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écrit par
Charlène GUYON-MATHÉ
Mémoire rédigé en vue de l’obtention du DNSEP mention Art sous la direction de Vanessa Theodoroupoulou ESBA TALM (site d'Angers) Année: 2015-2016
la fabrique de rĂŞves
avant-propos Depuis 2012, ma pratique gravite autour de mes rêves personnels. Ils constituent une source où je puise mon inspiration. Le rêve m’intéresse
parce qu’il se compose d’une infinité d’associations et qu’il est insaisissable, en particulier pour le rêveur lui-même. Après avoir expérimenté les
différentes facettes qui font la nature du rêve - ou du moins sa partie visible -, transmettre cette expérience fuyante est devenu pour moi une sorte de
nécessité. Raconter ne me suffisait plus, j’éprouvais la sensation de vouloir
fabriquer, me retrouver face aux choses ou espaces que j’avais rencontrés. J’avais envie d’être confrontée à mes rêves; ressentir un rapport physique. Ces derniers temps, le rêve s’est imposé à moi comme un matériel à user, à façonner. Il ne s’agit plus de regarder le rêve - s'il a jamais existé... - comme
un objet du passé, fini, mais comme quelque chose qui permettrait d’aller encore plus loin.
Parce que je n’ai pas de médium de prédilection et que le rêve en est lui-même dépourvu, le choix des techniques que j’utilise, fait suite au rêve. En pensant
le rêve, en le repensant, et en choisissant d’en retenir certains matériaux, plutôt que d’autres, il arrive que la forme change, se mue, se transforme plusieurs fois avant que j’obtienne sa version finale. Parfois même, le rêve me rattrape et vient modifier des oeuvres que j’avais pourtant considérées comme finies. Le rêve dans son informité permet une infinité de formes
d’art. C’est en ce sens que j’ai choisi de porter mes recherches sur des travaux très diversifiés, guidée par le désir d’explorer.
J'ai été intéressée de voir et d’interroger la pratique d’artistes qui occasionnent
eux aussi un déplacement du rêve à l’oeuvre. J’ai voulu frayer un chemin, qui esquisserait une sorte de progression dans l’exploration des différentes
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formes que peut prendre le rêve en art. J’ai donc choisi de débuter mon
mémoire avec une réflexion sur la tentation ressentie par plusieurs artistes de matérialiser un rêve, ce très fort désir de rendre présent ce qui est par
essence « absent ». Car si le rêve est une réalisation de désir, la création
artistique en est aussi une. Les artistes qui travaillent à partir du rêve, vont
ainsi exprimer le leur: rendre palpable l’impalpable, rendre visible l’invisible, et le difficilement dicible dicible. Le rêve qui « n’existe qu’à l’instant où il a
cessé d’exister » 1, subit nécessairement la manipulation de l’artiste. Et c’est
cette manipulation, et les oeuvres qu’elle engendre, que j’entends observer. Ensuite, il ne sera plus question de parler d’oeuvres qui procèdent du rêve, mais du rêve qui procède des oeuvres. Un fantasme qui tend en tout cas à produire une expérience intérieure à rapprocher du rêve. Ce sont des
oeuvres qui, en suggèrant l’absence, vont accorder une place majeure à leur investissement psychique par le spectateur.
Fuyant, impalpable, invisible, indicible. Plongée dans cet univers, je me suis
rendue compte que c’était cette résistance qu’opposait le rêve à la transmission
ou à la représentation, qui m’intéressait. Et que finalement, c’est ce qui
participe à la puissance du rêve. Le rêve se dérobe, le rêve n’est jamais dans un ici et maintenant. J’ai donc entrepris avant toute chose de m’attarder sur le fuyant, avec l’objectif de mieux en comprendre l'origine et les enjeux en art, du Siècle des Lumières à aujourd’hui. J’ai voulu mettre en exergue
les faits psychiques mais aussi l’occultisme, parce qu’ils ont été explorés
conjointement, et que pour les surréalistes comme pour les romantiques ils ont tous deux permis de se détourner de la conscience, de la raison: tout simplement du réel.
1 Stamatopoulou, Zoé, « Comprendre les relations entre rêve et pathologie organique selon la pensée de Sami-Ali. », Le Coq-héron 4/2007 (n° 191) , p. 101-105
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Ce qui nous éc happe ...
« Il semble évident que l ’art tout entier soit mû par le désir de
trouver l ’invisible et de le montrer, comme si l ’artiste avait de
façon innée le don (et le devoir) d ’ouvrir l ’oeuvre sur le monde de la
mystique, ou encore, plus simplement, « d ’ouvrir un monde » .» Anne Cauquelin, Fréquenter les incorporels, 2006
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Le 18 e siècle, Siècle des Lumières, donne naissance à un phénomène
pourtant bien obscur: la fascination pour l’irrationnel et l'occulte. A cette
époque, l’art cesse d'être « illustration de contenus ou de valeurs hétérogènes » 2, s’éloigne du religieux et projette ainsi son indépendance. Se tourner vers
l’occulte, le spirituel, et le surnaturel est à l’époque une façon d’exprimer un désir d’autonomie naissant. Paul Valéry décrit cette période comme l’une des époques les « plus brillantes et complètes »
3
que des hommes aient jamais
connue. Elle apparaît florissante parce qu’elle fait coexister les contraires. « Il
y a de la magie et du calcul différentiel ; autant d’athées que de mystiques ; les plus cyniques des cyniques et les plus bizarres des rêveurs. » 4
Par la suite, le romantisme, et en particulier le romantisme allemand va s’attacher à « saisir le monde comme une totalité »
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à laquelle croyance,
art et science participent. En souhaitant rompre avec la raison, ce courant va exprimer une attirance non dissimulée pour les ténèbres, le rêve et le
merveilleux 6, en définitive pour ce qui lui est incompréhensible et mystérieux. 2 Cauquelin, Anne, Fréquenter les incorporels, Contribution à une théorie de l'art contemporain, Paris, Lignes d'art, 2006, p.10 3 Payot, Daniel, «Souvent dans l’être obscur …», Serge Fauchereau et Joëlle Pijaudier-Cabot, L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, Musées de la ville de Strasbourg, p.60 4 Poirier, Mario, «Le mystère Swedenborg : raison ou déraison ?», dans Santé mentale au Québec, Vol. 28, n° 1, printemps 2003, p. 258-277. Mis en ligne: http://id.erudit.-orgiderudit/006991ar 5 Recht, Roland, « La grande lumière du monde se diffracte en mille couleurs… », Serge Fauchereau et Joëlle Pijaudier-Cabot, L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, Musées de la ville de Strasbourg, 2011, p.101
12
Emanuel Swendenborg, scientifique et philosophe suédois, va s’avérer être
d'une grande influence pour les romantiques. À priori destiné à suivre un
parcours d’ingénieur, il se tourne petit à petit vers un monde imperceptible: il mène notamment une recherche conséquente dans le but de trouver à l’âme une présence physique, aussi prend-t-il pour habitude de noter ses rêves. En 1743, il fait sa première crise mystique, et déclare avoir été « introduit dans le monde des esprits » 7. À la suite de cette expérience, il lui arrive d'entrer
en communication avec Dieu ainsi qu’avec des extraterrestres. Il finit par abandonner ses recherches scientifiques pour se consacrer essentiellement
à la rédaction de ce que lui offrent ses visions. Il s'attache à retranscrire les conversations qu’il croit tenir avec l’au-delà. Il est une référence pour beaucoup de romantiques, et d'ailleurs Nerval et Téophile Bra, comme Swedenborg, retranscriront leurs crises d’hallucinations. 8 Les romantiques
européens se reconnaîtront aussi particulièrement en William Shakespeare, parce qu’il aborde des thèmes qui les séduisent, et qui coïncident avec leurs intérêts croissants pour les légendes. La pensée romantique accorde une
place toute particulière à la nature parce qu’elle leur fait l’effet d’un miroir qui amène l’homme à méditer sur lui-même. Enfin, ils encensent la nuit et l’activité de rêve car pour eux, « c’est par l’intermédiaire de la vie intérieure (…) que l’homme est le plus étroitement en relation avec l’univers. »
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C’est parce qu’ils vont refuser la situation de l’Europe d’entre-deux-guerres, que les surréalistes vont choisir de bouleverser le monde de la conscience et de
la raison. Ils vont trouver leur intérêt ailleurs que dans le domaine conscient, et prendre le parti de faire abstraction des conditions extérieures. : « il n’y a 6 Fauchereau, Serge et Pijaudier-Cabot, Joëlle, Introduction, L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, Musées de la ville de Strasbourg, 2011, p.21 7, 8 Fauchereau, Serge, L’Europe de l’obscur, Ibid., p.69 et p.97 9 Recht, Roland, « La grande lumière du monde se diffracte en mille couleurs… », Ibid. , p.111
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pas de compromis possible avec un monde auquel une si atroce mésaventure n’avait rien appris » 10, souligne André Breton lors de ses Entretiens. En se
tournant vers autre chose, il s'agit pour les surréalistes de tendre à dissiper « la frontière entre rêve et réalité, inconscient et conscient »
11
, faire primer
l’évasion de l’esprit. Partir à l’exploration de l’esprit humain, c’est aussi laisser
de côté tout ce qui a trait à la perception, à la nécessité logique ou à la convenance morale. Tout leur intérêt se trouve dans l’inconnu, un inconnu
qui rassemble imagination, liberté, merveilleux, inconscient et hallucination. 12
Dans son Manifeste du surréalisme, en 1924, André Breton introduit la
notion de surréalisme ainsi: « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. » 13 Les surréalistes
vont s’attacher à pratiquer l’écriture automatique, les collages, les cadavres
exquis… avec ce genre de pratique, la question n’est pas d’apporter du non-
sens mais bien de défier le sens dans le but de capter « une réalité cachée » qui apporterait une « nouvelle dimension de connaissance » 14. Si Louis
Aragon, dans une Vague de rêves, affirme que le surréalisme est né du rêve , 15 il faut aussi prendre en considération le fait que ce mouvement a débuté avec
un grand intérêt pour l’ésotérisme. En effet pour André Breton, au même
titre que le rêve, la magie est un moyen d’ « investigation et d’intervention extra-rationaliste » 16. Le surréalisme fait appel à l’occultisme en s’intéressant
notamment à l’astrologie, l’alchimie, la kabbale et la métapsychique. En 1922, René Crevel suggère pour la première fois à un petit comité, constitué entre
autres de Breton, Desnos et Péret, de pratiquer des expériences médiumniques. 10 Breton, André, Entretiens (1913-1952), Paris, Gallimard, 1952, p.40 11, 12 Picon, Gaëtan, Journal du Surréalisme: 1919-1939, Skira, 1976, p.12 et p.61 13 Breton, André, Manifestes du surréalisme (1924), Gallimard, Folio essais, 1985 p.24 14 Picon, Gaëtan, Journal du Surréalisme: 1919-1939, Skira, 1976, p.44 15 Aragon, Louis, Oeuvres poétiques complètes vol. 1, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007 16 Breton, André, et Legrand, Gérard, L'Art magique, Phébus, 1991
14
« L’identité des troubles provoqués par le surréalisme, par la
fatigue physique, par les stupéf iants, leur ressemblance avec le
rêve, les visions mystiques, la sémiologie des maladie mentales,
nous entrainèrent à une hypothèse qui, seule, pouvait répondre à
cet ensemble de faits et les relier: l ’existence d ’une matière mentale, que la similitude des hallucinations et des sensations nous forçait à envisager différente de la pensée, dont la pensée même ne pouvait
être, et aussi bien dans ses modalités sensibles, qu’un cas particulier » Louis Aragon, Une Vague de rêves, 1924
17
apparitions, faits psychiques ... Cependant, si pour André Breton l'occultisme demeure une grande
préoccupation, il est aussi à l'origine de désaccords au sein du groupe surréaliste et Philippe Soupault ne dissimulera pas son scepticisme. C'est
précisément cette remise en question du phénomène de l’apparition - de par sa nature subjective - qui a retenu mon attention. Je me suis donc intéressée
à l'étude menée par Aniela Jaffé, l’une des principales collaboratrices de Carl
Gustav Jung, dans son ouvrage Apparitions: Fantômes, rêves et mythes. Elle
repose ses observations sur des témoignages et récits qu’elle trouve dans des publications. Il est intéressant de noter qu’elle les appréhende comme des « faits psychiques » et qu’ainsi elle abandonne la question de la vérité pour s’attacher véritablement à la façon dont procède une apparition: Qui voit un revenant? Dans quelles conditions psychiques? Quelle en est la nature? Elle
mène son enquête, mais une enquête qui oppose ses propres limites puisque
l’apparition conserve une « écrasante part de mystère » 18. Aniela Jaffé 17 Aragon, Louis, Oeuvres poétiques complètes vol. 1, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007 18 Gustav Jung, Carl, « Préface », dans Aniela Jaffé, Apparitions, Mercure de France/Le Mai, 1983
15
souligne l’importance de la transmission, et mentionne Hans Driesch
19
,
qui va instituer la façon de rapporter l’expérience de phénomènes occultes. Pour qu’un récit (de prémonition, de clairvoyance, de rêve prophétique) soit
validé, il nécessite d’être mis par écrit et confié à une personne fiable. « Dans les cas de fantômes, d'apparitions, etc., chaque incident particulier doit être
soigneusement observé et vérifié. » 20. On comprend ainsi que la transmission,
au même titre que le concept d’initiation, est une préoccupation au coeur des
parasciences (magnétisme, hypnose) et des pratiques divinatoires … Aussi, on ne trouve pas toutes les clés dans les écrits, le partage se fait principalement entre individus. Parfois ce sont les médiums qui servent « de trait d’union
aux Esprits pour que ceux-ci puissent se communiquer aux hommes, de
façon tangible, mentale, scriptive, physique et de quelque sorte que ce soit. »
21
. Aniela Jaffé met l’accent sur l’état de conscience dans lequel se trouve
celui qui fait l’expérience d’une apparition: « dans la plupart des expériences
rapportées dans les lettres, le pont indique la transition entre ce monde-ci et l'autre, et il a fréquemment affaire à la mort. C'est le symbole du lien entre
"ici" et "là-bas", le présent et l'éternel, ou, en termes psychologiques, entre
conscience et inconscience. » 22. Lorsque celui qui a une vision, se retrouve
dans un état transitoire, semi-conscient, on peut même aller jusqu’à parler de perception extrasensorielle; il fait alors l’expérience de quelque chose d’imperceptible à tous les niveaux: hors de portée des cinq sens.
Et c'est justement sur la notion de perception, que va s'attarder le philosophe Paul Souriau pour distinguer les faits psychiques des objets matériels. En 19 Driesh, Hans, philosophe et « pionnier allemand de la reconnaissance de la parapsychologie comme branche de la science », Aniela Jaffé, Apparitions, Mercure de France/Le Mai, 1983, p.21 20 Jaffé, Aniella, Apparitions, Mercure de France/Le Mai, 1983, p.21 21 Rivail, Léon, Livre des médiums, 1861 cité: Serge Fauchereau, Joëlle Pijaudier-Cabot, L’Europe des esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950, Musées de la ville de Strasbourg, 2011, p.132 22 Jaffé, Aniella, Apparitions, Mercure de France/Le Mai, 1983, p.43
16
effet, il admet que les faits psychiques « ont cette particularité, de ne pouvoir
être perçus du dehors, à la façon dont nous percevons les objets matériels, mais seulement du dedans, par introspection. » 23. Si le psychique est aussi
réel que le matériel, rien ne l’atteste en soi, il ne peut pas être « vu, touché, entendu, senti. » 24. Là encore si les signes extérieurs manquent, si rien ne
transparaît, c’est la transmission qui va permettre de l’appréhender. Et au regard de la psychanalyse transmettre l’activité psychique va s’avérer être
un concept fondamental. Dans le cas du patient qui suit une psychanalyse, il doit transformer ses pensées en langage et David Foulkes, psychologue cognitiviste, insiste sur l’importance de la pensée, lorsqu’il entreprend d’étudier « les souvenirs oniriques issus de réveils au cours du sommeil lent. » 25
. En demandant à ses sujets « Avez-vous pensé à quelque chose?" plutôt que:
"Étiez- vous en train de rêver?" » 26, il arrive à retirer davantage de matière à analyser qu’en se limitant à la question du rêve. Il apporte ainsi au récit
transmis des détails supplémentaires que le dormeur n’aurait pas appréhendés comme faisant partie du rêve. Serge Viderman, lui-même psychanalyste, met
en exergue le rôle de l’analyste en disant ceci: « L'oreille de l'analyste n'est pas un organe d'audition, mais un organe de transformation. Elle entend
moins un langage qu'elle ne trouve les sens possibles d'une parole qui ne veut rien dire que ce que l'analyste lui fera bien dire » 27. Freud va d’ailleurs
suggérer la division du psychisme en deux parties: une part consciente et une
part inconsciente. La seconde est étrangère à la première parce qu’elle subit le refoulement. En fait, « sur la scène psychique le sujet n’est pas transparent à lui-même » 28, et c’est avec cette affirmation que « Freud fait éclater l’unicité 23, 24 Souriau, P, La perception des faits psychiques, dans L'année psychologique, 1906 vol. 13, p.51-52 25, 26 Jouvet, Michel, Le Sommeil et les rêves, Odile Jacob, 2000, p.110 27 Vidermann, Serge, La construction de l’espace analytique, Paris, Gallimard, 1982, p.343 28 Manon, Simone, Freud ou l'hypothèse d'un inconscient psychique, Mis en ligne: http://www. philolog.fr/freud-ou-lhypothese-dun-inconscient-psychique/
17
de la personne »
29
, il reconnaît une part d’obscurité inhérente à l’individu,
qui le rend pour ainsi dire étranger à lui-même. Le psychanalyste intervient donc entre le patient et lui-même, en médiateur, afin de lui faire se révéler : «
quelque chose qui est de l’ordre de la trace mnésique, affective, inconsciente, et qui aliène, bloque l’expression positive des possibilités psychiques. » 30
Faits psychiques et phénomènes occultes, impliquent donc l’investigation. Les zones d'ombres qu'ils occasionnent vont alimenter la pratique d'artistes contemporains. Des artistes qui, dans leur travail, en général, éprouvent (tout comme les surréalistes) l’envie commune « d’ouvrir un monde »
31
et
s’intéressent explicitement à ce qui leur échappe. Dans des travaux comme
Golden, Brown and Blue de Meris Angioletti ou avec l’oeuvre Traumathèque de Berdaguer et Péjus on retrouve la volonté d’initier le spectateur à se replonger dans ses pensées ou ses souvenirs, comme une invitation à parcourir son Moi intérieur.
Susan Hiller, elle, tente de concilier inconscient et mythe, dans son projet Dream Mapping. Je vais revenir à cette artiste plus tard, car il est important de
noter que toute sa pratique est fondée là-dessus. Rêverie, transe, hallucination, spiritualité… sont au coeur de ses préoccupations. Elle en parle d’ailleurs de
cette façon: « Je tiens à dire à propos de mon propre travail que je me suis engagé à travailler avec les fantômes: le négligé, le rebut, le fragmentaire, une
version du monde qui est invisible pour la plupart des gens, mais intensément réel pour quelques-uns. » 32 Ce qui l’intéresse, au sein de sa pratique, c’est 29, 30 Manon, Simone, Freud ou l'hypothèse d'un inconscient psychique, Mis en ligne: http://www. philolog.fr/freud-ou-lhypothese-dun-inconscient-psychique/ 31 Cauquelin, Anne, Fréquenter les incorporels, Contribution à une théorie de l'art contemporain, Paris, Lignes d'art, 2006, p.10 32 Traduction: Hiller, Susan, The Dream and the Word, black dog publishing, 2012
18
véritablement ce problème de « traduction » et par là même, la recherche
de mise en visibilité d’un imperceptible. Avec son projet Dream Mapping, en 1973, elle fait croiser légende et expérience onirique en réunissant sept rêveurs pendant trois nuits et en les faisant dormir à l’intérieur de ronds
de sorcières 33, en Angleterre. Entre expérimentation et performance sans
public, il s’agit alors de percevoir les corrélations possibles entre chacune des nuits rapportées par les rêveurs. Les dessins et cartographies de rêves copiés sur transparents vont, par un jeu de superposition, présenter des caractéristiques communes, se recouper, créer des connexions.
Si Susan Hiller fait communiquer rêves et mythes avec la curiosité de
voir ce qu’il peut en ressortir, des artistes vont aller jusqu’à s’inspirer de l’occulte pour créer de toutes pièces leurs propres propositions. Religion
et langage passionnent et deviennent générateurs d’un art fiction. Charles
Burns, auteur de la trilogie Toxic, Calavera, La Ruche, une bande dessinée, sort une version pirate du premier tome de sa trilogie. Pour cette fausse version pirate, qu'il intitule Johnny 23 il réinvente Toxic.(fausse parce que
c’est lui qui l’initie) il agence, en fait, le matériel de la version originale de manière différente, en ajoutant de nouvelles cases et en remplacant le texte
par un alphabet imaginaire. En créant son propre langage, et en le rendant
ainsi incompréhensible à la première approche, il fait, de cette version, un objet en proie à de nouvelles connexions et interprétations. Un objet
rare qui demande à être décrypté pour dévoiler l’intrigue. Dans la version
originale, l’histoire est déjà énigmatique puisque Burns balade le lecteur entre séquences oniriques et vie diurne. Mais dans Johnny 23, il va encore plus loin et réutilise de façon exclusive un langage qu’il avait déjà intégré
lors de scènes de rêves de la trilogie. Ce nouvel usage rajouté à sa pratique 33 Le rond de sorcière est un phénomène naturel qui a abreuvé de nombreux mythes
19
Charles Burns, Johnny 23, Le Dernier Cri, 2010
Jim Shaw, The Donner Party, Installation, Grenoble, 2003
du cut-up fait apparaître de nouveaux détails sur l’histoire. Une manière
peut-être de matérialiser le monde rêvé de la trilogie et de l’inscrire enfin, dans le monde réel. Par ailleurs, le langage de Burns (décalque de l’alphabet latin) rappelle celui de la médium Hélène Smith qui, fin 19 e se découvre le
pouvoir de communiquer en langage martien lors de ses épisodes de transe somnambulique. Un langage qu’elle prendra soin de restituer et de traduire.
De même, Jim Shaw exprime un très grand intérêt pour la culture vernaculaire
et il détient d’ailleurs, une importante collection d’art liée aux sociétés secrètes. Il va véritablement s’investir sur un projet de longue haleine en
développant l’ambition de créer une nouvelle religion: l’O-ism. Religion fictive du 19 e siècle, elle serait née à la même époque que le mormonisme
et bon nombre d’autres religions, florissantes à l’époque. Son dieu est une
déesse symbolisée par la lettre O. Pour tenter de la rendre effective il réalise toutes sortes de documents qui attestent de la croyance en cette religion, il
invente des personnages, avec notamment la figure fondamentale d’Adam
O Goodman, à la fois artiste peintre de tableaux à l’esthétique abstraite et « empreints de spiritualité », et qui, sous le pseudonyme d’Archie Gunn, réalise
des affiches de films O-istes. Pour donner du poids à cette religion, il s’est appuyé sur celles qui existent déjà tout en gardant à l’esprit sa motivation première, celle de construire « un modèle de société de type science-fiction à partir d’une nouvelle religion. » 34.
Shaw, Hiller et Burns, ont trouvé en l'ésotérisme - comme dans le rêve -, une
façon de construire leurs propres fictions et ainsi de continuer à produire du mystère.
34 Shaw, Jim, Introduction à l’O-isme, Mis en ligne: http://www.fondation-entreprise-ricard.com
21
rêves « Le rêve ne constitue-t-il pas la dernière frontière
d'une des dernières frontières de la recherche scientif ique, celle de la connaissance du cerveau par le cerveau? » Michel Jouvet, Le Sommeil et le rêve, 1992
35
Au 17e siècle, l’étymologie du mot rêver « resver » signifie délirer, il est
donc associé au domaine de la folie avant de connaître sa définition actuelle faire des rêves. « Il est tour à tour employé comme le résultat d'une
vision prophétique, païenne ou chrétienne (Ronsard, Corneille), songe
prémonitoire dans la conscience populaire (Molière), illusion (Du Bellay, Racine) » 36 avant de prendre une tournure plus « méditative » et d’être aussi
assimilé à la rêverie.
Si le rêve et la rêverie se rejoignent en ce qu’ils relèvent tous deux du domaine de l’imaginaire, il est important de souligner que la rêverie survient en état
de conscience: c’est l’esprit qui se laisse aller à fantasmer; tandis que le rêve intervient au cours du sommeil. Freud le définit comme « l’activité d’âme de
celui qui dort, dans la mesure où il dort » 37. Il en fait son objet de recherche
psychanalytique parce qu’il s’avère qu’en plus d’être un symptôme névrotique, il se présente comme un symptôme observable chez chacun, même les bien portants. À une époque où la médecine ne s’intéresse pas aux rêves et les tient
pour des hallucinations dénuées de sens, c’est avec L’Interprétation des rêves 38 35 Jouvet, Michel, Le Sommeil et le rêve, 1992 cité par: Sivry, Sophie (de) et Meyer, Philippe, L’art du Sommeil, Paris, Empecheurs de Penser En Rond, 1995, p.111 36 Dula-Manoury, Daiana, Eminences du rêve en f iction, Paris, L’Harmattan, 2004, p.23 37 Freud, Sigmund, L’interprétation du rêve, Quadrige, Paris, 2010, p.27 38 Freud, Sigmund, Die Traumdeutung, (Edition originale) Franz Deuticke, 1900
22
que Sigmund Freud va révolutionner la connaissance du rêve. Il introduit de
nouvelles notions et notamment le contenu latent et le contenu manifeste. Freud est catégorique: pour lui, le rêve est toujours l’expression d’un désir
refoulé; et le contenu qui s’impose à nous en rêve, n’en est que la partie manifeste qui a été transformée par la censure. Ce travail de transformation
qu’il appelle travail « d’élaboration du rêve », travestit les pensées du rêve (ou
contenu latent) et les condense pour donner lieu au rêve tel qu’on le connaît. « L'état de rêve comme l'état d'éveil, est, un point c'est tout. »
Susan Hiller et David Coxhead, Les rêves visions de la nuit, 1976
39
L’expérience onirique, caractéristique de tout être vivant, a la qualité d’être
à la fois une expérience partagée et intime. Pour autant le rêve s’oppose « aux exigences de la science exacte » 40, et son étude a rapidement montré ses
limites. Yves Delage l’explique en définissant la science du rêve à la fois comme une science d’observation et une science historique. L’observation y joue un
rôle fondamental mais à la fois le rêve qui « ne peut jamais être reproduit » 41
est toujours étudié après coup, par « l’intermédiaire du souvenir » 42, de telle
sorte que celui qui investigue sur le rêve, n’en retire aucune certitude. Freud souligne d’ailleurs la pauvreté des contributions que la science a apportées à la connaissance du rêve, la seule découverte dont « nous soyons redevables
à la science exacte, se rapporte à l'influence qu'exercent sur le contenu des rêves les excitations corporelles se produisant pendant le sommeil » 43. Les
découvertes attribuées à la science exacte vont se fonder essentiellement
39 Hiller, Susan et Coxhead, David, Les rêves visions de la nuit, Paris, Seuil, 1976, p.4 40 Freud, Sigmund, « Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p.70 41, 42 Delage, Yves cité par Jacqueline Carroy, Nuits Savantes Une histoire des rêves (18001945), Paris, editions EHESS, 2012 43 Freud, Sigmund, « Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p.73
23
sur des aspects physiologiques. En 1953, Eugen Aserinsky et Nathaniel
Kleitman découvrent le Mouvement Oculaire Rapide, un phénomène qui se produit durant la phase de sommeil paradoxal, phase qui constitue la
majorité des rêves dont on se souvient (aussi parce qu’elle intervient en fin
de nuit). Le MOR (ou REM en anglais) a suscité l’hypothèse d’être lié au
contenu du rêve, comme l’expression d’un mouvement traduisant le regard
du rêveur. On a appris depuis, qu’on rêve aussi en dehors de ces périodes de sommeil paradoxal parce qu’on a réveillé des personnes qui ont été capables de raconter un rêve. Cependant depuis l’époque où Michel Jouvet a fait cette découverte, il est resté plaisant de se dire que ces mouvements sont
liés, d’une certaine façon, à l’activité du rêveur, qu’ils représentent une sorte d’éveil à l’intérieur même du sommeil.
Si le sommeil se présente en quelque sorte comme l’enveloppe du rêve, pour
le neurobiologiste Jean-Pol Tassin, comme pour Bergson, Maury et Freud, c’est du réveil que procède le rêve. 44 « Le rêve se forme au réveil parce qu’il entre dans la conscience à ce moment-là et c’est là qu’il se fait. » Le rêve existe donc parce qu’il y a à la fois sommeil et réveil. 45 Le célèbre exemple du
rêve de la guillotine d’Alfred Maury avait déjà confirmé l’hypothèse qu’un
court instant suffisait pour engendrer un long rêve, et que l’élaboration du rêve s’effectuait au moment du réveil. Freud soupçonne d’ailleurs un rapport
très étroit entre sommeil et rêve, constatant qu’on est à la fois souvent réveillé par un rêve, et que - vice-versa - l’on fait souvent un rêve au moment du
réveil. Il projette le rêve « comme un état intermédiaire entre le sommeil et la veille » 46
44, 45 Tassin, Jean Pol, « Le rêve naît du réveil », Dormir, Rêver..., Centre Pompidou, 16 Avril 2005 46 Freud, Sigmund, « Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Payot, 1976, p.74
24
En 1930, Hans Berger découvre qu’il est possible de faire la différence entre
sommeil et éveil et de mesurer les ondes cérébrales en plaçant des électrodes sur le crâne. Descartes, dans le Traité de l ’homme avait déjà introduit cette question en observant les changements d’états opérés par le cerveau:
« La substance cérébrale est molle et pliante (…) Tantôt elle gonfle
et se tend, c'est là la veille. Tantôt elle se relâche en partie et ce sont
là les songes. Aux changements de la forme, la science contemporaine a substitué l'analyse microscopique et moléculaire: le sommeil naît de l'excitation d'abord faible, puis de plus en plus forte, de régions profondes du cerveau et du tronc cérébral, accompagnée d'une
extinction progressive de la partie superf icielle du
cerveau qui est responsable de l'état de veille. » René Descartes, Le Traité de l'homme, 1648 47
Il existe avant l’art du rêve, un art du sommeil. Tandis qu’on ne peut se saisir du rêve de façon mimétique, des artistes vont s’intéresser de plus près à la
question du sommeil. Quelle est la nuit du dormeur? Qu'est-ce qui émerge du sommeil?
Pour présenter le rêve on s’est attaché à représenter le sommeil avec la figure du dormeur. Tous les sommeils: du réparateur à l’agité, de la bienheureuse bonne femme endormie du Rêve de Picasso, à la dormeuse
torturée d’Heinrich Füssli dans Le Cauchemar. On s’intéresse au sommeil
de l’autre comme Sophie Calle et ses dormeurs (proches et inconnus) qui
se succèdent les uns aux autres à passer une nuit dans son lit. Elle leur prête 47 Sivry, Sophie (de) et Meyer, Philippe, L’art du Sommeil, Paris, Empecheurs de Penser En Rond, 1995, p.111
25
Pablo Picasso, Le Rêve, 1932
Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1781
son lit, contre un peu de leur nuit qu’elle questionne et photographie comme
un échange d’intimité. Virgile Novarina tente lui, de capturer de façon clandestine, celui qui se laisse submerger par le sommeil, fatigué, dans les
transports en commun et interroge son propre sommeil dans l’espace public. La performance En Somme s’expose dans des vitrines et de jour. Enquêteur
du sommeil, il en garde traces écrites, dessinées, photographiques et filmées. Mais ce que j’affectionne avec les projets de Laurent Montaron et Alexandre Gérard (Somniloquie et Nocturnal), c’est qu’ils vont s’attacher à mettre
en exergue une matière qui a, non seulement le pouvoir de suggèrer des
préoccupations de la vie diurne mais aussi le contenu du rêve: la somniloquie. Autrement dit: les paroles prononcées en dormant. Alexandre Gérard, en
2001 entreprend d’enregistrer ses propres somniloquies après qu’on lui ait répété plusieurs matins de suite qu’il parle dans son sommeil. L’enjeu est alors à l’époque de trouver une machine capable de l’enregistrer sur une durée
assez longue: le temps d’une nuit. Il finit par trouver un petit enregistreur capable d’enregistrer cinq heures d’affilée et décide de capturer chacune de
ses nuits pendant trois mois. La captation terminée, il archive ses séquences de somniloquies et les réunit dans un projet qu’il intitule: Nocturnal. Il est
d’ailleurs intéressant d’en revenir à l’origine de ce mot, puisque c’est Antoine Charma, philosophe obsédé par le sommeil, qui (vers 1830) propose d’utiliser
le mot nocturnal pour signifier le journal de nuit ou les mémoires de son sommeil. Si ce terme ne sera pas reconnu par la suite, le journal de nuit
est une pratique qui « perdurera chez les médecins, les psychologues et les amateurs de médecine et de psychologie » 48. Le nocturnal d’Alexandre Gérard
rejoint celui de Charma du fait qu’il « détient l’objectivité de documents ou 48 Carroy, Jacqueline, Nuits Savantes Une histoire des rêves (1800-1945), Paris, editions EHESS, 2012, p.37
27
de vestiges archéologiques et constitue aussi des archives de soi, investies personnellement et porteuses d’une biographie » 49. La différence tient en ce
que le journal d’Alexandre Gérard se fait sans lui - ou plutôt avec lui mais sans sa conscience (grâce à la technologie). Des enregistrements, il ne garde que les moments parlés, qui ensemble finissent par constituer une bande sonore de 22 minutes 34 secondes. Dans un deuxième temps, il réalise que les
langues qu’il parle, lui semblent souvent inconnues. Il décide de soumettre ses enregistrements à différentes personnes à même de traduire différentes
langues étrangères. Entre 2002 et 2004 il récolte diverses transcriptions. Nocturnal est un projet qui, lors d’expositions, prend la forme d’installation à écouter au casque, mais il fait aussi de ce projet une édition parue chez Semiose. Elle se présente ainsi: un CD qui fait aussi office d’illustration de la page de « couverture » (dessus est imprimée la photographie de son lit et
de la perche qu’il a tendue au-dessus de son lit). Dans les premières pages, il explique le principe de son projet, puis référence chacune de ses somniloquies
avec son lieu, sa durée et sa position dans l’enregistrement. À la suite de
quoi, il note, par pays, les transcriptions qu’il a récoltées en norvégien, russe, bulgare, roumain … turc, mandarin, japonais. Le but est en fait de voir si
ses mots correspondent à quelque chose en l’une ou l’autre de ces langues. Au final, les traductions se croisent, deux traducteurs pouvant avoir chacun
leurs propres interprétations des mots marmonnés par Alexandre Gérard. Ce qui est compris « No Sir » par le traducteur anglais donnerait aussi « Nasil? » en Turc. Il précise qu’il ne sait parler que français, et de cette façon il interroge les croisements « possibles entre réel et imaginaire » . 50 Cette
idée est par ailleurs particulièrement importante dans le projet Somniloquie de Laurent Montaron, mais il l’aborde d’une autre façon. Il n’est plus dans 49 Carroy, Jacqueline, Nuits Savantes Une histoire des rêves, Paris, editions EHESS, 2012, p.37 50, 51 Fabre, Romaric, Mis en ligne: http://artsplastiques.ac-bordeaux.fr/isabelle/montaron.htm
28
l’auto-observation et s’intéresse aux monologues du dormeur en général qu’il grave sur des vyniles. Il joint à son installation une photographie du
dispositif de prise de son. Laurent Montaron appréhende la somniloquie, de la même façon que Freud et André Breton considèrent le rêve (s'il m’est autorisé de jouer sur les mots) comme une voi(e)x d’accès à l’inconscient. La somniloquie laisse transparaître l’agir du rêve, elle est pour lui « la restitution
sonore d'une "fiction onirique", la transcription verbale de l'univers psychique du rêveur qui, au départ est fait essentiellement d'images. »
51
Alexandre Gérard, Nocturnal, 2001
Laurent Montaron, Somniloquie, 2002
29
...et qu'on essaye de rendre visible
« On n’a pas assez souligné le primat du visible dans le rêve; le rêve c’est ce qui rend visible, donne sa place de visible
au déjà-vu, devenu invisible. »
JB Pontalis, Entre le rêve et la douleur, 1977 52
On sait maintenant que le subconscient ne crée rien de toutes pièces, qu’il
puise tout son matériel à l’état d’éveil et le transforme.53 Et si les aveugles de naissance n’ont, quand ils rêvent, accès à aucun contenu d’image, 54 l’homme
qui voit, rêve bel et bien en images. Même si le rêve s’accompagne « de
sentiments, d’idées, d’impressions fournies par des sens autres que la vue (…) ce sont les images qui dominent » 55.C’est donc assez spontanément que
le rêveur va tenter de s'exprimer avec des images, pour rendre compte de ce qui lui apparaît en tant qu’« images sensorielles »
56
: le contenu manifeste.
En fait le rêve, comme l’art visuel, engage « un travail qui permet que les
pensées y soient rendues à l’aide de traces visuelles » 57. Il y a alors un parallèle
à faire entre les deux puisque tous deux «connaissent la condensation, le déplacement et la prise en compte de la figurabilité. »
58.
un objet de rêve ... Pour les surréalistes, la représentation du monde physique est devenue obsolète (notamment avec le perfectionnement du cinéma, la photographie) et seule compte l’expression des phénomènes psychiques: c’est-à-dire
«
52 Pontalis, JB, « Entre le rêve-objet et le têxte-rêve », dans Entre le rêve et la douleur, Paris, Gallimard, 1977, p.27 53 Freud, Sigmund, « Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p.157 54 Bourguignon, André, «Sciences et Techniques: le rêve » , Les matinées de France Culture, 26/05/2015 55 Freud, Sigmund,« Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p.157 56 Freud, Sigmund, cité dans: Les rêves voie royale de l’inconscient, Tchou, Paris, 1976, p.59 57 Vancheri, Luc, Les pensées f igurales de l'image, Paris, Armand Colin, 1971 58 Freud, Sigmund, cité dans: L'interprétation des rêves, 1900, Ligeia, Le rêve au cinéma, 2014, p.161
32
l’objectivation de l’activité de rêve, son passage dans la réalité »
59
. C’est
cette absence, au sein du réel, qui va justifier la démarche de l’artiste. Il va
souhaiter donner une consistance à l’objet apparu en rêve et ce malgré le fait
que le rêve éprouve une résistance à la représentation. André Breton, en 1924, dans l ’Introduction sur le peu de réalité, propose de fabriquer et mettre en circulation des objets rêvés. Ainsi les objets d’origine onirique vont incarner
de « véritables désirs solidifiés » 60. L’artiste qui puise au sein du rêve, cherche
à rapporter quelque chose de nouveau: un savoir, une perception, une image qui le fascine.
« Le rêveur créatif reconnaît la valeur de l'état de rêve comme celle de l'état d'éveil, tous deux représentant des modes de perception distincts
tandis que l'objet de rêve est jeté comme un pont pour les relier. »
Susan Hiller et David Coxhead, Les rêves visions de la nuit, 1976 61
André Breton, Rêve - Objet, 1935 59 Breton, André, «Crise de l’objet (1936)» Le Surrealisme et la Peinture, 2002, Gallimard, p.167 60 Goutier, Jean-Michel, André Breton Je vois j’imagine, Gallimard, 1991, p.4 61 Hiller, Susan et Coxhead, David, Les rêves visions de la nuit, Paris, Seuil, 1976, p.86
33
Il va donc être question ici d'artistes qui, dans le but de transmettre, ont
éprouvé la nécessité d’arracher un élément au rêve pour lui attribuer une apparence physique. Rendre solide un rêve c’est aller à l’encontre de sa propre
nature. Alors que la démarche des surréalistes est de rendre « possible la conciliation des contraires que sont le plein et le vide comme métaphore de
la dialectique freudienne de l’inconscient et du conscient » 62. Pour l’artiste
contemporain Jim Shaw, figurer l’inconscient - ou rendre le rêve visible est également significatif. Dans sa pratique, il s’est continuellement intéressé à
révéler la face cachée des choses. Et même lorsqu’il puise son inspiration du
réel, il s’attache à réunir des affiches, magazines, pochettes de disques qu’il emprunte à l’art didactique ou qu’il récupère auprès d'organisations secrètes
. À chaque fois il désire exposer les rebuts de la culture populaire. Jim Shaw
compile ainsi une imagerie de l’occulte, essentiellement méconnue aux yeux du public.
En lui consacrant une bonne partie de son travail plastique, Jim Shaw va
s’attacher cette fois, à utiliser un matériel suggéré par son propre inconscient, une matière dont il ignore précisément le sens. Il collectionne des rêves comme il collectionne des affiches, il amasse une quantité d’images souvenirs
qui vont l’amener à matérialiser ses rêves. Avant d’objectif ier des éléments de rêve, Jim Shaw passe par le dessin. Il esquisse des Dream Drawings, dessins
qui font aussi bien office de recherches préliminaires que d’oeuvres en elles-
mêmes. C’est une façon pour lui d’accumuler des images riches et inspirantes sur papier.
Dans un entretien mené par Mike Kelley, Jim Shaw explique la genèse 62 Flahutez, Fabrice, « Figurer l’inconscient dans le dur les totems de Victor Brauner et d’Anton Prinner », Hypnos Images et inconscients en Europe (1900-1949), Lille, 2009, p.269
34
de ses objets de rêves, titrés Dream Objects. Il raconte qu’au début il était important pour lui que le rêve influence l’objet, et que, par exemple, s'il
était question d’un magazine, il ne serait alors pas seulement tenté de le reproduire mais le rêve devrait alors figurer à l’intérieur. Pour lui, l’intérêt
serait véritablement de rendre le rêve réalité (« make the dream come true») 63
. La sculpture possède alors une double
fonctionnalité: celle d’être à la fois l’objet
et le support de l’histoire qui la contient. Pour Jim Shaw et bien d’autres, réaliser des sculptures à partir de ses rêves est surtout devenu un moyen de s’emparer de choses
qui l'ont fasciné en tant que rêveur créatif.
Jim Shaw, Head with Jesus mask, 2007
Lorsqu’il réalise l’un de ses premiers objets, la tête de Jésus, il en fait une sculpture parce qu’il l’envisage déjà comme telle au réveil. Il la projette dans
un espace, intemporelle, et palpable. Parfois même, l’oeuvre d’art est au coeur
de son rêve et c’est elle qui détermine sa démarche. Il lui est souvent arrivé, au début de sa pratique sur le rêve, de rêver d’oeuvres que d’autres artistes auraient conçues. Il explique d’ailleurs la présence d’oeuvres d’art en rêve en disant ceci: « Cela fait si longtemps que j’enregistre et que je mets en images
mes rêves qu’il existe désormais une conversation entre le rêve et l’art. Il
arrive que des oeuvres apparaissent en rêve, alors je les représente. Je gagne ma vie avec des oeuvres qui décrivent des rêves. Parfois, je m’aventure dans
des zones qui n’étaient pas présentes dans le rêve d’origine. Et puis, mes rêves trouvent tant de points de départ dans l’art (…) » 64.
63 Kelley, Mike, Interviews, Conversations, and chit-chat (1986-2004), JRP|Ringier, 2005, p.170 64 Shaw, Jim, On the Beyond: A Conversation Between Mike Kelley, Jim Shaw and John C Welchman, ed John C Welchman (Kunst and Architektur im Gespraech/Art and Architecture in Discussion), Springer Vienna Architecture, 2011, p.106
35
Jim Shaw, Dream Object, "A room with waves of meat frozen crashed in the corner", 2007
Jim Shaw, Dream Object ÂŤ There was this painted head of jesus with statues of Saints inserted into his face and beard. Then I saw another, tortured Jesus with suffering statues inserted Âť, 1996
Jim Shaw, Dream Object, «Eyeball TV Model », 2006
Catherine Geoffray, 8 Septembre, 2015
« S’aventurer dans des zones qui n’étaient pas présentes dans le rêve d ’origine
», c’est ce que Catherine Geoffray entreprend de faire. On peut d’ailleurs mettre en relation sa façon de procéder avec celle de Jim Shaw. Elle aussi
récupère ses rêves de la nuit, de façon quotidienne et en retravaille la matière: par l'écriture, le dessin, puis la sculpture. Comme Jim Shaw, elle
conçoit ses dessins de rêves assez simplement en utilisant un stylo-bille noir. Elle choisit de dessiner l’image qui lui a laissé la plus forte impression
et la fait correspondre au récit en vis-à-vis. En revanche si le besoin de
représenter est éminemment présent chez Shaw, Catherine Geoffray choisit plutôt de s’en défaire et exprime une réelle volonté de lâcher prise. Engager
sa pratique autour de ses rêves nocturnes est un moyen de rompre avec la routine dans laquelle elle s’est installée avec la peinture d’images tirées de sa
vie quotidienne. Une pratique dont elle ne tire, à l’époque, plus satisfaction. Ce projet, qui débute alors qu’elle suit une psychanalyse, s’annonce comme
un nouveau tournant, elle l’appréhende ainsi « Un monde imaginaire s’ouvre qui me fait traverser ce miroir que ma peinture s’efforçait de tisser depuis des
années. Je n’ai plus à me maintenir entre deux eaux à tout prix. Je me laisse plonger dans mon monde intérieur qui m’offre tant de possibilités chaque fois renouvelées, sans effort... ou presque »
65
. C’est lors d’une formation
à l’art thérapie qu’elle découvre le travail de l’argile et de la porcelaine, et
qu’elle va, après chaque nuit, renouveler l’expérience de la sculpture. Le geste devient subitement lié au psyché. Le statut de ses objets de rêve demeure
ainsi ambigu. Si son geste est motivé par la nuit qu’elle vient de passer, son volume n’est jamais une tentative de figuration. Lorsqu’elle produit,
Catherine Geoffray se laisse habiter par la rêverie qui survient après le rêve, et c’est de cette manière qu’elle rompt avec les codes de l’objet rapporté du rêve. La sculpture se présente comme l’objectivation d’un état de conscience à 65 Catherine Geoffray, Document personnel fourni par l’artiste.
39
mettre en relation avec son expérience du rêve plutôt qu’un objet directement extrait. Alors que c’est véritablement par le dessin qu’elle fige l’image qui l’a obsédee.
une image
Si des artistes ont tenté de rendre matérielles des choses vues en rêve dans
le but de pouvoir les appréhender au sein du réel, le désir de donner à voir une image prégnante va pour quelques autres se manifester avec le médium du dessin ou de la photographie. C’est d’ailleurs l’impression laissée par le
rêve qui va se révéler importante voire obsédante chez ces rêveurs créatifs. En ressentant le besoin d’exprimer le rêve par l’image, il y a la volonté de
donner à voir, de rapporter quelque chose du rêve , que ce soit un visage, un lieu ou une action. L’oeuvre est alors un support où peut être révélée l ’« Autre Scène »
66
. Un terme que Freud emprunte à G-Th. Fechner pour
différencier la scène du rêve, « des représentations de la vie éveillée »
67
.
Comment donner, alors, une représentation de l’expérience onirique? (alors
que lorsqu’on dort, on ne peint pas) Et qu’est-ce qui captive le rêveur au point de vouloir substituer au rêve une image?
« I went to sleep with my camera to photograph my dream. And I did. Then I awoke from that dream. » Nobuyoshi Araki, Sogni/Dreams, 1999
66 Terme de Fechner, repris par Freud pour évoquer la scène du rêve. 67 Tchou, Les rêves voie royale de l’inconscient, Paris, 1976 68 Araki, Nobuyoshi, dans Sogni/Dreams, ed. par Bonami, Francesco et Ulrich Obrist, Hans, Fondazione Sandretto Re Rebaudengo per l’arte Dreams, 1999, p.13
40
68
Freud, dans le chapitre sur « l’Esthétique du rêve » , de son Introduction à la Psychanalyse, avance ceci. « Je pourrais vous dessiner mon rêve, dit souvent
le rêveur, mais je ne saurais le raconter. » 69.
C’est ce que William Blake met en pratique. Poète et peintre romantique, il affirmera
avoir reçu à plusieurs reprises la visite d’un homme qui lui apprit à peindre dans ses
rêves. Blake attirera l’attention sur la réalité ontologique
70
des rêves, et dessinera cet
« ami imaginaire » dans le but que « d'autres
personnes puissent également commencer William Blake, The man who taught Blake painting in his dreams, après 1819-1820
à reconnaître certains aspects de ce monde réel » 71, en tant que témoignage.
Si Édouard Levé ne s’autoproclame pas grand rêveur, le rêve est apparu comme un élément déclencheur dans sa pratique plus générale. Alors que la photographie a en quelque sorte rendu désuete la reproduction du réel
(rappelons le cas des surréalistes), elle lui permet la représentation de « l’Autre Scène ». Avec ses Rêves Reconstitués, il fige huit scènes de rêves
qu’il compose intégralement avec sa mémoire comme seul outil. Il s’attache
à révéler un fragment parce que c’est ainsi que le premier lui apparaît comme une image fixe et fascinante. Son processus devient le suivant: lorsqu’il se
réveille, il prend soin de noter les détails qui l’ont marqué et essaie autant que possible de mettre à contribution les personnes acteurs du rêve. Édouard Levé utilise toujours une même configuration: il déshabille l’image, il part 69 Freud, Sigmund, « Esthétique du Rêve », Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976, p.77 70 Définition d'Aristote: «L’ontologie c’est l’étude de l’être en tant qu’être.» 71 Hiller, Susan et Coxhead, David, Les rêves visions de la nuit, Paris, Seuil, 1976
41
de rien avec un espace dépouillé, immaculé, blanc. Son dispositif est à chaque fois le même: il photographie frontalement, en couleur, avec des personnages qui semblent automatisés, robotiques, inexpressifs. Ses images donnent une impression de « pièce de théâtre figée »
72
, les accessoires font office de
symboles, que ce soit un texte ou un objet, ils semblent être au coeur des agissements. La photographie existe pour lui en tant que trace, après la reconstitution, demeure cette image à contempler. Une image qui lui renvoie
ce « sentiment d’étrangeté propre au rêve » 73 et dont il a trouvé un substitut photographique, moyen en quelque sorte de faire coexister le souvenir et sa
représentation. Cette première série va déclencher chez Édouard Levé le désir
de continuer à mettre en scène des personnages, en se détournant également
de ses expériences personnelles pour emprunter aux images de la presse: Pornographie, Rugby, Actualités. Ainsi, Édouard Levé, balade constamment le spectateur entre inconscient individuel et inconscient collectif.
Pour Jindrich Styrsky, surréaliste tchèque, il s’agissait déjà de saisir un extrait
ou un fragment du rêve, mais son intérêt n’était plus dans la représentation d’un rêve - ou d’une scène de rêve - dans toute sa fidélité. Relever un extrait de rêve était pour lui une façon d'appréhender le rêve comme un point de
départ: le processus créateur à partir duquel il pouvait ensuite s'abandonner à faire des libres associations, par le médium du collage et du dessin.
72 Dormir, Rêver et autres nuits, Nancy, J.L., Fréchuret M., Posay, F. , Shusterman, R., Leeman, R. (dir), capc Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, Fage Editions, 2006, p.42 73 Villeneuve, Mathilde, « Edouard Levé », Mise en ligne: paris-art.com
42
Édouard Levé, Premier rêve reconstitué, 1998
Jindrich Styrsky, Emilie vient à moi en rêve, 1933
« Dans les images du dessin comme dans les images du rêve, le monde
de l ’expérience n’a pas disparu: il s’est fragmenté et s’est désorganisé. « Certains motifs sont à peine indiqués, d ’autres disparaissent au
contraire sous la surcharge du trait, le traitement se concentre sur
un détail tandis que des pans entiers de la feuille sont désinvestis, construisant une scène instable, disparate et flottante. »
Ludwig Binswanger , Introduction à l ’analyse existentielle, 1971 74
des images fragmentées
En produisant des images qui mettent le rêve en scène, la narration
commence un peu à s’installer au coeur de l’oeuvre de Edouard Levé. Nous
allons voir que des artistes tendent à s’intéresser à la trame du rêve à travers une profusion d’images. Il a été question de Jim Shaw précédemment et de ses Dream Objects. J'ai souligné qu’avant de matérialiser ses objets il passe
par une étape intermédiaire: le dessin. Ses dessins ont une double valeur: esquisses et oeuvres. Ils se différencient de ses peintures habituelles dans un
souci de rupture. De la même manière que les surréalistes, lassés de travailler à partir d’images du quotidien, Jim Shaw veut se libérer de la technique
photoréaliste qu’il a pratiquée avec sa série My Mirage. Il s’agit pour lui, de
s’essayer à dessiner sans modèle, de façon plus libre avec l’imagination pour seul appui et dans le cas présent: ses souvenirs de rêve. Il est intéressant que
Shaw revienne à une technique basique du dessin pour parler du rêve (à une économie de moyens), tandis que le rêve est souvent prétexte aux effets à outrance. Le format est toujours le même, il dessine au crayon HB, sans ajout
de couleur. Il explique cette simplicité par une volonté qu’il exprime dès le 74 Binswanger, Ludwig, «le rêve et l'existence» dans Introduction à l’analyse existentielle, 1971, cité dans: Comme le rêve, le dessin, Louvre Centre pompidou, 2005, p.18
44
début: en faire sortir des projets d’art, sa série de Dream Objects. Les Dream Drawings de Jim Shaw vont gagner de l’ampleur avec une
importante collection de plus de 500 dessins. Il en réunit un certain nombre dans une publication qu’il appelle Dreams, des dessins réalisés entre 1987 et 1995. L’édition se présente ainsi: il destine la page de gauche au récit et
celle de droite aux illustrations et insère, à quelques endroits, des doubles
pages de récit ou dessin en séparant à chaque fois nettement les deux. Ce parti pris donne lieu à une sorte de continuel rebondissement entre récit et image, où le récit renvoie à une vignette que le lecteur doit s’attacher
à retrouver. Il écrit ses aventures oniriques et choisit d’en illustrer un ou plusieurs morceaux. Il est intéressant d’observer qu’un format ne contient rarement qu’un seul rêve, qu’il rend possible la coexistence de plusieurs rêves
sur une même page et qu’ainsi « l’imaginaire onirique de Shaw repose sur une séquentialité narrative et une accumulation figurative » 75.
Jim Shaw fait l’analogie entre ses rêves et ses dessins, en affirmant l’existence
de l’aléatoire au moment où il représente et compose ses formats de rêves. En fait, l’aléatoire entre en jeu comme une première étape qu’il s’attache ensuite à retravailler jusqu’à ce qu’il soit satisfait de l’agencement de la page. Jim Shaw est très inspiré par la bande dessinée, et on retrouve un language
similaire quand il découpe ses pages en cases et que ses cases représentent
chacune une action ou un rêve différent. Dans le cas où plusieurs rêves
partagent un même format, il va, pour suggérer le changement de rêve, appuyer plus fortement son trait sur la bordure; et au sein du récit, aborder cette délimitation par la numérotation des rêves. Sous une apparence assez 75 Shaw, Jim, Left behind (Essays = Essais / Jim Shaw, Charlotte Laubard, John Welchman et John Miller), CAPC-Musée d'art contemporain de Bordeaux, Dijon, Les presses du réel, 2010
45
classique formellement, le rêve est traité différemment qu’en tant que simple représentation du « vu en rêve ». Il lui arrive d’ailleurs, à plusieurs reprises, de
se dessiner lui-même comme s’il était le héros d’un comic. Est-ce parce qu’il se voit? Ou pour renforcer le caractère narratif de ses dessins ?
Jim Shaw, Dream Drawings,
46
Quoi qu’il en soit Jim Shaw semble délaisser la représentation pure d’un journal de rêves dessinés au profit d’un rendu plus construit et détaillé, et
c’est en ce sens qu’il se détache des caractéristiques du rêve. Il se dessine luimême, démultiplie les points de vue, l’action et les changements d’espaces temps; un parti pris qui, sur la planche, n’est pas sans rappeler le système de la Bande Dessinée.
Si, au Moyen Âge, les dessinateurs s’interrogeaient déjà quant à la
représentation du rêve, parce qu’ils éprouvaient cette difficulté majeure, à savoir : « distinguer, dans l’image, le rêve, immatériel, de la réalité matérielle dans laquelle s’inscrit le dormeur. »
76
, c’est un questionnement qui va
révéler toute son importance, aujourd'hui, au sein de la bande dessinée qui fait usage du rêve. En effet, bien qu’en étant un médium figé sur papier, la
bande dessinée introduit déjà l’idée du mouvement. Et si un tableau peut
confronter tout au plus trois espaces: celui de l’image, l’espace suggéré et ce
qui n’est pas montré, la bande dessinée déroule une véritable trame narrative. Elle a la qualité de pouvoir découper l’histoire, de l’exprimer à travers une succession de vignettes.
La BD « va décomposer l’évènement en une multitude d’images montées en parallèle » et Serge Tisseron, psychiatre, poursuit avec cet exemple assez
intéressant dans Rêver, Fantasmer, Virtualiser « le revolver en gros plan, le doigt sur la gâchette, l'oeil du meurtrier, la bouche de la victime, le bruit
de l'arme, le cri d'un témoin, la peur d'un chien… Comme dans une scène
traumatique, ou plutôt dans la façon dont elle présente à l'esprit d'une 76 Alexandre-Bidon, Danièle « A l’origine de l’imagerie onirique: la peinture du rêve dans l’art médiéval », Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée,Thierry Groensteen (dir), La citée internationale de la bande dessinée et de l’image, Citadelles et Mazenod, 2013, p.19
47
personne traumatisée, tout y est présent, mais en pièces détachées. Comme un puzzle. »
77
. Laurent Gerbier, va, quant à lui, mettre en exergue des
similitudes entre bande dessinée et rêve: il les appréhende tous deux comme
une « hybridation des dialectes visuels et des registres d’images ». Pour lui, la bande dessinée « tendrait à fonctionner structurellement « comme » le rêve
» en ce qu’elle produit des images et les inscrit « dans une surface plastique capable de les accueillir toutes » 78 Ainsi, tandis que la succession d’images fait
langage, au sein de la bande dessinée, subsiste le caractère lacunaire du rêve. Il persiste à travers sa forme fragmentaire qui rend possible discontinuité et rupture. Les bords de vignettes officient comme un non-lieu, un endroit de possibles, où tout peut arriver.
« Il va sans dire que c’est précisément parce que l ’espace du rêve bénéf icie de ce statut d ’extraterritorialité narrative que
des choses importantes peuvent être suggérées là, qui ne pourraient se dire ailleurs. »
Thierry Groensteen, Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée, 2013
79
Mais pour en revenir au rapport entre expérience traumatique et bande dessinée, cette conception m’est apparue encore plus éloquente avec l’oeuvre
de Charles Burns. Et plus précisement avec sa trilogie Toxic, La Ruche, Calavera où le rêve occupe une place aussi importante que le réel, et où l’idée
du puzzle est particulièrement manifeste. Habitué à instaurer au sein de ses
planches une ambiance sombre et étrange, le rêve vient servir l’histoire. Ici ce n’est pas la retranscription d’un rêve dont il est question, mais de l’usage du 77 Tisseron, Serge, Rêver, Fantasmer, Virtualiser, Dunod, 2012, p.39 78 Gerbier, Laurent, « L’ordre des rêves, des images aux récits. », Ibid., p.188 79 Groensteen, Thierry, Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée, La citée internationale de la bande dessinée et de l’image, Citadelles et Mazenod, 2013, p.31
48
rêve comme moyen d’aborder l’état d’esprit du personnage, ses traumatismes. Une façon d’ajouter une profondeur au récit, et en l’occurrence au personnage
principal, qui porte toute l’histoire. En traduisant un rêve imaginé, Charles Burns reconstruit la logique du rêve avec son apparence fantasque, et plonge ainsi le lecteur dans la vie et la tête de Doug.
C’est dès le début que Charles Burns nous immisce au coeur de la vie psychique
de son héros. La page de garde entièrement noire s’annonce comme la nuit tombée. Sur la première page l’histoire semble faire son apparition en fondu au noir: avec un premier aplat, et une deuxième vignette sur laquelle un trait
bleu-gris émerge. « C’est le seul moment dont je me rappellerai », la première
image figurative cadre sur la tête du héros allongé dans son lit, la cinquième case révèle : « Le moment où je me réveille sans savoir où je suis » etc...
Le héros se réveille mais on comprend très vite qu’il rêve encore. Il revoit
en rêve son chat qu’il dit pourtant avoir cru mort, tente de le rattraper en traversant des murs troués qui le font atterrir dans des endroits à chaque fois
irrationnels. Charles Burns fait croiser les mondes: une chambre, un décor post-apocalyptique, un lieu aux activités incertaines et une ville sablonneuse au ciel bleu. En passant de l’un à l’autre, Burns a déjà repoussé toute logique
spatiale. Un villageois adresse la parole à Doug dans une langue inconnue: il lui propose un horrible mets (une sorte d'insecte encore vivant). Un petit
homme le prend sous son aile et le « sauve » du charlatan, il veut l’emmener manger ailleurs. Sur le chemin il aperçoit un homme par la fenêtre. L’image
se démultiplie en cases, et l’homme semble regarder dans sa direction. Cadrées de près les vignettes présentent des aplats, du gris, des textes, du rose, de la cendre abstraite sur le rose, puis le plan s'élargit. Puis apparaît une cigarette, et l’homme qui la tient, (celui vu par la fenêtre). Il regarde la
télé, il dit quelque chose « Ta mère et moi… on avait tellement de rêves au
49
début… ». On comprend qu’il s’agit de son père, d’une image souvenir. Puis
réapparaît une case noire, on en revient au début. Réminiscence. « C’est le seul moment dont je me rappellerai », « Le moment où je me réveille sans savoir où je suis ». Réveil.
Ainsi s’achève le rêve qui nous introduit à la trilogie. On découvre un tout autre trait lorsque Burns passe au réel, un trait qu’il a déjà intégré à l’intérieur
du rêve avec l’image du père, comme pour relier le souvenir au présent - ce qui a été, à ce qui est. D’ailleurs Doug n’est pas tout à fait celui qu’il est en rêve. Et on le découvre sous son « vrai » jour lorsqu’il se réveille pour de bon. Très inspiré par les Aventures de Tintin d’Hergé, Charles Burns fait de
Tintin l’alter ego de Doug qui prend le nom de scène Nitnit « alias Johnny 23 ». Si la couverture de Toxic renvoie directement à L’étoile mystérieuse,
les références fusent à l’intérieur de la trilogie et s’affirment encore plus graphiquement lors des épisodes de rêves. En rêve Doug, qui aspire à être
artiste, prend l’apparence du personnage hergéen qu’il s’invente sur scène mais son masque a disparu, il a comme fusionné avec son visage, Doug est devenu son double.
Toxic se révèle être une première approche très fragmentaire, alors que les deux tomes suivants marquent l’avancée en âge du protagoniste. Le rêve, la vie et les souvenirs sont chacun des morceaux qui s’assemblent et qui, mis
bout à bout, finissent par révéler la trame de l’histoire. Comme dans Black
Hole, réminiscences et rêves subissent un même traitement. Mais s'il utilise une technique plus ordinairement rattachée à l’espace du rêve dans Black
Hole (c’est-à-dire l’ondulation des cases de rêve), au sein de la trilogie il lui donne une tout autre forme. D’abord, l’aventure onirique va se différencier
de la vie de veille par le dessin. Ensuite le récit - ou les pensées - va jusqu’à
50
Charles Burns, Toxic, Éditions Cornelius, 2010
Charles Burns, La Ruche, Éditions Cornelius, 2012
prendre la place de l’illustration. Dans des cases noires, la typographie
devient dessin, il n’est plus question de juxtaposer le texte à une image. Le
texte occupe une case entière et fait ainsi image. La réflexion est privilégiée au sein de l’histoire, elle est appréhendée au même titre que ce qui peut être
perçu. Aussi met-il à profit les possibilités offertes par le médium de la BD pour y représenter pêle-mêle souvenirs, photographies, veille, rêve et pensées
dont il codifie chacune des représentations. Des images récurrentes comme la maison, le porcelet, la bouche d’égout, la couverture rose, etc. peuplent le
roman graphique et révèlent un traumatisme latent. Il y a, en conséquence, une vraie volonté chez Charles Burns d’ouvrir, sur la psyché, le monde intérieur du personnage.
S'il s’inspire en partie de sa vie pour écrire Toxic, Calavera et La Ruche (en
traitant l’émergence du mouvement punk, la drogue, les BD romantiques…), les scènes de rêves sont purement fictionnelles, il s’en dégage alors un enjeu
différent par rapport à l’artiste qui déplace un rêve dont il a fait l’expérience. Charles Burns est à la fois l’initiateur - parce qu’il élabore le travail du rêve
- et l’analyste. À la fin de l’histoire, lui seul détient avec certitude les clés interprétatives de son histoire fragmentée tandis qu’elle fait encore état
d’énigme pour le lecteur. Chacun des tomes nous invite à la relecture, et possiblement à une ré-interprétation.
Le récit de rêve - assumé en tant que tel -, c’est-à-dire à la « première personne par son auteur-rêveur » 80, est une pratique qui va apparaître et se populariser
à partir de la fin des années 80 en même temps que le développement de l’autobiographie en bande dessinée. Parmi les premiers bédéistes à avoir
traduit leurs rêves on compte Julie Doucet et David B.. Julie Doucet dessine 80 Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée, Groensteen, Thierry (dir.), La citée internationale de la bande dessinée et de l’image, Citadelles et Mazenod, 2013, p.193
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ses rêves parce qu’ils ont déjà la valeur de petites anecdotes, au réveil, avec
un début et une chute. Ses rêves nocturnes semblent être conçus pour être
racontés en images. Quant à David B., il s’intéresse plutôt à ses propres rêves parce qu’il sait que tout en provenant de lui, ses rêves ne peuvent être le fruit d’une pensée consciente. Il y trouve un intérêt dans la mesure où le rêve est
absurde et que sa retranscription s’avère être un exercice. Et il renouvelle
l’expérience à plusieurs reprises avec Cheval blême et Complots Nocturnes, par exemple. Il désire ainsi déplacer ses rêves afin que le lecteur devienne lui-même rêveur.
« La nuit mes rêves sont remplis de complots, de poursuites,
d ’attentats. Policiers, espions et bandits me donnent rendez-vous
pour d ’étranges fusillades. Je retrouve dans mon sommeil mon goût
pour les histoires de gangsters et le rêve métamorphose mon quotidien en enquête policière. C’est la récurrence de ces thèmes qui m’a donné
envie de dessiner ces rêves. J’aime leur structure chaotique et poétique.
J’aime leurs logiques mystérieuses. J’aime leurs énigmes sans solutions. Chacun de ces rêves est un chapitre de mon roman noir. » David. B, Complots nocturnes, 19 rêves, 2005
81
des images en mouvement « Tout autant que de l ’apparition,
le cinéma est expérience de la disparition. »
Philippe Alain Michaud, Comme le rêve le dessin., 2005
81 B., David, « Préface », Complots nocturnes, 19 rêves, Futuropolis, 2005 82 Michaud, Philippe Alain, Comme le rêve, le dessin, Louvre, Centre pompidou, 2005 p.96
54
82
Si Laurent Gerbier a abordé les similitudes à rapprocher entre rêve et bande
dessinée, on va maintenant s'intéresser aux bandes d'images qui s'animent, et comparer l’expérience cinématographique avec l’expérience du rêve. Comme la BD, le cinéma (qui est né à la même époque) présente des particularités
qui sont à même de retranscrire l’inquiétante étrangeté qui émane du rêve. La séquence, la narration, les plans y participent en construisant une autre
réalité. Alors qu’Adolfo Bioy Casares qualifie l’apparition cinématographique
de « machine hallucinatoire » 83 et que Derrida en souligne la nature spectrale
(dans Ghost Dance (1983)), on reste tout de même conscient de la différence essentielle qui oppose rêve et cinéma « le film et le rêve ne se confondent
pas, le spectateur du film est un homme éveillé, alors que le rêveur est un homme qui dort » 84.
Pour figurer le rêve, le cinéma s’est attaché à lui attribuer un langage spécifique, singulier. « Surimpression, dissolution, dislocation et discontinuité sont devenus en quelque sorte la matière figurante du rêve. »
85
À force de trop
vouloir obtenir un effet rêve, il arrive fréquemment qu’on tombe dans une
représentation débridée du rêve qui ne s’apparente, finalement, à aucun rêve fait par un homme. C’est d’ailleurs à Georges Méliès que l’on doit (en partie) les premiers trucages. Magicien de profession, il envisage le cinématographe
comme un outil capable de mettre en scène de nouveaux tours: notamment
avec l’arrêt de caméra, une astuce qui permet l’apparition comme la disparition. Il réalise des films de fiction qui traitent de l’hallucination, de
la drogue mais aussi du rêve. L’arrêt de caméra s’impose alors comme un 83 Fisher, Jean, « Truth’s Shadows », Susan Hiller, Dream Machines, Londres, for the Arts Council of England, 2000 84 Metz, Christian, Le signif iant imaginaire: psychanalyse et cinéma, Paris, 1977, p.131 85 Campan, Véronique, « Poétique de l’interstice, Le rêve de cinéma: une image pensive? Autour de Chaplin, Beckett, Fellini, », Patricia-Laure Thivat, Le rêve au cinéma, Iconographie, procédés, partitions, Ligeia n°129-132, janvier-juin 2014, Ligeia, Mars 2014
55
moyen de créer l’illusion (Le Rêve du radjah ou la Forêt enchantée, 1900) et
fera l’objet d’un usage renouvelé, par la suite, dans l’histoire du cinéma et notamment lors des scènes de rêve.
Si Akira Kurosawa va, à maintes reprises, utiliser des techniques qui créent l’illusion, je m’intéresse à son film Dreams parce que j’ai trouvé en celui-
ci une façon singulière de traiter le rêve. Il réalise Dreams en 1990 avec la collaboration d’Ishiro Honda. Le film se compose de huit séquences qui s’affirment chacune comme un rêve autonome. Chacun des rêves est annoncé par une mention du type « Un de mes rêves… » ou « un autre rêve », sur fond (de nuit) noir. Dreams démarre avec ses rêves d’enfant: Soleil
sous la pluie et Verger aux pêchers, puis passe à des rêves qu’il a fait à l’âge adulte. Au moment du tournage il a 80 ans. Il choisit donc de faire jouer
plusieurs acteurs qui sont des projections de lui à différentes étapes de sa
vie: enfant, jeune garçon et adulte. Dans son film, le rêveur est un marcheur et c’est la marche qui vient créer le rythme du film, le rêveur passe d’une
image à l’autre « il crée l'espace-temps qu'il découvre en même temps que le
spectateur et épuise les potentialités d'un espace qu'il ponctue de moments d'arrêt et de contemplation. »
86
Les rêves sont indépendants les uns des
autres, et pourtant, s’inscrivent dans une continuité instituée par la marche
et la trajectoire du regard: une idée présente dès le début avec Le Soleil sous
la pluie où l’enfant, trop curieux, s’aventure dehors afin d’assister au mariage
des renards, malgré l’interdiction de sa mère. Idée qui se perpétue jusque
dans le très impressionnant rêve Les Corbeaux, où jeune artiste, Kurosawa
part à la recherche de Van Gogh (un artiste qui le passionne) et se retrouve à traverser ses tableaux. Chez Akira Kurosawa, l’usage des effets spéciaux est 86 Jacline Moreau « Figurer le rêve d’Akira Kurosawa », Le rêve au cinéma, Ligeia n°129-132, janvier-juin 2014, p.191
56
strictement présent dans le but de recréer des impressions qu’il a perçues en rêve. Il n’essaie pas de perdre le rêveur avec ce que j’ai cité plus haut comme
la « matière figurante du rêve ». Il donne à voir des fleurs géantes, l’explosion
du mont Fuji, l’apocalypse ou simplement un arc-en-ciel parfaitement
cadré… Mais il le fait toujours de façon à ce que l’image soit aussi nette que
les images de réel de ses autres films. Kurosawa s’attache en fait à « créer du réalisme dans un univers totalement fictif » 87. Lorsqu’il s’exprime sur ce qui
l’a encouragé à faire ce film, il dit ceci:
Akira Kurosawa, Dreams, "Le soleil sous la pluie", 1990
« l ’homme est un génie quand il rêve, intrépide et courageux - c’est le
point important dont je devais me souvenir quand j’ai voulu tirer un
f ilm des huits rêves décrits dans mon script - il était essentiel que je
trouve des moyens audacieux et courageux de m’exprimer » Akira Kurosawa, Dreams, 1990
88
87 Chow, Tina, « Mes amis américains. Georges Lucas », cité par: Jacline Moreau, « Figurer le rêve, rêves d’Akira Kurosawa » Le rêve au cinéma, Ligeia n°129-132 88 Tassone, Aldo, « Entretiens avec Akira Kurosawa » Positif, n°235, octobre 1980, p.8-12, cité par: Moreau, Jacline « Figurer le rêve, rêves d’Akira Kurosawa », Ibid.
57
Si ses séquences de rêve s’avèrent, en général, être exclusivement l’expression
d'un contenu manifeste, dans le rêve n°4, il confie néanmoins l’interprétation qu’il fait en rapport à la figure du chien. La présence du chien de guerre
représente à ses yeux une mise en scène de sa crainte: sa peur du militarisme.89
Ce rêve, intitulé Le Tunnel, a convaincu Kurosawa quant à la force des
images du cinéma: « de simples mots ne peuvent jamais rendre la puissance expressive (des rêves), c’est pourquoi j’ai fait un film. » 90.
Akira Kurosawa, Dreams, "Le verger aux pêchers" et "Les corbeaux", 1990
89 Moreau, Jacline « Figurer le rêve d’Akira Kurosawa », Le rêve au cinéma, Ligeia n°129-132, janvier-juin 2014, p.187 90 Marshall, Fred « The Emperor of Film. No, not yet! », Bert Cardullo (edition), Akira Kurosawa Interviews (1993), Jackson, University Press of Mississipi, 2008, p.182-187
58
Une pensée que partage Georg Wilhelm Pabst en 1926 lorsqu’il réalise son film muet: Les mystères d ’une âme. Pour lui, c’est réellement l’image
en mouvement qui va permettre de « saisir l’essence de la vie intérieure » 91. Pabst est d’ailleurs un précurseur lorsqu’il fait du cinéma un moyen de révéler le rêve par le contenu manifeste mais aussi son revers: le contenu latent. Il
fait de l’interprétation du rêve l’intrigue du film. Les mystères d ’une âme est, à l’époque, le premier film qui vise à sensibiliser le public à l'intérêt de la
psychanalyse. Il l’introduit avec deux cartons chargés d’avertir le spectateur sur les intentions du film et les objectifs de la psychanalyse:
« En chaque être sommeille des désirs et des passions que la
"conscience" ignore. Aux heures sombres de conflits psychiques, ces
pulsions inconscientes tentent de s’imposer. Pareilles luttes donnent naissance à d'énigmatiques troubles que la psychanalyse s'attache à élucider et à guérir. Entre les mains des médecins dotés d'une
"formation psychanalytique", les théories du professeur Sigmund
Freud constituent un important progrès en vue du traitement de pareils troubles psychiques. Ce f ilm s'inspire de faits réels. Il ne
présente aucune digression majeure quant à l'histoire de la maladie. » 92 Pour mener à bien son projet, Pabst décide de s’inspirer d’un cas de Sigmund Freud et lui propose même de collaborer avec lui. Mais alors que Freud
s’oppose depuis toujours à la figuration du rêve, sa réponse ne se fait pas
attendre, il refuse: « On ne peut éviter le film, semble-t-il (…) Je ne veux personnellement rien avoir à faire avec ce film. »
93
Ce sont, finalement, les
91 Costa de Beauregard, Raphaëlle « Rêves et/ou Cinéma, A propos de deux films muets: Après la mort et Les mystères d’une âme », Le rêve au cinéma, Ligeia n°129-132, janvier-juin 2014 92 Whilelm Pabst, Georg, Les mystères d’une âme, 1926 93 Lacoste, Patrick, L’étrange cas du Professeur M. - Psychanalyse à l’écran, Paris, Gallimard, 1990, p.7
59
Georg Wilhelm Pabst, Les mystères d'une âme, 1926
psychanalystes (disciples et amis de Freud) Hanns Sachs et Karl Abraham qui
vont apporter leur contribution au scénario.94 Le film s’annonce être un pari
compliqué puisqu’il prend le risque d’être perçu comme « une vulgarisation hâtive des théories de Freud sur le rêve »
95
. De plus, l’inconscient et le
refoulement échappent tous deux à la mimésis. C’est d’ailleurs ce que met en avant Patrick Lacoste dans son livre (sur le film) L’étrange cas du Professeur
M., « il n’est pas possible de faire une « démonstration » de la psychanalyse
par l’image. Sous peine de faire dans le sensationnel, le mélo, l’artificiel. Le psychanalytique « ne se voit pas, il se parle et s’écoute pour entendre. » 96.
Dans Les mystères d ’une âme le rêve est introduit alors que le personnage de Werner Krauss, le professeur M, est de plus en plus en proie aux
cauchemars. Il a développé, depuis l’annonce du meurtre de sa voisine, des troubles névrotiques qui se caractérisent, en partie, par une peur monstre des couteaux - liée au fait qu’il s’imagine tuer sa femme. On lui
conseille d’aller chez le psychanalyste afin de se faire soigner. Sur le divan 94 Lacoste, Patrick, L’étrange cas du Professeur M. - Psychanalyse à l’écran, Paris, Gallimard, 1990 p.69 95 Boussinot, Roger, Encyclopédie du cinéma, Paris, Bordas, 1967, p.979 96 Louis Corcos, Jean, Psychanalyse et culture ( Jean-Louis Bouttes, Jung: la puissance de l’illusion / Patrick Lacoste, L’étrange cas du Professeur M.), Autre temps, Les cahiers du christianisme social, vol.26, Numéro 1, 1990, p.73
60
il se remémore le rêve-cauchemar qui l’a profondément marqué, c’est cette
séance de psychanalyse qui détermine la deuxième partie du film, partie qui nous donne de nouveau accès aux images de rêve manifeste; mais qui, en
plus, introduit pour la première fois des souvenirs dont il fait mention en
répondant aux questions du psychanalyste. La séquence montre que ce sont
véritablement les interventions du psychanalyste qui ponctuent la séance et permettent d’ajouter de nouveaux éléments. On découvre, en même temps
que le professeur M. l’origine de ses traumatismes et la façon de procéder du psychanalyste qui applique les théories Freudiennes.
En 1945, c’est Alfred Hitchcock qui emboîte le pas de Pabst avec l’intention
de réaliser un film qui traiterait sérieusement de psychanalyse. Lui aussi, introduit son film avec des intertitres qui attirent l’attention sur le rôle de
la psychanalyse. Le deuxième texte est, par ailleurs, écrit par May Romm, la
propre psychanalyste du producteur David O. Selznick qu’il impose à l’époque comme conseillère pour le film. Cette fois la trame du film ne s’inspire pas
d’un cas de Freud mais est une adaptation d’un roman de Francis Beeding, une histoire qui se déroule dans un établissement psychiatrique:
Le docteur Murchison part en retraite et doit être remplacé par un
talentueux docteur appelé Anthony Edwardes. Le nouvel arrivant adopte un comportement très étrange; si bien que les autres docteurs en arrivent à
penser qu'il est un imposteur. Et qu’il aurait pris l'identité du vrai Edwardes
ainsi que sa vie. Le docteur Constance Petersen, tombée amoureuse de lui, va alors tout tenter pour l’aider à découvrir ce qui s’est réellement passé.
Le film s’appréhende comme une enquête qu’il faut résoudre au moyen de la psychanalyse. Hitchcock réalise, avec La Maison du docteur Edwardes
(Spellbound), un film de psychanalyse qu’il oriente à sa façon, c’est-à-dire:
61
Alfred Hitchcock, La maison du Dr Edwardes, 1945
sur fond d’histoire d’amour et de suspens insoutenable. En donnant à voir
un rêve, Hitchcock rompt déjà avec la pensée Freudienne qui concerne la «
figurabilité du rêve ». Alors, en choisissant de collaborer avec Salvador Dali, il fait de nouveau un choix qui s’oppose à la pensée de Freud. En effet, il est important de rappeler que pour ce dernier l’intention surréaliste (à l’égard du
rêve) demeure incompréhensible : « Bien que je reçoive tant de témoignages de l'intérêt que vous et vos amis portez à mes recherches, moi-même je ne
suis pas en état de me rendre clair ce qu'est et ce que veut le surréalisme. Peut-être ne suis-je en rien fait pour le comprendre, moi qui suis si éloigné de l’art. » 97
Si Hitchcock choisit de s’associer à Salvador Dali pour la séquence de rêve, ce n’est pas, comme le pense à l’époque Selznick, pour la publicité. Mais plutôt parce qu’il a pour objectif de donner au rêve une consistance plus
réelle que la réalité elle-même, plus nette; il veut « rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus, avec l’écran
qui tremble » 98. Une esthétique traditionnelle qu'avait optée Pabst en 1926,
en opposant de façon flagrante images de rêve et images de réalité, où le
rêve manifeste empruntait « à l’expressionnisme des procédés tels que la déformation de l’espace et des volumes (…) le clair-obscur (…) les fondus enchaînés » 99. Alfred Hitchcock choisit Salvador Dali parce qu’il apprécie « l’aspect aigu de son architecture »
100
. Ce sont en particulier, les décors et
objets qui vont donner au rêve cet aspect délirant.
97 Freud à Breton, André, Lettre n°3, 26 décembre 1932, Mis en ligne: http://www.lutecium. org/Jacques_Lacan/transcriptions/freud_breton.htm 99 Costa de Beauregard, Raphaëlle, « Rêves et/ou Cinéma, A propos de deux films muets: Après la mort et Les mystères d’une âme », Le rêve au cinéma, Ligeia n°129-132, 2014, p.62 98, 100 Hitchcock interviewé par Truffaut, « Secrets de Fabrication: La maison du Docteur Edwardes », France Inter
63
La scène de rêve est introduite à l’écran alors que Constance est décidée à soigner le faux docteur Edwardes ( John Ballantine) avec le soutien de celui
qui a été son professeur et mentor Alex Brulov. La séquence s’ouvre avec un
plan large qui laisse voir une immense tenture parsemée d’yeux peints, un homme vient découper dans ces tentures avec des ciseaux géants. Une femme peu vêtue, qui semble être une projection du docteur Petersen, embrasse toutes les personnes attablées.
La caméra s’avance sur une grande table de jeux où les cartes jetées par le seul joueur visible sont toutes aussi disproportionnées. Le joueur dit « ça fait
21 j’ai gagné ». Le propriétaire l’accuse de tricherie et le menace de « lui faire son affaire ».
Un autre plan encore plus impressionnant montre un décor extérieur à la fois apocalyptique et dépouillé, au loin un visage coule (à la Dali) et au second plan se concentre l’action: sur un toit un homme tombe (peut-être
volontairement), et le propriétaire, qui était jusqu’alors caché derrière la
cheminée, apparaît. Il tient dans sa main une roue difforme qu’il laisse tomber. La dernière scène montre Edwardes dévaler une pente en courant poursuivi
par l’ombre de grandes ailes. La séquence de rêve est finie. Constance tend un
café au patient, qui semble se remémorer une chose, il dit voir « du blanc ». C’est alors que Constance arrive à faire le lien, elle regarde par la fenêtre et remarque que c’est de la neige dont il a peur, « du blanc ». Elle se rappelle
la première perte de conscience d’Edwardes: alors qu’il voit des traces de fourchettes sur la nappe, puis du malaise provoqué par la vue de sa robe rayée, et enfin la couverture. Elle en arrive à déduire que ce sont les traces de ski sur la neige qui ont un rapport direct avec son amnésie.
64
Tout au long de la séance, l’analyse s’offre plus comme un jeu de piste qu’une
véritable séance de psychanalyse, et c’est à ce titre que May Romm critiquera
la séquence. Mais pour Hitchcock, qui lui répond: « Voyons ma chère, ce n’est qu’un film! »
101
, l’importance est ailleurs. C’est la séquence de rêve en
elle-même qui le frustre. Il se voit, lors de la réalisation, refuser des choses
qui lui tiennent à coeur. En effet à l’origine, il aurait désiré voir la séquence durer une vingtaine de minutes et filmer les décors de Dali en extérieur, il veut une image plus aiguë. Mais il est dans l’impossibilité de le faire: le projet
est trop ambitieux et les idées de Dali sont parfois irréalisables. Finalement
le rêve est divisé en quatre petits morceaux, qui forment une seule séquence fragmentée d’environ quatre minutes.
En 1992, et pour le petit écran cette fois, le cinéaste Federico Fellini se
sert de trois de ses rêves choisis dans le journal qu'il tient quotidiennement depuis une trentaine d’années. En réalisant trois spots publicitaires pour
Banca di Roma, il met en scène ses rêves de manière à ce qu'ils servent une
même morale: « Pour dormir tranquille, allez à la banque de Rome. » 102. Les rêves, ainsi travestis en cauchemars, viennent annoncer le produit comme la
solution-miracle. Les images en mouvement, employées en tant qu'images à caractère publicitaires, deviennent porteuses d'un message initial qu'elles viennent enrichir.
101 Hitchcock interviewé par Truffaut, « Secrets de Fabrication: La maison du Docteur Edwardes », France Inter 102 Fellini, Federico, Fellini Au Travail, Carlotta-Films, novembre 2009
65
...de rendre lisible
« Pour Freud, le rêve est un phénomène de régression à plusieurs
titres: régression du conscient à l'inconscient, du présent au passé, du langage élaboré vers une langue archaïque. »
Agnès Cavet et Jean-Claude Penochet, La Voie freudienne, 1991 103
Quelle est la part du langage au sein même du rêve ?
C’est une question qu’il m’intéresse de poser, avant tout parce que des psychanalystes ont soutenu le rêve comme étant une écriture en soi. Pour Freud comme pour le psychanalyste lacanien Moustapha Safouan, le rêve s’impose au rêveur comme un rébus. Il est de l’ordre de l’invention. Dans son
livre L’inconscient et son scribe, Saphouan tente de démontrer que le rêve est écriture en se reposant sur l'idée « que le langage ne serait pas ce qu'il est s'il n'impliquait la possibilité de l’écriture. »
104
Le rêve se révèle au rêveur
comme une sorte de message qui reste pour lui une énigme. Au sein du rêve
comme dans le langage, le signifiant diffère du signifié. Freud s’est attaché à appréhender le rêve d’une façon analogue à ce qu’entreprendra plus tard
Ferdinand de Saussure concernant la théorie linguistique de « signifié » et
« signifiant ». Bien que liés, ils ne se correspondent pas véritablement, et il en va de même concernant les pensées du rêve qui ne sont pas révélées en tant
que telles mais sous l’apparence de symboles manifestes. Pour Lacan, le rêve 103 Cavet, Agnès et Penochet, Jean-Claude, La Voie freudienne,1991, cité dans: Sivry, Sophie (de) et Meyer, Philippe, L’art du Sommeil, Paris, Empecheurs de Penser En Rond, 1995 p.100 104 Safouan, Moustapha L’inconscient et son scribe, Seuil, 1982, p.6
68
est un moyen de mettre en scène des pensées inconscientes. Ainsi la parole n’est pas nécessaire puisque les mots y « sont traités comme des choses » 105 C’est ce que souligne Walter Benjamin quand il parle de la « langue du rêve » : « le sens est caché à la manière d’une figure dans un dessin-devinette. Il est
même possible que l’origine des dessins-devinettes soit à chercher dans cette direction, pour ainsi dire comme sténogramme du rêve. »
106
une écriture de l'expérience... J’aimerai d’ailleurs rebondir sur l’usage du mot « sténogramme ». La
comparaison faite par Walter Benjamin sur le rêve renvoie à une forme
d’écriture: la sténographie. C’est une écriture qui se définit par un style « abrégé », et utilise « des signes conventionnels, destinée à transcrire la parole à mesure qu'elle est prononcée »
107
. Cette même idée d’une écriture de
l’expérience (ou de l’expérience d’une écriture) m’évoque un comportement que les surréalistes ont toujours employé face au langage. En effet, le
mouvement surréaliste « s’est consacré à affranchir le langage des normes
étroites de la logique et de ses fonctions purement pratiques d’échange pour lui restituer son énergie originelle, sa vigueur spécifiquement poétique. »
108
Le surréalisme tel que l’entend André Breton, est une dictée de l’esprit. Et dans son premier Manifeste du Surréalisme, il aborde le procédé à suivre:
105 Colbeaux, Christian, « Le travail du rêve suit les lois du signif iants », « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud», prononcé par Jacques Lacan à Paris le 9 mai 1957 , la Sorbonne. Mis en ligne: http://colblog.blog.lemonde.fr/2013/05/04/le-travail-du-reve-suit-les-
lois-du-signifiants/#_ftn2
106 Benjamin, Walter, Rêves «1.Notes et textes jusqu’en 1930 » , Burkhardt Lindner (dir), Le Promeneur, 2009, p.73 107 Définition: Sténographie, Mis en ligne: www.cnrtl.fr 108 Behar, Henri, Mélusine, N°II: Occulte-Occultation, Cahiers du centre de recherches sur le surréalisme, Lausanne, L’Age d’Homme, 1981 p.26
69
« Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un
lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif ou réceptif que vous pourrez (…) écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas
vous retenir et ne pas être tenté de vous relire »
André Breton, Manifestes du Surréalisme, 1924 109
Les surréalistes se sont passionnés pour cette écriture de l’instantané, provoquée par la transe. Celui qui écrit est alors dans un état de semi-
conscience et son écriture est à même de dépasser sa pensée. L’écriture
automatique devient une façon d’interroger l’inconscient, d’autres « voix ». Elle est une « création littéraire » à part entière, elle crée l’onirisme. André
Breton et Philippe Soupault vont en faire l’expérience poétique en 1919 en écrivant Les Champs Magnétiques, oeuvre qui sera par la suite considérée
comme le premier ouvrage surréaliste. Ce recueil, écrit en huit jours, s’exprime par la volonté de « noircir du papier »
110
. L’oeuvre est découpée
en chapitres et sa forme fragmentée permet ainsi à Soupault et Breton de
pratiquer différentes expériences d’écriture, soit: « la rédaction indépendante
avec confrontation des textes, l’écriture en alternance de phrases ou de paragraphes et la composition simultanée »
111
Si l’écriture automatique est
propre à chacun (celle de Soupault est plus rapide et ainsi plus illisible que
celle de Breton, qui est une écriture plus « régulière » 112), Breton et Soupault
envisagent néanmoins de ne pas signer leurs textes, ils projettent en fait de mêler leurs deux écritures pour qu’elles ne fassent plus qu’une.
109 Breton, André, Manifestes du surrréalisme, Editions folio Essais, 1924, p.41 110 Breton, André et Soupault, Philippe, «Préface» Les Champs Magnétiques, nrf Gallimard, 1971 111 Wikipédia: Les Champs magnétiques. 112 Parent, Stéphanie, « Le manuscrit des Champs magnétiques d'André Breton et Philippe Soupault: le paradoxe de l'écriture automatique », Figura, (Desjardins, Nancy et Jacinthe Martel (dir.). 2001. Montréal : Figura, Centre de recherche sur le texte et l'imaginaire.), p.139-148
70
...poétique « On raconte que chaque jour, au moment de s'endormir, Saint-Pol-
Roux faisait naguère placer, sur la porte de son manoir de Camaret, un écriteau sur lequel on pouvait lire: Le poète travaille. » André Breton, Manifestes du Surréalisme, 1924
113
Gérard de Nerval, poète et écrivain « super-naturaliste » et figure majeure du
romantisme français, a été l’un des premiers, en France, à mettre en pratique une écriture fondamentalement liée à l’expérience. Si écrire est pour lui une
aventure du texte, c'est aussi un moyen d’explorer son inconscient. Considéré
par les surréalistes comme leur prédécesseur, il initie avec son oeuvre Aurélia
un voyage onirique qu’il introduit avec une première phrase déterminante: « Le rêve est une seconde vie. »
114
. Oeuvre aussi sous titrée: Le rêve ou la
vie, Nerval en proie à la folie, va rédiger son récit, partagé entre les crises, la lucidité et les rêves. En traduisant ses rêves nocturnes, mais aussi des états
intermédiaires à rapprocher de l’état de rêverie voire d’hallucination, il fait
confondre vie et songe, l’un dans l’autre. Ses rêves se prolongent dans la vie diurne et de ce fait Gérard de Nerval fait communiquer différentes strates de conscience. Il écrit Aurélia, sous les conseils de son docteur, dans le but de
se libérer de ses émotions. Conscient de la maladie qui le touche (la folie), il appréhende l’écriture comme une thérapie. En transcrivant ses rêves, il leur
découvre une continuité, qui lui permet de restituer leur sens et ainsi d’ « accéder à la vérité profonde de la vie. »
115
113 Breton, André, Manifestes du surrréalisme, Editions folio Essais, 1924 114 Nerval, Gérard (de) Aurélia, Lachenal & Ritter, 1985, p.17 115 Jean-Luc, Steinmetz, « Les rêves dans Aurélia de Gérard de Nerval. », Littérature 2/2010 (n° 158) , p. 105-116, Mis en ligne: https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-2-page-105.htm
71
Mais pour en revenir au surréalisme, le poète Louis Aragon publie, à peu
près à la même époque que le Manifeste du Surréalisme, Une Vague de rêves. Un texte où il précise les fondements du surréalisme et clarifie la place du rêve au sein du mouvement. Il prétend que le rêve est le point de gisement
du surréalisme, en allant jusqu’à affirmer que c’est un mouvement « sorti du rêve »
116
. Le rêve va ainsi devenir un moyen de « faire poésie ». Mais pas
de n’importe quelle façon puisque en 1935, lors d’une interview accordée
à André Breton, Paul Eluard insiste sur la distinction à faire entre poème
surréaliste et poème classique. Pour lui, il n’est pas question de composer un poème, ou de régir sa forme avec des règles comme les vers et la rime. « Les
formes fixes (…) affaiblissent le langage » 117. Il finit d’ailleurs par ajouter que si le monde est en perpétuel mouvement, la poésie doit l’être aussi. « Les
textes automatiques, comme les poèmes, sont des rêves racontés au présent. Il ne viendrait à l’idée de personne de raconter les rêves en alexandrins et de
les faire absurdement rimer. » 118 Un avis que partage son confrère Benjamin
Péret qui pense l’expression poétique comme un acte spontané, libérateur et surtout: affranchi de tout effort mental.119
...f ictionnelle
Si, pour le poète inspiré par le rêve, c’est la spontanéité de l’écriture qui prime, ( c’est-à-dire une libération du langage qu’il s’attache à exprimer par
un laisser-aller de la plume comme de l’esprit ), des écrivains vont trouver
dans le rêve un moyen de faire écriture. Le langage du rêve devient ainsi un 116 Aragon, Louis, Oeuvres poétiques complètes vol. 1, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007 117 Sebbag, Georges, Sommeils et rêves surréalistes, Jeanmichelplace, 2004, Préface, p.9 118 Eluard, Paul, interviewé par André Breton, le 9 avril 1935 à Prague, au Halonovigny, Mis en ligne: http://www.lettresvolees.fr/eluard/documents/Eluard_%20reve.pdf 119 Péret, Benjamin, Oeuvres complètes, tome 7, Librairie José Corti, 1995
72
modèle à traduire voire imiter par la pratique de l’écriture. Parmi ceux qui attirent mon attention, il y a Raymond Queneau qui publie
en 1925 son premier texte: un récit de rêve, dans La Révolution Surréaliste n°3. Pourtant quatre ans plus tard, il prend le contrepied et opère une
fracture avec la démarche surréaliste. Il renie « progressivement l'écriture automatique comme sublimation de l’inspiration »
120
. Raymond Queneau
publie ainsi des Récits de rêves à foison où il introduit quinze rêves qui
paraissent au premier abord, être les siens (puisque appelés comme tels), et avoir tout du récit de rêves. Pourtant à la fin, c’est par un coup de théâtre qu’il
conclut: « Naturellement aucun de ces rêves n’est vrai non plus qu’inventé. Il s’agit simplement de menus incidents de la vie éveillée. Un minime effort de rhétorique m’a semblé suffire pour leur donner un aspect onirique. C’est tout ce que je voulais dire. »
121
. En écrivant des épisodes de vie diurne qu’il
s’est attaché à manipuler pour produire des rêves rapportés, Queneau met en place une stratégie propre au récit de rêve. Il écrit en tant que « Je », un « Je »
qui révèle les agissements et les impressions du rêveur au moment où il rêve. Aussi, pour renforcer son récit, il passe assez succinctement de la description
d’une chose à une autre. Il fragmente son écriture et utilise l’allocution « etc. » qui renvoie à l’oubli, et accentue le caractère lacunaire du rêve. Il reprend en fait pour structurer ses récits « les mécanismes du travail du rêve » 122. Il crée
ainsi des rêves prototypes qui tendent « à faire du récit de rêve un simple
effet d’écriture. »
123
En créant des fictions de rêve Queneau s’essaie, avec
ironie, à contester le récit de rêve tant encensé par les surréalistes.
120 Dula-Manoury, Daiana, Eminences du rêve en f iction, Paris, L’Harmattan, 2004, p.105 121 Carroy, Jacqueline, Nuits Savantes Une histoire des rêves (1800-1945), cite: Queneau, 1973, editions EHESS, Paris, 2012, p.14 122 Dula-Manoury, Daiana, Eminences du rêve en f iction, Paris, L’Harmattan, 2004, p.114 123 Ibid., p.105
73
2 octobre 1911 « Je dors véritablement à côté de moi, tandis qu’il me
faut, en même temps me battre avec des rêves »
21 Juillet 1913: « Je ne peux pas dormir je n’ai que des rêves, pas de sommeil »
Franz Kafka, Journal intime
124
Chez Franz Kafka, au contraire, le rêve va prendre une importance considérable. Il s’inscrit en quelque sorte comme le fondement de son
écriture. Il note ses rêves dans son journal, mais on en trouve aussi dans les correspondances amoureuses qu’il entretient (avec Felice et Milena). Le rêve
est pour Kafka, comme on l’a vu avec Queneau, une méthode d’élaboration
de ses oeuvres. Mais pour lui, il ne s’agit pas de restreindre le rêve à une traduction littéraire qui s’engagerait seulement à transmettre le rêve en tant
que tel, produisant « un discours fermé » 125. Il veut pouvoir énoncer quelque chose, et on le ressent jusque dans les lettres qu’il adresse à ses proches, où les rêves tiennent une place particulière. Felix Guattari, qui s’est beaucoup
intéressé à l’oeuvre de Kafka, appréhende ainsi le rapport de Kafka avec ses
rêves: « S’il vivait comme en rêve, il rêvait aussi comme il écrivait, de sorte
qu’une boucle littéraire ne cessait de nouer ses réalités quotidiennes et son imaginaire onirique. » 126 La langue du rêve devient un médium qu’il s’attache
à reprendre dans son oeuvre en général, et il écrit d’ailleurs dans un état qui s’apparente à l’état de rêve: la nuit dans « une sorte d’autohypnose »
127
. État
dans lequel il essaie de se maintenir, lors de ses insomnies, pour échapper 124 Kafka, Franz, Journal Intime, trad. de l’allemand par M.Robert, C. David, et JP. Janès, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, p.88 et p.302 125 Guattari, Felix, Soixante-cinq rêve de Franz Kafka, Lignes, 2007, p.13 126 Ibid. p.11 127 Zane Mairowite, David, Crumb, Robert, Kafka, Adaptation française de Jean-Pierre Mercier, Actes Sud BD, 1993
74
à son père et à l’ambiance qui règne à la maison. Il écrit les faits réels avec
la même étrangeté dont il use pour écrire un rêve. Kafka est, par ailleurs, obsédé par la métamorphose, un thème lui-même très lié au rêve. La réaction des personnages est absurde: ils éprouvent du dégoût mais ne se posent
aucune question sur l'origine de la transformation, comme si l'auteur avait conçu ses personnages en leur apposant un filtre de rêve (qui atténuerait leur étonnement face à l'absurdité). Les surréalistes, quant à eux, suggèrent que la
métamorphose de Franz Kafka « découle de stimuli somatiques » 128. C'est sa
posture, analogue à celle du dormeur et son corps qui se raidit, qui pourrait être l'expression du rêve dans La métamorphose.
« Il y a là sans nul doute des signes de rêve.» (...) Le personnage de
La Métamorphose sent, en effet, son dos se durcir et tout son corps. Il
ne lui reste plus que quelques millions de petites pattes pitoyablement
minces et papillotantes devant ses yeux. Quelle est ici la démarche
profonde? A vrai dire, il arrive souvent qu’un homme, en s’éveillant
n’ait pas tout à fait abandonné son rêve et que, sans trop percevoir
cela, il se laisse aller à jouer encore pendant un certain temps avec les
données de ce rêve. (…) Il semble qu’il y ait de cela au départ de la
Métamorphose. Grégoire Samsa, à demi réveillé, « creuserait » donc son rêve. Il pourrait se représenter qu’il est devenu insecte, tout en
demeurant cependant lucide à l ’intérieur de la repoussante carapace qui l ’enveloppe. Il s’abandonnerait en esprit à ce monde second » Marcel Lecomte, Trajectoire du rêve, 1938
129
128 Verger, Romain, Onirocosmos: Henri Michaux et le rêve, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p.115 129 Verger, Romain, Onirocosmos: Henri Michaux et le rêve, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004 cite: M. Lecomte, « Notes sur Kafka et le rêve (la métamorphose) », Trajectoire du rêve, éditions G L M., 1938, p.61-62
75
des rêves rendus lisibles « Le récit de rêve est avant tout, dans la course à l'imaginaire, cette
représentation privilégiée par rapport à d'autres modes narratifs, en
ce qu'il apporte une double réponse: à l'envie du rêveur de garder une
trace de ce qui lui apparaît, à la sortie du sommeil, comme une réalité inaltérable, d'une part; à une certaine urgence qui, si elle n'est pas
thérapeutique au sens psychanalytique, peut équivaloir à un besoin créateur, d'autre part »
Daiana Dula-Manoury, Éminences du rêve en f iction, 2004
130
Le récit de rêve, celui qu’on trouve généralement dans un carnet et qui est, le plus souvent, la première trace « gardée » du rêve, existe pour attester, se souvenir, faire trace. Mais des écrivains, pour qui l’oeuvre a des connivences
avec le rêve, ont fait de leurs récits de rêves des textes à part entière. Qu’ils
soient publiés ou non, ces récits ont fait l’objet d’études et attirent l’attention encore aujourd’hui.
Le récit de rêve pose, en fait, beaucoup de questions. Et si Freud, s’est luimême servi de ses propres récits et de ceux de ses proches et amis - pour
fonder ses analyses sur l’inconscient - il ne comprend pas la démarche de
publier des récits de rêves tels quels. En 1938, il est de nouveau sollicité, cette
fois par André Breton, qui lui demande d’apporter sa contribution au recueil
qu’il projette de réaliser: Trajectoire du rêve. De nouveau, il refuse et coupe court à toute collaboration, puisque pour lui le rêve ne peut se dissocier de
ses pensées, et il ajoute qu’ « Un recueil de rêves sans associations jointes, sans connaissance des circonstances dans lesquelles on a rêvé, ne me dit 130 Dula-Manoury, Daiana, Eminences du rêve en f iction, Paris, L’Harmattan, 2004, p.10
76
rien, et je peux avec peine me représenter ce qu'il peut dire à d’autres. »
131
Pourtant avec les nombreux récits de rêve transcrits au sein de La Révolution
Surréaliste (et d’autres revues surréalistes), André Breton tend à inscrire le récit de rêve comme un nouveau genre littéraire surréaliste. Il est perçu
comme un langage dans lequel se reflètent à la fois l’inconscient et le monde
extérieur. Trajectoire du rêve manifeste la volonté d’exprimer la « voix du merveilleux (…) dans un moment où le monde réel est dramatiquement menacé. »
132
En 1973, Georges Perec (qui s’applique, dans son oeuvre, à écrire sous la
contrainte) invente avec La Boutique Obscure (124 rêves) une nouvelle forme
de l’autobiographie, en retranscrivant exclusivement sa «vie» et ses péripéties
nocturne. Au début de son livre il met en exergue la tournure que prend son expérience des rêves au fur et à mesure qu’il entretient son journal de rêves: «
Je croyais noter les rêves que je faisais: je me suis rendu compte que, très vite, je ne rêvais déjà plus que pour écrire mes rêves. » 133. Georges Perec opère
ainsi un renversement puisqu’il rêve en ayant son projet d’écriture à l’esprit, il est en quelque sorte guidé par lui. Perec introduit La Boutique Obscure en
donnant au lecteur quelques précisions nécessaires à une meilleure lecture
de ses transcriptions. Il essaie de souligner ainsi par la présence de l’alinéa, l’italique, les espaces ou les signes; des changements d’états, des éléments marquants ou des passages oubliés - voire volontairement omis - du rêve. En
utilisant des codes qui façonnent la mise en forme du texte, il allège ainsi ce qui s’exprimerait plus lourdement à l’écrit ou qui, au contraire, pourrait tout aussi bien passer à la trappe. Il trouve des systèmes pour communiquer 131 Gille, Vincent, Trajectoires du rêve, Du romantisme au surréalisme, Pavillons des arts, 7 Mars - 7 Juin 2003, Paris-Musees, p.182 132 Ibid. 133 Perec, Georges, «Préface», La Boutique Obscure, L’imaginaire Gallimard, 2010
77
avec le lecteur: « Car si on écrit ses rêves et si on les communique à des lecteurs,
c’est qu’on transforme le monologue nocturne en dialogue,
c’est qu’on fait de la nuit une « boutique », donc une pièce ouverte à
un public, à une clientèle, non une chambre close.
C’est que le rêve devient un lieu d ’échange entre les hommes. » Roger Bastide, Postface, La Boutique Obscure, 2010
134
Les récits de rêves ont, par ailleurs, développé en art une propension à insuffler d’autres choses voire à amener ces textes à devenir oeuvres d’art. En
1999, Francesco Bonami et Hans Ulrich Obrist, proposent à une centaine
d’artistes de participer à un recueil de rêves: Sogni/Dreams. Il s’agit, au départ, d’exprimer un rêve qu’on aimerait voir se réaliser. Le projet manifeste
la volonté de voir des rêves rendus réels ou possiblement réels. Cependant, les propositions qui émergent, finissent par être en grande majorité des récits de rêves nocturnes ou des rêves imagés. Les récits récoltés transforment
l’initiative de départ et font du livre « une fenêtre sur les sources inconscientes de la création contemporaine »
135
.
Mais ce ne sont pas toujours de leurs propres récits que s’inspirent les
artistes. Le point de gisement peut aussi survenir suite à la lecture de récits
d’autres grands rêveurs. C’est ce que Rodney Graham entreprend en 1987. Il a le projet de « prolonger » le célèbre rêve de la monographie botanique de Freud. Il projette d’enquêter sur ce rêve, et d’en continuer l’interprétation
134 Bastide, Roger, « Postface »,Georges Perec, La Boutique Obscure, (1973) L’imaginaire Gallimard, 2010 135 Hiller, Susan, Dream Machines, Londres, for the Arts Council of England, 2000
78
là où Freud l'avait lui-même arrêtée. Il s’improvise psychanalyste du fondateur de la psychanalyse, à titre posthume. En plus de mettre son nez
dans les lettres envoyées par Freud, et dans ses affaires personnelles, Rodney
Graham fait exister la monographie fictive dont Sigmund Freud a rêvé. Il
en imprime des versions factices qu’il installe sur les étalages des librairies
de la ville de Münster. Il réalise des affiches afin de faire la promotion du livre - ou peut-être du rêve. En 1989, il réalise de nouveau un projet lié à L’Interprétation des rêves, qu'il appelle Freud Supplement (170a-170d). Il y
reprend rigoureusement la mise en page et interrompt une phrase de Freud en son milieu « It was not until I had recalled » pour mieux la compléter et la prolonger « dans une autre direction » qui « apporte de nouveaux matériaux
associatifs » 136. C'est un projet important qui vient, par la ruse, apporter des
précisions sur le contexte des rêves de Freud.
C'est vers une autre forme que les rêves de Kafka ont inspiré Philippe
Adrien. En effet, en 1984, il met en scène au théâtre, des rêves que Kafka a écrits. Et il prend pour point de départ un de ses rêves sur le théâtre, la volonté est alors de rassembler ses rêves sur une « Autre Scène ». Autre scène que Kafka « partagerait avec son double Joseph K. »
137
Il y a alors
une tentative de transposition des récits de rêves (qui sont déjà eux-mêmes
des transcriptions) dans la réalité. Philippe Adrien essaie, avec sa troupe, de donner vie au texte et de « produire les paroles, les mouvements, les rythmes » qui transparaîssent à la lecture des rêves de Kafka.
136 Graham, Rodney, Oeuvres Freudiennes, Yves Gevaert Editeur, Musée départemental de Rochechouart, 1996, p.15 137 Adrien, Philippe, (metteur en scène), Rêves De Franz Kafka, Document, Centre Pompidou, Mis en ligne: https://www.centrepompidou.fr/media/document/14/72/1472a19e1d2e16cbc 82ff3a01df899df/normal.pdf
79
Rodney Graham, La Monographie Botanique, " Un de 24 exemplaires du livre Die Gattung Cyclamen, dans la vitrine d'une librairie de MĂźnster", Photo: Jeff Wall, 1987
Philippe Adrien, RĂŞves de Kafka, 1984
« Il n’y a d ’autre description d ’un rêve que celle que se donne
l ’homme qui s’éveille. » Burdkakt Lindner,
« Rêves » Benjamin comme rêveur et comme théoricien du rêve, 2009
138
des récits à entendre
Si Georges Perec évoquait déjà dans La Boutique Obscure, le problème de la
trahison lors de la transcription du rêve, 139 il faut prendre en compte, lorsqu’on
raconte, la possibilité de l’erreur, de l’hésitation, voire de la falsification
(exprimée par la censure). Walter Benjamin (toujours dans Rêves) insiste ainsi sur l’importance de raconter ses rêves en pleine possession de ses
moyens, et plus précisemment: après s’être lavé et avoir petit déjeuné. La « clarté du jour » permettrait au rêveur de maîtriser le souvenir de son rêve, de
ne pas le trahir, alors que: « L’homme à jeun parle encore du rêve comme s’il parlait dans son sommeil. » 140 presque en somniloque.
Le rêveur qui raconte un rêve, tente, d’une certaine manière (et ce sans en avoir conscience) de maîtriser son rêve. Il essaie de traduire « en langage
d’éveillé » un langage « onirique » 141. En s’exprimant avec son langage à lui, le
rêveur arrange le rêve. Il lui impose une logique propre au récit, au discours. « L’évènement du rêve est peu à peu discipliné, subordonné (…) Il n’y a plus que peu de risques de rejet de ce corps perçu initialement comme étranger. »
142
C’est d’ailleurs cet arrangement qui intéresse Freud lorsqu’il entreprend
138 Lindner, Burdkakt, « Postface », Walter Benjamin, Rêves «1.Notes et textes jusqu’en 1930 » , Le Promeneur, 2009 139 Perec, Georges, «Préface », La Boutique Obscure, L’imaginaire Gallimard, 2010 140 Benjamin, Walter, Rêves «1.Notes et textes jusqu’en 1930, Petits Déjeuners » , sous la direction de: Burkhardt Lindner, Le Promeneur, 2009, p.81 141 Belaval, Yvon, Science et technique : Le rêve, Les matinées de France culture, 26/06/2015 142 Dula-Manoury, Daiana, Eminences du rêve en fiction, Paris, L’Harmattan, 2004, p.83
81
l’analyse. C’est l’hésitation du patient, la répétition et la modification - ou
l’oubli lors de la répétition, qui sont un matériel primordial et révèlent les points importants à creuser
143
.
Mais on ne raconte pas seulement ses rêves dans un but psychanalytique. Il
est d'ailleurs fréquent de les transmettre à un proche ou à un ami, comme un souvenir curieux presque éloigné, exterieur à soi. Des artistes se sont intéressés
à ces histoires racontées et ont entrepris de développer des dispositifs à même de récolter ces récits. Par l’installation sonore, il s’agit de permettre
la diffusion des rêves, et de les sortir de la sphère intime afin de les dévoiler dans l’espace public. En 2002, Francesco Finizio met en place un service
(numéro vert) où il est possible de déposer un ou plusieurs de ses rêves. Avant
ça, il a déjà tenté une expérience similaire avec son oeuvre La Ligne ouverte. Il s’agissait alors de chantonner au téléphone « les airs qui encombrent votre
esprit. » Un service téléphonique conçu comme un moyen d’expier les airs entêtants. Retransmis en direct, Francesco Finizio est venu figer ces instants périssables en en conservant les enregistrements, dans le but de réaliser plus tard des compilations titrées « les archives de l’inconscient musical ». Un
travail qu’il m’a semblé intéressant de relever puisqu’il y a déjà, avec Ligne
ouverte, une volonté d’attraper au vol des instants éphémères, oubliés aussi vite qu’arrivés… Dans son travail en général, Francesco Finizio questionne la
transmission, le flux et la transaction. 144 On a affaire aux mêmes modalités
avec Le Transmetteur polyphonique des rêves. Déjà parce que comme son nom l’indique, la transmission est au coeur du projet, et ensuite parce que l’oeuvre, pour exister, nécessite le témoignage et la participation d’un tiers.
143 Freud, Sigmund, L’inquiétante étrangeté et autres essais, L’établissement des faits, folio essais Gallimard, p.23 144 Finizio, Francesco, Documents d’artistes Bretagne, Mis en ligne: http://ddab.org/fr/oeuvres/ Finizio/Page54
82
« Vous faites de beaux rêves? Le Transmetteur polyphonique de rêves,
de Francesco Finizio, les diffuse.
Racontez vos songes à ce numéro: 04.34.88.79.84 » 8 La Panacée
145
Francesco Finizio, Le transmetteur polyphonique des rêves, 2002
145 Mis en ligne sur: Facebook: La Panacée
83
Si l’installation est à chaque fois reconçue en fonction du lieu où elle est
exposée, elle se présente toujours de façon assez simple, avec au sol, une plateforme à mi-chemin entre le tapis de sol et le matelas, et au-dessus
un long tube en PVC qui diffuse les rêves en sourdine. Le spectateur est ainsi amené à essayer l’oeuvre, à s’allonger dessus pour écouter. Il devient un spectateur impliqué. En auditeur couché, c’est presque lui qui semble
prendre la place du rêveur, ou en tout cas il lui reprend sa posture. Le spectateur perçoit les enregistrements à travers le tube. Un rêve raconté en
direct, sur la ligne téléphonique, viendra perturber l’écoute des sons diffusés qui font déjà partie de l’archive. À Avignon, il reprend les codes couleur de la plage: néons jaunes, sol sable… Il renvoit ainsi à travers son installation, une esthétique qui fait écho au seul endroit public où il est commun de s’exposer
allongé, et vulnérabls (car presque nu).146 Dans le Transmetteur Polyphonique
des Rêves, le rêve opère un déplacement tel, qu’il se dissocie de son rêveur pour être réapproprié par le spectateur.
Dans le cadre d’une manifestation culturelle prenant place à la Médiathèque Toussaint d'Angers, Marco Marini et Aude Rabillon ont eux aussi proposé
un projet qui interroge le rêve raconté. Marco est musicien, compositeur, enseignant, il crée des machines éléctroacoustiques qui permettent d’interroger l’instrument. Aude Rabillon, elle, est artiste sonore et travaille
sur des projets radiophoniques où elle mêle réel et iréel. Ce projet qu’ils ont nommé d’ « Haut parlants » s’inscrit dans une lignée de projets inspirés par le désir de proposer une expérience et de créer un véritable échange avec les autres. Le spectateur délaisse ainsi son statut de simple spectateur pour
devenir contributeur, sinon marcheur errant. La différence avec le projet
de Francesco Finizio, c’est que le contributeur peut être à la fois l’auditeur 146 Finizio, Francesco interwievé par La Panacée, Mis en ligne: https://vimeo.com/68696871
84
et qu’ainsi il y a une espèce de simultanéité de l’expérience. L’installation performative dure seulement trois heures comme un happening.
Au fond de l’installation, il y a une cabine où Aude accompagne les personnes
désireuses de raconter un rêve. Elle propose, dans un panier pour ceux qui n’ont pas d’idée, des papiers pour les inspirer, sur lesquels sont inscrites des
phrases telles que: « La créature de vos rêves? », « Quelle est la langue de
vos rêves? », « Un rêve réalisé », « Un rêve réveillé », « De quel monde rêvez vous? », « Le rêve d’une autre entité », « Un rêve d’enfance », « Un mauvais rêve » … Principalement des rêves nocturnes donc, mais aussi des rêves
diurnes. Ils expliquent d’ailleurs le choix d’évoquer le rêve dans son sens le plus global par l’envie de toucher un maximum de gens présents.
Le dispositif est octophonique, il se compose donc de huit haut-parleurs qui
sont, chacun, tournés dans une direction opposée, ce qui permet au son de circuler dans l’espace. En plus de ça ils ont installé ce qu’ils appellent des «
parabulles de rêves », des sortes de hublots en plastique qui renvoient le son, à l’intérieur de l’installation. Le son prend ainsi une véritable ampleur dans
l’espace. Aux enregistrements de rêves racontés s’ajoutent des sons qu’Aude
et Marco ont au préalable préparé et qui leur évoquent le rêve. Aude explique d’ailleurs leur choix: le grave pour du sombre, du cauchemar; et l’aigu pour des choses plus aériennes, plus claires. « Il y a des choses objectives dans le
son qui permettent de donner ces sensations ». Ce réservoir sonore vient
s’ajouter aux enregistrements de rêves racontés que Marco Marini vient mixer en direct. Mais les enregistrements eux, fonctionnent sur un mode
aléatoire. Il y en a trois: un mode surround où l’enregistrement trace un chemin sur les haut-parleurs, le mode dédié qui dédie l’enregistrement à un haut-parleur fixe, et un dernier mode complètement aléatoire sans direction
85
pré-établie. L’aléatoire les intéresse beaucoup, parce que c’est aussi quelque
chose de très lié au rêve. Et Marco fait cette analogie: « Quand on est dans
le rêve, en fait, on passe d’un univers à un autre, on a l’impression d’y avoir passé des heures et puis ça dure trois secondes…»
L’oeuvre évolue au fil de ses trois heures, de son existence. Sans participation
l’oeuvre ne peut fonctionner, et moins il y a de matière plus elle est répétitive. C’est véritablement la participation qui permet le renouvellement de l’oeuvre, et par extension, sa richesse. L’installation est à appréhender comme une
grande sculpture dont on peut faire le tour et à la fois se balader à l’intérieur. Les haut-parleurs sont drapés de sorte que l’on peut s’asseoir dessus, il y a
même des coussins où l’on peut venir poser sa tête. Le tout nappé de blanc. L’auditeur peut par la marche, intervertir les histoires, les sons, rompre leur
temporalité ou leur « logique » (si on part du principe qu’elles en ont une). Mais il peut aussi simplement décider de s’installer auprès d’un des huit haut-parleurs
147
.
Finalement si dans Le Transmetteur Polyphonique des Rêves et Rêves Haut
Parlants l’histoire fait matière, elle devient plus qu’un simple récit raconté. On le remarque plus particulièrement avec Rêves Hauts parlants où le récit devient prétexte à l’expérience. Le dispositif mis en place tend à conditionner
le spectateur dans son écoute et l’incite véritablement à prendre part à une expérience liée au rêve. Le rêve va ainsi devenir un moyen de retrouver ce genre d’expérience, au cours de la vie éveillée.
147 Propos receuillis lors d’un entretien mené par mes soins, avec Marco Marini et Aude Rabillon, le 19 septembre 2015
86
Croquis de l'installation, Aude Rabillon et Marco Marini, RĂŞves Hauts Parlants, 2015
...et de fabr iquer par l'ar t
"Le 9 septembre 1904, je rêvai que j'étais debout devant une table, près d'une fenêtre. Sur la table étaient disposés divers objets.
Pleinement conscient que je rêvais, je réfléchis aux expériences que je pourrais faire. Je commençai par essayer de casser un verre en
cognant dessus avec une pierre. Je posai une petite tablette de verre sur deux pierres et frappai avec une autre pierre, mais en vain. Je pris alors le verre de cristal f in sur la table et le serrai dans mon
poing de toutes mes forces, pensant en même temps combien il serait dangereux de faire cela en état de veille. Le verre ne se brisa pas,
mais voilà que, le regardant de nouveau un peu plus tard, il était brisé !
Il s'était brisé correctement, mais un peu trop tard, comme un acteur qui rate sa réplique ! Cela me donna l'impression très curieuse
d'être dans un monde truqué, très bien imité, mais avec de légères
erreurs. Je pris alors le verre cassé et le jetai par la fenêtre pour voir si j'entendrais le bruit des débris. Je l'entendis très bien, et même j'aperçus deux chiens qui s'enfuyaient avec beaucoup de naturel.
Je pensai alors quelle bonne imitation était ce monde de comédie.
Voyant sur la table une carafe de Bordeaux, je m'en versais et notais avec une parfaite clarté d'esprit : «Eh bien, on peut avoir aussi des sensations volontaires de goût dans ce monde de rêve ; ce vin est d'une saveur parfaite !» Le rêve de Frederik Van Eeden, Michel Jouvet, Le Sommeil et le Rêve, 1861
148
148 Jouvet, Michel, cite: « le rêve de » Van Eeden, Frederik, dans Le Sommeil et le Rêve, Paris, Odile Jacob, p.115
91
Des artistes vont exprimer la volonté de ranimer l'expérience du fuyant ou
du rêve durant la veille. Mais j’aimerai d’abord retourner la question dans
l’autre sens et m’attarder un peu sur le désir d’expérience éprouvé par le rêveur au sein même du rêve. En effet, si le rêveur n’est pas à proprement
parler passif, il subit généralement son rêve. Hervey De Saint Denys (1822
– 1892), célèbre explorateur onirologue,a essayé d'intervenir sur ses rêves. Il est l’un des premiers à avoir tenté de ramener un état de conscience à
l’intérieur du rêve. Une pratique du rêve qu’on nomme aujourd’hui de lucide. Avant de réussir à en faire l’expérience, Hervey De Saint Denys a commencé
par prendre l’habitude de noter ses rêves, au petit matin comme en pleine nuit. Il est ainsi arrivé à développer une mémoire du rêve, et par extension (plus tard) à influencer ses rêves. Il a conçu des stratégies et des dispositifs
à même de venir parasiter sa nuit, le stimuler de l’extérieur. Un jour, il lui vient à l’idée de demander à sa bonne de répandre un parfum acheté lors
d’un voyage, sur son oreiller au petit matin alors qu’il est encore endormi. Une autre fois il fait l’expérience (diurne) de choisir deux chansons de bal, qu’il attribue à deux partenaires sans les mettre dans la confidence, ainsi lorsqu’elles sont jouées, il danse avec l’une ou l’autre. À la suite de ça, il fait
fabriquer une boîte à musique capable de jouer les deux valses, qu’il bricole
de sorte que son réveille-matin active les musiques de la boîte à musique. Son idée est la suivante: « Associer certains souvenirs au rappel de certaines perceptions sensoriales, de manière que le retour de ces sensations, ménagé
pendant le sommeil, introduise au milieu de nos songes les idées-images que nous en avons rendues solidaires. »
149
Entre expérience olfactive et auditive,
Hervey de Saint Denys exprime ainsi l’envie de rapporter les souvenirs
de la vie de veille au sein de ses rêves. Aussi il fait d’autres tentatives et 149 Saint-Denys, Hervey (de), Les Rêves et les moyens de les diriger - Observations pratiques, ed. Oniros, Chitry Mont Sabot, 1995, p.25
92
essaie d’intervenir sur son rêve par la volonté et l’attention, ce qui l’amène à expérimenter différentes techniques. Il lui arrive, par exemple, d’essayer de changer le contenu du rêve, ou tout simplement de voir ce qui se passerait s’il sautait par la fenêtre 150.
Comme le pointe Susan Hiller, Hervey de Saint Denys est assez unique
car: « Rares sont ceux qui, dans la société occidentale, ont essayé d'explorer consciemment l'état de rêve en acceptant la réalité de l’immatérialité. »
151
.
Ainsi il continue de passionner par son esprit expérimental et les rapports
détaillés qu’il a laissé de ses expériences. Il a aussi laissé des descriptions de ses visions hypnagogiques (le nom donné aux hallucinations qui interviennent durant la phase d’endormissement ou de réveil) révélatrices d’un état intermédiaire entre sommeil et éveil: « Des roues de lumière, de
petits soleils pivotants, des bulles colorées montant et descendant … des lignes brillantes qui se croisent et s'entremêlent, qui s'enroulent et font des cercles, des losanges et d'autres formes géométriques. »
152
.
en hypnose
Il va donc être question, pour renouveler une expérience du fuyant, de fermer
les yeux, tomber dans un état de conscience altéré. Et pour ce faire, l’hypnose
va se distinguer en tant que pratique artistique. Des méthodes de sommeil 150 Pachet, Pierre, « Nos rêves ont-ils toujours des secrets? », 25/06/2015, Conférence mise en ligne: http://plus.franceculture.fr/nos-reves-ont-ils-toujours-des-secrets 151 Hiller, Susan et Coxhead, David, Les rêves visions de la nuit, Paris, Seuil, 1976 152 Hervey De Saint-Denys, «Frontispice», Les rêves et les moyens de les diriger, Paris, 1867, cité par: Hiller, Susan et Coxhead, David, Les rêves visions de la nuit, Paris, Seuil, 1976
93
hypnotique avaient déjà été adoptées par les surréalistes et à l’époque, Robert Desnos qui manifeste une bonne capacité à s’endormir, participe activement
à cette pratique. Lors d’une séance, Desnos se laisse tomber dans un sommeil hypnotique et se met à gratter frénétiquement sur la table, sans souvenir l'avoir fait. Le 30 septembre 1922, on lui donne un crayon pour qu’il
dialogue avec André Breton pendant sa période de sommeil hypnotique, il lui répond par écrit et en faisant des dessins. 153 Il publie plus tard, le recueil
Rrose Sélavy à la suite de séances où il dit être rentré en communication « médiumnique » avec Marcel Duchamp. 154
Pour bien comprendre ce qu’engage l’hypnose, il faut donc la distinguer
du sommeil, et plutôt l’assimiler à un état modifié de conscience qui peut évoluer vers un état de passivité. Raymond Bellour la définit assez bien dans
Le corps du cinéma, hypnoses, émotions, animalités, en disant qu’elle relève
d'un « dispositif dans lequel la détermination (…) vient de l’extérieur », il
évalue les variations de conscience possibles sous hypnose, de « la simple rêverie aux effets de présence des vrais rêves nocturnes, en passant par les impressions laissées par un film ou la télévision ».
155
Si l’autohypnose
existe, j’ai sélectionné les travaux d’artistes qui ont choisi d’avoir le rôle
de l’hypnotiseur (ou du moins, d’être de son côté) et d’ainsi suggérer
une expérience à l’autre. Dans ces oeuvres le spectateur devient dès lors l’hypnotisé. Il fait immersion dans l’oeuvre.
153 Sebbag, Georges, Sommeil & Rêves Surréalistes, jeanmichelplace, 2004, p.11 154 Kuta, Małgorzata, « Rrose Sélavy de Robert Desnos: à la recherche du sens caché », Romanica Cracoviensia 2009/9 Jagiellonian University Press, Mis en ligne: http://www.wuj.pl/UserFiles/ File/Romanica%20Cracoviensia%202009/4-RC-9-Kuta.pdf 155 Bellour, Raymond, Le corps du cinéma, hypnoses, émotions, animalité, Paris, P.O.L.Trafic, 2009
94
Joris Lacoste, 12 rêves préparés, gb agency, 2012
Joris Lacoste a commencé à développer la notion d’Hypnographie en 2004, un concept qui repose sur une « recherche sur la confection de rêves et les possibles usages artistiques de l’hypnose. ».
156
C’est véritablement devenu,
pour lui, un moyen de créer: « Je me suis rendu compte que quand on raconte
une histoire à quelqu’un sous hypnose, il l’entend, la vit de manière beaucoup
plus intense. La personne est littéralement plongée dans une fiction. Elle va la vivre comme dans une situation réelle. ».
157
Il réalise spectacles et
performances, où il va même jusqu’à hypnotiser plus de 200 personnes. (Centre Pompidou, 2011) En 2012, Joris Lacoste invente une douzaine de scénarios, chacun très différent les uns des autres. Il les présente sous le
titre de 12 rêves préparés, et en accroche les synopsis aux murs de la galerie. Le spectateur peut ainsi choisir un rêve qu’il souhaiterait acquérir. Avant
de procéder à la séance, l’artiste et le spectateur conviennent des termes de
l’échange. Lors d’un festival au FIAF (French Institute Alliance Française), Joris Lacoste réitère ce procédé et réalise la pièce: 4 rêves préparés. Une
performance qui exprime cette fois la volonté d’induire des rêves à des artistes: Jonathan Caouette, Tony Conrad, Annie Dorsen et April March.
156 Lacoste, Joris site web de l'artiste, Mis en ligne: http://jorislacoste.net/hypnographie/ 157 Lacoste, Joris interviewé par Matthias Keil, Mis en ligne: http://frenchmorning.com/ joris-lacoste-lart-sous-hypnose/
95
La séance individuelle précède une séance ouverte au public où il est question pour Joris Lacoste, comme pour les spectateurs, de découvrir ce que
la personne a vu sous hypnose. S’instaure ainsi une latence, entre la fiction dictée au départ, et l ’histoire-rêve perçue par l’hypnotisé.
« here is a quick proposal of something i would really like to
experiment tonight in your hypnotic show. it is extremely simple, or
at least i do hope it is. it would go as follow :
at one point during a scenario of our choice from another artist
while people are under hypnosis, the hypnotyser stops talking,
turns his back on the people and leaves the room. thus abandoning
the people in their state: like a treason in the narrative, a rupture in the mediation. if possible, this silence and uncanny state of the show stays on for few minutes. would they wake up on their own?
would the hypno guy need to wake them up by coming back into the room and speaking to them? what happens really
when the narrative stops? what do they experiment?
what does the audience interpret of this anonymous gesture? »* Fabien Giraud, The Hypnotic Show
158
Le curateur Raimundas Malasauskas a quant à lui réuni un bon nombre d’artistes autour de la question de l’hypnose avec un projet qu’il a nommé
Hypnotic Show. Il leur a commandé la production d’oeuvres immatérielles
susceptibles de n’exister que sous hypnose. Les propositions faites prennent 158 Giraud, Fabien, (suggestion), Raimundas Malasauskas, Hypnotic Show, Mis en ligne: http://www.rye.tw/HYPNOFAQandSCRIPTS.pdf
96
pour la plupart la forme de textes. Des textes qui scénarisent la façon dont devrait se dérouler la séance, ou qui plus directement sont les matériaux à même d’être dictés. Les oeuvres sont des scripts que l’hypnotiseur Marcos
Lutyens doit mettre en pratique. Des visiteurs, venus assister à l’exposition
se portent volontaires pour être hypnotisés tandis que le reste du public est spectateur. Avec son Hypnotic Show, Raimundas Malasauskas exprime véritablement le désir de créer une exposition qui prendrait place à l’intérieur
du cerveau. C’est l’hypnotisé qui fait exister les oeuvres, et qui les façonne
par les représentations mentales qu’il en fait. D’ailleurs contrairement à
Joris Lacoste, il n’y a pas de discussion officielle après la session d’hypnose. L’exposition est alors quelque chose à vivre de l’intérieur, à « voir avec son esprit » . 159 Raimundas Malasauskas désire ainsi montrer le pouvoir qu’exerce
le cerveau, capable de produire un spectacle de toute part. 160 Et il ajoute à
propos du cerveau que c’est « la dernière frontière qu’il reste à coloniser, du point de vue de la subjectivité individuelle ». 161
Ainsi si l’hypnose est au coeur du sujet, il n’est pas question pour Malasauskas, de « montrer » des travaux d’artistes réalisés sous l’influence de l’hypnose ou du moins, dans un état de conscience altérée. Pourtant c’est une pratique qui
a suscité un grand intérêt chez des artistes comme Joel Fisher, qui en 1980, demande à un hypnotiseur de le faire régresser à l’âge de trois ans; l’âge de son fils. Son projet consiste ensuite à combiner les dessins qu’il fait sous
hypnose avec les dessins de son propre fils. Ce qui le perturbe alors, c’est
l’idée que son fils puisse avoir trente ans de moins que lui au moment où il 159 Smart, Penelope, « Raimundas Malasauskas and Marcos Lutyens Kunstverein Toronto & Gallery TPW, June 12 & 13th, 2014 », 13 juin 2014 CMagazine, 123, Hiver 2014, p.52 160 Teets, Jennifer, « I am a Hologram, Raimundas Malasauskas », Metropolis M, n°6, 2011 161 Malasauskas, Raimundas, Hypnotic Show, Mis en ligne: http://www.rye.tw/ HYPNOFAQandSCRIPTS.pdf
97
en a lui-même trois.162 Par l’hypnose, l’appréhension du temps, de l’espace et de soi peut être complètement perturbée, remise en question.
par la machine
La machine va aussi s’imposer comme un moyen de venir façonner la
conscience et il avait déjà été question dans les années 20 d’un projet
utopique: celui de régir la nuit de sommeil par la machine. Avec le début de l’URSS, apparaît le projet d’une réorganisation du mode de vie de la population.163 Konstantin Melnikov entend le faire en profondeur, puisqu’il
projette de réaliser une architecture conçue spécialement pour réunir « des
conditions idéales de sommeil pour les ouvriers. » Il va penser l’architecture
comme deux grands dortoirs au sol incliné, permettant ainsi aux dormeurs de se reposer sans le besoin d’un oreiller.163 Sonata of sleep prévoit de ne
rien laisser au hasard. De la conception de l’architecture à la construction
d’un tableau de commande qui diffuserait « musiques soporifiques, gaz somnifères ».
164
et vibrations et qui permettrait - avec le savoir-faire d’un
technicien - de réguler la température, l’humidité et la pression de l’air. L’idée est véritablement de tout mettre en oeuvre pour obtenir un sommeil des plus réparateurs. Maîtriser ce qui ne l’est pas encore: l’expérience intime du sommeil.
Konstantin Melnikov, Sonata of sleep 162 Hiller, Susan, Dream Machines, Londres, for the Arts Council of England, 2000 163 Wood, Tony, « Bodies at Rest », Cabinet Magazine, Issue 24, Shadows, Hiver 2006/07 164 Pluot, Sébastien, « Wouldn’t that be wonderful? », conférence, AC/DC Symposium, Haute école d’art et du design-Genève, 27/10/2007
98
Si le projet utopique de Konstantin Melnikov proposait d’intervenir sur
le sommeil, des artistes, vont plus tard choisir de créer des dispositifs à
même d’intervenir sur la vie de veille pour modifier l’état de conscience. L’un des projets les plus connus sur la question est la Dream Machine. Elle
est inventée en 1960, par Brion Gysin et Ian Sommerville qui mettent au
point un dispositif capable de former des hallucinations visuelles. (analogues
aux visions hypnagogiques d’Hervey de Saint Denys) Elle fait partie de ces
oeuvres que l’on doit regarder les yeux fermés, et d’ailleurs Brion Gysin l’a lui-même imaginée à la suite d’une expérience qui lui arrive en fermant
les yeux. Il la décrit dans son journal le 21 décembre 1958: « J'ai eu un
déchaînement transcendantal de visions colorées aujourd'hui, dans le bus, en allant à Marseille. Nous roulions sur une longue avenue bordée d'arbres et je fermais les yeux dans le soleil couchant quand un flot irrésistible de
dessins de couleurs surnaturelles d'une intense luminosité explosa derrière mes paupières, un kaléidoscope multidimensionnel tourbillonnant à
travers l'espace. Je fus balayé hors du temps. Je me trouvais dans un monde infini... La vision cessa brusquement quand nous quittâmes les arbres. »
.165 C’est Ian Sommerville qui conçoit le premier prototype. De façon
rudimentaire, il réalise un cylindre en papier qu’il perce et qu’il vient placer sur un phonographe. En état de marche il tourne à raison de 78 tours par minute. Ainsi, les impulsions de lumière émises à une fréquence constante « modifient la fréquence des impulsions électriques du cerveau. ».
166
Des
motifs colorés viennent apparaître sous les paupières de celui qui essaie
la machine. Le spectateur - ou plutôt l’utilisateur - doit venir s’asseoir en
face de la machine et patienter un petit moment, les yeux fermés, avant 165 Gette, Paul Armand, « Communiqué de presse, Brion Gysin, William S. Burroughs, Paul Armand Gette; De passage », Paris, février 2013, Mis en ligne: http://www.paris-art.com/agendaculturel-paris/de-passage/brion-gysin/14838.html 166 Mis en ligne sur Wikipédia: « Dream Machine »
99
Brion Gysin et Ian Sommerville, The Dreamachine (Dream Machine), 1960
« Le rêve impliqué s’éprouve dans un facilement du regard:
pour faire l'expérience de ce qui procède d'un oubli fondamental, il faut "fermer les yeux devant l ’image" et s'ouvrir à ce qui, en elle, se donne à ne pas voir. »
Georges Didi Huberman, Devant l'image, 1990
Gareth Spor, Dreamachine (Illusion is a Revolutionary Weapon) after William S. Burroughs, Brion Gysin, Cerith Wyn Evans and Loris GrĂŠaud, 2008
Peter Keene, Inside the dream Machine, 2010
de réellement commencer à faire l’expérience de la machine. Gysin conçoit la Dream Machine comme le moyen d’expérimenter un état de conscience altérée sans le besoin d’ingérer de la drogue. Avec la Dream Machine, il entend reconfigurer ce qui tient du visible: « The Dream Machine may bring
about a change of consciousness in as much as it throws back the limits of the visible world and may, indeed, prove that there are no limits ».
167
Par la suite la figure de la Dream Machine va être à maintes fois reprise. Lors de l’Hypnotic Show, par exemple Raimundas Malasauskas (parce que
c’est une oeuvre susceptible de mettre en état de transe) y expose la version de Gareth Spor, dont le titre est Dreamachine (Illusion is a Revolutionary
Weapon) after William S. Burroughs, Brion Gysin, Cerith Wyn Evans and
Loris Gréaud . (Un titre qui en dit long sur sa reprise au sein de l’art) La machine de Gareth Spor est une référence explicite à celle de Gysin
et Sommerville. La différence est à remarquer dans la forme des trous qui sont découpés de façon à ce que chacun forme une lettre, qui bout à bout
composent cette phrase de William Burroughs (collaborateur et ami proche de Gysin) : « Illusion is a Revolutionary Weapon ».
168
Plus récemment
encore, en 2010, Peter Keene qui travaille essentiellement sur la machine, la technologie, le son et la lumière, parvient avec son propre langage, à revisiter
la Dream Machine, un projet qu’il appelle Inside the Dream Machine: il s’agit alors de se mettre à l’intérieur et de vivre une expérience hypnotique, par la
lumière mais aussi par le son. Par ailleurs, les scientifiques vont s’inspirer de machines comme celle de Gysin et Sommerville. Dans les années 80, grâce
aux progrès techniques, émerge un courant de machines supposées stimuler l’esprit: les Mind Machines.169
167 Gysin, Brion, Back in No Time: The Brion Gysin Reader, Jason Weiss, Wesleyan, première Edition, Janvier 2002, p.115 168 Spor,Gareth, Mis en ligne: http://collectrium.com/100.752.177/description/ 169 Site web «Psio», Mis en ligne: https://www.psio.com/fr/avs-story.html
102
Pour conclure avec l’oeuvre Dream Machine, elle inspirera à Susan Hiller une
exposition 170 concentrée sur un art qui s’intéresse à l’état de conscience altérée.
Un choix relatif aux fondements de son propre travail. Elle projette avec cette
exposition, de réunir différents artistes, de l’époque moderne à aujourd’hui, et qui à travers toutes sortes de médiums, expriment singulièrement un intérêt
pour l’exploration de l’inconscient. Elle choisit des oeuvres qui permettent à
la fois d'impliquer le spectateur à faire l’expérience du « rêve, de l’imaginaire, des phénomènes paranormaux et du royaume de l’irrationnel » 171 mais aussi de montrer le travail d’artistes qui l’ont expérimentée dans leur pratique.
Si elle s’intéresse plutôt à l’inconscient tel qu’il peut se révéler chez chacun, sans le besoin d’ingérer des substances, une partie des travaux présentés montre
une pratique liée à l’usage de narcotiques ou de drogues hallucinogènes. Elle expose, entre autres, des dessins d’Henri Michaux produits sous l’effet de la
mescaline, qu’il a réalisés avec l’intention « de capturer l’imagerie étrangère et méconnue du monde de la mescaline induite par les hallucinations ».
172
En 1963, Eric Duvivier reprend, d’ailleurs les travaux d’Henri Michaux sur la mescaline, et réalise un film à visée scientifique qui s’attache à présenter les possibles « altérations perceptives et visuelles »
173
: Images du monde
visionnaire, est précédé par un préambule de Michaux, où il met en garde contre l’insuffisance des images à venir:
170 Hiller, Susan, Dream Machines, Londres, for the Arts Council of England, 2000 171 Ibid. 172 Traduction de l’anglais: Ibid. 173 Duvivier, Eric, Images du monde visionnaire, 1963, Mis en ligne: http://medfilm.unistra.fr/ wiki/Images_du_monde_visionnaire_(1963)
103
« Lorsqu'on me proposa de faire un f ilm sur les
visions mescaliniennes, je déclarai et répétai et le répète encore que c'est entreprendre l'impossible. Quoi qu'on fasse, cette drogue est
au -delà. Même d'un f ilm supérieur, fait avec des moyens
beaucoup plus importants, avec tout ce qu'il faut pour une réalisation exceptionnelle, je dirais encore de ces images et d'avance quelles sont
insuff isantes. Elles devraient être plus éblouissantes, plus instables, plus subtiles, plus labiles, plus insaisissables, plus oscillantes, plus
tremblantes, plus martyrisantes, plus fourmillantes, inf iniment plus
chargées, plus intensément belles, plus affreusement colorées, plus
agressives, plus idiotes, plus étranges. Quand à la vitesse,
elle est telle que toutes les séquences réunies devraient tenir en cinquante secondes. Là, le cinéma devient impuissant. (….) »
Henri Michaux, «Préambule» Images du monde visionnaire, 1936
174
par l'écran
Pour Michaux, la projection, et les images du cinéma ne permettent pas de révéler les hallucinations et visions perçues - parce que la projection « fixe » ne retransmet pas le flux sans cesse éprouvé sous l’emprise de la mescaline. Il insiste véritablement sur le fait qu’il faut en faire l’expérience pour en saisir
la nature des effets. Mais des artistes vont justement choisir le dispositif de l’écran pour proposer une expérience au visiteur. Il s’agit maintenant, pour
le spectateur, de rouvrir les yeux devant l’oeuvre et de l’aborder tout en étant
« éveillé ». L’écran devient une façon d’instaurer une expérience intérieure, propre à chacun, générée par la contemplation.
174 Duvivier, Eric, Images du monde visionnaire, 1963, Mis en ligne: http://medfilm.unistra.fr/ wiki/Images_du_monde_visionnaire_(1963)
104
Lors de l’exposition Dream Machine, Susan Hiller y expose son oeuvre
Magic Lantern (1987). Un titre intéressant puisque Hervey de Saint Denys avait lui-même fait l’analogie entre cette machine et le rêve. Pour lui, la lanterne magique qui projette des images sur écran est comparable à « la
transformation que subissent les pensées dans le rêve: elles deviennent toutes des représentations visuelles. ».
175
Avec ce projet-là, Susan Hiller compte
produire des images qui vont fluctuer dans la conscience du spectateur. Par un procédé simple, elle tend à induire, chez lui, un état proche de l’hallucination
et de la rêverie. La Magic Lantern de Susan Hiller est donc à distinguer de
la lanterne magique décrite par Hevey de Saint Denys: en effet ici c’est la projection qui va subir la transformation dans la conscience du spectateur. Trois projecteurs de diapositives automatisés projettent trois ronds de couleurs qui
viennent se superposer, et ainsi faire apparaître des produits lumineux. Elle insiste d’ailleurs sur la façon dont il faut appréhender Magic Lantern: c’est une oeuvre qui « ne peut être documentée parce que les couleurs vues sont
réelles mais invisibles de l’extérieur. ». 176 En plus de la latence qui survient lors de l’apparition et de la disparition des images, vient s’ajouter une pièce
sonore à écouter au casque qui renforce l’atmosphère fantômatique. Ce sont des bandes sonores qu’elle a récupérées. Des enregistrements du scientifique Konstantin Raudive, qui prétend avoir enregistré la voix de morts dans des pièces à priori silencieuses
et inoccupées. Magic Lantern rassemble
ainsi des matériaux qui constituent à la fois une présence objective, mais engagent aussi
Susan Hiller, Magic Lantern, 1987
175 Tchou, Les rêves voie royale de l’inconscient, Paris, 1976, p.27 176 Hiller, Susan, Interview avec Morgan, Stuart, frieze 23, Summer 1995, Dream Machines, Selected by Susan Hiller, Londres, for the Arts Council of England, 2000
105
une part de subjectivité, que l’on retrouve déjà dans la bande sonore puis
que l’on expérimente à la réception de l’oeuvre. 177 La lanterne magique « par
le jeu et le combat de l'ombre et de la lumière, place le spectateur entre les corps et les esprits, et pour ainsi dire, sur les limites d'un autre monde... ». 178
Chez Meris Angioletti la question de la perception et du rapport à l’inconscient est aussi primordiale. Avec Golden, Brown
and Blue (2013) elle utilise également la visionneuse comme un moyen de traiter les Meris Angioletti, Golden, Brown and Blue, 2013
notions de disparition, d ’effacement. Les
six projecteurs de diapositives, installés à
hauteurs et distances inégales projettent la couleur monochrome des gélatines. À certain moment l’on peut voir du texte apparaitre sur une projection
donnée. Ils sont extraits d’un dialogue tenu par Andrei Tarkovsky et Tonino
Guerra à propos du cinéma. Les visionneuses font interagir les couleurs, les textes et le son de la machine. Le tout donne lieu à une sorte de chorégraphie qui symboliserait le déroulement d’un film mais aussi les différentes strates de la pensée. 179 Le flux institué par la machine emmène ainsi le spectateur à
faire sa propre expérience de l’oeuvre: une expérience méditative et presque hypnotique qui fait déambuler son regard. Les projections font émerger
des représentations mentales, et Meris Angioletti s’interroge sur la façon
de transmettre des choses à un niveau qui n'est « pas forcément conscient
ou rationnel »
180
. Avec Golden, Brown and Blue elle exprime le désir de
177 Hiller, Susan, Magic Lantern, Mis en ligne: http://www.tate.org.uk/whats-on/tatebritain/exhibition/susan-hiller/room-guide/magic-lantern 178 Mercier, Sébastien, cité par Milner, Max, La Fantasmagorie. Essai sur l'optique fantastique, Paris, PUF, 1982, p.19 179 Eggers, Kirsten, Meris Angioletti, Golden, Brown and Blue, Schleicher/Lange, 2013, Mis en ligne: http://www.schleicherlange.com/Portals/0/documents/2013/PR_MERISANGIOLETTI_ENG.pdf
106
révéler « quelque chose de l’ordre de l’invisible, de l’imperceptible ».181 Les
manèges à diapositives presque pleins mais vides par moments renvoient au mécanisme lui-même, mais aussi à la perte et à l’indicible. L’oeuvre serait
incomplète sans l’utilisation psychique qu'en fait le spectateur. Dans Magic Lantern comme dans Golden, Brown and Blue c’est l’effet provoqué chez celui qui visionne qui est réellement important, et il n’y a pas de trace ou de documentation possible de cette partie-là de l’oeuvre.
Garder une trace de cet imperceptible, c’est ce que Berdaguer et Péjus vont tenter de faire. Le couple d’artistes, dont l’oeuvre met sans cesse en
relation espace et psyché et que l’on peut qualifier de façonneurs d’ « espaces
mentaux », réalise en 2002, une pièce intitulée Traumathèque. Là encore l’écran est présent, et sans nécessairement montrer quelque chose, on peut y voir la neige qui grouille. La neige, ou « bruit blanc » s’impose comme
un fond d’écran à fixer. Il s’agit de la regarder pour faciliter (initier) la
projection d’un espace mental, pour se remémorer son souvenir traumatique. L’image renvoit à l’idée du « « souvenir-écran » mise au point par Freud dans son analyse du refoulement et de la névrose ».
182
Le spectateur devient un
patient. Au casque, une voix hypnotisante lui donne les directives à suivre: « (…) laissez faire votre inconscient et regardez l’écran... laissez monter en
surface tout cet épisode de vie... qui... pour vous a été... pénible... et les
yeux fermés... visualisez... regardez les images... les images sur ce téléviseur… (…) n’oubliez pas... votre appareil est branché sur un magnétoscope... vous n’avez pas oublié... bien entendu... de charger une cassette vierge... et ces images qui sont projetées... que vous voyez dans le moindre détail... car votre 180, 181 Angioletti, Meris, rencontre, Centre Pompidou, 28 février 2014, Mis en ligne: https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cL99xed/rpgeKn6 182 Berdaguer et Péjus, Insula, 16 mars - 13 mai 2012, Institut d’art contemporain, Villeurbanne, Rhône-Alpes, Mis en ligne: http://i-ac.eu/downloads/gv_b_p_def.pdf
107
Christophe Berdaguer et Marie péjus, Traumathèque, 2002
mémoire est capable de trouver... le moindre petit indice... le moindre petit souvenir... tout ce qui fait que vous n’arrivez pas à vous en défaire et là... sur l’écran... et dessous... la cassette s’imprègne… ». 183
Comme son nom l’indique: trauma - thèque, du grec thêké « armoire », traduit
la volonté de ne pas en rester à la simple séance. Mais d’aussi enregistrer, conserver et rassembler les traumas. L’espace d’exposition devient un espace d’enregistrement et le dispositif est conçu pour archiver sur cassettes VHS. Il s’agit d’y croire, parce que l’on peut tout aussi bien penser qu’on n'enregistre
« rien ». En fait, sur l’enregistrement seules subsistent l’image du bruit et la
valeur de l’expérience attachée à l’objet. Ce sont des films de faits psychiques, qui par le nom et la date inscrits sur l’étiquette, maintiennent la dimension personnelle de l’expérience. Chacun entretient son propre rapport avec
l’écran. Un transfert s’opère de l’écran à la pensée, et de la pensée vers l’écran. Meris Angioletti accordait déjà une puissance télépathique possible entre projection et spectateur avec Golden, Brown and Blue. La cassette, rangée dans un endroit accessible exprime pourtant, dès son visionnage, les limites d’une transmission de l’expérience à l’autre.
183 Berdaguer et Péjus, Mis en ligne: http://documentsdartistes.org/artistes/berdaguer-pejus/ Berdaguer-Pejus-web.pdf
108
Avec Dream Screens, en 1996, Susan Hiller prend en considération l'arrivée des nouvelles technologies au sein du quotidien et développe
ainsi l’interactivité possible du spectateur avec l’écran. Elle s’adresse aux
internautes qui passent une partie de leurs nuits sur internet. Encore une
fois le dispositif est minimaliste et les monochromes de couleurs sont prétextes à la rêverie, à la contemplation et à l’évasion. Le premier écran requiert de cliquer pour commencer. On a le choix entre six langues, et la
piste audio semble raconter des rêves. À un moment donné, on entend une sorte de bip en fond sonore. Plus tard la voix nous révèle la nature de ce
son: c’est un code morse émis par un homme qui dort, il signifie: « I am dreaming, I am dreaming ». 184 La voix raconte différentes histoires, quelque
fois un autre récit vient se superposer à celui déjà commencé. Pendant ce temps, il est possible pour l’internaute de naviguer comme bon lui semble
entre les couleurs, par le clic. Elle interroge le nouveau rapport entretenu
par l’homme avec l’écran, la multiplicité des informations communiquées
sur le web et celles qu'il perçoit. Dreams Screens réunit des fragments qui vont aléatoirement retenir ou non son attention. L’oeuvre qui transite grâce
au médium d’internet n’intervient plus dans un contexte muséal mais chez l’utilisateur même, elle est exportée dans son espace intime. L'interface s'adresse à l’internaute couche-tard, elle entend, ainsi, créer une atmosphère
lumineuse autour de lui et essaye de ramener le rêve là où il y a « insomnie ». La notion d’expérience est ainsi reconfigurée, personnalisée.
184 Hiller, Susan, Dream Screens, Mis en ligne: http://awp.diaart.org/hiller/
109
Susan Hiller, Dream Screens, 1996
postface Toutes ces oeuvres qui trouvent leur point de gisement dans le rêve ont
généré un processus de fabrication. C’est pour cette raison que j’ai choisi
d’intituler mon mémoire « fabrique de rêves ». Les artistes, d’une façon analogue au travail du rêve, vont élaborer des oeuvres. La réalisation permet
son passage au réel. Elle rend le rêve effectif que ce soit dans l’espace, sur la
feuille ou à l’écran… L’oeuvre qui jaillit du rêve, révèle les intentions. Mais
on l’a vu: matérialiser ne répond pas nécessairement à un désir de figuration. Car si Jim Shaw réalise des objets parce que ses rêves en prennent déjà l’apparence, les sculptures de Catherine Geoffray, en revanche, demeurent
informelles. Elles sont le résultat d’un état d’esprit - lié au rêve - qui guide son geste. De plus en plus, les oeuvres dont je parle au sein du mémoire, vont avoir tendance à intégrer la nature fuyante du rêve.
Si j’ai choisi de commencer cette recherche avec des oeuvres du visible, c’est parce qu’elles naissent en général du désir de vouloir montrer. Pourtant la
multiplication des images, va tendre à générer, dans la fragmentation, une latence et des discordances comparables au rêve. Si cette idée-là est déjà
perceptible sur papier au coeur de l’oeuvre de Charles Burns, elle s’éprouve
d’autant plus avec le médium du cinéma par l’écran, qui comme le rêve fait apparaître et disparaître. Des images, j’en suis arrivée à m’intéresser à l’écriture comme le moyen de traduire et de conserver le souvenir que l’on tient du rêve. Le récit qui en émerge dévoile les hésitations, l’illogisme, et
les oublis relatifs à ces expériences nocturnes. Des artistes vont ainsi user de stratagèmes conscients et semi-conscients pour expérimenter l’écriture à hauteur du rêve. La parole quant à elle, si elle renvoie à un rapport de
112
transmission comme il peut en être question en psychanalyse, va suggérer au spectateur quelque chose de différent: un échange avec l’oeuvre qui rediffuse
les rêves. Mais ces récits qui font matière, vont générer une nouvelle expérience. C’est justement avec des oeuvres qui proposent des expériences que j'ai décidé de clore mon exploration du déplacement du rêve en art.
Que les artistes proposent de ressentir leurs oeuvres les yeux fermés ou
ouverts, ils induisent une certaine passivité qui rejoint le statut du rêveur
et est propice à une élévation psychique. Ainsi la dernière oeuvre Dream Screens introduit, d'autant plus cette proximité, en venant s’immiscer dans
l’intimité du spectateur. Par l'hypnose, la machine ou l'écran à contempler, l'oeuvre tend à se faire oublier privilégiant son effectivité au sein du psychisme du spectateur. Les formes s’évaporent, et si précédemment, j'ai
introduit la télépathie en citant Meris Angioletti, celle-ci serait une manière
de mettre en pratique le fantasme d'une transmission du rêve avec un minimum de pertes. La télépathie ne s’encombre pas d’un autre médium
et la dimension psychique du rêve resterait donc inchangée, en proposant
une transmission d'un contenu psychique par le biais de la pensée.
Néanmoins, aussi longtemps que le rêve nécessitera la main de l’homme pour appartenir au réel, le rêve sera suggéré par des formes qui lui seront
prêtées et qui, parallèlement attesteront de son infinie résistance à exister dans un ici et maintenant.
113
sommaire avant-propos
p.7
C e qu i n o us éc h a p p e . . . apparitions, faits psychiques
p.15
rêves
p.22
... e t qu 'on es s aye d e ren d re v i s i b l e un objet de rêve
p.32
des images fragmentées
p.44
une image
des images en mouvement
p.40 p.54
... e t d e re n d re l i s i b l e une écriture de l'expérience...
p.69
... f ictionnelle
p.72
des rêves à entendre
p.81
... poétique
p.71
des rêves rendus lisibles
p.76
... e t d e f ab r i q uer p a r l ' a r t en hypnose
par la machine
p.93 p.99
par l'écran
p.104
postface
p.112
bibliographie
p.116
115
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documents non publiés - Catherine Geoffray, Document personnel fourni par l’artiste. - Propos receuillis, extraits d'un entretien avec Marco Marini et Aude Rabillon, le 19 septembre 2015
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complément bibliographique: conférences et podcasts - André Bourguignon « Sciences et Techniques, le rêve » , Les matinées de France Culture, 26/06/2015 - Jean Pol Tassin ,« Le rêve naît du réveil », « Dormir, Rêver », Centre Pompidou, 16 Avril 2005 - Pierre Pachet, « Nos rêves ont-ils toujours des secrets? », 25/06/2015, http://plus.franceculture. fr/nos-reves-ont-ils-toujours-des-secrets - Sébastien Pluot, « Wouldn’t that be wonderful? », conférence, AC/DC Symposium, Haute école d’art et du design-Genève, 27/10/2007 - Yvon Belaval, Science et technique : Le rêve, Les matinées de France culture, 26/06/2015 - Truffaut interview Hitchcock, « Secrets de Fabrication: La maison du Docteur Edwardes », France Inter
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Je tiens à remercier
ma directrice de mémoire
Vanessa Theodoroupoulou. Ainsi que Dominique Sauvegrain,
Véronique Petit et Gildas Guihaire pour leurs aides précieuses. Catherine Geoffray,
Aude Rabillon et Marco Marini pour leur implication.
Je remercie tout particulièrement Arnaud pour son soutien et son savoir faire ... ... sans oublier :
Bernard, Brigitte et Romane.
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