Mémoire, L’ESS dans l’alimentation des villes, S.Da Cunha Belvès

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L’ESS dans l’alimentation des villes Quelle contribution au développement durable ? Septembre 2013

Simon Da Cunha Belvès Master 2 d’Innovation par l’Economie Sociale et Solidaire, Université Toulouse-Le Mirail Encadré par : Leïla TEMRI, Montpellier SupAgro, UMR1110 MOISA Myriam-Emilie KESSARI, Groupe SupdeCo Montpellier Business School, MRM



« A mesure que l’industrie et les arts s’étendent et fleurissent, le cultivateur, méprisé, condamné à passer sa vie entre le travail et la faim, abandonne ses champs pour aller chercher dans les villes le pain qu’il y devrait porter. Plus les capitales frappent d’admiration les yeux stupides du peuple, plus il faudrait gémir de voir les campagnes abandonnées, les terres en friche, et les grands chemins inondés de malheureux citoyens devenus mendiants ou voleurs et destinés à finir un jour leur misère sur la roue. » Jean-Jacques Rousseau, 1754.

« La société agraire a, en France, définitivement disparu. Pour le dire d’une formule, les ‘ruraux’ sont aujourd’hui des urbains qui habitent à la campagne. Nous sommes entrés dans la civilisation urbaine. » Jacques Lévy, 2013.

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Remerciements Je remercie mes encadrantes, Leïla et Myriam, dont la disponibilité n’a eu d’égale que la gentillesse. Merci à ma camarade, collègue et amie Elisabeth, sans qui je n’aurais pas trouvé ce stage. Merci à Jean-Walter, qui m’a aidé et tenu compagnie tout au long de mes pérégrinations bibliographiques. Mes pensées vont à toutes les belles rencontres qui ont émaillées mon été montpelliérain.

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1

2

Du néolithique au stade agro-tertiaire : le système alimentaire dans tous ses états .. 7 1.1

Evolutions et caractéristiques du système alimentaire occidental.............................. 7

1.2

Particularités de la ville dans le système alimentaire ............................................... 13

1.3

Qu’est-ce qu’une alimentation durable ?.................................................................. 14

L’économie sociale et solidaire : un rôle à jouer dans les réflexions sur la durabilité

du système alimentaire ........................................................................................................... 16 2.1

La naissance de l’économie sociale ......................................................................... 16

2.2

La réactualisation de l’économie sociale : l’économie solidaire.............................. 19

2.3

L’économie solidaire en débat ................................................................................. 21

2.4

Aujourd’hui : l’économie sociale et solidaire .......................................................... 23

2.5

De l’ESS au développement durable : des passerelles évidentes ............................. 24

2.6

Des coopératives de consommation aux jardins d’insertion : le champ d’action de

l’ESS dans le système alimentaire ....................................................................................... 25 2.7 3

Conclusion ................................................................................................................ 42

L’économie sociale et solidaire dans la ville de Montpellier ...................................... 45 3.1

Méthodologie ........................................................................................................... 45

3.2

Panorama de l’ESS dans la ville de Montpellier ...................................................... 50

3.3

Le rôle éducatif d’une gouvernance démocratique : mythe ou réalité ? .................. 64

3.3.2 Connaissances sur le système alimentaire ................................................................ 72 3.4

Conclusion sur l’ESS dans la ville de Montpellier .................................................. 80

4

Bibliographie................................................................................................................... 89

5

Tables des matières ........................................................................................................ 97

6

Table des figures ........................................................................................................... 100

7

Table des tableaux ........................................................................................................ 100

8

Annexe I ........................................................................................................................ 101

9

Annexe II ............................................................................. Error! Bookmark not defined. 9.1

AMAP Berthelot ...................................................... Error! Bookmark not defined. 3


9.2

AMAP Main verte .................................................... Error! Bookmark not defined.

9.3

Court Circuit ............................................................. Error! Bookmark not defined.

9.4

La Bellevilloise ........................................................ Error! Bookmark not defined.

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Introduction Les progrès observés récemment sans le système alimentaire sont sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. La productivité de la terre a été multipliée par douze en un demisiècle (Rastoin & Ghersi, 2010) et a permis de libérer la main d’œuvre nécessaire à la naissance d’une société industrielle, riche et développée. Mais si les progrès effectués dans le système alimentaire sont sans précédent, que dire de ses conséquences ? Jamais l’impact des activités humaines sur la biosphère n’a été aussi important. L’alimentation est responsable de 20 à 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (Tukker et al. cité in Bricas, Esnouf, & Russel, 2011). Epuisement et pollutions des ressources naturelles, émissions de gaz à effet de serre, épidémies de cancer, perte irréversible de biodiversité, etc. La liste est longue des bouleversements écologiques dont la production de nourriture porte la responsabilité. D’un point de vue socio-économique, c’est la disparition d’une civilisation millénaire, celle des paysans, qui pose question. Ceux qui nous nourrissent connaissent un des taux de pauvreté et de suicide les plus élevés de toutes les catégories socio-professionnelles (Chiffoleau, 2013). L’écart se creuse entre riches et pauvres et l’exode rural pousse toujours plus de paysans à déserter leurs terres. D’un point de vue sociologique et anthropologique, la gastro-anomie frappe les individus, qui ne savent plus qui ils sont depuis qu’ils ignorent ce qu’ils mangent (Fischler, 2001). La standardisation des aliments et l’allongement des filières sont destructeurs de sens et producteurs d’angoisse pour le mangeur, touché par des troubles alimentaires (obésité, anorexie) d’une ampleur sans précédent. De fait, le système alimentaire actuel n’est pas durable. Il compromet les capacités des générations futures à répondre à leurs besoins, et, pourrait-on ajouter, sans même répondre aux besoins du présent (faut-il le rappeler, 850 millions d’humains continuent d’avoir faim). Le modèle agro-industriel intensif, spécialisé, concentré, financiarisé et mondialisé, s’il a permis de remarquables avancées en termes de prix et de sûreté des produits, génère des externalités qui menacent l’équilibre alimentaire des populations et de la planète (Rastoin, 2006). Le concept de développement durable offrirait alors des pistes de réflexion pour penser la transition alimentaire.

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C’est dans ce cadre que s’insère la quinzaine d’unités de recherche composant le programme Surfood (Sustainable Urban Food Systems) porté par la chaire UNESCO Alimentations du Monde d’Agropolis. Axé sur la problématique des villes, ce programme postule que l’urbanisation de la population mondiale a favorisé la généralisation d’un modèle agroindustriel aux conséquences néfastes. Mais les villes sont aussi ces lieux d’expérimentations sociales dans lesquels chercheurs, entrepreneurs et simples mangeurs s’activent pour trouver des réponses à la crise économique, écologique et sociale que nous traversons. C’est à une forme particulière d’innovation que ce travail s’intéresse. L’Economie Sociale et Solidaire (ESS), qui cherche à concilier activité économique et utilité sociale, pourrait être un cadre idéal pour mettre en œuvre les concepts du développement durable. Lieu de changement social non violent, l’ESS tente depuis près de deux siècles de (re)mettre l’économie au service des hommes. Insaisissable mouvement que ni les marxistes ni les libéraux n’ont su s’approprier, elle suscite naturellement l’intérêt de celles et ceux qui ne comprennent pas pourquoi la démocratie devrait s’arrêter là où commence l’économie. Réduite à la science des choses mortes, l’économie se montre incapable de prendre en considération des phénomènes qui menacent pourtant l’équilibre de nos sociétés. Des coopératives de consommation de la révolution industrielle au commerce équitable des mouvements altermondialistes, cette économie semble partager un destin commun avec celui de l’alimentation. Après avoir caractérisé les évolutions et les conséquences du système alimentaire actuel, nous verrons comment l’ESS participe depuis longtemps déjà au développement d’une alimentation plus durable. Une hypothèse sera posée : en ville, la contribution la plus importante de l’ESS pourrait être son rôle d’éducateur populaire, permettant aux urbains de se réapproprier des connaissances sur un système qui leur échappe. Dans une troisième partie, nous dresserons l’état des lieux de l’ESS dans la ville de Montpellier et testerons l’hypothèse posée en seconde partie. Nous discuterons enfin des limites de l’ESS et des principaux obstacles qu’elle rencontre.

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1 Du néolithique au stade agro-tertiaire : le système alimentaire dans tous ses états Quelles sont les évolutions qu’a connues le système alimentaire au cours des siècles derniers et pourquoi peut-on dire que sa forme la plus récente n’est pas durable ? Nous tenterons de répondre à ces questions avant d’esquisser les contours d’une problématique centrée sur les interactions entre ville et économie sociale et solidaire.

1.1 Evolutions et caractéristiques du système alimentaire occidental 1.1.1

Éléments d’histoire et de définitions

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un système alimentaire ? Malassis en donne la définition suivante ; « Le système alimentaire est la manière dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir et consommer leur nourriture » (Malassis, 1993a). Cela recouvre donc toutes les activités liés à la fonction alimentation, depuis l’agrofourniture jusqu’aux déchets ménagers en passant bien sûr par le champ et l’assiette. Dans le but d’éviter les répétitions, le terme « alimentation » renverra dans ce mémoire à cette acception systémique, et non à la consommation ou à la nutrition. Ce système alimentaire passe par différentes étapes dans l’histoire des sociétés humaines. L. Malassis (1993) en dénombre trois, auxquels J.-L. Rastoin G. Ghersi (2010) en ajoutent un quatrième. 

Stade agricole (du néolithique à la fin du 17ème siècle) : l’homme, jusqu’alors prédateur, devient producteur. Il substitue des systèmes artificiels aux systèmes naturels. Ce stade est caractérisé par l’attachement de l’homme à sa terre ; le nomadisme est abandonné et les populations se sédentarisent. L’exploitation est en même temps le lieu de production et le lieu de consommation. Aujourd’hui ce stade concerne encore les pays les plus pauvres.

Stade artisanal

(entre le 17ème et le 19ème jusqu’au milieu du 20ème) : cette

révolution agricole correspond à la fin des habitudes communautaires de la période médiévale : pour la première fois, la science est utilisée en agriculture, permettant une intensification des productions. Ce progrès ne pénètre toutefois que lentement une société rurale, refermée sur elle-même. C’est en fait à partir du milieu du 19ème siècle 7


que, au travers des notables, puis des premiers ‘professeurs d’agriculture’, la France entame véritablement sa modernisation agricole : premiers engrais, sélection de semences, mécanisation, sélection des races animales… (Hervieu, 1997). 

Stade agro-industriel (deuxième partie du 20ème siècle) : la troisième révolution agricole poursuit la logique de la seconde mais un certain nombre de seuils technologiques permettent l’accélération des mutations des structures : c’est le moteur qui permet une plus grande intensification et surtout une réduction des populations agricoles. Curiosité encore limitée aux plaines du Bassin parisien, le tracteur arrive après la guerre dans les fourgons du plan Marshall et équipe pratiquement toutes les exploitations vingt ans plus tard (on en dénombre près d’1,5 million en 1990). L’ère du mode de production industriel (standardisation et fabrication en grande série) et de la consommation de masse peut commencer. Sélections végétales et animales deviennent généralisées avec, entre autres, l’introduction des hybrides. On utilise plus et mieux les engrais, les produits phytosanitaires ou vétérinaires. Un effort beaucoup plus systématique de vulgarisation, on dira plus tard de développement, est réalisé par l’administration de l’agriculture puis par la profession (Bairoch, 1999). Cette étape est caractérisée par un allongement extraordinaire de la filière agroalimentaire et par une très forte réduction du temps consacré à la préparation et à la prise des repas. La valeur ajoutée des industries agroalimentaires devient aussi importante que celle de l’agriculture. Le consommateur préfère en effet les produits élaborés, dans lesquels le temps de préparation est incorporé. Cela correspond à deux évolutions sociologiques fortes : le travail des femmes et la journée continue.

Stade agro-tertiaire (1980 à aujourd’hui) : cette dernière étape débute aux EtatsUnis, se propage par la suite dans reste des pays industrialisés et est en forte croissance dans les pays émergents. Elle est marquée par la prépondérance des services au sein du système alimentaire, conséquence entre autres de l’explosion de la restauration hors foyer. Les aliments tendent à devenir – du point de vue de leur contenu économique – non plus des biens matériels mais des services. Ainsi, aux Etats-Unis, près de la moitié du prix final du produit alimentaire moyen est formée par des prestations de service ou des prélèvements : transport, marketing (la publicité représente plus de 10%), intérêts bancaires et assurances, marges de distribution, impôts et taxes, profits En ce qui concerne la consommation, la moitié du budget des ménages consacré à l’alimentation est dépensée dans les restaurants, largement

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dominés par les fast-food. En France, la valeur finale des biens alimentaires se répartit comme suit :

Figure n°1 : répartition de la valeur finale des biens alimentaires en France Agriculteurs 13%

Entreprises de services + Etat 45%

Industriels 42%

Source : Rastoin et Ghersi 2010. 1.1.2

Le système alimentaire est-il durable ?

Ce dernier stade, s’il a permis des avancées sans précédent en termes de prix et de sécurité sanitaire, ne satisfait pas les critères de la durabilité pour plusieurs raisons. D’un point de vue de la consommation, commençons par signaler que malgré les progrès effectués du côté de la production, 50% de la population mondiale était toujours atteinte d’une forme ou d’une autre de malnutrition au début des années 2000 (Rastoin, 2006). Cet échec est néanmoins plus imputable à un modèle économique qui crée et entretient des inégalités qu’au système alimentaire lui-même. En revanche, l’allongement des filières (internationalisées et offrant peu de traçabilité) et la standardisation des produits (fabrication à la chaîne et uniformisation des régimes alimentaires à travers le monde) ont de multiples conséquences sur le mangeur : ruptures de confiance (Bricas et al., 2011), déstructuration et désocialisation des repas, déséquilibres nutritionnels, sentiment de perte d’identité (Fischler, 2001; Poulain, 2011). Du point de vue de la production, l’âge agro-industriel peut être qualifié d’intensif, spécialisé, concentré, financiarisé et globalisé (Rastoin, 2006). 9


Intensif, car les rendements agricoles ont cru sans discontinuer depuis le début du 20ème siècle :

Figure n°2 : production agricole des pays développés occidentaux (indice 100 = 1910) 350 309

300

326

284

250 232 200

188

150 130 100

136

150

100 73

50 0

11

19

27

37

51

1700 1800 1830 1850 1870 1890 1910 1930 1936 1950 1960 1970 1980 1990 1995

Source : Bairoch, 1999.

Ainsi, les rendements de blé sont passés de 25 quintaux à l’hectare en 1950 à 80 aujourd’hui. Cette intensification se fait au détriment des milieux naturels. Selon la Cour des Comptes, l’agriculture est responsable de 60% de la pollution des nappes phréatiques par les phosphates, de 70% de celle par les pesticides et de 75% de celle par les nitrates (Cour des Comptes, 2010). Selon le Groupement International d’Experts sur le Climat (GIEC, 2008), 14% des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l’énergie sont imputables à l’agriculture, auxquels il faudrait rajouter les 18% dus aux changements d’affectation des sols. Spécialisé et concentré, en raison de la sélection d’un petit nombre de plantes et d’espèces animales dans les systèmes agricoles contemporains. Les scientifiques estiment que sur un potentiel de 30 mille végétaux comestibles, à peine 120 sont largement cultivées et 9 seulement assurent 75% des besoins alimentaires de la population mondiale, dont 3 (blé, riz maïs) représentent 60% (Rastoin, 2006). Les FMN ne se spécialisent plus uniquement selon les avantages qualitatifs ou quantitatifs, mais selon des besoins d’économie d’échelle, de proximité aux fournisseurs, d’accès aux clients. Les écarts de performance s’expliquent alors moins par des caractéristiques propres aux pays que par des stratégies de rendements 10


croissants par concentration d’unités de fabrication, conformément à la théorie de la concurrence monopolistique. C’est ainsi que l’on voit apparaitre, à l’instar des « bassins » industriels, des « bassins » agricoles : 

10 départements livrent 41% du lait, contre 32% en 1963 (Hervieu, 1997) ;

10 départements réalisent 60% de la production de porc. Une seule région, la Bretagne, 45% du total, alors qu’il y a vingt ans elle n’en produisait que 23% (Hervieu, 1997) ;

10 départements produisent 35% de la viande bovine, et 10 près de 40% des céréales (Hervieu, 1997) ;

Les deux tiers de la production agricole française sont assurés par moins du quart des agriculteurs (Rastoin & Ghersi, 2010).

Certes, des phénomènes de spécialisation existaient autrefois, mais celles-ci étaient déterminées par le territoire, voire par le terroir. Ce lien est désormais rompu, aussi bien pour la localisation des races animales et des espèces végétales que pour les modes de transformation et d’élaboration des produits finis (Hervieu, 1997). De fait, les pesticides sont devenus la clé de voute des systèmes de culture intensifs actuels, et configurent non seulement les rotations, mais aussi les dates de semis ou les choix variétaux. L’homogénéisation des assolements accroît en effet les risques de développement des parasites. A titre d’illustration, on peut observer que dans le bassin de la Seine, les régions où il y a le plus de colza sont aussi celles dans lesquelles chaque hectare reçoit le plus de traitements pesticides (Coudel, 2012). Concentré aussi en aval, 90% du commerce de détail alimentaire est aujourd’hui le fait de 6 entreprises, ce qui confère aux groupes multinationaux de la grande distribution un pouvoir démesuré sur les agriculteurs (Rastoin, 2006). La spécialisation a aussi pour conséquence d’augmenter considérablement le transport de marchandises. L’industrie agroalimentaire est décrite par J.-L. Rastoin comme une « industrie d’assemblage d’ingrédients venus des quatre coins du monde ». Un pot de yaourt peut ainsi contenir plus de 8 000 km de transport si l’on cumule l’ensemble des distances parcourues par les composantes nécessaires à sa fabrication et sa livraison. Au Royaume-Uni, le coût des externalités négatives imputables au transport des produits alimentaires était estimé en 2002 à 7,4 milliards de livres, pour 30 milliards de km parcourus (Rastoin, 2006). 11


Financiarisé et globalisé, enfin, car les firmes leaders de l’agro-industrie et de la grande distribution sont toutes cotées en bourse et qu’elles sont en conséquence soumises à la volonté de leurs actionnaires qui, de plus en plus, sont des fonds dont les gestionnaires raisonnent en investisseurs et non en industriels. Les échanges internationaux de biens alimentaires ont augmenté, depuis un demi-siècle, deux fois plus vite que la production. Les modèles de consommation sont uniformisés par les firmes multinationales à grand renfort de marketing et de publicité, selon des standards qui correspondent « rarement à ceux des nutritionnistes » (Rastoin, 2006). *** Nous avons tenté de résumer dans un schéma la façon dont ces différentes caractéristiques interagissent et s’entretiennent mutuellement, entraînant le système alimentaire dans un cercle vicieux en termes d’exploitation des ressources naturelles :

Figure n°3 : interactions entre les différentes caractéristiques du système alimentaire agroindustriel

Source : Simon Da Cunha Belvès.

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En conclusion, le système alimentaire actuel se caractérise par une émancipation des cadres sociaux, culturels et naturels dans lesquels il était contenu. Sa logique économique obéit à des lois qui ne tiennent pas compte ni du caractère fini de la planète et ni de la dimension sociale de l’alimentation. Sa généralisation à l’ensemble de la planète, et même sa persistance dans les pays du Nord, ne semble donc pas soutenable.

1.2 Particularités de la ville dans le système alimentaire Quelle est la particularité des villes dans la problématique de la durabilité des systèmes alimentaires ? La ville étant au cœur de nos travaux, il convient de caractériser le lien entre urbanisme et alimentation avant de poursuivre. Une première observation est que ce lien ne fait pas l’objet d’une littérature abondante (Gaigné, 2011). Nous nous appuierons principalement sur le chapitre 6 du rapport duALIne (Bricas et al., 2011), réflexions menées par le CIRAD et l’INRA entre 2009 et 2011 sur le thème de l’alimentation durable. Ce chapitre est intitulé « Urbanisation et durabilité des systèmes alimentaires » et est coordonné par Carl Gaigné. Reprenant une étude financée par l’Ademe (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) affirmant que le transport du yaourt consommé en Ile-de-France représente le tiers des émissions de gaz à effet de serre qui sont liés à la production et à la mise en vente de ce produit (Rizet & Keita, 2005), ou encore celle menée par la ville de Paris concluant que le transport de marchandises représentait 27% de son bilan carbone, les auteurs pointent l’augmentation des distances moyennes parcourues par les produits alimentaires (+124% en 40 ans). Si cette augmentation est concomitante à l’urbanisation, ces deux phénomènes ne sont qu’indirectement

liés : les changements des comportements alimentaires

et

l’augmentation des revenus sont à l’origine de l’allongement des filières. Les produits transformés, qui contiennent plus d’éléments et donc plus de « distance », sont plus consommés en ville qu’en milieu rural (Rastoin & Ghersi, 2010), sans doute parce qu’ils sont les plus rapidement incorporables. La hausse des revenus se traduit quant à elle par une demande d’aliments exotiques. Dans sa revue de la littérature scientifique autour de l’alimentation durable, B. Redlingshöfer (2006) rappelle que la consommation de viande, qui augmente aussi en même temps que les revenus, a un fort impact sur l’environnement. Un régime alimentaire végétarien réduirait de plus d’un tiers le bilan carbone d’un consommateur. Aussi, l’importance accordée par les 13


consommateurs aux conditions de production est décisive : ce même bilan diminue de 23% si le consommateur choisit de n’acheter que des produits issus de l’agriculture biologique. Dans les villes plus qu’ailleurs, c’est donc sur le consommateur que l’enjeu de la durabilité fait porter le regard. La ville, par les modes et les niveaux de vie qu’elle produit, encourage les pratiques « non durables », comme la consommation de produits exotiques, de viande, de produits transformés, de produits surgelés et, pourrait-on rajouter, de fruits et légumes hors saison.

1.3 Qu’est-ce qu’une alimentation durable ? Puisque le modèle actuel n’est pas durable, il est indispensable de réfléchir à la façon d’organiser la transition vers un nouveau modèle de développement alimentaire. Il n’existe pas de consensus autour du concept d’alimentation durable. Pour Y. Chiffoleau (2013), il renvoie à « l’ensemble de pratiques, de la production à la consommation de biens alimentaires,

économiquement

viables,

socialement

soutenables

et

écologiquement

responsables ». La FAO (2010) en donne une définition plus prolixe : « une alimentation qui protège la biodiversité et les écosystèmes, qui est acceptable culturellement, accessible, économiquement loyale et réaliste, sûre, nutritionnellement adéquate et bonne pour la santé, et qui optimise l’usage des ressources naturelles et humaines » (Bricas et al., 2011). Ce que l’on peut y lire en creux c’est que l’alimentation durable est ce que le système actuel n’est pas. Pour atteindre de tels objectifs, notre système agro-industriel doit se tourner vers d’autres objectifs que celui de la rentabilité, ou plutôt le subordonner à un impératif social, économique et écologique. La question qui est au cœur de la démarche des chercheurs dans le domaine de l’alimentation durable pourrait être résumée ainsi ; comment garantir l’intérêt général au sein d’un système alimentaire gouverné par des intérêts économiques ? Une réponse, de loin la plus courante dans la littérature scientifique, consiste à affirmer qu’il est possible de concilier ces deux objectifs. Vont dans ce sens les recherches agronomiques sur l’agriculture « biologiquement intensive » (sic), ou encore celles des économistes sur le marché des droits à polluer. Dans cette optique, les déséquilibres observés ne sont que les conséquences d’une science agronomique et économique encore imparfaite Les fondements du modèle ne sont pas remis en cause : l’intensification reste d’actualité, bien qu’elle est sommée de mieux prendre en compte la variable « nature », et le marché conserve son statut 14


de grand principe régulateur, à ceci près qu’il lui est demandé « d’internaliser les externalités ». Une autre réponse, bien moins porteuse académiquement, rejoint celle de l’économie sociale et solidaire et consiste à « opposer à l’autonomisation de la sphère marchande les exigences d’une subordination du marché aux exigences même de la démocratie » (Laville, 2005). Il s’agit alors moins de mettre l’économie en conformité avec l’intérêt général que de réencastrer ces deux sphères : c’est ce que signifie l’expression d’économie sociale.

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2 L’économie sociale et solidaire : un rôle à jouer dans les réflexions sur la durabilité du système alimentaire Nous avons vu dans une première partie que le système alimentaire actuel, intensif, spécialisé, concentré et mondialisé, n’était pas soutenable, mais aussi que l’urbanisation ne faisait qu’aggraver ce constat, rendant plus urgente encore la réflexion autour d’un nouveau modèle. L’économie sociale et solidaire, qui cherche à concilier échange marchand et utilité sociale, est naturellement appelée à être au cœur de ces réflexions. Pour définir cette économie, il convient d’exposer son histoire. Plongeant ses racines aussi bien dans le catholicisme social du début du 19ème siècle que dans l’associationnisme ouvrier de 1848, ses contours sont complexes et changeants, comme le montre sa réactualisation dans les années 1970. Tournée vers l’intérêt général, son lien avec le concept de développement durable est évident. C’est ce que nous nous attacherons à démontrer dans une seconde partie. Enfin, le lien avec le système alimentaire a été fait, et ce sans grande difficulté : quiconque ouvre un manuel d’économie sociale et solidaire se rend compte de l’omniprésence de l’alimentation au sein des innovations portées par l’ESS, qu’elle soit en toile de fond comme à Rochdale ou au premier plan comme dans les AMAP. Nous ferons un tour d’horizon de ces expériences, en tentant à chaque fois que nous le pourrons de les rapprocher d’une problématique centrée sur la durabilité.1

2.1 La naissance de l’économie sociale Bien que l’on situe la naissance de l’économie sociale au début du 19ème siècle, ses fondements remontent aux formes les plus anciennes des associations humaines. De tous temps, producteurs, travailleurs ou simples citoyens se sont organisés collectivement pour répondre à des besoins auxquels ni le marché ni l’Etat n’apportaient de réponse satisfaisante. Souvent réprimée, la genèse de l’économie sociale s’est largement confondue avec la lente émergence d’une véritable liberté d’association (Defourny, 2005).

1

A noter que nous ne nous intéresserons dans ce travail qu’aux pays du Nord, étant donné le caractère aventureux qu’il y aurait à appliquer le concept d’ESS aux pays du Sud.

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C’est au juriste Charles Dunoyer (1786-1862) que l’on doit la première utilisation du terme d’économie sociale. C’est le nom de son traité de philosophie paru en 1830 avec le sous-titre : « simple exposition des causes sous l'influence desquelles les hommes parviennent à user de leurs forces avec le plus de liberté, c'est-à-dire avec le plus de facilité et de puissance ». A une époque où la nouvelle science économique d’Adam Smith relègue définitivement la morale au rang de frein au développement (« les vices privés font le bien public », expliquait alors Mandeville), l’auteur tente de démontrer qu’au contraire, celle-ci est source de liberté et donc, de richesse. Choqués par la violence de la révolution industrielle et inquiets de son impact sur l’état physique des travailleurs, les « économistes sociaux » veulent moraliser cette classe ouvrière dont la pauvreté n’a selon eux d’égale que la débauche. Imprégnés de ce paternalisme, ces citoyens « éclairés », économistes, médecins, savants, philanthropes, ont le mérite de faire émerger ce que l’on appellera par la suite la question sociale. Alors que la pauvreté avait toujours été considérée comme normale sous l’Ancien Régime, elle commence peu à peu à être perçue comme une pathologie sociale, potentiellement menaçante pour l’équilibre du nouvel ordre social. Il devient donc urgent de reconstruire le lien social qui a été détruit par le contrat, source du libéralisme. Sans pour autant militer pour l’instauration de lois sociales ou pour l’intervention de l’Etat, les économistes sociaux prônent la constitution de corps intermédiaires ou de patronages susceptibles de recréer du lien. Les « catholiques sociaux » participent de ce même mouvement. Selon eux, l’Eglise, qui a toujours donné la priorité absolue au spirituel sur le mondain, ne peut pas se dérober plus longtemps à la question sociale, sous peine de voir la classe ouvrière se détourner d’elle. Stigmatisée, cette contestation ne sera reconnue qu’en 1891, date à laquelle l’encyclique Rerum Novarum s’en fera enfin l’écho. Les catholiques sociaux prônent les systèmes de tutelle dans lesquels une âme philanthropique prend en charge un pauvre à travers des visites et des secours à domicile. Apparaissent les « Sociétés de secours mutuel », des caisses mutuelles avec une adhésion non obligatoire qui doivent permettre aux travailleurs de faire face aux maladies et aux accidents du travail. En 1848 apparait une volonté contradictoire avec la vision de la première économie sociale ; celle portée par le socialisme associationniste de l’autonomisation du salariat. Les travailleurs commencent alors à revendiquer des droits et à se libérer d’un rapport de tutelle. Apparaît la conscience forte que la propriété est au cœur de la question sociale, ce qui est complètement absent du discours de la première économie sociale. Avec l’idée de 17


propriété collective, c’est une des bases du capitalisme qui est remise en cause. La deuxième économie sociale naît avec les associations ouvrières de production et de consommation dans lesquelles un homme = une voix. Cette tradition naissante voit dans l’entreprise collective le lieu privilégié de transformation de la société, en lieu et place de la lutte des classes de la sociologie et de l’économie marxistes (Draperi, 2007). Alors que l’on a tendance aujourd’hui à réduire le mouvement ouvrier au marxisme, l’associationnisme, qualifié non sans mépris de « socialisme utopique » par Karl Marx, ne milite pas pour l’étatisation des moyens de production mais directement pour leur prise en main. L’entreprise collective, à la fois produit et acteur social, constitue l’objet central de cette tradition économique naissante. Elle tente de lier résolution de la question sociale et autoorganisation populaire, au sein d’organisations telles que les associations ouvrières et paysannes, où s'interpénètrent production en commun, secours mutuel et revendication collective (Dacheux & Laville, 2003). L’entreprise, groupement de personnes, est simultanément pensée comme lieu de production ou de distribution, lieu d’éducation et lieu d’un changement social non-violent (Draperi, 2007). L’entreprise sociale se distingue de l’entreprise classique par trois aspects au moins (Defourny, 2005) : 

La finalité de ses service va aux membres ou à la collectivité plutôt qu’au profit, c’està-dire que les personnes et l’objet social priment sur le capital dans la répartition des excédents ;

Ses membres la contrôlent démocratiquement ;

Ses réserves sont impartageables, ce qui signifie que la propriété est collective.

Trois statuts composent principalement l’économie sociale : 

La coopérative : c’est une association volontaire de personnes qui poursuit un but économique, social ou éducatif au moyen d’une entreprise fonctionnant de façon démocratique (un homme = une voix). Elle se distingue aussi des entreprises classiques par la double qualité de ses membres, qui sont à la fois clients et associés, ou bien producteurs et salariés.

La mutualité : telle que définie par le code de la mutualité de 1945, c’est une société qui « dans l’intérêt de leurs membres ou de leurs familles, mettent en œuvre une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide. » Contrairement aux assureurs 18


commerciaux, avec lesquels elles sont en concurrence, elles ne sélectionnent pas leurs adhérents en fonction de leur état de santé, fixent les cotisations selon le niveau de revenu, et visent la recherche désintéressée de la prévoyance et de l’assurance au profit des adhérents. 

L’association : définie par la loi de 1901, c’est « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager les bénéfices. » La réalisation de bénéfices n’est pas interdite, à condition qu’ils soient consacrés à l’objet social de l’association.

2.2 La réactualisation de l’économie sociale : l’économie solidaire L’émergence de l’Etat providence fin 19ème siècle - début 20ème porte paradoxalement un coup d’arrêt à la dynamique autogestionnaire amorcée en 1948 (Singer, 2005). Le couple formé par l'économie de marché et l'État social débouche sur le compromis fordiste et providentialiste propre à la période d'expansion des Trente Glorieuses (Dacheux & Laville, 2003). Les salaires réels augmentent, le droit de grève commence à être respecté, les droits des syndicaux reconnus. En 1945, le système de secours mutuel est repris par l’Etat qui instaure la Sécurité Sociale. « L’emploi salarié a alors cessé d’être une honte et est devenu une situation enviable, condition de l’accès à la citoyenneté. Réconciliés avec le salariat, les travailleurs dans leur grande majorité ont perdu leur enthousiasme et leur intérêt pour l’autogestion » (Singer, 2005). Sociaux-démocrates et communistes s’allient autour de la même croyance en la possibilité de construire, de haut en bas, grâce à des mesures politiques, une société plus juste. La seule division au sein du mouvement concerne les modalités de la prise de pouvoir (jeu démocratique ou action insurrectionnelle ?) L’économie sociale ne disparait pas pour autant. Mais ses plus grandes composantes gagnent en taille et en longévité ce qu’elles perdent en esprit coopératif. Une certaine institutionnalisation couplée à une forte intégration dans le marché amènent une partie de l’économie sociale à se banaliser et à perdre de vue sa finalité sociale (Frémeaux, 2009; Prades, 2000). C’est le cas du secteur de l’assurance, du crédit, ou encore de la coopération agricole, dont les pratiques ne les distinguent guère de leurs concurrentes capitalistes. Au Crédit Mutuel, l’actuel président jouit ainsi d’un revenu de cent fois le Smic (Frémeaux, 2009).

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Selon Danièle Demoustier, l’économie solidaire « prend acte de la banalisation de l'économie sociale » et tente d’opposer à la dissolution des relations de solidarité dans l’anonymat des grandes structures une économie de proximité faite de petites unités assurant des services non ou mal couverts par l’économie capitaliste ou par l’Etat (Demoustier, 2001). Empruntant les concepts fondateurs et les outils de l’économie sociale instituée et institutionnelle, elle contribue ainsi à sa réactualisation. L’émergence de l’économie solidaire peut aussi être expliquée par une approche de type régulationniste, développée notamment par Dacheux et Laville (2003). Les acquis sur lesquels ont débouchés les compromis fordiste et providentialiste ne se sont pas faits sans contrepartie. Les travailleurs restent extérieurs à l’organisation du travail et les usagers ne participent pas à la définition des soins. La solidarité organisée par l’Etat a en effet cette particularité de se faire sans la participation des intéressés. Ce sont ces contreparties qui vont être mises en cause à partir des années 1960 par « les nouveaux mouvements sociaux » (écologistes, féministes.) Le « militantisme généraliste » recule au profit d’une effervescence associative se caractérisant par des engagements concrets et à durée limitée. Parmi les démarches témoignant de cette inflexion de l'engagement, certaines affirment leur dimension économique tout en l'articulant à une volonté de transformation sociale. « Des entreprises ‘autogestionnaires’ ou ‘alternatives’ veulent expérimenter la démocratie en organisation et aller vers des fonctionnements collectifs de travail » (Sainsaulieu, 1983). Pour d’autres auteurs (Prades & Costa-Prades, 2008; Prades, 2000), la résurgence actuelle de l’économie sociale sous le nom d’économie solidaire s’explique par le retournement de conjoncture de l’après Trente Glorieuses, au moment où la contre-révolution néolibérale déferle sur la France (Singer, 2005). Les concessions faites au prolétariat pendant les décennies précédentes sont remises en question, les marchés financiers deviennent tout puissants et la levée des restrictions sur les mouvements de capitaux met les travailleurs français en concurrence avec ceux des pays en développement. Le chômage, qui n’est que frictionnel avant 1975 (3%), touche 5% de la population active en 1980, 8% en 1990, et presque 11% en 1995 (Prades, 2012). Il ne redescendra jamais : le chômage de masse est né. Le terme d’économie solidaire apparaitrait alors pour mieux rendre compte, dans ce contexte nouveau, des initiatives citoyennes et des expérimentations collectives qui ont vu le jour depuis la fin des années 70 en même temps que les phénomènes tels que la désindustrialisation, le chômage de masse et la mondialisation.

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L’économie solidaire est une « composante spécifique de l’économie aux côtés des sphères publique et marchande, (…) définie comme l’ensemble des activités économiques soumises à la volonté d’un agir démocratique où les rapports sociaux de solidarité priment sur l’intérêt individuel ou le profit matériel » (Eme & Laville, 2005). Elle se caractérise par : 

la territorialisation des activités face à la globalisation des marchés ;

les relations de proximité face aux relations anonymes et distanciées ;

la réappropriation par les citoyens de la « chose publique » face à la bureaucratisation de nos institutions (Cretieneau, 2010).

2.3 L’économie solidaire en débat A ce stade, il convient de s’arrêter sur l’idée de solidarité, pour laquelle deux acceptions s’affrontent et se côtoient depuis deux décennies : celle de la solidarité philanthropique et celle de la solidarité démocratique (Dacheux & Laville, 2003). La première s'est largement diffusée dans une vision où la charité était appréhendée au 19ème siècle comme une composante nécessaire à la société démocratique, contribuant à sa pacification par l'engagement volontaire. Focalisée sur la question de l'urgence et de la préservation de la paix sociale, elle se donne pour objet le soulagement des pauvres et leur moralisation par la mise en œuvre d'actions palliatives. Pour Dacheux et Laville, cette conception philanthropique de la solidarité fut, et est encore aujourd'hui, fortement imprégnée de préoccupations libérales. Pour d’autres (Azam, 2001), il s’agit simplement d’une vision assez faible de la solidarité, conçue plus comme « inclusion sociale » que comme « intégration sociale. » La seconde, issue du solidarisme2 du 19ème siècle, sort la solidarité de la sphère caritative pour la situer dans le champ du politique. La solidarité représente l’égalité des droits et le devoir qu’ont les citoyens de s’associer pour établir leur responsabilité mutuelle. Pour Dacheux et Laville, elle est la réponse des travailleurs « à l’échec de la prophétie libérale selon laquelle la suppression des entraves au marché équilibrerait forcément l'offre et la demande de travail. »

2

Le solidarisme est un courant de pensée qui se construit au 19 ème siècle autour de l'idée que la solidarité est une valeur politique. Le terme doit remplacer celui de « fraternité », jugé trop marqué par la tradition chrétienne.

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Ces différences de définitions expliquent que pour certains, tout ce qui a à voir avec l’aide aux personnes démunies appartient à l’ESS, tandis que pour d’autre cette appartenance est conditionnée à un fonctionnement démocratique. De l’enchevêtrement de la sphère sociale avec la sphère économique nait un autre malentendu qui explique sans doute en partie la difficulté qu’a l’économie solidaire à être comprise par un large public. Parce qu’elles ont une finalité sociale, le fait qu’elles puissent prendre la forme d’organisations économiques marchandes peut troubler l’observateur convaincu non sans raison que sphère économique et sphère sociale s’excluent mutuellement. En fait, en économie solidaire, « l’activité est un service rendu aux membres ou à une collectivité plus large et non un outil de rapport financier pour le capital investi. Le dégagement d’éventuels excédents est alors un moyen de réaliser ce service mais non le mobile principal de l’activité » (Defourny, 2005). L’économie solidaire a cette particularité qu’elle permet de dépasser la séparation entre marchand et non marchand en mobilisant des ressources à la fois marchandes, redistributives (subventions, etc.) et réciprocitaires (bénévolat, don, etc.) C’est cette hybridation des ressources qui vaut à l’économie solidaire son qualificatif d’économie plurielle (Eme & Laville, 2005). Pour résumer les principaux clivages que nous venons de discuter, on peut classer les activités de l’ESS d’une part en fonction de leur rapport au marché et d’autre part en fonction de leur rapport à la solidarité :

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Tableau n°1 : les activités de l’ESS en fonction de leur rapport au marché et à la solidarité Rapport à la solidarité Rapport au marché ESS à dominante non marchande

ESS à marchande

dominante

Solidarité philanthropique

  

 

Refuges pour sans-abri Chantiers d’insertion Aide alimentaire

Entreprises d’insertion Jardins d’insertion

Solidarité politique

        

Crèches parentales Jardins partagés Maison des chômeurs Réseaux d’échanges réciproques de savoirs Régies de quartier AMAP Groupements d’achats Coopératives de production Coopératives de consommation

(Selon le schéma de Lévesque & Mendell, 2005)

2.4 Aujourd’hui : l’économie sociale et solidaire La principale différence entre l’économie sociale et l’économie solidaire est que la première se définit par ses statuts et la seconde par ses pratiques. L’ensemble est regroupé sous la terminologie d’économie sociale et solidaire. Bien que l’ESS soit un mouvement aux influences et aux modalités très diverses, ses dénominateurs communs sont : 

la solidarité, au sens où l’expérimentation est collective et l’impulsion « réciprocitaire » ;

la non lucrativité, au sens où l’enrichissement personnel est banni ou fortement limité ;

la recherche de l’intérêt général, qui découle des deux premières propriétés.

Le poids de l’économie sociale, telle que définie par ses statuts, se mesure aisément. Selon l’Observatoire National de l’Economie Sociale et Solidaire (ONESS), elle représente : 

10 % de l'emploi français ;

2,3 millions de personnes salariés ; 23


53,1 milliards d'euros de rémunérations brutes ;

215 000 établissements employeurs ;

Plus de 100 000 emplois créés chaque année.

La portée de ces chiffres est limitée dans le sens où, comme nous l’avons évoqué, les statuts sont nécessaires mais pas suffisants pour garantir de « bonnes » pratiques. Or, en toute logique, faire partie de l’économie sociale et solidaire impliquerait de cumuler un statut de type coopératif ou associatif et des « bonnes » pratiques, ce qui est loin d’être le cas des 215 000 établissements dont parle l’ONESS ! Mais les enjeux politiques, institutionnels et économiques qui gravitent autour de ces chiffres sont importants, comme l’atteste la création récente d’un ministère de l’Economie Sociale et Solidaire, et expliquent que beaucoup d’acteurs manipulent ces chiffres avec plus ou moins d’exactitude. Pour ce qui nous concerne, il semble bienvenu de considérer avec un recul critique l’affirmation selon laquelle l’ESS mesure 10% de l’emploi total français.

2.5 De l’ESS au développement durable : des passerelles évidentes Quels liens peut-on faire entre ESS et le développement durable ? La définition du développement durable la plus répandue provient du rapport Brutland, rédigée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre à leurs propres besoins. » Il s’agissait alors d’une réflexion sur les limites de la planète, et notamment le caractère fini des ressources naturelles, fortement influencée par le choc pétrolier de 1973 et les grandes catastrophes industrielles qui ont émaillées le début des années 80 (Amoco Cadiz, Three Miles Island, Seveso…) Anne-Marie Cretieneau défend la thèse selon laquelle l’ESS offre un cadre évident pour la mise en œuvre d’un développement durable (Cretieneau, 2010). Elle s’appuie pour cela sur le constat fait par René Passet (1996) selon lequel la science économique est l’histoire d’un long « repliement » : alors que le modèle physiocratique était fortement inspiré de la biologie et proposait une vision holiste dans laquelle la sphère économique n’était pas dissociée de celle du milieu naturel, l’école néo-classique adopte la théorie de la valeur utilité-rareté en excluant 24


les phénomènes hors marché de son champ d’analyse. Ce courant, appelé à devenir dominant, s’intéresse à l’équilibre a-temporel du marché, sur le modèle de la mécanique rationnelle, et « désormais, c’est dans la logique des choses mortes (les marchandises, le profit monétaire) que le système trouve sa justification. » Cela légitime d’une part l’asservissement des hommes à un système qui s’auto-justifie, d’autre part l’exploitation gratuite et sans limite des ressources naturelles, dont la valeur est réduite aux coûts de leur exploitation. L’économie sociale et solidaire prend cette idéologie à contre-pied, et cela à deux niveaux : en appliquant le principe fondamental de réciprocité, qui s’oppose à l’échange marchand désincarné (au sens propre, c’est-à-dire qui ne s’inscrit pas dans une relation sociale) ; et en rompant avec les valeurs marchandes pour y préférer les variables relevant de la ressource humaine et naturelle. En ayant une finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit, les organisations de l’ESS instaurent la primauté des hommes et des femmes sur le capital. « Si l’autonomie de gestion à laquelle elles sont contraintes ne les distingue pas des autres, elles adoptent en revanche un processus de gestion démocratique qui favorise la participation et la responsabilité collective des personnes membres et qui y travaillent. Enfin, plus que le statut juridique de la propriété, la règle prévalant dans la répartition des revenus fait l’intérêt de ce secteur en termes de développement durable, puisqu’il ne peut y avoir appropriation par une personne ou par un groupe de personnes des surplus dégagés par l’activité » (Cretieneau, 2010). L’ESS montre qu’il peut exister, grâce au caractère non lucratif des organisations, un compromis entre la logique marchande et la logique civique, dans lequel les intérêts privés sont socialisés, c’est-à-dire placés sous le contrôle démocratique des membres. C’est l’opposition entre intérêts particuliers et intérêt général, entre privé et public, entre capital monétaire et capital naturel qui se trouve ainsi dépassée. Or, comme nous l’avons vu, le concept de développement durable peut être résumé en une recherche du dépassement entre intérêts particuliers et intérêt général.

2.6 Des coopératives de consommation aux jardins d’insertion : le champ d’action de l’ESS dans le système alimentaire Nous avons vu que l’ESS disposait d’atouts décisifs pour intéresser les acteurs du développement durable, notamment celui d’être au service de l’intérêt général et non

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d’intérêts particuliers. Il s’agira à présent d’exposer comment elle interagi avec la fonction alimentaire de nos sociétés. L’histoire de l’économie sociale se trouve d’ailleurs être intimement liée à celle du système alimentaire : c’est une coopérative de consommation qui, en 1844, jeta les bases des principes coopératifs tels que nous les connaissons aujourd’hui (Nicolas, 1988). 2.6.1

Les coopératives de consommation

« Vers la fin de l’année 1843, dans un de ces jours sombres, humides, désagréables, qu’aucun Français n’admire, et comme il en arrive vers novembre, où le soleil ne peut briller, si ce n’est avec désespoir et pendant quelques instants, un petit nombre de tisserands sans emploi et presque sans nourriture, découragé de leur état, se réunirent pour se concerter sur les moyens d’améliorer leur condition industrielle. » George Holyoake, 1881.

Ainsi commence l’histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, telle que narrée par George Holyoake (1881). Ce berceau de la fabrication de la flanelle près de Manchester subit de plein fouet la révolution industrielle. Concurrencée par les puissants métiers à tisser motorisés américains, ouvriers et tisserands n’ont d’autres choix que la révolte. Rochdale devient ainsi l’avant-garde des idées politiques radicales de la classe ouvrière. C’est la pensée de l’industriel gallois Robert Owen qui sera la plus déterminante. A la croisée des chemins du socialisme, du syndicalisme et du coopérativisme (Fairbairn, 1994), il développe l’idée selon laquelle les travailleurs, ne disposant qu’en partie des richesses qu’ils créent, doivent s’associer pour détenir leurs moyens de production. Afin de mettre en œuvre ce programme, il leur faudra former des associations d’entraide mutuelle, se battre collectivement pour obtenir des augmentations de salaire, entreprendre des missions éducatives pour développer les connaissances politiques et économiques de leurs pairs, et, enfin… améliorer leur pouvoir d’achat par la consommation coopérative. C’est l’échec d’une énième grève ouvrière qui précipita la création du magasin. Dans cette culture prolétarienne marquée et avec une perspective idéologique bien définie, vingt-huit tisserands mirent leurs économies en commun pour ouvrir, le 21 décembre 1844, la Société Coopérative des Equitables Pionniers de Rochdale. Plusieurs caractéristiques font de ce magasin une entreprise singulière : 26


Les produits de bases (farine, sucre, etc.) sont vendus au prix courant de détail du marché mais l’excédent est redistribué aux membres au prorata de leurs achats. C’est le principe innovant de la ristourne.

Quarante ans avant l’instauration du suffrage semi-universel, les coopérateurs mettent en pratique l’idée nouvelle de « un homme = une voix. » Le poids des sociétaires dans le système de décision n’est pas proportionnel à leur participation financière. Le principe d’égalité se voit ainsi affirmé à l’intérieur même de l’entreprise.

Le principe de la « double qualité. » Dans le cas des coopératives de consommation, les sociétaires sont en même temps consommateurs et commerçants. L’antagonisme pourtant inhérent à ces deux positions se résorbe et la vente de produits alimentaires peut participer d’une activité d’intérêt général.

Les parts sociales sont faiblement rémunérées, les bénéfices étant consacrés en priorité à des œuvres d’éducation, de solidarité, et de « propagande » (Gide, 1910).

Six ans après l’ouverture, la coopérative comptait déjà 600 membres, qui participaient au capital à hauteur moyenne de 4 livres chacun (Fairbairn, 1994). Aujourd’hui encore, les principes tels que le caractère non lucratif des activités, la double qualité d’associé et d’usager, la gestion démocratique et la fonction éducative font figure de référence pour l’Alliance Coopérative Internationale, dont 300 millions de coopérateurs sont membres. En France, c’est en 1865 que la première coopérative de consommation voit le jour. C’est le début d’une longue période de prospérité pour le mouvement coopératif. En 1910, pas moins de 800 000 français sont membres d’une coopérative de consommation (Gide, 1910). En 1974, 225 sociétés adhèrent à la Fédération Nationale des Coopératives de Consommation, et 4,1% des dépenses alimentaires nationales sont effectuées dans leurs rayons (Malassis, 1973). Cependant, l’avènement de la grande distribution dans les années 1970 finit d’achever un mouvement vieillissant, dont la dynamique avait déjà été entamée pendant l’entre deuxguerres par l’adoption de stratégies commerciales capitalistes. Cet échec peut s’expliquer par la volonté des coopérateurs de se représenter comme un mouvement correcteur du capitalisme et non comme une véritable alternative (Harden-Chenut, 1996).

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Biocoop : coopératives de consommation ou simples magasins bio ? Portés par des familles et des producteurs animés par une même volonté de soutenir l’agriculture biologique, les magasins « coops » étaient bel et bien, à leur origine, des coopératives de consommation ; c’est-à-dire des détaillants où les clients sont coopérateurs3. 40 ans plus tard, ils ne sont plus que 40% à exercer sous un statut coopératif.4 Biocoop est en effet devenu un réseau coopératif. La totalité des magasins en sont sociétaires, fonctionnent selon sa charte et s’approvisionnent dans ses quatre centrales d’achat (40 000 m² d’entrepôts). Quatre collèges sont représentés dans la coopérative : les magasins, les producteurs, les salariés (seuls les magasins sont obligatoirement sociétaires) et les associations de consommateurs. En pleine croissance (7% par an), le réseau emploie 3 200 salariés et fédère 340 magasins. Biocoop n’est donc ni une coopérative de consommation ni une simple franchise de magasins bio, mais plutôt une coopérative de commerçants, ayant, de par son histoire, un fort engagement dans les circuits courts et dans l’agriculture biologique. 2.6.2

Le commerce équitable

« Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine. » Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948. C’est en vertu de cet article 23 que des militants de la cause tiers-mondiste se lancent dans le commerce équitable en 1969 aux Pays-Bas. Soutenus par OXFAM, ils ouvrent un point de vente baptisé World Shop dans lequel ils offrent des débouchés aux petits producteurs du Sud. En France, c’est à l’initiative de l’abbé Pierre et de l’Union des comités de jumelage de coopération en faveur des pays du Sud qu’ouvre en 1974 le premier magasin associatif portant l’enseigne « Artisans du monde » en France (Doussin, 2011). L’objectif du commerce équitable, dont les premières manifestations remontent à 1940-1970, est d’aider les organisations de producteurs et les travailleurs qui sont marginalisés par les échanges internationaux (du fait de leur petite taille, de discriminations ou de la faiblesse de leurs ressources), en les réinscrivant dans des circuits marchands spécifiques fonctionnant 3 4

(Clerc & Gouil, 2006) Source : site Internet de Biocoop.

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avec plusieurs types de garanties. La première d’entre elles concerne les prix qui ne doivent plus être fixés selon les cours mondiaux mais prendre en compte les conditions de vie et de travail des producteurs. La seconde est l’inscription des relations commerciales dans la durée. En retour, les producteurs s’engagent à respecter certains critères ; la gestion du groupement doit être transparente et démocratique, les modes de représentation des salariés et les conditions d’embauche doivent respecter les droits de l’homme au travail, les modes de production doivent être respectueux de l’environnement, et les surplus doivent en partie être investis dans des projets collectifs, qu’ils soient de nature économique ou communautaire (Dubuisson-Quellier, 2009). Sur le plan théorique, on peut donner une interprétation du commerce équitable en postulant que c’est un commerce qui s’oppose à ce que Max Weber appelle la rationalité formelle, qui consiste à poursuivre un objectif unique et quantifiable, souvent sous une forme monétaire, sans prendre en compte les impératifs éthiques qui y sont liés (Le Velly, 2006). Au lieu de laisser au jeu de l’offre et de la demande le soin de fixer les prix, les artisans du commerce équitable partent des besoins des producteurs pour construire un prix considéré comme le plus « juste », dans une démarche de rationalité matérielle. Le commerce équitable rejette la constitution d’un ordre économique autonome, c’est-à-dire désencastré de la sphère sociale, ce qui le situe dans une critique radicale du capitalisme. Ce dernier est appréhendé comme un « esclavage sans maître » (Weber, cité in Le velly, 2006) dans lequel l’individu est contraint par les forces impersonnelles du marché. Au contraire, les acteurs du commerce équitable déploient des moyens importants pour réinscrire l’acte d’achat dans un échange social, à travers l’important volet éducatif et informationnel qui est déployé autour des produits (sur les conditions de vie des travailleurs, l’histoire des coopératives, le contexte socio-culturel, etc.) Toujours sur le plan théorique, l’originalité de ce mouvement est qu’il ne relève ni entièrement du marché, ni tout à fait de la charité. Porté par un milieu chrétien, les ventes s’effectuaient originellement à la sortie des églises (et c’est toujours le cas en Allemagne ou dans les Pays-Bas). Difficile de ne pas voir dans ce transfert de richesse du Nord vers le Sud une forme de charité. Pourtant, la logique de l’action équitable trouve aussi son origine dans la maxime « le commerce, pas la charité », recommandation faite par les Nations unies en 1964 à propos du commerce et du développement (Doussin, 2011). C’est ainsi que le commerce équitable passe par l’échange marchand pour proposer autre chose que la relation 29


d’assistance qui caractérise la charité traditionnelle. Cette position, lutter contre les effets délétères du marché dans le marché (Le Velly, 2006), ne va bien sûr pas sans difficultés, surtout quand il s’agit du marché international – Aristote lui-même voyait dans le développement de l’échange international la cause principale de la naissance de la chrématistique non naturelle (Le Velly, 2006). Ceci est d’autant plus vrai depuis que les filières labellisées font concurrence aux boutiques spécialisées. Cette concurrence est vécue comme une usurpation du principe de commerce équitable, puisque l’acception qui en est faite par les nouveaux entrants n’a plus rien à voir avec l’esprit originel du mouvement. L’inclinaison (attestée par plusieurs études 5) des concessionnaires de Max Havelaar pour les grosses plantations privées, au détriment des petits producteurs ou des coopératives de petits producteurs, en est l’illustration la plus frappante. Ces « effets pervers » (Le Velly, 2006) reproduisent les rapports de domination propres au capitalisme dans ce qu’il a de plus classique. Or, 90% du chiffre d’affaire dégagé par le commerce équitable se fait sur les filières labellisées, et seulement 10% via les filières intégrées (Le Velly, 2006) L’impact sur la durabilité semble donc compromis. Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse d’un point de vue de l’ESS et du développement durable est la tentative de ré-encastrement de l’économique dans le social (Polanyi, 1983) opérée par les filières intégrées du commerce équitable, tentative d’autant plus remarquable qu’elle prétend s’opérer sur un territoire aussi vaste que le monde. Cette démarche est au cœur de toutes les actions affiliées à l’ESS dans le domaine de la consommation. Elle met au défi la théorie économique classique qui postule que le consommateur cherche toujours à maximiser son utilité. Une nouvelle figure du consommateur, qui fera ensuite l’objet d’une littérature abondante, naît avec le commerce équitable. Le chiffre d’affaire du commerce équitable s’établissait en France en 2007 à 241 millions d’euros, dont 50% est réalisé uniquement sur le café.6

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Eberhart et Chaveau, 2002, Murray, Raynolds et Taylor, 2003, cités in Le Velly, 2006. Réseau des Collectivités Territoriales pour une Economie Solidaire, 2009. http://rtes.fr/Le-poids-economiquedu-commerce 6

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2.6.3

Les groupements d’achat

Les groupements d’achats sont des formes collectives et coordonnées de consommation, qui parfois précèdent la constitution de véritables coopératives de consommation. Ils se forment dans le but de procurer à leurs membres des produits de qualité, que celle-ci soit définie par leur provenance (locale), par leur mode de production (biologique) ou par leur dimension solidaire (commerce équitable), et ce en se passant d’intermédiaire (Daoud, 2011). Les membres d’un groupement d’achat repèrent des producteurs, artisans ou coopératives, et s’y approvisionnent directement en regroupant leurs commandes, ce qui leur permet parfois d’obtenir des prix de gros. Certains groupements d’achats sont fortement influencés par la critique portée par les mouvements sociaux qui les ont vus naître. Tout comme les premières coopératives de consommation où l’objectif initial était de construire une communauté utopique dans laquelle l’exploitation serait abolie, ces lieux de militantisme et d’activisme peuvent ne voir dans la consommation qu’un objectif secondaire mis au service d’une cause plus vaste. Souvent informels, il est difficile d’estimer leur nombre en France. 2.6.4

Les AMAP

En France, la première Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne voit le jour en 2001 près de Toulon. Directement inspirée des CSA (Community Supported Agriculture) étasuniennes, elles sont des associations, formalisées ou non, fondées sur un engagement mutuel entre un groupe de consommateurs et un agriculteur. Chaque consommateur s’engage par un abonnement à acheter une part de la production qui lui est livrée périodiquement à un prix constant. L’engagement des consommateurs se poursuit dans l’animation de l’association (animation des lieux de distribution, du dispositif d’information, etc.) et peut aller jusqu’à une participation ponctuelle aux travaux sur l’exploitation. Le producteur de son côté s’engage « à fournir des produits de qualité dans le respect de la charte de l’agriculture paysanne » (Mundler, 2013), à être totalement transparents quant aux techniques et méthodes utilisées, et à mettre en place des démarches pédagogiques comme les visites à la ferme (DubuissonQuellier, 2009). Selon V. Olivier et D. Coquart (Olivier & Coquart, 2010), il est possible de voir dans le succès des AMAP une réponse à l’industrialisation et la standardisation des produits

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alimentaires ainsi qu’une alternative face à la globalisation de l’économie. Ces initiatives répondent aux limites du productivisme en agriculture, et sont associés à la recherche d’une alimentation plus saine, ainsi qu’à l’expression de valeurs citoyennes et écologiques. « Les réseaux alternatifs viseraient à pallier les défaillances des systèmes marchands dominés par des complexes agro-industriels déterritorialisés. » Bien que les logiques de boycott luttent contre les mêmes défaillances (Dubuisson-Quellier, 2009), elles ne peuvent être assimilées à de l’économie sociale et solidaire en cela qu’elles sont des actions largement individualisée (Dubuisson-Quellier & Lamine, 2004). L’intérêt des AMAP est d’inscrire dans le marché une démarche de nature collective. Tout comme les groupements d’achats, elles permettent l’expression d’intérêts divergents et la confrontation des besoins aux contraintes économiques, écologiques et sociales du marché. Du point de vue du développement durable, les AMAP sont intéressantes à plusieurs égards. Parce qu’elles fonctionnent sans intermédiaires, elles sont à même de proposer des prix inférieurs ou égaux à ceux du marché pour une qualité qui est supérieure (Mundler, 2013). Les populations défavorisées, dont on sait que le régime alimentaire est de plus faible qualité que la moyenne de la population (Caillavet et al., 2005), ne sont donc pas exclues, comme on pourrait le préjuger, de cette forme de commerce équitable. Le principe d’accès à l’alimentation peut donc trouver dans les circuits courts un champ d’action pertinent, hypothèse qui tend à être validée par les récentes études menées par l’INRA dans le domaine de l’aide alimentaire (notamment les travaux de S. Quéré). Autre avantage côté consommateur : les AMAP tendent à répondre efficacement à l’inquiétude croissante des mangeurs dont la sociologie a montré que les causes principales résidaient dans l’allongement géographique des filières, la multiplication des intermédiaires et la perte de connaissance sur les conditions de production et de transformation (Fischler, 2001). Côté producteur, l’AMAP est un moyen de s’assurer contre la volatilité des prix (Mundler, 2013), de diversifier ses débouchés mais aussi de se revaloriser socialement dans un système alimentaire qui lui accorde de moins en moins d’importance. Les interactions observées en AMAP entre consommateurs et producteurs sont à même de redonner confiance et estime de soi à ces derniers, pour qui la standardisation du métier et des produits a agi comme un facteur de perte d’identité (Porcher, 2003).

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D’un point de vue écologique, si les AMAP ne sont pas toutes en agriculture biologique, elles répercutent largement les préoccupations environnementales et sanitaires des consommateurs et contribuent ainsi au développement d’une agriculture plus durable. Si en 2007 le nombre d’AMAP était estimé entre 300 et 500 (Dubuisson-Quellier, 2009), il y en aurait aujourd’hui 1600 sur tout le territoire français, livrant régulièrement 66 000 paniers à 270 000 consommateurs (Le Monde, 2012). 2.6.5

Les coopératives agricoles

Objet de luttes idéologiques et de manœuvres politiques dès ses origines (Malassis, 1973), la coopération agricole occupe une place à part dans le tableau de l’économie sociale. « Bien peu d’animateurs de ce mouvement connaissent la pensée des grands doctrinaires des coopératives de consommation, avec qui ils se sentent souvent peu d’affinités, et éprouvent quelques difficultés à définir des objectifs autres que ceux de la défense de l’exploitation familiale » (Malassis, 1973). Pourtant, sur le plan économique, l’action coopérative agricole est un succès. Avec le secteur de l’assurance, c’est le seul domaine où l’économie sociale est majoritaire. En 1974, 70% des céréales produites en France sont commercialisés par le biais d’une coopérative agricole (Malassis, 1973). En effet, face à la puissance des fournisseurs, des distributeurs et des grands groupes agroalimentaires, les agriculteurs se sont très tôt rassemblés pour peser. Le mouvement coopératif a ainsi contribué à développer l’esprit de solidarité des agriculteurs, les a préparés à la gestion d’entreprises plus vastes et à la compréhension du fonctionnement des filières agro-alimentaires. Mais le choix qui a été fait par ce mouvement de constituer une alternative dans l’économie libérale plutôt qu’une alternative à l’économie libérale (Bobot, 2010) n’est pas sans conséquences sur sa cohérence interne. L’insertion croissante de la coopération dans le marché capitaliste accroit ces contradictions (Malassis, 1973), par exemple quand elle fait alliance avec des entreprises classiques ; la moitié du chiffre d’affaire global affiché par les coopératives (84 milliards d’euros) provient de leurs filiales privées. 7 Les principes coopératifs s’en trouvent bousculés (Forestier & Mauget, 2000) : 

L’acapitalisme est le principe le plus remis en question. En effet, le prix de marché est souvent la règle et le surplus peut être redistribué sous forme de dividendes au prorata

7

Yves Le Morvan, directeur général de Coop de France, cité par : Girard L., « Le fol essor des coopératives agricoles françaises », Le Monde, 25/02/2013, http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/02/25/le-folessor-des-cooperatives-agricoles-francaises_1838204_3234.html

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du capital. Le mode de rétribution est alors le même que si l’agriculteur était actionnaire d’une société de droit commun. 

La démocratie coopérative « un homme égale une voix » peut être respectée dans la société mère, mais le pouvoir dans les filiales est en général au prorata du capital de chaque associé.

La porte ouverte : ce principe peut être respecté, mais la pression du partenaire non coopératif peut conduire la coopérative à des décisions allant à l’encontre de ce principe, par exemple en rejetant des agriculteurs non performants, soit en termes de qualité, soit en termes de coût pour la filiale.

Les statuts coopératifs n’empêchent pas non plus les pratiques douteuses. Lur Berri, la coopérative propriétaire de la filiale Spanghero, avait récemment fermé l’abattoir de SaintPalais (Pyrénées Atlantiques) pour se lancer dans un commerce international de viande 8. La suite est tristement célèbre. La poursuite de l’intérêt général pourrait être mieux assurée par les SICA, Sociétés d’Intérêt Collectif Agricoles, qui sont obligés par leur statut d’avoir au moins 20% d’adhérents non agricoles. Elles constituent ainsi une des rares formes coopératives de type multisociétaire où les producteurs peuvent s’associer avec leurs clients.9 D’autre part, le statut SCIC, créé en 2001, permet d’associer des salariés, des producteurs, des bénéficiaires (clients), et des contributeurs (collectivites, associations etc.) autour de la production de biens ou services d’intérêt collectif. C’est une innovation juridique intéressante qui permet de reconnaitre que les sociétaires peuvent être intéressés à la coopérative de façon différente, dans un multisociétariat mettant en présence les intérêts respectifs des différentes parties prenantes. Une SCIC peut associer les acteurs de l’ensemble de la filière, ce qui permet de renforcer la confiance et la transparence. Selon Lamine, c’est un statut prometteur pour le monde coopératif agricole, « jusque-là relativement déconnecté des autres secteurs et acteurs des territoires » (Lamine, 2012).

8

Ibid. Alternatives Economiques, 2006. http://www.alternatives-economiques.fr/societe-d-interet-collectif-agricole-sica-_fr_art_223_31347.html 9

34


Il existe en France 2 850 coopératives agricoles, employant 160 000 salariés et représentant 40% du chiffre d’affaire total du secteur agroalimentaire. Trois quarts des agriculteurs adhèrent au moins à une coopérative.10 2.6.6

Les points de vente collectifs

Y. Chiffoleau explique pourquoi les groupements de consommateurs ne peuvent suffire à répondre aux problèmes des agriculteurs (Chiffoleau, 2009). Pour compenser la dégradation continue des termes de l’échange, ceux-ci ont en effet augmenté la taille de leurs exploitations. Cela ne s’étant pas accompagné d’une augmentation de la main d’œuvre, ils ont vu leur charge de travail augmenter considérablement depuis les années 60. La diminution du nombre d’agriculteurs (ils sont 60% de moins qu’en 1960) et la diminution du temps libre dont ils disposent ont encouragé le développement de projets personnels au détriment de la coopération. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur la capacité des innovations sociales décrites précédemment à répondre à ce problème. En effet, celles-ci encouragent plutôt l’individualisation et la personnalisation des parcours : heureux celui qui trouve un collectif de consommateurs urbains prêts à lui acheter sa récolte à l’avance. Si la vente en circuits courts peut redonner confiance aux producteurs, qui voient ainsi leur travail (re)valorisé par un groupe de consommateurs avec qui ils sont en contact direct, elle ne conduit pas automatiquement à la reconnaissance professionnelle (Chiffoleau, 2013). Les formes d’économie solidaire développées du côté de la production semblent a priori plus à même de générer de la solidarité interprofessionnelle. Aussi ces formes-là se distinguent de celles que nous avons vues précédemment par une approche plus pragmatique et moins politique ; leur raison d’être est avant tout la subsistance économique des paysans qui les portent. ***

Un point de vente collectif est un magasin de producteur détenu et administré par un collectif de producteurs. Ces derniers se relaient pour assurer la vente en contact direct avec les

10

Source : Coop de France. http://www.coopdefrance.coop/fr/16/une-reussite-economique-et-sociale/

35


consommateurs (Lamine, 2012; Vincq, Mondy, & Fontorbes, 2010). Ils se regroupent autour de trois principes fondamentaux (Montet, 2008) : 

Au moins un producteur est présent lors de la vente (même quand il y a un salarié) ;

L’achat revente est banni ou très limité, à l’exception des produits du commerce équitable ;

Les producteurs ne se font pas concurrence : un produit = un producteur.

Le point de vente est mandataire, c’est-à-dire qu’il agit au nom et pour le compte de ses mandants. Le producteur est donc propriétaire de son produit jusqu’à la remise au consommateur. Il est rémunéré sur ce qui est vendu et non sur ce qui est livré au magasin. Une commission (en moyenne 12%) est prélevée pour couvrir les frais de fonctionnement (Montet, 2008). Le premier point de vente collectif ouvre en 1978 dans le département du Rhône, porté par sept agriculteurs. Moqués par les institutions agricoles de l’époque, leur modèle sera pourtant appelé à prospérer : entre 250 et 300 magasins de ce type ont ouvert depuis en France (Montet, 2008). 2.6.7

Les marchés paysans

Les marchés paysans, aussi appelés marchés de producteurs, ont pour particularités d’être gérés par des associations de producteurs et d’exclure les revendeurs. Ils sont portés par des producteurs mais aussi par des équipes municipales qui veulent dynamiser leur territoire. De par leur spécificité, ils attirent les consommateurs qui peuvent avoir des difficultés à distinguer producteurs et revendeurs sur les marchés classiques (Chiffoleau, 2008). Réactualisation d’une forme ancestrale de commercialisation, ils ont connu un important essor dans la plupart des pays développés au début des années 1990 (Dubuisson-Quellier, 2009). Ils étaient alors portés par des groupes de militants qui souhaitaient mettre à mal les réseaux agroalimentaires conventionnels accusés de rompre le lien entre producteurs et consommateurs. A mesure que le phénomène se développe, les ambitions militantes y tiennent une place plus réduite : une fois installés, les marchés finissent par élargir leur base de producteurs et de consommateurs bien au-delà des cercles militants et deviennent des dispositifs marchands parmi d’autres (Dubuisson-Quellier, 2009). 36


La force des marchés paysans est de créer et/ou de renforcer les liens entre les différents producteurs, comme l’a montré Y. Chiffoleau dans ses analyses sociologiques des réseaux (Chiffoleau, 2009). Cela peut déboucher sur de la solidarité et de l’entraide, ou tout simplement sur de la reconnaissance entre pairs. Quand on sait que la pauvreté est aussi, voire avant tout un processus d’exclusion sociale (Paugam, 2004), on mesure l’importance de cette caractéristique. La faiblesse des marchés paysans réside dans le fait d’être souvent porté par des élus, et d’être donc tributaires des alternances politiques. Le fait d’être un instrument de politique publique va aussi à l’encontre de l’esprit de l’ESS qui se vit comme une démarche autoorganisationnelle allant du bas vers le haut. 2.6.8

L’aide alimentaire

Même si l’Etat français reconnaît que l’alimentation est un besoin fondamental, il n’existe pas de droit à l’alimentation dans les différents dispositifs de lutte contre l’exclusion (Paturel, 2013). Comme souvent, l’ESS intervient pour combler un besoin qui n’est pas pris en charge par l’Etat. En réponse à la crise sociale de l’après choc pétrolier (1979), les Restos du Cœur et les premières Banques Alimentaires ouvrent leurs portes. L’humoriste Coluche va profiter de sa popularité pour médiatiser l’aide alimentaire. Grâce aux dons, les organismes d’aide alimentaire distribuent gratuitement ou à prix modique des repas, sous forme de colis, aux sans-abris et autres familles en difficulté. Au fur et à mesure que le chômage devient structurel, le public se diversifie : migrants, chômeurs, familles monoparentales, personnes en situation de grande exclusion et marginalisées viennent pêle-mêle frapper aux portes des associations. Dans les années 90, l’aide alimentaire s’engage dans une démarche qui la rapproche de l’économie solidaire, quand elle prend conscience qu’une partie de ses bénéficiaires est aussi en recherche de lien social (Nadau, 2013). Emerge alors le discours autour du don alimentaire avec contrepartie, inspiré des écrits de l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) selon lequel le don comporte une triple obligation de donner-recevoir-rendre (Godbout & Caillé, 2007). Ainsi, « le don non rendu rend encore inférieur celui qui l'a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. » Il s’agit donc d’engager les personnes dans une contrepartie d’ordre financier ou participatif. 37


Petit à petit, l’aide alimentaire va encore crédibiliser ses actions en diversifiant ses propositions par des activités d’insertion et d’éducation ; jardins, ateliers cuisines, etc. En mars 2003, le plan de renforcement de la prévention et lutte contre la pauvreté11 définit des axes prioritaires en matière d’exclusion. Pour la première fois, l’aide nutritionnelle des personnes les plus démunies est inscrite comme objectif prioritaire. Pour se démarquer de pratiques « assistancielles », les pouvoirs publics souhaitent créer un contrat individualisé qui assure un engagement réciproque entre la structure et le bénéficiaire. Les épiceries sociales permettent aux publics exclus d’accéder à des circuits de consommation traditionnels, achetés à faible prix (Nadau, 2013). Les épiceries sociales naissent de la volonté de donner plus d’autonomie aux bénéficiaires. On parle d’épicerie sociale quand une structure d’aide alimentaire s’organise sur le modèle du libre-service afin que les bénéficiaires choisissent eux-mêmes le contenu de leur panier. Un accompagnement individuel est aussi mis en place, faisant de l’alimentation un prétexte à une mission sociale plus vaste : les épiceries sociales sont des lieux d’accueil, d’échange, d’éducation, et permettent potentiellement aux exclus de se reconstruire symboliquement. Selon les têtes de réseaux de l’aide alimentaire, en 2010, 3,5 millions de personnes auraient bénéficié de l’aide alimentaire, avec une augmentation de 25% par rapport à 2008. Il est estimé que les bénéficiaires de l’aide alimentaire représentent environ 5,4% de la population française (Conseil National de l’Alimentation, 2012). 2.6.9

Les jardins familiaux et les jardins partagés

a. Les jardins familiaux Autrefois appelés jardins ouvriers, les jardins familiaux sont des parcelles de terrain cultivables mises à disposition des foyers modestes en échange d’une cotisation modique dans un but de consommation familiale (Simonet, 2001). Appartenant généralement à des municipalités, parfois à des industriels, des mécènes, ou des universités, les jardins familiaux sont gérés par des associations relevant de l’économie sociale et solidaire. Elles allouent les parcelles, font le lien entre propriétaires et jardiniers et veillent au bon entretien des terrains. Clôturés, équipés d’un abri et d’un point d’eau, ces jardins s’intègrent le plus souvent à un ensemble de plusieurs dizaine de jardins semblables, d’une superficie moyenne de 250 m². 11

(CNLE: Conseil National des politiques de Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale, 2003)

38


L’histoire des jardins familiaux fait étrangement écho à celle de l’économie sociale et solidaire. Nés au 19ème siècle, les jardins ouvriers répondent au besoin de terre exprimé par les paysans en exode devenus ouvriers de la révolution industrielle. Ils sont portés par un courant libéral qui voit dans ces espaces un moyen d’assurer la paix sociale en détournant le peuple des cabarets et de la révolution (Simonet, 2001). Cette fonction paternaliste n’empêche pas les jardins familiaux de connaître un grand succès auprès d’une population qui en fait des lieux d’auto-production. Les Trente Glorieuses voient les jardins ouvriers décliner fortement. La nouvelle prospérité économique fait de leur rôle alimentaire une fonction désuète. La société de consommation relègue les jardins aux oubliettes. De 700 000 parcelles de jardins familiaux en 1945, la France n’en compte plus que 140 000 en 1970.12 Mais à partir des années 1970, la situation économique se dégrade. Le processus qui avait amené la disparition progressive des jardins familiaux s’inverse : la crise et la remise en cause d’un certain modèle de développement font resurgir l’intérêt des collectivités et des associations pour les jardins familiaux. Les urbanistes et les aménageurs changent de regard sur ces espaces et commencent à les prendre en compte dans les plans d’aménagement des villes. Les jardins sont vus comme des lieux où le lien social, fortement mis à mal dans une société qui fait de la compétition une valeur forte, peut se reconstruire. Ils peuvent par exemple être utilisés comme instruments de politique d’insertion sociale dans les quartiers difficiles. (Simonet, 2001). Il y aurait aujourd’hui 150 000 parcelles de ces jardins en France.13 Bien sûr, ces jardins n'offrent pas un emploi. Mais en développant le lien social, en améliorant l'image que les « jardiniers » ont d'eux-mêmes, il est certain que leur chance de retrouver un travail augmente plus qu’en restant à la marge. On peut dire ici que le lien social précède l'emploi, à l'inverse des jardins de l'insertion, où l'emploi sort les jardiniers de l'exclusion (Prades & Costa-Prades, 2008).

12 13

Fédération Nationale des Jardins Familiaux, http://www.jardins-familiaux.asso.fr/ Ibid.

39


b. Les jardins partagés Les jardins partagés émergent en France à la fin des années 1990 (Scheromm, 2013) pour palier à la principale limite des jardins familiaux qui réside dans ses clôtures. Le principe est le même à ceci près que les usagers ne se voient pas attribués de parcelle délimitée mais l’accès à un terrain partagé. Celui-ci est « conçu, construit et cultivé collectivement par les habitants d’un quartier ou d’un village, ayant pour objet de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives et étant accessibles au public. Son identité se fonde sur des valeurs de solidarité, de convivialité, de lien et de partage entre les générations et les cultures, mais aussi de respect de l’environnement » (Scheromm, 2013). L’intérêt des jardins familiaux et partagés en termes de durabilité pourrait résider dans leur rôle éducatif. Ils donnent la possibilité aux urbains de renouer un contact perdu de fait avec la nature. Des pratiques plus responsables peuvent être induites par l’apprentissage du rythme des écosystèmes, comme par exemple la saisonnalité. 2.6.10 Les jardins d’insertion Les jardins d’insertion apparaissent en France dans les années 80-90 pour palier au problème du chômage. Dans un contexte de marché du travail de plus en plus concurrentiel où les individus les moins bien « adaptés » se trouvent en situation d’exclusion, les acteurs de l’insertion constatent que le travail de la terre est porteur de sens (Besse, 2010). Ils conçoivent alors des exploitations agricoles dans lesquelles des personnes sans emploi apprennent ou réapprennent les règles du monde du travail. L’insertion en général vise autant l’acquisition de savoir-faire que de « savoir-être » ; disposition culturelle permettant de s’adapter à des mondes sociaux, ici celui du travail. Les jardins d'insertion font en effet partie du vaste domaine de l'insertion par l'activité économique. Ce dernier comprend différents types de structures (entreprises d’insertion, entreprises de travail temporaire d’insertion, associations intermédiaires, chantiers d’insertion) qui correspondent chacun à des publics différents (plus ou moins éloignés de l’emploi) et qui bénéficient de diverses aides publiques (l’économie solidaire porte bien son nom d’économie plurielle).

40


L’insertion, comme l’aide alimentaire, découle de la conception caritative de la solidarité, dans laquelle les valeurs philanthropiques priment sur les valeurs démocratiques. L’autogestion y occupe donc une place moindre, voire nulle, ce qui, en même temps que de constituer sa principale limite, ne l’empêche pas de s’insérer quasi-systématiquement dans des démarches de développement durable comme l’agriculture biologique et les circuits courts. A ce propos, Dubuisson-Quellier et Lamine (2004) notent que « si la marchandise est secondaire pour les organisateurs des réseaux de jardins solidaires, elle est souvent première dans les motifs d’engagement des adhérents consommateurs ». Les jardins d’insertion ont cette particularité qu’ils parviennent à répondre en même temps à la crise de l’emploi et à celle du modèle de consommation. A noter que le problème du chômage et les préoccupations environnementales des consommateurs ne se rejoignent pas uniquement dans les jardins d’insertion mais aussi dans les restaurants et les boulangeries, comme si l’insertion avait naturellement trouvé dans le système alimentaire le terrain d’une critique plus globale. Au sein de l’aide alimentaire, certaines structures comme les Restos du Cœur ont développé leurs propres jardins d’insertion. Ces jardins, en plus d’insérer des personnes éloignés de l’emploi, approvisionnent les centres de distribution de l’aide alimentaire en produits de qualité. Deux types de jardins existent : 

Des jardins d’insertion classiques qui reçoivent un label « Jardin du Cœur. » Leurs responsables sont bénévoles et les personnes en insertion sont accompagnées par un encadrant technique et un encadrant social. On en dénombre une cinquantaine en France.

Les jardins de proximité, où le travail est entièrement le fait des bénéficiaires euxmêmes et des bénévoles. Ces jardins se situent donc directement à proximité du point de distribution, d’où leur nom. Ils sont au nombre de 64.

On ne peut qu’estimer le nombre total de jardins d’insertion en France : il y en aurait au moins 265 (Besse, 2010). Le réseau Cocagne, qui en regroupe 91, emploie 2000 personnes en insertion et distribue 16 000 paniers par semaine.14 ***

14

Evaluation nationale des jardins de Cocagne, 2011. http://www.reseaucocagne.asso.fr/medias/docu/Evaluation-nationale-2011-Jardins.pdf

41


Nous venons de voir que l’ESS s’exprimait de manière très diverse au sein du système alimentaire. Selon qu’elle se déploie du côté de la production ou du côté de la consommation, dans une perspective philanthropique ou autogestionnaire, les formes qu’elle prend diffèrent largement. La plupart partagent cependant les dénominateurs communs de l’ESS que sont la démocratie et la lucrativité limitée.

2.7 Conclusion Pour résumer, le domaine de l’économie sociale et solidaire désigne l’ensemble des activités qui s’ordonnent autour des principes et règles de fonctionnement suivants (Bourque, Duchastel, & Canet, 2004) : 

l’entreprise a pour finalité de servir ses membres ou la collectivité, plutôt que de simplement engendrer des profits et viser le rendement financier ;

elle intègre dans ses statuts et ses façons de faire un processus de décision démocratique impliquant usagères et usagers, travailleuses et travailleurs ;

elle défend la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition de ses surpris et revenus ; elle fonde ses activités sur les principes de la participation, de la prise en charge et de la responsabilité individuelle et collective.

L’ESS a des raisons fortes d’être actrice du développement durable puisqu’elle s’oriente par définition vers l’intérêt général. Parce que l’entreprise sociale est une propriété collective, personne ne peut s’accaparer ses ressources et la tentation d’exploiter l’homme ou la nature est limitée. L’alimentation donne lieu à l’expérience la plus importante de l’histoire du coopérativisme : celle de la coopérative de consommation de Rochdale. Celle-ci pose des principes et des valeurs qui servent encore aujourd’hui de base à tous entrepreneurs du domaine de l’économie sociale et solidaire. Depuis, c’est par des initiatives comme le commerce équitable ou, plus récemment, les AMAP, que l’ESS a su faire parler d’elle et attirer l’attention de l’ensemble des acteurs du développement durable. En ville, où ce sont les comportements des consommateurs qui posent problème, la contribution la plus importante de l’ESS pourrait reposer en fait dans la notion de « démocratie alimentaire. » Le potentiel de transformation de l’ESS serait à trouver dans sa capacité à étendre au domaine de l’alimentation l’exercice de la citoyenneté (Deverre & 42


Lamine, 2010), dans un mouvement qui fait des consommateurs passifs des citoyens actifs et éduqués (Hassanein, 2003). Deux façons d’envisager les implications de ce mouvement s’opposent dans la littérature, l’une inscrite dans les sciences politiques et l’autre dans la sociologie économique ; 

La première s’attache à démontrer comment les réseaux alternatifs de consommation peuvent développer chez ceux qui y participent des virtus civiques et démocratiques leur permettant d’influencer les politiques publiques. Les citoyens ainsi formés constituent un contrepoids à la force de contrôle anti-démocratique exercée par l’agroindustrie et sont à même de transformer les rapports de pouvoir au sein du système alimentaire (Hassanein, 2003; Levkoe, 2006; Wilkins, 2005).

La deuxième s’attache à démontrer que l’échange marchand peut devenir lui-même politique quand il développe les capabilités (Sen, 2000) des consommateurs, comme par exemple la possibilité de participer aux arbitrages qui sont faits en amont de la distribution (Chiffoleau & Prevost, 2013; Dubuisson-Quellier & Lamine, 2004). Ces formes d’échange permettraient de ramener les préoccupations démocratiques dans l’arène économique et donc de participer au processus de ré-encastrement (Polanyi, 1983).

La deuxième approche s’oppose frontalement à celle de la théorie économique standard, qui analyse les échanges comme de simples moments désocialisés de rencontre des préférences individuelles sous la forme d’une offre et d’une demande autonomes (Chiffoleau & Prevost, 2013). En cela, elle rejoint parfaitement les préoccupations de l’économie sociale et solidaire, qui n’a jamais distingué participation démocratique et exercice économique. En revanche, la première approche semble suggérer que l’action politique ne peut pas se faire dans le lien marchand et doit donc s’exprimer en dehors de celui-ci. Ce n’est pas la vision promue par l’ESS, qui se veut une troisième voie entre l’action politique et l’action marchande. L’exercice de la démocratie à l’intérieur même des organisations alimentaires de l’ESS est la pierre angulaire de son rapport au développement durable. Les réflexions d’Amartya Sen sur la démocratie permettent d’éclairer cette affirmation (Sen & Bégot, 2005) : « Il existe trois modes différents à travers lesquels la démocratie enrichit la vie des citoyens : 

La participation à la vie politique et sociale a une valeur instrinsèque pour la vie humaine et le bien-être des personnes.

43


La démocratie a une valeur instrumentale, en amplifiant l’écoute accordée aux gens lorsqu’ils expriment et défendent leurs revendications à l’attention des politiques ;

La politique de la démocratie donne aux citoyens une chance d’apprendre les uns par les autres, et aide la société à donner forme à ses valeurs et à ses priorités. Même l’idée de « besoins », qui inclut la compréhension des « besoins économiques », requiert une discussion publique et un échange d’informations, de points de vue et d’analyses. Dans ce sens, la démocratie a une fonction constructive, qui s’ajoute à sa valeur intrinsèque pour la vie des citoyens et à son importance instrumentale dans les décisions politiques. »

Les deux derniers points recoupent les deux approches décrites plus hauts : la pratique de la démocratie permet aux revendications citoyennes d’être prises en compte, ce qui fait l’intérêt des régimes démocratiques pour les sciences politiques. Mais la troisième proposition est d’une importance capitale puisqu’elle indique qu’il n’y a aucune raison de penser la sphère économique indépendamment de la sphère démocratique. « Par exemple il existe de nombreuses choses que nous pourrions, à juste titre, évaluer et considérer comme « besoins » si cela était faisable. Nous pourrions même vouloir l’immortalité. Mais pour nous, l’immortalité n’est pas un « besoin » car de toute évidence, on ne peut l’atteindre. La conception que nous avons des « besoins » est en rapport avec la manière dont on peut prévenir certaines difficultés ou privations, et avec la compréhension que nous avons de ce qui peut être fait en ce domaine. Dans la compréhension et l’élaboration des convictions concernant cette faisabilité (faisabilité sociale en particulier), les débats publics jouent un rôle essentiel. »

Formés et formulés au sein de processus démocratiques, les besoins alimentaires pourraient tenir compte de leurs impacts sociaux et environnementaux au lieu d’être de simples maximisations d’utilité comportant ou non des externalités négatives. C’est pourquoi nous posons comme hypothèse que la contribution de l’ESS à la durabilité des systèmes alimentaires urbains est à trouver dans sa fonction éducative. Les consommateurs qui s’impliquent dans les réseaux de l’ESS voient l’échange marchand se réinscrire dans des processus relationnels et sociaux qui peuvent, en retour, former leur conscience environnementale, économique et sociale.

44


3 L’économie sociale et solidaire dans la ville de Montpellier Comment, dans le secteur alimentaire d’une ville comme Montpellier, l’ESS se concrétise-telle ? Montpellier nous servira de terrain d’étude pour mesurer la contribution de l’ESS à la durabilité des systèmes alimentaires urbains. Toutes les structures d’ESS qui participent à l’alimentation de la ville seront identifiées et décrites dans cette partie. Nous présenterons ensuite une enquête que nous avons réalisée dans le but de valider ou d’invalider notre hypothèse sur le rôle éducatif de l’ESS en milieu urbain. Enfin, nous discuterons de l’impact de l’ESS et des freins à son développement.

3.1 Méthodologie Pour faire l’exposé le plus exhaustif possible de l’état de l’ESS à Montpellier, nous avons contacté

des

personnes

ressources,

issues

de

différentes

structures

comme

la

CRESLR (Chambre Régionale de l’Economie Sociale en Languedoc-Roussilon), le CIVAM Bio 34, ou Coop de France Languedoc-Roussillon, principalement par téléphone. A chaque entretien avec un responsable de structure d’ESS, nous avons demandé s’ils avaient connaissance d’activités similaires sur Montpellier. Nous avons pris contact avec les différentes associations, par mail ou par téléphone, ou nous sommes directement rendus sur place, en présentant notre étude et notre problématique. Nous nous sommes entretenus avec les responsables de ces associations, et, quand nous avons pu, avec certains de leurs membres. La ville étant le sujet de cette étude, nous ne sommes sortis qu’une seule fois de Montpellier, pour rencontrer une coopérative agricole. Dans le détail, nous avons rencontré : 

le responsable communication et membre du collège de l’AMAP la Triballe, ainsi que le producteur de cette association ;

deux membres du bureau de l’AMAP Papillons, ainsi qu’un des producteurs ;

la présidente de l’AMAP Paniers piano, ainsi que le producteur ;

deux membres de l’AMAP Lamalou :

le président du groupement d’achat Locavore Montpellier ; 45


la présidente du groupement d’achat Collectif du Goût ;

un membre du groupement d’achat RAARes ;

la responsable du groupement d’achats la Ruche qui dit Oui ;

une productrice du magasin de producteur Les Sentiers des Cévennes ;

un ancien producteur et maintenant bénévole à l’association Terroir Direct ;

trois membres du groupe informel l’Oliveraie ;

deux membres de l’antenne locale de l’association Artisans du Monde ;

deux salariés de la coopérative agricole Les Vergers de Mauguio ;

le chef de l’entreprise d’insertion Drôle de pain ;

la chef d’entreprise du magasin de produits locaux Charlotte aux Légumes ;

le PDG de la Biocoop l’Aile du Papillons ;

Un guide d’entretien nous a accompagné lors de ces rencontres. Celui-ci visait à évaluer la gouvernance des associations étudiées, le but étant ensuite de rapprocher ce paramètre avec les connaissances des consommateurs (nous y reviendrons) :

Tableau n°2 : guide d’entretien Questions

Critères à apprécier

Histoire et raison d’être de la structure ?

Objet social : solidarité ? lutte contre l’exclusion ? Répondre à un besoin social ? Ancrage territorial ? Avec les fournisseurs ? Quels contrats ? Quelles modalités d’échange ? Hybridation des ressources (Etat, marché, réciprocité) ? Autonomie recherchée ou non ?

Quelle organisation ? Quelles ressources ? Quelles parties prenantes ? Quel statut et pourquoi ?

Rapport à la non-lucrativité, à la propriété, à l’intérêt collectif, etc.

Comment les décisions sont-elles prises ?

Participation des membres ? Vote ou consensus ? Fréquence des assemblées ? Consultation, concertation, sociocratie ? Ceux qui prennent les décisions sont-ils bien informés ? Quelle transparence ?

Comment l’information est-elle partagée ? Prix du service / de l’adhésion ?

Accessible à tous ?

Quelle est la répartition du travail et des responsabilités ?

Rotations entre les membres ? Travail salarié ? Travail bénévole ? Partage du pouvoir ?

46


Quel est le nombre de membres/adhérents/bénéficiaires ?

Evolution sur les 5 dernières années ?

Quel est le niveau d’absentéisme ?

Quels sont les engagements pris par les membres ? Qu’est-ce qui est attendu d’eux ? Qu’est-ce qu’ils font effectivement ?

Rotation de l’équipe dirigeante ?

Oligarchie ou alternance ?

Activités annexes ?

Education ?

Perspectives de développement ? Que pensez-vous de l’ESS et pensez-vous en faire partie ?

Comment l’ESS est-elle définie par les acteurs sur le terrain ?

Ce guide d’entretien nous a servi à remplir la grille d’évaluation suivante, dans laquelle un score de élevé correspond à une gouvernance démocratique, c’est-à-dire dans laquelle la participation des membres est garantie et la transparence assurée :

Tableau n°3 : grille d’évaluation de la gouvernance des activités d’ESS Questions Finalité de service aux membres et à la collectivité

/8

Impulsé par une personne : 0 Impulsé par 2 personnes : 1,5 Impulsé par un collectif : 3 /3 Propriété durablement collective : SARL ou aucun : 0 Association : 1 Coopérative : 2 /2 Les usagers déterminent l’activité ou bien adhèrent simplement à une offre (projet coconstruit ou projet entrepreneurial) : /1 Autonomie de gestion : /1 Poursuite affichée de l’intérêt général : /1

47


Processus de décision démocratique

Sanction par le vote (autre que les élections) : /1 Fréquence de l’assemblée générale (supérieure à une par an ?) : /1

/6 Existence d’un CA ou d’un collège actif : /1 Fréquence des réunions du CA ou collège (supérieure à une par an ?) : /1 Consommateurs dans l’AG (0,5) ou dans le CA (1) ? /1

Participation : prise en charge, responsabilité individuelle et collective

/9

Transparence, partage de l’information : /1 Géré actuellement par : Une personne : 0 La personne est aidée à la marge dans son travail : 1 Le travail est effectué par plusieurs membres volontaires : 2 Le travail est réparti entre tous les membres : 3 /3 Les usagers doivent être adhérents : /1 Absentéisme : /1 Présence d’activités annexes à but éducatif (visites à la ferme, échange de recettes de cuisine, etc) : /1 Fréquence de rencontre des membres entre eux : /1 Rotation de l’équipe dirigeante : /1 Turnover (élevé : 0, faible : 1) : /1

La grille d’évaluation ainsi que le guide d’entretien s’inspirent des travaux d’une équipe de chercheurs québécois sur l'évaluation de l'économie sociale dans la perspective des nouvelles formes de régulation socio-économique de l'intérêt général (Bouchard, Bourque, Lévesque, & Desjardins, 2001) :

48


Tableau n°4 : critères d’orientation et objets d’évaluation de l’ESS

Source : Bouchard, Bourque, Lévesque, & Desjardins, 2001.

Les grilles d’évaluation appliquées aux structures étudiées se trouvent en annexe II.

49


Dans un deuxième temps, nous avons soumis aux membres de ces organisations un questionnaire visant à évaluer leurs connaissances du système alimentaire. Celui-ci est consultable en Annexe I. Le questionnaire a été auto-administré en ligne par les enquêtés. Il a été transmis par le ou la responsable des organisations à travers la liste e-mail du groupe. Il a été réalisé à l’aide LimeSurvey, logiciel libre de sondage en ligne. Le coût de la location d’un serveur a été supporté par Surfood. Quatre groupements ont accepté de participer à l’enquête et ont fourni 117 réponses complètes. Les données ont ensuite été analysées grâce au logiciel de traitement statistique SPSS. La première partie du questionnaire consiste en un quizz et a pour but d’évaluer les connaissances des consommateurs sur le système alimentaire. Les questions que nous avons posées s’efforcent de rendre compte des trois dimensions du développement durable : l’écologie, l’économie et le social. Nous avons donc des questions qui portent sur l’agriculture biologique, la production de viande, la pauvreté des agriculteurs, la diminution de leur nombre dans la région, le prix des matières premières, l’impact des pesticides sur la santé, les OGM, etc. La deuxième partie du questionnaire comporte des questions descriptives telles que l’âge, le sexe, la CSP. Nous avons aussi demandé à l’enquêté à quel point il se sentait impliqué la gestion du groupement d’achat ou de l’AMAP dont il fait partie.

3.2 Panorama de l’ESS dans la ville de Montpellier 3.2.1

Caractérisation de la ville de Montpellier

Montpellier, située dans le département de l’Hérault (Languedoc-Roussillon), est la huitième ville de France par sa population de 250 000 habitants. Son agglomération en compte 400 000.15 La population de l’agglomération montpelliéraine a plus que triplé au cours du dernier demisiècle. Depuis le début des années 2000, la croissance démographique reste forte (1,2% par an). Ce dynamisme est porté par les migrations et l'attractivité de son territoire ; une

15

Sources des données sur Montpellier : INSEE. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=POP&millesime=2010&nivgeo=COM&codgeo=34172 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=16088

50


population plutôt jeune, marquée par une forte présence étudiante (21,4%, contre 8,5% dans le reste de la France) et de cadre (11%, contre 9,4%). Le chômage y est en revanche élevé (12,3%). La ville de Montpellier se distingue par sa forte concentration d’emplois dans le secteur des services et du commerce :

Figure n°4 : répartition de l'emploi à Montpellier en 2012

Commerce 34% Services 50%

Construction 10%

Industrie 6%

Source : INSEE, 2012.

51


Figure n°5 : répartition de l'emploi en France en 2012 Construction 6%

Commerce 11%

Industrie 12%

Service 71%

Source : INSEE, 2012.

Au sein du secteur commerce, plus de 50% des établissements sont concentrés sur quatre domaines d'activité : «les autres commerces de détail en magasin spécialisé» (19,5%), le secteur des «restaurants et services de restauration mobile» (18,7%), «le commerce de détail alimentaire en magasin spécialisé» (10,3%) et « le commerce de détail sur éventaires et marchés » (8,3%). C’est donc en grande partie un secteur alimentaire aval très développé qui explique cette différence dans le poids du commerce. Le secteur des services, en revanche, est constituée de conseils de gestion, d’activités financières, de services personnels, d’architecture, d’ingénierie et de services informatiques. Dans la région, l'agroalimentaire est le premier secteur industriel en termes d'emploi. Elle est le premier employeur industriel avec 25% de l’effectif salarié industriel, et est donc considérée comme le « pilier de l’économie régionale » (Agreste, 2010). C'est un secteur qui crée de la valeur : 1,4 milliard d’euros de valeur ajoutée en 2009, en hausse sensible par rapport à 2002 (+ 21 %). La filière vitivinicole y est prépondérante : 32 % des emplois et 35 % du chiffre d'affaires. Elle assure 30% de la production nationale de vin et 90 % de la production de vins sous IGP. En 2007, l’INSEE estime que le secteur des industries agroalimentaires demeure le premier employeur industriel en région (hors BTP), avec 25 % de l’effectif salarié de l’industrie.

52


Toujours selon ce critère, le Languedoc Roussillon se classe 16ème des régions françaises avec 2,55 % de l’effectif employé par les industries agroalimentaires en France. Il est difficile de dire le poids de l’emploi lié au secteur agroalimentaire dans l’emploi total de la ville de Montpellier, étant donné que la nomenclature de l’INSEE ne distingue pas les activités alimentaires des activités de restauration, d’hébergement et de commerce. Pour ce qui est de l’ESS, elle représente, selon la Chambre Régionale de l’Economie Sociale du Languedoc-Roussillon (CRESLR) : 

10 374 établissements, soit 10% du total des établissements ;

94 704 salariés au 31/12, ce qui représente 12% du total des salariés ;

Plus de 2 milliards d’euros de rémunérations brutes (11% du total).

Encore une fois, ces chiffres sont d’une pertinence limitée étant donné qu’ils prennent en compte toutes les activités économique ayant un statut coopératif ou associatif : secteur sanitaire, sportif, le tourisme, le loisir, l’assurance, la banque, etc. 3.2.2

Les initiatives portées par les consommateurs

a. Les groupements d’achats Les groupements d’achats sont nombreux dans la région (22, selon le décompte de Nora Daoud16), mais peu à Montpellier même. a) Le Collectif du Goût Le Collectif du Goût est fondé en 2005 par une mère de famille, entrepreneuse par ailleurs, qui souhaite nourrir ses enfants avec des produits issus de l’agriculture biologique sans en avoir les moyens. Elle « recrute » alors d’autres mères de famille à la sortie de l’école dans le but de commander directement aux producteurs, sans passer par des intermédiaires qui, selon elle, pratiquent des marges injustifiées. Les distributions ont lieu chez elle le week-end. Les membres du collectif ont alors l’occasion de rencontrer les producteurs locaux, qui sont au nombre de six. Les membres payent directement les producteurs.

16

Inscrit dans le cadre du projet PSDR « Coxinel » qui visait à étudier l'importance et le potentiel des circuits courts, le travail de Nora Daoud a consisté à étudier les groupements d’achats dans une perspective sociologique.

53


Une quarantaine de familles s’approvisionnent à travers le Collectif du Goût, mais la gestion incombe presque entièrement à la présidente de l’association, manque de formalisation et de règles préétablies. b) Le RAARes Le Réseau Autogéré d’Achats Responsables Ecologiste et Social (RAARes) se forme suite aux mouvements de grève qui secouent l’éducation nationale en 200517. Le groupe, d’abord appelé Comité de Résistance Offensive Anti Capitaliste, croit trouver dans les modes de consommation alternatifs un moyen de mettre en œuvre ses principes anarchistes. La charte stipule ainsi : « La grande distribution, qui exploite sans vergogne la terre comme les hommes, est un bon exemple du modèle capitaliste que nous voulons déconstruire.18 » Le groupe se fait appeler « la coopé », mais n’est pourtant pas structuré juridiquement. Il revendique en effet de s'organiser hors de toute règles préétablies. Le fonctionnement est celui du « un produit = un parrain », c’est-à-dire que chaque membre est encouragé à approvisionner le groupe avec une denrée. Les producteurs doivent préalablement venir se présenter au groupe et répondre à ses questions. 200 personnes sont membres du RAARes. c) La ruche qui dit oui A l’opposé, la gérante de la Ruche exprime son rejet de toute dimension politique. Cette jeune auto-entrepreneuse se lance dans l’aventure dans le but de créer un lieu de convivialité, où habitants du quartier pourraient se rencontrer autour de producteurs locaux. Si la première distribution en mars 2013 réunit 47 consommateurs, au mois de juin la ruche ne reçoit plus qu’une vingtaine de commandes.

17

Les informations exposées ici sur le RAARes sont tirés du mémoire de Nora Daoud, qui a réalisé auprès d’eux une enquête sociologique approfondie. Nora Daoud, « Régimes d’engagement, tensions et compromis dans la création de Groupements d’Achat » (Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2011). 18 (« raares:raares [Alternatives34] », s. d).

54


La ruche qui dit oui : le social business 2.0 La ruche qui dit oui est une SAS (société par action simplifiée) labellisée « entreprise sociale et solidaire » qui propose à ses clients de les accompagner dans la création et dans la gestion de leur groupement d’achats. 1) Une volontaire (la vaste majorité sont des femmes) prend l’initiative d’ouvrir une ruche. Elle s’inscrit sur le site. Des consommateurs la repèrent et se signalent. 2) Elle a trouvé assez de consommateurs intéressés. Elle se lance à la recherche de producteurs. Chaque producteur fixe un minimum de commande à partir duquel il veut bien fournir la ruche. 3) Il y a suffisamment de producteurs prêts à coopérer ; la ruche peut ouvrir, à condition d’avoir un numéro de Siret. Il faut donc se constituer en association ou encore, comme à Montpellier, en auto-entrepreneur. 4) Toutes les semaines, la responsable propose une sélection à partir des produits proposés par les producteurs. Les consommateurs ont 6 jours pour passer commande via plateforme Internet. « Pas d’obligation : chaque membre de la Ruche est libre de commander ou non. »19 5) Le jour de la distribution (une fois par semaine), les producteurs ayant reçu assez de commandes rencontrent les consommateurs pour leur délivrer leurs produits. La distribution a lieu dans le local désigné par la responsable (à Montpellier ; la brasserie de l’avenue Lepic). 8,35%

du

montant

des

transactions

est

redistribué

à

la

responsable.

8,35% est ponctionné par l’entreprise. La force du modèle réside dans sa plateforme Internet : c’est elle qui rend captif les responsables de ruche. d) Locavore Montpellier Locavore Montpellier est un autre exemple d’entrepreneuriat social. Là aussi la frontière entre le lucratif et le non-lucratif est floue : le président de l’association s’occupe bénévolement de distribuer vingt paniers hebdomadaires, mais en distribue vingt autre à des non-adhérents,

19

(« Dossier de presse La ruche qui dit oui! », 2012)

55


auxquels il facture 10% de plus pour se rémunérer. Il joue en fait l’intermédiaire entre les consommateurs et des producteurs locaux, avec qui il entretient des relations de confiance. Locavore Montpellier approvisionne aussi un groupe d’étudiants de la fac de Chimie, juridiquement rattaché à l’association Paniers piano de SupAgro (nous y reviendrons).

Tableau n°5 : récapitulatif des groupements d’achats de Montpellier Date

de Nbr

de Statut

Gestion

création

membres

Collectif du Goût

2005

40

Association

Entrepreneuriale

RAARes

2005

200

Aucun

Collective

Locavore

2011

20

Association

Entrepreneuriale

La Ruche

2013

3020

Auto-entrepreneur

Entrepreneuriale

b. Les AMAP a) L’AMAP Lamalou L’AMAP Lamalou est issue de la volonté d’un groupe de consommateurs qui, en 2003, part à la recherche d’alternatives à la grande distribution, accusée d’exploiter les agriculteurs. Il n’y a alors aucune AMAP sur Montpellier. Le groupe rencontre d’abord Denise et Daniel Vuillon, couple à l’origine de la première AMAP en France, puis quatre agriculteurs avec qui ils discutent des modalités d’un possible engagement réciproque. C’est finalement un producteur bio du Mas-de-Londres, à 25km de Montpellier, qui est désigné en 2004. Aujourd’hui, l’association comporte une quarantaine de membres mais semble avoir beaucoup de difficultés à renouveler ses adhésions. Sa charte nous semble particulièrement représentative des raisons évoquées généralement par les consommateurs pour adhérer à une AMAP : « L’AMAP est un partenariat basé sur un engagement mutuel.

20

La ruche n’est pas une association et n’a donc pas véritablement de membres mais plutôt des consommateurs.

56


Ce lien direct entre la production et la consommation maintient un sens social et des relations conviviales entre les individus ; il favorise la maîtrise des terres.

L’AMAP valorise les savoir-faire des agriculteurs travaillant sur des fermes à taille humaine. Elle encourage le retour à des pratiques agricoles dans le respect des équilibres naturels.

Les consommateurs soutiennent la ferme en achetant à l’avance et pour toute une saison, une part de la récolte.

Les membres de l’AMAP partagent les risques dus aux aléas climatiques, la pénurie ou l’abondance des récoltes.

L’engagement financier couvre les coûts de productions, les salaires de la ferme, les investissements pour les semences et les outils, location des terres, contrat de maintenance et d’entretien pour le matériel agricole, etc.

Le paysan n’a plus le souci de vendre sa production, il est dans une stabilité financière en dehors de ‘l’économie de marché’.

En échange, il fera tout ce qu’il peut pour fournir à ses partenaires, des produits fraîchement cueillis, de grande qualité gustative et nutritive, en biodiversité et cultivés dans le respect de l’environnement et des saisons, le plus souvent à des prix inférieurs à ceux du commerce. »

b) L’AMAP Papillons L’AMAP Papillons a été fondée en 2006 par un groupe d’étudiants de la fac de science, issus de l’association étudiante l’Ouvre-tête. Adaptée à leurs besoins, elle est moins contraignante financièrement que les AMAP classiques : l’engagement n’est que de six semaines, loin des six à dix mois observés généralement. Autre particularité : les producteurs sont au nombre de quatre (un maraîcher, un boulanger et deux éleveurs), d’où le projet d’ouvrir une épicerie solidaire, chapeautée par l’association l’Ouvre-tête. L’association est moins formalisée que celle de la Triballe, mais un groupe est bel et bien désigné par les autres membres pour prendre en charge la logistique et l’administration de l’AMAP. Le nombre de producteurs mais surtout la courte période d’engagement des membres rend celles-ci relativement complexes et chronophages. c) L’AMAP Paniers piano L’AMAP Paniers piano a été créée en 2008 par deux étudiants de l’INRA membres de l’association Ingénieurs Sans Frontières, en collaboration avec des étudiants de la fac de Chimie. Trop peu nombreux, ces derniers abandonnent le fonctionnement en AMAP et se tournent vers Locavore Montpellier. Il y a donc deux associations de fait mais une seule 57


juridiquement. Nous traiterons ici uniquement de la partie AMAP de l’association, c’est-àdire celle des étudiants de l’INRA / SupAgro. Les distributions ont lieu le mardi soir sur le parking de la résidence étudiante. Une trentaine de paniers à 10 euros sont distribués, qui nourrissent selon la présidence une cinquantaine d’étudiants. Le producteur est localisé dans la région de Béziers, où il vend également ses fruits et légumes issus de l’agriculture biologique par le biais d’un magasin de producteurs. Il s’engage à fournir des paniers composés au minimum à 70% de ses récoltes, le reste provenant des agriculteurs avec qui il travaille par ailleurs. Les consommateurs, eux, s’engagent pour un minimum de huit semaines et aident au moins une fois par an à l’organisation des distributions. Un bureau composé de cinq membres est élu par l’assemblée générale. Elles (toutes des filles) s’occupent du fonctionnement général de l’association : démarchage de nouveaux étudiants, trésorerie, communication, animation. Ayant constaté que le principal frein à l’adhésion à une AMAP était le manque de compétences en cuisine, les membres du bureau préparent chaque semaine une recette de cuisine adaptée à la composition des paniers. d) L’AMAP la Triballe Les 50 consommateurs de l’AMAP la Triballe sont engagés pour une durée de six mois. La distribution hebdomadaire a lieu dans le quartier des Beaux-Arts. L’AMAP a un fonctionnement collégial. Six membres volontaires sont élus par l’AG et se voient confiés des tâches bien déterminées, comme l’animation du site, la gestion de la trésorerie, le recrutement ou encore les relations publiques. Ils se réunissent tous les mois. Les distributions sont organisées par les membres, à tour de rôle, en présence du maraîcher. Chaque membre est tenu d’organiser deux distributions par an. Le groupe entretient une relation très étroite avec leur maraîcher, qui est président d’honneur de leur association. Des visites, des fêtes et après-midi de travail sont organisés sur son exploitation. Le producteur est situé à Guzargues, à 25km de Montpellier, et produit en agriculture biologique.

58


Tableau n°5 : récapitulatif des AMAP de Montpellier Date

de Nbr

de Statut

Gestion

création

membres

AMAP Lamalou

2004

40

Aucun

Collective

AMAP Papillons

2008

100

Association

Collective

AMAP Paniers Piano

2009

30

Association

Collective

AMAP la Triballe

2009

50

Association

Collective

*** Interrogés sur leurs motivations, les consommateurs d’AMAP et de groupements d’achats ont principalement évoqué l’absence d’intermédiaires et la proximité géographique avec les producteurs. Les défaillances des systèmes marchands traditionnels dominés par des complexes agro-industriels déterritorialisés (Olivier & Coquart, 2010) apparaissent comme les premiers moteurs de la consommation coopérative. En première ligne se trouvent la critique de la grande distribution, de l’agriculture intensive et des circuits longs. Viennent parfois des considérations plus pragmatiques sur le prix de l’agriculture biologique et la nécessité de se regrouper et de se passer d’intermédiaires pour avoir de meilleurs prix. Sont aussi citées les motivations d’ordre social, comme le lien avec les habitants du quartier. c. Le commerce équitable Le commerce équitable inscrit la solidarité non pas dans le cadre d’un territoire mais au contraire dans celui d’un échange Nord / Sud. La boutique Artisans du Monde, située en plein centre-ville près de la rue Foch, est administrée par un salarié et six bénévoles. En majorité retraités, ces derniers se relaient par équipe de deux pour assurer la vente de produits équitables fournis par la centrale d’achat officielle du réseau : Solidar’Monde. Si la boutique appartient au réseau Artisans du Monde, elle est une entité autonome, avec son propre bureau élu par l’assemblée générale. 59


Un tiers seulement des produits vendus sont des aliments. Une cinquantaine de clients fréquentent la boutique tous les jours. L’association mène régulièrement des campagnes d’information pour sensibiliser le public aux problématiques du commerce équitable. d. Biocoop Aile du Papillon La Biocoop l’Aile du Papillon, située au Crès, a été fondée il y a 12 ans par un entrepreneur. Entièrement financée par des prêts, notamment de la NEF, partenaire du réseau Biocoop, elle emploie 11 personnes et s’approvisionne à 97% à la plateforme de Sorgues (84). Le reste est acheté localement. Elle a le statut de SARL et est sociétaire de la coopérative de commerçant qu’est Biocoop. Deux de ses employés sont aussi sociétaires, ce qui leur permet de participer à la vie démocratique du réseau. Le PDG a par ailleurs participé pendant plusieurs années à la commission déléguée à la sélection des nouveaux projets au sein du réseau Biocoop. e. L’aide alimentaire Il existe à Montpellier 44 points de distribution d’aide alimentaire ; 33 associations de la Banque Alimentaire, 3 du Secours Populaire, et 8 Restos du Cœur. Parmi elles, entre 6 et 7 sont des épiceries sociales. 16 000 personnes ont bénéficié de cette aide alimentaire en 2012. Chaque bénéficiaire y a eu recours en moyenne 7 fois. Sur les 1 700 tonnes de nourriture ainsi distribuées, 34% provient des aides publiques (Etat, collectivités locales et Union Européenne), 27% des dons des grandes surfaces et petits commerces (encouragés fiscalement à donner plutôt que de détruire), 33% des achats en gros permis par les dons, et seulement 6% de producteurs locaux (marché gare). f. Les jardins familiaux et partagés Les jardins collectifs de Montpellier, familiaux comme partagés, sont le résultat d’initiatives menées par différents types d’acteurs, associations de jardinage ou d’insertion sociale, particuliers, étudiants, entreprises, et en tout premier lieu par la municipalité. Une véritable politique en faveur de la création de jardins collectifs est ainsi lancée en 2004, illustrant l’engouement récent des citadins pour le jardinage (Scheromm, 2013). La ville de Montpellier met à disposition de ses habitants trois jardins familiaux et huit jardins partagés (Scheromm, 2013). Les conditions pour obtenir une parcelle de jardin familial est d’habiter Montpellier depuis plus de cinq ans et de ne pas posséder de jardin privatif. Les 60


jardins partagés qui sont mis à disposition par la Mairie sont en majorité gérés par des associations.

Tableau n°7 : les jardins partagés et familiaux de Montpellier Jardins partagés Jardins familiaux Ville Cité Lemasson Ville Grand Grès Amandières Rieucoulon Carré Jupiter Malbosc Mercouri Entreprises SNCF Résidence Pompignanne EDF Cavalerie Colombière (CHU) Roseraie Sainte-odile Associations Jardins de l'Hérault Parc Clémenceau Universités Montpellier 2 Montpellier 3 SupAgro Associations Père Soulas

Les jardins partagés de Montpellier sont plus des lieux de rencontre que des lieux de production (Basset, 2013). Quand E. Basset demande aux jardiniers de dessiner leur jardin, ces derniers représentent avant tout les bancs et les tables, et omettent presque toujours les plantations. La dimension socialisante est donc première, la fonction alimentaire se situant loin derrière. Les jardins comptent entre 4 et 10 membres en moyenne, ce qui signifie qu’une centaine de personnes tout au plus participent à un jardin partagé à Montpellier (Basset, 2013). Les jardins familiaux, à l’inverse, sont bien plus tournés vers la fonction alimentaire et vers l’activité de loisir personnel. Aucun lieu de socialisation n’est pensé dans ces lieux où les parcelles sont séparées par des grilles. Les jardins de la ville comportent au total 148 parcelles.21 Il ya par ailleurs une tendance à la parcellisation des jardins partagés (Basset, 2013). Ces jardins « mixtes » allient parcelles individuelles et parcelles collectives. A Montpellier, le jardin des Amandiers ou celui de la Cavalerie présentent déjà cette combinaison, et d’autres, comme celui du Père Soulas ou de Clémenceau, sont en transition.

21

Source : site de la ville de Montpellier, http://www.montpellier.fr/1862-les-jardins-familiaux.htm

61


3.2.3

Les initiatives portées par les producteurs

a. Les points de vente collectifs « Sentiers des Cévennes » est une boutique paysanne située au centre-ville de Montpellier. Elle a été fondée en 1999 dans le but de promouvoir une agriculture écologique issue des Cévennes. Etonnamment, ce sont des revendeurs qui sont à l’origine de ce projet. Leur objectif était de s’installer comme agriculteurs tout en s’assurant un débouché sur Montpellier. Ils sont aujourd’hui 14 producteurs. Tous détiennent la même part sociale, ce qui signifie que de facto, un homme égale une voix, et travaillent tous autant de temps dans la boutique. Celle-ci accueille entre 200 et 300 clients par jour. 20% du montant des transactions est réservé aux frais de fonctionnement. A première vue, la force de ce modèle réside dans le fait qu’il offre aux producteurs l’entière maîtrise de leurs débouchés ; ils fixent eux-mêmes le prix et les délais de paiement sont nuls. Il convient cependant de modérer tout de suite cette observation puisqu’ils n’y écoulent qu’une faible partie de leur production (15% pour notre interlocutrice productrice de fromage), le reste étant vendue sur les marchés ou même dans des filières longues. b. Les marchés paysans Depuis peu, le marché paysan de Grabels, dans l’agglomération Montpelliéraine, est au centre de toutes les attentions. Des chercheurs de l’INRA, en collaboration avec les parties prenantes, ont mis au point un système d’étiquetage innovant. En vert sont identifiés les produits des producteurs présents sur le marché, en orange les produits achetés à d’autres producteurs bien identifiés ou fabriqués à partir des produits de ces derniers, et enfin en violet sont indiqués les produits à l’origine sociale et géographique plus lointaine mais « demandés par les consommateurs » (par exemple les carottes, très peu produites autour de Montpellier) (Chiffoleau & Prevost, 2013). Ce système permet de donner une réelle opérationnalité au concept de circuits courts, mais il est encore trop tôt pour en évaluer les impacts. Dans le quartier de Celleneuve à Montpellier, la rencontre entre l’association des marchés paysans de l’Hérault et le comité de quartier a débouché sur la création d’un marché de producteurs en septembre 2012. Le fonctionnement de ce marché repose sur une charte issue de discussions entre producteurs et consommateurs. La ville a soutenu l’implantation de ce

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marché : les paysans n’ont pas payé la redevance pour leurs emplacements pendant la première année. c. Les paniers Le système de paniers tel que nous le définissons consiste en un groupement de producteurs qui commercialisent ses produits à travers un site Internet. Le consommateur compose luimême son « panier » et se le fait livrer ou le récupère dans un point-relai. Un exemple de système par paniers nous a été fourni à Montpellier par Terroir Direct. Cette association loi 1901 fait figure de pionnière ; elle parlait déjà de circuits courts il y a dix ans, lors de sa création. Elle réunit aujourd’hui 80 producteurs, tous tenus par les statuts à faire un apport social lors de leur adhésion. Elle écoule 150 paniers par semaine à un millier de consommateurs de l’Hérault et emploie trois salariés. Ces derniers sont aidés par les bénévoles de l’association, producteurs ou anciens producteurs. L’association prélève 30% sur les transactions pour couvrir les frais de fonctionnement. Ces systèmes de paniers sont prisés par les consommateurs car, contrairement aux systèmes d’AMAP, l’engagement qu’ils requièrent est minimal : pas d’abonnement, pas de produits imposés, etc. En revanche, les coûts sont élevés et, comme nous le verrons, le système est facilement « récupérable. » 3.2.4

Les entreprises d’insertion

Depuis moins d’un an, il existe sur Montpellier une boulangerie qui emploie des personnes en insertion. « Drôle de pain » voit dans le métier d’artisan boulanger un support efficace pour apprendre ou réapprendre savoir-faire et savoir-être. Trois employés en insertion y sont dirigés par trois encadrants techniques. Comme si développement durable et insertion étaient liés, la boulangerie produit en majorité du pain bio dont la farine est moulue localement. De la même façon, le réseau La table de Cana, qui a une antenne à Montpellier, fait de la restauration un tremplin vers l’emploi. Chaque adhérent doit fonder deux sociétés : une entreprise commerciale de traiteur gérée par des professionnels et une entreprise d'insertion qui va travailler avec l'entreprise commerciale.

63


Les Tables de Cana sont donc différentes des entreprises commerciales qui font un peu d'insertion, ou des associations d'insertion qui développent une petite activité économique. Là aussi, on constate une tendance naturelle à aller vers les préceptes de l’alimentation durable, à travers des formules « locavores » ou de produits issus de l’agriculture biologique.

3.3 Le rôle éducatif d’une gouvernance démocratique : mythe ou réalité ? Comme nous l’avons vu dans notre première partie, la particularité des villes est de concentrer, voire de produire une population dont les habitudes alimentaires sont « non durables » ; consommation de viande, de produits exotiques et de produits transformés, et de fruits et légumes hors saison. Notre hypothèse est que les urbains sont victimes d’un manque de connaissance du système alimentaire du fait de la distance qui les sépare des lieux de production. Comment les habitants des villes, si éloignés qu’ils sont des milieux dans lesquels se produit et se transforme leur nourriture, pourraient-ils faire des choix alimentaires responsables ? Une première réponse est celle de la régulation par le marché. Les labels et autres certifications orientent le consommateur dans ses choix en transformant des propriétés du système en propriétés mêmes du produit. Le consommateur délègue ses choix à ces dispositifs dans un engagement qui est minimal : il peut se retirer à tout moment et reste exclu d’espaces de décision plus larges dans lesquels les propriétés des systèmes productifs se formulent (Dubuisson-Quellier et Lamine, 2004). Bien que nécessaires, ces dispositifs semblent avoir une portée limitée dans le sens où la faible implication qu’ils requièrent ne favorise pas l’éducation des consommateurs. Une deuxième réponse, celle de l’ESS, consiste à faire du consommateur un citoyen. De nouvelles modalités d’implication des acteurs basées sur les procédures portées par l’ESS transforment l’échange marchand en engagement politique (Chiffoleau et Prévost, 2012) et offrent aux consommateurs la possibilité d’investir des champs qui leur étaient jusque-là inaccessibles, comme les arbitrages qui sont fait en amont de la distribution (DubuissonQuellier et Lamine, 2004). Cette nouvelle gouvernance qui relève de la « prise en main d’une 64


destinée collective » (Chiffoleau et Prévost, 2012) s’inscrit pleinement dans la dynamique de l’économie sociale et solidaire. Reste à savoir comment les arbitrages réalisés collectivement agissent en retour sur les consommateurs et leurs pratiques alimentaires. En effet, si la caractérisation de l’engagement des citoyens dans de telles alternatives (Dubuisson-Quellier, Lamine, & Le Velly, 2011; Dubuisson-Quellier & Lamine, 2004) a été largement entreprise, les liens entre cet engagement et sa vertu éducative restent une supposition (Gaigné, 2011), voire une revendication militante . Valider ou invalider cette hypothèse est le but de l’enquête que nous allons maintenant présenter. 3.3.1

L’échantillon et son profil

Sur les 7 associations de consommation existantes à Montpellier, 4 ont accepté de participer à notre enquête.22 Au total, 117 consommateurs ont répondu au questionnaire. Qui sont les consommateurs des AMAP et des groupements d’achats de Montpellier ? a. Des cadres et de professions intellectuelles supérieures Les cadres et professions intellectuelles supérieures sont fortement surreprésentés dans notre échantillon, comparativement à la population montpelliéraine dans son ensemble23. Aussi, si 12% de la population active montpelliéraine est au chômage, c’est le cas de seulement 4% de notre échantillon.

22

Afin de garantir l’anonymat des structures enquêtées, leurs noms ont été remplacés. Source : INSEE, 2009. http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=POP&millesime=2010&nivgeo=COM&codgeo=34172 23

65


Tableau n°8 : CSP et groupes

AMAP Main verte AMAP Berthelot La Bellevilloise Court Circuit Total Total pourcentage Population générale Hérault

Artisans, commerça nts et Cadres et chefs professions Professions d'entrepris intellectuelle Intermédiaire Chômeur e s supérieures s Employés Etudiants s 0 11 1 3 20 1 0%

31%

3%

8%

56%

3%

0

0

0

0

12

0

0%

0%

0%

0%

100%

0%

1

11

12

7

4

1

3%

31%

33%

19%

11%

3%

5

14

1

4

4

2

17%

47%

3%

13%

13%

7%

6

36

14

14

40

4

5%

32%

12%

12%

35%

4%

3%

11%

14%

16%

21%

12%

Total 36

12

36

30

114

b. Des individus très diplômés L’analyse des statistiques concernant le dernier diplôme obtenu confirme cette tendance. Alors que 56% des Montpelliérains ont pour diplôme le plus élevé un diplôme égal ou inférieur au CAP/BEP24, 1% seulement de notre échantillon est dans ce cas. A l’inverse, 81% de l’échantillon a un diplôme supérieur à bac +5, pourcentage qui tombe à 23,7% dans la population générale.

24

Source, INSEE : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau_local.asp?ref_id=FOR&millesime=2010&nivgeo=COM&codgeo=34172

66


Figure n°6 : dernier diplôme obtenu dans l'échantillon 2% Aucun diplôme, brevet ou CAP ou BEP

8%

21%

Baccalauréat, bac +2 (BTS, DEUG… Bac +3 (licence…)

69%

Bac +5 (Master, DESS…) ou bac +8 (doctorat)

Figure n°7 : dernier diplôme obtenu dans l'Hérault Aucun diplôme, brevet ou CAP ou BEP

13% 11% 50% 26%

Baccalauréat, bac +2 (BTS, DEUG… Bac +3 (licence…) Bac +5 (Master, DESS…) ou bac +8 (doctorat) 25

c. Des urbains Il est intéressant de relever que notre échantillon comporte significativement plus d’urbains que de ruraux. La question était posée dans les termes suivants : « Vous considérez-vous plutôt issu-e d'un milieu urbain ou rural ? »

25

L’AMAP Paniers piano n’a pas été comptabilisé ici étant donné qu’elle n’est composée que d’étudiants.

67


Figure n°9 : milieu d'origine des enquêtés

Rural 36%

Urbain 64%

d. Des jeunes Notre échantillon se révèle particulièrement jeune. 54% des enquêtés ont moins de 30 ans.

Tableau n°8 : âge des enquêtés

Valide

Moins de 30 ans Plus de 30 ans

Total

Pourcentage cumulé

Effectifs

Pourcentage

63

53,8

54,8

52 115

44,4 100,0

100,0

e. Des femmes L’échantillon est composé d’une majorité écrasante de femmes. Reflet d’une société où les tâches domestiques restent très sexuées ?

68


Figure n°10 : sexe des enquêtés

Hommes 26%

Femmes 74%

f. Participation à la gouvernance Selon notre grille d’analyse de la gouvernance, notre échantillon se divise en deux parties. Un premier groupe est constitué par l’AMAP Main verte et l’AMAP Berthelot : avec un score de respectivement 18/23 et 19/23, ce sont les deux initiatives de l’échantillon qui impliquent leurs membres dans la vie démocratique de l’association. L’autre groupe est constitué de La Bellevilloise qui dit oui et de Court Circuit, pour lesquels la gestion est entièrement déléguée au responsable. Ce classement correspond bien aux réponses données à la question « Comment évalueriezvous votre participation à la vie démocratique de l’association dont vous faites partie ? » 42% des membres de l’AMAP Berthelot ont dit s’impliquer dans la vie démocratique de leur association, ainsi que 24% des membres de l’AMAP Main verte. Ce pourcentage tombe à 16% et 10% pour La Bellevilloise et Court Circuit. 76% des membres de l’AMAP Main verte avouent ne pas s’impliquer ou s’impliquer très peu, 58% pour l’AMAP Berthelot. Mais ce pourcentage s’élève à 84% pour La Bellevilloise et à 90% pour Court Circuit.

69


Tableau n°9 : participation selon le groupe % compris dans Groupe Participation Participation faible ou nulle Groupe

Participation moyenne ou active

Total

AMAP Main verte

75,7%

24,3%

100,0%

AMAP Berthelot

58,3%

41,7%

100,0%

La Bellevilloise

84,2%

15,8%

100,0%

Court Circuit

90,0% 80,3%

10,0% 19,7%

100,0% 100,0%

Total

3.3.1 Qu’est-ce qu’un système alimentaire durable ? A la seule question ouverte de ce questionnaire, pourtant optionnelle, les enquêtés ont apporté beaucoup de réponses. Voilà les mots les plus utilisés par ces derniers pour décrire un système alimentaire durable tel qu’ils l’imaginent :

70


Figure n°11 : mots les plus utilisés par les enquêtés pour décrire le système alimentaire durable

Ce nuage de mots a été réalisé à l’aide du logiciel en ligne libre et gratuit : Wordle.

Une analyse plus fine nous permet de mettre en valeur les thèmes les plus évoqués :

Tableau n°10 : thèmes les plus abordés par les enquêtés Localité (proximité, circuits courts) Respect de l'environnement Respect des agriculteurs (rémunération) Bio Accessibilité (prix) Santé Saison Diversité Intermédiaires

OGM 50 41 Respect des animaux 32 Moins de viande 26 Education et sensibilisation 12 Gaspillage Liens 11 consommateurs/producteurs 11 Rapports Nord/Sud 10 Taille humaine 9

8 8 8 7 5 5 3 3

71


Pour nos enquêtés, un système alimentaire durable est avant tout un système alimentaire local. 64% d’entre eux l’évoquent d’une manière ou d’une autre (« proximité », « circuits courts », etc.) Le respect de l’environnement arrive en deuxième position, avec 53% des enquêtés qui font mention de leur souhait de voir se généraliser une agriculture bio (33%), ou utilisant moins de pesticides et d’intrants (21%), bref, plus respectueuse des sols (7%). Dans cette optique de respect de l’environnement, la consommation de fruits et légumes doit se faire en accord avec les saisons (14%). La dimension environnementale est difficilement détachable du thème de la santé, évoqué par 14% des enquêtés. La rémunération et le respect des producteurs est la troisième plus grande préoccupation de nos enquêtés (41%), les circuits courts et le local étant généralement évoqués dans ce sens. Le thème de la justice va de pair avec celui de l’accessibilité des biens alimentaires, citée par 15% de l’échantillon. Trois dimensions ressortent donc très clairement de cette enquête sur les préoccupations des consommateurs. La première possède une forte connotation symbolique ; le local répond à une demande de sens, d’identité, de lien social et de transparence. La deuxième préoccupation est environnementale, les enquêtés étant d’ailleurs convaincus que la relocalisation des systèmes alimentaires se traduiraient par une baisse de la consommation énergétique. La troisième dimension est économique. Le local est aussi évoqué en fonction de celle-ci : les circuits courts doivent permettre aux producteurs de s’accaparer une plus grande partie de la valeur ajoutée. En conclusion, les consommateurs sont inquiets pour leur environnement, leur santé et leurs producteurs, et voient dans le local la solution aux défaillances du système alimentaire actuel. L’économie solidaire semble d’ailleurs particulièrement bien placée pour répondre à cette demande de proximité et de justice. 3.3.2

Connaissances sur le système alimentaire

a. Considérations générales Les 117 personnes interrogées ont donné en moyenne 8,11 réponses justes sur les 12 questions posées.

72


Pour faciliter la lecture des résultats, nous avons divisé l’échantillon en deux catégories ; les résultats les moins bons d’une part (entre 0 et 8 bonnes réponses), les meilleurs d’autre part (entre 9 et 11 bonnes réponses – aucun enquêté n’ayant fait moins d’une faute). La première catégorie regroupe 60% des enquêtés et la seconde 40%.

Tableau n°11 : statistiques générales Résultats N

Valide

Manquante Moyenne Médiane

117 0 8,01 8,00

Figure n°10 : connaissances des enquêtés sur le système alimentaire

73


Une de nos hypothèses sur l’impact de l’urbanité sur les connaissances du système alimentaire se révèle vraie. Les urbains, éloignés des lieux de production, souffrent d’un déficit de connaissances sur le secteur alimentaire. 46% des ruraux ont entre 9 et 11 bonnes réponses, tandis que ce pourcentage tombe à 37% chez les urbains.

Tableau n°12 : milieu d’origine et résultats Résultats simplifiés Entre 0 et 8 bonnes réponses Milieu d'origine Total

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Total

Rural

53,7%

46,3%

100,0%

Urbain

63,2% 59,8%

36,8% 40,2%

100,0% 100,0%

La CSP a une influence sur les résultats, mais pas forcément comme on pouvait s’y attendre. Les employés obtiennent le meilleur taux de réussite, suivis des professions intermédiaires et enfin des cadres et professions intellectuelles supérieures. Les étudiants sont ceux qui réussissent le moins (abstraction faite des chômeurs et des commerçants qui ne sont pas assez nombreux dans notre échantillon pour que nos statistiques soient significatives).

74


Tableau n°13 : CSP et résultats Résultats simplifiés Entre 0 et 8 bonnes réponses CSP

Artisans, commerçants et Effectif chefs d'entreprise % compris dans CSP

3

6

50,0%

50,0%

100,0%

23

13

36

63,9%

36,1%

100,0%

8

6

14

57,1%

42,9%

100,0%

6

8

14

42,9%

57,1%

100,0%

25

14

39

64,1%

35,9%

100,0%

1

1

2

% compris dans CSP

50,0%

50,0%

100,0%

% compris dans CSP

66,7%

33,3%

100,0%

70

47

117

59,8%

40,2%

100,0%

Professions Intermédiaires

Effectif

Employés

Effectif

% compris dans CSP % compris dans CSP Effectif % compris dans CSP

Chômeurs

Effectif

Total

Total

3

Cadres et professions Effectif intellectuelles supérieures % compris dans CSP

Etudiants

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Effectif % compris dans CSP

Le sexe a une influence significative sur les résultats obtenus. Les femmes obtiennent des scores bien moins bons que ceux des hommes :

Tableau n°14 : sexe résultats Résultats simplifiés Entre 0 et 8 bonnes réponses Sexe Total

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Total

Féminin

64,7%

35,3%

100,0%

Masculin

46,7% 60,0%

53,3% 40,0%

100,0% 100,0%

Les plus jeunes répondent en revanche aussi bien que les plus âgés :

75


Tableau n°15 : âge et résultats Résultats simplifiés Entre 0 et 8 bonnes réponses Âge simplifié Moins de 30 ans Plus de 30 ans Total

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Total

60,3%

39,7%

100,0%

59,6% 60,0%

40,4% 40,0%

100,0% 100,0%

A la proposition « A propos de vos connaissances sur le système alimentaire : », les enquêtés ont répondu (plusieurs réponses possibles) :

Tableau n°16 : connaissances des enquêtés Mes connaissances sur le sujet sont faibles

10%

Mes connaissances sont basiques et proviennent de ma culture générale

53%

Je m'intéresse personnellement au système alimentaire

39%

Je travaille dans le système alimentaire

12%

Certains de mes proches travaillent dans le système alimentaire

18%

Mes connaissances proviennent en partie de l'association (AMAP, groupement d'achat) dont je suis membre

14%

On remarque au passage qu’une forte proportion (12%) des individus interrogés déclarent travailler au sein du système alimentaire. Pour la majorité des enquêtés, la culture générale et la curiosité personnelle sont les deux principaux vecteurs de connaissances quant au système alimentaire. b. Résultats vis-à-vis de l’hypothèse principale L’hypothèse selon laquelle la participation à une association dont la gouvernance est participative améliore les connaissances du système alimentaire n’est pas validée par l’analyse statistique de notre échantillon. Les membres des associations les plus collectives n’obtiennent pas de meilleurs résultats que les autres. 76


Chart Title 12,0 10,1 10,0 8,1 8,0

8,1

7,8

6,0 4,0 2,0 0,0 AMAP Main verte AMAP Berthelot

La Bellevilloise

Court Circuit

Tableau n°17 : groupe, gouvernance et connaissances AMAP Main verte AMAP Berthelot La Bellevilloise Court Circuit

Gouvernance 18/23 19/23 4,5/23 3,5/23

Connaissances 8,1 7,8 10,1 8,1

A l’intérieur de l’échantillon, ceux qui disent participer le plus activement à la vie démocratique de leur association n’obtiennent pas non plus de résultats meilleurs que ceux des autres :

Tableau n°18 : participation et résultats

Résultats simplifiés Entre 0 et 8 bonnes réponses Participation simplifiée

Total

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Total

Participation faible ou nulle

59,6%

40,4%

100,0%

Participation moyenne ou active

60,9%

39,1%

100,0%

59,8%

40,2%

100,0%

77


Cela est confirmé par la question sur la provenance des connaissances. Ceux qui disent s’informer par le biais de l’association dont ils font partie sont seulement 16 et ne sont pas meilleurs que les autres :

Tableau n°19 : provenance des connaissances et résultats Entre 0 et 8 bonnes réponses

Entre 9 et 11 bonnes réponses

Mes connaissances sur le sujet sont faibles

83%

17%

Mes connaissances sont basiques et proviennent de ma culture générale

69%

31%

Je m'intéresse personnellement au système alimentaire

45%

55%

Je travaille dans le système alimentaire

57%

43%

Certains de mes proches travaillent dans le système alimentaire

48%

52%

Mes connaissances proviennent en partie de l'association (AMAP, groupement d'achat) dont je suis membre

56%

44%

Lire : 44% de ceux qui ont coché la case « mes connaissances proviennent en partie de l’association dont je suis membre » ont obtenu entre 9 et 11 bonnes réponses.

La meilleure assurance d’avoir de bonnes connaissances sur le système alimentaire est encore de s’y intéresser personnellement. 3.3.3

Conclusion sur l’enquête par questionnaire

Notre enquête a validé notre hypothèse selon laquelle la ville déconnecte les individus des problématiques alimentaires. Les connaissances des urbains sur le système alimentaire sont nettement moins bonnes que celles des ruraux. A titre d’illustration, la moitié des personnes se déclarant issues d’un milieu urbain ignorent que les OGM sont autorisés en France pour nourrir les animaux d’élevage, alors que seulement le quart des ruraux sont dans ce cas. 78


En revanche, nous n’avons pas pu confirmer ou infirmer l’hypothèse du rôle éducatif de la gouvernance démocratique. Les consommateurs qui adhèrent à une association dont la gestion est répartie entre les membres n’obtiennent pas de meilleurs résultats que les autres. Ceux qui, au sein des associations, participent le plus à la vie démocratique, ne sont pas non plus les « meilleurs élèves » de notre échantillon. Cette enquête mériterait toutefois d’être approfondie car elle ouvre des perspectives intéressantes. A une échelle plus large, elle permettrait de comprendre où et comment se forment les connaissances du citoyen urbain sur son alimentation, et d’identifier ainsi les leviers d’action éducative prioritaires. Il aurait été très intéressant d’enquêter les membres du RAARes, qui ont hélas refusé de participer. Le fait que chaque membre s’occupe personnellement d’une marchandise aurait potentiellement eu beaucoup d’impact sur leurs résultats. Un tel questionnaire, parce qu’il a vocation à évaluer, n’a en effet pas été transmis par beaucoup de responsables d’association à leurs adhérents. Si elle ne s’inscrit pas dans une relation de confiance, notre démarche peut être comprise comme une tentative de jugement. Cette confiance, pour s’installer, requiert du temps mais aussi une légitimité qui n’est pas d’emblée accordée aux stagiaires. C’est ce que nous explique un membre du RAARes, selon lequel les membres du collectif n’ont pas envie de dévoiler des informations à une personne qui va « partir sans laisser d’adresse »… Il faut aussi dire que les associations enquêtées sont particulièrement sollicitées du fait de la popularité actuelle des circuits courts et de la curiosité qu’ils suscitent aussi bien dans la recherche que dans les médias. Cela n’a sans doute pas aidé à les rendre disponibles pour notre enquête.

79


3.4 Conclusion sur l’ESS dans la ville de Montpellier Au regard du contexte particulièrement favorable au développement de circuits alternatifs (perte de confiance des consommateurs dans les circuits longs et dans l’agro-industrie suite aux nombreux scandales, émergence d’une conscience écologique face à la détérioration de plus en plus évidente de l’écosystème, etc.), l’observateur est en droit de se demander pourquoi si peu de consommateurs s’y engagent. Comment se fait-il que, sur 250 000 habitants que compte Montpellier, seuls quelques centaines sont impliqués dans la consommation coopérative ? De manière générale, quels sont les freins au développement de l’ESS dans le secteur alimentaire ? 3.4.1

La difficulté de se positionner par rapport au marché

Des observations que nous avons faites, il ressort que le principal handicap de l’économie solidaire est sa difficulté à définir et à tenir son positionnement par rapport à la notion de marché. Aussi pertinente soit-elle, l’approche qui consiste à situer l’origine des innovations sociales dans les interstices délaissées par le marché ou par l’État « risque de laisser croire à une séparation nette entre innovations sociales et marché, alors que de nombreuses innovations sociales peuvent s’inscrire à la fois dans et contre le marché : elles peuvent avoir une dimension économique et marchande forte sans pour autant perdre leur nature dans la mesure où elles visent à modifier le fonctionnement de l’économie et du marché tel qu’il est, pour proposer d’autres modalités de fonctionnement, plus conformes aux attentes des acteurs socio-économiques » (Chiffoleau & Prevost, 2013). Deux risques sont alors courus par les acteurs de l’ESS : s’ériger en rempart contre le marché (et passer à côté des attentes économiques auxquelles elle est censée répondre), ou se dispenser d’une remise en question explicite de l’ordre marchand (et subir la rationalité instrumentale des consommateurs).

80


a. L’ESS comme alternative au marché Le premier écueil, largement minoritaire, peut être illustré par le groupement d’achats RAARes. Ce collectif, qui se donne pour programme la lutte contre le capitalisme et comme moyen la consommation, met parfois en évidence les contradictions, du moins les ambiguïtés d’une démarche politisée au risque d’en devenir dogmatique. Par exemple, le collectif ne fait plus partie des clients d’un groupement associatif de producteurs depuis qu’il a ont jugé leur politique trop « commerciale ». Ils avaient en effet reçu des appels téléphoniques de « relance » de la part de cette dernière. Autre anecdote rapportée par Nora Daoud : « Des produits n'ont pas été validés alors qu’ils répondaient aux exigences de la charte, ce qui a conduit à l’incompréhension de certains. Véronique (membre à l’initiative du groupe) nous raconte qu'une fois le groupe a refusé un couple de viticulteurs venu présenter son vin : ‘Il n’y avait pas de raisons extrêmement claires de ne pas valider leur production mais le jour où ils sont venus nous apporter la dégustation, ils avaient des verres à pied pour tout le monde, des tas de trucs super bons, ça faisait pas trop Coopé quoi. Puis après, plusieurs personnes en ont commandé et on les a vus partir avec un énorme 4×4’ » (Daoud, 2011).

Or, l’ESS pourrait apporter une contribution forte à la durabilité du système alimentaire si elle permettait justement aux producteurs qui osent d’autres modalités de fonctionnement (circuits courts, statut associatif, agriculture biologique…) de s’insérer dans le marché au même titre que les autres, et de « sortir de la marginalité des petits cercles militants » (Le Velly, 2006). b. L’ESS comme entreprise classique Au contraire, d’autres initiatives, faute de réflexion et de parti pris à propos de l’ordre marchand, échouent à engager leurs membres dans un échange non-marchand. L’originalité de l’ESS est pourtant de reposer sur l’impulsion réciprocitaire (Eme & Laville, 2005). « La mobilisation des formes de réciprocité mises en œuvre de manière volontaire par des citoyens libres et égaux leur permet d’élaborer les conditions de leur indépendance économique » (Eme & Laville, 2005). La réciprocité est le don de temps et d’énergie dont font preuve les bénévoles de l’économie sociale et solidaire pour faire vivre le tissu associatif et coopératif qu’elle constitue. L’échec de coordination se manifeste alors par la présence de réciprocité négative, définie par « l’essai d’obtenir quelque chose en échange de rien en toute impunité. » (Enjolras, 2009).

81


Tableau n°20 : mécanismes de coordination dans les organisations non lucratives

Source : Enjolras, 2009.

Dans les organisations non-marchandes de l’ESS (le secteur caritatif), la norme de réciprocité est un principe fort et relativement évident (le bénévolat). Alors que les organisations à dominante marchande ont tout autant besoin de cette ressource réciprocitaire, elle est inhibée par les principes de marché qui donne l’illusion, par sa simple existence, de coordonner l’ensemble des activités. La réciprocité négative est favorisée par le fait que les membres d’une telle organisation doivent s’acquitter d’une certaine somme pour avoir accès au bien ou au service proposé, et n’ont donc jamais l’impression d’obtenir quelque chose en échange de rien. A fortiori quand cette somme est plus élevée que celle demandée par les entreprises classiques à bien ou service équivalent. Les consommateurs ont alors tendance à reproduire l’engagement minimal qui caractérise l’échange marchand classique (choix, délégation, défection), alors même que l’intérêt de ces innovations réside dans la possibilité d’accéder à des espaces de décision jusqu’alors inaccessibles et de participer aux côtés des producteurs et des marchands aux arbitrages qui sont fait en amont de la distribution (Dubuisson-Quellier & Lamine, 2004).

82


« Ils prennent leur panier et ils s’en vont », nous explique la responsable de la Ruche qui dit oui. La présidente du Collectif du Goût, elle, se plaint de la faible implication de ses membres et de la charge de travail qui lui incombe en conséquence. Dans la boutique paysanne, une productrice nous affirme que seuls 10% de ses clients ont conscience de la singularité du point de vente. Le constat est plus grave encore en ce qui concerne les systèmes de paniers. Etant justement fondés sur l’engagement minimal des consommateurs, faut-il s’étonner de voir ces derniers partir pour la « concurrence » quand elle propose de meilleurs prix ? Un acteur de terrain nous parle même de « guerre économique » : « Sur Montpellier, t’as une entreprise de panier qui ouvre toutes les semaines. Nos clients ils nous le disent ; ‘ah on a encore reçu une pub dans la boite aux lettres’. Sauf que ces gens-là ils cassent le marché. Le problème c’est qu’ils savent pas compter. Ils comptent pas l’essence qu’ils mettent dans leur camionnette. Donc ils livrent, ils livrent, et au bout d’une ou deux années d’activité ils se rendent compte qu’ils vendent à perte. Et ils arrêtent. Mais les gens même des années après ils nous disent ‘y’a un producteur qui faisait de l’agneau bio à 13€ aux Arceaux !’ mais j’ai envie de leur dire : ils ont pas arrêté par hasard ! »

Il est surprenant d’entendre le même son de cloche de la part de ceux qui justement « surfent » sur la vague du panier bio, comme la gérante de Charlotte aux légumes qui, un jour par semaine, laisse les consommateurs remplir un « panier » pour un prix fixé à l’avance : « Les gens préfèrent acheter des paniers ici que de s’inscrire à une AMAP. Ils trouvent que c’est plus pratique. Mais ils comprennent pas que c’est pas comparable. Dans une AMAP y’a un engagement, une solidarité avec le producteur. C’est justement ça l’intérêt d’une AMAP. » Ceci nous amène à aborder le problème consubstantiel de la récupération. 3.4.2

La récupération

Il découle de ce que nous avons décrit précédemment que les consommateurs ne font pas nécessairement la distinction entre les différentes « offres ». Cela facilite la récupération par des entreprises capitalistes classiques des initiatives promues par l’ESS. On pourrait s’en réjouir, si seulement elles ne vidaient pas les innovations sociales de leur substance, comme c’est le cas, nous l’avons vu, pour les filières labélisées du commerce équitable.

83


Comme l’explique J. Prades, le problème de la récupération est inhérent à l’innovation sociale : « Dans une entreprise lucrative, si l'innovation technologique peut favoriser des économies d'échelle, la technologie se concrétise dans des objets techniques qui, lorsqu'ils sont brevetés, garantissent à l'innovateur une rente. En économie solidaire, l'innovation sociale favorise des économies de proximité et diminue les coûts de coordination mais l'originalité des montages et l'engagement des acteurs ne sont pas protégés de sorte que lorsque le montage est réalisé et le risque pris, le secteur lucratif capte gratuitement l'innovation. » (Prades, 2003)

Le système des paniers est, à ce sujet, un cas d’école. Remis au goût du jour par des initiatives d’ESS comme les AMAP, la majorité des paniers de fruits et légumes sont aujourd’hui vendus à travers des entreprises du secteur lucratif. A l’origine synonyme de solidarité avec l’agriculteur (le consommateur s’engage à l’avance à acheter les récoltes) on ne voit plus très bien aujourd’hui ce qui différencie un panier d’un caddie. Sur le site Internet de l’entreprise « Terre 2 sens », on peut lire à titre d’exemple : « Chez nous depuis 4 ans, nos clients commandent sans engagement, nous livrons à domicile chaque mercredi. »26 Sur celui de l’entreprise « Verts de terre » : « Chaque semaine aux alentours de Montpellier dans l'Hérault et une petite partie du Gard, Verts de Terre livre gratuitement à votre domicile ou sur votre lieu de travail des paniers bio au choix, de fruits et légumes bio provenant au maximum de nos producteurs locaux. (Et oui, certains agrumes, les bananes et les avocats ne poussent pas encore en Languedoc-Roussillon!) ».27 Ainsi, les jardins de Cocagne déplorent le phénomène nouveau que représente la baisse du nombre de ses clients, après une hausse continue depuis sa création. Deux tiers des jardins appartenant au réseau déclarent avoir des difficultés à renouveler les abonnements.28 L’intérêt que porte le secteur lucratif pour ce mode de commercialisation s’explique aisément. Ces entreprises vendent des paniers de fruits et légumes pré-composés ; le client ne choisit que la taille du panier, et non ce qu’il contient. Libres à elles d’aller ensuite vers les produits les moins chers, le coût réel unitaire étant non-accessible aux clients. Il est même stipulé sur le site de Verts de Terre : « Les aléas de la nature peuvent causer des pertes dans les cultures. Il est possible qu'un produit soit remplacé par un autre en cours de semaine, c'est ça la bio 26

(« Terre2Sens - Livraison à domicile de paniers bio sur l’Hérault et le Gard », s. d). (« Verts de Terre - Livraison à domicile de paniers bio autour de Montpellier dans l’Hérault et le Gard », s. d). 28 Source : L’arrosoir, la publications des Jardins de Cocagne, http://www.reseaucocagne.asso.fr/medias/docu/Arrosoir26.pdf 27

84


aussi ! Merci de ne pas nous en tenir rigueur. » La solidarité a en fait lieu entre le consommateur et l’entreprise ! L’agriculteur, lui, n’en voit pas la couleur ; celui qui voit ses récoltes ravagées perdra tout simplement un client. 3.4.3

La logistique

Sur le plan environnemental, les AMAP et les groupements d’achats sont souvent accusés de « manquer leur cible » en étant plus émetteur de CO2 que les filières longues (Schlich et al., 2006). L’organisation logistique est en cause : largement optimisée dans les filières longues, elle est encore mal connue et certainement perfectible en circuits courts (Chaffotte & Chiffoleau, 2007). Les initiatives étudiées sont loin de démentir ces critiques. Les trajets en voiture et en camionnette y sont démultipliés. Non seulement consommateurs et producteurs se déplacent souvent pour des quantités négligeables, mais en plus la moitié de ces trajets se font à vide. Il est intéressant de noter que le caractère pollueur de ces types de fonctionnement reste invisible aux yeux de ceux qui les mettent en place, qui « croient » en la proximité et ne peuvent imaginer que des produits locaux ont un bilan carbone plus important que des produits d’importation. Dans une perspective de développement durable, l’ESS gagnerait donc en crédibilité si elle reposait moins sur le bas coût de l’énergie fossile pour fonctionner. Une rationalisation de la logistique demanderait une mise en commun des moyens de transport. Or, force est de constater que les initiatives étudiées ne communiquent pas entre elles (il est arrivé que l’on me demande même quelles étaient les « autres » groupements d’achats ou AMAP, ou bien tout simplement s’il y en avait) et ne mettent en œuvre aucune action commune.

85


Conclusion Quelle place accorder à l’ESS dans nos réflexions sur les systèmes alimentaires urbains durables ? La difficulté de répondre à cette question s’explique par deux constats. Le premier est que cette économie représente un poids négligeable comparée aux filières classiques de distribution. L’impact sur la durabilité des villes, si tant est qu’il existe, saurait difficilement être mesuré. Deuxièmement, l’hétérogénéité de l’ESS la rend difficile à appréhender théoriquement. Qu’ont en commun un marché paysan et un jardin partagé ? Une Biocoop et les Restos du Cœur ? Chaque initiative contribue d’une manière très différente et parfois très indirecte à l’alimentation durable. La définition même de l’ESS pose problème. Il n’y a en effet « pas d’unité d’analyses et de vues au sein de l’ESS » sur ce qu’est l’ESS (Cretieneau, 2010). J. Defourny rappelle que l’ESS n’a jamais formé un tout homogène ; elle est constituée de vagues successives d’entreprise qui ont chaque fois relevé les défis de leur époque (Defourny, 2005). Résultat, le travail de terrain nous a permis de constater que ceux qui font vivre l’ESS ne s’en revendiquent que rarement, ignorant même de quoi il s’agissait. L’écueil le plus courant quand on essaie de répondre à la question du rôle de l’ESS dans le système alimentaire est celui de supposer que les modèles expérimentés en son sein sont potentiellement transposables ailleurs. C’est passer à côté de la singularité radicale de ce mouvement, qui a pour moteur l’intérêt collectif et non la rémunération du capital. Tout au plus, l’ESS peut convaincre ceux qui ne l’étaient pas qu’un autre monde est possible. Mais la coexistence pacifique de l’économie solidaire et de l’économie capitaliste ne doit pas laisser croire que l’une est soluble dans l’autre. Si l’on s’appuie sur le travail de prospective développé par la documentation Française (Ministère de l’agriculture & Ministère de l’écologie et du développement durable, 2006), l’ESS semble plutôt accompagner le scénario de la France duale. Selon ce rapport, il y a quatre scénarios possibles à l’horizon 2025 :

86


1) L’environnement agro-efficace. Dans un contexte de libéralisation de l’économie, la France confirme sa position de leader agro-industriel. La régulation environnementale est de type « hygiéniste » et repose sur des lourdes réglementations qui s’imposent aux producteurs. 2) L’agriculture duale. La séparation entre agriculture productive et agriculture durable est totale. La France est coupée en deux : une partie sacrifie son environnement sur l’autel de la compétitivité mondiale, l’autre se tourne vers les externalités positives de l’agriculture paysanne (agro-tourisme) et saisit les opportunités offertes par les circuits courts. 3) L’Europe des régions. Dans un contexte de concurrence accrue entre les territoires, chacun s’emploie à faire valoir ses avantages compétitifs, en s’organisant au niveau régional. 4) L’agriculture à haute performance environnementale. Les attentes environnementales sont au cœur des demandes de la société européenne. L’agriculture biologique devient la norme et est défendue politiquement à travers un protectionnisme sanitaire et environnemental assumé.

Reste à savoir pourquoi l’ESS ne parvient pas à peser de manière assez conséquente dans le système alimentaire pour opposer une alternative crédible à la non durabilité du modèle dominant. De notre travail de bibliographie et de terrain, il ressort qu’une première explication est que les innovations sociales portées par l’ESS sont récupérées par le secteur lucratif qui, loin de les diffuser tel quel, ne manque pas de les vider de leur substance. Elles ne font alors que reproduire les inégalités et les ruptures de confiance du modèle agroindustriel dans ce qu’il a de plus classique. Parallèlement, faute de visibilité, l’ESS peine à faire valoir sa différence aux yeux des consommateurs. Faut-il pour autant faire porter la responsabilité de ce constat à ces derniers ? Ce n’est pas tout-à-fait ce qui ressort de notre étude. La tendance observée chez une partie des acteurs de l’ESS à vouloir rapprocher le plus possible leur mode de fonctionnement de celui de l’ordre marchand (Le Velly, 2006), alors même qu’ils ont besoin de compter sur d’autres logiques d’action pour exister, en atteste. La spécificité de l’ESS repose en effet sur la réciprocité des parties prenantes, c’est-à-dire sur l’engagement non-monétaire des individus dans l’échange. 87


Seule cette « impulsion réciprocitaire » (Eme & Laville, 2005) est à même de concrétiser l’utopie d’un système alimentaire « économiquement viable, socialement soutenable et écologiquement responsable » (Chiffoleau & Prevost, 2013). L’échec à susciter cette étincelle expliquerait en partie la relative atonie de l’ESS Montpelliéraine.

88


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96


5 Tables des matières 1

Du néolithique au stade agro-tertiaire : le système alimentaire dans tous ses états .. 7 1.1

2

Evolutions et caractéristiques du système alimentaire occidental.............................. 7

1.1.1

Éléments d’histoire et de définitions .................................................................... 7

1.1.2

Le système alimentaire est-il durable ? ................................................................ 9

1.2

Particularités de la ville dans le système alimentaire ............................................... 13

1.3

Qu’est-ce qu’une alimentation durable ?.................................................................. 14

L’économie sociale et solidaire : un rôle à jouer dans les réflexions sur la durabilité

du système alimentaire ........................................................................................................... 16 2.1

La naissance de l’économie sociale ......................................................................... 16

2.2

La réactualisation de l’économie sociale : l’économie solidaire.............................. 19

2.3

L’économie solidaire en débat ................................................................................. 21

2.4

Aujourd’hui : l’économie sociale et solidaire .......................................................... 23

2.5

De l’ESS au développement durable : des passerelles évidentes ............................. 24

2.6

Des coopératives de consommation aux jardins d’insertion : le champ d’action de

l’ESS dans le système alimentaire ....................................................................................... 25 2.6.1

Les coopératives de consommation.................................................................... 26

2.6.2

Le commerce équitable ...................................................................................... 28

2.6.3

Les groupements d’achat .................................................................................... 31

2.6.4

Les AMAP.......................................................................................................... 31

2.6.5

Les coopératives agricoles ................................................................................. 33

2.6.6

Les points de vente collectifs ............................................................................. 35

2.6.7

Les marchés paysans .......................................................................................... 36

2.6.8

L’aide alimentaire .............................................................................................. 37

2.6.9

Les jardins familiaux et les jardins partagés ...................................................... 38

a.

Les jardins familiaux .......................................................................................... 38

b.

Les jardins partagés ............................................................................................ 40 97


2.6.10 Les jardins d’insertion ........................................................................................ 40 2.7 3

Conclusion ................................................................................................................ 42

L’économie sociale et solidaire dans la ville de Montpellier ...................................... 45 3.1

Méthodologie ........................................................................................................... 45

3.2

Panorama de l’ESS dans la ville de Montpellier ...................................................... 50

3.2.1

Caractérisation de la ville de Montpellier .......................................................... 50

3.2.2

Les initiatives portées par les consommateurs ................................................... 53 Les groupements d’achats .................................................................................. 53

a. a)

Le Collectif du Goût ....................................................................................... 53

b)

Le RAARes..................................................................................................... 54

c)

La ruche qui dit oui ......................................................................................... 54

d)

Court Circuit ................................................................................................... 55

b.

Les AMAP.......................................................................................................... 56 a)

L’AMAP Lamalou .......................................................................................... 56

b)

L’AMAP Main verte ...................................................................................... 57

c)

L’AMAP Paniers piano .................................................................................. 57

d)

L’AMAP la Triballe ....................................................................................... 58

c.

Le commerce équitable ...................................................................................... 59

d.

Biocoop Aile du Papillon ................................................................................... 60

e.

L’aide alimentaire .............................................................................................. 60

f.

Les jardins familiaux et partagés ........................................................................... 60

3.2.3 a.

Les points de vente collectifs ............................................................................. 62

b.

Les marchés paysans .......................................................................................... 62

c.

Les paniers .......................................................................................................... 63

3.2.4 3.3

Les initiatives portées par les producteurs ......................................................... 62

Les entreprises d’insertion ................................................................................. 63

Le rôle éducatif d’une gouvernance démocratique : mythe ou réalité ? .................. 64 98


3.3.1

L’échantillon et son profil .................................................................................. 65

a.

Des cadres et de professions intellectuelles supérieures .................................... 65

b.

Des individus très diplômés ............................................................................... 66

c.

Des urbains ......................................................................................................... 67

d.

Des jeunes .......................................................................................................... 68

e.

Des femmes ........................................................................................................ 68

f.

Participation à la gouvernance ............................................................................... 69

3.3.1

Qu’est-ce qu’un système alimentaire durable ? ................................................. 70

3.3.2

Connaissances sur le système alimentaire .......................................................... 72

a.

Considérations générales .................................................................................... 72

b.

Résultats vis-à-vis de l’hypothèse principale ..................................................... 76

3.3.3

Conclusion sur l’enquête par questionnaire ....................................................... 78

Conclusion sur l’ESS dans la ville de Montpellier .................................................. 80

3.4

3.4.1

La difficulté de se positionner par rapport au marché ........................................ 80

a.

L’ESS comme alternative au marché ................................................................. 81

b.

L’ESS comme entreprise classique .................................................................... 81

3.4.2

La récupération ................................................................................................... 83

3.4.3

La logistique ....................................................................................................... 85

4

Bibliographie................................................................................................................... 89

5

Tables des matières ........................................................................................................ 97

6

Table des figures ........................................................................................................... 100

7

Table des tableaux ........................................................................................................ 100

8

Annexe I ........................................................................................................................ 101

9

Annexe II ............................................................................. Error! Bookmark not defined. 9.1

AMAP Paniers piano ................................................ Error! Bookmark not defined.

9.2

AMAP Main verte .................................................... Error! Bookmark not defined.

9.3

Court Circuit ............................................................. Error! Bookmark not defined. 99


9.4

Ruche qui dit oui ...................................................... Error! Bookmark not defined.

6 Table des figures Titre

Source

Page

Figure n°1 : répartition de la valeur finale des biens alimentaires en France Figure n°2 : production agricole des pays développés occidentaux (indice 100 = 1910) Figure n°3 : interactions entre les différentes caractéristiques du système alimentaire agroindustriel Figure n°4 : répartition de l'emploi à Montpellier en 2012 Figure n°5 : répartition de l'emploi en France en 2012 Figure n°6 : dernier diplôme obtenu dans l'échantillon Figure n°7 : dernier diplôme obtenu dans l'Hérault Figure n°9 : milieu d'origine des enquêtés Figure n°10 : sexe des enquêtés Figure n°11 : mots les plus utilisés par les enquêtés pour décrire le système alimentaire durable Figure n°10 : connaissances des enquêtés sur le système alimentaire Figure n°11 : scores moyens (sur 12)

Rastoin et Ghersi, 2010

9

Bairoch, 1999

10

Da Cunha Belvès, 2013.

12

INSEE, 2012

51

INSEE, 2012

52

Da Cunha Belvès, 2013

67

Da Cunha Belvès, 2013

67

Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013

68 69 71

Da Cunha Belvès, 2013

73

Da Cunha Belvès, 2013

77

Titre

Source

Page

Tableau n°1 : les activités de l’ESS en fonction de leur rapport au marché et à la solidarité Tableau n°2 : guide d’entretien Tableau n°3 : grille d’évaluation de la gouvernance des activités d’ESS Tableau n°4 : critères d’orientation et objets d’évaluation de l’ESS Tableau n°5 : récapitulatif des groupements

Da Cunha Belvès, 2013, selon le schéma de Lévesque & Mendell, 2005 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013

23

Bouchard, Bourque, Lévesque, & Desjardins, 2001 Da Cunha Belvès, 2013

49

7 Table des tableaux

46-47 47-48

56

100


d’achats de Montpellier Tableau n°6 : récapitulatif des AMAP de Montpellier Tableau n°7 : les jardins partagés et familiaux de Montpellier Tableau n°8 : CSP et groupes Tableau n°8 : âge des enquêtés Tableau n°9 : participation selon le groupe Tableau n°10 : thèmes les plus abordés par les enquêtés Tableau n°11 : statistiques générales Tableau n°12 : milieu d’origine et résultats Tableau n°13 : CSP et résultats Tableau n°14 : sexe résultats Tableau n°15 : âge et résultats Tableau n°16 : connaissances des enquêtés Tableau n°17 : groupe, gouvernance et connaissances Tableau n°18 : participation et résultats Tableau n°19 : provenance des connaissances et résultats Tableau n°20 : mécanismes de coordination dans les organisations non lucratives

Da Cunha Belvès, 2013

59

Da Cunha Belvès, 2013

61

Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013

66 68 70 71

Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013

73 74 75 75 76 77 77

Da Cunha Belvès, 2013 Da Cunha Belvès, 2013

77 78

Enjolras, 2009

82

8 Annexe I Les réponses correctes sont affichées en italique.

29

1) o o o o

A travers son alimentation, un Français absorbe chaque jour en moyenne : 12 résidus chimiques dont 4 sont classés cancérigènes 58 résidus chimiques dont 21 sont classés cancérigènes 128 résidus chimiques dont 47 sont classés cancérigènes Sans réponse

2) o o o

En France, il est autorisé de nourrir les animaux d'élevage avec des OGM : Vrai Faux Sans réponse

3) o o o

En 2010, l'INSEE considère comme pauvre : 1 agriculteur sur 429 1 agriculteur sur 12 1 agriculteur sur 20

Source : (Chiffoleau, 2013)

101


o Sans réponse 4) o o o

En France, il est autorisé de nourrir les animaux d'élevage avec des OGM : Vrai Faux Sans réponse

5) o o o o

Entre 2000 et 2007, le nombre d'exploitations agricoles de l'Hérault a diminué de30 : 5% 15% 30% Sans réponse

6) En France, sur 100 euros dépensées dans l'alimentation (supermarchés, restaurants, etc), combien reviennent en moyenne aux agriculteurs31 ? o 4 o 13 o 31 o 59 o Sans réponse 7) o o o o

Pour produire un kilogramme de bœuf, il faut : 1 kg de céréales 5 kgs de céréales 10 kgs de céréales Sans réponse

8) Ces dernières années, les prix des matières premières (blé, café, cacao, raisin, etc). ont été : o Plutôt stables o En "dents de scie" o Sans réponse 9) Environ quel pourcentage de la surface agricole française est cultivée selon le mode de production biologique32 ? o 4% o 18% o 32% o Sans réponse

30

(Agreste, 2010) (Rastoin & Ghersi, 2010) 32 (Agreste, 2010) 31

102


10) Que signifie le sigle "FAO" ? o Fabrication Artisanale et Organique o Food and Agriculture Organization o Fight Against Obesity o Sans réponse 11) Que signifie le sigle "DLC" ? o Department League of Consumers o Date Limite de Consommation o Développement Local des Circuits-courts o Sans réponse 12) Que signifie le sigle "AOP" ? o Association des Organisations de Producteurs o Agriculture d'Origine Protégée o Appellation d'Origine Protégée o Sans réponse

103


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