Céline billard - Mémoire femmes architectes

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Comment expliquer que des femmes diplômées HMO ne se retrouvent pas inscrites dans l’Ordre des Architectes, aujourd’hui en France ? Comment exercent-elles ? Quittent-elles l’architecture ?

Céline Billard ● ENSA Lyon ● Master 1 ● Mai 2014 ● Sous la direction de Corine Vedrine


Remerciements

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais adresser mes remerciements aux personnes qui ont contribué à l’élaboration de ce mémoire de master. Tout d’abord, je tiens à remercier Corine Vedrine, ma directrice de mémoire, qui après m’avoir soutenue dans le choix de mon sujet, m’a guidée dans sa réalisation. Je remercie aussi Véronique Péguy et Christophe Boyadjian qui m’ont facilité la tâche pour entrer en contact avec les femmes HMO diplômées ou encore étudiantes. Ensuite, un grand merci à toutes les femmes architectes qui ont bien voulu m’accorder un peu de temps et se prêter au jeu de l’entretien. Merci à toutes celles qui ont pris le temps de répondre au questionnaire en ligne ou aux mails, que ce soit pour quelques phrases ou quelques pages. Un sujet comme celui n’aurait pas pu se traiter sans elles et je tiens à leur exprimer ma plus sincère reconnaissance pour leur enthousiasme et pour l’intérêt qu’elles ont porté à mon travail. Leur soutien est définitivement ce qui m’a motivée pendant le travail d’écriture. Si je devais exprimer un seul regret, c’est de ne pas avoir pu toutes les rencontrer. J’espère toutefois que la lecture de ce travail répondra à certaines de leurs interrogations. Je n’oublie également pas de remercier toutes les personnes qui m’ont aidées, de près ou de loin, à mener à bien ce travail à travers des remarques, des conseils ou des débats.

2 Remerciements

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Sommaire

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Remerciements

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Introduction

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PARTIE I. Socialisation et héritage A. Qu’est-ce que la socialisation ? B. Héritage social

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PARTIE 2. Quand la réalité du métier fait fuir A. A « White’s gentlemen Profession » : L’architecte dans l’imaginaire collectif B. Continuer le rêve jusqu’au diplôme C. Entrée dans le monde professionnel et HMO : le début du désenchantement D. La « claque » de la réalité

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PARTIE 3 : L’ordre et les femmes architectes

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L’Ordre des Architectes : une possibilité, pas une nécessité A. Pour quelle pratique de l’architecture a-t-on besoin de s’inscrire ? B. L’image de l’Ordre : un bilan mitigé C. Au final : pourquoi s’inscrire ?

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Etre une architecte aujourd’hui A. Etre une femme et une architecte, pas que des inconvénients B. Le salariat comme la prolongation du schéma du foyer C. Ces femmes qui se lancent D. La diversification professionnelle comme réponse à la crise de l’emploi

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Mère et architecte. La difficulté de cumuler deux emplois. A. Quand les aspirations personnelles se heurtent à un « métier chronophage » B. Le choix de l’exercice en fonction de la famille

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Conclusion Bibliographie Annexes TABLES DES FIGURES TABLES DES Matières

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3 Sommaire

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Introduction

La profession d’architecte, bien qu’elle existe depuis les premières constructions monolithiques, est majoritairement exercée par des hommes, en France. En 1960, les femmes ne représentaient que 0.8% des architectes inscrits à l’Ordre des Architectes. Ce n’est qu’à partir de la réforme dite « Malraux » de 1968 que le système d’enseignement s’ouvre officiellement aux femmes, d’après le sociologue Olivier Chadoin. Il a permis aux femmes de pouvoir intégrer les ateliers d’architecture, lieu d’apprentissage des normes et des valeurs propres à la profession1. En conséquence, depuis 1970, le nombre de femmes architectes augmentent. En 1977, 15% de femmes étaient diplômées en architecture (DPLG) tandis qu’en 1993, elles étaient 49%. Le métier d’architecte est historiquement masculin. Il se traduit par des codes, des méthodes, des valeurs ainsi que des logiques comportementales qui sont l’apanage du genre masculin. Le métier d’architecte nécessite une certaine aisance, une capacité à défendre son projet, à le vendre qui sont autant de qualités appartenant aux personnalités politiques, qualités considérées comme masculines. L’entrée des femmes dans la profession d’architecte a bousculé ces codes, puisqu’il ne s’agit pas du genre féminin « normé ». La difficulté de la féminisation de la profession réside donc dans le fait que les femmes doivent transgresser les codes traditionnels féminins, ce que la société n’est pas prête de laisser faire. C’est pour cette raison qu’aussi peu de femmes ont réussi à intégrer le star-system architectural à l’instar de Zaha Hadid ou Odile Decq. Pour permettre la cohérence entre les rôles de ses différents acteurs, la représentation de la profession a été redéfinie. Les femmes ont rarement eu la possibilité, au début, d’exercer le métier d’architecte en étant à leur compte, en libéral. Elles se sont alors reportées sur des postes annexes à l’architecture, en salariat, moins valorisés par les acteurs de la profession. Les missions qui leur sont confiées portent des valeurs et logiques considérées comme historiquement féminines : l’aménagement intérieur, la décoration, l’architecture domestique. (Chadoin, 2007). Cette diversification de la profession concerne 33% des hommes contre 43 % des femmes.2 L’étude sur la féminisation de la profession d’ARVHA va également dans ce sens puisqu’elle illustre la sexualisation de la répartition des postes ; on constate qu’une majorité de femmes ont des emplois administratifs et techniques ou de type secrétariat tandis que seulement une minorité se retrouve dans les professions liées aux 1 Construction sociale d’un corps professionnel et féminisation : le cas des métiers d’architecture au tournant des années 1990, Olivier Chadoin, revue Interrogations, Numéro 5, 2007. 2 ARVHA (Association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat), http://www.egalite-profemme-archi.eu/

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travaux ou chantier. Dans une étude menée par Olivier Chadoin3, en 2007, les femmes étaient également moins nombreuses à exercer en libéral ou en association (respectivement 49,3% et 26,4%) contre 55,7% et 29,4% chez les hommes. Elles sont par contre plus nombreuses à être salariée et fonctionnaires. 6,2% d’entre elles exercent en salariat et 5% sont fontionnaires contre 3,1% et 3,2% des hommes. La féminisation de la profession a donc été une source de diversification interne des fonctions et des modes d’exercice dans la profession. Cette diversification est soumise à un jugement de valeur. Le métier d’architecte en titre, exercé en libéral, majoritairement par les hommes donc, est considéré comme « noble » tandis que les salariées, majoritairement féminines, sont « décadentes ». Les « différences de genre » prennent ainsi la forme d’une hiérarchisation symbolique et matérielle des activités, ce qui signifie que la division sexuelle du travail implique un rapport de pouvoir et donc une domination masculine. Le type d’exercice de la profession n’est pas le seul marqueur de la domination masculine. Les femmes sont également celles qui ont le plus faible coefficient hiérarchique. Les professions ayant un coefficient supérieur à 370, c’est-à-dire l’ensemble des professions dites « cadres » regroupent 19,1% des Femmes contre 35,1% des Hommes. A l’inverse, les professions inférieures au coefficient de 370 regroupent 72,4% des Femmes et 45,5% des hommes. Les femmes sont donc moins nombreuses à accéder aux postes à responsabilités. Une deuxième tendance est liée au problème de l’écart important dans l’activité. En effet, le chiffre d’affaires des entreprises gérées par les hommes dépassent le million d’euros pour 52% d’entre eux contre 17.60% des entreprises gérées par les Femmes. Et 70% des femmes génèrent un chiffre d’affaire inférieur à 250000 € contre seulement 23% des Hommes. On peut expliquer ces chiffres par le type de projet sur lequel s’orientent les femmes, qui sont des projets de plus petite envergure, contrairement à ceux des hommes. Cependant, la loi sur l’égalité professionnelle a été fixée par le décret du 7 juillet 2011 (2011-822). Malgré ce dispositif, les inégalités demeurent. Les femmes architectes subissent toujours certaines logiques inégalitaires de considération. Les chiffres soulignent également une certaine logique inégalitaire de rémunération. Les salaires des architectes, par exemple, affichent des écarts de 500 € (pour la frange basse) à 1000 € par mois (pour la frange haute) entre hommes et femmes. Malgré ces résultats peu encourageants, la féminisation de la profession continue. Aujourd’hui, les étudiantes qui entrent en école d’architecture sont plus nombreuses que leurs homologues masculins. La promotion des Licences 1 de l’ENSAL en 2011 comptait environ 80 étudiantes pour une trentaine d’étudiants. 3 CHADOIN Olivier, EVETTE Thérèse, Statistiques de la profession d’architecte 1998-2007, http://goo.gl/7iU5wy

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Les femmes inscrites à l’Ordre des Architectes sont en 2007 plus de 6 000 et les hommes 23 373. Leur part dans les effectifs inscrits à l’ordre est passée de 7,5% en 1983 à 11,70% en 1990 et 20,4% en 2007. Les étudiantes ayant obtenu leur Habilitation à la Maitrise d’Œuvre représentent entre 39 à 48 % des diplômés depuis 1994/954, mais seulement 28 à 30 % des nouveaux inscrits depuis 1999.

Comment expliquer que des femmes diplômées HMO ne se retrouvent pas inscrites dans l’Ordre des Architectes, aujourd’hui en France ? Comment exercent-elles ? Quittent-elles l’architecture ?

A.

Premières hypothèses

Une première hypothèse pourrait être liée au coût de la cotisation annuelle croisé à des difficultés d’insertions professionnelles, notamment chez les HMO. Le taux de chômage est ainsi plus élevé chez les femmes que chez les hommes inscrits à l’Ordre des architectes. Ces difficultés concernent 32,5% des femmes contre 8,5% des Hommes. Selon l’étude d’ARVHA de 2011 qui a recueilli les données de 65 agences, dirigées par 87 personnes majoritairement de sexe masculin (33 femmes pour 54 Hommes), une majorité de femmes dirigeantes ont entre 25 et 55 ans tandis que la majorité des dirigeants hommes ont entre 55 ans et plus. La population vieillissante et majoritairement masculine de l’Ordre des Architectes est peut être une des raisons qui poussent les femmes HMO à ne pas s’inscrire. Enfin, on peut également supposer une raison plus personnelle de la part de ses femmes HMO, qui se caractérise par la peur d’assumer des tâches trop « masculines » ou bien une désinformation de la réalité professionnelle au moment des études qui les déstabilisent une fois qu’elles y sont confrontées.

B. Méthodologie Ce travail de recherche a été réalisé en trois temps. Dans un premier temps, il a été question de faire le bilan de la situation actuelle et ainsi rassembler tous les documents sur le sujet comme les statistiques du Conseil National de l’Ordre des Architectes ou le compte rendu de l’Observatoire régional des débouchés (études régionales d’insertion professionnelles des étudiantes en Architecture). Ces documents n’abordent que très peu la question de la féminisation de la profession. En effet, si ces documents donnent des chiffres qui permettent d’évaluer la situation, aucune réponse n’est donnée pour expliquer le phénomène. 4 Olivier Chadoin et Thérèse Evette : Statistiques de la profession d’architecte 1998-2007 (http://goo.gl/7iU5wy)

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Un deuxième temps d’apprentissage de notions théoriques a alors été nécessaire. Il m’a fallu apprendre sur la femme, sur le genre, sur la domination masculine. J’ai ainsi lu beaucoup de travaux de recherches de sociologues sur la féminisation de la profession d’Architecte, ou d’autres professions. J’avais toutes les clefs pour analyser et comprendre le phénomène sauf une : ce que la femme architecte vivait vraiment. Un troisième temps était indispensable : il fallait que je rencontre ces femmes architectes. Mon panel inclut ainsi les femmes étudiantes prochainement habilitées à la maitrise d’œuvre de la promotion 2014 de l’ENSA de Lyon, ainsi que les cinq dernières années de diplômées de cette même école. Par la suite, j’ai eu aussi la nécessité de rencontrer des femmes qui étaient plus expérimentées pour connaitre leur point de vue. Toutes mes demandes ont été faites par email en proposant soit un rendez-vous, soit de répondre à un questionnaire en ligne (voir Annexes 1 et 2) si elles manquaient de temps.

Graphique 1: Récapitulatif des femmes architectes contactées par promotion et types de réponses

Graphique 2: Pourcentages de femmes architectes contactées par promotions et types de réponses.

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De cette façon, j’ai pu obtenir 18 réponses, dont 2 qui étaient des entretiens pour les 56 étudiantes de la promotion 2014 contactées, ainsi que 41 réponses, dont 10 entretiens sur 168 femmes architectes contactées. Etant donné que les femmes architectes que j’ai rencontrés avaient toutes des parcours différents, il n’y avait pas de questions « figées». Cependant j’ai conservé les mêmes thématiques lors de tous mes entretiens. Les questions posées abordaient ainsi leur parcours scolaire, la raison de leur volonté de passer la HMONP en continuité ou non de leur cursus scolaire. Par la suite, j’ai questionné leur parcours professionnel post-HMO, leur volonté et/ou possibilité d’évolution de carrière et leur volonté d’exercer en libérale si ce n’est pas déjà le cas. Il était également important, au vu des premières réponses que j’ai pu avoir, de questionner le lien entre leur carrière et leurs aspirations personnelles : leur volonté d’avoir des enfants, du temps libre, etc. La question de la maternité est une hypothèse à laquelle je n’avais pas pensé mais elle est rapidement devenue une réponse à ma problématique. De même, c’est grâce aux premiers entretiens réalisés que j’ai compris le fossé qu’il y a entre la réalité professionnelle et ce que l’on nous enseigne en école d’architecture. Enfin, je récoltais leurs impressions sur la différence qu’il y avait entre hommes et femmes dans le métier d’architecte, aussi bien à l’intérieur du métier (entre « confrères ») qu’à l’extérieur avec tous les autres acteurs et actrices de l’architecture. C’est en allant à la rencontre de ces femmes architectes que j’ai pu naturellement dégager des pistes de réponses à ma problématique. Une courte première partie permettra de poser les bases et explorera la construction de l’individu par la socialisation. Dans cette partie, nous aborderons également l’héritage que les femmes architectes ont reçues des précédentes générations. La seconde partie traitera de la réalité du métier comparé aux études en architecture. Enfin, la dernière partie évaluera l’intéret de s’inscrire à l’Ordre et explorera les différences entre les hommes et les femmes qui partagent le même métier d’architecte. Il me semblait aussi évident de devoir aborder la thématique de la maternité, qui constituera la dernière partie de ce mémoire : comment peut-on être à la fois une mère et être une femme architecte ?

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C. Attendus La visée principale de ce travail de recherche est de comprendre le phénomène de l’évitement du mode d’exercice en libérale, et donc de la non nécessité de l’inscription à l’Ordre des Architectes par les femmes architectes diplômées HMO. Très peu d’informations sont disponibles sur le sujet. Les quelques dossiers qui abordent cette thématique se contentent de chiffres sans aller à la rencontre de ces femmes. L’ambition de ce travail a donc été de créer des temps d’échange avec des femmes architectes afin de répondre à cette problématique. Ce mémoire de recherche est l’opportunité d’approfondir un sujet qui me passionne et qui plus est, est d’actualité. J’ai eu la chance de rencontrer des femmes tout aussi intéressées que moi par cette question. J’ai ainsi pris conscience que ce travail peut dépasser le simple travail académique. Mon ambition pour ce mémoire est autant d’apporter une réponse à cette problématique que des réponses aux personnes qui s’y sont intéressées.

Tous les prénoms mentionnés dans ce mémoire ont été modifiés pour assurer la confidentialité des témoignages. Ils seront néanmoins suivis d’un astérisque pour le rappeler.

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« Partie

I.

Il est très difficile à une femme d’agir en égale de l’homme tant que cette égalité n’est pas universellement reconnue et concrètement réalisée. (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, tome 1)

Socialisation

et

héritages

Pourquoi les femmes diplômées HMO s’inscrivent moins à l’Ordre des Architectes que les Hommes ? Une des premières pistes à creuser quand on se pose la question d’une différence entre femmes et hommes, c’est la culture dans laquelle ces filles et garçons vont être immergés pendant leur développement jusqu’à l’âge adulte. Je pense qu’il est important de commencer par ce chapitre sur la question de la socialisation et du genre parce que c’est une clef qui permettra de décrypter le reste de ce travail. Ensuite, nous étudierons les évènements qui ont fait évoluer la place de la femme dans la société et au sein de la profession d’architecte qui constituent l’héritage des femmes architectes aujourd’hui.


A.

Qu’est-ce que la socialisation ?

La socialisation est un processus par lequel un individu intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s’intègre dans la vie sociale. La socialisation différentielle explique que tous les individus ne sont pas socialisés de la même manière selon leurs caractéristiques personnelles ou le milieu social dans lequel ils évoluent. La socialisation différentielle joue un rôle important dans l’inégalité entre hommes et femmes et dans leur façon de s’intégrer dans la sphère professionnelle. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont façonnés selon des stéréotypes de genre. « Si l’on projette à vingt adultes le film d’un bébé qui pleure en leur demandant : « Pourquoi cette petite fille pleure-t-elle ? », tous répondent : « Parce qu’elle est triste. » Si, à partir du même film, on leur demande : « Pourquoi ce petit garçon pleure-t-il ? », la réponse est immédiate : « Parce qu’il est en colère. » 1 Les adultes vont associer une image du genre qu’ils ont intégrée eux-mêmes par le biais de la socialisation à des jeunes enfants. Ainsi, si le bébé est une fille, une image féminine plus douce lui est associée tandis que si le bébé est un garçon, il va s’agir de l’affirmation de sa personnalité d’homme. Ainsi, on va apprendre aux enfants des normes et des valeurs comme par exemple la sensibilité aux filles et la virilité aux garçons. Les stéréotypes de genres sont liés à la socialisation. La question du genre est importante. Le genre est un concept issu de l’anglais « gender » et des théories féministes. Il existe trois théories sur le genre mais la plus admise en sciences sociales explique le phénomène par la théorie de la construction sociale : c’est la société qui fabrique l’Homme. La socialisation va permettre l’intégration de ce concept de genre grâce à la société elle-même. C’est un système qui fonctionne en vase clos : la société produit des images stéréotypées largement véhiculées en son sein. Que ce soit les jeux pour enfants, les films, les séries, les publicités, etc. : tout est stéréotypé selon un modèle social, celui du patriarcat et de la domination masculine (Bourdieu, 1998). « La société contraint les sexes à des rôles qui apparaissent aller tellement de soi qu’on les a naturalisés » (Bourdieu, 1998) 1 Alain Braconnier, psychanalyste, in Le Sexe des émotions (Odile Jacob, 2000)

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L’idéologie traditionnelle et patriarcale en France s’est installée depuis la Révolution Française jusqu’aux révolutions des années 60. Cette idéologie soutenait que «les hommes et les femmes disposaient de capacités et de qualités naturellement et définitivement différentes, lesquelles commandaient légitimement qu’ils réalisent des tâches différentes au sein de la société.1» Les femmes étaient donc naturellement placée comme des mères et prodiguaient les soins, l’éducation des enfants et l’entretien du foyer. Les hommes, en revanche effectuaient les travaux de production et de force. Il était également dans leur «nature» d’effectuer tout ce qui avait attrait à la science et aux techniques. Les hommes dominaient ainsi l’espace public et la sphère professionnelle. Cette idéologie a aussi mis en place «un registre de genre» qui sont toutes les valeurs, les logiques et les attitudes. Il existe deux registres : le féminin et le masculin. 1 ARVHA - Egalité professionnelle Femmes Hommes dans les agences d’architecture, novembre 2012

Ainsi, les hommes et les femmes vont adopter des comportements différents parce qu’ils ne sont pas socialisés de la même manière. Les femmes, éduquées depuis leur plus jeune âge à exercer les fonctions domestiques et parentales, travaillent en moyenne deux heures de plus que les hommes par jour, quand on compte travail rémunéré, travail domestique et travail parental. On comprend aisément que la socialisation amène les femmes à anticiper leur futur rôle maternel et ainsi, choisir majoritairement un métier qui puisse concilier vie familiale et vie professionnelle. Heureusement, la société n’est pas la seule à entrer en ligne de compte dans la construction de l’individu, même si elle donne une tendance générale. En effet, le milieu social dans lequel celui-ci évolue, c’est-à-dire la sphère privée, permet d’avoir une éducation qui diffère parfois des stéréotypes.

Pour conclure cette partie, il faut retenir qu’à cause de la socialisation, les femmes ne jouent pas sur un même pied d’égalité que les hommes. Comme il a été dit précédemment, cette partie est une clef pour comprendre le reste de ce travail. On reviendra ainsi sur comment la construction sociale peut expliquer pourquoi les femmes ne sont pas plus nombreuses à s’inscrire en HMO ponctuellement tout au long de cette étude. On a vu que le processus de socialisation intériorise la culture de la société, cependant cette dernière a évolué et évolue encore. Dans la prochaine partie, nous allons faire un rapide tour d’horizon des évènements qui ont fait évoluer la place de la femme dans la société et au sein de la profession d’architecte puisque cela constitue l’héritage des femmes architectes aujourd’hui.

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B. Héritage social

a) L’éducation des femmes : un long parcours

L’éducation des femmes n’intervient qu’à partir de la Réforme Protestante de Luther et Calvin au XVème qui est synonyme d’un début d’alphabétisation. Ce qui leur est enseigné cependant est restreint puisqu’il s’agit de leur fournir une éducation religieuse qui suit donc le modèle patriarcal. La société refuse déjà ce début d’éducation et se moque ouvertement de ces femmes, en témoigne l’œuvre de Molière, Les précieuses ridicules. Ensuite, même si pendant le siècle des Lumières, le courant humaniste place l’Homme au centre de ses préoccupations, il n’a que peu à faire de la femme qui reste sous considérée. Il a fallu attendre deux siècles supplémentaires après les Lumières pour qu’on commence à parler d’égalité entre les sexes dans les lois. Ainsi, c’est seulement en 1861 que la première française (JulieVictoire Daubié) devient bachelière et seulement en 1875 qu’une femme (Madeleine Brès) accède à un haut diplôme : celui de docteur en médecine. C’est ainsi au XIXème siècle que le système éducatif s’ouvre aux femmes de manière marginale. La loi Sée institue un enseignement secondaire féminin d'Etat. Ainsi, dans un texte écrit par Camille Sée en 1980, on peut lire : « (...) Beaucoup de jeunes filles seraient capables, sans doute, de suivre jusqu'au bout et avec succès tout le programme des lycées ; mais il ne s'agit pas de leur donner toutes les connaissances qu'elles sont aptes à acquérir ; il faut choisir ce qui peut leur être le plus utile, insister sur ce qui convient le mieux à la nature de leur esprit et à leur future condition de mère de famille, et les dispenser de certaines études pour faire place aux travaux et aux occupations de leur sexe.» Ainsi, la loi Camille Sée du 21 décembre 1880, donne naissance à des établissements scolaires laïques de type externat pour jeunes filles qui diffusent une plus large instruction, mais qualitativement moins bonne que celles des hommes. L’enseignement des filles ne sera plus lié à l’Église : la religion disparaît au profit de la morale. Trente-trois mille jeunes filles suivent ces enseignements à la veille de la Première Guerre Mondiale. La mixité dans les écoles ne sera pas atteinte avant la Vème république. C’est seulement en 1924 que les programmes scolaires masculins et féminins sont uniformisés et qu’un baccalauréat unique est créé. En 1976, la mixité devient obligatoire pour tous les établissements scolaires publics.

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b) Vie familiale et parentalité

La place de la Femme est directement liée aux transformations de la famille. Entre le Moyen Age et le XVIIIème siècle, les femmes sont dépourvues de vie sociale et vouée à leur vie familiale. Les rapports entre époux et enfants n’ont rien d’affectif mais sont régies par des liens économiques et patrimoniaux ainsi que des rapports d’autorité entre les sexes. Les femmes sont subordonnées à leurs maris et s’occupent des tâches ménagères. Il a fallu attendre le siècle des Lumières au XVIIIe pour que les relations familiales commencent à se transformer et ainsi permettre la création de l’identité de la Femme. La cellule familiale prend ainsi de l’importance sur les rapports sociaux de voisinage. La vie familiale devient privée, liée au concept de « maison » et de « foyer ». La femme obtient réellement son rôle de mère. Cette conception de la famille demeure inchangée aujourd’hui. Le Code civil (1804) Ce texte maintient les droits de divorce acquis en 1792 et ceux du XVIIIème siècle comme la laïcité. Cependant, il conserve l’inégalité entre les sexes. En effet, il affirme « l’incapacité juridique de la femme, passant de l’autorité de son père à celle de son mari à qui elle doit obéissance » (article 213 Il faut attendre 1938 pour que l’article 213 du Code civil soit réformé et supprime l’incapacité juridique des femmes.

L’évolution de la femme passe par l’évolution de la cellule familiale. Ainsi, en 1792, le divorce est autorisé, mais seulement par consentement mutuel. En 1804, il est écrit dans le code civil que « le mari doit protection à la femme, la femme doit obéissance à son mari ». Il faudra attendre le XXème siècle pour connaitre d’autres avancées majeures notamment, la suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée en 1938. En 1970, le terme de « puissance paternelle » est remplacé par « l’autorité parentale » dans les textes de lois. Puis en 1984 le congé parental est autorisé à chacun des parents. La loi du 8 janvier 1993 affirme « le principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard de tous les enfants, quelle que soit la situation des parents (mariés, concubins, divorcés, séparés) » Des dispositifs récents ont été pris pour rendre possible l’égalité au sein de la famille comme la création du congé de paternité en 2002, qui s’accompagne de la reconnaissance de l’autorité parentale conjointe, de la garde alternée et de la coparentalité. L’enfant peut porter le nom de ses deux parents. Fonder une famille est aujourd’hui un choix. Les avancées en termes de contraception et d’avortement ont favorisé l’accès des femmes au domaine professionnel. En 1920, la loi assimilait encore contraception et avortement. A cette date, l’avortement était considéré comme un crime. En 1967, la loi de Neuwirth autorise la contraception tandis que la loi Veil est créée en 1975 et permet à la femme de disposer de son corps. Cette intervention deviendra remboursable par la sécurité sociale en 1982.

14 Socialisation et héritages

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c) Parité

La parité constitue le fondement des politiques de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Les premières femmes féministes apparaissent en 1791. Olympe de Gouges réclame l'égalité politique entre hommes et femmes dans sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui stipule dans son article 1 : « La femme nait libre et égale à l'homme en droits ». Elle est guillotinée deux ans plus tard. En 1908, à l’image des Suffragettes anglaises, la première action des suffragettes françaises revendiquent des droits nouveaux qui s'inspirent des idées de la Révolution Française. Elles veulent faire évoluer la condition, les droits et les pouvoirs des femmes. Les femmes n’intègreront l’environnement professionnel que pendant l’industrialisation au XIXème siècle. Elles travaillent alors pour la première fois à l’extérieur de la cellule familiale en tant que salariées et reçoivent un salaire d’appoint, inférieur à celui des Hommes. Il se pose alors la question de la compatibilité entre avoir un salaire et être une épouse et une mère. Depuis le XXème siècle, plusieurs lois ont eu pour but de réduire les inégalités salariales, de l’emploi, de l’éducation ou liée à la représentation des femmes dans le domaine politique et économique. Ainsi, depuis 1907, les femmes peuvent disposer librement de leur salaire. Les femmes obtiennent le droit de vote et sont elles-même éligibles depuis 1944. L’égalité des droits entre femmes et hommes s’inscrit dans le préambule de la Constitution en 1946. La même année a lieu la suppression du « salaire féminin ». Ensuite, en 1965, on accorde aux femmes mariées la liberté d’exercer une profession sans l’accord de leur mari. Le principe « à travail égal, salaire égale » est retenu en 1972. Onze ans plus tard, en 1983, la loi Roudy pose le principe de l’égalité professionnelle entre les deux sexes, puis une loi relative à l’égalité salariale vient compléter la précédente en 2004. Il faut retenir ici que l’égalité entre les sexes, revendiquée officiellement par les femmes depuis au moins le XVIIIème siècle n’a pas encore été concrètement réalisé. De plus, il faut prendre en compte la récence des modifications relatives à la notion de parité qui datent seulement du XXème siècle. Nous allons maintenant nous intéresser plus directement à la question de la femme en tant qu’architecte. Les femmes représentent aujourd’hui plus de la moitié des effectifs étudiants dans les écoles d’architecture. Il est nécessaire de retracer l’évolution historique de la féminisation dans les écoles, de manière générale, pour comprendre que ce phénomène est récent également.

15 Socialisation et héritages

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d) Histoire des femmes en écoles d’architecture

Le diplôme d’architecte était délivré au XIXème siècle par deux écoles : l’école centrale d’architecture 1 et l’école des beaux-arts. Pour être admise dans cette dernière, il fallait effectuer un premier temps d’apprentissage dans des ateliers dit « extérieurs » ou « libres » puis passer un concours. En 1898, Julia Morgan, une américaine, est la première femme qui a réussi à entrer en 2ème classe : le premier niveau d’études à l’école des Beaux-Arts. Ainsi, de la fin du XIXème siècle à 1918, les pionnières sont majoritairement étrangères. De la même façon pour l’école centrale d’architecture que Laura White, une américaine également, intégrera en 1883. La première femme française qui sera admise à l’école nationale d’architecture est Juliette Biard ; elle est admise en 1913. Son inscription va avoir un retentissement même au-delà des frontières puisqu’elle reçoit des félicitations venant de l’Angleterre. Elle ne sera diplômée qu’en 1920 car les cours ont été suspendus pendant la guerre de 1914 à 1918 2. Les premières femmes diplômées sont en revanche françaises. Adrienne Lacourrière à l’ESA en 1910 et Jeanne Besson-Surugue en 1923 à l’Ecole des Beaux-Arts. Les textes réglementaires ne mentionneront explicitement la possibilité aux deux sexes de suivre l’enseignement de l’Ecole qu’à partir de 1916. Jusqu’à cette date, les textes distinguent les candidats libres et les réguliers, les candidats étrangers et les nationaux 3. On trouve très peu de chiffres concernant les femmes ayant intégré par la suite les écoles d’architectures mais elles seraient une cinquantaine admises à l’ESA entre 1918 et 1945 et 82 à l’école des Beaux-Arts entre 1918 et 1929. Entre 1945 et 1961, les admissions sont beaucoup plus nombreuses. On compte ainsi 170 femmes pour l’ESA. Ce chiffre est à relativiser car sur cette même période, l’effectif étudiant de cette école à doubler4. En 1960, les femmes ne représentaient que 0.8% des architectes inscrits à l’Ordre. En 1968, le ministre de la culture (André Malraux), décide de séparer l'architecture de l’école des Beaux-Arts qui la freinait dans son évolution. L’ancien système se fragmente pour laisser place aux « Unités Pédagogiques d'architecture (UPA) ». La volonté du gouvernement était alors de redonner un nouveau souffle aux écoles d’architecture en développant dans chacune 1 L’école centrale d’architecture, fondée en 1865, prend le nom d’école spéciale d’architecture en 1870 2 Juliette Biard, première femme architecte, http://www.ina.fr/video/RCF07002127 3Les pionnières de l’architecture : premières femmes à l’ESA, Anne Chaise, Mars 2008 4 Mesnage Stéphanie, Eloge de l’ombre, d’après les recherches de Lydie Mouchel « Femmes architectes, une histoire à écrire » DEA histoire socioculturelle sous la direction d’Anne-Marie Chatelet, 2000

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des caractéristiques propres à la région ou aux enseignements dominants, des liens entre écoles parisiennes et de provinces et surtout un « enseignement adapté à son temps » . C’est la fin du numérus clausus. Le système d’enseignement ainsi ouvert, il crée beaucoup de nouvelles places dans les UPA et permet aux femmes d’accéder à la formation d’architecte en plus grand nombre (Chadoin, 2002). En conséquence, depuis 1970, le nombre de femmes architectes augmente. En 1973, elles représentent 3% des architectes inscrits à l’Ordre et 11% des nouveaux effectifs de diplômés (Nogue, 2002). En 1977, 15 % de femmes étaient diplômées en architecture (DPLG) tandis qu’en 1993, elles étaient 49%. En 2014, si tout se passe bien, c’est 95 femmes sur 169 étudiants soit 58% d’étudiantes qui devraient recevoir leur diplôme de master en Architecture (le dernier diplôme DPLG ayant été délivré en 2007 avant de s’aligner sur le système LMD (Licence-Master-Doctorat) européen). De même, c’est 52 femmes sur 101 étudiants soit 51% de femmes qui seront diplômées HMONP. Il faut comprendre ici que le phénomène est très récent. Le nombre de femmes diplômées en architecture n’a atteint la –presqueégalité il y a seulement vingt ans et donc, par conséquent, les effets de la féminisation des études en architecture n’ont peut-être pas eu le temps de se répercuter dans les chiffres de l’inscription à l’Ordre des Architectes. On verra par la suite que les femmes architectes sont peut-être plus réfléchies avant de se lancer.

e) Protection du titre et féminisation : Destins croisés

Deux évolutions sur deux longues périodes ont mené à définir l’identité de la profession d’architecte. La première période fait la distinction du travail entre les artisans de la construction et les architectes «hommes de savoir». Le code civil de 1804 ne distingue pas encore l’architecte et l’entrepreneur. Ils se battront pendant tout le XIXème siècle pour qu’on réalise cette distinction. La distinction sera réalisée dans le code de déontologie rédigé par Julien Guadet. En 1895, la proposition sera adoptée au congrès de la Société centrale des architectes et ne deviendra une loi qu’en 1941 inscrite dans les codes des devoirs professionnels et ne consacrera le statut de profession libérale des architectes que quarante ans plus tard en 1980. (Champy, 2001) La deuxième grande période concerne l’éloignement des architectes avec les ingénieurs depuis le XIXème siècle. Les architectes ont créé une véritable culture professionnelle avec une organisation et un contenu des enseignements qui diverge de celui des ingénieurs. La volonté de protection du titre d’architecte définit l’accession d’un nombre très limité de personnes à la profession, renforcé par le numérus clausus dans les écoles d’architecture (avant 1968). Par conséquent, la féminisation de la profession, qui intervient

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pendant la même période, a engendré une « réaction défensive d’un milieu professionnel homogène craintif des évolutions face à l’arrivée massive d’une nouvelle population » (Lapeyre, 2006), ici, les femmes. Ainsi, jusqu’au début des années 1980, la pratique de l’architecture par les femmes était considérée comme aussi incongrue que « a dog walking on its hind legs »5 (Berkeley, 1980, p205) De cette façon, la féminisation de la profession d’architecte a connu un décalage de trois décennies par rapport aux autres professions libérales, telles que les médecins ou les avocats (Lapeyre, 2006).

La division sexuelle du travail, œuvre de l’idéologie traditionaliste et patriarcale, a exclu les profils féminins des principales sphères publiques et professionnelles, en particulier des travaux de production et des sujets techniques en général. Les femmes étaient cantonnées à la sphère familiale et aux tâches pouvant se comprendre dans des travaux de reproduction. Les femmes ont été pendant longtemps éduquées selon un schéma patriarcal où elles ont d’importantes obligations domestiques et familiales. L’histoire de la femme est d’ailleurs à mettre en correspondance avec l’histoire de la famille. On verra par la suite que ce schéma est encore d’actualité dans la « socialisation familiale » (Lapeyre, 2006) Les enjeux du XXème siècle liés à la protection du titre d’architecte ont entrainé une réaction défensive de la part de la population masculine des architectes face à l’arrivée en masse d’une nouvelle population féminine. Exercer l’architecture pour une femme signifiait alors devoir se faire une place dans cet environnement imperméable. L’éducation à l’architecture s’est effectuée que très récemment, un peu plus d’un siècle seulement. Il était encore marginal jusque dans les années 1980 qu’une femme puisse exercer l’architecture. Les professions libérales telles que les médecins ou les avocats ont connu les mêmes enjeux et problèmes de la féminisation de leur profession, trente ans auparavant. (Pour plus de détails sur ces professions, voir Lapeyre, 2006) La révolution culturelle des années 1960 a bien décidé de l’abandon de cette idéologie, mais les habitudes et réflexes institués ont mis du temps à être remplacés par des alternatives devant nécessairement être inventées une à une.

5 « Un chien marchant sur ses pattes arrières »

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«

Toutes ces belles choses que tu as appris pendant des années, ça explose complètement parce que tu es confrontée à une réalité auquel tu ne t’attends pas forcément. (Mathilde* architecte salariée)

Partie II. Quand la réalité du métier fait fuir Exercer en son nom propre, c’est découvrir un tout autre métier, un tout autre métier encore que celui qu’on apprend pendant les études et définitivement un autre métier que la vision du public en a. Et c’est aussi cette réalité qui peut faire fuir les diplômés et plus particulièrement les femmes, qui doivent acquérir des compétences dites « masculines ». Développer des réseaux pour trouver des nouveaux contrats, vendre son projet…


A. A « White’s gentlemen Profession »1 : L’architecte dans l’imaginaire collectif « Les gens sont persuadés qu’un architecte, il habite au bord de la mer dans une maison ultra contemporaine avec une super voiture… Ben… non. Ou qu’un architecte ça coute très cher… Ben pas forcément non plus. » (Mathilde*, Architecte salariée et bientôt chef d’agence) C’est une image « édulcorée » que la société renvoie du métier d’architecte. On peut dire que la profession fait rêver la société. L’architecte est, dans l’imaginaire collectif, un métier créatif où celui qui l’exerce passe son temps à dessiner, à concevoir des espaces. L’architecte, évidemment un homme, travaille seul et est le seul responsable. Pour preuve, il n’y a qu’à regarder dans les séries télévisées. Ainsi, dans la série How I Met Your Mother, Barney dit à Ted, architecte : « Dude, lots of chicks think that architects are hot. Think about that, you create something out of nothing. You're like God. There is no one hotter than God.2» Cette image de l’architecte est renforcée dans la vie réelle, par l’image que donne les architectes médiatisés tel que Jean Nouvel, Christian de Portzamparc ou encore Kengo Kuma3. Et parmi ces personnalités, très peu de femmes. Qui peut réellement en citer plus de cinq ? Et parmi celle que l’on nomme à coup sûr comme Zaha Hadid ou Odile Decq, les nomme-t-on pour leur architecture ? Ou pour leur présentation générale, leur apparence masculine ? Mieux faire connaitre la profession d’architecte et ainsi montrer un nouveau visage du métier permettrait de montrer que l’architecture peut aussi être exercée par des femmes, parce que bien trop souvent on classe les femmes qui disent être architecte comme des architectes d’intérieur : « Les gens ont besoin d’être rassuré, souvent la question qu’on me pose c’est « architecte d’intérieur ? » je réponds ben… Non, je fais aussi l’extérieur, je fais tout, je fais les murs à l’intérieur, à l’extérieur… Du coup ça les panique un peu parce qu’ils ont besoin d’avoir une image rassurante, alors ils me disent « Vous faites des maisons ? » Voilà, je fais des maisons. Parce que la femme elle va faire des maisons, elle ne peut pas faire des bureaux ou je ne sais pas quoi » (Mathilde*)

1 « Une profession des hommes blancs », Dixon, 1994 2 « Mec, beaucoup de filles pensent que les architectes sont sexy. Regardes, vous créez quelque chose à partir de rien. Vous êtes comme Dieu. Il n’existe pas plus sexy que Dieu.» 3 Trois personnalités que l’on a pu voir récemment sur la scène architecturale lyonnaise dans le quartier de Confluence.

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B. Continuer le rêve jusqu’au diplôme « Quand tu fais les études, t’as encore plein de paillettes devant les yeux » (Mathilde*, Architecte salariée et bientôt chef d’agence) Le rêve est entretenu pendant les études, qui misent sur un apprentissage d’une culture architecturale et d’une culture du projet. Ainsi, selon la description donnée par l’école d’Architecture de Lyon: le cycle de licence en architecture a pour but d’ «acquérir les bases» et ainsi développer la «culture architecturale», comprendre et pratiquer le projet architectural «par la connaissance et l'expérimentation des concepts, méthodes et savoirs fondamentaux» et mettre en œuvre des «processus de conception dans leurs rapports à divers contextes et échelles et en référence à des usages, des techniques et des temporalités» 4. Le cycle de Master, quant à lui, affiche les objectifs de «maîtriser une pensée critique», «maitriser la conception d’un projet architectural de manière autonome par l’approfondissement de ses concepts, méthodes et savoirs fondamentaux» et de «maitriser la compréhension critique des processus d’édification dans leurs rapports à divers contextes et échelles et en référence aux différents usages, techniques et temporalités.» Ce cycle a également pour but de « se préparer aux différents modes d’exercice et domaines professionnels de l’architecture » et de se préparer à la recherche en architecture.5 S’il est vrai qu’on effleure les normes, la construction ou encore l’économie avec des enseignements comme «Accessibilité, handicap6» ou «Économie de la construction7» , ces études sont quand même perçues comme pas assez formatrice à la réalité du métier. Les études permettent de se forger une culture architecturale », d’apprendre à concevoir des espaces», de « se créer une ouverture d’esprit». Elles se rapprochent de la perception que le public se fait de la profession d’architecte : «L’enseignement n’est pas ancré dans une réalité du métier et je pense que ça, ça manque… Je pense que c’est important d’échelonner l’apprentissage avec des stages parce que de toutes façons, y’a que dans la pratique qu’on arrive à comprendre ce qu’est réellement le métier.» (Lisa*, Architecte salariée) Pendant le cursus LMD, trois stages sont en effet obligatoires. Le premier stage est un « stage chantier » de deux semaines en première année de Licence, le deuxième de 4 semaines entre la deuxième et la troisième année de Licence et le dernier de huit semaines, a effectué en master. Soit 12 semaines seulement passées en agence. C’est un temps trop court pour se rendre compte de la réalité du métier et on ressent un réel besoin d’avoir une meilleure connaissance de la réalité du métier. 4 Présentation des attendus de la Licence disponible sur www.lyon.archi.fr/licence.html 5 Présentation des attendus du master disponible sur www.lyon.archi.fr/master.html 6 ENSAL Semestre 7 – Unité d’enseignement transversale 1_E2 7 ENSAL Semestre 7 – Unité d’enseignement transversale 1_E4

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Sacha* (Architecte salariée qui a arreté la profession) raconte : «quand je suis allée en Allemagne [en Erasmus], j’ai vraiment vu la différence de la pédagogie là bas. (…) Entre la licence et le master ils sont obligés de faire un stage de six mois en agence. Sinon ils passent pas leur licence tu vois. Mais pourquoi on n’a pas ça en France !?»

C. Entrée dans le monde professionnel et HMO : le début du désenchantement « Tout d’un coup on va te livrer des clefs qui je trouve font partie du métier qu’on ignore totalement quand on fait les études » (Manon*, 31 ans, architecte, salariée)

« La HMO j’avais presque envie de dire « mais pourquoi vous nous le

dites pas au début quoi ? Peut-être qu’on se poserait plus de question en se disant « Je ne suis pas sûre que je vais faire ce métier »… Alors vous êtes responsable de ça, ça, ça et puis ça… Ah ouais… Et alors on gagne combien ? Ah ouais… Oulalah… » (Mathilde*, architecte,

salariée et bientôt chef d’agence)

a) Programme de la HMO

L'Habilitation à exercer la Maîtrise d'Œuvre en son Nom Propre s’effectue après les cinq années menant au diplôme de master en Architecture ou plus tard dans le parcours de l’architecte diplômé d’état. Cette habilitation a pour but de valider les capacités des candidats à assumer les responsabilités liées à l’exercice de la maitrise d’œuvre. C’est seulement après l’obtention de cette habilitation qu’ils pourront s’inscrire à l’Ordre. Le programme de la HMO est divisé en deux parties. La première partie est constituée de 150 heures de cours, dédiées à des modules de formations au sein de l’école d’architecture de Lyon8. Cette formation doit permettre d’approfondir ses connaissances en termes de responsabilités du maitre d’œuvre, d’économie de projet et des normes et règlementations. Seront ainsi abordé la création et la gestion d’une entreprise, la question de la négociation de la mission, la déontologie de l’architecte, le jeu d’acteur, la gestion d’un chantier… La deuxième partie oblige les futurs HMO à exercer une mise en situation professionnel de 6 mois minimum, de type salariat dans une agence ou une autre structure qui exerce la maitrise d’œuvre. Finalement, l’Habilitation à exercer la Maitrise d’Œuvre en son Nom Propre est décernée après un jury durant lequel le futur habilité doit effectuer la soutenance oral d’un mémoire préparé pendant l’année. Il est aussi possible, en fonction de l’expérience acquise d’effectuer 8 Le fonctionnement est cependant le même au sein de toutes les écoles françaises.

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l’habilitation par «validation des acquis». Pour cela, 3 ans minimum d’expériences sont nécessaires.

b) La HMO, une fin en soi

Parmi les motivations premières pour passer leur HMO, 41% des femmes interrogées ont ainsi choisi de réaliser cette formation en continuité de leur parcours d’études, pour le « finaliser ». 34% de femmes ont prévu d’exercer la profession en libéral plus tard contre 11% seulement qui désirent le faire tout de suite, ou en tout cas rapidement. 3% des femmes pensent que la HMO leur permet d’avoir un CV plus vendeur et enfin, 2% estiment qu’aujourd’hui pour être un « vrai architecte », un « architecte complet », il est nécessaire d’être habilité à la maitrise d’œuvre.

Graphique 3. Graphique récapitulant les motivations premières des femmes pour passer leur HMO, élaboré à partir des réponses au questionnaire en ligne et des entretiens et sur un total de 64 réponses. « Malheureusement le cv est plus "vendeur" dès lors que l'on a la HMO : la première question que l'on vous pose en entretien c'est : vous avez votre HMO ? Vous voulez la faire? Ça veut dire que vous ne serez pas disponible tout le temps? » (Agathe*, salariée) Le questionnaire en ligne offrait la possibilité de choisir entre 3 choix figés (C’est dans la continuité de mon parcours d’études, pour exercer la profession en libéral plus tard et pour exercer la profession en libéral tout de suite (ou rapidement)). Une case permettait une réponse ouverte. D’autres attentes étaient inhérentes à la volonté de passer l’habilitation à la maitrise d’œuvre. Des femmes architectes ont ainsi évoqué le besoin d’un complément d’informations nécessaire face au décalage entre l’école et la réalité et la volonté d’obtenir un meilleur salaire en tant que HMO.

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Graphique 4 : Graphique illustrant les réponses des 64 personnes ayant participé à l’enquête. L’habilitation à la maitrise d’œuvre peut s’effectuer à tout moment de la vie professionnelle des architectes diplômés d’Etat. L’étude montre cependant que 56% des femmes interrogées ont préféré l’effectuer juste après leur sortie de master. Ce chiffre est à mettre en relation avec les 41% qui avaient pour motivation de finir leur cursus scolaire. Parmi les femmes qui ont répondu « non », 65% ont préféré acquérir de l’expérience professionnelle directement en agence, parfois même leur permettant de passer leur HMO en « validation d’acquis d’expérience ». 35% des femmes interrogées ont poursuivi leur étude dans d’autres formations dans des secteurs très variés. On recense ainsi des formations comme le diplôme d’ingénieur pour celles qui auraient entrepris le double cursus, aux Beaux-arts, ou dans des masters complémentaires à l’architecture par exemple en spécialité architecture, bois et construction ou en urbanisme ou au contraire pas en lien (direct) avec l’architecture comme le design graphique ou l’archéologie. La HMO est certes le seul moyen de pouvoir s’inscrire à l’Ordre des Architectes, mais il apparait à travers cette étude que la majorité des femmes qui vont ou ont passé leur habilitation la considère comme une étape du parcours d’études qui leur servira seulement plus tard, selon 44% d’entre elles.

c) La HMO, une formation intéressante pour la majorité d’entre elles

Passer cette habilitation n’est pas vu comme « une nécessité pour s’inscrire à l’Ordre » par les femmes interrogées. C’est avant tout un moyen de se former et d’approfondir la question de la réalité du métier en ayant un pied dans la connaissance théorique et un autre dans une agence. La formation donne un éclairage pratique sur le métier, peu importe si les femmes choisissent ensuite de rester salariées ou d’exercer en leur nom propre. « J’ai eu la chance de faire la HMO dans une structure qui était en train de se monter donc je voyais tout en temps réel » (Léa*, 30 ans, salariée)

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« La HMO j’ai trouvé que c’était très intéressant. Par contre, c’est vrai que

c’était d’autant plus intéressant que je travaille déjà en agence donc y’a plein de choses qui percutaient parce que j’avais déjà un peu pratiqué.

» (Mathilde*, Architecte salariée et bientôt chef d’agence)

Pour d’autres cependant, le contenu de la formation s’est avéré moins intéressant. Ces femmes ont trouvé les enseignements trop sommaires et pas assez concrets. Après la formation, certaines d’entre elles ne se sentaient pas encore prêtes à exercer seul. « C’est comme si on te donnait un livre avec un sommaire, qui parle de plein de thèmes. Tu connais le contenu du livre mais tu le connais pas précisément. (...) On te donne les outils pour te montrer tout le panel qui existe et après tu sauras où le trouver » (Charlotte*, salariée et bientot associée)

Cécile (28 ans, exerce en libéral) explique que la HMO ne lui a pas appris tout ce qu’elle devait savoir. Elle ajoute : « Je suis persuadée que les écoles d’architectures sont en partenariats avec l’AFEG [institut de formation continue pour les architectes] *rires* »

D. La « claque » de la réalité Etre architecte, c’est savoir travailler en équipe, avec son client, le maitre d’ouvrage ou ses représentants, avec d’autres acteurs indirects comme les notaires, huissiers, banquiers, financiers, assureurs, avec une équipe d’ingénierie, des bureaux d’étude technique (BET) structure, fluide, HQE, paysagiste et tous ceux qui participent à l’élaboration du projet et son intégration à son environnement. Et puis aussi avec les administrations aux niveaux locales, régionales, ou nationales, avec les entreprises, les conducteurs de travaux et enfin tous ceux qui construisent le bâtiment. La profession d’architecte est un métier ambivalent. Le travail se fait en autonomie, mais pas sans contraintes. L’architecte développe une identité d’artiste qui n’est pas exempte de compétences techniques. La profession est prestigieuse mais le salaire ne suit que moyennement.

a) Des écoles qui ne forment pas à la réalité

Les écoles d’architecture pensent que la confrontation au monde professionnel s’effectue pendant les stages mais c’est loin d’être suffisant pour ne pas se prendre une claque en rentrant dans la « vraie vie ». « Si je devrais ouvrir une école d’architecture, ça fonctionnerait en alternance. Je ne vois pas comment on peut apprendre sans être sur le terrain » (Cécile*, 28 ans, exerce en libéral) « En agence t’es dans le concret, ça a rien à voir avec les études en

fait mais t’apprends hyper vite aussi c’est pas un problème, c’est juste dommage qu’on apprenne après le diplôme quoi parce qu’au final 25

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quand on arrive, on sait pas trop ce que c’est le métier » (Sacha*, 27

ans, anciennement salariée, a quitté l’architecture)

En réalisant les entretiens, beaucoup ont abordé le fait que le métier ne ressemble pas à ce que l’on apprend pendant les cinq ans des études en architecture. Après avoir passé son diplôme, tous les étudiants se retrouvent confrontés à la réalité du métier. Les études permettent de se « forger une culture architecturale », « d’apprendre à concevoir des espaces », de « se créer une ouverture d’esprit ». Le programme est vaste. Cependant, en sortant des écoles d’architectures, certaines se sont heurtées à la réalité du métier. « Pendant les études, on apprend à apprendre et après on apprend vraiment » (Cécile*, 28 ans, exerce en libéral) « On nous apprend à faire des projets, on nous apprend à dessiner des bâtiments mais on nous apprend pas à les construire complétement, c’est-à-dire qu’on n’a pas fait de pratique de chantier, pas de pratique d’agence » (Odile Decq, 19869)

Economie occultée

Parmi les critiques émises à l’encontre des études d’architecture, la première est l’économie. Depuis toujours et encore plus aujourd’hui, l’architecture est ancrée dans une réalité économique qui fait que chaque choix architectural est orienté par rapport au budget mais aucun des projets effectués pendant les études n’inclue l’économie. « L’économie c’est le nerf de la guerre » (Cécile*, 28 ans, exerce en libéral)

Des projets peu ancrés dans la réalité

La deuxième critique est autant liée à la formation qu’à la société qui nous entoure. Les études d’architecture poussent les étudiants à développer une part de créativité et d’innovations dans leur projet. Selon certains professeurs, il suffit de bien argumenter pour faire passer un concept « innovant » mais la réalité montre que les mentalités de la société française actuelle sont moins ouvertes qu’on ne le pense. « Moi c’était le monde des bisounours, j’allais arriver « Ouais on va faire

un jardin collectif on va faire un compost tout va bien se passer ». Je pensais que ce serait vraiment simple de faire les choses » (Sacha*, 27

ans, anciennement salariée, a quitté l’architecture)

b) Une crise de l’emploi plus dure pour les femmes

Selon un sondage réalisé en 2011 par l’IFOP pour le Conseil National de l’Ordre des Architectes, l’état de crise économique se fait de plus en plus ressentir au sein de la profession. 9 Source ina : Odile Decq, architecte, 1986 http://www.ina.fr/video/I09112962/odile-decqarchitecte-video.html

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Graphique 5 : Source: CNOA/IFOP 2011 Graphique existant remis en forme

Le nombre moyen de commandes fermes est en baisse avec 12.3 commandes par an en 2011. Le chiffre d’affaire suit cette tendance. Toutes les agences françaises ne sont pas évidemment touchées de manières égales. Ainsi, si la moyenne du chiffre d’affaire est de 278 000 euros en 2010, il baisse à 276.000 euros en 2011 mais seulement 12% des agences sont au-dessus de la barre des 500.000 euros tandis que 27% des agences ne dépassant pas les 50.000 euros.

Graphique 6 : Source : CNOA/IFOP 2011 Graphique existant remis en forme

Répartition sexuée des chômeurs

Cette crise se répercute directement sur l’insertion professionnelle des diplômés et notamment sur les femmes diplômées. Ainsi, il existe une répartition sexuée des chômeurs en architecture : le chômage a davantage augmenté chez les femmes (en vert foncé, +77.6%) que chez les hommes (en vert clair, +76.8%) (Nogue, 2010)

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Graphique 7 : Source : PE/EOA Graphique existant remis en forme

Selon l’association ARVHA : « Cela peut être lié au fait que les femmes sont nombreuses à arriver des écoles d’architecture, plus jeunes et moins qualifiées, tandis que les hommes restent plus stables car plus anciens et plus expérimentés. » Les femmes âgées de moins de 25 ans sont les plus nombreuses à s’inscrire à Pole Emploi avec une croissance de 153% tandis que les hommes du même âge n’enregistrent que 95% de croissance. L’insertion professionnelle semble être également sexuée «Un manque de réseau de soutien, mais aussi des préjugés sur leur crédibilité, peuvent être des hypothèses possibles de logiques sociales responsables de cette inégalité.»

Graphique 8 : Source : PE/OEA Graphique existant remis en forme

Sur la tranche d’âge de 25 à 49 ans, où les femmes ne représentent que 20% de la profession, elles sont légèrement plus nombreuses à être au chômage que les hommes, ce qui signifie que le pourcentage de femmes au chômage sur la totalité des femmes

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Graphique 9 : Source : PE/EOA Graphique existant remis en forme

architectes est plus important que celui des Hommes.

Les hauts postes plus difficiles à atteindre pour les femmes

Le nombre de postes de cadre est assez limité en architecture et très peu de femmes sont présentes parmi les hauts postes. Seulement 19.1% de femmes contre 35,1% d’hommes dépassent le coefficient de 370, indice marquant la frontière entre les cadres et les non cadres. Ces données montrent que l’accès aux postes d’encadrement est inégal. On peut plausiblement expliquer le phénomène par les préjugés véhiculés par la socialisation : la «non-disponibilité des femmes» et leur «manque de capacités».

Graphique 10 : Source : OMPL Sont considérés comme cadres les individus ayant un coefficient supérieur à 370. Plus le coefficient est élevé, plus le poste est élevé. Graphique existant remis en forme

Cette même enquête met en valeur le fait que les contrats à temps partiel sont répartis en fonction du coefficient hiérarchique. Plus le coefficient hiérarchique est bas, plus le nombre de contrats de ce type est élevé.

Ecart de rémunération

Les chiffres les plus récents concernant les écarts de rémunération entre hommes et femmes datent de 2005. 60% des femmes architectes gagnent moins de 20 000 euros par an. C’est le contraire pour les hommes qui sont plus de 60% à être rémunéré plus de 20 000 euros.

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Graphique 11 Source : CIPAV-LET, remis en forme à partir de l’étude d’Olivier Chadoin et Thérèse Evette : Statistiques de la profession d’architecte 1998-2007

Les premières explications qui permettent de comprendre cette différence de salaire peuvent être le coefficient hiérarchique des hommes ou le nombre plus important de temps partiels chez les femmes salariées mais en réalité, toutes les femmes ressentent, à qualification égale, cette différence. Ainsi, le contexte de crise global cache un problème plus spécifique pour les femmes, au niveau de l’insertion professionnelle, des logiques inégalitaires de rémunération et de considération. Cela montre que l’intégration des femmes dans le secteur n’est pas encore effectif. En résulte des femmes qui choisissent de quitter l’architecture. Ainsi Raphaëlle* explique « Cela fait 2 ans que j’ai abandonné le

métier d’architecte. J’étais spécialisée dans l’urbanisme, et je me suis vraiment lassée de la précarité du métier: enchainement de CDD de 3 ou 6 mois, paie exécrable, heures sup non payés...»

La réalité de l’inégalité hommes / femmes dans le secteur de l’architecture explique partiellement pourquoi les femmes ne sont pas plus nombreuses à exercer en tant que libéral ou associées et ne s’inscrivent pas à l’Ordre. Le prochain chapitre aura plusieurs buts. Le premier sera de comprendre le réel intérêt de l’inscription à l’ordre des architectes. Nous nous attacherons par la suite à analyser ce que signifie être une architecte aujourd’hui et les raisons plus personnelles, comme la question de la maternité.

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Partie III. L’Ordre et les femmes architectes


«

S’inscrire à l’ordre des architectes... J’en ai pas l’intérêt pour l’instant (Margaux* architecte salariée)

I. L’Ordre des Architectes : une possibilité, pas une nécessité Répondre à la question « pourquoi les femmes architectes ne s’inscrivent pas à l’Ordre des Architectes », c’est aussi se demander qu’est-ce que cela implique de s’inscrire à l’Ordre ? Pourquoi s’inscrire à l’Ordre ? Pour quelles pratiques de l’architecture a-t-on besoin de s’inscrire ? Outre l’aspect pratique des cotisations et assurances, exercer en son nom propre, qu’est-ce que ça signifie ?


A.

Pour quelle pratique de l’architecture a-t-on besoin de s’inscrire ?

La pratique de l’architecture peut se faire de tellement de manières qu’il est impossible de toutes les cerner. Cependant, s’inscrire à l’ordre des Architectes est une obligation si l’on veut : 1. 2.

Pouvoir porter le titre d’Architecte Exercer la maitrise d’œuvre

Selon le tableau des modes d’exercice, prévu par l’article 14 de la loi sur l’architecture1 : il existe globalement trois pratiques de l’architecture autorisant l’architecte à porter le titre et à exercer la maitrise d’œuvre. La première, la plus « classique », représentative de l’idée que la société a de la profession d’architecte : l’exercice à titre individuel, sous forme libérale, avec la possibilité d’avoir des salariés. La profession libérale « désigne toute profession exercée sur la base de qualifications professionnelles appropriées, à titre personnel, sous sa propre responsabilité et de façon professionnellement indépendante, en offrant des services intellectuels et conceptuels dans l’intérêt du client et du public » 2 La seconde pratique s’effectue à titre d’associé(e) d’une société d’architecture. Ce type de société peut regrouper des architectes inscrits à différents tableaux régionaux et des architectes et des non architectes (comme des bureaux d’études techniques). La société peut prendre des formes diverses comme une société civile de moyens, société civile professionnelle ou interprofessionnelle, une société d’architecture à forme commerciale (EURL, SELARL, SARL, SA) ou encore une société civile coopérative (SCOP). La troisième pratique s’effectue à titre d’architecte salarié(e). L’architecte peut ainsi être salarié(e) d’une des deux catégories précédemment citées, ou être fonctionnaire ou agent public ou bien être salarié(e) d’une personne physique ou morale de droit privé édifiant des constructions pour son nom propre, salarié(e) architecte d’une société d’intérêt collectif agricole d’habitat rural, ou enfin être salarié(e) d’un organisme d’études exerçant exclusivement pour le compte de l’État ou d’une collectivité locale dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme.3 Il existe des spécialisations en architecture qui permettent de donner des colorations encore plus diverses aux déjà nombreuses façons d’exercer l’architecture, telles que les formations pour être 1 Tableau récapitulatif de documents à produire selon le type d’inscription : http://goo.gl/8B0iJz 2 Directive européenne relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, n°2005/36/CE, 43 3 Cours d’environnement professionnel (UE41), Victor-John VIAL-VOIRON

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architecte des bâtiments de France (ABF), architecte en chef des Monument historique (ACMH). On peut aussi devenir architecte de l’Urgence, architecte de gestion patrimoniale, architecte expert près de la cour, enseignant, chercheur, etc. Il est aussi possible de s’inscrire à l’Ordre si un architecte veut uniquement avoir la possibilité de porter le titre. Ainsi, six autres champs d’activités permettent le port du titre mais n’habilitent pas l’architecte à exercer la maitrise d’œuvre. Parmi eux, on compte les fonctionnaires ou agents public exerçant ou n’exerçant pas des missions de maîtrise d’œuvre, l’exercice dans un CAUE4, l’exercice exclusif à l’étranger ou dans une collectivité d’outre-mer non soumise à la loi sur l’architecture, les personnes sans activité momentanée et enfin les retraités.

Graphique 12 : Source : CNOA/IFOP 2011 Graphique existant remis en forme

B. L’image de l’Ordre : un bilan mitigé L’Ordre des Architectes « veut devenir pour tous les architectes un lieu de reconnaissance et d’identification à une même culture ». C’est tentant, seulement en 2011, encore 34% des personnes sondés avaient une mauvaise opinion de l’Ordre des Architectes (voir graphique ci-dessous). La plus grande faiblesse de l’Ordre des Architectes est sa mauvaise communication que 78% des Architectes interrogés trouvent mauvaise en 2011. Vient ensuite la défense des intérêts de la profession jugée mauvaise à 57%. Seulement la moitié des Architectes interrogés pensent que l’Ordre est au service de tous les architectes. 53% pensent que l’Ordre est à l’écoute des Architectes, ce qui fait 47% d’insatisfaits. Enfin, 45% pensent que l’Ordre n’a pas su se moderniser. 4 Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement

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Graphique 13 : Source : CNOA/IFOP 2011 Graphique existant remis en forme On peut aussi noter que l’Ordre apparait positivement par sa déontologie, sa considération envers les architectes. Les architectes attendent de l’Ordre qu’il rappelle la moralité avec « des logiques masculines très inspirées de l’ordre traditionnel et patriarcal : solide, protecteur, immuable »5.

C. Au final : pourquoi s’inscrire ? On a pu constater que l’ordre des Architectes, malgré sa volonté de rassembler tous les architectes au sein d’une même confrérie n’attire pas vraiment les architectes par l’image qu’il renvoie. L’inscription reste non obligatoire pour une architecte diplômée HMO uniquement salariée qui n’exerce pas la maitrise d’œuvre en son nom propre, même si l’inscription à l’Ordre représente une plus-value pour l’agence qui accueille ainsi un « véritable architecte ». (Nous verrons plus tard qu’être un « véritable architecte » est synonyme d’être « habilité à la maitrise d’œuvre » et que c’est une des raisons qui poussent certaines femmes à faire la HMO) En outre, le prix des cotisations annuelles6 et la difficulté de trouver une assurance peut être un frein à cette inscription. Par conséquent, les architectes, tant les femmes que les hommes, s’inscriront à l’Ordre des Architectes seulement par besoin d’exercer la maitrise d’œuvre.

5 Etude ARVHA 6 La cotisation en 2012 s’élevait à 700€ dans la majorité des cas (libéral, associé, salarié, autres activités liées à l’architecture ou fonctionnaire, agent public) Une exonération s’effectue dans certains cas. Ainsi, les inscrits à l’Ordre la première année ne paie que 280€ et 480€ la seconde.

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Anna * raconte qu’elle n’avait pas l’intention de s’inscrire tout de suite après sa HMO. Elle a eu une opportunité dans sa famille de réaliser un projet et trouvais dommage, en ayant la HMO de ne pas le faire. Cependant elle se posait des questions « ça engendre pas mal de frais, s’inscrire à l’Ordre, payer sa cotisation, s’inscrire à la MAF, c’est pas énorme mais ça fait des petits frais ». Elle s’est finalement inscrite et exerce aujourd’hui majoritairement en tant que salariée, mais aussi un peu en libérale en tant qu’autoentrepreneur. L’inscription à l’Ordre des Architectes en tant que salarié n’est pas toujours utile. Véronique Parent7, architecte, explique « Le choix de la maitrise d’œuvre, c’est un choix délibéré, qui a pas été fait par défaut, c’est un choix professionnel. Je trouve qu’il y a pas mal de similitudes entre le monde du cinéma et celui de l’architecture et notamment je me fais un peu l’impression d’un comédien qui a un moment donné a eu envie de passer de l’autre côté de la caméra, c’est-à-dire de réaliser un film au lieu d’interpréter un rôle et je pense que le comédien a un moment donné, il peut prendre plaisir à réaliser ce film. » Pour conclure sur cette partie, on peut d’ores et déjà dire qu’une première réponse au fait que les femmes ne s’inscrivent pas à l’Ordre des architectes peut être tout simplement qu’elles n’ont pas l’utilité ou l’envie d’exercer la maitrise d’œuvre. Elles n’ont donc pas grand intérêt à s’inscrire à l’Ordre des Architectes.

7 Véronique Parent - Architecte chargée d’opération à la Direction des bâtiments départementaux (Conseil général de la Seine St Denis) http://webtv.architectes.org/culture-architecturale/portraits-darchitectes-diversite-des-metiers/ à 7’06’’

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«

Les réussites de quelques privilégiées ne compensent ni n’excusent l’abaissement systématique du niveau collectif; et que ces réussites soient rares et limitées prouve précisément que les circonstances leur sont défavorables. (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, tome 1)

II. Etre une architecte aujourd ’hui Dans ce chapitre, nous analyserons ce que signifie « être une architecte » aujourd’hui. On a vu précédemment que les études sont identiques jusqu’au diplôme et pourtant, à qualification égale, les femmes ont plus de difficultés à s’insérer professionnellement. On va donc rechercher des raisons dans l’exercice du métier, qui expliqueraient le fait que les femmes ne choisissent pas les modes d’exercices en libérales ou associées. Est-ce différent d’être une « femme architecte » ? Comment expliquer que la majorité des femmes choisissent l’exercice salarial ? On regardera aussi du côté des femmes inscrites à l’Ordre : les femmes libérales, associés ou chef d’agence. Quelles compétences doiventelles acquérir ? On verra ainsi l’importance des réseaux de femmes qui palie à l’absence de modèle féminin en architecture. Enfin, on verra comment les femmes architectes font face à la réalité du métier en se diversifiant.


A. Etre une femme et une architecte, pas que des inconvénients

a) Très peu de différence au niveau de la conception

Lorsqu’on interroge les femmes architecte sur les questions de la différence entre un homme et une femme face à la conception de l’architecture, on s’aperçoit qu’on est loin du cliché « Les hommes font des tours, les femmes font des courbes », les différences entre homme et femme en matière de conception architecturale sont moindres. « Moi je pense que y’a pas de différence être architecte femme ou architecte homme enfin après je pense que c’est mon tempérament. Moi en tant qu’individu je vais pas avoir la même approche » (Mathilde*, Architecte salariée et bientôt chef d’agence)

« Créative, je suis pas sûre que ce soit liée à mon sexe… » Clara*, architecte salariée

Les seules différences notables s’effectuent à petites échelles. Une femme va avoir plus tendance à penser aux détails pratiques. « Chez les nanas y’a des choses qui sont un peu plus pensés pour les

usages… *Oui alors là j’ai pensé à mettre cette fenêtre parce que comme ça la maman elle peut regarder ses enfants* ... C’est typiquement un truc de meuf quoi ! Genre nous on va grave y penser » (Sacha*, 27

ans, anciennement salariée, a quitté l’architecture)

« Pour ma part, le fait d’être une femme me permet de faire valoir une sensibilité plus développée que mes collègues masculins : capacité d’écoute accrue, meilleure appréhension de l’ergonomie, capacité à garder son calme, ... Cela est sans doute lié de façon importante à mon caractère mais je pense que pour mon activité, être une femme est un plus. » (Camille*, assistante projet dans une entreprise de conseil en hospitalier)

La seule différence notable est donc causée par la socialisation genrée que nous avons vu dans le premier chapitre. En tant que femmes, les architectes ont globalement reçu une éducation liée à leur genre qui les a poussés à développer une plus grande sensibilité. Les différences en matière de conception se jouent plus entre les différentes promotions et les différentes écoles qu’entre sexe, elle n’est donc pas une réponse à la problématique de cette étude.

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b) Le chantier : le lieu des inégalités ?

Le jeu de rôle en architecture est un thème primordial, surtout dans l’univers du chantier qui est vu « comme une cours de récréation » par Mathilde*. Elle ajoute : « Je pense qu’on soit un homme ou une femme, on jouera pas de la même manière, on peut en tant que femme jouer de séduction mais c’est comme toutes relations humaines : on aura pas le même comportement avec un homme qu’avec une femme » Redoutés par beaucoup de femmes, le chantier est le lieu majoritairement cité parmi les femmes interrogées où vont se jouer les inégalités, mais on verra que ce n’est pas toujours le cas. Le milieu du BTP est un milieu encore extrêmement masculin, où on assiste à deux tendances. Soit les entreprises n’ont pas encore accepté la présence des architectes femmes, et à ce moment-là les architectes ne sont pas prises aux sérieux, se font tester, voire reçoivent des insultes. « Leur discours «du bâtiment» sur les capacités féminines sont basés sur

la dangerosité de notre présence sur site : fragilité, incapacité et j’en passe… Je me suis entendue dire lors de réunion «qu’une femme sur un chantier, c’est comme un lapin sur un bateau... ça porte malheur. Et bien sur de bonnes blagues graveleuses. » (Camille*, assistante projet dans

une entreprise de conseil en hospitalier)

« Sale bonne femme » (Mathilde*, Architecte salariée et bientôt chef d’agence)

« Si t’es une femme, quand tu cries t’es hystérique, alors qu’un homme ça

va il aura le droit. Mais une femme, les hommes ils vont dire c’est quoi cette tarée? » (Sandra*, salariée)

Soit, au contraire, il y a « une sorte de galanterie qui s’installe » du fait qu’elles sont des femmes. L’honnêteté est importante sur un chantier. Avouer que c’est son premier chantier ou que l’on n’en a pas fait beaucoup, quand on est une femme, peut amener la situation à se détendre : « À chaque fois que j’ai fait un chantier, j’ai toujours été très honnête en avouant que j’en avais pas fait beaucoup… Et au contraire y’avait une sorte de gentlemen ou le souci d’être … de faire attention si y’avait des gros mots de me regarder en disant on est désolés » (Mathilde*) Etre honnête permet d’avoir une relation plus constructive avec les entreprises. L’avantage d’être une femme, c’est qu’on peut jouer de la socialisation et plus facilement qu’un homme dire qu’on ne sait pas quelque chose mais il faut aussi, parfois, apprendre à mentir. « C’est-à-dire que quand on te pose des questions, t’es là paniquée Aaaah je sais pas ! et tu prends un air très sérieux… Hmhm Je le note ! Et tu sais que tu vas passer derrière en disant « qu’est-ce qu’il m’a raconté » pour pas répondre comme ça « Nan je sais pas, de quoi il me parle ? » (Mathilde*)

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Mais il est aussi nécessaire parfois de savoir s’imposer dans un univers d’homme où il peut y avoir encore « quelques ricanements » ou en tout cas le besoin de devoir se réaffirmer en tant qu’architecte. « Dans les réunions de chantier où y’a des petits mots… Là c’est le seul

moment où on va se dire « Y’a une différence » et il faut que je m’affirme et c’est pas en tant que chienne de garde, c’est en disant simplement « je suis architecte et vous devez me considérer comme un architecte que ce soit homme ou femme, c’est moi qui est le casque de chantier et c’est à moi qu’il faudra parler » (Mathilde*) Mais être une femme architecte a aussi des avantages. Ne se plaçant plus dans un rapport de force entre hommes, les femmes peuvent faire accepter aux artisans plus de choses que si elles avaient été des hommes. « [Sur le chantier] J’ai l’impression que je vais plutôt être en face de

personnes qui ne cogitent pas comme moi, qui cogitent différemment. Et du coup, comme ils ont l’habitude d’être entre personnes qui cogitent pareil, il va falloir les emmener vers quelque chose de nouveau. » (Charlotte*, salariée et bientot associée)

«Une entreprise et UN architecte, ils peuvent s’engueuler, en cinq minutes c’est réglé et là, c’est autre chose. Une femme elle règle pas les problèmes comme ça, y’a des subtilités... différentes je pense » (Charlotte*) Sandra*, salariée, raconte aussi qu’un jour une entreprise lui a fait remarquée qu’elle souriait toujours quand elle demandait quelque chose. « Je fais des grands sourires mais c’est plus fort que moi, je me dis pas je vais lui faire un sourire et il va dire oui » avant de conclure «mais ça se fait vraiment de la bonne entente !» Malgré les idées reçues, l’expérience du chantier peut s’avérer très enrichissante à partir du moment où l’on est honnête avec les entreprises. Etre une femme peut même être un avantage puisque « le jeu de séduction » permet de faire passer les ordres d’une manière plus douce. Séphora* (34 ans, exerce en libéral) explique : « Une fois la place faite, je pense que cela est plus simple d’exercer son métier qu’un homme, les rapports humains étant plus faciles et doux qu’entre homme.»

c) « La part de fille qui évolue dans un métier de mec »

« Les trois quarts du temps, tu es avec des mecs quoi, que des mecs (...) Les rares femmes dans notre milieu c’est un peu triste à dire mais… si t’as quelques économistes mais sinon ouais c’est les secrétaires quoi… ou les adjointes au maire…*rires* » (Sacha*, 27 ans, anciennement salariée, a

quitté l’architecture)

La socialisation amène la femme à penser à son rôle féminin et comment conjuguer la féminité à laquelle elle a été éduquée à la problématique du métier masculin. A travers l’utilisation des vêtements, nous verrons comment la femme s’intègre dans un milieu masculin où domine le modèle caricatural « costume-polo noir ».

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Les vêtements introduisent des marqueurs sociaux. En les portants, on présente une image à la société. Dans ce cas précis, c’est la société de l’architecture. La femme peut être alors mal à l’aise dans son rôle féminin. Embauchée il y a quelque année dans une société qui comportait 8 hommes, « moyenne d’âge 40-45 ans », Sacha explique « Je me suis un peu adaptée tu vois je m’habillais large, je me mettais pas en valeur ni rien et tout, j’avais pas envie de me faire remarquer, j’avais pas envie justement que du fait que je sois une fille… (…) Maintenant, du fait que ce soit plus équilibré, je me sens mieux, et du coup, ça se passe aussi beaucoup mieux, j’assume plus mon rôle de fille ou de femme. » La présentation par les vêtements est également très importante et permet de justifier sa présence en tant qu’architecte et de se rendre plus « crédible ». Mathilde raconte que quand elle a des réunions importantes, elle va avoir tendance à se poser beaucoup de question sur sa tenue vestimentaire. Qu’est-ce qu’elle présente ? Est-ce qu’elle doit mettre sa féminité en avant ou au contraire quelque chose de très sobre ? Elle conclut : « Je ne sais pas si y’a beaucoup d’homme qui se pose cette question…» Et puis enfin, les vêtements ne sont pas toujours adaptés à la morphologie féminine. Ainsi, les chaussures de chantier sont difficilement trouvables dans des petites pointures. Ceci montre que la place de l’architecte femme ne s’est pas encore faite dans la société en général. Les industries de chaussures n’ont ainsi majoritairement pas acquis le fait qu’il y ait des femmes qui avaient besoin de chaussures de chantier, comme si elles n’existaient pas.

d) Les préjugés liée à la femme dans l’architecture

La seule différence qui existe dans le métier d’architecte, est celle qui a été créé par la socialisation. Après plus de 1800 ans à faire de l’architecture un métier d’homme, il faut du temps pour faire changer les mentalités, les habitudes. Voici la liste des principaux préjugés qu’il va falloir dépasser si l’on veut que la parité puisse s’effectuer : 1. L’architecture n’est pas qu’un métier d’homme «C’est entendre quand on rentre dans une salle bonjour messieurs» 2. Une architecte n’est pas une stagiaire, ni une secrétaire. «Si j’ai pu souffrir de situations c’est surtout quand on est avec un homme et une femme, on va me prendre pour la secrétaire, des préjugés, ça oui, c’est fatiguant mais il faut prendre ça à la rigolade et expliquer que non je suis pas la standardiste, je suis « Madame l’architecte» 3. Une architecte est aussi compétente qu’un architecte «Pas être considéré, la personne va parler qu’à l’homme et d’autant plus quand je suis avec mon patron, dans ces cas-là, *siffle* je disparais totalement, et avoir la sensation que j’existe plus, que ce qui sors de ma bouche est absolument pas intelligible et que j’ai beau dire un truc, personne ne comprends et quand les mêmes

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termes sont expliqués par mon patron, je sais pas qui c’est qui parle mais c’est Quelqu’un.» Pour conclure : une architecte n’a pas à se démarquer en tant que femme mais elle doit prouver « deux fois plus qu’un homme » qu’elle a sa place et que les préjugés ne sont pas fondés. « Il faut faire ses preuves deux fois plus que les autres. Gagner la confiance des entreprises est plus difficile aussi. J’exerce en Haute-Savoie et les anciens sont méfiants en général, donc en tant que femme il faut convaincre que l’on est capable de faire aussi bien qu’un homme. » (Elise*, exerce en libérale)

B. Le salariat comme la prolongation du schéma du foyer Le statut de salariat est le mode d’exercice le plus attrayant pour les jeunes diplômés : il offre une sécurité et des avantages en termes de couverture sociale, de fiscalité et de responsabilités (Nogue, 2002). Salariat est vu comme indispensable pour acquérir tout ce que l’on n’a pas appris pendant les études dans le but éventuel d’effectuer une pratique en libéral ou en association par la suite, c’est une sorte de salariat transitoire. En effet, selon Emilie*, la connaissance engrangée à l’école ne représente que 10% des connaissances nécessaires pour se lancer en tant qu’architecte libéral. Le salariat constitue une étape de socialisation professionnelle (Lapeyre, 2005) avant de se lancer en libéral ou en association. C’est ce qui explique que la majorité des femmes qui ont passé leur HMO s’oriente vers ce type d’exercice. Nous avons vu précédemment que l’ordre des architectes n’était réellement nécessaire que pour exercer en son nom propre ou en société, par conséquent, beaucoup de femmes salariées ne sont pas inscrites à l’Ordre. Si c’est un salariat transitoire, pourquoi la transition ne s’effectue pas ?

a) Un lien presque paternel

Dans certaines agences, un lien peut se tisser entre le patron et les femmes salariées. La norme de la société veut que « l’homme soit protecteur » et « qu’il dirige » alors que la femme sera « soumise » et se « laissera protégée par l’homme ». Le jeu de rôle prendra ainsi place au sein de l’entreprise de manière naturelle. Le patron n’aura pas la même relation avec ses employés masculins. Sacha* nous livre le parfait exemple. Son patron était présent à ses premières réunions avec les mairies, les bureaux d’études, etc. et l’a beaucoup aidé. « Dès que je voulais prendre la parole il coupait tout le monde et il disait « bon attendez y’a Sacha* qui veut dire un truc » et là il me laissait la parole. »

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La femme va faire un travail de « care ». Principes du «care work» « Au masculin sont associées les activités hautement valorisées, celles qui laissent une large place au commandement, à l’autonomie, à la création et à l’originalité. Au féminin sont associées, outre le statut de subordonnée, les activités de service, de soin, d’assistance, de soutien psychologique, ce que les Anglo-Saxons désignent sous le terme générique de « care work ». (in Les métiers ont-ils un sexe ?, Sciences Humaines n°146, Février 2004) Le concept de care découle de l’idéologie traditionnelle et patriarcale qui réside même OutreManche. Le «care work» fonctionne sur le meme principe que les « registres de genre », il associe ainsi une dimension affective au travail avec des activités qui nécessite de la «tendresse».

b) Le cas des couples architectes

Lorsqu’on regarde la composition des sociétés d’architecture à Lyon, le deuxième type de fonctionnement le plus utilisé, après les sociétés où les gérants sont tous des hommes, ce sont les sociétés créées sur la base d’un couple homme/femme. L’homme y est toujours l’architecte inscrit à l’Ordre et gérant, qui n’est pas sans rappeler le concept de la domination masculine. Ensuite vient s’ajouter une femme, rarement inscrite mais qui porte assez souvent le même nom. La femme peut ainsi trouver dans le salariat, un rôle qui s’apparente plus au système inculqué par la socialisation, au cliché de la complémentarité des rôles féminins / masculins et donc à la domination masculine (Bourdieu, 1998). L’homme a besoin de la femme pour se sentir valorisé, pour avoir confiance en lui, et la femme va être plus dans le travail en lui-même, ne cherchant pas la renommée. Ces femmes vont être plus dans le « sérieux, la rigueur, l’organisation » (Manon*, Salariée dans une agence) Mathilde* ajoute : « on est très bonne élève, donc très appliquée à bien faire notre travail et pas forcément valorisée en disant c’est moi qui l’ai fait pour se mettre en avant » Anna* (salariée et auto-entrepreneur) raconte que dans l’agence où elle travaille, les associés sont un frère et une sœur : « Lui il a une manière de gérer les projets totalement différente d’elle, il va parler beaucoup, il va être beaucoup plus dans la communication et il va chopper à chaque fois des nouveaux clients et peut être moins après sur la précision des dossiers. Il est beaucoup moins méticuleux. Beaucoup plus au feeling. Alors que elle est beaucoup plus dans un travail de précision sur chaque projet, elle va jusqu’au détail (...) pour être sure que ces dossiers sont hyper calé. Les chantiers sont menés au cordeau, y’a pas des soucis. » Il existe de nombreuses agences lyonnaises sur lequel on pourrait appuyer cette étude mais dans un souci d’anonymat, j’illustrerai le propos avec des couples architectes célèbres. SANAA, est une agence japonaise dirigée par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa. En France, on retrouve le duo Lacaton Vassal composée d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Cependant, le principe de complémentarité féminin/masculin n’est pas nouveau. Ainsi, Le Corbusier collaborait déjà à l’époque avec Charlotte Perriand.

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c) Salariat et évolution professionnelle

Pour une femme, les possibilités d’évolutions professionnelles sont difficiles. Pour beaucoup de femmes, le salariat n’offre donc pas de possibilités d’évolutions. Même si certaines pourront devenir chef de projet au sein d’une agence, Clara* explique qu’il est difficile pour une femme de prendre des parts dans la société où elle travaille en tant que salarié. Elle ne connait d’ailleurs que des hommes dans son entourage qui ont su le faire. « L’autre piste est de créer une entreprise et au regard de la conjoncture, c’est finalement difficile pour tout le monde » (Clara*, salariée)

C. Ces femmes qui se lancent Dans cette partie, nous nous attacherons à comprendre les problèmes rencontrées par les femmes, qui sont inscrite à l’Ordre des Architectes et qui exercent sous forme libérale ou associée. En 2000, les trois quarts des femmes inscrites à l’Ordre exercent la profession sous forme libérale (73.4%) contre 85% des Hommes.

a) Absence de modèle / Importance des réseaux féminins

Absence de modèle

Il y a très peu de représentations féminines pendant les études. Dans les différents champs d’études1, sur quarante-huit enseignants, seulement onze sont des femmes. Parmi ces onze femmes, seulement six sont réellement architectes, dont deux qui sont plus ingénieures qu’architectes. Les autres sont artistes, urbanistes ou encore sociologue.

Graphique 14 : Analyse personnelle à partir de la liste des enseignants (http:// www.lyon.archi.fr/enseignants.html) 1 Il y a six différents champs d’études à l’école d’architecture de Lyon, qui sont : Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine, sciences et techniques pour l’architecture, Art et les techniques de représentation, Histoire et conceptions architecturales, Sciences humaines et sociales, Villes et territoires

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Les rares autres représentantes de l’architecture sont des intervenantes en projet. C’est pendant ce temps de projet, qu’on peut analyser à quel point le cliché de l’architecture comme une « White’s gentlemen Profession » (Dixon, 1994) est ancré dans les mentalités, même parmi les étudiants. J’illustrerai ce propos par une analyse personnelle qui date de l’année dernière : en groupe de projet de troisième année de Licence. Les professeurs encadrants sont associés par deux et dirigent ensemble une trentaine d’étudiants. Parmi les groupes, une jeune architecte d’une trentaine d’années était associée à un homme plus âgé et parmi leurs étudiants, indifféremment de leur sexe, certains préféraient aller voir l’homme plus âgé pour « être sur » des conseils qu’ils allaient recevoir, sous entendant qu’une femme jeune ne pouvaient pas donner de bon conseil. Cependant, si on peut prendre pour référence Jean Nouvel ou Peter Zumthor, on ne peut pas prendre « sérieusement » l’architecture de femmes comme Zaha Hadid ou Odile Decq, tant pour se démarquer, elles fonctionnent sur des architectures « atypiques » avec un fort impact visuel : les courbes pour la première, les couleurs pour la seconde. Il existe d’autres femmes architectes comme Manuelle Gautrand, Françoise-Hélène Jourda ou Anne Lacaton de Lacaton & Vassal. Mais elles se font tellement discrètes qu’elles ne sont pas accessibles à quelqu’un qui ne le auraient pas recherchées. Le système de consécrations de la profession d’architecte fonctionne autour de peu d’élus et encore moins d’élues. « L’élite architecturale fonctionne en cercle fermé » (Biau, 1998) mais les femmes ne sont que peu admises. (Lapeyre, 2005). Ainsi, sur tous les prix Pritzker décerné depuis 1979, la seule lauréate a été Zaha Hadid en 2004.

L’importance des réseaux féminins

La communication « entre filles » est essentielle pour échanger sur le métier, les nouveautés, les problèmes qu’on a rencontrés, pour dédramatiser ou trouver du soutien. Quand on parle d’un futur exercice en société, la plupart des femmes interrogées, pense que si elle devait monter une société, elle le ferait avec une autre femme. Comme Julie* qui exerce en libérale actuellement et qui aimerait bien, si elle devait créer une société faire « un pied de nez » aux sociétés entièrement dirigées par des hommes, en s’associant à une femme, à l’image de l’agence parisienne des Clics et des Calques2. Tumblr est une plate-forme de type «blog» créée en 2007, qui permet à l’utilisateur de poster du texte, des images, des vidéos, des liens et des sons.

Créé par deux femmes architectes, le tumblr «Madame l’architecte»3 a également été souvent mentionné. Mêlant humour et anecdote sur les situations que connaissent, parfois les femmes, mais plus globalement tous les architectes, ce site représente un excellent média pour échanger sur les problèmes du quotidien de l’architecture. 2 Collectif d’architecte crée en 2008 en association avec Camille Besuelle, Nathalie Couineau et Mathilde Jauvin. Le collectif a remporté Prix de la jeune femme architecte en 2013. 3 http://madamelarchitecte.tumblr.com/

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b) Ne pas se mettre des freins

« Je suis capable de le faire »

Eduquée par la société, les femmes sont construites par les stéréotypes de genre selon lesquels elles ne peuvent pas diriger. Elles se mettent des bâtons dans les roues en se demandant Est-ce que je peux le faire ? Est-ce que je vais avoir le temps ? Mathilde* explique « J’ai des doutes et j’ai des peurs sur ce que moi je projette aussi de cette image de ma place en tant que femme dans mon couple, dans le rôle que je veux avoir avec mes enfants… Des choses comme ça… Et c’est moi qui me mets des freins… C’est pas les autres.» Camille* (Architecte libérale et à temps partiel au CAUE) conclut : « Le métier est très difficile et lourd de responsabilités. C’est parfois difficile d’être la seule femme avec que des hommes autour d’une table...mais il faut se battre, on n’a pas le choix ! »

« Je peux passer outre les attentes sociales »

Il est également possible de mettre à distance les exigences domestiques et familiales même si la société et l’entourage proche sont là pour rappeler les différentes phases de leur vie « selon la norme » (Lapeyre, 2006, p105) Certaines femmes ne veulent pas avoir d’enfant, comme par exemple Zaha Hadid. Ce « contrat de genre » et par conséquent, la problématique de concilier vie familial et professionnel peut ne pas avoir lieu d’être.

c) Exercer en libéral ou être chef d’agence : un autre métier

C’est une caricature que de penser qu’aujourd’hui il existe une opposition dans les sexes avec d’un côté « les hommes dans la création et le libéral » et de l’autre les femmes, « travaillant dans l’ombre des architectes » (Chadoin, 1998). Les femmes architectes diplômées HMO se lancent rarement juste après l’obtention de leur habilitation à moins d’avoir déjà eu une activité professionnelle ou d’avoir passé leur diplôme en formation professionnelle continue. Certaines peuvent le faire mais c’est une question d’envie et d’opportunités. Elles peuvent aussi déjà avoir constitué une famille et ont donc déjà des enfants. Exercer en libéral ou en tant que gérant d’une société, «c’est complètement un autre métier » que le salariat. Cela implique de savoir gérer une structure, administrativement et commercialement avec l’obligation de chercher des affaires pour « faire tourner son entreprise ». La commande privée implique la question des réseaux de clientèle, tout comme la commande publique demande d’avoir un certain nombre de contact et de pouvoir justifier d’expériences dans le domaine.

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La commande publique est la plus valorisée. Elle induit «une hiérarchie de prestige et une stratification entre les architectes, à la fois économique et symbolique» (Champy, 2001). En plus de devoir démontrer aux autres qu’elles sont capables d’exercer l’architecture et la maitrise d’œuvre, elles doivent apprendre de nouvelles compétences qui pour les hommes sont déjà intégré dans l’enfance par le biais de la socialisation. Ainsi, les qualités « politiques » d’orateur, la confiance en soi (le « bagou » naturel) sont des apprentissages à effectuer, au même titre que la gestion administrative. Les femmes paraissent « par certains aspects plus «strictes», plus «sévères» » dans l’exercice du métier de gérante que les hommes chefs d’agence. Elles sont en tout cas plus pointilleuses comme le montrait déjà le cas de Marion Forget (Noemie*)

La question des réseaux : qualités politiques.

La question des réseaux est essentielle pour avoir des clients, et donc une entreprise qui fonctionne. Comme le souligne Mathilde, « Quand on regarde comment fonctionne le réseau, c’est un univers d’homme. » Elle qui ne s’intéresse pas trop à la moto ou aux voitures, ce n’est pas là où elle va pouvoir rencontrer potentiellement ses clients. Elle ajoute que ceux-ci « sont un peu plus âgé » et espère que « les plus jeunes ne fonctionneront pas sur ces même réseaux » et ainsi qu’il sera plus facile de les rencontrer. Julie raconte qu’elle a participé à l’évènement des pyramides d’or à Lyon afin de rencontrer des contacts potentiels. Lors de ces évènements, tout est important. Il est essentielle de se montrer, de se vendre et pour cela d’être toujours « au top » Au début de la carrière, les principaux réseaux de contact pour les femmes libérales ou chef d’agence sont la famille et l’entourage proche. « J’ai refait la maison de mes parents, puis des amis à eux ont visité et m’ont demandé de leur faire leur projet et ça à fonctionner comme ça » explique Sarah*.

D. La diversification professionnelle comme réponse à la crise de l’emploi Certains sociologues soutiennent que les femmes se dirigent vers les secteurs les plus «impurs» ou en tout cas les moins «légitimes», du point de vue des valeurs dominantes au sein de la profession. (Chadoin, 2000) Premièrement, les femmes ne sont pas dans la même logique de valorisation du titre d’architecte, selon laquelle le vrai architecte, au sens « pur » doit exercer la « maitrise d’œuvre ». Ce phénomène peut s’expliquer par la socialisation : un haut niveau professionnel est extrêmement valorisant pour un homme. Il existe des centaines d’autres manières d’exercer l’architecture, en plus de toutes celles qui n’ont pas encore été inventé.

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« J’occupe actuellement un poste d’assistante projet dans une entreprise de conseil en hospitalie (...) C’est un travail qui permet de rester au plus près de l’architecture tout en échappant aux aspects que je n’apprécie pas dans l’exercice de celle-ci. » (Camille*) Les femmes participent à la diversification professionnelle. Elles investissent d’autres secteurs, surement plus rémunérateur et moins précaires que certaines formes d’exercice libéral. La féminisation accompagne le mouvement de mutation des formes d’exercices professionnelles. Les femmes ont suivi la diversification, induite par le marché. Ce sont les réalités économiques qui modèlent les évolutions professionnelles et pas les comportements individuels ou collectifs. Les femmes contournent les aspects qu’elles n’aiment pas dans la profession en utilisant toutefois leur diplôme. Cela participe à la diversification de la profession et ouvre ainsi de nouvelles perspectives à l’architecture. « En tant qu’architecte, t’es pas obligée de travailler en agences… Tu peux faire plein plein de métiers… Avec ton diplôme » (Clara*, salariée) « Ne travaillant pas en tant qu’architecte actuellement et n’étant pas

inscrite à l’Ordre, je ne me considérerai pas comme «femme architecte», même si sur mon CV, c’est finalement ce que je suis... Pour moi l’architecture n’a été qu’une étape de mon parcours académique et professionnelle et elle m’a amenée vers d’autres univers (design, marketing, direction artistique). » (Justine*, 26 ans, Salariée dans une agence de design de

marques)

Selon une enquête sur l’insertion des diplômés qui datent de 1995, 43% des femmes ont choisi la diversification au sein de l’architecture contre 33% des Hommes (Chadoin, 2000). On l’a vu au moment de la HMO, 35% des femmes ont effectuées d’autres études entre la fin de leur diplôme et l’entrée en HMO. Les femmes peuvent alors se diversifier professionnellement vers des métiers plus porteurs, notamment celui de l’urbanisme. L’urbanisme attire de nombreuses architectes, car c’est un métier qui se rapproche beaucoup de l’architecture. De plus, le métier d’urbaniste est un métier très récent et par conséquent, véhicule moins l’idée d’une profession masculine.

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«

Le stress du chantier, j’ai bien envie de le vivre moi toute seule, j’ai pas envie d’avoir déjà un enfant et de cumuler. (...) J’ai pas envie d’envoyer du stress à mon enfant. (Charlotte*, salariée et bientot associée)

III. Mère et architecte. La difficulté de cumuler deux emplois. Abordée dans (presque) tous les entretiens, la question de la famille, et plus généralement de la maternité pour une femme semble être une réponse à très sérieusement prendre en considération. Cela prend du temps et de l’énergie de devenir architecte, encore plus de le faire en libérale ou en tant que chef d’agence. Temps et énergie que beaucoup de femmes qui se posent la question d’avoir des enfants préfèrent économiser pour construire leur famille (ou en l’anticipant). Etre salariée permet de se protéger de l’insécurité de l’exercice en libérale : être sûre de pouvoir toucher un salaire à la fin du mois et surtout ne pas avoir les responsabilités qui incombent à tout architecte. Nous allons analyser les deux modes d’exercice principalement vu pendant les entretiens qui sont, le salariat et l’exercice en libéral.


A.

Quand les aspirations personnelles se heurtent à un métier « chronophage »

En grande majorité prises dans une logique d’études supérieures exigeantes, les femmes n’anticipent pas leur future situation familiale quand elle planifie leur carrière jusqu’à se retrouver plus tard devant le fait accompli (Lapeyre, 2006). Le fait que les promotions soient féminisées à plus de 50% permet de relativiser les obstacles que les femmes vont rencontrer dans leur exercice professionnel. Pour beaucoup de femmes, la construction de la carrière va s’effectuer en fonction de sa vie de famille. Nathalie Lapeyre explique que la maternité fait revoir les ambitions professionnelles à la baisse tandis que chez les hommes, cette situation conforte leur situation professionnelle. En France, la place de la mère est encore aujourd’hui, un rôle de femme. Après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux (INSEE, 2013). Les femmes prennent de plus en plus de congés à temps partiel car les congés parentaux à temps plein peuvent les exclure du marché du travail. Cependant, la société est en train d’évoluer. Mathilde* pense que ça change au niveau des hommes architectes « j’ai un collègue qui a eu un petit garçon y’a… 8 mois et au moment où sa femme a repris le travail, comme y’avait pas de place dans une crèche, il s’est mis à temps partiel pour élever son petit garçon. Il avait envie de se mettre à son compte et maintenant il n’est pas sure. » Ainsi, c’est parce que les femmes sont les seules à être éduquées à faire face à l’arrivée d’un enfant qu’elles sont les seules à être confrontées à cette problématique de la maternité. Ainsi, Julie « croit en la division des tâches à la maison ». Elle qui exerce en libéral, espère bien que son compagnon, non architecte, l’aidera si un jour ils avaient des enfants.

B. Le choix de l’exercice en fonction de la famille

a) Le salariat

Le salariat a de nombreux avantages pour les femmes qui veulent avoir des enfants. Il leur assure la sécurité de l’emploi, un salaire et des horaires réguliers. Lisa* explique que depuis qu’elle a eu deux enfants, ses objectifs professionnels ont dû s’adapter face à cette nouvelle responsabilité. « Mes ambitions sont toujours

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orientées vers une activité libérale future mais les enfants en bas âge demandent de l’attention, du temps et de la disponibilité, physique mais aussi intellectuelle. Il m’a semblé préférable de repousser pour l’instant ce projet car il est important pour moi de profiter pleinement de chaque étape de la vie. »

b) La volonté de ne pas être une mauvaise mère

Pour beaucoup, choisir un exercice qui permet de concilier travail et vie de famille est essentielle pour ne pas passer pour une « mauvaise mère qui ne passerait pas beaucoup de temps avec ses enfants ». Le fait que les femmes française soit actives professionnellement est déjà beaucoup critiqué au niveau européen. Ainsi, dans l’émission radio Les femmes, toute une histoire, l’animatrice Stéphanie Duncan rapporte que le journal allemand « Die Zeit » a publié un article « Mère française, l’amour maternel à distance »1. Les mères françaises n’arriveraient pas à construire de relations avec leur enfant parce qu’elles sont obsédées par leur travail. « Tout est fait pour leur faciliter la carrière, place en crèche, subvention pour les nounous, allocations familiales ». Les mères françaises rentreraient les soirs peu disponibles pour leurs enfants.

c) Libéral : la difficulté de conciliation avec la vie privée

L’exercice en libéral apparait comme incompatible pour Hélène* à qui il a été proposé de reprendre l’entreprise dans laquelle elle est. Elle a décliné l’offre « souhaitant actuellement se consacrer à sa vie personnelle et familiale au détriment de mon évolution professionnelle » Elle souhaite avoir des enfants et avoir du temps pour s’en occuper, ce qui est pour elle incompatible en ce moment avec une profession en libérale comme l’architecture. L’exercice en libéral suscite donc des problèmes de conciliation avec la vie privée. Carole* qui exerce en libérale explique : « pour ma part c’est un peu difficile de m’investir à fond car j’ai deux enfants en bas âge à m’occuper et du coup moins de temps pour faire ma place au milieu des autres cabinets qui sont le plus souvent gérés par des hommes.» Dans tous les cas les femmes qui exercent en libéral, vont être confrontées, au moment de la maternité à l’obligation de cesser leur activité professionnelle. Ces femmes se posent beaucoup de questions sur comment elles vont faire pour continuer de gérer leurs dossiers en cours. Dans le cadre d’une activité salariale, la question se résout plus facilement, même si le congé maternité est quelque fois « mal vu », car ces femmes ne sont pas seules : il peut y avoir des passations de dossier. 1 en date du vendredi 20 septembre 2013

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Pour des femmes libérales, la question est difficile car reprendre une activité après un temps d’absence fait perdre tous les contacts. Julie*, qui exerce en libéral, raconte qu’après un voyage de deux mois, elle a du « ramer » pour sortir de « la traversée du désert » et récupérer de nouveaux clients. Alors comment faire après un congé maternité qui est parfois plus long que deux mois. C’est une problématique qui provoque de l’incertitude et nécessite «une certaine organisation». Les associations d’architectes, sous forme de collectifs, sont par exemple une solution pour avoir quelqu’un à qui confier ses dossiers en cours. Aussi, le fait d’être en couple avec une autre personne architecte permet, au moment de la grossesse, de pouvoir se décharger du travail. La maternité, est un énorme problème pour beaucoup de femmes libérales ou de chef d’agence. Une profession à titre libérale n’est pas stable, à tel point qu’elles peuvent se demander si elles ne devraient pas rester salariées. Mylène*, qui exerce en libéral depuis ses débuts, explique que ces derniers mois ont été particulièrement difficile et qu’elle n’a pas pu se verser de salaires. « Cette incertitude de savoir si je vais avoir du travail le lendemain… Chercher des nouveaux projets… Est-ce que cette énergie je l’ai ? Estce que toute cette énergie que je vais mettre dans le travail, est ce qu’il va m’en rester après pour ma vie de famille ? » (Mathilde*, Architecte

salariée et bientôt chef d’agence)

L’exercice de la profession en libéral, une fois passée la question de la maternité se révèle plus facile. C’est aussi ce qui explique que les femmes qui ont déjà constitué leur famille se lancent plus facilement que les femmes dans ce type d’exercice. Une fois que les enfants ont grandi, l’exercice en libéral a l’avantage de pouvoir s’aménager du point de vue du temps. Carole*, mère de deux enfants, explique « Cela me permet d’avoir une liberté, si mes enfants sont malades, s’il faut les accompagner pour une sortie ou s’il y a un rendez-vous en journée. Je peux me libérer comme bon me semble. Après c’est à moi de m’organiser pour faire mon travail dans les temps, il n’est donc pas exclu que je me lève à 5h du matin pour finir un dossier ou de le terminer le soir à minuit… » Pour conclure sur la question de la maternité, il faut retenir que c’est probablement la réponse à la question de ce dossier. Si les femmes architectes ne s’inscrivent pas à l’Ordre, c’est parce que l’exercice à titre libéral, associée ou chef d’agence semble malheureusement incompatible, aujourd’hui avec la volonté d’avoir une famille ou en tout cas très compliqué.

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Conclusion

Comment comprendre que des femmes diplômées HMO ne se retrouvent pas dans l’Ordre des Architectes, aujourd’hui en France ? Comment exercent-elles ? Quittent-elles l’architecture ? Cette question m’a semblé aussi intéressante que complexe à traiter puisqu’il existe autant de réponses que de femmes HMO qui ne sont pas inscrites. Cependant, il existe des « grandes tendances ». La première est liée à la culture intégrée par le biais de la socialisation qui fait passer le métier d’architecte comme un métier masculin. La nature très récente de l’évolution de la femme dans la société ou de la féminisation des professions de l’architecture ne facilitent pas l’intégration des femmes dans le métier. La deuxième réponse est liée à la réalité du métier. Que ce soit l’image que la profession renvoie au public ou ce qu’on nous enseigne en école d’architecture, ça ne reflète pas la réalité. A peine touchée du doigt pendant les stages obligatoires, elle peut être un véritable choc au moment de l’entrée dans la sphère professionnelle. L’enjeu de la formation HMONP s’effectue plus pour comprendre le métier et finir ses études, que par réelle envie de s’inscrire à l’Ordre. Le métier qui ne correspond pas aux attentes est une des raisons pour lesquelles les femmes peuvent quitter l’architecture tandis que la dure réalité du métier explique pourquoi la majorité des jeunes diplômées se tournent vers l’exercice en salariat. Le contexte de crise que connait l’architecture aujourd’hui est plus dur pour les femmes. Elles connaissent une répartition sexuée. Même pendant le chômage, les femmes sont le plus touchée. Lorsqu’elles occupent un emploi, c’est plus généralement les postes les plus bas où elles touchent, à compétence égale, un salaire inférieur. Ce contexte économique plus dur pour les femmes est lié en grande partie à la domination masculine qui règne encore dans le milieu, et ne les aident pas à évoluer professionnellement et à s’inscrire à l’Ordre. Il peut en revanche être une des motivations pour quitter l’architecture ou se diversifier professionnellement. La troisième réponse est liée à l’Ordre des Architectes en lui-même. L’ordre n’a pas forcément une bonne image auprès des architectes. De plus, les femmes se passent volontiers de s’y inscrire puisqu’elles n’exercent pas les pratiques pour lequel l’inscription est obligatoire. En effet, majoritairement salariées, les femmes peuvent se passer de cette inscription. Le salariat, contrairement à l’exercice en libéral, associé ou chef d’agence, offre un confort à la femme. Il est plus en accord avec ses envies et les normes de la société, où la femme ne dirige pas. L’exercice en libéral, quant à lui, peut faire peur car c’est « un autre

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métier » il nécessite d’apprendre des compétences politiques et administrative « dite masculine ». Il faut aussi trouver une clientèle et la question des réseaux est plus difficile pour une femme, du fait qu’elle n’est pas admise dans les « cercles masculins ». Enfin, la quatrième et dernière raison, qui met quasiment toute les femmes d’accord est la question de la conciliation de la vie de mère et de la vie d’architecte. Aux alentours de trente ans, les femmes sont rappelées par la norme de la société et se projettent dans une vie de famille qui les empêchent d’évoluer professionnellement. Le salariat a beaucoup d’avantages en comparaison de l’exercice en libéral et c’est aussi pourquoi il est majoritairement choisi par les femmes. Globalement, les femmes ont conscience que cela est en train de changer. Par rapport à il y a cinquante ans, la féminisation de la profession a déjà beaucoup progressé. Beaucoup espèrent que le départ à la retraite de la « vieille génération » qui a un peu une image « vieille France » offre de nouvelles perspectives pour les femmes au sein de l’architecture. « La féminisation de la profession d'architecte sera sans doute une manière de pouvoir améliorer la perception du rôle de l'architecte au sein de notre société. » Plus il y aura de femmes qui se lanceront dans les professions libérales, et plus elles montreront le chemin aux nouvelles générations. Pour cela, il est aussi nécessaire que la société évolue par rapport à la femme. La remise en question de l’IVG en Espagne actuellement montre que rien n’est acquis en tant que femmes et qu’il faudra surement beaucoup d’énergie et de temps pour arriver à une parité effective. Faire évoluer la femme, c’est aussi remettre en question le rôle de l’Homme. Dans une société basée sur le système de la domination masculine, c’est compliqué. Cependant, si on veut améliorer les réponses à la question de la maternité, la parité est on ne peut plus nécessaire. Il ne faut pas hésiter à remettre en question l’éducation socialisante qui nous rend un peu frileuse à l’idée de nous lancer. Même si le machisme est encore présent, il est important de comprendre qu’aujourd’hui c’est un phénomène isolé. En conservant cette image et en la diffusant, c’est bien souvent les femmes qui vont, à cause de ces clichés, se mettre des barrières elle-même.

«

They did not know it was impossible, so they did it ! Mark Twain

54 Conclusion

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bibliographie

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Articles de revue CHADOIN Olivier, Construction sociale d’un corps professionnel et féminisation : le cas des métiers d’architecture au tournant des années 1990, in Interrogations, Numéro 5, 2007. CHADOIN Olivier, La féminisation de la profession d’architecte : entre dépréciation statutaire et reconfiguration identitaire, in Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme, 29 juillet 2002. DIXON John Morris, A White gentleman’s profession?, in Progressive architecture, n°11, novembre 1994, p. 55-61 LANNIER Jean François, Difficile d’être une femme architecte ?, in Connaissance des arts, (2008, Mars) n°658, p. 108-113. LAPEYRE Nathalie, Les femmes architectes : entre créativité et gestion de la quotidienneté, Empan 1/2004 (no53), p. 48-55 URL: www.cairn.info/revue-empan-2004-1-page-48.htm

55 Bibliographie

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Dossier Ce que les femmes font à l’architecture in Criticat, (2012, Automne), n°10.-P. 40-87. Les femmes dans l’architecture : entretien avec Joëlle Dumonteil, in Auvergne Architectures, (2003, novembre) n° 32 2003, p. 15

Etudes ARVHA - Egalité professionnelle Femmes Hommes dans les agences d’architecture, Novembre 2012 CHADOIN Olivier, EVETTE Thérèse, Statistiques de la profession d’architecte 1998-2007, Février 2010, http://goo.gl/7iU5wy ENSAL Observatoire des débouchés - 2006 (http://www.lyon.archi.fr/_pdf/obs_debouches_2006.pdf ) - 2007 (http://www.lyon.archi.fr/_pdf/observatoire_debouches_2007.pdf ) NOGUE Nicolas, Le chômage et les architectes, Juillet 2010, http:// goo.gl/MXSczK OMPL, L’emploi et les trajectoires des salariés dans les entreprises d’architecture, Mars 2010, http://goo.gl/EIeiJT ORDRES DES ARCHITECTES - Observatoire de la profession 2005, 2008, 2009, 2010 et 2011 - Les jeunes diplômés et l’Ordre, 2010 Disponibles sur internet : http://www.architectes.org/connaitre-l-ordre/ les-chiffres-de-la-profession

Films Juliette Biard, première femme architecte, http://www.ina.fr/video/ RCF07002127 Odile Decq, architecte, 1986 http://www.ina.fr/video/I09112962/odiledecq-architecte-video.html

Sources en ligne Service public : Les conditions d’exercice de l’architecture : http://vosdroits.service-public.fr/professionnels-entreprises/F31902.xhtml Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’architecture, site du colloque du 30 Novembre 2012, organisé par ARVHA (Association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat) http://www.egalite-pro-femme-archi.eu/ Etude égalité professionnelle ARVHA disponible sur : http://www. arvha.asso.fr/actualites/2012/30novembre/etudeEgaliteProArvha.pdf

56 Bibliographie

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aNNEXES

Formulaire Google Drive destiné aux étudiantes HMO http://www.goo.gl/Kh1m8r

57 Annexes

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aNNEXES

Formulaire Google Drive destiné aux diplômées HMO http://www.goo.gl/A17gXb

58 Annexes

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tABLE DES FIGURES Graphique 1. Récapitulatif des femmes architectes contactées par promotion et types de réponses Graphique 2. Pourcentages des femmes architectes contacté par promotions et types de réponses.

Graphique 3. Graphique récapitulant les motivations premières des femmes pour passer leur HMO, élaboré à partir des réponses au questionnaire en ligne et des entretiens et sur un total de 64 réponses.

Graphique 4. Graphique illustrant les réponses des 64 personnes ayant participé à l’enquête. Graphique 5 : Source : CNOA/IFOP 2011 (http://goo.gl/LY1sdR) Graphique existant remis en forme

Graphique 6 : Source : CNOA/IFOP 2011 (http://goo.gl/LY1sdR) Graphique existant remis en forme

Graphique 7 : Source : PE/EOA Graphique existant in NOGUE Nicolas, Le chômage et les architectes, Juillet 2010 / (http://goo.gl/ MXSczK) remis en forme Graphique 8 : Source : PE/OEA Graphique existant in NOGUE Nicolas Le chômage et les architectes, Juillet 2010 / (http://goo.gl/ MXSczK) remis en forme Graphique 9 : Source : PE/EOA Graphique existant in NOGUE Nicolas Le chômage et les architectes, Juillet 2010 / (http://goo.gl/ MXSczK) remis en forme Graphique 10 : Source : OMPL Graphique existant in « L’emploi et

les trajectoires des salariés dans les entreprises d’architecture », Mars 2010 / (http://goo.gl/EIeiJT) remis en forme

Graphique 11 : Source : CIPAV-LET, remis en forme à partir de

l’étude d’Olivier Chadoin et Thérèse Evette : Statistiques de la profession d’architecte 1998-2007 (http://goo.gl/7iU5wy)

Graphique 12 : Source : CNOA/IFOP 2011 (http://goo.gl/LY1sdR) Graphique existant remis en forme, p52 Graphique 13 : Source : CNOA/IFOP 2011 (http://goo.gl/LY1sdR) Graphique existant remis en forme, p53 Graphique 14 : Représentation des effectifs féminins chez les enseignants de l’ENSA de Lyon en 2014. Analyse personnelle à partir de la liste des enseignants (http://www.lyon.archi.fr/ enseignants.html)

59 Table des FIGURES

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TABLES DES MATières p. 2

Remerciements

p. 4

Introduction A. Premières hypothèse B. Méthodologie C. Attendus

p. 6 p. 6 p. 9

p. 10

PARTIE I. Socialisation et héritage

p. 11

A. Qu’est-ce que la socialisation ?

p. 13 p. 13 p. 14 p. 15 p. 16 p. 17

B. Héritage social a) L’éducation des femmes : un long parcours b) Vie familiale et parentalité c) Parité d) Histoire des femmes en écoles d’architecture e) Protection du titre et féminisation : Destins croisés

p. 19

PARTIE 2. Quand la réalité du métier fait fuir

p. 20

A. A « White’s gentlemen Profession » : L’architecte dans l’imaginaire collectif

p. 21

B. Continuer le rêve jusqu’au diplôme

p. 22 p. 22 p. 23 p. 24

C. Entrée dans le monde professionnel et HMO : le début du désenchantement a) Programme de la HMO b) La HMO, une fin en soi c) La HMO, une formation intéressante pour la majorité d’entre elles

p. 25 p. 25 p. 26 p. 26 p. 26 p. 27 p. 29 p. 29

D. La « claque » de la réalité a) Des écoles qui ne forment pas à la réalité Economie occultée Des projets peu ancrés dans la réalité b) Une crise de l’emploi plus dure pour les femmes Répartition sexuée des chômeurs Les hauts postes plus difficiles à atteindre pour les femmes Ecarts de rémunération

p. 31

PARTIE 3 : L’ordre et les femmes architectes

p. 32

L’Ordre des Architectes : une possibilité, pas une nécessité

p. 33 p. 34 p. 35

A. Pour quelle pratique de l’architecture a-t-on besoin de s’inscrire ? B. L’image de l’Ordre : un bilan mitigé C. Au final : pourquoi s’inscrire ? 60

Table des MAtières

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TABLES DES MATières p. 37 p. 38 p. 38 p. 39 p. 40 p. 41

Etre une architecte aujourd’hui A. Etre une femme et une architecte, pas que des inconvénients a) Très peu de différence au niveau de la conception b) Le chantier : le lieu des inégalités ? c) « La part de fille qui évolue dans un métier de mec » d) Les préjugés liée à la femme dans l’architecture

p. 42 p. 42 p. 43 p. 44

B. Le salariat comme la prolongation du schéma du foyer

p. 44 p. 44 p. 44 p. 45 p. 46 p. 46 p. 46 p. 46 p. 47

C. Ces femmes qui se lancent a) Absence de modèle / Importance des réseaux féminins Absence de modèle L’importance des réseaux féminins b) Ne pas se mettre des freins « Je suis capable de le faire » « Je peux passer outre les attentes sociales » c) Exercer en libéral ou être chef d’agence : un autre métier La question des réseaux : qualités politiques.

p. 47

D. La diversification professionnelle comme réponse à la crise de l’emploi

p. 49

a) Un lien presque paternel b) Le cas des couples architectes c) Salariat et évolution professionnelle

Mère et architecte. La difficulté de cumuler deux emplois.

p. 50

A. Quand les aspirations personnelles se heurtent à un « métier chronophage »

p. 50 p. 50 p. 51 p. 51

B. Le choix de l’exercice en fonction de la famille a) Le salariat b) La volonté de ne pas être une mauvaise mère c) Libéral : la difficulté de conciliation avec la vie privée

p. 53

Conclusion

p. 55

Bibliographie

p. 55 p. 55 p. 56 p. 56

Livres Articles de revue Films Sources en ligne

p. 57

Annexes

p. 59

TABLES DES ILLUSTRATIONS

p. 60

TABLES DES Matières 61

Table des MAtières

Femmes architectes - Céline Billard - ENSA Lyon - Mai 2014


Le métier d’architecte est historiquement masculin. La France est entrée dans un processus de féminisation de la profession depuis le dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, les effets sont largement visibles dans les Ecoles d’Architecture où la population féminine des étudiants est, si non majoritaire, au moins égalitaire. De la même manière, les étudiantes en formation HMONP sont plus nombreuses. Cette formation a pour but de pouvoir s’inscrire à l’Ordre des Architectes, et par conséquent d’exercer en tant que libérale, associée ou chef d’agence. Or, seulement 20,4% de femmes y sont aujourd’hui inscrites. / En s’appuyant à la fois sur des écrits théoriques et sur des entretiens avec des femmes architectes ou étudiantes HMO, ce mémoire apportera une réfléxion sur le faible taux d’inscription des femmes à l’Ordre, et donc de femmes exerçant en leur nom propre.

Being an architect is historically male. France entered into a process of feminization of the profession since the nineteenth century. Today, the effects are largely visible in Schools of Architecture where the female student population is, if not the majority, at least equal. In the same way, students in training HMONP are more numerous. This training has the purpose of being able to register with the Architects Association, and therefore practice as liberal, associate or branch manager. However, only 20.4% of women are now registered. / Based on both theoretical writings and interviews with women architects or HMO students, this paper will make a reflection about the low rate of female enrollment at the Association, and therefore women engaged in their own name.

/ Mots-clefs / Femme / Architecte / Profession / Sociologie / Genre /


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