Rencontres Solidarités Alimentaires / Session 1 - Rendre compte du vécu alimentaire [...]

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Session 1 Rendre compte du vécu alimentaire des personnes concernées par la précarité

:

Chantal Crenn, professeure des universités, département d'anthropologie ; directrice adjointe de l'UMR SENS – Université Paul Valéry Montpellier 3

Erwan Le Mener, sociologue ; expert scientifique – Observatoire du Samusocial de Paris

Ophélie Mugel, enseignante chercheuse en Marketing et Comportement du consommateur –FERRANDI Paris

Marie Walser, chargée de mission – Chaire Unesco Alimentations du monde

Synthétiseur.se.s
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Contributions concernées

• “En contexte d'incertitudes : apporter du bien/bon via l'alimentation” de Chantal Crenn, Pr en anthropologie UPV et DUA UMR SENS Montpellier, Sarah Marchiset, Doctorante en anthropologie UPV et DUA UMR SENS Montpellier ; et Isabelle Techoueyres, anthropologue ingénieure de recherche (associée à Passages Bordeaux), AoFOOD webjournal

• “Une solidarité de fond et sans fin. Construire une action associative autour des cuisines pour répondre aux enjeux d'hospitalités envers les exilé.e.s” de Sabine MEÏER, doctorante affiliée à l’Institut Convergences Migrations, CERTOP Santal - UMR CNRS 5044, Université Toulouse Jean Jaurès

• “Les jardins familiaux : une réponse à la précarité alimentaire pour les personnes issues de l'immigration récente” de Léna Jégat, doctorante UMR 6590 ESO, Université de Caen

• "EtuCris : étudiants et étudiantes en crise, se rendant à l'aide alimentaire francilienne” de l’Observatoire du SamuSocial de Paris

• “Faire face à la vulnérabilité alimentaire des étudiants, quels enjeux info-communicationnels ?” de Simona De Iulio, Patrice de la Broise, Laurence Favier, Cristina Romanelli, Université de Lille, GERiiCO

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En contextes d'incertitudes : apporter du bien/bon via l'alimentation

Marchiset et Techoueyres)

Contexte : en ville et dans la campagne bordelaise

Etude des solidarités mises en œuvre par des personnes « établies » avec les personnes migrantes et vulnérables (contextes d’incertitudes multiples)

Points-clé :

- La solidarité alimentaire comme moyen d’engagement auprès des « migrants » mais pas que…

- Une méconnaissance des personnes engagées du fonctionnement du système alimentaire

Photographie : Sarah Marchiset

Texte #1 :
(Crenn,
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Texte

Une solidarité de fond et sans fin. Construire une action associative autour des cuisines pour répondre aux enjeux d'hospitalités envers les exilé.e.s (Meïer)

Contexte : Toulouse

Enquête auprès d’une association qui agit pour l’accès aux droits de personnes exilées autour d’une cantine solidaire

Points-clé :

- Création de solidarités au travers de la cuisine (entre membres du groupes, entre minorisé.e.s et établi.e.s mais aussi entre collectifs d’individus aux intérêts communs)

Solidarités alimentaires et solidarités par l’alimentation (soutien à des actions solidaires envers et avec les exilés)

- Interface double des actions alimentaires des éxilé e s et des établi e s entre quête de clients pour la cantine et actions politiques

#2 :
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Texte #3 : Les jardins familiaux : une réponse à la précarité alimentaire pour les personnes issues de l'immigration récente (Jégat)

Contexte : Normandie

Renouveau des jardins ouvriers depuis les années 1990 ; ménages des catégories sociales favorisées et plus populaires (dont certains d’origine étrangère)

Points-clé :

Les jardins familiaux permettent :

- un meilleur accès aux fruits et légumes de qualité (vs ceux de l’offre marchande) pour les ménages des catégories populaires

- utilité exacerbée pour les bénéficiaires issus de l’immigration (accès à des produits spécifiques à la culture alimentaire + occasion de faire perdurer un attachement à la terre et de perpétuer les traditions paysannes familiales)

- recours aux pratiques culturales du pays d’origine → réactions négatives de la part de la communauté jardinière

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Texte #4 : EtuCris : étudiants et étudiantes en crise, se rendant à l'aide alimentaire francilienne

du SamuSocial de Paris)

Points-clé :

Contexte Enquête auprès de volontaires rencontrés lors de créneaux de distributions alimentaires associatives en Îlede-France en décembre 2021janvier 2022

- Portes ouvertes à l’aide alimentaire francilienne pour des étudiants surtout étrangers non boursiers, une façon bienvenue de réduire ses dépenses

- Accès à l’aide alimentaire dépendant de l’allocation du temps d’étudiants à la recherche d’autres ressources

- Une aide comme socle ou complément alimentaire, parmi d’autres voies d’accès à de la nourriture gratuite ou bon marché

- La persistance d’états de faim et une santé mentale dégradée, aller au-delà de l’offre de nourriture.

(Observatoire
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Texte

face à la vulnérabilité alimentaire des étudiants, quels enjeux

Contexte : Lille Enquête exploratoire menée à l'Université de Lille  examen de la façon dont est perçue la vulnérabilité alimentaire par les différents acteurs de l'université
#5 : Faire
info-communicationnels ? (De Iulio et al.) 7 Points-clé : - Polyphonie énonciative sur « quoi » et « comment » manger - Diverses modalités de valorisation de l'offre alimentaire en milieu universitaire - Impression des étudiants d’un manque d’informations généralisé

Points-clé de la synthèse

• 1/ Non pas une, mais des précarités alimentaires… et différentes façons d’y répondre

• 2/ En situation de solidarité alimentaire : s’approvisionner, cuisiner, manger, produire pour se nourrir mais pas seulement…

• 3/ Les enjeux info-communicationnels de la lutte contre la précarité alimentaire

• 4/ Ce que la crise Covid a révélé

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#1

Non pas une, mais des précarités alimentaires… et différentes façons d’y répondre

Immigrés « installés » (Jégat)

Le cas des migrants précaires

4 formes de solidarités

alimentaires

(jardins partagés, aide alimentaire, action associative autour des cuisines) adressées (entre autres) à des personnes d’origine étrangère

« Exilés » (Crenn, Marchiset et Techoueyres ; Meïer) Etudiants d’origine étrangère (Observatoire du SamuSocial de Paris)

offre une loupe pour appréhender des phénomènes généraux qui touchent toute personne en situation de précarité ; viennent s’ajouter des enjeux liés aux difficultés d’accès aux droits et au racisme

Méthodologies employées : ethnographie/sociologie

 Approche compréhensive qui permet de saisir la complexité des situations

temps long

 événements appréhendés dans leur totalité (« jamais blanc ou noir »)

 à partir du vécu des gens (aux côtés des personnes concernées comme des personnes qui les aident)

 une approche réflexive ; ex : se rendre compte que les préoccupations alimentaires viennent après la gestion des expulsions

-
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#1 - Non pas une, mais des précarités alimentaires… et différentes façons d’y répondre

Echo à de nombreux travaux sur la pauvreté/précarité (ici : focus alimentation + situation des personnes d’origine étrangère)

Des précarités multifactorielles (ressources économiques, emploi, âge, lieu de vie…) :

• Difficultés économiques contraignant l’accès à l’alimentation : difficulté d’accès au travail (SamuSocial), faible rémunération (Crenn, Marchiset et Téchouèyres. ; Jégat), difficultés à obtenir des aides (Samusocial ; Crenn et al.)

• Un isolement social et familial (Meïer ; Observatoire du Samusocial)  moindre possibilité de bénéficier de soutiens de l’entourage)

• Dans le cas des migrants de fortes incertitudes administratives liées à une absence de droits (Meïer ; Crenn et al.)

Des précarités aux besoins alimentaires divers (auxquels les solidarités tentent de répondre) :

• Remplir le ventre de personnes qui dépendent presque complètement de l’aide alimentaire tout en co-créant un en-partage (Crenn, Marchiset et Téchouèyres.)

• Proposer une offre complémentaire à d’autres ressources (SamuSocial)

• Mettre à disposition un espace de production (accès à moindre coût et expression de la culture d’origine) (Jégat)

• Créer des espaces de rencontres autour de l’alimentation dans lesquels restaurer l’estime de soi ; de la convivialité (Meïer)

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#2 - En situation de solidarité alimentaire : s’approvisionner, cuisiner, manger, produire pour se nourrir mais pas seulement…

Solidarités alimentaires au croisement d’une multitude d’enjeux : sociaux, culturels, économiques, politiques et psychologiques  au-delà de la fonction « carburant pour le corps » de la nourriture

Une alimentation faite d’ « hospitalités créatives »

- Création de liens affectifs (d’attachements) avec d’autres “minoritaires” (immigrants installés, autres personnes en déplacement) mais aussi avec les “majoritaires sociologiques” (bénévoles, militants, travailleurs sociaux )

- Migrants déjà installés peuvent être force de soutien en terme de « réseau d’interconnaissance alimentaire » (Crenn, 2022)  sentiment d’appartenance au groupe par le partage d’intérêts communs.

- Appropriation de la fabrique de la cuisine quotidienne dans les squats permet de diffuser ses propres gouts et d’influer sur ceux de la société majoritaire

- Nourriture de l’aide alimentaire comme vecteur potentiel de « liens d’hospitalité renversés » (Crenn, Marchiset et Téchouèyres)  ex : accueil proposé aux anthropologues par les jeunes guinéens autour d’un mafé dans les squats à Bordeaux

- la cuisine comme espace et comme fabrique du manger ou le jardin potager comme espace d’enracinement (graines venant du pays de départ) ces pratiques expriment la créativité des migrants vulnérables (malgré la faim, la crainte de l’expulsion)

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Photographie Sarah Marchiset

- En situation de solidarité alimentaire : s’approvisionner, cuisiner, manger, produire pour se nourrir mais pas seulement…

Braconnage et ruses : l’agency des dits « bénéficiaires »

- Etudiants étrangers précaires pendant la pandémie : jonglage entre emploi du temps, horaires de distrib. de l’AA, intérêt pour produits imposés/proposés…) + évaluation des solidarités alimentaires selon l’ambiance au moment de la distribution et la qualité des liens possibles avec les bénévoles  force de proposition pour énoncer ce qu’est pour eux leur qualité de l’alimentation (Observatoire Samusocial de Paris)

- Jardin comme espace de libération (dans l’imaginaire et dans la pratique) de la précarité de la vie quotidienne (Jégat) → malgré conditions bio-climatiques très différentes les jardiniers cambodgiens font pousser des légumes de « chez eux ».

- Jardin comme atténuation du choc du passage de la vie rurale à la vie urbaine : lien entre l’ici et le bas entre parents d’ici et parents d’ailleurs

Au-delà des « solidarités alimentaires » : des « solidarités par l’alimentation »

- Solidarités qui empêchent la faim (=solidarités alimentaires) et « solidarités par l’alimentation » (Meïer)

→ engagement des bénévoles « établis » vis-à-vis des exilés

→ dimension politique : l’alimentation devient moyen d’exercer concrètement une sorte de désobéissance civile + vecteur « d’en partage » avec les migrants

#2

#2 - En situation de solidarité alimentaire : s’approvisionner, cuisiner, manger, produire pour se nourrir mais pas seulement…

Une alimentation de l’aide mais inhospitalière : reconnaître les valences « négatives » de certaines situations de solidarité alimentaire

● Travail au jardin partagé (pourtant vécu comme une aide alternative par les bénévoles) peut s’avérer normatif

● Bénévoles (« établis » ou plus récemment installés) édicteurs de normes

● Obligation de venir s’approvisionner à jour et heures fixes et paniers imposées font fi de l’agencéité des « bénéficiaires » ou de leurs conditions de vie ultra précaires (en squat, sans existence)

● Relations interethniques voire raciales hiérarchisées

● Jardins partagés/ associations d’aide alimentaires = propos ethnistes ou racistes autour des aliments choisis, rejetés etc. ; le halal comme lieu de crispation.

De plus l’alimentation dite solidaire cache

1/ les ressorts économiques et politiques de l’aide alimentaire basée sur la défiscalisation des rebuts de la grande distribution

2/ les dessous des cartes de l’agro-industrie française voire européenne (politiques migratoires qui font venir à bas cout une main d’œuvre étrangère notamment dans l’agriculture).

3/ Prise de conscience de certain-e-s bénévoles de leur enfermement dans un foodscape pervers : sentiment de « collaborer » à « un système alimentaire polluant et esclavagisant ».

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#3 - Les enjeux info-communicationnels de la lutte contre la précarité alimentaire

• La nécessité d’augmenter la food literacy des personnes concernées par la précarité :

« La capacité d'un individu à obtenir, interpréter et comprendre des informations sur l'alimentation et la nutrition, ainsi que la compétence à les utiliser » (Kolasa et al, 2001)

Un enjeu majeur dans l'amélioration de la sécurité alimentaire et de la santé des consommateurs à faible niveau socio-économique (West et al., 2020).

• La food literacy se heurte à la « polyphonie énonciative » auprès des étudiants.

(De Iulio et al.)

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#3 - Les enjeux info-communicationnels de la lutte contre la précarité alimentaire

• Les messages mal ciblés ont un effet minime sur le changement de comportement, le sentiment de bien-être et risquent de créer :

• De la dissonance cognitive (De Iulio et al.)

• De la résistance

• Le renforcement des inégalités sociales voire de la discrimination

« Informer pour améliorer les comportements de consommation ne suffit pas » (Gurviez et Raffin, 2019)

• Le marketing social : utilisation d’outils classiques du marketing pour améliorer le bien-être des publics-cibles

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Ce que la crise Covid a révélé : une “pauvreté démultipliée”

• La crise comme urgence sociale :

• réduction de l’alimentation à ses fonctions physiologiques

• aides ciblées sur la “résorption de la faim” (IULIO et al ; CRENN et al ; )

• De nouveaux pauvres ?

• La crise aggrave des difficultés préexistantes, notamment des migrants (ACF)

• Elle peut révéler des difficultés méconnues : celles des étudiants (JEGAT et al., OBS SAMUSOCIAL), d’habitants d’hôtels d’urgence (ACF, HORS SERVICE, 2021)

• Elle peut aussi les confiner plus encore (ex : travailleurs migrants de l’agriculture, CRENN et al ; exilés aidés par des étudiants-militants, MEIER)

• Des actions locales en marge d’autres initiatives font saillir des formes de discrimination dans l’accès, ou plutôt l’usage de ressources alimentaires, dont sont victimes des étrangers. (ex : dans les jardins ouvriers de Caen, JEGAT et al).

#4 –

#4

Ce que la crise Covid a révélé

matière d’aide alimentaire

• Légitimation d’un discours urgentiste et d’un discours critique sur les exigences, les modalités, les contenus de l’aide alimentaire (CRENN, OBS. SAMUSOCIAL)

• Modulation, en temps de crise, de l’aide alimentaire :

• suspension des conditions d’accès

• enrichissement et diversification du panier (OBS SAMUSOCIAL, 2020)

• ouverture de services ciblant des publics précis, comme les étudiants (JEGAT et al, OBS SAMUSOCIAL)

• Renforcement de dispositifs alternatifs :

• rôle des épiceries dans la crise, pour continuer de sécuriser l’approvisionnement alimentaire de groupes assistés, et leur permettre de bien manger (VERDEAU)

• initiatives solidaires

• aide en argent / chèque service, à usages multiples (projet PASSERELLE ACF)

• > l’état des lieux devrait être fait à l’échelle des territoires de l’action publique

…en

#4

Ce que la crise Covid a révélé

• Attention à ne pas regarder l’alimentation (approvisionnement en particulier) uniquement par la lunette de l’aide alimentaire : les gens, même pauvres, ont d’autres sources d’approvisionnement (JEGAT et al, Obs. SAMUSOCIAL)

• Chez les pauvres, les pratiques alimentaires les plus courantes - privations, mauvaise nutrition (VERDEAU, ACF) - vite interrogées, ne sont peut être pas les mieux décrites dans les enquêtes sur l’aide alimentaire .

• Intérêt pour les chercheurs et les opérateurs à décrire la place de l’alimentation, sous ses diverses formes, dans des budgets contraints (BLAVIER 2021, JEGAT, HORS SERVICE SAMUSOCIAL 2022, SECOURS CATH. 2022 )

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