie est classée parmi les figures de rhétorique, comme une façon de se moquer en disant le contraire de ce que l’on veut faire entendre et ainsi tente d’ébranler les croyances irréfléchies autant que les conventions sociales. L’ironie est une forme suspecte pour le moraliste qui y verra une façon de travestir la vérité, de cacher le réel. « Dans l’ironie, l’homme anéantit dans l’unité d’un même acte ce qu’il pose, il donne à croire pour ne pas être cru, il affirme pour nier et de ne pas affirmer142. » Dans le romantisme, l’ironie devient le moyen de manifester la liberté de la subjectivité, son détachement de toute chose.

Implication : n.f, le terme arrive au XVe siècle comme le fait d’être embraillé ; provenant du latin implicatio : entrelacement, enchaînement ; de implicare : plier dans, envelopper. L’implication est une relation logique, de l’ordre de la rhétorique, comme une idée contenue dans une autre, indépendamment de la vérité matérielle de la première idée. C’est à dire, un exposé qui n’est ni énoncé, ni développé, souvent considéré comme évident, allant de soi : implicite.

111


Au sens figuré, c’est engager dans un processus une affaire malhonnête, mettre en cause dans une accusation, compromettre.

En art, ces deux termes en opposition prennent alors sens dans les relations de pouvoir objet / sujet dans lequel l’un impliqué dans l’autre peux être amené à résister et se détacher de la forme, se l’appropriant pour établir un autre système de pensée. Artistes, curateurs et spectateurs opèrent tours à tours ce type d’opération que fonde la corruption d’une forme ou d’une matière.

Phase géologique : Corruption- Imprégnation Lacune : n.f, provenant en 1515 du latin lacuna : espace vide. Espace entre deux éléments distincts, dont la taille est supérieure à ces derniers. Au figuré, cela peut-être l’absence, un oubli dans une série, une interruption fâcheuse et involontaire dans un texte.

Dématérialisation : n.f, dérivé de dématérialiser, le premier apparaît en 1869 alors qu'il avait déjà été définit en 1773 comme : l’action de séparer une essence des matières grossières. Liée à la question de la résistance face à la matérialité, c’est la transformation des particules matérielles d’un corps en énergie ; la suppression d’un support matériel tangible. Cela a pour effet l’impression 112

d’une

chose

irréelle

car

l’objet

devient

alors

privé

de

son

existence

matérielle.


Opposé au matérialisme, ce terme construit dans le double négatif de cette définition. Le matérialisme est une prise en considération unique des plaisirs physiques, de façon à réduire à la matière un ensemble et d’annihiler la spiritualité.

Au sein de la pratique artistique, en tant que phase géologique de corruption et d’imprégnation, ces deux termes se complètent sans forcément dépendre l’un de l’autre. En effet, alors que la dématérialisation est un acte de corruption et de résistance face à un matérialisme, la lacune est un manque qui est très peu souvent compris laissant place à la critique négative alors qu'elle peut être création. L’un peut être confondu par l’autre, ce qui provoque l’imprégnation et la corruption possible par la capacité qu’ont les objets d’être saisissables ou non, matériellement et/ ou intellectuellement.

Phase géologique : Assignation- Imprégnation Altération : n.f, ce terme apparaît vers 1260 du bas latin alteratio, du grec alloiôsis : changement. Changement dans l’ordre de la qualité, cette opération est le plus souvent considérée comme négative, comme une dénaturation, une falsification qui abaisse la valeur d’une chose.

113


Mélancolie : « La nécessité de mourir faisait la constance des philosophes143. » n.f, ce terme apparaît vers 1175 du bas latin melancholia, du grec melagkholia : bile noire, humeur noire ; composition du grec melas : noir et kholê : bile. Dans le langage courant, elle est souvent définie comme une tristesse vague, souvent accompagnée de rêverie et de nostalgie pouvant aller jusqu’au désespoir. Cet effet est en réalité provoqué par la perte d’intérêt de l’environnement proche, de la perte de la capacité de l’apprécier tout en s’y intégrant. La mélancolie était supposée favoriser l’activité intellectuelle, la contemplation philosophique, l’âme négligeant le corps. De la Renaissance au Romantisme, la mélancolie deviendra un thème constant qui s’exprimera au travers d’un symbolisme très présent. En art, nous pourrions être amenés à penser que comme la reprise, la mélancolie d’un environnement proche est ce qui nous mène à chercher un ailleurs et donc à considérer différentes pratiques, différents positionnements comme une contraction entre ce que l’on est et ce qui nous entoure et ainsi se laisser altérer, se rendre perméable. Cet état devient aussi un motif, le Spleen. L’altération s’opère alors dans le changement de regard dans un mouvement de rapprochement qui entraîne l’éloignement progressif à la façon du labyrinthe crétois. C’est une façon paradoxale d’être dans la sensation du dedans au point d’éprouver la nécessité d’extérioriser.

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Phase géologique : Assignation- Imprégnation Perméabilité : n.f, ce mot apparaît à partir de 1743 comme la qualité de ce qui coule facilement ; dérivé du mot perméable qui lui apparaît en 1556 du bas latin permeare : passer au travers. Le caractère de perméabilité détermine ce qui est poreux, comme une membrane cellulaire qui laisse la possibilité d’une infiltration, qui se laisse atteindre, toucher comme une chose sensible, influençable. C’est la propriété d’un corps qui se laisse traverser par un flux.

Anticipation : n.f, dérivé du latin anticipatio : anticiper, avance, il prendra le sens d’usurpation à partir du XVIe siècle. Faculté de prévoir l’attaque de l’adversaire et d’en préparer la parade. Mouvement de la pensée qui imagine, éprouve ou vit d’avance un évènement, cela deviendra dans la littérature, la part du fantastique qui emprunte des réalités supposées de l’avenir.

Au sein de la pratique artistique, ces deux termes opposables viennent convoquer une attitude du regardeur participateur et de sa potentielle réceptivité relative à la perméabilité qui ne peut être anticipée que par la curation qui peut mettre en place des dispositifs pour tenter d’évacuer des terrains déjà explorés qui conditionnent un regard, une appréhension.

115


Phase géologique : Corruption- Imprégnation Connaissance : n.f, ce terme apparaît à la fin du XIe siècle, comme un dérivé du latin cognoscere : chercher à savoir. Acte et faculté de connaître (prendre conscience, comprendre, représenter), ce savoir-faire plus ou moins inconscient, implicite se fonde sur des énoncés, des objets, des personnes. Il peut se construire à partir de pratiques empiriques ou théoriques selon le contexte et l’identité du sujet. En terme de faculté, acquis dans un processus d’érudition, la connaissance apporterait de la valeur au sujet qui arrivera à maitriser les limites intellectuelles des objets de son étude.

Déprise : n.f, ce terme apparaît tardivement en 1967 comme l’action de se déprendre. Vers 1160, le verbe déprendre apparaît comme l’action de se dégager de ce qui retient, de ce qui immobilise. Dépriser apparaît en 1361, dérivé de desprisier (vers 1175) de dé et priser. Action d’apprécier en dessous de sa valeur une œuvre ou un auteur par exemple. La façon de sous-estimer permet de se distancier. En art, la pratique est constamment théorisée, créant des modèles liés à des formats types qui constituent de la connaissance à appréhender. A force de toutes les étapes de transformations que subit l’œuvre, l’artiste comme le théoricien, comme le regardeur doivent accepter, pour atteindre cette connaissance, la déprise du caractère unique, fini et stable de l’objet de 116

la pratique créative ; pour laisser place à la synthèse, à l’assignation, aux interprétations comme aux reprises (point de rencontre entre la pratique et la connaissance, entre la prise et la déprise).




Retour sur l’expérience


Sortis de ce labyrinthe éprouvant, il nous faut retrouver notre souffle et reprendre la marche, constitués d’une nouvelle énergie que nous puisons dans ces expériences récentes.

La marche, expression de notre réflexion interne aura évolué sur le tracé organique du labyrinthe unicursal, qui s’enroule et se déroule ; nous rappelant fortement la forme d’un cerveau, d’un cœur, d’un intestin ou encore d’un utérus. Et c’est bien le type de cheminement que nous avons adopté pour arriver ici.

Considérant la perméabilité des concepts et des situations, notre parcours aura traversé plusieurs reprises. Allant de l’usine Wonder, passant par la forme mythologique du labyrinthe crétois et ses évolutions dans la signification qu’on lui a porté ; le mythe de Thésée et du Minotaure, le Palais de Tokyo en étude comparée avec l’architecture et le fonctionnement de la Tate Modern, les gravures de Piranèse, vers la Triennale de Paris 2012. Ce qui nous amène à nous projeter dans le dessin d’une cartographie de concepts qui semble encercler des préoccupations relatives aux pratiques artistiques contemporaines de la production en passant par la monstration, l’appréhension et la réception.

L’intérêt que nous avons porté à Okwui Enwezor, Claude Lévi-Strauss, Søren Kierkegaard et Sarkis cherche à démontrer que ces pratiques productives de sens et de reprises, sont perméables les unes aux autres, au risque d’être dénaturées et de perdre leurs significations initiales. 120


La reprise, n’est donc pas spécifique à la création mais elle semble nécessaire dans le processus où la matière, puis l’œuvre deviennent perméables au regard et à l’interprétation. Énergie de souffle qui contracte le monde intérieur et le monde extérieur, le passé et le présent, le soi et les autres, ce mouvement du corps semble répéter sans fin la nature ontologique de la création, dans une proximité qui n’est pas réservée à la pratique artistique.

Autorisons nous à dériver une dernière fois. Repensons à la relation entre la pratique et la théorie, entre ce qui ne touche pas et ce qui transformera, qui corrompra. En passant par les phases de fétichisation, d’interposition, d’assignation, de corruption, d’imprégnation et de génération, ce processus ne s’opère plus dans un rapport qui isole la production des savoirs, de la production des formes.

Dès son origine antique, le labyrinthe est une métaphore rituelle de l’évolution d’un sujet au sein des circumambulations physiques et spirituelles de la vie. Ainsi le mythe du Minotaure serait né de l’architecture du palais de Cnossos, en forme de labrys (double hache), formée d’un dédale de chambres et de corridors, qui rendait les attaques ennemies difficiles. Aussi, non loin de ce palais, ce trouvait un théâtre qui servait autrefois à la danse du labyrinthe, danse érotique du printemps qui reprenait le mouvement de la danse d’amour des perdrix144 . Nous comprenons donc que ce symbole aura acquit son ambivalence dès sa formation mythologique ; entre la défense et la séduction, entre l’humain et l’animal, entre le fait et la métaphore, entre le tracé et sa réalisation en mouvements. La danse est l’art de cette reprise sémantique d’origine qui inspirera d’autres appropriations de ce symbole.

121


Le hasard des circumambulations de la vie m’aura permis de rencontrer Akira Kasai, danseur Buto japonais, et d’apprendre quelques préceptes de mouvements fondateurs, alliant philosophie et corps145, définissant ce qu’il appelle danse comme un mouvement de conscience ; ce qui nécessite l’acceptation que le corps est le lieu de métamorphoses de la matière, qui impulse par une énergie respiratoire, un mouvement naît de l’acceptation d’une contraction mélancolique de la lumière et de l’ombre, de soi et de l’autre, de l’intérieur et de l’extérieur, de la naissance et de la mort. Le danseur est alternativement sujet et objet du regard lorsque la conscience s’intériorise puis s’extériorise dans une intense perméabilité à son environnement. Le corps conscient est ainsi définit comme corps que la conscience a reconnu. Mouvement fondé sur la naissance d’images mentales, nous pouvons nous plaire à faire le rapprochement avec le labyrinthe crétois, originairement espace de danse et d’énonciation.

Ce tracé conceptuel fait empreinte dans notre esprit. Si nous considérons son voyage géographique et culturel, nous trouvons un symbole très semblable chez les indiens Hopi, nommé Tápu’at : mère-enfant ; la forme est quelque peu plus complexe que le labyrinthe minoéen et un personnage y est joint. Le concept est pourtant très similaire dans ses références aux opérations ontologiques de l’acte de création animal comme humain, physique comme intellectuel.

Il est intéressant de considérer qu’Aby Warburg (1866-1929, Hamburg), historien de l’art et fondateur des bases de l’iconologie, s’est longtemps penché sur certains mythes fondateurs 122

et leurs résurgences, notamment chez les indiens Hopi. Même si nous n’en avons pas la preuve,


il est pour nous quasiment impossible que cet érudit n’ai pas eu connaissance du labyrinthe unicursal crétois. En effet, ce sont ses propres dessins schématiques d’une temporalité courbe, résurgente mais non répétitive, sur lesquelles il s’est appuyé pour développer l’iconologie, qui nous poussent à le croire. En effet, lorsque nous regardons ses planches iconographiques, montages de l’histoire, résurgence de certains signes, que nous sentons le labyrinthe minoéen, très proche. Cette vision abstraite de l’évolution du sujet dans un espace-temps tant à reconsidérer l’environnement et ses réalisations comme choses perméables, résultats de reprises et de résurgences appelant à un nouveau cycle de reprise d’énergie, nourri par les vestiges d’anciennes constructions.

Assiette en argent reprenant le symbol Tápu’at, réalisée à notre époque par Aarin Richard.

123


137

Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, 1781.

138

Mot usuel d'origine anglophone, utilisé dans le jargon du monde de l'art contemporain pour parler du dispositif de monstration explicitement relié aux espaces d'expositions (lumières, socles, associations, relation sons / volumes, documentations...) 139 Certains distinguent la curation du commissariat d'exposition. Le mot curateur étant un dérivé de l'anglais cure, care : soigner, prendre soin alors que le commissariat fais appel à un univers plus réglé, normé administratif. Même si en pratique la distinction est beaucoup plus perméable ; en théorie, ces deux attitudes sont distinguées. U n cu ra te u r s e ra i t p l us pa r ti c u l i èrem ent pr éoc c u pé pa r la rep r é s e n ta ti o n d e l ' ar ti ste et de son trava i l , respec ta nt les engagements de ces derniers. 140

Double contrainte, ou plus connue sous le terme anglophone de double bind, appuyée par l'anthropologue, psychologue et épistémologue américain Gregory Bateson sur la présentation des causes d'une schizophrénie liée à la question des injonctions paradoxales. 141 142

Pierre Corneille, Le Cid, 1637.

Jean-Paul Sartre, L'être et le néant, Paris, 1943.

143

La Rochefoucauld

144

Op. cit Robert Graves, Les mythes grecs, pp. 531-532.

145

J’ai eu l’occasion de rencontrer Akira Kasai lors d’un atelier de danse et de création, conjointement mené par le danseur japonais et Claudia Triozzi, danseuse, plasticienne et enseignante dans un partenariat entre le Centre National de Danse et de Chorégraphie de Angers et l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges, du 27-01-13 au 02-02-13.

124



Sources

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127


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129


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Sources iconographiques P. 3, logo reprenant le tracé des murs du labyrinthe unicursal : réalisé sur Illustrator par Christèle Selliez-Vandernotte.

P. 20, photogramme réalisé à partir de la séquence filmée La reprise du travail aux usines Wonder par Jacques Villemont, étudiant en 1968 à l’IDHEC à Paris : sélection réalisée par Christèle SelliezVandernotte.

P. 22, pièce de monnaie en bronze du IIe au IVe siècle avant J.C, célébrant les royautés archaïques minoennes : catalogue de l’exposition éponyme Erre, Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2011, p. 78 ; et < vivrevouivre.over-blog.com/m/article-53185908.html >.

P. 34, Thésée combattant le Minotaure en présence d’Athéna, Médaillon de Kylix, coupe étrusque, reconnue comme une coupe d’Aison, peintre sur vases attiques, actif entre 430 et 400 avant J.C. Elle est conservée actuellement au musée archéologique national de Madrid. Source : < http://helios.fltr.ucl.ac.be/gibaud/vases-grec-3e/vase-peint-4-analyse.html >.

P. 38, vue d’ensemble du Palais de Tokyo en symétrie avec le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris - juin 2012 : prise par Christèle Selliez-Vandernotte.

P. 39, intérieur du Palais de Tokyo - emplacement de l’ancienne cinémathèque française juin 2012 : prise par Christèle Selliez-Vandernotte. 131


P. 40, descente au sous sol du Palais de Tokyo. Enchevêtrement d’escaliers - juin 2012 : prise par Christèle Selliez-Vandernotte.

P. 41, une des 16 eaux fortes des Carceri d’invenzione (prisons imaginaires) de Piranèse 1745-1761 : catalogue de l’exposition éponyme Erre, Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2011, p. 191.

Pp. 52-55, document de visite de la Triennale de Paris 2012 au Palais deTokyo, scanné par Christèle Selliez-Vandernotte.

Pp. 70-71, carte topographique générale et sa légende, création Illustrator de Christèle SelliezVandernotte.

P. 80, extrait des photographies réalisées lors de voyages de recherches de Claude LéviStrauss ; associées par le Palais de Tokyo à quelques dessins facsimilés, produits par l’ethnographe en 1937 ; à l’occasion de La Triennale de Paris 2012. Photo prise par Christèle Selliez-Vandernotte en juin 2012. Légende inspirée par celles écrites par le Palais de Tokyo.

P. 94, vue générale de la pièce réservée à Sarkis dans La Triennale de Paris : Intense Proximité. Photo prise en juin 2012 par Christèle Selliez-Vandernotte.

P. 95, détail de la pièce réservée à Sarkis dans La Triennale de Paris : Intense Proximité. 132

Photo prise en juin 2012 par Christèle Selliez-Vandernotte.


P. 96, détail de La frise des Trésors de guerre, 1976-2012. Photo réalisée par Christèle SelliezVandernotte en juin 2012.

P. 97, détail plus précis de La frise des Trésors de guerre, 1976-2012. Photo réalisée par Christèle Selliez-Vandernotte en juin 2012.

P. 123, assiette en argent reprenant le symbol Tápu’at, réalisée à notre époque par Aarin Richard. < http://www.aarinrichardtribal.com/category02.php?prodid=128&catid=3 >.

Couverture, schémas préparatoires pour la cartographie, réalisés par Christèle SelliezVandernotte en 2012.

133



Antichambre de la rĂŠflexion

135


Jean Tinguely Pour la statique

Tout bouge, il n’y a pas d’immobilité. Ne vous laissez pas terroriser par des notions de temps périmées. Laissez tomber les minutes, les secondes, les heures. Cessez de résister aux métamorphoses. SOYEZ DANS LE TEMPS — SOYEZ STABLE — SOYEZ STATIQUE AVEC LE MOUVEMENT. Pour une stabilité dans le PRESENT. Résistez à la faiblesse apeurée d’arrêter le mouvement, de pétrifier les instants et de tuer le vivant. Arrêtez-vous de toujours réaffirmer des « valeurs » qui s’écroulent quand même. Soyez libre, vivez.

Arrêtez-vous de « peindre » le temps. Laissez tomber la construction des cathédrales et des pyramides qui s’écroulent quand même comme des tartes. Respirez profondément. Vivez à présent, vivez dans et sur le temps, pour une réalité belle et totale. (Düsseldorf, mars, 1959).

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Octavio Paz Extrait de Pasado en claro

Entendus avec l’âme, des pas de l’esprit plutôt qu’ombres, et ombres de la pensée plutôt que pas, le long d’un chemin d’échos que la mémoire invente, puis efface : sans marcher, ils marchent sur ce maintenant, pont tendu entre une lettre et l’autre. Comme bruine sur braises, au fond de moi les pas s’avancent vers des lieux qui soudain deviennent de l’air. Noms : ils s’arrêtent, et disparaissent, entre deux mots. Le soleil chemine sur les décombres de mes dires, le soleil rase les sites, à peine ont-ils confusément émergé de l’aube de cette page le soleil ouvre mon front, balcon surplombant un abîme intérieur.

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Schémas préparatoires pour la cartographie Doute Changement Participatif

Interruption Mélancolie Rupture Matérialisme Relationnel Fétichisme

Résistance

Idéalisme

Confiance

Distanciation

Héros

Identité

Interprétation

Primaire

Empirisme

Pratique

Fabrication Apprentissage Production

Contexte

Quête

Perméabilité

Dialogue

Idéologie?

Identification

Banalisation

Mythologie Nouveauté

Complexité

Médiation

Originalité

Auteur Déterminisme

Interposition

Désapprentissage Représentation Idée Don Unique

Collection Agents de la culture

Inconfort

Spectateur

Compréhension Marché

White Cube Visibilité

Monstration Critique

Invisibilité Public

Répétition

Culture Ecriture

Modernisme Post-modernisme Occidentalisme

Contenu Pragmatisme Discours

Indistinction

Globalisation

Oeuvre

Conquête Acquisition Structure

Institution

Exposition

Préjugé

Banalisation

Désintérêt Multiple

Histoire Durée

Appréhension

Icône

Discursif

Pouvoir


Energie Trou Vide Disparition Faille Fétichisme

Transcendance Répétition Matière Médium

Ajouter

Manipulation

Stratégie

Production

Génération

Archive

Enregistrement Origine Autre

Relier

Synthèse

Altérité

Choix

Glissement

Mixage Objet

Manifestation

Ecologie

Commande

Lenteur

Sélection

Manifeste

Etranger

Temporalité

Distinction Observation

Capture Trace

Captation

Initial

Mélancolie Contemplation

Description

Photographie

Documentation

Limite Frontière

Quête

Productivité

Mysticisme

Enlever

Pratique

Hygiène Economie Enquête

Média

Déterritorialisation Déporter

Dématérialisation Décontextualisation

Tentatives

Soulèvements

Collection Exposition

Oeuvre Ex-Voto

Visible Activer Echange

Stimuler Partage Cognitif Ensemble

Public

Monstration

Auteur

Collection

Transmission

Modéliser

Communication

Empirisme Expérience

Questionner

Itinéraire

Spectateur Regardeur Participateur

Affirmation Norme

Repères

Valeur

Signifiant

Contact

Migration

Validation

Ecoute

Conscience

Condition

Interpréter

Sujet

Raison Critique

Mémorisation

Amateurisme

Autorité

Discours Discursif

Lecture

Fragment

Assemblage

Pouvoir Volonté

Identification

Contextualisation Version

Idéal Utopie

Toucher

Opération

Sensation

Perception Héritage

Contrat

Empreinte

(In)Division

Actif Interposition

Rencontre

Risque

Séduction Traduction

Geste

Vécu/Projetté

Déprise Compréhension

Appréhension Risque Méditation Doute

Nécessité

Appropriation Frottement Abandon

Ignorance

Connaissance Tourner sur soi-même

Révolution Résistance

Cycle

Revendication Tension Interruption

Cassure

Déploiement Proposition

Réciprocité Immersion Fin?


1

2

100 m

- 265 m


1


1

2



Sources préparatoires Jean Tinguely, Pour la statique, Für Statik, manifeste qu’il lança d’un avion au dessus de Düsseldorf, le 14 mars 1959.

Octavio Paz, Pasado en claro, dans Vuelta, Mexico City, 1976

Michel Foucault, Représenter, dans Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Editions nrf Gallimard, Paris, 1977.

Michel Foucault, Classer, dans Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, France, Editions NRF Gallimard, Paris, 1977.

Gilles Deleuze, Qu’est ce que l’acte de création ?, dans < http://www.lepeuplequimanque.org/ acte-de-creation-gillesdeleuze >. html, conférence retranscrite, prononcée à la Femis, Paris, le 17 mars 1987.

Krzysztof Wodiczko, Vers la désimpuissance de l’avant-garde, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko, Illumination nocturne de la tour de l’hôtel de ville, 1987, dans Art public, art critique, Textes propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995. 144


Krzysztof Wodiczko, Ouest-Est, la dépolitisation de l’Art, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko, Le couloir, 1972, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko, Véhicule 2, 1977-1979, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko, Véhicule-Plateforme, 1977-1979, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko, Le campanile de la place Saint-Marc, 1986, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko & William Furlong, Projection de la colonne du Duc d’York, 1985, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995.

Krzysztof Wodiczko & William Furlong, Projection du Carlton Hill, 1988, dans Art public, art critique, Textes, propos et documents, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Paris, 1995. 145

Gillian Wearing & Donna De Salvo, Interview, dans Gillian Wearing, Phaidon, Londres, 1999.


Georges Perec, Penser / Classer, Editions du Seuil, Normandie, 2003.

Jacqueline Russ, L’Art, dans Nouvel abrégé de philosophie, Nouveaux programmes, Série L, Armand Colin, Paris, 2005.

Chris Horrocks & Zoran Jevtic, Introducing, Foucault, A graphic guide, Icon Books, Londres, 2009.

Florian Cramer & Reiner Natchtwey, Recherche et enseignement supérieur en design: deux cas d’école européens ayant traits aux sciences appliquées, dans n+1, recherche et expérimentation en design graphique, numérique et sonore dans les écoles d’art et de design, École Supérieure d’art et de design de Saint-Etienne, Saint-Etienne, 2010 .

Annick Lantenois & Gilles Rouffineau, Quelle recherche en école d’art?, dans n+1, recherche et expérimentation en design graphique, numérique et sonore dans les écoles d’art et de design, École Supérieure d’art et de design de Saint-Etienne, Saint-Etienne, 2010.

Aaron Levy & William Menking, Architecture on display : On the History of the Venice Biennal of Architecture, AA Publications, Londres, 2010.

Anne Picq, « coiffes, chapeaux, parures..., Un tour du monde en tête à tête », dans Beaux-Arts Magazine, n°312, TTM Editions, Paris, juin 2010.

146

Stéphanie Moisdon, Larry Clark, Né à Tulsa Oklahoma, dans Beaux-Arts Magazine, n° 312, TTM Editions, Paris, novembre 2010.


Elie During, Dominique Gonzalez-Foerster, Donatien Grau & Hans Ulrich Obrist, Qu’est ce que le curating?, Manuella Editions, Paris 2011.

Pauline Chevalier, De l’art processuel: dérivations sémantiques et esthétiques de l’œuvre, dans Nouvelle revue d’esthétique, n°8, La disparition de l’œuvre, Editions Presses Universitaires de France, Paris, 2011.

Interpositions, colloque organisé par l’EHESS, à Paris, du 1 au 3 février 2011, sur une invitation de Michel Weemans, historien de l’art et professeur à l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges.

Art et Recherche, colloque organisé par le Ministère de la Culture et de la Communication, dans l’école d’architecture Paris-Belleville, les 8 au 10 février 2012.

Entretien infini- Art et sciences (Quels dialogues ?), colloque organisé par l’ERG (École de Recherche Graphique), aux Halles Schaerbeek à Bruxelles, du 5 au 7 mars 2012.

L’artiste en ethnographe, colloque organisé par Le Peuple qui Manque, au Quai Branly à Paris, du 26 au 28 mai 2012.

Stage de trois mois dans l’espace d’exposition londonien, The Showroom.

Rencontre avec Véronique Frémiot, médiatrice en charge de La Box, espace d’exposition de l’ENSA de Bourges autour de la médiation, de l’espace d’interprétation et des attentes des spectateurs ; Bourges, novembre 2012.

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Table des matières Remerciements " Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende la recrée sous une forme qui lui permet de courir le monde ". Prélude Rechargez la batterie aux usines Wonder Ne la prenez pas pour argent comptant Ériger les fondations Les deux faces de la médaille En finir avec le Minotaure ? Vers une intense proximité Le Palais de Tokyo, un espace palimpseste La Triennale de Paris au Palais de Tokyo : une intense proximité ? Repères Topographie générale La traversée de la légende

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Vue d'ensemble Fétichisation Interposition Assignation Corruption Imprégnation Génération


Circumambulations Pratique / Prise Œuvre / Quête Modèle / Productivité Ensemble / Identification Reprise Etude de cas comme reprise : intense proximité dans les Trésors de guerre de Sarkis Exposition / Isolement Synthèse / Interprétation Valeur / Contrôle Proximité / Réception Projection / Résistance Ironie / Implication Lacune / Dématérialisation Altération / Mélancolie Perméabilité / Anticipation Connaissance / Déprise Retour sur l'expérience Sources Sources iconographiques Antichambre de la réflexion Jean Tinguely, Pour la statique Octavio Paz, Pasado en claro Recherches cartographiques Sources préparatoires 151



Christèle Selliez-Vandernotte



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