IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO

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IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO Qui sont les artistes et quels outils emploientils pour concevoir des univers graphiques à la fois originaux et fonctionnels ? C’est tout l’enjeu de l’étape décisive du concept art. À travers une grande richesse d’illustrations, une analyse détaillée et les interviews d’une vingtaine d’artistes français – issus de célèbres studios de développement comme Dontnod (Life is Strange), Lizardcube (Streets of Rage 4) et Asobo Studio (A Plague Tale : Innocence) –, ce livre d’art offre un regard transversal très éclairant sur cette discipline encore auréolée de mystère pour la majeure partie du public.

L’autrice

Dontnod Asobo Studio Magic Design DigixArt The Game Bakers Nova-box Lizardcube Motion Twin Spiders Un Je Ne Sais Quoi

LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

LE JEU VIDÉO AFFIRME UNE VÉRITABLE ESTHÉTIQUE. Comment se construit-elle ?

Entretiens exclusifs avec 10 studios français

IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO

LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

Marine Macq

Marine Macq est directrice et commissaire d’exposition de la galerie d’art vidéoludique Pixel Life Stories, créée en 2017. Chercheuse indépendante et vidéaste, elle s’intéresse à l’histoire du concept art et à la direction artistique de projets dans les domaines du jeu vidéo et du cinéma. Elle est par ailleurs chroniqueuse pour l’émission culturelle Jour de Play sur la chaîne Twitch d’Arte.

IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

éditions cercle d’art

Illustration de couverture par Sparth

ISBN 978 2 37784 197 4 44.90 euros

Marine Macq

éditions cercle d’art

éditions cercle d’art



IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS


IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

Marine Macq

Couverture Sparth Cet ouvrage fait l’objet d’une édition First Print limitée à 400 exemplaires, accompagnée d’un tirage digigraphique de la création originale de Sparth, spécialement réalisée pour cette occasion. Ledit tirage est signé par l’artiste.

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5 d’une part, que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et d’autre part, sous réserve que soient indiqués clairement l’auteur et la source, « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’ouvrage auquel elles sont incorporées », toute reproduction intégrale ou partielle, toute traduction adaptation ou transformation opérée sans le consentement des auteurs ou de leurs ayants droit est interdite. Il en va de même des reproductions et enregistrements opérés sur supports numériques ainsi que de leur diffusion notamment par hébergement sur un site accessible par Internet. Ces infractions constituent les délits prévus et réprimés par les dispositions de l’article L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle.

© 2021 Third Éditions, Toulouse - Éditions Cercle d’Art, Paris ISBN 978 2 37784 197 4

éditions cercle d’art


IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

Marine Macq

Couverture Sparth Cet ouvrage fait l’objet d’une édition First Print limitée à 400 exemplaires, accompagnée d’un tirage digigraphique de la création originale de Sparth, spécialement réalisée pour cette occasion. Ledit tirage est signé par l’artiste.

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5 d’une part, que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et d’autre part, sous réserve que soient indiqués clairement l’auteur et la source, « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’ouvrage auquel elles sont incorporées », toute reproduction intégrale ou partielle, toute traduction adaptation ou transformation opérée sans le consentement des auteurs ou de leurs ayants droit est interdite. Il en va de même des reproductions et enregistrements opérés sur supports numériques ainsi que de leur diffusion notamment par hébergement sur un site accessible par Internet. Ces infractions constituent les délits prévus et réprimés par les dispositions de l’article L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle.

© 2021 Third Éditions, Toulouse - Éditions Cercle d’Art, Paris ISBN 978 2 37784 197 4

éditions cercle d’art


sommaire Cultiver sa bibliothèque mémorielle par Sparth

10 30 84

LE CONCEPT ART

110

LES COULISSES DE LA CRÉATION FRANÇAISE

378

Une histoire à écrire…

380

Bibliographie

383

Remerciements

271

295

323

351

Spiders

The Game Bakers

Un Je Ne Sais Quoi

LES ÉTAPES DE DESIGN AVEC LE JEU VIDÉO CHILD OF LIGHT

Motion Twin

CONCEPT ARTIST : LES GRANDES SPÉCIALISATIONS DU MÉTIER

Dordogne

Furi

GreedFall

Dead Cells

Lizardcube

Nova-box

DigixArt

243 Across the Grooves

217

11-11 : Memories Retold

193

Unruly Heroes

163 Magic Design

A Plague Tale : Innocence

Asobo Studio

139

Dontnod

113 Life is Strange 2

Entretiens avec 10 studios

Streets of Rage 4

6


sommaire Cultiver sa bibliothèque mémorielle par Sparth

10 30 84

LE CONCEPT ART

110

LES COULISSES DE LA CRÉATION FRANÇAISE

378

Une histoire à écrire…

380

Bibliographie

383

Remerciements

271

295

323

351

Spiders

The Game Bakers

Un Je Ne Sais Quoi

LES ÉTAPES DE DESIGN AVEC LE JEU VIDÉO CHILD OF LIGHT

Motion Twin

CONCEPT ARTIST : LES GRANDES SPÉCIALISATIONS DU MÉTIER

Dordogne

Furi

GreedFall

Dead Cells

Lizardcube

Nova-box

DigixArt

243 Across the Grooves

217

11-11 : Memories Retold

193

Unruly Heroes

163 Magic Design

A Plague Tale : Innocence

Asobo Studio

139

Dontnod

113 Life is Strange 2

Entretiens avec 10 studios

Streets of Rage 4

6


Préface

Cultiver sa bibliothèque mémorielle par

Sparth Nicolas « Sparth » Bouvier est directeur artistique et senior concept artist dans l'industrie du jeu vidéo depuis 1996. Il est l'un des pionniers de la discipline du concept art dans le secteur vidéoludique. Il a notamment travaillé aux jeux Alone in the Dark : The New Nightmare, Assassin's Creed ou encore la série Halo, dont il est le directeur artistique depuis Halo 5 : Guardians. Ses œuvres personnelles sont compilées dans les livres Structura: The Art of Sparth.

Cela fait maintenant plus de vingt ans que la communauté des concept artists numériques ne cesse de grandir et de se renouveler. Originairement liée à l'industrie du film et des jeux vidéo aux États-Unis, la discipline du concept art s’est rapidement répandue jusqu’en Europe. Si elle était loin d’être nouvelle, l’expression « conceptual artist » était alors peu utilisée en France pour qualifier cette nouvelle catégorie d’artistes. Durant les années 1990, nous étions des « illustrateurs », initialement affiliés à d'autres secteurs créatifs comme la bande dessinée, le graphisme 3D ou l'édition. Stimulée par les énormes besoins visuels de l’industrie du cinéma américain, mais aussi par ceux des studios de jeux vidéo apparaissant à travers le monde, cette expression anglaise a gagné en popularité jusqu'à désigner pleinement notre métier. D’un point de vue professionnel, l’attirance grandissante pour la discipline du concept art ne doit pas surprendre. Imaginez que votre activité de tous les jours soit de peindre sur un ordinateur, de donner corps à des idées naissantes de game design ou de scripts narratifs ; bref, de traduire en images les grands principes et lignes d’un nouveau jeu vidéo. Cela fait rêver, n’est-ce pas ? On s’aperçoit pourtant très vite qu’il faut nuancer un tant soit peu notre propos : respecter les échéances exigeantes d'un projet et affûter constamment ses propres compétences artistiques n’est pas de tout repos.


Préface

Cultiver sa bibliothèque mémorielle par

Sparth Nicolas « Sparth » Bouvier est directeur artistique et senior concept artist dans l'industrie du jeu vidéo depuis 1996. Il est l'un des pionniers de la discipline du concept art dans le secteur vidéoludique. Il a notamment travaillé aux jeux Alone in the Dark : The New Nightmare, Assassin's Creed ou encore la série Halo, dont il est le directeur artistique depuis Halo 5 : Guardians. Ses œuvres personnelles sont compilées dans les livres Structura: The Art of Sparth.

Cela fait maintenant plus de vingt ans que la communauté des concept artists numériques ne cesse de grandir et de se renouveler. Originairement liée à l'industrie du film et des jeux vidéo aux États-Unis, la discipline du concept art s’est rapidement répandue jusqu’en Europe. Si elle était loin d’être nouvelle, l’expression « conceptual artist » était alors peu utilisée en France pour qualifier cette nouvelle catégorie d’artistes. Durant les années 1990, nous étions des « illustrateurs », initialement affiliés à d'autres secteurs créatifs comme la bande dessinée, le graphisme 3D ou l'édition. Stimulée par les énormes besoins visuels de l’industrie du cinéma américain, mais aussi par ceux des studios de jeux vidéo apparaissant à travers le monde, cette expression anglaise a gagné en popularité jusqu'à désigner pleinement notre métier. D’un point de vue professionnel, l’attirance grandissante pour la discipline du concept art ne doit pas surprendre. Imaginez que votre activité de tous les jours soit de peindre sur un ordinateur, de donner corps à des idées naissantes de game design ou de scripts narratifs ; bref, de traduire en images les grands principes et lignes d’un nouveau jeu vidéo. Cela fait rêver, n’est-ce pas ? On s’aperçoit pourtant très vite qu’il faut nuancer un tant soit peu notre propos : respecter les échéances exigeantes d'un projet et affûter constamment ses propres compétences artistiques n’est pas de tout repos.


Le métier de concept artist est une véritable entreprise de représentation visuelle : rendre concrets des mondes imaginaires, des civilisations passées ou futures, et des personnages n'ayant jamais existé. Il n’est plus question d'interpréter la réalité mais bien de la réinsérer dans un cadre fantastique, sans limites ni contraintes. L’avantage des outils numériques par rapport aux techniques d’illustration traditionnelles est certainement de faire gagner au concept artist un temps de production précieux. Je dirais même que c’est là l’enjeu majeur de leur utilisation : la rapidité d’exécution qu’ils permettent est nécessaire pour s’adapter aux impératifs de l’industrie, autant qu’aux demandes souvent changeantes des différentes équipes créatives pour lesquelles de nouveaux visuels peuvent être mis à jour quotidiennement. Les technologies et les expériences dérivées du logiciel Photoshop ont véritablement révolutionné les techniques de l’image numérique. Je dis souvent que, dans la pratique de notre métier, c’est avant tout l’aventure et la découverte qui comptent. Les cheminements et les aboutissements, chacun motivé et dirigé par ses propres passions. Certes, rien n’importe plus à nos cœurs que le résultat final d’un visuel, surtout après y avoir investi autant d’efforts et de réflexions. Ce sentiment s’estompe néanmoins bien vite lorsqu’arrive la prochaine image à entreprendre ou à achever à temps. Cette mécanique bien rodée pourrait faire de nous des éternels insatisfaits. Mais il n’en est rien. Notre soif de retranscrire les rouages du réel, ses formes, ses couleurs et ses lumières s’inscrit dans un apprentissage permanent des mécanismes physiques qui régissent le monde. Finalement, pour mieux maintenir sa curiosité éveillée, il est toujours sage de ne jamais finir d’apprendre.

Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance inouïe de suivre mes parents en expatriation à travers le globe. Singapour, l’Indonésie, la Chine, les États-Unis… Aussi ai-je engrangé autant de souvenirs impérissables que de visions extraordinaires : les rizières en plateaux de Bali, les rues bondées de Hong Kong, les grands parcs naturels américains, mais aussi les moyens de transport de ces villes et pays, sans oublier les visages et les vêtements de leurs habitants. Cette bibliothèque mémorielle, que je m’attache à entretenir aujourd’hui, me définit pleinement en tant qu’artiste. J’ai mis du temps à en comprendre le principe, car nous sommes tous, créateurs, incités à toujours nous améliorer. Or, foncer tête baissée dans les rouages de l’industrie nous fait perdre de vue certaines évidences. « Je veux être concept artist » ne signifie pas grand-chose quand la bibliothèque mémorielle est vide. Il ne s’agit pas obligatoirement de voyages lointains et coûteux, mais plutôt d’un état d’esprit ou, disons, d’une appétence particulière pour les formes et les expériences inconnues. Cela signifie surtout chercher à sortir de son univers routinier pour voir le monde sous des angles surprenants. Prenez un appareil photo, un vélo ou une paire de chaussures, cela fera amplement l’affaire !


Le métier de concept artist est une véritable entreprise de représentation visuelle : rendre concrets des mondes imaginaires, des civilisations passées ou futures, et des personnages n'ayant jamais existé. Il n’est plus question d'interpréter la réalité mais bien de la réinsérer dans un cadre fantastique, sans limites ni contraintes. L’avantage des outils numériques par rapport aux techniques d’illustration traditionnelles est certainement de faire gagner au concept artist un temps de production précieux. Je dirais même que c’est là l’enjeu majeur de leur utilisation : la rapidité d’exécution qu’ils permettent est nécessaire pour s’adapter aux impératifs de l’industrie, autant qu’aux demandes souvent changeantes des différentes équipes créatives pour lesquelles de nouveaux visuels peuvent être mis à jour quotidiennement. Les technologies et les expériences dérivées du logiciel Photoshop ont véritablement révolutionné les techniques de l’image numérique. Je dis souvent que, dans la pratique de notre métier, c’est avant tout l’aventure et la découverte qui comptent. Les cheminements et les aboutissements, chacun motivé et dirigé par ses propres passions. Certes, rien n’importe plus à nos cœurs que le résultat final d’un visuel, surtout après y avoir investi autant d’efforts et de réflexions. Ce sentiment s’estompe néanmoins bien vite lorsqu’arrive la prochaine image à entreprendre ou à achever à temps. Cette mécanique bien rodée pourrait faire de nous des éternels insatisfaits. Mais il n’en est rien. Notre soif de retranscrire les rouages du réel, ses formes, ses couleurs et ses lumières s’inscrit dans un apprentissage permanent des mécanismes physiques qui régissent le monde. Finalement, pour mieux maintenir sa curiosité éveillée, il est toujours sage de ne jamais finir d’apprendre.

Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance inouïe de suivre mes parents en expatriation à travers le globe. Singapour, l’Indonésie, la Chine, les États-Unis… Aussi ai-je engrangé autant de souvenirs impérissables que de visions extraordinaires : les rizières en plateaux de Bali, les rues bondées de Hong Kong, les grands parcs naturels américains, mais aussi les moyens de transport de ces villes et pays, sans oublier les visages et les vêtements de leurs habitants. Cette bibliothèque mémorielle, que je m’attache à entretenir aujourd’hui, me définit pleinement en tant qu’artiste. J’ai mis du temps à en comprendre le principe, car nous sommes tous, créateurs, incités à toujours nous améliorer. Or, foncer tête baissée dans les rouages de l’industrie nous fait perdre de vue certaines évidences. « Je veux être concept artist » ne signifie pas grand-chose quand la bibliothèque mémorielle est vide. Il ne s’agit pas obligatoirement de voyages lointains et coûteux, mais plutôt d’un état d’esprit ou, disons, d’une appétence particulière pour les formes et les expériences inconnues. Cela signifie surtout chercher à sortir de son univers routinier pour voir le monde sous des angles surprenants. Prenez un appareil photo, un vélo ou une paire de chaussures, cela fera amplement l’affaire !


Les prémices du concept art de jeu vidéo en France

Les premiers marchands d'imaginaire

Ils dessinent comme ils parlent !

le concept art

Lorsque débute la création d’une œuvre vidéoludique, les membres du studio concerné n’ont aucune idée de ce à quoi elle va ressembler. Leur visibilité se limite tout au plus à quelques images mentales et à la formulation d’une intention créative. Mais alors, comment et où s’opère la métamorphose d’une idée abstraite en un univers de jeu étendu ? De quelle manière encore s’assurer que l’ensemble des équipes d’une production œuvre dans une seule et même direction ? Les réponses à ces questions nous incitent invariablement à considérer le rôle du concept artist qui, en l’espace de quelques décennies à peine, s’est imposé comme un acteur incontournable dans le paysage des industries culturelles contemporaines. Un acteur dont l’avant-poste le place au cœur de la fabrique des imaginaires.


Les prémices du concept art de jeu vidéo en France

Les premiers marchands d'imaginaire

Ils dessinent comme ils parlent !

le concept art

Lorsque débute la création d’une œuvre vidéoludique, les membres du studio concerné n’ont aucune idée de ce à quoi elle va ressembler. Leur visibilité se limite tout au plus à quelques images mentales et à la formulation d’une intention créative. Mais alors, comment et où s’opère la métamorphose d’une idée abstraite en un univers de jeu étendu ? De quelle manière encore s’assurer que l’ensemble des équipes d’une production œuvre dans une seule et même direction ? Les réponses à ces questions nous incitent invariablement à considérer le rôle du concept artist qui, en l’espace de quelques décennies à peine, s’est imposé comme un acteur incontournable dans le paysage des industries culturelles contemporaines. Un acteur dont l’avant-poste le place au cœur de la fabrique des imaginaires.


Ils dessinent

comme ils parlent !

U

n concept artist n’est pas seulement un dessinateur de talent, il est aussi et surtout un explorateur d’idées au service de l’industrie du divertissement. Il intervient en effet dès la phase embryonnaire de la conception d’une œuvre – le stade zéro de la création, si l’on peut dire –, où rien ne préexiste à son travail si ce n’est l’intention créative d’un commanditaire. Car oui, le concept artist est un agent de production qui accompagne un client dans la formalisation de ses idées pour qu’elles s’épanouissent à l’écran dans toute leur force expressive ! Les premières informations qui lui sont données ne sont pas toujours explicites, encore moins exhaustives quant à l’univers à concevoir. C’est même tout l’intérêt de sa production visuelle que de soutenir le développement d’un projet. Guidé par un directeur artistique dont il reçoit ses instructions, le concept artist a donc pour mission principale de traduire des concepts – ludiques, narratifs, esthétiques – ainsi que des régimes émotionnels par la construction de représentations graphiques très particulières : les concept arts. Pour le dire autrement, son activité consiste à produire des images prototypiques qui aident à la prévisualisation d’une œuvre, et dont les formes incarnent une idée, une notion, une situation ou une émotion. Elles sont ensuite transmises aux équipes de production qui, sur la base de leurs intentions artistiques, prennent en charge la réalisation matérielle de l’artéfact représenté. C’est, il est vrai, à travers les images du concept artist que sont posées les fondations visuelles et conceptuelles d’une œuvre, ses environnements et atmosphères, ses personnages et costumes, ses objets matériels et même ses scènes narratives clefs ! Il crée ce que nous aimons nommer des « artéfacts-mondes », c’està-dire des univers plastiques fictifs dont l’architecture interne

1. Formé aux arts visuels et

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à l’animation, Raphaël Lacoste était le directeur artistique de la franchise Assassin’s Creed (Ubisoft Montréal). Il a par ailleurs œuvré pour l’industrie cinématographique en tant que senior concept artist et matte painter (Terminator Renaissance, Voyage au centre de la Terre, etc.). Son travail sur Prince of Persia : Les Deux Royaumes (2005) et Assassin’s Creed Origins (2017) lui a valu deux VES Awards (The Visual Effects Society).

intègre un système de règles, des histoires et des valeurs cohérentes. Raphaël Lacoste, l’une des grandes figures françaises du concept art de jeu vidéo, se décrit lui-même comme un « world builder », à entendre comme un bâtisseur de mondes qui use de son art pour créer des visions fortes et inspirantes1 ! À l’occasion d’une interview pour le site SuperRare, le directeur artistique s’est confié : « Selon moi, le world building consiste à créer des lieux qui éveillent notre curiosité et notre désir d’exploration, sans jamais répondre à toutes les questions. Cela entraîne un certain mystère qui motive le spectateur à passer du temps à regarder, à explorer, à revenir sur les lieux… Il est très important d’en tenir compte lors de la création de mondes pour les jeux vidéo. Je vais même créer un pont vers l’art visuel : ces aspects sont tout aussi importants dans la conception et l’illustration d’univers. » Le concept artist est celui qui use de son dessin pour transformer un imaginaire en une réalité esthétique crédible et visuellement puissante, le véritable objectif de ses images étant de nous faire croire en l’existence de cet univers fictif… Derrière la production du concept artist se cache un enjeu de taille, à savoir l’élaboration d’un langage graphique ! L’artiste fait en effet usage de son pinceau comme d’une machine à écrire, chaque image constituant l’équivalent d’une unité d’information textuelle. Le directeur artistique Nicolas Bouvier confirme au détour d’un entretien exclusif cette manière d’appréhender le concept art comme une activité de construction d’énoncés : « L’une des choses qui me fascine le plus avec le concept art, c’est qu’il nous invite à nous exprimer par l’image de la même manière que par les mots. Lorsque je vois le travail que le cinéaste Hayao Miyazaki a accompli sur son film d’animation Nausicaä par exemple, je suis émerveillé par la force narrative de ses images conceptuelles. L’artiste réussit à faire la synthèse de ses idées et à transmettre tellement d’informations en un seul visuel. C’est comme s’il utilisait des pictogrammes à la place du texte pour nous raconter quelque chose. Il dessine comme il parle ! Après des années de production, j’y reviens toujours, car c’est vraiment là l’essence du concept art : organiser un monde de formes qui a du sens ! » Ainsi, si l’excellence de ses compétences graphiques lui permet de figurer des mondes imaginaires et leurs habitants, le concept artist mettra toujours ses choix plastiques au service d’un propos, c’est-à-dire que les caractéristiques visuelles d’un design ne prendront jamais l’ascendant sur son message ou sa fonction. Afin de comprendre l’importance du rôle du concept artist dans une équipe de production, arrêtons-nous un instant sur la fonctionnalité des images qu’il compose. Nous l’avons vu, le concept art est un merveilleux outil de projection visuelle ! Alors que la chose à produire n’existe pas encore, il lui incombe d’en imaginer les formes et de les rendre visibles aux yeux de tous. Ses représentations permettent en effet à ses collaborateurs de visualiser ce sur quoi ils vont travailler, et donc de coordonner plus efficacement leurs activités respectives.


À ce titre, la profession du concept artist est bien une discipline de design telle que définie par le philosophe et chercheur français Stéphane Vial, c’est-à-dire une méthodologie d’anticipation de l’œuvre à réaliser qui consiste à représenter par le dessin la construction projetée2. Une fois validées, ces images conceptuelles viennent fréquemment tapisser les murs des studios dans une farandole de formes et de couleurs : elles remplissent la fonction de boussole graphique guidant tous les acteurs dans la même direction ! Le concept art est également un outil de communication et de médiation graphique. Car si les concept arts sont des œuvres artistiques inspirantes qui ouvrent la porte de l’imaginaire, il ne faut pas oublier qu’ils sont aussi des documents de travail destinés aux équipes de production internes d’un studio. Pour être plus précis, ils sont des supports de conception visuels qui opèrent la synthèse d’idées complexes pour en faciliter la compréhension par ceux chargés de leur réalisation. L’appréciation d’un concept art en studio diffère donc de celle proposée par exemple en contexte muséal à destination d’un spectateur : sa réception engage une lecture technique avant d’être poétique. Couleurs, composition, textures, lumière… chacune des composantes de l’image est une information graphique qui s’adresse à un agent de production spécifique. L’artiste veille alors à la lisibilité de ses prototypes qui doivent détailler et exposer sans ambiguïté les modalités d’apparition – ou de fonctionnement – de l’artéfact sur le papier. Il n’y a pas de place pour l’interprétation ! Enfin, le concept art est un outil de mesure destiné à évaluer tant la valeur créative d’un projet que sa faisabilité technique. Il constitue de fait une phase d’idéation pendant laquelle l’artiste explore le monde des formes en quête d’inspiration. Qui dit exploration visuelle dit itérations, car il n’est pas question de se contenter de la première idée venue ! Croquis de recherches, peintures traditionnelles ou compositions photobashées3 : chaque artéfact fait l’objet de représentations variées afin de déterminer les voies graphiques les plus intéressantes à emprunter. C’est pourquoi le concept artist doit faire preuve d’intuition, de curiosité sans limites, et ne pas avoir peur de s’embarquer dans de mauvaises directions : toute exploration artistique peut apporter son lot de surprises ! D’une certaine manière, il agit en véritable chimiste : il expérimente, met à l’épreuve, confronte et, après seulement, obtient la solution graphique optimale à un problème donné. L’image est son laboratoire ! Mais l’évaluation n’est pas seulement créative, elle est aussi technique. Les concept arts offrent en effet la possibilité d’identifier très en amont les éventuels problèmes de mise en œuvre d’un design. Que ces derniers soient liés à des limitations techniques ou à des impératifs de jeu, des modifications peuvent être apportées après implémentation du design dans le moteur de jeu, mais, pour éviter leurs conséquences économiques, il est préférable d’évincer les inconnues dès la phase de préproduction. Ainsi, les retours évaluatifs du directeur artistique sur les itérations de l’artiste permettent d’affiner la vision de l’œuvre à produire tandis que ses représentations gagnent graduellement en force et en fonctionnalité !

Les premiers marchands

d’imaginaire

I

2. À ce sujet, lire les ouvrages de Stéphane Vial (Le Design, 2015) et de Jean-Pierre Boutinet (Anthropologie du projet, 1990). 3. Le photobashing est une technique de création graphique qui consiste à manipuler des photographies et à les faire fusionner entre elles jusqu’à composer une seule et même image, celle-ci faisant ensuite l’objet de retouches picturales pour en parfaire l’unité graphique. Cette technique est utilisée pour gagner du temps de production, sinon pour apporter un style plus réaliste à une composition.

14

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l s’avère que la discipline du concept artist a été, et continue souvent aujourd’hui d’être confondue avec celle de l’illustrateur. Pourquoi donc cette confusion et qu’est-ce qui distingue ces deux métiers artistiques ? Le concept art existait-il avant d’intégrer les studios de jeux vidéo ? Pour le comprendre, il faut emprunter la machine à remonter le temps et s’intéresser aux artistes qui, sans encore être désignés concept artists, ont mis leurs compétences de dessinateurs et leur regard visionnaire au service de l’industrie culturelle. Figurez-vous que notre voyage nous conduit au cœur des studios d’animation Walt Disney du temps de leur premier âge d’or ! Dès 1920, alors qu’il est dessinateur publicitaire à Kansas City, Walt Disney s’attache déjà à faire de l’animation un art à part entière. C’est en effet le soir, dans le garage de ses parents, qu’il fabrique les Laugh-O-grams, ses premiers films d’animation en noir et blanc à la veine humoristique ! Il poursuit ensuite son activité à Los Angeles où il produit dès 1923 les Alice Comedies – courts métrages mettant en scène une petite fille filmée en prise de vues réelles, mais intégrée à un décor animé –, bientôt suivis de la série Oswald le lapin chanceux (1927). Mais alors qu’il perd les droits d’auteur d’Oswald, son premier personnage original, Disney répond par le dessin : avec son fidèle camarade Ub Iwerks, ils donnent naissance à Mickey Mouse. La future mascotte des studios sera présentée au public à l’occasion de la diffusion de Steamboat Willie (1928), le premier dessin animé sonorisé. Si Disney et ses équipes de talent ont transformé l’animation en moins d’une décennie, les années 1930 vont marquer une nouvelle étape de leur histoire ! L’Américain lance en effet la création de ses premiers longs métrages d’animation, à commencer par Blanche-Neige et les Sept Nains (1937), dont la conception débute en 1934.


Le concept art d’environnement Votre département artistique à Ubisoft est spécialisé dans le world building de jeux vidéo à gros budget dits AAA. Quelles sont les grandes étapes de conception d’un monde ouvert et quel rôle joue le concept artist d’environnement dans sa mise en œuvre ?

selon Adrien Girod

Adrien Je travaille chez Ubisoft au sein d’une équipe de codéveloppement principalement chargée de livrer des parties spécifiques d’un projet à une équipe pilote, très souvent implantée dans un autre pays. Nous avons en effet acquis – entre autres – une grande expérience dans la conception d’univers de jeux, dite world building. Les projets en monde ouvert demandent aux concept artists d’environnement d’imager l’ensemble des régions d’un jeu, leurs particularités, ainsi que la profusion de lieux et de biomes que le joueur viendra explorer. Ils se distinguent ainsi des jeux linéaires dont la production conceptuelle est plus proche du storyboard, les plans importants étant très travaillés pour exprimer la dramaturgie du moment et la cinématographie de la séquence. La création d’un monde vidéoludique, imaginaire ou non, débute par une phase d’écriture où l’on vient décrire l’histoire et l’époque investie, ses enjeux, les personnages ou factions en présence et l’état du conflit s’il y en a un. Une fois les fondations posées, chaque région de l’œuvre est travaillée par le biais de key arts qui fonctionnent à la manière de cartes postales. Ce sont des visuels qui regroupent l’ensemble des principaux éléments naturels ou architecturaux d’un environnement. Ces images très illustratives permettent de déterminer l’ambiance des différents territoires en transmettant les informations nécessaires à tous les membres d’une équipe de production. Par ailleurs, si le monde à bâtir est inspiré de lieux réels, nous recourons à des sites comme Google Earth, très précieux pour nous guider lors des premières étapes d’édification des régions, tant d’un point de vue topographique que climatique.

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Né le 21 novembre 1988 à Angers, Adrien Girod est un senior concept artist français qui a débuté comme background artist de jeu vidéo en 2011, en parallèle de ses études en communication visuelle et video game art. Après avoir séjourné à Prague pour la conception du titre Mafia III (2K Games), l’artiste s’est rapidement illustré dans la production pour jeux mobiles, d’où lui vient son style caméléon. Il a produit ainsi plus d’une vingtaine de jeux aux styles et aux univers très différents pour des studios européens et américains (Gameloft, InnoGames, Mando Productions, Egg Ball). Son virage professionnel vers le jeu vidéo console s’est amorcé à l’été 2017 lorsqu’il a intégré Ubisoft Paris. Il a travaillé successivement sur les licences Just Dance, Skull and Bones et Watch Dogs: Legion, dont il a suivi l’ensemble des étapes de conception environnementale.

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Chacune de ces grandes zones ouvertes accueille ensuite ce qu’on appelle des points d’intérêt, tels que des donjons, des zones de rencontres ou le lieu d’une quête par exemple. Ces points d’intérêt sont généralement traités par un ensemble de concept arts permettant au directeur artistique de communiquer ses intentions à toute la production. Une fois la première passe en 3D intégrée dans le moteur de jeu par les level artists, de nouveaux concept arts plus spécifiques sont produits pour détailler les zones importantes, comme l’entrée principale d’un bâtiment. C’est généralement à ce stade que l’utilisation de modèles 3D, même rudimentaires, permet de vérifier si les dimensions des lieux sont correctes, et donc de livrer des concept arts d’autant plus utiles qu’ils colleront à la réalité du level design dans le moteur. Le concept artist d’environnement doit en effet respecter le travail des level designers qui construisent l’architecture sous-jacente des lieux que le joueur explore, mais aussi celui des équipes techniques qui assurent la gestion des paramètres d’affichage de la console.

Formes pures, couleurs appliquées par aplats et jeux de lumières qui sculptent l’espace  : comment définissez-vous votre style graphique ?

Adrien Ayant travaillé sur des projets professionnels très différents, j’ai naturellement développé un style « caméléon » qui me permet de m’adapter aux besoins, d’une production à une autre. À mes débuts dans l’industrie, je voyais ça comme l’assurance de trouver plus facilement du travail ! Mais il est difficile de s’extraire complètement de ses habitudes et d’oublier ses goûts, et ma formation initialement orientée vers le design graphique m’a donné l’habitude d’accorder une importance particulière à la hiérarchisation des signes dans l’image. C’est-à-dire que je joue beaucoup sur les contrastes entre les plans, ainsi que sur les différences de niveaux de détails. Par exemple, certaines parties d’une image vont être très détaillées et traitées avec beaucoup de minutie alors que je pourrai me contenter ailleurs d’aplats de couleurs… Cela crée des niveaux de lecture intéressants !

Vous avez expérimenté la production de jeux vidéo mobiles avant de vous tourner vers des licences consoles. Qu’est-ce qui distingue ces deux schémas de production et comment influencent-ils l’activité du concept artist d’environnement ?

Adrien Girod Œuvres personnelles.

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Adrien Le jeu vidéo mobile met le gameplay au premier plan et soigne particulièrement le travail d’interface (UX /UI design). Les décors de ces productions assument un rôle plus proche du background de dessin animé puisqu’ils soutiennent l’action située au premier plan de l’image. Pour répondre aux critères des plateformes, leur taille ne doit pas excéder un certain nombre d’octets et le rôle du couple artiste 3D -concept artist devient alors déterminant pour trouver des idées permettant de faire varier les décors au moindre coût. Pour un artiste, le jeu vidéo mobile représente une belle opportunité de s’essayer à des productions stylisées, d’autant que le temps de développement plus limité et des effectifs réduits conduisent chaque intervenant à assumer des responsabilités étendues dans son domaine.

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Adrien Girod

Pipeline Shantytown. Œuvre personnelle. Étapes de création. Adrien Girod

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Mon processus de création Je dis souvent que j’ai plus d’idées que de temps pour les peindre, et c’est vrai ! Si la demande concerne un bâtiment ou un objet, mon processus de création débute invariablement par la recherche de références visuelles que je réunis en moodboards. Après les avoir bien étudiées, je débute par un ensemble de croquis au trait sur Photoshop pour faire quelques propositions au directeur artistique. Je trouve bien plus facile de démarrer un design avec une ligne épurée qu’en couleurs. Je produis ensuite un modèle 3D plus précis de ma création dans le logiciel Blender ou 3DSmax, sans toutefois me perdre dans le détail pour rester flexible. Durant cette étape, je prends toujours garde à respecter les contraintes imposées par le jeu, qu’il s’agisse des dimensions de l’espace à construire ou des problématiques liées aux interactions d’un personnage. Une fois les principaux volumes et les lumières posés, j’ajoute au fur et à mesure les éléments de décor et les personnages que j’ai parfois listés au préalable pour m’assurer de ne rien oublier. L’utilisation de la 3D n’est pas toujours nécessaire : lorsque ma composition s’organise autour d’un unique point de fuite par exemple, je pars d’un simple croquis en noir et blanc que je reprends de zéro pour le coloriser, c’est-à-dire que je n’applique pas directement mes couleurs par-dessus le croquis initial.

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avec le jeu vidéo Child of Light

les étapes de design

Explorer, imager, traduire, dessiner, itérer, construire. Autant de mots qui qualifient l’activité quotidienne d’un concept artist de jeu vidéo. De manière à clarifier les étapes de design traversées par tout professionnel de la discipline, mais aussi la façon dont le concept artist procède pour servir une direction artistique de projet, illustrons par l’exemple à travers le récit de conception de Child of Light (2014). Ce conte de fées interactif, développé par le studio Ubisoft Montréal, arbore une esthétique singulière qui a engendré d’importants défis plastiques et techniques pour ses équipes de production. Le style aquarelliste est en effet inspiré par les artistes de l’âge d’or de l’illustration du XIXe siècle, tandis que les concept arts du jeu sont restitués à l’écran pour préserver l’authenticité de la touche picturale. Pour comprendre l’origine de l’intention créative et les étapes de design de cette œuvre contemporaine, une plongée au cœur de la fabrique d’images s’impose.


avec le jeu vidéo Child of Light

les étapes de design

Explorer, imager, traduire, dessiner, itérer, construire. Autant de mots qui qualifient l’activité quotidienne d’un concept artist de jeu vidéo. De manière à clarifier les étapes de design traversées par tout professionnel de la discipline, mais aussi la façon dont le concept artist procède pour servir une direction artistique de projet, illustrons par l’exemple à travers le récit de conception de Child of Light (2014). Ce conte de fées interactif, développé par le studio Ubisoft Montréal, arbore une esthétique singulière qui a engendré d’importants défis plastiques et techniques pour ses équipes de production. Le style aquarelliste est en effet inspiré par les artistes de l’âge d’or de l’illustration du XIXe siècle, tandis que les concept arts du jeu sont restitués à l’écran pour préserver l’authenticité de la touche picturale. Pour comprendre l’origine de l’intention créative et les étapes de design de cette œuvre contemporaine, une plongée au cœur de la fabrique d’images s’impose.


Il était une fois

Child of Light « Mon enfant, viens te glisser sous les draps, Je vais te conter une histoire, Celle du Royaume de Lémuria, Et d’une fillette née pour la gloire. » Prologue de Child of Light. Studio Ubisoft Montréal

C

es quelques vers à la tonalité enchanteresse ne sont pas l’œuvre du conteur Charles Perrault, pas plus qu’ils ne sont l’ouverture d’un dessin animé pour enfants, mais ils portent assurément en eux la magie opérante d’un « Il était une fois ». C’est en effet sur ces mots que s’ouvre le prologue de Child of Light, un jeu développé dès 2012 par le studio Ubisoft Montréal sous la direction de Patrick Plourde. Par un travelling avant, la caméra nous fait doucement entrer dans l’intimité d’un monde logé à la frontière de notre réalité, le dénommé Royaume de Lémuria. La silhouette élancée d’un château se dessine bientôt sur des vitraux colorés, tandis que la voix off les transperce de ses lumières, comme pour en lever les secrets. Ce prélude permet au studio montréalais d’inscrire dès les premières images une référence à la magistrale ouverture de La Belle et la Bête – le 39e long métrage des studios d’animation Disney, sorti en 1991 et réalisé par le duo Gary Trousdale et Kirke Wise –, perçue par tous les amoureux des films Disney. Stylisation et mise en scène se répondent à la perfection, mais l’inspiration ne s’arrête pas là, bien au contraire, elle commence seulement à se manifester.

1. Sous le commissariat

de Bruno Girveau. 2. Quelques-uns d’entre eux

LES ORIGINES D’UNE INTENTION CRÉATIVE Pour comprendre la genèse du projet, il nous faut remonter quelques années en arrière, bien avant le lancement de la production de Child of Light. En effet, c’est en 2007 que le directeur créatif et game designer Patrick Plourde se rend au musée des Beaux-Arts de Montréal pour y découvrir l’exposition phare

87

trouveront leur adaptation sur les écrans peu de temps après leur réception, à l’exemple du Pinocchio de Carlo Collodi revisité en 1940 ou des Aventures d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll une décennie plus tard.

« Il était une fois Walt Disney, aux sources de l’art des studios Disney (1937-1967) ». Organisée en collaboration avec la Réunion des musées nationaux de Paris1, cette exposition entend révéler au grand public les œuvres ayant nourri l’imaginaire d’une figure iconique, celle-là même qui donna toute sa gloire au cinéma d’animation dès les années 1920, assurant la reconnaissance du médium bien au-delà des seules frontières américaines. Ainsi peut-on lire sur les cartels et dossier de presse de l’exposition : « Culture populaire et culture savante s’ignorent le plus souvent, et les liens qui les unissent sont mal étudiés et mal connus. Les longs métrages d’animation de Walt Disney, depuis Blanche-Neige, en 1937, jusqu’au Livre de la jungle, en 1967, sont un des exemples les plus frappants d’influences réciproques entre ces deux cultures. Dans cet esprit, l’exposition se propose de rapprocher les dessins originaux des studios Disney des œuvres et créations de l’art occidental qui les ont inspirés. » Dans l’une des salles dédiées aux sources d’inspiration littéraires des œuvres de Walt Disney, Patrick Plourde redécouvre, au gré des allées, les ouvrages – parmi les trois cent cinquante – qui furent achetés puis emportés en Californie par le jeune entrepreneur en 1935 afin de compléter la librairie de son studio. Si cette prestigieuse collection comprend de grands classiques de la littérature et de la poésie, à l’exemple de la Divine Comédie de Dante ou du Paradis perdu de John Milton, elle fait également la part belle aux livres de contes illustrés pour enfants parus entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle2. Cette période de transition historique est aujourd’hui qualifiée de grand âge d’or de l’illustration, en raison du rayonnement nouveau de ces ouvrages comme de l’excellence des artistes européens qui les illustrèrent.


Il était une fois

Child of Light « Mon enfant, viens te glisser sous les draps, Je vais te conter une histoire, Celle du Royaume de Lémuria, Et d’une fillette née pour la gloire. » Prologue de Child of Light. Studio Ubisoft Montréal

C

es quelques vers à la tonalité enchanteresse ne sont pas l’œuvre du conteur Charles Perrault, pas plus qu’ils ne sont l’ouverture d’un dessin animé pour enfants, mais ils portent assurément en eux la magie opérante d’un « Il était une fois ». C’est en effet sur ces mots que s’ouvre le prologue de Child of Light, un jeu développé dès 2012 par le studio Ubisoft Montréal sous la direction de Patrick Plourde. Par un travelling avant, la caméra nous fait doucement entrer dans l’intimité d’un monde logé à la frontière de notre réalité, le dénommé Royaume de Lémuria. La silhouette élancée d’un château se dessine bientôt sur des vitraux colorés, tandis que la voix off les transperce de ses lumières, comme pour en lever les secrets. Ce prélude permet au studio montréalais d’inscrire dès les premières images une référence à la magistrale ouverture de La Belle et la Bête – le 39e long métrage des studios d’animation Disney, sorti en 1991 et réalisé par le duo Gary Trousdale et Kirke Wise –, perçue par tous les amoureux des films Disney. Stylisation et mise en scène se répondent à la perfection, mais l’inspiration ne s’arrête pas là, bien au contraire, elle commence seulement à se manifester.

1. Sous le commissariat

de Bruno Girveau. 2. Quelques-uns d’entre eux

LES ORIGINES D’UNE INTENTION CRÉATIVE Pour comprendre la genèse du projet, il nous faut remonter quelques années en arrière, bien avant le lancement de la production de Child of Light. En effet, c’est en 2007 que le directeur créatif et game designer Patrick Plourde se rend au musée des Beaux-Arts de Montréal pour y découvrir l’exposition phare

87

trouveront leur adaptation sur les écrans peu de temps après leur réception, à l’exemple du Pinocchio de Carlo Collodi revisité en 1940 ou des Aventures d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll une décennie plus tard.

« Il était une fois Walt Disney, aux sources de l’art des studios Disney (1937-1967) ». Organisée en collaboration avec la Réunion des musées nationaux de Paris1, cette exposition entend révéler au grand public les œuvres ayant nourri l’imaginaire d’une figure iconique, celle-là même qui donna toute sa gloire au cinéma d’animation dès les années 1920, assurant la reconnaissance du médium bien au-delà des seules frontières américaines. Ainsi peut-on lire sur les cartels et dossier de presse de l’exposition : « Culture populaire et culture savante s’ignorent le plus souvent, et les liens qui les unissent sont mal étudiés et mal connus. Les longs métrages d’animation de Walt Disney, depuis Blanche-Neige, en 1937, jusqu’au Livre de la jungle, en 1967, sont un des exemples les plus frappants d’influences réciproques entre ces deux cultures. Dans cet esprit, l’exposition se propose de rapprocher les dessins originaux des studios Disney des œuvres et créations de l’art occidental qui les ont inspirés. » Dans l’une des salles dédiées aux sources d’inspiration littéraires des œuvres de Walt Disney, Patrick Plourde redécouvre, au gré des allées, les ouvrages – parmi les trois cent cinquante – qui furent achetés puis emportés en Californie par le jeune entrepreneur en 1935 afin de compléter la librairie de son studio. Si cette prestigieuse collection comprend de grands classiques de la littérature et de la poésie, à l’exemple de la Divine Comédie de Dante ou du Paradis perdu de John Milton, elle fait également la part belle aux livres de contes illustrés pour enfants parus entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle2. Cette période de transition historique est aujourd’hui qualifiée de grand âge d’or de l’illustration, en raison du rayonnement nouveau de ces ouvrages comme de l’excellence des artistes européens qui les illustrèrent.


les coulisses de la création française

Entretiens exclusifs avec 10 studios français

Dontnod Asobo Studio Magic Design DigixArt Lizardcube Nova-box Motion Twin Spiders The Game Bakers Un Je Ne Sais Quoi


les coulisses de la création française

Entretiens exclusifs avec 10 studios français

Dontnod Asobo Studio Magic Design DigixArt Lizardcube Nova-box Motion Twin Spiders The Game Bakers Un Je Ne Sais Quoi


Dontnod

De la rencontre du jeu vidéo français avec le cinéma américain est né Life is Strange 2, un road movie interactif conçu en plusieurs épisodes et publié en 2018 et 2019 par le studio DONTNOD. Qualifié de « jeu ancré dans le réel » par son directeur artistique Michel Koch, Life is Strange 2 propose le récit de deux frères, Sean et Daniel Diaz, contraints de fuir leur foyer de Seattle à la suite d’un terrible accident. S’engage alors une éprouvante traversée des États-Unis vers la frontière mexicaine, leurs péripéties devenant prétexte à interroger successivement les notions d’exclusion sociale et de noyau familial, de moralité et d’amour fraternel. Si les thèmes du jeu sont adultes et dépeignent une réalité sociale très éloignée de celle promue par l’American way of life, son propos se voit malgré tout adouci par sa signature graphique, à la fois stylisée et impressionniste. Des ambitions créatives de DONTNOD au voyage documentaire de leurs concepteurs, cap sur les États-Unis avec Michel Koch, Édouard Caplain et Alysianne Bui.

Nouvelle temporalité, nouveaux personnages, nouveau gameplay. Si Life is Strange 2 n’est pas une suite, il tisse un récit interactif qui conserve toute l’identité de la saga. Dans quel contexte ce deuxième volet est-il né ? Michel Koch || directeur artistique

1. Life is Strange (2015),

réalisé par Raoul Barbet et Michel Koch, est un jeu narratif en cinq épisodes, qui raconte l'histoire de deux adolescentes et amies d’enfance, Max et Chloé. Leur quotidien à Arcadia Bay, une petite ville tranquille des États-Unis, se voit bousculé par deux événements : la disparition inquiétante d’une étudiante dans le lycée de Max et la découverte par cette dernière de sa capacité à remonter le temps : le rewind. Les joueurs, qui contrôlent Max, utilisent alors ce pouvoir pour mener l’enquête.

115

Lorsque nous avons commencé à travailler sur le premier Life is Strange 1 avec Raoul Barbet (coréalisateur) et Jean-Luc Cano (scénariste), nous avions à cœur de créer un jeu qui nous ressemble et auquel nous aurions envie de jouer nous-mêmes. Nous n’avons pas anticipé le succès qu’il rencontrerait ni à quel point les aventures de Max et Chloé résonneraient chez les joueurs, cela nous a pris totalement par surprise ! Nous avions donc beaucoup de pression quand nous avons commencé à réfléchir au deuxième jeu : comment renouveler l’aventure, proposer quelque chose de frais et de différent mais tout de même en complète continuité avec les valeurs et l’âme du premier jeu ? Surtout, comment ne pas décevoir notre nouveau public, comment combler ses attentes sans infliger un simple copier-coller du titre original ? En tant que créateurs, il était important pour nous de sortir de notre zone de confort : apprendre de nouvelles choses, de nouvelles manières de raconter une histoire et d’offrir de la narration interactive à notre public… En somme, ne pas repartir pour trois à quatre années de production complètement identiques à celles de Life is Strange 1. Faire un jeu demande beaucoup de temps et ne pas se renouveler, créativement parlant, conduit à simplement appliquer des formules… La routine s’installe, et l’innovation disparaît totalement. Nous avons donc réfléchi à ce qu’étaient pour nous les valeurs et les piliers de la franchise Life is Strange. Est-ce que c’était Max et Chloé, le rewind, Arcadia Bay ? Tous ces points nous sont apparus comme des spécificités et non des valeurs au sens large. Ce que nous avons retenu, en revanche, c’est la notion de récit ancré dans la vie de tous les jours, avec des personnages charismatiques et attachants qui font face à des situations sociales réalistes. Des récits permettant de porter un point de vue sur le monde, sur des sujets de société qui nous sont chers. À cette base réaliste, la série Life is Strange ajoute une touche de surnaturel qui vient démultiplier les embûches auxquelles les

personnages sont confrontés. C’est donc à partir de cette réflexion de fond que sont nés Sean et Daniel Diaz. Nous souhaitions évoquer les notions d’exclusion systémique, de noyau familial, de ce que signifie vraiment trouver sa place dans une société qui nous rejette ou dans une famille qui nous est imposée. Comment naviguons-nous en tant qu’individus entre nos propres valeurs morales et celles sociétales, parfois complètement opposées ?

Édouard Caplain || senior concept artist Tout à fait, nous avions réussi le jeu précédent, et l’enthousiasme était très présent  ! Nous voulions confirmer, tout en corrigeant les erreurs du premier volet, faire mieux et plus beau encore. Nous souhaitions néanmoins conserver la même patte graphique pour que la proposition artistique soit cohérente, tout en affinant le rendu, qu’il s’agisse des lumières, des animations faciales ou des matériaux. Parmi les éléments caractéristiques de la licence se trouve précisément sa ligne artistique, la palette graphique faisant office de signature. Comment décrire la direction artistique de Life is Strange 2 ? Michel Koch Même si je suis très réceptif aux rendus photoréalistes et aux avancées techniques dans le monde du jeu vidéo, j’ai toujours eu un intérêt particulier pour les rendus plus stylisés ou picturaux. Un de mes jeux préférés en matière de direction artistique est The Legend of Zelda : The Wind Waker (2002), qu’aujourd’hui encore je trouve superbe, ni daté ni dépassé techniquement. C’est là la magie d’une direction artistique assumée qui a su faire de ses limitations des forces. De plus, ce type de rendu moins détaillé permet, selon moi, de projeter plus facilement son imaginaire dans l’univers dépeint. Pour reprendre l’exemple de The Wind Waker, quand je regarde l’océan et son aplat bleu céruléen simplement animé de quelques traits blancs pour signifier la présence des vagues, je suis immédiatement projeté dans une sensation d’océan, prêt pour un voyage en bateau  ! Je n’ai pas besoin de tous les reflets ou tous les détails de chaque particule d’écume pour partir à l’aventure et m’immerger complètement dans l’univers proposé. Les visuels respirent et laissent place à la libre interprétation.


Dontnod

De la rencontre du jeu vidéo français avec le cinéma américain est né Life is Strange 2, un road movie interactif conçu en plusieurs épisodes et publié en 2018 et 2019 par le studio DONTNOD. Qualifié de « jeu ancré dans le réel » par son directeur artistique Michel Koch, Life is Strange 2 propose le récit de deux frères, Sean et Daniel Diaz, contraints de fuir leur foyer de Seattle à la suite d’un terrible accident. S’engage alors une éprouvante traversée des États-Unis vers la frontière mexicaine, leurs péripéties devenant prétexte à interroger successivement les notions d’exclusion sociale et de noyau familial, de moralité et d’amour fraternel. Si les thèmes du jeu sont adultes et dépeignent une réalité sociale très éloignée de celle promue par l’American way of life, son propos se voit malgré tout adouci par sa signature graphique, à la fois stylisée et impressionniste. Des ambitions créatives de DONTNOD au voyage documentaire de leurs concepteurs, cap sur les États-Unis avec Michel Koch, Édouard Caplain et Alysianne Bui.

Nouvelle temporalité, nouveaux personnages, nouveau gameplay. Si Life is Strange 2 n’est pas une suite, il tisse un récit interactif qui conserve toute l’identité de la saga. Dans quel contexte ce deuxième volet est-il né ? Michel Koch || directeur artistique

1. Life is Strange (2015),

réalisé par Raoul Barbet et Michel Koch, est un jeu narratif en cinq épisodes, qui raconte l'histoire de deux adolescentes et amies d’enfance, Max et Chloé. Leur quotidien à Arcadia Bay, une petite ville tranquille des États-Unis, se voit bousculé par deux événements : la disparition inquiétante d’une étudiante dans le lycée de Max et la découverte par cette dernière de sa capacité à remonter le temps : le rewind. Les joueurs, qui contrôlent Max, utilisent alors ce pouvoir pour mener l’enquête.

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Lorsque nous avons commencé à travailler sur le premier Life is Strange 1 avec Raoul Barbet (coréalisateur) et Jean-Luc Cano (scénariste), nous avions à cœur de créer un jeu qui nous ressemble et auquel nous aurions envie de jouer nous-mêmes. Nous n’avons pas anticipé le succès qu’il rencontrerait ni à quel point les aventures de Max et Chloé résonneraient chez les joueurs, cela nous a pris totalement par surprise ! Nous avions donc beaucoup de pression quand nous avons commencé à réfléchir au deuxième jeu : comment renouveler l’aventure, proposer quelque chose de frais et de différent mais tout de même en complète continuité avec les valeurs et l’âme du premier jeu ? Surtout, comment ne pas décevoir notre nouveau public, comment combler ses attentes sans infliger un simple copier-coller du titre original ? En tant que créateurs, il était important pour nous de sortir de notre zone de confort : apprendre de nouvelles choses, de nouvelles manières de raconter une histoire et d’offrir de la narration interactive à notre public… En somme, ne pas repartir pour trois à quatre années de production complètement identiques à celles de Life is Strange 1. Faire un jeu demande beaucoup de temps et ne pas se renouveler, créativement parlant, conduit à simplement appliquer des formules… La routine s’installe, et l’innovation disparaît totalement. Nous avons donc réfléchi à ce qu’étaient pour nous les valeurs et les piliers de la franchise Life is Strange. Est-ce que c’était Max et Chloé, le rewind, Arcadia Bay ? Tous ces points nous sont apparus comme des spécificités et non des valeurs au sens large. Ce que nous avons retenu, en revanche, c’est la notion de récit ancré dans la vie de tous les jours, avec des personnages charismatiques et attachants qui font face à des situations sociales réalistes. Des récits permettant de porter un point de vue sur le monde, sur des sujets de société qui nous sont chers. À cette base réaliste, la série Life is Strange ajoute une touche de surnaturel qui vient démultiplier les embûches auxquelles les

personnages sont confrontés. C’est donc à partir de cette réflexion de fond que sont nés Sean et Daniel Diaz. Nous souhaitions évoquer les notions d’exclusion systémique, de noyau familial, de ce que signifie vraiment trouver sa place dans une société qui nous rejette ou dans une famille qui nous est imposée. Comment naviguons-nous en tant qu’individus entre nos propres valeurs morales et celles sociétales, parfois complètement opposées ?

Édouard Caplain || senior concept artist Tout à fait, nous avions réussi le jeu précédent, et l’enthousiasme était très présent  ! Nous voulions confirmer, tout en corrigeant les erreurs du premier volet, faire mieux et plus beau encore. Nous souhaitions néanmoins conserver la même patte graphique pour que la proposition artistique soit cohérente, tout en affinant le rendu, qu’il s’agisse des lumières, des animations faciales ou des matériaux. Parmi les éléments caractéristiques de la licence se trouve précisément sa ligne artistique, la palette graphique faisant office de signature. Comment décrire la direction artistique de Life is Strange 2 ? Michel Koch Même si je suis très réceptif aux rendus photoréalistes et aux avancées techniques dans le monde du jeu vidéo, j’ai toujours eu un intérêt particulier pour les rendus plus stylisés ou picturaux. Un de mes jeux préférés en matière de direction artistique est The Legend of Zelda : The Wind Waker (2002), qu’aujourd’hui encore je trouve superbe, ni daté ni dépassé techniquement. C’est là la magie d’une direction artistique assumée qui a su faire de ses limitations des forces. De plus, ce type de rendu moins détaillé permet, selon moi, de projeter plus facilement son imaginaire dans l’univers dépeint. Pour reprendre l’exemple de The Wind Waker, quand je regarde l’océan et son aplat bleu céruléen simplement animé de quelques traits blancs pour signifier la présence des vagues, je suis immédiatement projeté dans une sensation d’océan, prêt pour un voyage en bateau  ! Je n’ai pas besoin de tous les reflets ou tous les détails de chaque particule d’écume pour partir à l’aventure et m’immerger complètement dans l’univers proposé. Les visuels respirent et laissent place à la libre interprétation.


ENTRETIEN STUDIO

Asobo A Plague Tale : Innocence

Concept arts. Life is Strange 2 Florent Auguy

Olivier Ponsonnet

directeur artistique et concept artist


ENTRETIEN STUDIO

Asobo A Plague Tale : Innocence

Concept arts. Life is Strange 2 Florent Auguy

Olivier Ponsonnet

directeur artistique et concept artist


Pour définir la fonctionnalité de la discipline, je dirais très simplement que partir d’une image pour expliquer un concept est un processus fédérateur : cela permet de fixer les idées et de solliciter la créativité de chacun à partir d’une base commune. L’écrit laisse en effet beaucoup de place à l’interprétation, ce qui constitue toujours un risque, tandis que définir des lignes directrices par l’image transmet à toute l’équipe le même niveau d’informations, assure d’avoir la même idée en tête et de converger. Et puis, n’oublions pas que le jeu vidéo est un médium visuel, on gagne une étape ! C’est en me mettant à la direction artistique de projet que m’est venue l’envie de faire du concept art : il est souvent bien plus facile de communiquer ses idées, surtout visuelles, en images, plutôt qu’avec de longs discours.

Les early concept arts mettent immédiatement en évidence deux éléments fondamentaux  : la relation fraternelle des personnages principaux, d’une part, et la cruauté de la situation, d’autre part. Ces notions et émotions particulières présentes dès vos premières recherches vous semblaient-elles garantes de la réussite de l’expérience ? Olivier Ponsonnet Tout à fait, cette relation frère-sœur face à la brutalité du monde qui les entoure a toujours été au cœur de nos recherches. Je repense à l’un des premiers concept arts que nous avons produits représentant Amicia et Hugo, tous deux cachés au premier plan dans une carcasse en décomposition, tandis qu’on aperçoit en fond une procession vers un gibet. Cette image constitue un excellent exemple de notre tentative de jouer de ce contraste esthétique. D’ailleurs, et toujours dans le but d’illustrer cette relation mais de manière moins brutale, un premier portrait représentant Amicia et Hugo a été réalisé assez tôt en phase de préproduction. Il la dépeignait protégeant Hugo en l’entourant de son bras, et c’est réellement ce qui a constitué le key art de nos débuts de conception ! C’est cette relation pleine de tendresse entre les deux personnages mais aussi cette tonalité sombre et mélancolique que nous recherchions pour le jeu. Itérer tout au long de la production à partir de ce visuel a clairement aidé à souligner et à communiquer l’importance de cette relation, et c’est cette même image qui a conduit à l’illustration de la boîte du jeu.

On découvre dans la documentation interne du studio un dossier intitulé « complicité » comprenant des déclinaisons visuelles d’interactions entre Amicia et Hugo. Considérez-vous alors le concept art comme l’outil permettant de créer une « unité de langage visuel », au service d’une idée ou d’une émotion ?

Sur quelle documentation historique l’équipe artistique s’est-elle fondée pour développer son univers ? Des historiens ont-ils été consultés pour conforter certaines décisions ? Olivier Ponsonnet Nous avons utilisé de nombreuses sources documentaires et visuelles. Des livres, évidemment, tels que Les Rois maudits de Maurice Druon ou le roman d’Umberto Eco Le Nom de la rose. Certains films historiques et séries télévisuelles se déroulant plus ou moins à cette période, à l’exemple de Black Death de Christopher Smith, Jeanne d’Arc de Luc Besson, The Witch de Robert Eggers ou encore l’adaptation du Trône de fer par HBO. Je pourrais également ajouter à la liste les films d’animation Ghibli, notamment Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata, mais aussi d’innombrables références sur Internet. Un historien nous a effectivement accompagnés en phase de préproduction pour valider certains de nos choix.

Olivier Ponsonnet C’est exactement cela. Les concept arts répondaient à une problématique simple, à savoir : comment faire percevoir le lien entre nos deux personnages principaux sans avoir à divulguer tout ou partie du scénario du jeu, lequel était d’ailleurs inachevé à l’époque. Des moments de rire ou d’entraide, Amicia qui apprend à Hugo à se servir d’une fronde, qui le porte sur ses épaules ou le berce dans ses bras pendant qu’il fait la sieste… Ces petites scènes immortalisant leurs instants de complicité nous paraissaient un moyen efficace et simple de faire comprendre le lien qui les unit et l’émotion que nous souhaitions transmettre dans notre jeu.

Des recherches de terrain sont-elles venues compléter la documentation historique en ressources visuelles ou topographiques ?

Alors que dans les jeux vidéo les représentations du Moyen Âge empruntent le plus souvent aux codes de la fantasy, vous avez très différemment opté pour une expression conjuguant réalisme et conte noir. Quel traitement de l’histoire médiévale recherchiez-vous ? Comment l'avez-vous traduit visuellement ?

Olivier Ponsonnet De fait, cette source d’inspiration des plus inattendues nous est venue directement de nos équipes. Nous avons la chance de vivre dans une ville et une région chargées d’histoire, et il arrivait souvent qu’un membre de l’équipe revienne après un weekend avec des photos d’un château ou d’un village médiéval visité la veille. Ce côté participatif complètement informel de la création a non seulement permis d’enrichir le visuel du jeu, mais également d’impliquer davantage les équipes dans la production d’A Plague Tale. Même si nous avions déjà sa trame visuelle et ses références principales, le jeu y a incontestablement gagné un supplément d’âme.

Olivier Ponsonnet Ce qui est certain, c’est que nous ne cherchions pas une approche documentaire, mais voulions plutôt utiliser ce contexte historique et social prégnant de la guerre de Cent Ans et de la peste noire du XIVe siècle comme toile de fond, ce qui nous a davantage rapprochés du conte noir. Les contes de Charles Perrault (Le Petit Poucet) et des frères Grimm (Hansel et Gretel, Le Joueur de flûte de Hamelin) nous avaient d’ailleurs inspirés pour la conception d’A Plague Tale : Innocence. Nous cherchions principalement à retrouver le côté brut et cru de cette époque pour contraster avec l’innocence de nos protagonistes. Néanmoins, les éléments réalistes dans la représentation de l’époque, à travers des anecdotes historiques ou des références architecturales, nous ont permis de donner du corps, de la crédibilité à notre jeu. Par ailleurs, immergés dans cette authenticité historique, les éléments les plus fantastiques deviennent presque plausibles.

Du domaine seigneurial au village typique du XIVe siècle, sans oublier les châteaux et la cathédrale, les environnements du jeu sont divers. De quelle manière avez-vous accompagné les phases de conception environnementale ? Olivier Ponsonnet

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Je m’y suis impliqué tout au long, de façon directe lors de la recherche de références visuelles et à travers la création des concept arts. Puis, plus indirectement par l’intermédiaire de feedbacks (retours critiques) sur les environnements 3D, en me focalisant en particulier sur la composition, le respect de la charte graphique et de l’éclairage.

Le langage architectural devait-il être représentatif d’un lieu et d'une époque donnés ? Des monuments existants ont-ils été reconstitués à l’identique au sein du jeu ? Je pense par exemple à la porte de Carcassonne qui semble avoir trouvé son homologue virtuel. Olivier Ponsonnet Nous souhaitions rendre hommage aux rues sinueuses, aux maisons non rectilignes, aux rafistolages avec des matériaux très simples présents à Bordeaux… En réalité, nous avons voulu casser les conventions des représentations architecturales médiévales : tous les villages de l’époque ne sont pas systématiquement constitués de maisons à colombage avec encorbellement ! Beaucoup dans la région « transpirent » le Moyen Âge si on peut le dire ainsi, sans présenter pour autant tous ces archétypes assez convenus. Nous avons entrepris d’importantes recherches pour tenter de retranscrire plutôt le « parfum de l’Histoire ». Nous nous sommes effectivement basés sur des monuments existants, certains à peine modifiés comme la façade de la cathédrale de Reims, la porte d’Aude de Carcassonne ou même la Grosse Cloche de Bordeaux. D’autres en revanche ont été inventés de toutes pièces comme les bâtiments de l'Inquisition qui sont une réinterprétation du style gothique présent dans la Sainte Chapelle de Paris, mais avec une polychromie architecturale rappelant les couleurs associées à l’Inquisition : blanc, noir et or.

Sachant que vous avez constaté la limitation des sources illustrées du XIVe siècle, où avez-vous puisé vos références artistiques pour la création d’A Plague Tale : Innocence ? Olivier Ponsonnet Effectivement, mais nous avons tout de même pu récupérer pas mal d’informations issues de vestiges de fresques ou d’enluminures pour crédibiliser notre univers, et surtout nous nous sommes inspirés de peintres classiques tels Claude Lorrain (1600–1682), Rembrandt (1606-1669), Johannes Vermeer (1632-1675) ou même Pieter Brueghel le Jeune (1564-1636). Plus généralement, tous les peintres qui se sont illustrés par la technique du clair-obscur nous ont inspirés, tant pour l’ambiance qui se dégage de leurs toiles que pour les émotions qu'elles provoquent. Pour ajouter du contraste à l’ensemble, nous avons également puisé chez des artistes plus contemporains tels que le peintre polonais Zdzisław Beksiński (1929–2005) ou le plasticien et designer Hans Giger (1940-2014).


Pour définir la fonctionnalité de la discipline, je dirais très simplement que partir d’une image pour expliquer un concept est un processus fédérateur : cela permet de fixer les idées et de solliciter la créativité de chacun à partir d’une base commune. L’écrit laisse en effet beaucoup de place à l’interprétation, ce qui constitue toujours un risque, tandis que définir des lignes directrices par l’image transmet à toute l’équipe le même niveau d’informations, assure d’avoir la même idée en tête et de converger. Et puis, n’oublions pas que le jeu vidéo est un médium visuel, on gagne une étape ! C’est en me mettant à la direction artistique de projet que m’est venue l’envie de faire du concept art : il est souvent bien plus facile de communiquer ses idées, surtout visuelles, en images, plutôt qu’avec de longs discours.

Les early concept arts mettent immédiatement en évidence deux éléments fondamentaux  : la relation fraternelle des personnages principaux, d’une part, et la cruauté de la situation, d’autre part. Ces notions et émotions particulières présentes dès vos premières recherches vous semblaient-elles garantes de la réussite de l’expérience ? Olivier Ponsonnet Tout à fait, cette relation frère-sœur face à la brutalité du monde qui les entoure a toujours été au cœur de nos recherches. Je repense à l’un des premiers concept arts que nous avons produits représentant Amicia et Hugo, tous deux cachés au premier plan dans une carcasse en décomposition, tandis qu’on aperçoit en fond une procession vers un gibet. Cette image constitue un excellent exemple de notre tentative de jouer de ce contraste esthétique. D’ailleurs, et toujours dans le but d’illustrer cette relation mais de manière moins brutale, un premier portrait représentant Amicia et Hugo a été réalisé assez tôt en phase de préproduction. Il la dépeignait protégeant Hugo en l’entourant de son bras, et c’est réellement ce qui a constitué le key art de nos débuts de conception ! C’est cette relation pleine de tendresse entre les deux personnages mais aussi cette tonalité sombre et mélancolique que nous recherchions pour le jeu. Itérer tout au long de la production à partir de ce visuel a clairement aidé à souligner et à communiquer l’importance de cette relation, et c’est cette même image qui a conduit à l’illustration de la boîte du jeu.

On découvre dans la documentation interne du studio un dossier intitulé « complicité » comprenant des déclinaisons visuelles d’interactions entre Amicia et Hugo. Considérez-vous alors le concept art comme l’outil permettant de créer une « unité de langage visuel », au service d’une idée ou d’une émotion ?

Sur quelle documentation historique l’équipe artistique s’est-elle fondée pour développer son univers ? Des historiens ont-ils été consultés pour conforter certaines décisions ? Olivier Ponsonnet Nous avons utilisé de nombreuses sources documentaires et visuelles. Des livres, évidemment, tels que Les Rois maudits de Maurice Druon ou le roman d’Umberto Eco Le Nom de la rose. Certains films historiques et séries télévisuelles se déroulant plus ou moins à cette période, à l’exemple de Black Death de Christopher Smith, Jeanne d’Arc de Luc Besson, The Witch de Robert Eggers ou encore l’adaptation du Trône de fer par HBO. Je pourrais également ajouter à la liste les films d’animation Ghibli, notamment Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata, mais aussi d’innombrables références sur Internet. Un historien nous a effectivement accompagnés en phase de préproduction pour valider certains de nos choix.

Olivier Ponsonnet C’est exactement cela. Les concept arts répondaient à une problématique simple, à savoir : comment faire percevoir le lien entre nos deux personnages principaux sans avoir à divulguer tout ou partie du scénario du jeu, lequel était d’ailleurs inachevé à l’époque. Des moments de rire ou d’entraide, Amicia qui apprend à Hugo à se servir d’une fronde, qui le porte sur ses épaules ou le berce dans ses bras pendant qu’il fait la sieste… Ces petites scènes immortalisant leurs instants de complicité nous paraissaient un moyen efficace et simple de faire comprendre le lien qui les unit et l’émotion que nous souhaitions transmettre dans notre jeu.

Des recherches de terrain sont-elles venues compléter la documentation historique en ressources visuelles ou topographiques ?

Alors que dans les jeux vidéo les représentations du Moyen Âge empruntent le plus souvent aux codes de la fantasy, vous avez très différemment opté pour une expression conjuguant réalisme et conte noir. Quel traitement de l’histoire médiévale recherchiez-vous ? Comment l'avez-vous traduit visuellement ?

Olivier Ponsonnet De fait, cette source d’inspiration des plus inattendues nous est venue directement de nos équipes. Nous avons la chance de vivre dans une ville et une région chargées d’histoire, et il arrivait souvent qu’un membre de l’équipe revienne après un weekend avec des photos d’un château ou d’un village médiéval visité la veille. Ce côté participatif complètement informel de la création a non seulement permis d’enrichir le visuel du jeu, mais également d’impliquer davantage les équipes dans la production d’A Plague Tale. Même si nous avions déjà sa trame visuelle et ses références principales, le jeu y a incontestablement gagné un supplément d’âme.

Olivier Ponsonnet Ce qui est certain, c’est que nous ne cherchions pas une approche documentaire, mais voulions plutôt utiliser ce contexte historique et social prégnant de la guerre de Cent Ans et de la peste noire du XIVe siècle comme toile de fond, ce qui nous a davantage rapprochés du conte noir. Les contes de Charles Perrault (Le Petit Poucet) et des frères Grimm (Hansel et Gretel, Le Joueur de flûte de Hamelin) nous avaient d’ailleurs inspirés pour la conception d’A Plague Tale : Innocence. Nous cherchions principalement à retrouver le côté brut et cru de cette époque pour contraster avec l’innocence de nos protagonistes. Néanmoins, les éléments réalistes dans la représentation de l’époque, à travers des anecdotes historiques ou des références architecturales, nous ont permis de donner du corps, de la crédibilité à notre jeu. Par ailleurs, immergés dans cette authenticité historique, les éléments les plus fantastiques deviennent presque plausibles.

Du domaine seigneurial au village typique du XIVe siècle, sans oublier les châteaux et la cathédrale, les environnements du jeu sont divers. De quelle manière avez-vous accompagné les phases de conception environnementale ? Olivier Ponsonnet

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Je m’y suis impliqué tout au long, de façon directe lors de la recherche de références visuelles et à travers la création des concept arts. Puis, plus indirectement par l’intermédiaire de feedbacks (retours critiques) sur les environnements 3D, en me focalisant en particulier sur la composition, le respect de la charte graphique et de l’éclairage.

Le langage architectural devait-il être représentatif d’un lieu et d'une époque donnés ? Des monuments existants ont-ils été reconstitués à l’identique au sein du jeu ? Je pense par exemple à la porte de Carcassonne qui semble avoir trouvé son homologue virtuel. Olivier Ponsonnet Nous souhaitions rendre hommage aux rues sinueuses, aux maisons non rectilignes, aux rafistolages avec des matériaux très simples présents à Bordeaux… En réalité, nous avons voulu casser les conventions des représentations architecturales médiévales : tous les villages de l’époque ne sont pas systématiquement constitués de maisons à colombage avec encorbellement ! Beaucoup dans la région « transpirent » le Moyen Âge si on peut le dire ainsi, sans présenter pour autant tous ces archétypes assez convenus. Nous avons entrepris d’importantes recherches pour tenter de retranscrire plutôt le « parfum de l’Histoire ». Nous nous sommes effectivement basés sur des monuments existants, certains à peine modifiés comme la façade de la cathédrale de Reims, la porte d’Aude de Carcassonne ou même la Grosse Cloche de Bordeaux. D’autres en revanche ont été inventés de toutes pièces comme les bâtiments de l'Inquisition qui sont une réinterprétation du style gothique présent dans la Sainte Chapelle de Paris, mais avec une polychromie architecturale rappelant les couleurs associées à l’Inquisition : blanc, noir et or.

Sachant que vous avez constaté la limitation des sources illustrées du XIVe siècle, où avez-vous puisé vos références artistiques pour la création d’A Plague Tale : Innocence ? Olivier Ponsonnet Effectivement, mais nous avons tout de même pu récupérer pas mal d’informations issues de vestiges de fresques ou d’enluminures pour crédibiliser notre univers, et surtout nous nous sommes inspirés de peintres classiques tels Claude Lorrain (1600–1682), Rembrandt (1606-1669), Johannes Vermeer (1632-1675) ou même Pieter Brueghel le Jeune (1564-1636). Plus généralement, tous les peintres qui se sont illustrés par la technique du clair-obscur nous ont inspirés, tant pour l’ambiance qui se dégage de leurs toiles que pour les émotions qu'elles provoquent. Pour ajouter du contraste à l’ensemble, nous avons également puisé chez des artistes plus contemporains tels que le peintre polonais Zdzisław Beksiński (1929–2005) ou le plasticien et designer Hans Giger (1940-2014).


Wonder Boy III : The Dragon’s Trap

LE PLUS IMPORTANT POUR MOI ÉTAIT DE RESTITUER LE TON DE CHAQUE NIVEAU, DE CHAQUE PERSONNAGE, NON PAS AU PIXEL PRÈS, MAIS PLUTÔT EN RAPPORT AVEC LE SOUVENIR QUE J’EN AVAIS.

Character designs. Wonder Boy III Ben Fiquet

Planche de character designs et sprites originaux. Wonder Boy III Ben Fiquet


Wonder Boy III : The Dragon’s Trap

LE PLUS IMPORTANT POUR MOI ÉTAIT DE RESTITUER LE TON DE CHAQUE NIVEAU, DE CHAQUE PERSONNAGE, NON PAS AU PIXEL PRÈS, MAIS PLUTÔT EN RAPPORT AVEC LE SOUVENIR QUE J’EN AVAIS.

Character designs. Wonder Boy III Ben Fiquet

Planche de character designs et sprites originaux. Wonder Boy III Ben Fiquet


The Game Bakers

Condamné à évoluer pour l’éternité dans les dix îles qui constituent sa prison, Rider dépérit dans la souffrance et l’humiliation. L’entrée en scène d’un mystérieux personnage vient cependant redistribuer les cartes : détaché de ses chaînes, sa liberté retrouvée, le guerrier déchu entame sa grande évasion et affronte un à un ses geôliers dans une valse avec la mort. Conçu par The Game Bakers, Furi est un jeu de combat de boss dont l’expérience tout entière est focalisée sur le rapport à l’adversité. Sa direction artistique, qualifiée par ses créateurs de cyber fantasy, prône quant à elle le non-réalisme : l’image vibre par ses aplats de couleurs et ses lumières radioactives tandis que le game design défie les lois de la nature. Prenant l’illustrateur japonais Yoji Shinkawa (Metal Gear Solid, Death Stranding) pour référence en matière de character design, le studio montpelliérain s’est associé au mangaka japonais Takashi Okazaki pour créer des personnages forts au style marqué. Audrey Leprince, Émeric Thoa et Simon Hutt Troussellier nous révèlent l’ensemble des inspirations ludiques et mythologiques qui gouvernent leur arène de conception.

De quelle manière vous êtes-vous rencontrés et comment le studio The Game Bakers est-il né  ? Audrey Leprince || productrice exécutive Émeric et moi nous sommes rencontrés à Ubisoft. Il était responsable conception de l’équipe éditoriale à Paris, et moi productrice sur un jeu à Shanghai où il s’est installé pour l’une de ses missions. Quelques années plus tard, alors que nous étions tous les deux prêts à quitter Ubisoft, nous avons décidé de lancer ensemble la grande aventure The Game Bakers. Nous souhaitions produire nos propres jeux, disposer d’une grande liberté créative, maîtriser tout le cycle de production et de distribution, mais aussi travailler avec de très petites équipes ultra-motivées par leurs jeux. C’est ainsi que nous avons cofondé The Game Bakers en 2010.

Sur quel type de projets travailliez-vous avant la fondation de votre studio et en quoi ont-ils influé sur votre production ultérieure ? Audrey Leprince 1. Le modèle freemium

est une stratégie commerciale qui vise à proposer un service gratuit et accessible au plus grand nombre, en incitant ses utilisateurs à acquérir ensuite une version améliorée payante de ce service. 2. Une boucle de gameplay

est constituée de trois éléments : un objectif ludique (la mission de jeu), un défi (la maîtrise de compétences d'exécution) et une récompense (le bénéfice de l'action engagée).

On travaillait tous les deux sur des jeux AAA console d’Ubisoft. Je venais de finir Tom Clancy’s End War (2008) après Rainbow Six ou Brothers in Arms, et Émeric avait contribué à beaucoup de grosses licences d’Ubisoft, notamment Tom Clancy’s Ghost Recon. Lui comme moi étions lassés du trop grand nombre de jeux militaires et de shooters, avec beaucoup trop de kaki et de gris. Nous avions besoin de nous ressourcer et voulions créer un jeu capable d’apporter quelque chose de nouveau sur les app stores. En 2011, les succès mobiles étaient Angry Bird et Fruit Ninja, et notre pari était que ces joueurs aspireraient à plus de gameplay, plus de profondeur… C’est comme ça qu’est né notre premier jeu, Squids : un RPG tactique accessible, une mécanique de contrôle parfaite pour les écrans tactiles, une aventure d’amitié, une quête épique, beaucoup de couleurs… et des poulpes !

La production de The Game Bakers s’est donc spécialisée en premier lieu dans le jeu vidéo mobile avec des titres comme Squids ou Combo Crew. Pourquoi ce choix ? Audrey Leprince

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Pour notre premier titre, le choix du mobile tenait au fait que nous étions fascinés par le développement de ce type de jeu et qu'il nous donnait la possibilité d’en compléter le budget en toute indépendance, l’app store garantissant notre liberté de nous autoéditer.

Nous avons ensuite continué à repousser les limites de ce que nous pouvions y apporter tout en construisant notre propre expérience et notre réputation.

Avec le titre Furi, vous avez opéré une transition vers le jeu vidéo sur console. Cette nouvelle direction était-elle motivée par votre pratique vidéoludique personnelle ? Audrey Leprince Effectivement, nous étions des joueurs console avant tout, et partagions avec Nam, notre directeur technique qui a rejoint le studio dès ses débuts, plus de vingt ans d’expérience dans le développement de jeux vidéo console. Toutefois, la raison pour laquelle nous avons pivoté vers le jeu PC et console tient au fait que nous n’étions plus vraiment équipés pour réussir sur le marché mobile. Entre 2010 et 2014, le modèle freemium1 avait complètement envahi les app stores, et les investissements marketing nécessaires pour être en mesure de rivaliser dans le type de jeux à produire ne correspondaient ni à nos envies ni à notre savoir-faire. Sur PC en revanche, et dans une moindre mesure sur console, il était encore possible de réussir avec des jeux indépendants payants et nous pouvions encore accéder à une multitude de publics comme de genres à explorer.

Quelles sont les particularités du studio The Game Bakers, tant du point de vue de la production que des équipes qui en ont la charge ? Audrey Leprince La principale particularité de The Game Bakers est que nous produisons des jeux originaux qui reposent d’abord sur le gameplay. Les deux ambitions que nous poursuivons dans nos créations sont, d’une part, d’innover – ne pas se contenter de reproduire des jeux existants – et, d’autre part, de concevoir des jeux autour des boucles de gameplay2 et des contrôles de jeu. Nous voulons que nos créations aient du sens et qu'elles marquent durablement la mémoire des joueurs et des joueuses. Elles dégagent une énergie positive grâce à une direction artistique vibrante pour parler de liberté, d’amitié, d’amour, de ce qui nous rend humains… La singularité de notre organisation est que nous travaillons tous à distance. Depuis la création du studio, les membres de notre équipe résident dans toute la France et dans le monde entier.


The Game Bakers

Condamné à évoluer pour l’éternité dans les dix îles qui constituent sa prison, Rider dépérit dans la souffrance et l’humiliation. L’entrée en scène d’un mystérieux personnage vient cependant redistribuer les cartes : détaché de ses chaînes, sa liberté retrouvée, le guerrier déchu entame sa grande évasion et affronte un à un ses geôliers dans une valse avec la mort. Conçu par The Game Bakers, Furi est un jeu de combat de boss dont l’expérience tout entière est focalisée sur le rapport à l’adversité. Sa direction artistique, qualifiée par ses créateurs de cyber fantasy, prône quant à elle le non-réalisme : l’image vibre par ses aplats de couleurs et ses lumières radioactives tandis que le game design défie les lois de la nature. Prenant l’illustrateur japonais Yoji Shinkawa (Metal Gear Solid, Death Stranding) pour référence en matière de character design, le studio montpelliérain s’est associé au mangaka japonais Takashi Okazaki pour créer des personnages forts au style marqué. Audrey Leprince, Émeric Thoa et Simon Hutt Troussellier nous révèlent l’ensemble des inspirations ludiques et mythologiques qui gouvernent leur arène de conception.

De quelle manière vous êtes-vous rencontrés et comment le studio The Game Bakers est-il né  ? Audrey Leprince || productrice exécutive Émeric et moi nous sommes rencontrés à Ubisoft. Il était responsable conception de l’équipe éditoriale à Paris, et moi productrice sur un jeu à Shanghai où il s’est installé pour l’une de ses missions. Quelques années plus tard, alors que nous étions tous les deux prêts à quitter Ubisoft, nous avons décidé de lancer ensemble la grande aventure The Game Bakers. Nous souhaitions produire nos propres jeux, disposer d’une grande liberté créative, maîtriser tout le cycle de production et de distribution, mais aussi travailler avec de très petites équipes ultra-motivées par leurs jeux. C’est ainsi que nous avons cofondé The Game Bakers en 2010.

Sur quel type de projets travailliez-vous avant la fondation de votre studio et en quoi ont-ils influé sur votre production ultérieure ? Audrey Leprince 1. Le modèle freemium

est une stratégie commerciale qui vise à proposer un service gratuit et accessible au plus grand nombre, en incitant ses utilisateurs à acquérir ensuite une version améliorée payante de ce service. 2. Une boucle de gameplay

est constituée de trois éléments : un objectif ludique (la mission de jeu), un défi (la maîtrise de compétences d'exécution) et une récompense (le bénéfice de l'action engagée).

On travaillait tous les deux sur des jeux AAA console d’Ubisoft. Je venais de finir Tom Clancy’s End War (2008) après Rainbow Six ou Brothers in Arms, et Émeric avait contribué à beaucoup de grosses licences d’Ubisoft, notamment Tom Clancy’s Ghost Recon. Lui comme moi étions lassés du trop grand nombre de jeux militaires et de shooters, avec beaucoup trop de kaki et de gris. Nous avions besoin de nous ressourcer et voulions créer un jeu capable d’apporter quelque chose de nouveau sur les app stores. En 2011, les succès mobiles étaient Angry Bird et Fruit Ninja, et notre pari était que ces joueurs aspireraient à plus de gameplay, plus de profondeur… C’est comme ça qu’est né notre premier jeu, Squids : un RPG tactique accessible, une mécanique de contrôle parfaite pour les écrans tactiles, une aventure d’amitié, une quête épique, beaucoup de couleurs… et des poulpes !

La production de The Game Bakers s’est donc spécialisée en premier lieu dans le jeu vidéo mobile avec des titres comme Squids ou Combo Crew. Pourquoi ce choix ? Audrey Leprince

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Pour notre premier titre, le choix du mobile tenait au fait que nous étions fascinés par le développement de ce type de jeu et qu'il nous donnait la possibilité d’en compléter le budget en toute indépendance, l’app store garantissant notre liberté de nous autoéditer.

Nous avons ensuite continué à repousser les limites de ce que nous pouvions y apporter tout en construisant notre propre expérience et notre réputation.

Avec le titre Furi, vous avez opéré une transition vers le jeu vidéo sur console. Cette nouvelle direction était-elle motivée par votre pratique vidéoludique personnelle ? Audrey Leprince Effectivement, nous étions des joueurs console avant tout, et partagions avec Nam, notre directeur technique qui a rejoint le studio dès ses débuts, plus de vingt ans d’expérience dans le développement de jeux vidéo console. Toutefois, la raison pour laquelle nous avons pivoté vers le jeu PC et console tient au fait que nous n’étions plus vraiment équipés pour réussir sur le marché mobile. Entre 2010 et 2014, le modèle freemium1 avait complètement envahi les app stores, et les investissements marketing nécessaires pour être en mesure de rivaliser dans le type de jeux à produire ne correspondaient ni à nos envies ni à notre savoir-faire. Sur PC en revanche, et dans une moindre mesure sur console, il était encore possible de réussir avec des jeux indépendants payants et nous pouvions encore accéder à une multitude de publics comme de genres à explorer.

Quelles sont les particularités du studio The Game Bakers, tant du point de vue de la production que des équipes qui en ont la charge ? Audrey Leprince La principale particularité de The Game Bakers est que nous produisons des jeux originaux qui reposent d’abord sur le gameplay. Les deux ambitions que nous poursuivons dans nos créations sont, d’une part, d’innover – ne pas se contenter de reproduire des jeux existants – et, d’autre part, de concevoir des jeux autour des boucles de gameplay2 et des contrôles de jeu. Nous voulons que nos créations aient du sens et qu'elles marquent durablement la mémoire des joueurs et des joueuses. Elles dégagent une énergie positive grâce à une direction artistique vibrante pour parler de liberté, d’amitié, d’amour, de ce qui nous rend humains… La singularité de notre organisation est que nous travaillons tous à distance. Depuis la création du studio, les membres de notre équipe résident dans toute la France et dans le monde entier.


Concept arts d'environnement. Personnage de « The Burst ». Furi Wardenlight Studio (en haut et p. droite)

Recherches d'environnement. Personnage de « The Burst ». Furi Simon Hutt Troussellier (en bas)

Character design. Personnage de « The Burst ». Furi Takashi Okazaki (ci-contre)


Concept arts d'environnement. Personnage de « The Burst ». Furi Wardenlight Studio (en haut et p. droite)

Recherches d'environnement. Personnage de « The Burst ». Furi Simon Hutt Troussellier (en bas)

Character design. Personnage de « The Burst ». Furi Takashi Okazaki (ci-contre)


IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO Qui sont les artistes et quels outils emploientils pour concevoir des univers graphiques à la fois originaux et fonctionnels ? C’est tout l’enjeu de l’étape décisive du concept art. À travers une grande richesse d’illustrations, une analyse détaillée et les interviews d’une vingtaine d’artistes français – issus de célèbres studios de développement comme Dontnod (Life is Strange), Lizardcube (Streets of Rage 4) et Asobo Studio (A Plague Tale : Innocence) –, ce livre d’art offre un regard transversal très éclairant sur cette discipline encore auréolée de mystère pour la majeure partie du public.

L’autrice

Dontnod Asobo Studio Magic Design DigixArt The Game Bakers Nova-box Lizardcube Motion Twin Spiders Un Je Ne Sais Quoi

LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

LE JEU VIDÉO AFFIRME UNE VÉRITABLE ESTHÉTIQUE. Comment se construit-elle ?

Entretiens exclusifs avec 10 studios français

IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO

LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

Marine Macq

Marine Macq est directrice et commissaire d’exposition de la galerie d’art vidéoludique Pixel Life Stories, créée en 2017. Chercheuse indépendante et vidéaste, elle s’intéresse à l’histoire du concept art et à la direction artistique de projets dans les domaines du jeu vidéo et du cinéma. Elle est par ailleurs chroniqueuse pour l’émission culturelle Jour de Play sur la chaîne Twitch d’Arte.

IMAGINAIRES DU JEU VIDÉO LES CONCEPT ARTISTS FRANÇAIS

éditions cercle d’art

Illustration de couverture par Sparth

ISBN 978 2 37784 197 4 44.90 euros

Marine Macq

éditions cercle d’art

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