Réinterroger l'Ordre - partie 1

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1. RÉINTERROGER L’ORDRE CHLOÉ MEYRUEIS - MÉMOIRE DE DIPLÔME ÉCOLE SPÉCIALE D’ARCHITECTURE DE PARIS RÉINTERROGER L’ORDRE DANS QUELLE MESURE L’ARCHITECTURE PEUT PARTICIPER À LA DÉCONSTRUCTION DE SYSTÈMES NORMATIFS ? LIONEL LEMIRE, DIRECTEUR ANNE-LAURE JOURDHEUIL, PRÉSIDENTE INES SMOUNI, ARCHITECTE DESA . APOLLINE VRANKEN, EXPERTE 1

Je tiens à remercier Lionel Lemire, directeur de diplôme, pour son enthousiasme et son solide soutien, ainsi qu’Anne-Laure Jourdheuil, présidente de diplôme, pour son suivi constant et sa rigueur.

Je souhaite aussi remercier Apolline Vranken, qui a su m’apporter un regard juste sur le sujet, ainsi qu’Inès Smouni, pour ses précieux conseils et le temps qu’elle m’a consacrée.

Enfin, merci à ma famille, tout particulièrement ma mère, mes ami·es, et les camarades de promotion avec qui j’ai pu appréhender ce diplôme.

REMERCIEMENTS
RÉINTERROGER L’ORDRE

C omment ? 4 P ourquoi ? 24 D’ où Partons - nous ? 25

CONSTATONS 26

L es D ominan C es Dans L a vi LL e 28 D is Parités au sein D e D is P ositifs 48 q ue se Passe - t - i L C hez L es ar C hiteC tes ? 54 L’ or D re étab L i Par et P our L ’ homme 68 n ous avons Constaté , qu ’ avons - nous essayé ? 79

DÉJÀ ESSAYÉES 80

q ui s ’ en saisit ? 81 D es métho D es D ’ aC tion féministes 82 L e P ouvoir D es arts ... 92 ... e t C e Lui D es réseaux so C iaux 106 s oi et autrui faC e à D es D is P ositifs 112 P rogrammations féministes 120 P our Con CLure 128 AGISSONS 134

PRÉAMBULE 8
1

f i C tion 138 a ubervi LL iers , une Commune en évo Lution 140 q ue font L es a L bertivi LL arien · nes ? 154 L’ ar C hiteC ture sensorie LL e 166 D é P ressurisation 178 a C u P un C ture 184 L es monstres 224 C on CLusion 288 CONCLUSIONS 290 BIBLIOGRAPHIE 292 ANNEXE 302

RÉINTERROGER L’ORDRE

2

PRÉAMBULE

« Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hautsfourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout du monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

Franchement on s’est marrés. Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes. Mais nous y sommes.

RÉINTERROGER L’ORDRE

1.

À la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie. « On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui. On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.

Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Évidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux. D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.

Peine perdue. Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille –, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).

2. PRÉAMBULE
PRÉAMBULE

S’efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire. Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d’échappatoire, allons-y. Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible. À condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut-être.

À ce prix, nous réussirons la Troisième Révolution. À ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore. »

L’humanité en Péril – Pages 8 à 10. Texte écrit par Fred Vargas et lu par Charlotte Gainsbourg à l’inauguration de la COP24, décembre 2018.

Ce texte offre un état des lieux funeste sur une question donnée, celle du déclin de notre planète et de notre investissement collectif dans ce drame.

Pourtant c’est bien le fond qui est pointé du doigt, la systématisation d’une vision d’évoluer sur Terre qui a fini par nous nuire. Il est inutile d’accuser chacun·e des humain·es qui, pour reprendre les mots de Fred Vargas, ‘‘ont bien rigolé’’. C’est en ce sens que j’aimerais travailler, avec cette dynamique.

RÉINTERROGER L’ORDRE

3.

COMMENT ?

4. PRÉAMBULE
5. RÉINTERROGER L’ORDRE

POURQUOI L’ÉCRITURE INCLUSIVE ?

Une attention particulière est donnée à la façon d’écrire. Notre manière de nous exprimer, à l’écrit comme à l’oral, régit nos schémas de réflexions et de pensées. En effet, le langage est l’un des premiers biais utilisé pour exprimer une idée, un point de vue. Alors, il semble nécessaire dans le cadre de ce mémoire d’utiliser l’écriture inclusive. L’objectif est d’assurer une égalité de représentations des genres.

LA SITUATION DU MÉMOIRE.

J’ai décidé de concentrer mes recherches sur les dominances liées au genre. Aussi, précisons que les recherches effectuées se sont centrées sur la France, ou du moins le nord de l’Europe. J’ai conscience que ces problématiques apparaissent pour la plupart décuplées dans certaines régions du monde, et que ce travail ne pouvait pas traiter une universalité, ni par son format ni par son discours.

6. PRÉAMBULE
COMMENT ?

L’APPARITION DES INTERSTICES.

Des interstices, des pages de questionnements se sont glissées au cœur de ce mémoire. Celles-ci trouveront la place d’exister au sein du projet qui s’inscrit tout au long de ce travail, tant dans la programmation que dans l’architecture. De la même manière, vous retrouverez disséminé au fil de cet écrit la métaphore d’un cadre transgressé qui permet de donner le jour à de nouveaux liens, de nouvelles connexions plus riches.

L’IMPORTANCE DES MOTS.

RÉINTERROGER L’ORDRE

7.

« W ords are a form of action , capable of influencing change » 1

1. « Les mots sont une forme d’action, capable d’influencer le changement. » Ingris BENGIS, 2012

PRÉAMBULE

8.
9. RÉINTERROGER L’ORDRE

Domination

Action ou fait de dominer, d’exercer une puissance souveraine ou une influence prépondérante. La domination implique l’emploi de l’autorité. 1

1. https://www.cnrtl.fr/definition/domination

10. PRÉAMBULE

Dominances

Action de dominer, d’exercer son autorité ou son influence sur le plan politique, moral, etc,. 1

1. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/domination/26382

Androcentrisme

L’androcentrisme (du grec andro-, «homme, mâle») est un mode de pensée, conscient ou pas, consistant à envisager le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin. 1

1. http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Androcentrisme/fr-fr/

12. PRÉAMBULE
COMMENT ?

Patriarcat

Le patriarcat est un concept utilisé en anthropologie et en sociologie pour désigner « une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes, à l’exclusion explicite des femmes » 1

Il s’agit d’un « système où le masculin incarne à la fois le supérieur et l’universel » 2

1. Pierre Bonte et Michel Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Presses universitaires de France, 1991, p. 455.

2. I. Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Ed. Seuil, 2019.

RÉINTERROGER L’ORDRE

13.

É galité 1

Fait de ne pas présenter de différence quantitative. Inégalité : Manque de parité, de proportion, d’harmonie, d’égalité.

1. https://www.cnrtl.fr/definition/égalité

14. PRÉAMBULE
1 1 COMMENT ?
1

É quité 1

(Principe impliquant l’) appréciation juste, (le) respect absolu de ce qui est dû à chacun.

15. RÉINTERROGER L’ORDRE
1. https://www.cnrtl.fr/definition/équité 1 3 2

Parité 1

Rapport d’égalité, de similitude entre deux choses ou deux êtres (le plus souvent comptables).

1. https://www.cnrtl.fr/definition/parité

16. PRÉAMBULE
COMMENT ?
1 1
17. RÉINTERROGER L’ORDRE

Systémique

Se dit d’une approche scientifique des systèmes politiques,

18. PRÉAMBULE
COMMENT ?

Systématique

Ordre

Disposition, succession régulière, constatée ou instituée. Rapport de succession, classification obéissant à une règle ou à une convention. Principe de causalité, de finalité, lois déterminant l’organisation, l’évolution du monde considéré comme la manifestation d’une volonté organisatrice ou comme une propriété de la matière. 1

«P our le visiteur ou l ’ habitant sensible à ce genre de chose , cette harmonieuse P récision P roduit une im P ression de beauté liée aux qualités de régularité et d ’ uniformité , invitant à la conclusion que , au cœur d ’ une certaine sorte de grandeur architecturale , il y a une idée d ’ ordre .» 2

1. https://www.cnrtl.fr/definition/ordre.

2. L’architecture du bonheur , Alain de Botton, page 215, 2006.

20. PRÉAMBULE
COMMENT ?

Norme

État habituel, régulier, conforme à la majorité des cas. Modèle courant ou moyenne dégagée statistiquement et qui représente les caractéristiques humaines d’une espèce. 1 Règles, prescriptions, principes de conduite, de pensée, imposés par la société, la morale, qui constituent l’idéal sur lequel on doit régler son existence sous peine de sanctions plus ou moins diffuses. 2

1. https://www.cnrtl.fr/definition/norme.

2. https://www.cnrtl.fr/definition/norme, PSYCHOL. SOC.

21. RÉINTERROGER
L’ORDRE

Femme

À définir. Homme

À définir.

22. PRÉAMBULE
COMMENT ?
23. RÉINTERROGER L’ORDRE

POURQUOI ?

Ce projet est à la recherche d’une nouvelle façon de s’enrichir de connaissances, de questionner, d’évaluer, de se connaître face à un ordre établi, de laisser de côté nos idées préconçues pour pouvoir apprendre à réfléchir. Évoluant dans un cadre qui me laisse l’opportunité de réévaluer les normes qui nous sont imposées, c’est au travers du regard d’architecte que je m’attelle maintenant à comprendre et à réinterroger mes propres convictions. Ce travail a pour objectif de permettre une réinterrogation élargie des fondements oppressifs systémiques, de la norme établie, par le biais de l’architecture et des programmations qui s’y voient associées.

24. PRÉAMBULE

D’OÙ PARTONS-NOUS ?

Ce mémoire-recherche-projet s’est, dans un premier temps, intéressé aux ‘‘disparités de genre dans l’espace public’’. Alors, les mêmes questions se sont répétées : ‘‘qu’est ce qu’une architecture inégalitaire ?’’, ‘‘l’architecture engendre-t-elle des disparités ?’’ ou encore ‘‘comment l’architecture peut-elle agir contre des inégalités ?’’. Finalement, là n’était pas la question.

J’ai pris conscience que ce projet de fin d’études ne pourrait pas répondre aux problématiques de fonctionnement de la société. Aussi, la binarité utilisée les premiers mois de ma réflexion (les hommes font ceci, les femmes font cela) est un mode de pensée qui ne me correspond pas. Alors j’ai tenté de regarder au delà du cadre, d’interroger plus profondément ces dysfonctionnements.

Interroger les disparités de genre, et entre autre la place des femmes dans la société, revient plus largement à explorer les formes de dominances qui régissent le contrat social de nos agissements en société. Alors, nous pouvons aisément saisir que la majorité des minorités identifiables en France vont subir le même type d’oppression et d’invisibilisation que les femmes.

De toute évidence, le but n’est en aucun cas d’incriminer délibérément une ou plusieurs catégories d’individu ·es, mais bien de tenter de comprendre le fonctionnement général de ces dominations pour les bousculer. Depuis quand cet andocentrisme est-il ancré ? Pourquoi ne semble-t-il plus viable ? A quelle occasion les paroles ont commencé à se délier ? Quel impact ces révélations ont-elles eu ? Et aussi, quel rôle les dessinateur·ices des villes ont-iels face à la prise de conscience de l’impact de ces dominations ?

RÉINTERROGER L’ORDRE

25.

CONSTATONS

« f aire des études de genre c ’ est travailler sur le pouvoir en tant que le pouvoir s ’ incarne — se vit , se dit , se reproduit — dans et par le rapport de genre , et en tant que le genre a toujours une sexualité , un âge , une couleur , une nation , une religion ou une classe ... a insi , en prenant au sérieux le fait que le “ genre ” ne désigne pas un groupe , c ’ est - à - dire qu ’ il n ’ est pas une catégorie descriptive — que l ’ on réduit bien trop souvent à la catégorie “ femmes ”—, mais s ’ apparente à un concept d ’ analyse critique , il en résulte que faire des études de genre c ’ est travailler sur les antagonismes complexes qui constituent la trame des rapports de pouvoir eux – mêmes . » 1

1. Elsa Dorlin, 2012

Cette recherche propose de réinterroger l’ordre, dans son rôle de norme, et tente de comprendre les fonctionnements de ces processus qui semblent pour certains engendrer de fortes inégalités. Celles-ci peuvent se traduire sous de nombreuses formes et sont pour la plupart trop insidieuses pour pouvoir en saisir la substance au premier abord.

La première partie de ce mémoire va permettre d’énumérer des faits, de donner à lire une synthèse des articles, livres, documentations, réflexions, recherches qui ont enrichi cette réflexion. Il s’agit d’élaborer un état de l’art, une revue des travaux existants dans l’objectif de prendre position et produire de la connaissance par la mise en relation de ces recherches.

Ce travail n’a pas pour objectif d’apporter un jugement de valeur sur celles-ci, mais bien d’essayer de comprendre comment l’architecture peut ou non avoir un impact, positif ou négatif, sur ces phénomènes.

S’ensuivra une analyse des actions mises en place par différent ·es acteurices de la ville comme de la société, puis une méthode d’intervention architecturale à l’aide de dispositifs en rapport direct avec l’ensemble de ce travail.

RÉINTERROGER L’ORDRE

LES DOMINANCES DANS LA VILLE

« j e sais pas si je crois en d ieu mais en toi je crois bien , e t pourquoi serait - il masculin ? p ardonne moi on n ’ naît pas misogyne on le devient . m ais faudrait surtout pas qu ’ madame porte la culotte m ême si la charge mentale on sait bien qui la porte . e t si être féministe est devenu à la mode , c ’ est toujours mieux vu d ’ être un salop qu ’ une salope .» 1

1. Stromae, Multitude, Déclaration , 2022.

28.
CONSTATONS
29. RÉINTERROGER
L’ORDRE

UNE ORGANISATION BINAIRE DE LA VILLE

De nombreux écrits amorcent les questions de disparités de genre au nivea de l’espace public par la construction de ces dernières. Celles-ci, pour la plupart, se basent sur la division sexuée du travail. Lidewij Tummers, diplômée en 1989 de la faculté d’Architecture TU Delft, développe ce propos dans son écrit intitulé Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme :

« La logique spatiale de la répartition des emplois industriels et commerciaux, des écoles, des magasins et des transports reposait sur le principe que quelqu’un restait à la maison pendant la journée. (...) Sans l’expliciter, les conditions spatiales d’exercice de la citoyenneté sont donc moins adaptées aux femmes, qu’elles soient ou non en train de s’émanciper. » 1

« Ce type de planification urbaine a été critiquée car il ignorait les conditions de l’émancipation des femmes, telles que l’accès au marché du travail rémunéré. De plus, de ces territoires séparés, l’un des deux est resté invisible, ou au moins sous-estimé, (...) sans reconnaître l’importance du territoire domestique pour l’économie. »

On y comprend que les disparités peuvent être directement liées à la constitution propre des villes, et qu’il ne suffit pas seulement de modifier les ‘‘comportements’’ des usager·es. Un réel travail effectué par les architectes, urbanistes, sera nécessaire.

Au sein du même ouvrage écrit par Lidewij Tummers, sont relayés les propos de Doreen Massey. Géographe et chercheuse en sciences humaines et sociales britannique, elle a été l’une des premières à faire valoir l’idée selon laquelle toute expérience de l’espace est genrée.

1. Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme, Lidewij Tummers

30. CONSTATONS
LES DOMINANCES DANS LA VILLE

« Elle souligne en particulier que les femmes demeurent souvent l’angle mort de la géographie et insiste sur le fait que le genre ne concerne pas seulement les femmes : l’organisation des espaces industriels et du développement régional se fonde sur une division sexuée du travail, qui varie selon les époques et les pays. » 1

Ces propos permettent donc de compléter les écrits précédents, insistant sur la dimension économique qui a mené les villes à être ressenties aujourd’hui comme discriminatoires sur certains points.

Plusieurs articles vont également en ce sens comme Espaces publics genrés : En comprendre la construction, se reconstruire pour mieux les détruire, écrit par Emmanuel Vigier. Dans cet article, l’auteur énonce :

« En effet, les villes sont aujourd’hui construites par et avant tout pour les hommes. Elles excluent et écrasent la féminité, l’assimilent et la réduisent à l’impuissance. A partir de là, les espaces publics sont perçus comme des dangers, des endroits à éviter, où ce qui se sent féminin rase les murs et cherche luimême à disparaître. » 2

Ces stratégies d’évitement qui poussent à contourner les places publiques, à choisir sa tenue et les rues par lesquelles passer, semblent être une résultante, le symptôme d’un dysfonctionnement systémique.

1. Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme, Doreen Massey

2. Espaces publics genrés : En comprendre la construction, se reconstruire pour mieux les détruire, Emmanuel Vigier.

RÉINTERROGER L’ORDRE

31.

« c omme si la féminité se résumait à l ’ art de ‘‘ se faire petite ’’, les femmes restent enfermées dans une sorte d ’ enclos invisible limitant le territoire laissé aux mouvement et aux déplacements de leurs corps ( alors que les hommes prennent plus de place avec leur corps , surtout dans l ’ espace public . c ette sorte de confinement symbolique est assurée pratiquement par leur vêtement qui a pour effet , autant que de dissimuler le corps , de le rappeler continuellement à l ’ ordre , sans avoir besoin de rien prescrire ou interdire explicitement : soit qu ’ il contraigne de diverses manières les mouvements , comme les talons hauts ou le sac qui encombre constamment les mains , et surtout la jupe qui interdit ou décourage toutes sortes d ’ activités ‘ la course , diverses façons de s ’ asseoir , etc .), soit qu ’ il ne les autorise qu ’ au prix de précautions constantes , comme chez ces jeunes femmes qui tirent sans cesse sur une jupe trop courte , s ’ efforcent de couvrir de leur avant - bras un décolleté trop ample ou doivent faire de véritables acrobaties pour ramasser un objet en maintenant les jambes serrées .» 1

1. La domination masculine , BOURDIEU Pierre, page 47.

RÉINTERROGER L’ORDRE

33.

LES DOMINANCES DANS LA VILLE

DES DISPARITÉS VISIBLES EN RÉSULTENT

Dans la ville, il existe de nombreux types de disparités plus ou moins visibles. Qui occupe quels espaces ? Pourquoi ? L’espace public donne-t-il les mêmes droits à tout le monde ? Les opportunités qui sont offertes par la ville sont-elles les mêmes pour toustes ?

Yves Raibaud, dans le Podcast ‘ Des villes viriles’ issu de ‘ Les Couilles sur la Table ’, par Victoire Tuaillon, affirme :

« Le harcèlement de rue est la performance de masculinité qui consiste pour les hommes à user de leur droit à commenter le corps des femmes, à les mettre mal à l’aise, à les insulter, et, plus largement, comme droit à disposer de leur temps et de leur attention. » 1

Cette définition du harcèlement de rue pointe du doigt l’agilité avec laquelle certain·es individu·es peuvent se permettre d’user de leur ‘droit’ à s’exprimer vis-à-vis d’autrui sans son accord ni son consentement.

Commençons par quelques chiffres. L’article Enjeux de genre et politiques urbaines : les enseignements d’une recherche à Aubervilliers écrit par Sophie Blanchard et Claire Hancok interroge entre autre les réactions des jeunes. Comment les jeunes filles et les jeunes garçons évoluent-iels au sein de leurs villes ? Quelle influence leurs comportements peuvent-ils avoir sur leurs constructions sociales ? Deux passages m’ont paru particulièrement intéressants pour illustrer les problématiques vécues par cette catégorie de population, au sein de la commune d’Aubervilliers :

1. Des villes viriles , Les couilles sur la table, Victoire Tuaillon et Yves Raibaud

34. CONSTATONS

LES DOMINANCES DANS LA VILLE

« L’analyse du nombre de quartiers d’Aubervilliers fréquentés par les jeunes enquêté·es montre que 55% des jeunes femmes ne citent seulement qu’un quartier contre 19% des jeunes hommes. Les espaces des jeunes femmes paraissent par contre plus divers, plus étendus, et plus éloignés du quartier. Elles évoquent la volonté de mettre à distance - voire de fuir - les jeunes hommes de leur quartier.» 1

La ville assiste à un phénomène particulier, les jeunes femmes décident de pratiquer leurs activités à l’extérieur de leur quartier pour éviter de côtoyer les jeunes hommes qui y sont majoritairement présents.

« Le questionnaire comportait une question sur ce que les jeunes n’aimaient pas dans leur quartier : plus de 50% des jeunes femmes se plaignent de l’environnement de vie local (saleté, bruit, délinquance) contre 20% parmi les jeunes hommes. L’une des réponses récurrentes désigne ‘‘les garçons au pied des immeubles’’ ou ‘‘les garçons du quartier’’». 2

Les parcours scolaires des étudiantes sont encore très stéréotypés : par exemple, 85% des étudiant·es en écoles paramédicales et sociales sont des femmes. Nous évoquerons cet aspect, l’économie du care en relation avec les rapports sociaux normatifs et oppressifs ultérieurement.

1. Enjeux de genre et politiques urbaines : les enseignements d’une recherche à Aubervilliers écrit par Sophie Blanchard et Claire Hancok

2. Enjeux de genre et politiques urbaines : les enseignements d’une recherche à Aubervilliers écrit par Sophie Blanchard et Claire Hancok

36. CONSTATONS

LES DOMINANCES DANS LA VILLE

Edith Maruejouls, docteure en géographie française et spécialiste de la géographie du genre, explique que les ‘‘représentations positives’’ sont le fait de rendre visibles et accessibles à toustes des récits, symboles, représentations sociales et personnages historiques inspirants et ‘‘empouvoirants’’ qui présentent une alternative à l’androcentrisme. Elle démontre que les établissements scolaires français portent, pour 78% d’entre eux, le nom d’une personne masculine et 19% pour des noms de femmes.

Ce chiffre corrobore l’hypothèse d’une large sous-représentation des femmes et ce dans l’ensemble des sphères sociétales. Ces données sont étudiées par l’Atelier Recherche Observatoire Egalité (L’ARObE) dont Edith Maruejouls est la directrice.

Les responsables de la commune de Rouen se sont aperçus que le pont Guillaume-le-Conquérant était emprunté très majoritairement par des hommes. Ces acteurices de la ville ont tenté de deviner les raisons de cette fréquentation très disparate : trottoirs trop étroits, niveau sonore trop élevé, circulation automobile très dense, le tout créant un sentiment d’insécurité et une impossibilité d’y accueillir des usagers PMR, entre autre.

Il est nécessaire de rappeler que ce sont en grande majorité des femmes qui sont chargées d’accompagner enfants, personnes âgées ou personnes en situation de handicap. Ce pont ne semble pas adéquat pour ces usager·es. Peut-on éviter ce phénomène ?

Les architectes et urbanistes ont-ils un rôle à jouer ? Et les responsables de la commune ?

38. CONSTATONS

UN RAPPEL À L’ORDRE SEXUÉ DANS LA VILLE

« L’espace urbain est ultrasexué, pensé par et pour les hommes. Au point que les femmes érigent des barrières inconscientes et traversent les lieux publics bien plus qu’elles ne s’y attardent. » 1

Des cartes de la ville, mentalisées pour éviter certains espaces de la ville, régissent les déplacements des femmes de jour comme de nuit.

« On constate que les femmes traînent moins souvent dans la rue sans avoir quelque chose de précis à y faire et se déplacent rapidement d’un endroit à un autre » 2

Le constat est sans appel : allez vite pour éviter les ennuis. En effet, il est démontré qu’une femme seule est trois fois plus abordées dans la rue qu’un homme. Ces rencontres s’avèrent généralement désagréables et peuvent provoquer un fort sentiment d’insécurité.

«Le métro, le soir, est fréquenté en moyenne par deux femmes pour huit hommes. Les parents ont autant peur du métro la nuit pour leurs filles (leur imposant le taxi) que les filles elles-mêmes, y compris majeures. Ces dernières mettent en place des stratégies pour réduire le danger : porter un pantalon, maquillage sobre, se déplacer en groupe, se rapprocher d’autres filles isolées, avoir un baladeur sur les oreilles en fuyant tout regard.» 3

Les femmes semblent, de fait, ne pas avoir les mêmes conditions pour pratiquer la ville.

1. La rue, fief des mâles, Fanny Arlandis, Le Monde, 2012.

2. Osez le féminisme, Patricia Perennes.

3. La rue, fief des mâles, Fanny Arlandis, Le Monde, 2012.

39.

« l es femmes sont plus présentes dans l ’ espace public depuis les années 60, mais elles ne sont pas proportionnellement aussi visibles d e plus , ces espaces , situés pour la plupart hors du périmètre du quartier de résidence , constituent plutôt des lieux d ’ insécurité et d ’ anonymat où les femmes demeurent peu ouvertes à l ’ imprévu des rencontres et des situations . » 1

40. CONSTATONS
1. Jacqueline Coutras : Crise urbaine et espaces sexués, Sophie Paquin, compte rendu de la revue Recherches féministes, Volume 10, numéro 2, 1997, p. 219–221
41. RÉINTERROGER L’ORDRE

« l a force de l ’ ordre masculin se voit au fait qu ’ il se passe de justification : la vision androcentrique s ’ impose comme neutre et n ’ a pas besoin de s ’ énoncer dans un discours visant à la légitimer . l ’ ordre social fonctionne comme une immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine sur laquelle il est fondé : c ’ est la division sexuelle du travail .» 1

1. La domination masculine, BOURDIEU Pierre, page 23.

CONSTATONS

42.

L’ÉCONOMIE

DU

CARE ET LES FEMMES

Toujours dans l’ouvrage de Lidewij Tummers, intitulé Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme, l’effet de l’économie du care permet d’appuyer les propos précédents.

L’économie du care est le principe sur lequel les femmes seraient plus aptes à s’occuper d’autrui que les hommes.

« Prendre soin de l’autre serait naturel, découlerait de cette notion dont on sait désormais qu’elle est fausse : l’instinct maternel. Il est essentiel d’identifier de nouvelles solutions en matière d’économie du care – aussi appelée ‘économie des services à la personne’ – pour que les femmes bénéficient de l’égalité des chances dans le monde du travail. » 1

« Ces services sont dispensés dans divers contextes, dans l’économie formelle et informelle ; et certains sont assurés par le secteur de la santé, le plus souvent dans un cadre formel et public. L’économie des services à la personne recouvre également d’autres domaines, tels les services publics de garderie, d’éducation de la petite enfance, d’invalidité et de soins de longue durée, ainsi que les soins aux personnes âgées. » 2

Ce dernier passage est tiré de l’article L’économie des services à la personne provenant du site de l’Organisation internationale du Travail. On comprend aisément l’interrogation de Lidewij Tummers concernant l’économie du care et la relation que cette économie entretient avec les femmes.

1. Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme, l’effet de l’économie du care, Lidewig Tummers.

2. L’économie des services à la personne, Organisation internationale du travail.

43.

LES DOMINANCES DANS LA VILLE

Actuellement, seuls 17% des métiers sont mixtes. Une profession est considérée comme mixte, lorsque les hommes et les femmes représentent une part comprise entre 40 et 60% de ses effectifs. Sur 87 familles professionnelles, seules 13 sont mixtes. Tous métiers confondus, les femmes représentent moins de 35% des cadres. Elles représentent 97,7% des aides à domicile, aides ménager·es et assistant·es maternels ; 90,4% des aides soignant·es ; 87,7% des infirmier·es et des sages-femmes ; 97,6% des secrétaires et 94,3% des employé·es de maison. 1 Les femmes sont donc en effet extrêmement présentes au sein des métiers du care.

Clémence Boyer corrobore ses propos et poursuit :

« Les femmes sont majoritaires dans certains secteurs qui vont recruter massivement dans les prochaines années, comme les services à la personne, le soin ou la propreté. Problème : il s’agit souvent d’emplois peu qualifiés. Les femmes représentent en effet près de 100% des aides à domicile, 90% des aidesoignants et agents de services hospitaliers et 66% des salariés des sociétés de nettoyage. (...) Les femmes sont aussi majoritaires dans certains secteurs qui requièrent plus de qualifications, en particulier dans l’enseignement et la santé. Ainsi, les femmes sont majoritaires dans les effectifs d’enseignants, mais plus le niveau d’enseignement augmente moins elles sont présentes. Elles représentent 84% des professeurs des écoles, 59% des professeurs du secondaire, 53% des professeurs agrégés et seulement 39% des professeurs dans l’enseignement supérieur. »

1.https://start.lesechos.fr/societe/egalite-diversite/seulement-17-des-metiers-sont-mixtes-etcest-un-vrai-probleme-1176308

44. CONSTATONS

En effet, nous avons toustes pu constater qu’au fur et à mesure que notre cursus de formation ou d’études se précise, plus le nombre de femmes enseignantes, ou intervenantes se fait rare.

Si l’enseignement est un métier qui ‘‘a de la valeur aux yeux des autres’’, les métiers associés aux femmes sont très souvent sousestimé voir ‘‘risibles’’. On retrouve le même phénomène que dans le sport : on se moquera de l’équitation, considéré comme un ‘‘sport féminin’’, quand les mairies subventionneront sans hésiter des ‘‘sports masculins’’ comme le football.

On notera également que la dénomination de certaines activités change selon le genre de l’individu·e qui l’exerce : une femme sera une ‘‘femme de ménage’’ 1, alors qu’un homme se fera appeler ‘‘technicien de surface’’ 2. On les distinguera, au sein de la société, par leur capacité à exercer un travail sérieux pour le technicien de surface, et un travail pénible et dépréciatif pour la femme de ménage.

1. Définition : Femme dont le métier est de faire le ménage, cet ensemble d’actions d’entretien ou de soin d’une maison ou logement. Source : linternaute.

2. Définition ; Terme politiquement correct inventé par des politiques français pour ne pas dire femme de ménage. Source : Wiktionary

46. CONSTATONS
LES DOMINANCES DANS LA VILLE

« m aintenant que l ’ architecture est devenue un métier de gonzesse , ça na plus aucun prestige » 1

1. Commentaire reçu par une étudiante en M1 à l’INSA Strasbourg, Compte Instagram @CESPHRASESDARCHI

47. RÉINTERROGER L’ORDRE

DISPARITÉS AU SEIN DE DISPOSITIFS

« l a notion de violences faites aux femmes insiste sur les rapports sociaux de sexe et les discriminations qu ’ elles subissent p arler de “ spécificité des besoins féminins ” ne remet pas en question les rapports entre les sexes – qui impliquent une vulnérabilité sociale des femmes –, mais sous - entend que cellesci sont naturellement vulnérables . ». 1

1. Lieber, 2008

48.
CONSTATONS
49. RÉINTERROGER L’ORDRE

LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

« Et si c’était en fait à l’école que s’enseignait le sexisme ?

La question peut paraître provocatrice, mais en cherchant, à l’occasion de la Journée internationale de la fille (11 octobre), à quel âge naissaient encore aujourd’hui en France les premières inégalités de genre, le constat s’est avéré... surprenant. Dans une case, dès la crèche. Les mauvaises habitudes seraient en effet prises avant même l’entrée en maternelle. En crèche, on habitue ainsi plus les filles que les garçons ‘‘à discuter de leurs états émotionnels avec les adultes’’, soulignait un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Et là où les filles sont cantonnées aux jeux de rôle, les garçons, eux, sont déjà impliqués dans les jeux de construction, les cubes, le sable ou l’escalade. Les prémices d’un futur déséquilibre sont déjà là.» 1

Les premiers prémices de l’éducation des enfants ont-ils un impact sur les stéréotypes de genre à venir ? Progressent-ils déjà dans un milieu qui leur apprend la vie de deux manières différentes, selon leur genre ? Les enfants, selon leur genre, ont-ils des prédispositions différentes ? Des envies et des goûts propre à leur genre ?

« Dans 90 % des cours de récré, les filles sont autour des garçons, dans des petits coins, tandis que les garçons jouent au centre avec un ballon », explique Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert, un organisme qui lutte pour l’égalité homme-femme. » 2

1. Inégalités de genre : ça commence dès la cour de récré !, Le parisien, 2018.

2. Inégalités de genre : ça commence dès la cour de récré !, Le parisien, 2018.

50. CONSTATONS
DISPARITÉS AU SEIN DE DISPOSITIFS

« i l faut qu ’ on se rappelle que dès la naissance , les garçons et les filles sont conditionné · es o n attend d ’ une petite fille qu ’ elle soit bien sage , bien discrète , bien élevée , comme une future princesse . e t on apprend aux petits garçons à se comporter comme des super - héros , à avoir du pouvoir sur les choses . » 1

1. Vins, #Metoo , 23h59, 2018

51.

RÉINTERROGER L’ORDRE

DISPARITÉS AU SEIN DE DISPOSITIFS

Les femmes semblent être cantonnées à des rôles dits traditionnels. Par exemple, dans les manuels de lecture en classe de CP, les femmes ne représentent que 40% des personnages et 70% de ceux qui font la cuisine ainsi que le ménage tandis que seul 3% des personnages féminins occupent un métier scientifique.

« Les cours de récréation illustrent la sexualisation des espaces de loisirs et jouent le rôle de lieu d’apprentissage des normes et des rôles de sexe : les filles utilisent les marges de la cour et leurs jeux impliquent peu de mobilité, les garçons se positionnent au centre, occupant la majorité de l’espace.

La chercheuse Edith Maruejouls évoque une « géographie de la cour de la récréation » très sexuée : les filles jouent à la corde à sauter ou discutent dans des recoins et occupent peu d’espace ; les garçons investissent l’essentiel de la cour par des jeux mobiles et bruyants (football, « jouer à la guerre », etc.). » 1

Ces constats sont clairs : dès le plus jeune âge, les enfants sont séparés en deux catégories en fonction du genre qui leur est assigné à la naissance. Leur éducation semble différenciée, par des actions si légères qu’elles soient, comme le taux d’encouragement sur les bulletins de notes : on prouve qu’à même niveau, les commentaires remarquent le ‘‘travail’’ des filles alors qu’on soulève les ‘‘capacités inexploitées’’ des garçons. Les écarts de troubles semblent être également plus tolérés pour les garçons que pour les filles. Les stéréotypes de genre visibles dans notre société remontent donc aussi à la base de notre éducation.

1. Rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), 2017

52. CONSTATONS

Comment sont dessinés nos projets ? Contiennent-ils, eux aussi, des disparités de genre ? Des inégalités de chances basées sur les stéréotypes de genre ?

Travaillant au sein d’un stage sur un centre de traitement et de valorisation des déchets, nous dessinions les espaces destinés aux travailleur·euses de cette usine. Actuellement, la proportion de femmes et d’hommes est disparate.

Comment dessiné ces espaces ? Pour les vestiaires, s’ils doivent être séparés, comment prévoir une capacité adéquate ?

S’il est vrai que le nombre de femmes dans ce type d’usine et à ces postes là est faible, est-il légitime de considérer que le constat sera le même dans une dizaine d’années ?

Cet édifice, en l’état, n’est pas en capacité de se destiner à autant de travailleuses que de travailleurs. C’est un fait.

Ici est l’exemple de choix programmatique qui, selon moi, ancre des disparités de genre dans le temps.

RÉINTERROGER L’ORDRE

53.

QUE SE PASSE-T-IL CHEZ LES ARCHITECTES ?

« t oujours obligée d ’ aimer enfanter l a contraception qui te ruine la santé . e ndométriose 1 , enchanté .

j ’ suis mieux payé que toi sans vouloir me vanter .» 2

1. A noter que ce terme n’est ni connu par le correcteur orthographique InDesign, ni par des sites de définition tel que le CNRTL.

2. Stromae, Multitude, Déclaration , 2022.

54. CONSTATONS

55. RÉINTERROGER L’ORDRE

QUE SE PASSE-T-IL CHEZ LES ARCHITECTES ?

DES DISPARITÉS DE GENRE MARQUÉES

BILLARD Céline, Femmes architectes , comment expliquer que des femmes diplômées HMO ne se retrouvent pas inscrites dans l’Ordre des Architectes, aujourd’hui en France ? Comment exercent-elles ? Quittent-elles l’architecture ?

« A l’heure où plus de 60 % des étudiants en architecture sont des étudiantes, que moins de 10% des agences sont dirigées par des femmes, et qu’elles ne représentent que 28% des inscrits à l’Ordre, le documentaire Femme architecte donne la parole à huit architectes françaises. » 1

Si les étudiant·es diplômé·es d’architecture sont en majorité des femmes, pourquoi 90% des agences se retrouvent être dirigées par des hommes ? Sont-ils plus qualifiés ? Pourquoi seul 28% des inscrits à l’Ordre sont des femmes ? Sont-elles moins ambitieuses ?

« L’édition 2020 des Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP), organisée par le ministère de la Culture, ne compte que deux femmes parmi les architectes nominés. Le collectif Architoo souligne la persistance des inégalités qui marquent encore la carrière des femmes architectes. » 2

Si les femmes semblent se sentir moins en capacité de diriger une agence, elles apparaissent également comme quasi inexistante des représentations actuelles dans le monde de l’architecture. D’où provient cette inégalité ? En quoi les stéréotypes de genre ont-il un impact sur ce constat ?

1. Femme architecte, un documentaire nécessaire , AMC-Archi, 2018, Céline BILLARD.

2. Où sont les femmes architectes ?, Métropolitiques, Collectif Architoo, 2021.

56. CONSTATONS

« i l faut mettre fin aux harcèlements et agressions sexistes et sexuelles et à la dévalorisation de la parole des femmes dans les écoles d ’ architecture .» 1

57.

1. Collectif Architoo

RÉINTERROGER L’ORDRE

?

« Au-delà du concours lui-même, la faible représentation des femmes dans les AJAP fait écho au fait que l’inégalité se vérifie dans le déroulement des carrières. Cette sous-représentation durable des femmes dans les AJAP est d’autant plus étrange que, parmi les moins de 35 ans, les inscriptions à l’Ordre sont autant féminines que masculines (Archigraphie 2020). En vingt ans, l’inscription des femmes à l’Ordre est passée de 16,6 % (2000) à 30,7 % (2019). Les femmes inscrites sont plus nombreuses parmi les jeunes générations. Selon les chiffres de l’Ordre national des architectes, « elles représentent aujourd’hui près d’un architecte âgé de moins de 35 ans sur deux contre un sur trois en 2000 », soit une augmentation de près de 15 points entre 2000 et 2019 » 1

Ces informations tendent à nous laisser penser que la parité dans ce type de concours se verra être rétablie dans les années à venir. Pourtant malgré la forte présence féminine dans la profession, les avancées sont timides.

Est-ce dû aux injonctions énoncées plus tôt, c’est à dire que les femmes doivent rester discrète, calme, mesurée, alors qu’un homme doit avoir de l’ambition, de la puissance et de la force ?

1. Où sont les femmes architectes ?, Métropolitiques, (Archigraphie 2020, p. 3). Collectif Architoo, 2021.

58. CONSTATONS QUE SE PASSE-T-IL CHEZ LES ARCHITECTES

QUELS TRAVAUX SONT RECONNUS ?

Lorsque l’on parle de l’Histoire, on pense rarement à des travaux assimilés à des femmes. En effet, sauriez-vous citer dix noms d’architecte féminine connue ? En architecture, nous évoquons le patrimoine. Cette dénomination, par sa construction, exclut donc une partie des réalisations des architectes : celles des femmes. Même si certaines de leurs oeuvres seront mises en avant, dans ce patrimoine 1, il est nécessaire de revoir le vocabulaire qui leur est associé car comme expliqué précédemment, les mots ont leur importance. Quelques initiatives ont l’objectif de visibiliser le travail de ces architectes si souvent mises à l’écart :

« Créées en 2015 à l’initiative de l’association HF Île-de-France, les Journées du Matrimoine font écho aux Journées du Patrimoine pour faire émerger ‘‘l’héritage des mères’’ et rendre visibles leurs œuvres. Elles se déroulent chaque année au cours du week-end de la 3ème semaine de septembre. » 2

A la recherche d’une plus grande parité, des Journées du Matrimoine sont organisées par des associations dans le but de visibiliser les travaux qui sont majoritairement délaissés.

« S’il réapparaît de nos jours, le mot ‘‘matrimoine’’ a été retiré de la langue française au XVIIe siècle. Sa disparition a eu pour conséquence de faire tomber dans l’oubli les créatrices mais aussi leurs œuvres. Construire notre Matrimoine consiste à rendre à nouveau visibles les œuvres oubliées des femmes du passé en les intégrant à notre héritage global pour leur donner la place qu’elles

1. Étymol. et Hist.1. Ca 1150 «ensemble des biens, des droits hérités du père» (Thèbes, éd.

G. Raynaud de Lage, 6760); 1160-74 opposé à matremoingne - CNRTL.

2. https://www.lematrimoine.fr/les-journees-du-matrimoine/

59.

auraient dû avoir si l’histoire ne s’était pas écrite au masculin. Ce Matrimoine retrouvé permet aussi aux jeunes générations de se projeter dans des carrières en ayant des modèles féminins, il montre que les femmes artistes ont toujours existé. » 1

Les journées du matrimoine permettent de visibiliser les prouesses réalisées par des femmes et de les reconsidérer comme un véritable héritage. Il est nécessaire pour les jeunes générations de pouvoir s’identifier à des personnages, éclairant des métiers et des carrières féminines remarquables. L’invisibilisation de leurs travaux participent aux stéréotypes et aux discriminations de genre encore visibles.

« L’invisibilité des femmes artistes et créatrices du passé et du présent nie leur rôle, leur talent et leur réussite. Couplée à des discriminations structurelles qui les écartent des postes de pouvoir ; les femmes occupent alors une place particulièrement précaire dans un milieu déjà instable. Les Journées du Matrimoine mettent en lumière ces femmes et sensibilisent le public, notamment les jeunes générations, à la création artistique féminine. Nous souhaitons tendre vers l’égalité des genres dans les arts et la culture. » 2

Au sein de l’espace public, d’autres phénomènes similaires sont facilement identifiables. Noms de rues, appellations de établissements culturels, sportifs, éducatifs ...

Il est maintenant nécessaire de redonner leur place aux femmes, dans l’espace public comme dans l’imaginaire collectif et dans la culture générale.

1. https://sceneweb.fr/les-journees-du-matrimoine-2021/

2. Marie Guérini, coordinatrice générale de l’événement pour HF Ile de France. »

60. CONSTATONS
QUE SE PASSE-T-IL
CHEZ LES ARCHITECTES ?
PAPIER GLACÉ

CONSTATONS

62.
« f or most of history , anonymous Was a W oman . » 1
1. Virginia WOOLF, A Room of One’s Own
63. RÉINTERROGER L’ORDRE

SE PASSE-T-IL CHEZ LES ARCHITECTES ?

L’INVISIBILISATION, UNE MÉTHODE D’ACTION.

Yves Raibaud, géographe, féministe et maître de conférence à l’Université de Bordeaux-Montaigne, dans son ouvrage La ville faite par et pour les hommes soulève la même problématique :

« 94% des plaques de rue ou des espaces publiques portent le nom d’un homme. Seules les aviatrices comme Maryse Bastiée ou les résistantes comme Germaine Tillion arrivent à s’imposer ». 1

Une fois encore, tout rappelle aux femmes qu’elles ne sont pas prioritaires dans la ville. Elles ont beaucoup plus de difficulté à s’identifier à des personnalités remarquables.

« Les équipements mis à disposition sur la voie publique servent deux fois plus aux garçons qu’aux filles. » 2

Pourquoi ? Qui décide ? Pour une large majorité, des hommes. Comment mettre un terme à cette situation ? Ces acteur·ices, au coeur des décisions de la construction des villes, ont-iels pleine conscience de ce phénomène ? Pourquoi certains équipement sont-ils plus utilisés par les garçons que par les filles ?

Peut-être faudrait-il se pencher sur cette dernière question plutôt que de tenter de trouver une certaine parité en ‘‘installant des équipements qui plairont aux filles’’. Ne serait-ce pas une nouvelle manière d’ancrer des stéréotypes ?

1. La ville faite par et pour les hommes , Yves Raibaud

2. La ville faite par et pour les hommes, Yves Raibaud

64. CONSTATONS
QUE

« Les trois quart de l’argent public dépensé par les municipalités pour les loisirs des jeunes sont en réalité destinés aux loisirs des garçons. Si l’urbanisme et l’architecture sont fortement influencés par ceux qui ont le pouvoir d’en décider, c’est à dire les hommes, il faut aussi se rendre compte que la façon dont on a organisé les villes et les bâtiments ont une influence importante sur la construction des masculinités. » 1

Par la suite, Yves Raibaud souligne que dans certaines grandes villes comme Paris ou Marseille, certaines avancées commencent à apparaître : le tramway T3 parisien compte 9 noms de femmes sur les 18 stations desservies. Toustes deux se rejoignent sur une idée simplement illustrée : Comment pousser le monde vers plus d’égalité si tout autour de nous, rien ne visibilise les figures de femmes qui ont marqué l’histoire ?

Même si ce monde tend à prendre conscience de certaines disparités, pointées du doigt comme des injustices, de nombreuses inégalités persistent.

1. La ville faite par et pour les hommes , Yves Raibaud

RÉINTERROGER L’ORDRE

65.

67.

« i l faut une volonté publique d ’ honorer les femmes encore faut - il que l ’ h istoire n ’ ait pas gommé les femmes talentueuses . » 1

1. Yves Raibaud, La ville faite par et pour les hommes

RÉINTERROGER L’ORDRE

L’ORDRE ÉTABLI PAR ET POUR L’HOMME

c oncrètement , pourquoi c ’ est néfaste ?

68. CONSTATONS
69. RÉINTERROGER
L’ORDRE

L’ORDRE ÉTABLI PAR ET POUR L’HOMME

LE MODULOR

« Le Modulor permet de définir une échelle unique et universelle qui ne se réfère pas au système métrique ou au système de pieds et de pouces. Il est conçu pour créer un espace fonctionnel et optimisé pour l’homme faisant de la maison une "machine à habiter" sans pour autant atténuer sa volonté de créer de l’espace, de la lumière et de la végétation. Un logis créé avec les dimensions Modulor a pour but de procurer à l’habitant un sentiment de bien-être et de confort. Le Modulor s’applique aux dimensions de la maison, mais aussi aux dimensions des meubles. » 1

En architecture, la mesure donnée par Le Corbusier par l’intermédiaire de son Modulor ne semble pas pouvoir parler d’universalité. Pourtant, c’est bien l’information la plus répandue à son sujet. En utilisant les mensurations d’un ‘‘homme standard’’, la norme établie ne prend pas en compte les différences qui séparent les corps d’homme et de femme. Comme cité précédemment, les dimensions de l’architecture mais aussi celles du mobilier se réfèrent à cet ordre établi. Par définition, il semblerait que nous dessinons et nous construisons pour des hommes.

« Le Modulor final est constitué à partir de trois mesure principales : la taille de l’homme qui est de 1,83 m, la taille de l’homme le bras levé qui est de 2,26 m et la hauteur du nombril qui est la moitié soit 1,13 m. »

Rappelons que la taille moyenne d’un homme adulte est de 1,77 m et de 1,62 m pour la taille moyenne des femmes. Comment peuton alors décemment imaginer qu’il serait suffisant d’utiliser cette norme comme une universalité ? Qui choisit ? Dans quel but ?

1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Modulor

70. CONSTATONS
71. RÉINTERROGER L’ORDRE

SOUTENIR - VILLE, ARCHITECTURE ET SOIN

Exposition au Pavillon de l’Arsenal à Paris du collectif d’architectes SCAU codirigée par Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste.

« Au cours du XXème siècle, paraissent des documents normatifs dédiés aux architectes et urbanistes, dont le célèbre ‘‘Neufert’’ en Europe, dès 1936, ou les manuels dits ‘‘Humanscale’’, élaborés entre 1974 et 1981 aux Etats-Unis par Henry Dreyfuss Associates. Tous énoncent les dimensions auxquelles l’architecture doit se conformer. Les normes y sont calibrées en fonction d’un corps jugé ‘‘normal’’, puis déclinées pour les autres morphologie.’’

L’application de cette ‘‘norme’’ à l’architecture semble aujourd’hui contre intuitive, tant l’architecture tient sa justesse dans l’idée qu’elle puisse être dédiée à toustes. L’utilisation systématique des mesures imposées par un ‘‘homme moyen’’, déclinées uniquement en terme de taille pour tenter de s’ajuster aux autres morphologies, apparait alors dénuée de sens.

72. CONSTATONS
L’ORDRE ÉTABLI PAR ET POUR L’HOMME
©
ostefaoui
s a L em m

Distance normatives - « Les choix d’inclusion et de distanciation faits par une société traduisent la manière dont sont considérées la maladie et la vulnérabilité. La distance spatiale constitue la mise en acte d’une distance normative entre le ‘‘normal’’ et le ‘‘pathologique’’. Cette mise à l’écart de l’autre - le malade, le fragile, le fou, le difforme - est faite au nom de ‘‘l’anormalité’’ qui menacerait l’intégrité de la cité. La question des espaces de (non-)soin révèle dans l’histoire de l’architecture une normalisation progressive définie à partir d’un corps ‘‘sain’’ et excluant les autres. Il en résulte que de nombreux espaces de nos villes sont inaccessibles aux individu·es qui ne correspondent pas à la norme établie. Plus de cinquante-cinq ans après l’appel du philosophe et médecin Georges Canguilhem à dépasser l’opposition entre le ‘‘normal et le pathologique’’ (1966), tout reste à faire pour rendre la ville habitable par chacun. »

Ces constatations dénotent d’un réel manque de considération à l’égard de celles et ceux qui sembleraient ne pas rentrer dans une norme imposée par les dominant·es. Cet discrimination se retrouve jusqu’à l’architecture, dans sa programmation souvent imposée comme dans ses dimensions contraintes par un ordre désué.

74. CONSTATONS
L’ORDRE ÉTABLI PAR ET POUR L’HOMME
© h enry D reyfuss asso C iates ’ CL asssi C humans C a L e D esign , 1974.

EST-CE DANGEREUX ?

Constatant que l’ordre établi est nocif pour certaines catégories de population, peut-il mettre des vies en péril ? Plusieurs exemples démontrent qu’utiliser ‘‘l’homme standard’’ comme une vérité absolue pose de nombreuses questions quant à la fiabilité de certains dispositifs censés assurer notre sécurité, comme dans le milieu de l’automobile :

« Lorsqu’une femme est impliquée dans un accident de voiture, elle est 47% plus susceptible d’être sérieusement blessée, 71% plus susceptible d’être légèrement blessée et 17% plus susceptible de mourir. En cause, des tests réglementaires pensés pour la morphologie des hommes à l’aide de mannequins Crash-Test plus grands et plus lourds qu’une femme à la morphologie moyenne.

Le mannequin le plus couramment utilisé mesure 1,77 m et pèse 76kg. (...) Aujourd’hui, beaucoup de constructeurs automobiles se contentent d’utiliser des mannequins masculins ‘‘réduits’’ .» 1

Cette astuce semble-t-elle pouvoir convenir, alors que nous savons que la distribution de la masse musculaire est différente chez l’homme et la femme, que la densité osseuse est inférieure, que l’espacement des vertèbres est différent ... Ces différences sont cruciales en ce qui concerne les blessures dans un accident de la route, et ne sont pas prises en compte par celles et ceux qui étudient ces problématiques.

Pourquoi ?

1. The Guardian

76. CONSTATONS
L’ORDRE ÉTABLI PAR ET POUR L’HOMME

Dans de nombreux domaines ce type d’inégalités, d’impensés, sont majoritairement délétères pour les femmes. En voici quelques exemples :

« En 2016, la reconnaissance vocale de Google avait 70% de chances en plus de reconnaître une voix masculine. » Souvent calculée en fonction du métabolisme masculin, la température standard des bureaux est en moyenne cinq degrés trop froide pour les femmes. » Une policière a dû subir une réduction mammaire à cause des effets néfastes du gilet pare-balles sur sa santé. » 1

L’anatomie féminine reste majoritairement oubliée dans les design des objets que nous utilisons quotidiennement. Pourtant, comme l’explicite l’exemple suivant, les différences des autres peuvent devenir un atout, une force trop souvent sous estimée :

« Certains designs pensés pour les minorités connaissent aujourd’hui un large succès grâce à leur facilité d’utilisation. Les SMS, inventés pour que les sourds et malentendants puissent communiquer plus facilement, sont la preuve que les designs pensés pour un groupe mal considéré sont la clef d’un monde meilleur pour tous. Peut-être qu’à terme, les logiques design pensées pour les femmes s’appliqueront à tous, dans une société où intelligence émotionnelle et empathie seront les valeurs qui priment. » 2

1. https://www.ladn.eu

2. https://www.ladn.eu

RÉINTERROGER L’ORDRE

77.

c omment combattre les violences conjugales ? p ourquoi les hommes gays sont considérés comme ‘ moins masculins ’ que les hommes hétérosexuels ? p ourquoi les hommes peuvent - ils courir torse nu dans la ville et pas les femmes ? p ourquoi ‘ boys don ’ t cry ’ ?

l es hommes se sentent - ils plus légitimes à pratiquer l ’ espace public ?

p ourquoi ‘ on ne peut plus rien dire ’ ?

78.
CONSTATONS

NOUS AVONS

CONSTATÉ, QU’AVONSNOUS ESSAYÉ ?

Nous avons pu, par les mises en relation de ces recherches, constater de fortes disparités de genre basées pour la plupart sur des stéréotypes très ancrés. Celles-ci sont présentes au sein de nos représentations, de manière systémique et systématique. Leur impact s’étend jusqu’à la pratique de l’espace public, ainsi qu’à l’architecture.

Les études de genre ont pu orienter mes recherches et, au fur et à mesure, guider ce mémoire vers celles et ceux qui se sont déjà penché·es sur ces questionnements. En effet, de nombreux·ses sociologues, artistes, penseur·euses, intellectuel·les et d’autres s’attardent sur ces phénomènes, avec l’objectif de comprendre les systèmes qui amènent à de telles inégalités, inéquités, disparités.

Nous allons maintenant étudier les travaux de celles et ceux qui tentent d’agir sur ces situations, à travers tout type de médium.

79. RÉINTERROGER L’ORDRE

DÉJÀ ESSAYÉES

« l orsque l ’ on cherche à mettre en œuvre un ‘‘ urbanisme inclusif ’’, on a tendance à définir des ‘‘ groupes vulnérables ’’ (‘‘ les femmes immigrées ’’, ‘‘ les parents isolés ’’, par exemple ) et à planifier pour eux au lieu de planifier avec eux . e n d ’ autres termes , ‘‘ les femmes se retrouvent à faire partie du décor , au lieu de faire partie des acteurs .’’ » 1

1. Fainstein et Servon, 2005

QUI S’EN SAISIT ?

Au fur et à mesure nous prenons de plus en plus conscience des phénomènes présentés précédemment. Les paroles se délient, le mouvement #MeToo a permis de soulever de nombreux non dits. D’autres initiatives sont à l’origine d’une prise de conscience lente mais significative. L’étude des dominances et la remise en question d’un ordre établi sont des axes qui semblent être de plus en plus étudiés, par l’art, par les intellectuel ·les, par les responsables des communes et même par les célébrités.

Certaines personnes décident d’agir. Analysons maintenant leurs méthodes d’action très diverses.

81. RÉINTERROGER L’ORDRE

DES MÉTHODES D’ACTION FÉMINISTES

q uelles sont les actions à visée féministe ?

DÉJÀ ESSAYÉES

82.
83. RÉINTERROGER
L’ORDRE

DES MÉTHODES D’ACTION FÉMINISTES

LES MARCHES EXPLORATOIRES

La sécurité est un axe important des discussions qui tentent de développer des méthodes d’actions féministes. Certain·es se sont alors penché·es sur la question, et distinguent six principes de base pour se sentir dans un environnement urbain dit sécuritaire :

- Savoir où l’on est et où l’on va.

- Voir et être vue.

- Entendre et être entendue.

- Pouvoir s’échapper et obtenir du secours.

- Vivre dans un environnement propre et accueillant.

- Agir ensemble.

Il existe, dans le panorama actuel, des méthodes d’actions urbaines qui se revendiquent féministes. Le dernier point trouve comme possibilité d’exécution les marches exploratoires, qui exploratoires font partie d’un mouvement qui met en action les acteurices qui les pratiquent. Elles cherchent la mobilisation de la population et des groupes locaux ainsi que l’appropriation des lieux publics de la population.

84. DÉJÀ
ESSAYÉES

« En 2013, une expérimentation nationale de marches exploratoires de femmes est menée dans 12 villes françaises. Elle a notamment deux objectifs : l’appropriation par les femmes de l’espace public, dans lequel certaines se sentent en insécurité, et l’engagement citoyen par la proposition d’aménagements urbains aux élus. Nées au Canada dans les années 1990, les marches exploratoires sont apparues en France au début des années 2000 dans diverses villes comme Drancy, Dreux, Montreuil ou Paris en 2001. L’expérimentation parisienne visait à travailler sur deux axes : l’insécurité des femmes et leur sentiment d’insécurité, ainsi que la réduction de la ségrégation sexuée des espaces publics » 1

Ces démarches de marches exploratoires semblent donc avoir pour objectif de redonner une place aux femmes dans la ville, en leur permettant de s’approprier les lieux qu’elles traversent. On soulignera que les six éléments nécessaires au sentiment de sécurité dans l’espace public sont intimement liés aux perceptions, que ce soit par les sens ou par la capacité de se sentir être dans un espace.

1. Les marches exploratoires de femmes. Quand un dispositif à visée participative renforce le pouvoir d’agir des professionnels de l’action sociale , Laure Ferrand, dans Pensée plurielle , 2016, pages 97 à 109.

RÉINTERROGER L’ORDRE

85.

DES MÉTHODES D’ACTION FÉMINISTES

DE NOUVELLES MANIÈRES

D’HABITER

Au fur et à mesure que les différents constats précédents sont apparus à toustes, les architectes ont tenté de se saisir de ces enjeux en terme de logement.

Peut-on faire des logements féministes ? Comment ? Qu’est ce qu’un logement féministe ? Etudions un exemple suédois : « Le cohousing suédois est un mode d’habitat communautaire né du mouvement féministe des années soixante, et aujourd’hui porté par l’association Kollektivhus Nu, signifiant « co-habitat maintenant ». Le concept : plusieurs appartements privés se côtoient dans un même immeuble et des salles communes sont partagées et entretenues par tous. Les premiers modèles étaient légèrement différents de ceux que l’on trouve aujourd’hui : des années trente aux années cinquante, on y employait du personnel pour les tâches ménagères afin que les femmes puissent travailler. L’objectif n’était pas de créer une communauté mais de promouvoir l’égalité des genres. Ce système s’essouffla, car trop coûteux, mais également parce qu’il ne concernait que les ménages aisés. L’emplacement des espaces communs est très réfléchi : il doit faciliter les rencontres entre les habitants. Dans ce but, il n’y a souvent qu’une seule entrée principale. Les bâtiments, pour la plupart, sont adaptés à tous les publics : personnes âgées, handicapés et enfants. Les plus récents prennent en compte le respect de l’environnement dans leur construction. » 1

1. L’habitat participatif à la suédoise, entre liberté individuelle et règles communes publié sur L’institut Paris Région, Lucile Mettetal, Olivier Mandon, Lisa Laurence.

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DÉJÀ ESSAYÉES

Ce nouveau mode d’habiter provient donc d’une demande claire des habitant·es : le besoin d’une sociabilité retrouvée au sein même des espaces de logement. L’intimité de s’y verra pas supprimée, chacun·e vivra dans des appartements qui leur seront propres, mais les espaces de vie comme les cuisines ou encore des salles communautaires permettront aux habitant·es de partager ensemble.

Lorsque l’on évoque les logements féministes, l’une des premières images est celle de la ‘‘maison des Babayagas ’’, initiée par Thérèse Clerc, militante féministe française en 2013. C’est une forme d’habitat participatif autogéré et réservé aux femmes de plus de 60 ans. Ce nouveau mode d’habiter permet à ces femmes de conserver leur autonomie tout en formant une communauté d’entraide très forte.

Quelques années plus tôt, Thérèse Clerc a réalisé un projet intitulé ‘‘la maison des femmes de Montreuil’ ’ qui se destinait aux femmes victimes de violences. Ces nouveaux projets visent à apporter une forme de solution à certains des problèmes de société.

L’exemple du cohousing suédois est bien différent de la maison des babayagas qui elle a pour but premier de permettre à des personnes âgées de conserver une certaine autonomie tout en se regroupant.

RÉINTERROGER L’ORDRE

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DES MÉTHODES D’ACTION FÉMINISTES

D’autres architectes se penchent sur ces questions de genre au sein du logements. Lors de la conférence « La ville au prisme du genre / Genre et habiter : expérimentations pour un changement des pratiques » tenue à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine le 08 mars 2022, plusieurs personnalités dont Chris Younès, philosophe et professeure à l’ESA ainsi que Sabri Bendimerad, architecte, enseignant ENSA Paris Malaquais, ont pu exprimer leur opinion sur ce nouveau mode d’habiter.

« Habiter est le propre de l’humain et - bien sûr - l’habiter n’est pas genré. Mais les « situations d’habitation » sont à chaque fois particulières : l’espace n’est plus une entité neutre, mais offre une multitude de nuances dont le projet permet l’exploration et les pratiques de la diversité. C’est par la multitude des parcours de vie qu’il faut aborder le projet d’un espace de vie qui s’ouvre et s’adapte. En retour, cette démarche requestionne le rôle du concepteur/de la conceptrice et parfois rebat les cartes du projet de logement. » 1

Quatre points ont été soulignés afin de chercher une nouvelle parité au sein du logement : l’autonomie, la flexibilité, la mutualisation et les visibilités. Les travaux de Sabri Bendimerad sont donc à la recherche de ces quatre nécessités qui amèneraient à une réduction des disparités entre les membres du groupe domestique.

1. « La ville au prisme du genre / Genre et habiter : expérimentations pour un changement des pratiques » tenue à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine le 08 mars 2022

DÉJÀ ESSAYÉES

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A une autre échelle, et avec d’autres acteurices, le collectif Communa né en 2013, représenté par Nola Kerstenne et Vincent Leroy, intervient également sur les problématiques de genre au sein du logement. Leur travail se base sur un constat clair : les surfaces habitables non utilisées en Belgique pourraient servir à loger bien plus que l’ensemble des sans abris. Leur projet ‘‘Sorocité’’ vise à donner une solution de logement temporaire dans ce type de surface, en attendant qu’elles soient utiliser à d’autres fins.

« En vue de grands travaux de transformation, des appartements se vident dans une cité de logements sociaux à Evere. Une période de vacance de 4 ans se profile, durant laquelle l’action de Communa permet de loger des femmes sans-abri. » 1

L’un des points qui m’a le plus interpellée lors de la présentation de ce projet est le point commun qu’iels ont réussi à déceler entre les deux catégories de population qui allaient se rencontrer (des femmes sans abris et des femmes âgées déjà présentes dans le quartier) : le besoin d’une buanderie, et d’un frigo solidaire. Ces deux dispositifs ont permis à la population déjà présente dans le quartier, et clairement réticente à ce projet, de trouver un aspect mélioratif à cette situation. Aussi, ces lieux permettent un rapport privilégié à l’autre, une possibilité de rencontre, un véritable espace de convivialité.

1. https://communa.be/les-lieux/sorocite/

RÉINTERROGER L’ORDRE

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DES MÉTHODES D’ACTION FÉMINISTES

Ces nouvelles méthodes d’habiter sont encore à la recherche d’un certain équilibre. Les démarches entreprises construisent, l’une après l’autre, des méthodologies qui permettront plus tard d’utiliser les contraintes qui sont infligées à ces projets comme des atouts. Il semble que les espaces dessinés avec cette ligne de conduite seront avantageux pour toustes, plus confortables, plus sécurisant, et plus adaptés aux besoins très changeants des membres du groupes domestiques.

Nous avons également pu constater que les logements types dessinés par la grande majorité des architectes sont basés sur l’exemple d’une famille mononucléaire, constituée de deux parents dont une femme et un homme et entre un et trois enfants. Il apparait aujourd’hui que ce schéma, même s’il reste majoritaire au sein de notre société, n’est plus adapté à la réalité des situations. Famille monoparentale, regroupement de personnes âgées, colocations, de très nombreux schémas s’offrent aujourd’hui à la ville et les logements ne semblent pas être assez adaptés pour les recevoir.

Il sera alors intéressant de reconsidérer cette ‘‘norme établie au logement’’ qu’est l’image de la famille mononucléaire pour avoir la souplesse de s’adapter aux autres groupes de membres domestiques.

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LE POUVOIR DES ARTS ...

c omment les arts influencent - ils nos méthodes de penser ?

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LA MUSIQUE

« La musique est à la fois une libération de la parole, une libération du corps qui se doit d’être entendue mais aussi, malheureusement, un terrain de jeu pour le sexisme ordinaire. » 1

Si le ‘‘sexisme ordinaire’’ perdure au sein de certains mouvements musicaux (voir tous) , certain·es artistes tentent de renverser la tendance et de se servir de leur art pour dénoncer ces stéréotypes. Injonction à la virilité, violences sexistes et sexuelles, racismes, homophobie, sexisme, tous les thèmes liés aux dominances systémiques et systématiques trouvent aujourd’hui leur écho dans l’univers de la musique.

Des chants accompagnent le cortège des manifestations (quelles qu’elles soient), criés en chœur, ils soudent une idée, un objectif, et revendiquent harmonieusement des convictions claires.

La musique est l’un des médias très utilisés par les nouvelles générations. Le langage évolue à son rythme, les attitudes des individu·es qui les chantonnent, alors nous pouvons aisément imaginer que le message transmis impacte également leur vision du monde.

Platon lui-même affirmait :

« La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. »

1. Féminisme, sexiste et musique, chronique de Mélanie Bauer, France Inter, 2020.

DÉJÀ ESSAYÉES

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LE
POUVOIR DES ARTS

« t u seras viril , mon kid t u tiendras dans tes mains l ’ héritage i conique d ’ a pollon , et comme tous les garçons t u courras de ballon en champion e t viendras mon petit héros , historique » 1

95. RÉINTERROGER

L’ORDRE

1. Eddy de Pretto, Kid , Cure, 2017

LA MODE

« C’est avec la Révolution de 1789 que le pantalon prend la forme telle qu’on la connaît aujourd’hui, mais toujours sous emprise masculine… Du «haut-de-chausses», on passe alors au «pantalon», porté par les révolutionnaires, sans-culottes, comme pour symboliser la rupture avec la classe aristocratique déchue qui, elle, continuait à porter la culotte. C’est l’universalisation masculine du pantalon mais qui ne s’étend pas aux femmes. » 1

Le pantalon, dans la mode et dans l’évolution des moeurs, est un bon exemple de disparités multiples. Dans un premier temps, il a été investi par les hommes de classes aisées. Au fur et à mesure, cet habit s’impose également dans les classes plus populaires, jusqu’à en devenir un indispensable. Mais le chemin a été encore long pour que cette tenue puisse être portée par les femmes.

« En effet, l’ordonnance de 1800 de la Préfecture de police de Paris interdit aux femmes de porter le vêtement dit «masculin».

La femme qui porte le pantalon est considérée comme une travestie, elle ne devait pas porter la culotte car la femme «qui porte la culotte» (d’où cette célèbre expression pour le moins sexiste) porte atteinte à l’ordre patriarcal établi ! » 2

La tenue vestimentaire a donc été, pendant de nombreux siècles, un biais efficace à la volonté de rabaisser les femmes et de les différencier visuellement et idéologiquement des hommes.

1. Mode : depuis quand les femmes portent-elles des pantalons en France ? , Jimmy Bourquin, France Inter, 2020.

2. Mode : depuis quand les femmes portent-elles des pantalons en France ? , Jimmy Bourquin, France Inter, 2020.

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LE POUVOIR DES ARTS
© v ogue D é C embre 2020, h arry s ty L es
© g etty / f oun D i mage h o LD ings i n C / C ontributeur

De nos jours, les célébrités les plus visibles réinventent les stéréotypes de genre. Bien qu’un homme en robe reste un fait incompris par une grande partie de la population, celles et ceux qui ont de l’influence sur le monde commence à réinterroger ces normes. Cette visibilité accrue sur des thèmes de société contemporains ne peut qu’accompagner le phénomène de révolution de la place des genres dans la société.

La mode, utilisée à bon escient, est donc un biais certain vers une réinterrogation de la norme établie, de l’ordre qui régit notre société. Cette forme d’art est aisément appropriable par tous types de catégories d’individu·es, c’est ce qui permet une certaine profusion de l’idée qu’il défend.

DÉJÀ ESSAYÉES

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LE POUVOIR DES ARTS
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LES ARTISTES

Les arts étant un domaine si large que ce mémoire pourrait s’y étendre du début à la fin, j’ai décidé de citer deux autres artistes pour compléter les propos précédents.

Matthew Barney est un artiste américain. Il bouscule les normes physiques jusqu’à requestionner l’esthétique même d’un humain.

Les différents médias qu’il maitrise (le dessin, la photographie, le film, les installations vidéos et la sculpture) sont autant de méthodes d’expressions et de manipulations d’une norme établie, d’une certaine idée de ce qui est ‘‘normal’’.

Il s’interroge également sur la « non différenciation des sexes » 1 .

Il a fortement été influencé par Joseph Beuys :

« artiste allemand qui a produit nombre de dessins, de sculptures, de performances, fluxus, happening de vidéos, d’installations et de théories, dans un ensemble artistique très engagé politiquement. » 2

Le nouveau regard sur le monde que ces deux artistes apportent offre un nouvel imaginaire, plus ou moins adaptable à notre réalité. Leurs travaux sont à l’origine de nouvelles réflexions, portées sur de nouvelles façons de questionner qui nous sommes et ce qui nous entoure.

1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Matthew_Barney

2. https://www.wikiart.org/fr/joseph-beuys

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LE POUVOIR DES ARTS
© C remaster 4, m atthew b arney
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© t otem , m arievi C

... ET CELUI DES RÉSEAUX SOCIAUX

« a ujourd ’ hui , grâce à l ’ humour et à la facilité d ’ accès , le féminisme œuvre aussi via les réseaux sociaux i l y offre des outils pour répondre au sexisme ordinaire , qui place la femme dans une condition inférieure à l ’ homme et l ’ enferme dans un stéréotype archaïque » 1

DÉJÀ ESSAYÉES

1. Le féminisme à travers les réseaux sociaux , Anna Blay, l’Ouvreuse, 2021

106.

ET CELUI DES RÉSEAUX

D’UNE INFORMATION ACCESSIBLE

Les réseaux sociaux permettent à toustes l’accès à un très large panel d’informations. Celles-ci, fiables ou moins fiables, peuvent être facilement relayées par chacun·e d’entre nous et diffusées à plus ou moins grande échelle selon l’identité de l’individu·e en question.

Cette grande accessibilité accompagne certaines évolutions sociétales, en les rendant plus visibles. Les réseaux sociaux ont le pouvoir de démocratiser une idée en seulement quelques post, très sérieux ou à l’inverse humoristique, permettant à toustes les utilisateur·ices de comprendre le propos.

Aussi, ce mode de communication met en contact direct les célébrités d’aujourd’hui et les personnes qui le·a suivent. Twitter, par exemple, permet aux fans d’une célébrité de suivre une partie de son quotidien, et par ce biais, la personnalité en question pourrait faire passer certains messages sociétaux.

Que ce constat soit positif ou au contraire considéré comme dangereux pour certain·es, l’information et la diffusion d’idées sont maintenant ancrées dans notre vie quotidienne via les différents réseaux sociaux que nous pouvons utiliser.

DÉJÀ ESSAYÉES

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109. RÉINTERROGER
L’ORDRE

ET CELUI DES RÉSEAUX

A DES RÉSEAUX D’ACTIONS

Depuis ces plateformes, des réseaux d’actions se mettent en place pour lutter ensemble concernant une idée partagée par une partie de la communauté. L’organisation peut se créer via le même réseau, ou dévié vers d’autres modes de communication.

Les différents groupes de ‘‘collages féminicides’’ trouvent ici un moyen de mettre en lien des individu ·e s pour créer IRL 1 des méthodes de visibilisation. Ce mouvement a donc, en quelque sorte, trouvé naissance sur Internet dans un premier temps, pour en suite concevoir un mode d’action directement au contact de la ville.

1. In Real Life, dans la vie réelle, terme utilisé pour différencier une interaction via les réseaux sociaux ou en réel.

DÉJÀ ESSAYÉES

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© C o LL ages fémini C i D es L ux © C o LL ages fémini C i D es auber 93 © C o LL ages fémini C i D es Paris

SOI ET AUTRUI FACE À DES DISPOSITIFS

q uelle relation entretient - on avec autrui lorsqu ’ une table nous sépare pour discuter ?

q uelle relation entretient - on avec autrui lorsque nos pas font du bruit en marchant ?

q uelle relation entretient - on avec autrui lorsqu ’ il faut lui tenir la porte de sortie du métro ?

q uelle relation entretient - on avec autrui lorsque le passage est trop étroit pour deux ?

q uelle relation entretient - on avec autrui lorsqu ’ on se bouscule à un angle de rue ?

C omment per C evons - nous nos relations ave C autrui ?

DÉJÀ ESSAYÉES

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113. RÉINTERROGER
L’ORDRE

SOI ET AUTRUI FACE À DES DISPOSITIFS

LE CAFÉ

COSTES, DES ESCALIERS, DES URINOIRS

En 1984, ce nouveau lieu de sociabilité mondaine ouvre ses portes dans le quartier des Halles à Paris. Ouvert par Jean-Louis Costes, il a subit le travail de Philippe Starck, designer innovant. Pendant une dizaine d’années ce café devient la référence tant des parisien ·nes que des touristes à la recherche d’un autre mode d’interactions sociales et du désir de se montrer en société. Les deux éléments les plus marquants qui illustrent ce propos sont l’escalier central ainsi que les urinoirs. Philippe Starck affirme :

« Il fallait qu’il soit ludique et anoblissant de prendre l’escalier pour aller vers quelque chose considéré comme une annexe, l’étage, donc l’escalier devait être fort. S’il a cette forme de sifflet inversé, c’est qu’il fallait qu’il prenne peu de place en bas, et qu’il aille joindre les deux mezzanines de chaque côté. »

L’emplacement de cet élément lui confère une distinction particulière. Au centre, il est visible par la majorité des client ·es. Sa dimension et les motifs dessinés au sol semblent inviter à une démonstration de mondanité, de force, de puissance, d’esthétisme. Encadré par ces deux imposants poteaux, il semble marquer un temps, un moment distinct de l’expérience des usager ·es, celui de la prestation. Nul ne peut emprunter cet escalier sans imaginer les autres client ·es les regarder. La large horloge centrée par rapport à celui-ci attire le regard. Alors, on peut comprendre que cet élément architectural permet de se montrer au monde, à autrui. Il donne la possibilité de jouer un rôle, ici celui d’une vie mondaine, s’exhibant aux yeux de toustes.

114. DÉJÀ ESSAYÉES

Le second élément qui interroge de nouvelles possibilités d’interactions se situe donc au niveau des urinoirs du Café Costes. Un mur d’eau remplace les traditionnelles pissotières. (Comme si, encore une fois, les possibilités offertes par l’architecture faire profiter à un certain groupe d’individu ·es.)

Mais leur particularité semble se trouver dans leur agencement : dessinés en accordéon, et dotés de voile semi opaques, les usager ·es entreprennent une connexion quasi visuelle. Que vous puissiez trouver ça dérangeant ou intéressant, le principe pertinent résulte en la requalification de ces espaces. Peuventils apparaître comme des lieux de sociabilité ? Si oui, sous quelle forme ? Ici, la réinterrogation de l’intimité joue un rôle essentiel dans l’expérience des usager es.

Ces deux éléments architecturaux placent ce lieu de sociabilité au centre d’un nouvel agencement de l’ordre établi, tant par leur forme que par leur visée. L’un permet de se pavaner, de jouer un rôle, d’apparaître aux yeux d’autrui. L’autre place un instant comme une nouvelle expérimentation de l’intimité et de nos relations à l’autre dans ce type de moments.

DÉJÀ ESSAYÉES

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SOI ET AUTRUI FACE À DES DISPOSITIFS

SOI ET AUTRUI FACE À

DES DISPOSITIFS

LE CAFÉ BEAUBOURG

La large et élégante passerelle du Café Beaubourg lui confère une atmosphère particulière. L’organisation générale de ce lieu est conçu pour que tour à tour les usager ·es puissent se voir, puis plus. L’étage offre des vues privilégiées sur le rez-de-chaussée tandis que les usager·es qui y siègent ne peuvent que difficilement observer ce qui se déroule au dessus de leur tête. C’est cette organisation qui est particulièrement intéressante dans le rapport à l’autre. Contrairement à certains dispositifs annoncés en amont de ce propos, le but n’était pas ici de remettre en question les types de dominances mais plutôt d’offrir des espaces différenciés aux usager·es. C’est en émettant une seconde interprétation de ces dispositifs que la question de la relation à l’autre à travers l’architecture peut être mise en exergue.

118. DÉJÀ
ESSAYÉES

PROGRAMMATIONS FÉMINISTES

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.

Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » 1

DÉJÀ ESSAYÉES

1. Simone de Beauvoir, Deuxième Sexe , 1949.

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121. RÉINTERROGER
L’ORDRE

PROGRAMMATIONS FÉMINISTES

LES MUSÉES DE FEMMES

Comme expliqué précédemment, les arts sont un biais idéal pour repenser les normes, bousculer l’ordre, questionner de nouvelles façons de s’apparaître et d’être au monde.

« Dans le monde entier, des groupes de femmes se sont approprié le musée pour en faire un instrument de valorisation, d’expression et de sensibilisation. En se présentant sous cet angle, les musées de femmes poursuivent un double objectif : d’une part, celui d’interpeller le ‘‘genre’’ du musée, en soulignant que ce dernier ne valorise le plus souvent qu’une partie du patrimoine de l’humanité et en préservant plus particulièrement le patrimoine des femmes, d’autre part, celui d’œuvrer pour les droits des femmes et le développement de la société. » 1

Alors, pour répondre à l’invisibilisation de la parole et de la pensée des femmes, par leurs oeuvres par exemple, des groupes de personnes s’emparent de l’espace du musée pour redonner leur place à ces artistes dissimulées.

Pour autant ces démarches sont encore minoritaires face au gigantisme que représente l’androcentrisme au sein de notre société.

1. Julie Botte, « Les musées de femmes : De nouvelles propositions autour du genre et du rôle social du musée », Culture & Musées, 30 | 2017, 51-71

DÉJÀ ESSAYÉES

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123. RÉINTERROGER L’ORDRE

PROGRAMMATIONS FÉMINISTES

LE MUSÉE DE LA FEMME

« L’association internationale des musées des femmes (International Association of Women’s Museums) est une organisation dont le siège principal se trouve à Bonn et le conseil d’administration à Merano (Italie). Ce réseau, créé en 2008 à Merano se transforme en association à but non lucratif en 2012, à Alice Springs. Sa mission principale est de mettre en relation les divers musées consacrés aux femmes à travers le monde et de défendre leurs intérêts. » 1

On connait le Musée de l’homme, mais qu’en est-il alors d’un musée de la femme ? Ou, de façon moins binaire, du musée du genre humain ?

« Le Musée de la Femme / Women’s Museum (Canada) vise à rendre les récits et l’histoire des femmes audibles et accessibles à des publics variés de tous âges, le musée contribue aux efforts vers l’égalité hommes/femmes. Le Musée de la Femme comme un ‘‘espace tiers’’, un ‘‘territoire imaginaire’’, un ‘‘espace de survivance’’ … délie les langues. Parce que ‘‘Bien trop de femmes dans bien trop de pays parlent la même langue : LE SILENCE’’. SENGUPTA, Anasuya. (2006). Silence. » 2

Ces démarches, bien qu’essentielles, gagneraient sans doute à être plus inclusives. Penser le monde de façon binaire ne pourra pas être le bon modèle de fonctionnement d’une société.

1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Association_internationale_des_musées_de_femmes

2. https://museedelafemme.qc.ca/

DÉJÀ ESSAYÉES

124.

g a L erie D e L ’ h omme © mnhn - J-C. D omene C h

PROGRAMMATIONS FÉMINISTES

LA LÉGITIMATION

« [Cet état de vigilance] 1 se traduit par une intense diffusion de la pensée, portée par des essais à succès comme par un foisonnement de podcasts, de ‘ ‘La Poudre’ ’ à ‘ ‘Mansplaining ’’. Ces nouveaux canaux de diffusion permettent de vulgariser une pensée utilement mise en perspective à la lumière des enjeux actuels, mais leur recours témoigne, en creux, de la difficulté d’asseoir la légitimité de l’accès à la connaissance de l’histoire des combats féministes, leurs objets, leurs symboles, leurs personnages-clés. » 2

L’article écrit par Magali Lafourcade dans le Monde, distribué le 10 mai 2022, interroge la nécessité d’un Musée des conquêtes féministes. Dans un premier temps elle rappelle alors qu’aujourd’hui la connaissance de ces actions est si diluée qu’elle disparait. Certain·es s’efforcent à diffuser ces efforts et l’Histoire des acquis. Pourtant, il n’existe pas de musée accomplissant cette fonction.

« Alors que la France compte plus de 1 200 musées bénéficiant de l’appellation ‘‘de France’’, dont plus de deux cents à Paris, aucun n’est consacré à l’histoire des luttes et des conquêtes féministes. Du musée de la préhistoire (qui présente l’évolution de l’homme que par des représentations mâles) au musée du sucre d’orge, n’y aurait-il pas d’intérêt à expliquer comment les femmes ont pris part à la vie publique, aux sciences, aux arts et aux lettres ? » 3

1. Faisant référence à la citation de Simone De Beauvoir à la page 120.

2. Le monde, Magali Lafourcade est magistrate, spécialiste des droits humains, 10 mai 2022

3. Le monde, Magali Lafourcade est magistrate, spécialiste des droits humains, 10 mai 2022.

DÉJÀ ESSAYÉES

126.

Comment permettre à la population d’apprendre et de comprendre l’histoire des luttes et des conquêtes féministes si elle ne sont pas visibilisées ? La déconsidération de l’Histoire de la moitié de la population est-elle admissible ?

« Nous savons l’influence des role models féminins, conformément à l’adage what you don’t see doesn’t exist (« ce que vous ne voyez pas n’existe pas »). » 1

« Ce musée désinvisibiliserait l’action des femmes dans les mouvements de conquête des droits. En le visitant, beaucoup s’étonneraient d’apprendre l’étendue de la participation des femmes aux soulèvements populaires que notre pays a connus, ou encore que les résistantes étaient plus nombreuses que les résistants lors de la seconde guerre mondiale. (...) Un tel musée s’inscrirait évidemment dans une démarche universaliste. A ceux qui cherchent à essentialiser les femmes, à les considérer comme une diversité, une altérité, et qui prétendent, en creux, que le neutre, le référentiel universel est incarné par le masculin, un tel musée inviterait à changer de regard. » 2

Il est nécessaire de changer de regard, réinterroger les cadres, permettre à toustes de prendre connaissance des faits historiques liés aux conquêtes entreprises et accomplies par les femmes.

1. Le monde, Magali Lafourcade est magistrate, spécialiste des droits humains, 10 mai 2022

2. Le monde, Magali Lafourcade est magistrate, spécialiste des droits humains, 10 mai 2022

RÉINTERROGER L’ORDRE

127.

POUR CONCLURE

DÉJÀ ESSAYÉES

128.

Ce deuxième temps de mémoire a permis de mettre en lumière quelques acteurices qui participent à la réinterrogation d’un ordre établi. Par des dispositifs architecturaux, réfléchis dans ce sens ou non, ou encore par des œuvres musicales, par la mode ou par les arts en général, certaines méthodes sont déjà mises en place. Basées sur des idées diverses et ayant des objectifs différents, ces travaux permettent de bousculer les normes systémiques qui nous sont imposées.

Après avoir analysé ces différentes interventions, il est nécessaire de se pencher sur des dispositifs architecturaux qui permettront de commencer à créer une architecture.

RÉINTERROGER L’ORDRE

129.

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Réinterroger l'Ordre - partie 1 by Chloé Meyrueis - Issuu