Matériaux naturels et expérience sensible

Matériaux naturels et expériences sensibles : Les matériaux de construction biosourcés et géosourcés

The Mirrorcube, Suède ©Treehotel

participent-ils à répondre au besoin de nature ?

Cécile Pélissier

Sous la direction de Roland Vidal Mémoire Master 2 « Théories et Démarches du Projet de Paysage » École Nationale Supérieure de Paysage - AgroParisTech Année universitaire 2019-2020

Résumé Ce travail propose d’étudier le potentiel sensible des matériaux naturels (biosourcés et géosourcés) utilisés dans la construction, en particulier le sentiment de nature qu’ils peuvent procurer dans les

environnements intérieurs. Le but de la recherche est de transposer ces qualités à la constitution de la

ville durable. D’abord, du point de vue de la soutenabilité et de la provenance des ressources prélevées

par la ville. Ensuite, à travers la constitution d’un paysage urbain de qualité et la création d’intérieurs

plus confortables. Les matériaux de construction naturels sont appréhendés ici à travers les ressentis multisensoriels qu’ils procurent et qui les différencient des matériaux « conventionnels ».

Contexte disciplinaire : Architecture / Paysage / Psychologie de l’environnement / Sociologie

environnementale / Urbanisme.

Mots clefs : Ville durable ; Matériaux naturels ; Biosourcés ; Géosourcés ; Paysage sensible ; Bien-être ;

Sensorialité ; Confort ; Habitat ; Sentiment de nature ; Biophilie.

Abstract This research studies the sensitive potential of natural materials (biobased and geomaterials) used in

construction, especially the natural feeling they can provide in an interior environment. The research goal is to transpose these qualities to sustainable cities. First, according to resources durability and origin

that are employed by cities. Then, through the high-quality design of urban landscapes and the creation

of better standards of living. Natural materials in construction are understood here through multisensorial perceptions they occur, in comparison with usual modern materials.

Subject context: Architecture / Landscape / Environmental psychology / Environmental sociology /

Urban planning.

Key words: Sustainable city ; Natural materials ; Biobased materials ; Geomaterials ; Sensitive landscape ; Well-being ; Comfort ; Living ; Feeling of nature ; Biophilia.

Remerciements Je remercie chaleureusement les personnes, professionnels ou particuliers, qui ont consacré du

temps à répondre à mes questions, celles qui m’ont accueilli dans leur résidence ou sur leur lieu de travail,

celles avec qui j’ai pu m’entretenir par téléphone, et toutes celles qui m’ont enseigné de près ou de loin leurs savoirs et partagé leurs expériences.

J’ai appris beaucoup de choses en six mois de recherche, peut-être davantage en si peu de temps qu’en

plusieurs années d’expérience professionnelle. C’est avant tout un univers très riche et passionnant que

j’ai découvert, une multiplicité de belles initiatives et de projets innovants. La volonté collective de

partager et de faire découvrir est un moteur précieux qui m’a donné envie d’aller plus loin dans cet univers positivement constructif.

Je remercie également mes proches et amis, qui m’ont soutenu durant cette période studieuse, en

particulier Marine Vaillant, sans qui cette année de Master n’aurait pas été possible, et ceux qui ont dédié

de nombreuses heures à la relecture de cet ouvrage.

Enfin, je remercie Roland Vidal pour sa disponibilité et ses conseils, ainsi que toute l’équipe pédagogique

de l’ENSP.

Sommaire Introduction...........................................................................................................................1

Partie 1 : Matériaux naturels biosourcés et géosourcés............................................................7 1.

2.

Qu’est-ce qu’un matériau naturel et comment l’utiliser ? .........................................................8 1.1

Éléments de définition .....................................................................................................8

1.2

Intérêt environnemental...................................................................................................9

1.3

Valorisation du paysage par ses ressources ......................................................................13

1.4

Organisation des filières françaises .................................................................................16

1.5

Principales techniques de mise en œuvre ........................................................................24

Caractéristiques principales des matériaux naturels ...............................................................30 2.1

Propriétés physiques et perspirance ................................................................................30

2.2

Qualités sensorielles et apport sensible ...........................................................................34

Partie 2 : Confort, bien-être et sentiment de nature .............................................................37 1.

2.

Notions de confort et de bien-être .........................................................................................38 1.1

Éléments de définitions .................................................................................................38

1.2

De l’espace de qualité à celui du bien-être ......................................................................39

1.3

Typologie de confort et bien-être ...................................................................................39

1.4

Méthodes d’évaluation du confort ..................................................................................41

Expérience de nature et théories de la restauration ................................................................43 2.1

L’expérience de nature ...................................................................................................43

2.2

La Biophilie...................................................................................................................44

2.3

Les théories de restauration de l’attention et de réduction du stress ................................45

2.4

Paysage multisensoriel et ville durable ............................................................................50

Partie 3 : Apport des matériaux naturels dans le sentiment de nature ...................................53 1.

2.

3.

Présentation de l’étude menée ...............................................................................................54 1.1

Méthodologie de l’enquête .............................................................................................54

1.2

Caractéristiques de l’échantillon .....................................................................................55

1.3

Caractéristiques des espaces étudiés ...............................................................................58

Analyse des résultats : trois niveaux de confort apportant un bien-être optimal .....................63 2.1

Le confort physique .......................................................................................................64

2.2

Le confort esthétique .....................................................................................................68

2.3

Le confort psychologique ...............................................................................................77

2.4

Bien-être optimal et sentiment de nature .......................................................................81

Apports connexes des entretiens menés et de l’immersion .....................................................84 3.1

La particularité du matériau terre ...................................................................................84

3.2

La chaleur du matériau bois ...........................................................................................87

3.3

La conception biophilique..............................................................................................91

Conclusion...........................................................................................................................93

Bibliographie .....................................................................................................................101

Introduction Aujourd’hui, le concept de « ville durable » est entré dans le vocabulaire commun des

personnalités politiques et des aménageurs. Cette notion, apparue peu après le rapport Brundtland de

1987, s’est développée dans les années 90, portée par des organismes mondiaux comme les Nations

Unies. Elle s’est matérialisée en France par la quasi-généralisation des trames vertes et bleues dans les

projets urbains et par une action de végétalisation urbaine [Wintz, 2015].

“En observant les politiques et les pratiques récentes en rapport avec la nature en ville, on constate comme une

sorte de souhait de retour à la nature, de « désir de nature », pourrait-on dire, pour reprendre l’idée de « désir de

campagne »” [Ibid., p.165].

Ce souhait a pris la forme d’un désir de « vert », d’arbres et de parcs, de jardinage et d’activités urbaines

permettant de se sentir plus proche de la « nature ». Cependant il est plutôt rare de travailler sur la

matière première de la ville, c’est-à-dire le bâti. Le bâti des villes modernes est ressenti comme plutôt

froid, minéral, artificiel. Dans sa forme, sa couleur, sa texture, il apparaît antinaturel. Ainsi la ville verte se composerait du végétal d’un côté, de l’artificiel de l’autre, les deux semblant s’opposer a priori.

Ne cherche-t-on pas à compenser l’artificialité de la ville en implantant une nature tout aussi artificielle ?

Que se passerait-il si on bâtissait avec du « chaud », avec du vivant en quelque sorte, avec des matériaux

issus plus directement de la nature ?

La nature urbaine est une forme de nature en soi. Comme l’explique M. Wintz (Directeur de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional de l’Université de Strasbourg), la ville produit avant tout une

nature maîtrisée, contrôlée, domestiquée et idéalisée, répondant à la vision sociale de la nature. “Tandis que la fonction ressource de la nature continue à donner lieu à des modes d’exploitation plus classiques et aussi plus violents” [Wintz, 2015, p.162].

La nature d’agrément provoquerait une sensation d’apaisement entre la ville et la nature, une “illusion du

développement durable” [Ibid.], tandis que les ressources énergétiques et matérielles produites en dehors, dans le proche ou le lointain, continuent à représenter des flux externes importants qui sont rejetés en déchets et nuisances considérables sur le territoire en périphérie de la ville.

A l’heure actuelle, les villes représentent 2% du territoire mondial et consomment 75% des ressources [Girardet, 1999]. Le bâti qui les constitue, si on considère les dépenses d’énergie nécessaires à la construction et à l’exploitation des bâtiments (chauffage, climatisation, etc.), est un des principaux consommateurs d’énergie et émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Le secteur du bâtiment à lui seul représente 43% des consommations énergétiques annuelles françaises et il génère 23% des émissions de

1

GES.1 La fabrication du ciment est l’une des activités industrielles les plus émettrices de GES, elle émettrait au niveau mondial 8% des GES d’origine anthropique.2

Nous savons qu’il est urgent de transformer en profondeur l’industrie du bâtiment et la façon de

construire nos villes. Ces nécessités sont de plus en plus connues et véhiculées, notamment à travers les matériaux biosourcés et géosourcés.3 Cependant, ces matériaux sont considérés la plupart du temps selon

leur seul intérêt écologique. Dénommés comme sains et « écolos », ils sont rarement étudiés au prisme

de leur dimension sensible et de l’intérêt plus immatériel qu’ils pourraient apporter à la ville durable de demain.

Et si nous amenions la nature en ville au travers des matériaux naturels, biosourcés ou géosourcés ?

Pouvons-nous rendre la ville plus sensible en y intégrant des formes, des textures, des couleurs plus naturelles et des matériaux plus vivants ? Cela changerait-il notre rapport à la nature, notamment dans

la compréhension de nos ressources, en les rendant visibles voire lisibles ?

Sachant qu’en Amérique du Nord et en Europe nous passons en moyenne 90% 4 de notre temps à

l’intérieur, n’est-il pas primordial de nous questionner sur le paysage intérieur de nos habitats et lieux de vie, ainsi que sur la façon dont ceux-ci sont conçus et construits ? Par ailleurs, l’image de la construction se reflétant à l’extérieur, qu’est-ce que nos bâtiments donnent à voir dans le paysage urbain ? Quelles ambiances participent-ils à créer ?

Éléments de définitions J’utiliserai dans ce mémoire le terme de matériaux naturels, en opposition aux matériaux

conventionnels utilisés de manière commune dans la construction. La construction conventionnelle,

courante depuis la fin de la seconde guerre mondiale, utilise des matériaux comme le ciment, le béton,

l'acier, le verre, les plastiques, les matières synthétiques dérivées du pétrole. Ces matériaux sont très transformés, non ou peu recyclables, et issus de matières non renouvelables extraites du sol ou produites chimiquement.

On utilise communément le terme de matériaux biosourcés pour désigner les matériaux issus de la

biomasse animale et végétale, en y incluant la terre crue et la pierre, qui sont des matériaux géosourcés premiers et abondants.5 Ici je les regrouperai, comme nous le verrons plus loin, sous le terme de

Source : Ministère de la Cohésion et des Territoires. URL : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/, consulté le 09/07/2020.

Chatham House Report (2018), « Making Concrete Change: Innovation in Low-carbon Cement and Concrete» (en ligne), 13/06/2018. URL : https://www.chathamhouse.org/publication/making-concrete-change-innovation-low-carbon-cementand-concrete, consulté le 09/07/2020.

3 Voir définitions plus loin.

4 Selon une enquête réalisée par YouGov auprès de 16 000 personnes de 14 pays d’Europe et d’Amérique du Nord.

5 Ministère de la Cohésion des Territoires (2020). « Matériaux de construction biosourcés et géo-sourcés » (en ligne), 02/06/2020.

URL : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/materiaux-de-construction-biosources-et-geosources, consulté le 10/07/2020.

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2

matériaux naturels. Ce terme désigne principalement dans cette étude le bois, le chanvre, la paille, le lin, le coton, le liège, la laine de mouton, mais aussi la pierre sèche et la terre crue.

Problématique et hypothèse Lorsque les matériaux naturels sont évoqués dans la construction de la ville durable, les discours

se concentrent sur les dimensions environnementale et économique du développement de filières locales.

Mais parle-t-on de leur rôle sensible, du ressenti des habitants, et des conséquences de l’emploi de ces matériaux sur notre bien-être et sur notre rapport ville / nature ?

C’est à cette dimension sensible que je vais m’intéresser : aux ressentis et au paysage sensible de l’habitat, dans le but de le transposer à l’échelle urbaine.

L’utilisation des matériaux biosourcés et géosourcés dans l’habitat peut-elle porter en elle le sentiment

de nature ? Comment les matériaux naturels utilisés dans la construction contribuent-ils à répondre à la demande sociale de nature ?

Mon hypothèse est qu’un état de confort particulier se perçoit dans les habitations mettant en œuvre les

matériaux naturels. Si la nature est souvent associée au domaine du sensible, les matériaux naturels doivent également être porteurs de sensations et d’idées de nature, et en cela être source de bien-être.

Les éléments naturels sont vecteurs de perceptions. En tant qu’éléments incontrôlables et dissociés de

l’Homme, ils génèrent surprise, admiration, contemplation, mais aussi peur et répulsion. Théa Manola,

du laboratoire AAU6, dans une recherche sur les paysages sensoriels des projets urbains en Europe du

nord, démontre que la nature est la source première de sensorialités multiples. “La nature est une

caractéristique principale des lieux qui révèlent le sensible en ville, mais aussi une notion directement mobilisée pour exprimer son vécu, et la source principale des rapports sensoriels” [Manola, 2015]. Théa Manola entrevoit la durabilité à travers la sensorialité en tant que “dimension cachée de la ville durable” [Manola, 2013].

Edwin Zaccai 7, docteur en sciences de l’environnement, intègre les rôles symboliques et sociaux de la

nature en ville aux objectifs du développement durable. La nature n’est pas réductible aux fonctions matérielles que nous lui avons attribuées, des différences « phénoménologiques » existent dans les

perceptions de nos environnements, qu’ils soient naturels ou urbains. “L’hypothèse qui serait à creuser est que ces attributs de la nature jouent un rôle dans le ressenti pouvant être généré chez certains individus” [Zaccai, 2015].

Ainsi, une ville plus sensible serait une ville plus durable. Si la nature en ville est vue ici comme une source de sensorialité à privilégier, il ne faudrait pas en oublier le potentiel sensible de l’artefact humain.

L’architecture et l’art sont par exemple des sources importantes de sensorialité du fait des émotions 6 7

Ambiance Architecture Urbanités, laboratoire de l’ENSA Grenoble.

Professeur à l’Université libre de Bruxelles, directeur du Centre d’études du développement durable (CEDD).

3

qu’elles suscitent. Cependant, dans ce mémoire, je me concentrerai sur le sentiment de nature et sur la

multisensorialité qui y est associée.

Ce que je chercherai à démontrer est qu’il existe plusieurs niveaux de confort dans l’habitat, qui peuvent

être simultanément obtenus grâce à l’utilisation des matériaux naturels : un confort physique (thermique,

olfactif, acoustique, tactile) apportant une neutralité nécessaire au sentiment de bien-être ; un confort

esthétique qui, avec la présence des matériaux naturels, peut produire un « effet de nature » ; et enfin un confort psychologique primordial à la façon dont nous pouvons ressentir nos intérieurs.

Mon hypothèse est que si ces trois niveaux de confort sont réunis, une sensation de nature pourrait

provenir de la construction. La satisfaction du besoin de nature des habitants pourrait mener à un bien-

être optimal, ressenti à l’intérieur de leur logement.

Méthodologie J’ai utilisé plusieurs méthodes pour mener à bien cette recherche. Tout d’abord la recherche

documentaire, académique pour certains thèmes (comme la nature en ville, la ville durable, le paysage

sensible), mais aussi professionnelle pour les propriétés et la mise en œuvre des matériaux naturels. J’ai dans ce sens suivi plusieurs MOOC : « Découvrir le bâtiment biosourcé » ; « Construire en terre crue

aujourd’hui » ; « Construire en Chanvre ». J’ai également participé à de nombreux webinaires et

conférences en ligne.

Une autre méthode a été l’entretien semi-directif (10) avec des professionnels de la construction

biosourcée et géosourcée (en majorité des architectes), réalisé par téléphone, d’une durée moyenne de

trente minutes. Les enseignements et les contacts obtenus ont été précieux pour la suite de ma recherche.

J’ai ensuite rencontré en présentiel ou par téléphone des usagers d’équipements publics ou des habitants de constructions conçues avec des matériaux naturels. J’ai pu visiter, entre autres, une école, un

écohameau, plusieurs opérations de logements (5), dont une réalisée en bois et bottes de paille au cœur

de la capitale, et deux chantiers de maisons individuelles. J’ai également utilisé la méthode active et participé à deux chantiers participatifs : un de plusieurs jours dans l’Hérault sur un chantier de maison

en bois et remplissage paille ; un autre d’une journée, à Stains (93), pour la réalisation d’enduits en terre crue sur un bâtiment d’activités.

Enfin j’ai réalisé un questionnaire en ligne destiné aux habitants de logements construits en majorité

avec des matériaux naturels. Je détaille la méthodologie utilisée pour cette enquête dans la partie qui lui est consacrée, son analyse étant au cœur de mon étude. Au tout début de ma recherche et lors du confinement dû à la Covid 19, j’ai également diffusé un court questionnaire en ligne destiné à l’ensemble

des personnes confinées intitulé « Ville durable et confinement » qui a récolté plus de 200 réponses.

Certains résultats serviront aussi à cette étude.

4

Intérêt de la recherche Cette recherche est destinée à combler un manque d’information et de retours d’expérience sur

l’utilisation des matériaux naturels dans l’habitat. Effectivement, la communication autour de cette solution environnementalement positive, et certainement indispensable, se focalise sur les discours

techniques et les actions politiques censées faciliter leur utilisation. Peu d’efforts de communication sont

menés à destination des principaux intéressés, à savoir les habitants et usagers de futurs bâtiments ou

habitations. Les architectes avec qui j’ai été en contact m’ont fait part de leur difficulté à sensibiliser les futurs acquéreurs, constructeurs ou rénovateurs, à la question de la construction durable, et cela sans

l’appui d’études académiques extérieures. Pourtant, pour le futur habitant ou usager, la qualité de vie apportée par les matériaux naturels semblent importante. Ainsi, parler de la dimension sensible des matériaux naturels c’est toucher directement les ressentis de tout un chacun. C’est aussi proposer un état

des lieux plus complet permettant aux futurs habitants d’un logement d’avoir toutes les clefs permettant de choisir parmi les solutions constructives proposées. Cette recherche a aussi pour vocation de

sensibiliser les aménageurs, les décideurs et autres personnalités et organismes prenant part à la construction de la ville durable de demain.

Déroulé de l’exposé Dans un premier temps, j’exposerai le contexte théorique dans lequel se déroule cette recherche.

Ainsi, il me paraît important, surtout pour le lecteur novice, de consacrer une partie de cet ouvrage à

l’état des lieux autour des matériaux naturels utilisés dans la construction. J’exposerai des éléments de

définition, les intérêts d’ordre environnemental, aborderai les ressources disponibles dans le paysage

français, les filières qui en découlent et les principales techniques de mise en œuvre. En deuxième partie,

je présenterai le cadre scientifique dans lequel j’inscris ma recherche, à savoir les études sur le confort, le sentiment de nature et les théories de restaurations psychologiques liées aux expériences de nature. Ces

deux parties sont, à mon sens, indispensables à la compréhension de la troisième et dernière partie, qui

présentera les résultats de ma recherche, ceux de l’enquête en ligne, des entretiens et visites effectués.

Ces résultats serviront à soutenir mon hypothèse exposée précédemment.

5

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Première partie - Matériaux naturels biosourcés et géosourcés -

« Le naturel est miraculeux. » René Barjavel - La faim du tigre 8

8

Barjavel, René (1976). La faim du tigre. Gallimard. 214 p.

7

1. Qu’est-ce qu’un matériau naturel et comment l’utiliser ?

1.1 Éléments de Définition Dans cette étude, je m’intéresse aux matériaux naturels et leur capacité à produire un sentiment de nature. Il est important pour cela de bien déterminer ce que j’entends par « matériau naturel ».

Le terme de « matériau biosourcé » a été défini par l’arrêté du 19 décembre 2012 relatif au contenu et aux conditions d’attribution du label bâtiment biosourcé :

“Matière biosourcée : une matière issue de la biomasse végétale ou animale pouvant être utilisée comme

matière première dans des produits de construction et de décoration, de mobilier fixe et comme matériau de

construction dans un bâtiment”. 9

Le qualificatif de matériau biosourcé englobe les matières d’origine biologique comme le bois, le

chanvre, la paille, le lin, ou encore la laine de mouton. Ce sont des matériaux renouvelables sur un temps

court – à l’échelle d’une vie humaine. On y associe généralement les matériaux d’origine minérale dits

« premiers », comme la pierre sèche et la terre crue. Ces matériaux dits géosourcés10 ne sont pas renouvelables mais sont disponibles en quantité suffisante et de manière locale. Ils sont par ailleurs

réutilisables et ne représentent pas des déchets s’ils ne sont pas mélangés avec des composants non naturels. Ainsi, la pierre peut être réutilisée d’une construction à l’autre, la terre revient au sol ou peut être remise en œuvre.

Figure 1 : Ksar en ruines à Triminoun en Algérie ©Ali Bengana

Figure 2 : Carrière de pierres de construction ©Carrière Delleaud dans la Drôme

Je n’utiliserai pas le terme d’éco-matériaux, qui est à mon sens trop large et intègre des matériaux qui

peuvent être très transformés. Les éco-matériaux sont définis comme des matériaux de construction

répondant aux critères techniques habituellement exigés dans le bâtiment, mais qui possèdent également des critères environnementaux ou socio-environnementaux, s’inscrivant dans une démarche globale de développement durable tout au long de leur cycle de vie. 11

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2012/12/19/ETLL1239803A/jo/texte Source : DREAL Occitanie, URL : http://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/materiaux-bio-et-geosourcesen-occitanie-r9085.html, consulté le 11/07/2020.

11 Source : DRIEA IDF, URL : http://www.driea.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/, consulté le 10/07/2020.

9

10

8

L’adjectif « naturel », pour une matière, désigne des “substances présentes dans la « nature » : une substance

naturelle, telle quelle, non traitée ou traitée uniquement par des moyens manuels, mécaniques ou gravitationnels, par dissolution dans l’eau, par flottation, par extraction par l’eau, par distillation à la vapeur ou par chauffage

uniquement pour éliminer l’eau ou qui est extraite de l’air par un quelconque moyen”. 12 Un produit dit « naturel » doit contenir au moins 95% de composants naturels.13 Un matériau naturel n’est pas

forcément végétal, ni inoffensif (exemple : l’amiante). Cependant par son aspect brut et peu transformé, c’est le terme que j’ai choisi d’utiliser pour mon étude.

J’entends donc par « matériau naturel » un matériau non transformé, ou très peu (mécaniquement ou

par l’eau), auquel j’ai ajouté la dimension de durabilité, disponible en quantité suffisante ou renouvelable

à l’échelle du temps humain. Les matériaux biosourcés et certains matériaux géosourcés répondent à cette définition. Ici, je les regrouperai sous le terme de matériaux naturels.

1.2 Intérêt environnemental Dans le contexte actuel de préoccupation environnementale, les matériaux naturels, biosourcés

et géosourcés, font de plus en plus parler d’eux. Face à l’urgence climatique mondiale et la mauvaise note

énergétique de l’industrie de la construction (38% des émissions totales de CO2 liées à l’énergie et 35%

de la consommation d’énergie finale)14, les possibilités d’amélioration du secteur du bâtiment sont

nombreuses. En termes de ressources, les regards se tournent vers ces matériaux renouvelables et

écologiques, que ce soit à l’échelle d’associations locales, des sphères de l’État ou d’organisations internationales comme l’ONU Environnement. Si certains de ces matériaux sont totalement nouveaux

dans la construction, comme le chanvre, d’autres sont à la fois traditionnels car utilisés par nos ancêtres,

et innovants parce que remis au goût du jour (le bois, la terre, la pierre). “Leur mobilisation dans l'habitat s'inscrit dans une démarche de prise en compte de l'environnement de manière globale : construire ou rénover

avec des matériaux biodégradables ou recyclables, issus de ressources renouvelables et locales, et dont les modes de production sont peu coûteux en énergie. Ces matériaux permettent aussi de réduire l'impact écologique des activités humaines en relocalisant les savoir-faire et les emplois”. 15

A l’échelle mondiale, le rapport global de 201816 commandé par l’UNEP sur le secteur de la construction

constate que la demande de ciment et d’acier augmente de 4% par an depuis 2000 (figure 3). Cela est dû en majorité au développement économique de la Chine, qui consomme actuellement 40% des matériaux

de construction dans le monde. La consommation de matière est différente d’une région du monde à Selon le règlement REACH (règlement CE no 1907/2006 du 18 décembre 2006).

Ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique (2014). Guide pratique des allégations environnementales à l’usage de professionnels et des consommateurs, édition 2014.

14 International Energy Agency and the United Nations Environment Programme (2018). 2018 Global Status Report : Towards a zero-emission, efficient and resilient buildings and construction sector. Disponible ici : www.iea.org ou www.globalabc.org 15 Les amis de la terre (2009). Les écomatériaux en France, État des lieux et enjeux dans la rénovation thermique des logements (en ligne). URL : http://www.karibati.fr/wp-content/uploads/2015/11/090300-Amis_de_la_Terre Synthese_rapport_ecomateriaux.pdf 16 2018 Global Status Report, op.cit.

12 13

9

l’autre dépendamment du secteur concerné, résidentiel ou non résidentiel. Ainsi, si le bois est utilisé en

majorité dans la construction résidentielle en Amérique du Nord, en Océanie et en Afrique, le béton et l’acier sont majoritaires au niveau mondial dans le secteur de la construction non-résidentielle (voir

figures ci-après). Le rapport encourage la conception intelligente pour une économie de matière ainsi que

le développement des matériaux issus de la biomasse pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie du bâtiment : “Moving from concrete and steel construction to composite, timber or bio‐based materials could potentially reduce embodied carbon in buildings”.

Figure 3 : Augmentation de la consommation de ciment et d’acier dans le monde.

Source : 2018 Global Status Report : Towards a zero‐ emission, efficient and resilient buildings and construction sector, UN Environment Program.

Figure 4 : Part des matériaux de construction utilisés en structure dans les bâtiments résidentiels et nonrésidentiels. Source : 2018 Global Status Report : Towards a zero‐emission, efficient and resilient buildings and construction sector, UNEP.

Tandis que le béton reste la solution constructive la plus fréquente au niveau mondial, le rapport souligne

l’utilisation grandissante des matériaux issus de la biomasse comme le bois (structure et façade), la paille (isolation), la terre crue, la cellulose, le chanvre et la laine de mouton (isolation), notamment dans les

projets 2018 des Green Solution Awards, menés par Construction 21.17 L’analyse systématique du cycle

de vie des produits pourrait permettre de promouvoir ces procédés constructifs de manière efficace.

La France est souvent citée en exemple dans le rapport de l’ONU comme pays mettant en place une politique d’incitation à l’utilisation des matériaux biosourcés. En 2012, l’arrêté du 12 décembre a fait

17

https://www.construction21.org/france/static/Green-Solutions-Awards.html, consulté le 23/07/2020.

10

entrer le label « bâtiment biosourcé » dans le droit français. L’utilisation du bois et des biomatériaux dans

la construction avait déjà été évoquée suite au Grenelle de l’environnement de 2007, dans la loi

Grenelle.18 Mais c’est en 2010 qu’un plan de développement de la filière, hors bois d’œuvre, a été mené par la DGALN (Direction Générale du Logement, de l’Aménagement et de la Nature) qui mènera à la

création du label bâtiment biosourcé, et à la définition du terme. La DGALN et la DHUP, Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages, accompagnent ainsi depuis 2010 la structuration et le

développement des filières de matériaux biosourcés en France. De cette manière, la filière chanvre, via « Construire en chanvre » et la filière paille, via le « RFCP », ont pu bénéficier du soutien de l’État.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a confirmé

l’intérêt d’utiliser ces matériaux dans le secteur du bâtiment : “l’utilisation des matériaux biosourcés concourt

significativement au stockage de carbone atmosphérique et à la préservation des ressources naturelles [...] elle est encouragée par les pouvoirs publics lors de la construction ou de la rénovation des bâtiments”. 19 Ainsi, l’usage

des matériaux de construction biosourcés dans les bâtiments publics est encouragé par l’article L. 228-4

du code de l’environnement : “La commande publique tient compte notamment de la performance environnementale des produits, en particulier de leur caractère biosourcé”. 20

La loi Elan21 de 2018, portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, a

introduit plusieurs mesures en faveur du bois et des matériaux biosourcés dans la construction, comme l’introduction de la préfabrication dans le code de la construction, et l’annonce d’une nouvelle réglementation environnementale en 2020, qui prendra en compte le stockage de carbone des matériaux.

La nouvelle réglementation « RE 2020 » s’appliquera aux constructions neuves à partir du 1er janvier

2021. Cette loi prendra en compte l’ensemble des émissions du bâtiment sur son cycle de vie dès la

construction. “Cela permettra d’une part d’inciter à des modes constructifs qui émettent peu de gaz à effet de

serre ou qui permettent d’en stocker tels que le recours aux matériaux biosourcés. D’autre part, la consommation de sources d’énergie décarbonées sera encouragée, notamment la chaleur renouvelable”. 22

Les matériaux naturels sont donc en plein essor et les autorités s’organisent pour accompagner leur développement. En 2015, l’étude Bio World Resource Benchmark, soutenue par l’ADEME, la DHUP et l’ARENE Ile de France, a eu comme objectif d’établir un panorama de l’utilisation des matériaux de

construction biosourcés sur la planète. “Que ce soit en Australie, en Allemagne, au Brésil, aux Etats-Unis,

au Canada ou encore dans l’Union Européenne et bien d’autres pays, on ne compte plus les rapports, directives

et plans de développement visant le redéploiement de la bio-économie. Au sein de ces démarches, les matériaux

de construction, même s’ils profitent de la dynamique, sont loin d’être considérés comme des enjeux prioritaires.

Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

20 Article L228-4 créé par la Loi n°2015-992 du 17 août 2015, modifié par Loi n°2020-105 du 10 février 2020.

21 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018.

22 Site du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, publication du mardi 4 janvier 2020, consulté le 22/07/2020.

18 19

11

Les raisons de cette situation sont multiples mais le profond ancrage de la culture du monde de la construction moderne dans le minéral pèse lourdement” [De Korff et Bernard, 2015].

La France est le pays où l’on trouve le plus de démarches publiques, au niveau de l’État comme des

collectivités territoriales. Cependant en matière d’aides publiques “cette filière demeure le parent pauvre,

comparée aux aides dont bénéficie, par exemple, le secteur des biocarburants qui, selon la Cour des Comptes a bénéficié de 2,65 milliards d’euros, essentiellement supportés par les consommateurs entre 2005 et 2010.

L’efficacité énergétique – et environnementale – apportée par les matériaux de construction biosourcés est bien loin de mobiliser autant d’intérêt” [Ibid].

Au niveau énergétique, bien que la France soit moins performante que son voisin l’Allemagne 23, elle est

plutôt bien positionnée24 selon l’International Energy Efficiency Scorecard de l’ACCE, et cela grâce à la

politique d’envergure de rénovation énergétique menée ces dernières années avec la RT 2012. 25 Ce

classement de l’ACCE concerne les efforts menés par les 23 pays les plus consommateurs au monde

(75% de l’énergie consommée sur terre et 80% du PIB). Au niveau du bâtiment, il traite essentiellement d’efficacité énergétique, c’est-à-dire majoritairement des consommations de chauffage et de

climatisation des constructions finies. La prochaine étape, et non des moindres, est de s’attaquer à

l’énergie grise produite par le secteur de la construction. On entend par énergie grise l’ensemble de

l’énergie produite lors du cycle de vie d’un matériau ou d’un produit.

Outre la consommation énergétique, le domaine de la construction est le principal utilisateur de matières

premières dans le monde. Depuis un siècle, l’extraction des matériaux de construction a été multipliée

par 34. Le sable, qui constitue le tiers du béton, est aujourd’hui la matière minérale la plus consommée

après l’eau. 26 “La production mondiale de ciment est en augmentation permanente et émet à elle seule de 5 à 6% des gaz à effet de serre (GES) des activités humaines. Le sable, également constituant du béton, est la deuxième matière minérale extraite avec des volumes en croissance très rapide et de nombreux impacts environnementaux

et socio-économiques. La pénurie en est clairement annoncée au même titre que celle des énergies fossiles” [De

Korff et Bernard, 2015].

Aujourd’hui un habitant de la planète sur sept vit en bidonville, ce chiffre devrait passer à un sur cinq en

2030 selon l’ONU habitat. Par ailleurs, selon les estimations récentes (ONU et INED) la population mondiale devrait passer de 7,2 milliards à 9,6 milliards d’habitants en 2050. On comprend donc bien

pourquoi la valorisation des ressources renouvelables dans la construction est une priorité environnementale globale. Les politiques publiques des pays les plus industrialisés sont en train

d’intégrer ces éléments, bien qu’ils apparaissent encore comme subsidiaires à d’autres préoccupations.

Première position selon : Coll. (2016). The 2016 International Energy Efficiency Scorecard, July 2016. Report E1602 for ACCE (American Council for an Energy-Efficient Economy).

24 Troisième position. Ibid.

25 Réglementation Thermique 2012.

26 De Korff et Bernard, 2015.

23

12

Par ailleurs, ces matériaux sont valorisés en priorité pour leur qualité environnementale en réponse à la crise écologique. Ils demandent encore souvent un effort économique ou technique et le plus souvent un

investissement de temps supplémentaire en comparaison avec les procédés conventionnels. Il est donc

primordial, selon moi, de pouvoir communiquer auprès du grand public sur les avantages non

négligeables en termes de qualité de vie que ces matériaux peuvent procurer de manière immédiate. La

valorisation par le sensible et le bien-être est probablement un des meilleurs vecteurs de communication.

En outre, c’est à travers les économies d’échelle induites par une plus grande utilisation des produits

biosourcés que les filières pourront être optimisées et les coûts réduits, rendant ces procédés accessibles au plus grand nombre.

“Le combat est toujours le même, il s’agit aujourd’hui de nous organiser pour faire en sorte que tous nos projets

ne soient construits qu’avec des matériaux naturels, parce que ce sont les seuls qui sont recyclables ! Que voulonsnous pour notre futur ?” - Gilles Perraudin.27

1.3 Valorisation du paysage par ses ressources La particularité des matériaux naturels comme le bois, la terre, ou encore les matériaux issus de

l’agriculture, comme le chanvre, la paille ou le lin, est qu’ils font partie intégrante de nos paysages.

L’intérêt de construire avec ces matériaux est d’utiliser les ressources du paysage disponibles localement.

L’architecture vernaculaire, c’est-à-dire l’architecture locale, propre à une région, a peu à peu laissé la

place à une architecture internationale au milieu du XXème siècle, celle de l’acier et du béton, utilisés

après la Seconde Guerre mondiale pour la reconstruction. Seules les entreprises de béton ont continué

leur activité pendant la guerre et étaient capables de répondre rapidement à la demande de logements.

L’appareil industriel en marche, les changements de mode de vie, la désertion des campagnes vers les

villes, tout cela a eu pour effet d’internationaliser le style des constructions architecturales. On parle

aujourd’hui de « style international », en opposition aux styles vernaculaires, propres aux ressources et savoir-faire de chaque région.

“Depuis la période de la Reconstruction, l’État a subventionné le ciment et l’acier. Nous ne payons pas le vrai coût du transport, ni du ciment, ni de l’acier. On a faussé complètement l’économie du bâtiment. Sinon, nous aurions recommencé à reconstruire en terre dès 1947 comme nous l’avions fait au lendemain de la guerre 14-18”. 28

Les matériaux locaux ont également souffert d’une dévalorisation, avec l’avènement de la modernité est

apparue un rejet des savoir-faire et des techniques anciennes. Au XXème siècle, la société, en plein essor industriel, était plutôt captivée par les symboles de progrès. La terre crue par exemple, bien qu’elle soit

Gilles Perraudin est un architecte ayant réalisé plusieurs bâtiments pour le Domaine de la terre à Grenoble. Propos tenus lors de la table ronde du 16 juin 2016, « Architecture contemporaine en terre » organisée par Archipel à la Maison de la Confluence à Lyon.

28 Entretien d’Alain Leclerc, urbaniste en charge du plan directeur de l’opération du Domaine de la terre, Lyon, 16 juin 2016, par Anne-Lyse Antoine, Elisabetta Carnevale, ENSA Grenoble.

27

13

un matériau de construction presque aussi ancien que l’humanité [Pignal, 2010], et que le patrimoine

bâti en terre crue représente 15% du patrimoine national 29, souffre d’une image très négative (saleté,

pauvreté, instabilité) qui est en train d’être renouvelée aujourd’hui. Pourtant après le choc pétrolier de

1973, et la prise de conscience globale que les ressources n’étaient pas inépuisables, un regain d’intérêt pour le matériau terre avait conduit à l’édification de tout un quartier de la ville nouvelle de Villefontaine, près de Lyon. Le Domaine de la terre, 65 logements sociaux construits selon différentes techniques

constructives en terre crue, a vu ainsi le jour en 1985. Cette opération bien qu’elle ait créé un retentissement dans le milieu en Europe, et ait conduit à remettre en lumière ce matériau oublié, n’a pas

connu de suite et est restée jusqu’à présent une opération unique en son genre.

“Il faut toutefois avoir la clairvoyance de ne pas considérer comme inéluctables les pratiques constructives

actuellement dominantes, souvent abusives et dangereuses, qui ont été imposées par les lobbies des entreprises multinationales fabriquant les matériaux industrialisés qui composent aujourd’hui l’essentiel de notre cadre de vie” [Dethier, 2019, p.8].

C’est avec l’essor de l’écoconstruction et

les problématiques du développement

durable que réapparaissent les matériaux naturels comme des ressources locales à

valoriser. Ces ressources, qu’elles soient des produits d’extraction comme la terre et

la

pierre,

des

agro-ressources

spécifiques comme le bois et le chanvre,

des produits agricoles comme la paille ou Figure 5 : Bottes de paille en plein champ ©Olivier Baileux

le lin, ou encore de la biomasse non

agricole (algues, roseaux), font partie

intégrante des paysages. Les cultiver, les prélever, les renouveler, peut contribuer d’une part à l’économie locale, d’autre

part au maintien des paysages. En outre, ces matériaux peuvent provenir de

déchets, comme les terres d’excavation,

les pailles en surplus qui, valorisées,

peuvent contribuer de façon positive aux capitaux

économiques

environnementaux Figure 6 : Forêt de bois d’œuvre ©Terra BZH

29

[Scalpi, 2018].

d’un

Selon une étude de l’A.N.A.H menée dans les années 80 (Agence Nationale pour l'Amélioration de l'Habitat).

et

territoire

14

Pour Alberto Magnaghi, architecte urbaniste, auteur du Projet local (2003) et de la Biorégion urbaine (2013), utiliser les ressources disponibles du paysage pour construire fait partie d’un projet local porteur

de développement soutenable. "Sous les coulées de lave de l'urbanisation contemporaine, survit un patrimoine

territorial d'une extrême richesse, prêt à une nouvelle fécondation par de nouveaux acteurs sociaux capables d'en prendre soin : processus déjà en voie d'émergence, surtout là où l'écart entre la qualité de vie et la croissance

économique est le plus flagrant. C'est dans une telle rencontre entre patrimoine et énergies novatrices, c'est dans une

telle culture de la valorisation des ressources du milieu par ses habitants que réside la clef stratégique d'un développement soutenable, et non dans quelques prothèses techniques supplémentaires” [Magnaghi, 2003, préface].

Valoriser les ressources locales, c’est permettre le développement économique d’un territoire, c’est réduire

les distances de transports des matières, c’est parfois sauvegarder des paysages (comme l’entretien d’une

forêt de bois d’œuvre ou le maintien des terrains agricoles), c’est aussi permettre à l’architecture via les matériaux qu’elle emploie de se fondre en harmonie avec son environnement. “Marquée [l’architecture]

profondément par le matériau de son sous-sol, elle s’inscrit harmonieusement dans les paysages” [Perraudin, 2018].

C’est pourquoi les matériaux naturels ont de multiples intérêts. D’un côté ils participent à réduire l’empreinte énergétique du secteur de la construction et à fixer du carbone (les bois utilisés dans la

construction ou la biomasse ne sont ni brûlés ni décomposés), d’un autre ils accompagnent les territoires en recherche d’autonomie et de valorisation de leur savoir-faire. Gilles Perraudin, architecte notamment

du Domaine de la terre à Villefontaine, écrit à propos des ressources : “J’ai compris qu’une partie de la

réponse que je cherchais pouvait se trouver dans la compréhension d’une attitude vis-à-vis des ressources locales” [ibid.].

Figure 7 : Champ de lin en floraison ©Jean-Pol Grandmont

Figure 8 : Champ de lin ©Vegetal(e)

Le concept de biorégion et de bio-territoire a été notamment repris en France en 2018 par un groupe

d’architectes et paysagistes prônant la frugalité, menés par Dominique Gauzin-Müller, Philippe Madec et Alain Bornarel, lesquels ont créé le « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative ». 30 Une 30

https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html, consulté le 23/07/2020

15

trentaine de groupes régionaux œuvrent sur leur territoire pour faire émerger cette démarche commune.

Une cartographie inédite des ressources en matériaux biosourcés et géosourcés est par exemple en cours de réalisation, comme cette carte ci-après des ressources du territoire lorrain (pierre, bois, terre, fibres).

Figure 9 : Carte des ressources du territoire lorrain en cours d’élaboration par le groupe «Lorraine» de la frugalité heureuse et créative. Source : www.habiterlespaysages.com

1.4 Organisation des filières françaises En France, la filière des isolants biosourcés représente aujourd’hui près de 10% des parts de

marché, et progresse de 10% à 20% par an depuis 2016. 31 La filière du bois représente pour le non-

résidentiel 16,3% des parts de marchés en 2018, 9,4% pour le résidentiel individuel et 4,3% 32 pour le

logement collectif. Bien que ces chiffres soient bas, ils augmentent chaque année de manière significative.

Lors de ma recherche, j’ai visité des opérations de logements collectifs utilisant le bois comme procédé constructif. Ces opérations étaient principalement situées en Bretagne. En m’entretenant avec deux des architectes de ces opérations, j’ai appris que la structure des bâtiments de logements était le plus souvent

31 32

Source : http://www.karibati.fr/zoom/, consulté le 23/07/2020 Source : https://www.batiactu.com/edito/construction-bois-gagne-parts-marche-56781.php, consulté le 23/07/2020.

16

mixte, en bois-béton, ou concernait uniquement la structure porteuse de la façade (dont le parement était aussi en bois). Il est très rare que le bois soit utilisé pour la structure complète du bâtiment,

premièrement car certaines réglementations en matière de logements collectifs ne le permettent pas

encore, et deuxièmement car il représente un surcoût pour les promoteurs. 33 Quand ces logements sont construits en structure bois en grande majorité (généralement certains éléments restent en béton comme

la dalle principale ou les cages d’escaliers et d’ascenseurs), le bois ne provient pas nécessairement de la région. Ainsi Olivier Pouvreau, architecte de deux opérations de logements sociaux en structure bois à

Ploeren et Séné (Morbihan), réalisées avec l’entreprise IC bois, m’avoue qu’une partie du bois venait de Bretagne (Tot’m) mais qu’une autre venait d’Autriche (bois massif KLH).

La terre crue

Il y a donc un intérêt pour garder une cohérence à développer au niveau local et national les

filières aptes à répondre à la demande en termes de matériaux naturels de construction. Concernant la

terre crue, le matériau étant disponible gratuitement sous nos pieds, il ne fait pas l’objet d’une filière ni d’un marché. En revanche, les terres des sols n’étant pas toutes aptes à la construction, certaines entreprises comme Akterre proposent l’achat de terres en fonction de leur utilisation. Ainsi les personnes

pour lesquelles je suis allée faire un chantier participatif à Hérépian dans l’Hérault, avaient acheté leur

argile chez Akterre, considérant que la terre de leur terrain n’était pas utilisable. Cette démarche est contestable, comme m’en a parlé l’architecte Frédéric Denise, “pour moi il ne faut pas vendre la terre”,34

car l’intérêt de cette ressource réside dans sa disponibilité immédiate, sortant de la loi du marché, et localement disponible. La terre est par ailleurs un rebut de construction dans la mesure où bon nombre de travaux d’excavation réalisés pour les fondations et les sous-sols génèrent des « déchets », de la terre qui est souvent déposée ensuite dans des décharges. C’est dans cette optique que le projet « CycleTerre » prévoit la fabrication de briques de terre comprimées provenant du chantier du Grand Paris

Express. Ces terres, valorisées directement en matériau de construction utilisable, devraient ouvrir une nouvelle filière pour la région IDF d’ici septembre 2021.

En France, les constructions en terre sont présentes sur tout le territoire, chaque région ayant développé

des techniques de construction en fonction de leur type de terre, plus ou moins granuleuse, ou argileuse.

Ainsi, on retrouve la technique du pisé essentiellement en Rhône Alpes, celle de la bauge en Normandie et en Bretagne, le torchis un peu partout sur le territoire et les adobes dans le Sud-Ouest.

La filière terre crue en France est fédérée par Asterre depuis 2006. Le laboratoire de recherche CRAterre, de l’école d’architecture de Grenoble, concentre les savoirs scientifiques. C’est une référence mondiale

dans le domaine de l’architecture en terre, qui fait partie de la chaire UNESCO architecture de terre.

33 34

Entretien téléphonique avec Olivier Pouvreau, de Pouvreau architecte, réalisé le 18/05/2020, 30 minutes.

Entretien téléphonique avec Frédéric Denise, de Archipel Zéro, réalisé le 28/04/2020, 40 minutes.

17

Figure 10 : Carte du patrimoine par techniques et réseau professionnel en 2012 ©Elvire-Leylavergne/CRAterreENSAG/DSATerre/2012

Le bois

La filière bois en France est représentée par de nombreuses fédérations professionnelles en

fonction des régions et des filières. La production de bois d’œuvre, ou bois de construction, est peu valorisée en France malgré une surface boisée qui représente 30% du territoire métropolitain. À savoir

que 3,5 millions de propriétaires privés se partagent 12 Mha, soit 75% de la forêt. Chaque année la forêt

française produit 100 Mm³ de biomasse bois, dont seulement 60% sont récoltés.35

L’organisme France Bois Forêt a lancé une grande enquête 36 en 2018 concernant le secteur de la

construction. “Un constat indéniable : aujourd’hui, la construction bois en France est durablement installée et

gagne des parts de marché. Ce n’est plus un épiphénomène ou une niche destinée à une clientèle choisie, elle est désormais une composante à part entière du secteur. Le bois est devenu un matériau qui fait structurellement

Source : http://durableo.over-blog.com/article-filiere-bois-en-france-fond-bois-et-le-fsi-104790803.html, consulté le 23/07/2020.

Cellule économique de Bretagne (2018). Enquête nationale de la construction bois, activité 2018. Synthèse de la Conférence de presse du 26 juin 2019. Étude financée par Codifab et France Bois Forêt. URL : https://www.codifab.fr/sites/default/files/enquete_constructionbois_juin_2019.pdf, consulté le 23 /07/2020.

35 36

18

partie du marché de la construction”, indique Éric Toppan, coordinateur de l’Observatoire économique de France Bois Forêt. Ainsi, le chiffre d’affaire des entreprises a progressé de 13% en 2018.

Figures 11 et 12 : L’activité construction bois par région en 2018 / Nombre de logements construits en bois par région et part de marché en 2018. Source : Enquête nationale de la construction bois, activité 2018.

Figure 13 : Chiffres clefs de l’évolution de la filière construction bois.

Source : https://franceboisforet.fr/2019/10/30/constructio consulté le n-bois-le-vent-en-poupe/, 23/07/2020.

Certaines régions ont bien compris l’intérêt de développer la filière locale du bois d’œuvre, comme le

PNR de Chartreuse qui a aidé à la mise en place de la première Appellation d’Origine Contrôlé pour le bois de construction en France, l’AOC Bois de Chartreuse. “Apporter la forêt de Chartreuse dans votre maison” - Site internet de l’AOC Bois de Chartreuse. 37

La part des logements collectifs et individuels construits en bois étant en nette augmentation, tout en

restant très minoritaire (environ 10% des constructions neuves), il est certain que les filières locales

doivent s’organiser pour proposer un bois de qualité, provenant de sources proches, en tout cas moins éloignées qu’actuellement. Effectivement, la France importe encore de l’étranger 40% du bois utilisé.38

Ainsi, sur le chantier participatif « structure bois » visité en juin à Bouglainval (Eure-et-Loire),

l’architecte et éco-constructeur du projet a fait venir tout le bois de structure (du Douglas déjà coupé et numéroté avec plan de pose) de Pologne. La raison est certainement économique, mais aussi

37 38

www.bois-de-chartreuse.fr, consulté le 24/07/2020.

Source : https://www.batirama.com/article/28917-la-filiere-bois-devoile-enfin-ses-chiffres-complets.html, consulté le 23/07/2020.

19

géographique, puisque n’ayant pas de fournisseurs à proximité, le choix s’est finalement tourné vers la solution la plus pratique et la moins onéreuse, et cela malgré le coût du trajet. Le bois des pays d’Europe de l’Est est aussi connu pour être de meilleure qualité. Posséder des forêts sur le territoire est une chose,

encore faut-il pouvoir les exploiter puis transformer la matière première de manière efficace à travers

l’installation d’équipements et la proposition de solutions performantes. La préfabrication, incluant la

simple découpe numérotée en atelier ou la livraison de panneaux en 2D ou en 3D, est une solution

intelligente pour les ossatures en bois, permettant une grande rapidité de construction et une diminution des coûts.

Quoi qu’il en soit, les possibilités d’augmentation de la production de bois d’œuvre existent en France

comme confirme le projet de recherche Terracrea39 publié en 2014, dont le but était d’évaluer les

capacités de production d’agro-ressources destinées à la construction, sans entrer en concurrence avec l’alimentation et les autres usages : “l'ADEME (2009) évalue à environ 43,8 Mm³ /an la disponibilité

exploitable en forêt (en prenant en compte des critères d'accessibilité, de coût d'exploitation et de maintien de la fertilité des sols). La récolte actuelle étant évaluée en moyenne à 31,9 Mm³/an, la disponibilité supplémentaire

est d'environ 11,9 Mm³. Cette disponibilité supplémentaire pourrait aller jusqu'à 30 Mm3/an (en incluant les peupleraies et les haies) avec une forte hausse du prix de vente du bois énergie”.

La paille La construction en paille en France est fédérée par le Réseau Français de la Construction Paille

(RFCP). Ce réseau de professionnels a édité en 2012 les règles professionnelles de la construction paille.

Ces règles permettent au constructeur d’être couvert par la garantie décennale, ce qui favorise le développement de cette technique auprès des professionnels. Avant cela, comme me l’a fait remarquer

Corentin Desmichelle40, architecte et précurseur de la construction en paille en France, les assurances

ne suivaient pas, il fallait donc être « hors des clous » et prendre les risques associés. Aujourd’hui on estime à 5000 le nombre de bâtiments construits en bottes de paille en France avec environ 500 nouveaux bâtiments par an.41 Réservée à l’auto-construction avant l’édition des règles professionnelles, la construction en paille concerne tous les types de bâtiments, notamment les écoles, qui sont nombreuses

à sortir de terre en utilisant cette matière, ou encore les logements collectifs (comme La Ferme du Rail,

premier ensemble de logements sociaux parisien en ossature bois et remplissage paille, que j’ai eu

l’occasion de visiter en mai 2020). La plupart des chantiers auxquels j’ai participé ou que j’ai visité

concernent des constructions utilisant le bois d’œuvre et la botte de paille associés.

Rapport Terracrea (2014). Disponibilités en terres arables métropolitaines pour une production soutenable de matériaux biosourcés pour la construction / réhabilitation de bâtiments compatibles avec les objectifs « Grenelle ». Les amis de la terre et ENSA Toulouse, août 2014, 182 pages. Disponible ici : http://lra.toulouse.archi.fr/lra/activites/projets/terracrea/terracrea-rapport-final/view 40 Entretien téléphonique avec Corentin Desmichelle, de Desmichelle architecture, réalisé le 28/04/2020, 30 minutes.

41 Source : Réseaux Français de la Construction Paille (RFCP). URL : https://www.rfcp.fr/historique, consulté le 24/04/2020 39

20

Si ce matériau est de plus en plus populaire, c’est qu’il est abondant et disponible sur tout le territoire. Il va directement du champ au chantier, les bottes de paille sont vendues par les agriculteurs à des prix défiant toute concurrence (environ 2,5 euros la botte). Les botteleuses agricoles sortent majoritairement

des bottes de 37 x 47 cm. Ce sont ces bottes qui sont utilisées dans la construction en paille. La structure

bois qui compose la construction est elle-même calculée sur ces mesures selon le sens de pose, en hauteur

ou en largeur.

Les céréales sont produites dans toutes les régions et l’approvisionnement dépasse rarement les 50 km

selon le RFCP. Les pailles étant un résidu de culture, un coproduit de l’agriculture, elles ne demandent pas d’énergie supplémentaire, à part le travail de la botteleuse et le transport jusqu’au chantier, et entrent

peu en concurrence avec la production alimentaire. “L’utilisation des bottes de paille par le secteur de la

construction n’entre également pas en concurrence avec son utilisation primaire (retour à la terre, paillage et élevage) puisqu’elle représente à peine de la production (aujourd’hui 0,01%/an)” [Rougelot, 2018].

Selon l’Observatoire national de la biomasse 42, le gisement de paille mobilisable, en prenant en compte les besoins agronomiques et les utilisations pour le paillage, s’élève à 1,7 millions de tonnes par an sur le

territoire français. Ce volume permettrait de construire environ 170 00043 bâtiments en bottes de paille.

La part de cette ressource utilisée à l’heure actuelle pour la construction est faible (de l’ordre de 4 600 tonnes en 201644). Un autre calcul bien connu dans le domaine de l’écoconstruction est que seulement

10% 45 de la production de paille suffirait à isoler 500 000 logements chaque année, soit ce qui couvrirait les besoins annuels totaux de la construction (410 000 nouveaux logements en 201946).

Figures 14 et 15 : Botteleuse, confection de bottes de paille ©RFCP / Volume théorique disponible en pailles de céréales en 2013/2014 (milliers de tonnes de matière sèche par an - tMS/an). Source : FranceAgriMer - Visionet - 2013/2014 (déc. 2016).

ADEME, FranceAgriMer, Janvier 2014. Étude de faisabilité pour l’évaluation des flux de matière de biomasse.

Nomadéis (2017). Étude sur le secteur et les filières de production des matériaux et produits biosourcés utilisés dans la construction (à l'exception du bois), pour le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et le Ministère de la Cohésion des Territoires.

URL : http://www.envirobat-oc.fr/IMG/pdf/0524_dgaln_-_etude_economique_biosources_vf-1.pdf, consulté le 25/08/2020.

Hypothèse de calcul : La construction d’une maison de 100 m² (100 m² de murs et 130 m² de toiture) nécessite en moyenne 500 bottes, soit 10 tonnes de paille ou encore l’équivalent de 2 hectares de céréales.

44 Estimation du RFCP. 45 Nomadéis (2020). Les matériaux de construction biosourcés et géosourcés, pour le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.

46 Source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/construction-de-logements-resultats-fin-mars-2019-france-entiere 42 43

21

Le chanvre “Anciennement plante textile majeure, le chanvre a connu son apogée en France au milieu du XIXème siècle, où il occupait 175 000 ha en France. Victime de la concurrence du coton et des textiles de synthèse, sa surface était ramenée à 12 000 ha en 1920 (Larousse agricole 1920), et à seulement 700 ha en 1960 (Wikipédia). Dans les années 1970, la demande de l’industrie papetière a induit un début de relance. Aujourd’hui ce sont les nouveaux

usages de la fibre (plasturgie en particulier) et le marché des matériaux de construction qui motivent la mise en

culture de 8 000 à 12 000 ha par an en moyenne ces dernières années, pour une production de paille de l’ordre de 60 000 t/an”. 47

« Construire en Chanvre » est l’association principale fédérant le domaine de la construction chanvre.

Elle existe depuis 20 ans. Elle a permis l’élaboration de règles professionnelles en 2007 pour l’utilisation

des bétons de chanvre, qui ont été mis à jour en 2019. L’association organise des formations et a créé

une labélisation « chanvre bâtiment ». Au niveau des producteurs, ceux-ci s’organisent localement, comme « Gâtichanvre » créé en 2013 par 6 agriculteurs associés dans le Gâtinais français, qui regroupe aujourd’hui le travail de 79 agriculteurs sur 650 hectares de chanvre.

Figure 16 : Champ de chanvre dans le Gâtinais Français ©Gâtichanvre

La partie du chanvre utilisée pour le béton de chanvre est la chènevotte. Le chanvre est constitué de

fibres séparées du cœur de la tige, le bois (la chènevotte), par défibrage. Les fibres sont destinées en majorité à l’industrie textile ou la fabrication de laine de chanvre (isolation), la chènevotte peut être utilisée en litière animale, en paillis ou pour la fabrication de béton de chanvre (chènevotte + liant).

Ce que le chanvre a d’intéressant au niveau agronomique est qu’il ne nécessite aucun intrant ou pesticide.

Il est une excellente tête d’assolement. Le chanvre, en effet, laisse un sol propre (il étouffe les adventices) et meuble (ses racines pivotantes se développent en profondeur). C'est un très bon précédent à céréales.48

Rapport Terracrea (2014), op.cit.

Source : Ecopytopic. URL : https://ecophytopic.fr/prevenir/le-chanvre-une-tres-bonne-tete-dassolement, consulté le 22/08/2020.

47 48

22

Figure 17 : Cartographie des principales unités de défibrage en France et surfaces de culture du chanvre en 2015.

Source : FranceAgriMer, tiré du rapport Nomadéis (2017).

Dans ce sens, l’agence de l’eau de Seine-Normandie soutient des projets comme « Gâtichanvre », dont

elle a subventionné la construction de l’unité de transformation et l’acquisition de matériel. La culture

du chanvre est en effet peu gourmande en eau, ne nécessite aucun produit phytosanitaire et participe à la préservation des nappes phréatiques.

Aujourd’hui, les isolants biosourcés représentent 10% de la part de marché des isolants en France. Sur

ces 10%, 40% concernent la ouate de cellulose selon l’ADEME.49 La ouate de cellulose, issue du

recyclage du papier, est le plus économique de tous les isolants (environ 6 euros/m² hors pose). Viennent ensuite les produits dérivés du bois (laines de bois et fibres de bois), et le chanvre (la France est le premier

cultivateur d’Europe, avec 6 200 tonnes de fibres et 5 200 tonnes de chènevottes valorisées en moyenne dans le bâtiment chaque année50), puis la paille (6 200 tonnes de paille mise en œuvre en 201651).

ADEME, 2014. Identification des gisements et valorisation des matériaux biosourcés en fin de vie.

Nomadéis (2017), op.cit.

51 Ibid.

49 50

23

1.5 Principales techniques de mise en œuvre Je vais évoquer ici, sans entrer dans les détails, les principales utilisations de matériaux naturels

dans la construction, nécessaires à la compréhension des résultats de recherche que j’exposerai par la

suite.

Le bois

Le bois d’œuvre massif peut être utilisé en ossature (structure) principale, en structure

périphérique, en charpente (toiture). Il peut également permettre la réalisation de planchers, de murs de

refends. Il est également utilisé en bardage (façade). Le bois reconstitué ou aggloméré (bois d’industrie) permet la réalisation de panneaux utilisés pour la réalisation de cloisons, de parement ou en isolation.

Les produits connexes du bois, comme la laine de bois, le liège ou la ouate de cellulose sont principalement utilisés en isolation.

Figure 18 : Bardage de châtaigner ©Vegetal(e)

Figure 19 : Bois d’œuvre, maison individuelle ©Wiktionnaire

Figure 20 : Laine de bois, isolation de combles ©Le moniteur

La terre crue

La terre crue, comme nous l’avons vu plus haut, est un matériau de construction très ancien. Il

est utilisé sous différentes techniques selon les régions (bauge, torchis, adobe, pisé). En France, il est remis au goût du jour selon 5 techniques principales : le pisé (terre compactée dans un coffrage), la bauge (empilement de galettes constituées de terre et de fibres végétales), le torchis (remplissage d’ossature bois avec un mélange de terre fibrée), la brique de terre comprimée (BTC) et la terre allégée (remplissage

24

d’ossature bois avec un mélange de terre et de paille). La terre crue est également utilisée en enduit intérieur et d’extérieur, mélangée ou non avec de la chaux.

Figure 22 : Atelier de l’agence ALP architecture en bauge construit en 2017 ©Atelier ALP

Figure 21 : Logement social en BTC, Domaine de la terre, Villefontaine ©AL. Antoine

Figure 23 : Maison pour tous en pisé à Four, 2018, Atelier Timur Ersen ©Laurianne Espinasse

Figure 24 : Mur d’une maison rurale près de Toulouse associant des briques de terre crue à des éléments en pierre et en terre cuite. Source : Habiter la terre (Dethier, 2019)

Figure 25 : Enduits en terre réalisés pendant le chantier participatif enduits terre et cellulose à Stains avec Archipel Zéro ©Frédéric Denise

25

La paille La paille, tige coupée des céréales (blé principalement mais aussi seigle, orge, avoine, etc.) est

utilisée depuis très longtemps dans la construction, mélangée à de la terre (torchis) ou pour les toitures en chaume notamment. Sous forme de botte, son utilisation dans la construction remonte à l’apparition

des botteleuses dans les années 1850 aux États-Unis. Le premier bâtiment en paille porteuse voit le jour au Nebraska en 1886 (USA). En France, la plus vieille construction en bottes de paille remonte à 1920.

Il s’agit de la maison Feuillette à Montargis (Loiret), qui a été rachetée en 2013 par le Réseau Français de la Construction Paille (RFCP), et dans laquelle la paille est associée à une structure porteuse en bois

et protégée par un enduit. Elle fête cette année ses 100 ans. Des prélèvements ont été effectués par le RFCP, la paille contenue dans les murs s’est révélée en excellent état.52

Sa principale application dans le bâtiment est l’isolation thermique, qu’elle soit en remplissage d’ossature

en bois réalisée sur chantier ou en remplissage de caissons de murs ou de toitures préfabriqués et remplis en atelier (on peut citer les entreprises Echopaille, Isopaille dans la préfabrication de caissons). La

construction en bottes de paille porteuse (mur porteur en paille) existe également et se développe, mais elle n’est pas régie par les règles professionnelles de la construction et demeure très rare (voir figure 28). La

paille est également utilisée pour réaliser des mélanges d’enduits terre, intérieurs ou extérieurs, la fibre de la paille permet de donner une résistance aux enduits qui peuvent être de plusieurs centimètres (2-8cm).

Les techniques les plus courantes dans la construction paille en France sont, pour les équipements

publics, les caissons en bois-paille préfabriqués et fermés en atelier par des plaques d’OSB53, de fibres de

bois ou de Fermacell54 à l’intérieur, et de panneaux de fibres de bois à l’extérieur (type Agepan55). La

paille n’est ainsi jamais au contact de l’eau et les caissons arrivent préparés sur le chantier (voir figures 26 et 27). Concernant la construction individuelle, souvent réalisée par des auto-constructeurs, la solution

la plus courante est une structure en bois poteaux-poutres (simple ou double) dans laquelle on vient insérer les bottes de paille (généralement dans le sens le moins large = 37cm) que l’on recouvre d’enduits

en terre à l’intérieur et en terre-chaux à l’extérieur (minimum 2-3 cm). L’épaisseur totale des murs ainsi

réalisés est d’environ 45cm. (Voir figures 29, 30, 32.)

La paille est aussi utilisée, associée avec la terre, pour la réalisation de cloisons séparatives terre-paille

banchées entre des plaques de bois que l’on monte 80 cm par 80 cm. C’est une technique longue et peu utilisée.

Généralement, au sein de mon étude, le terme en « paille » ferra référence à la construction en bottes de paille utilisées en remplissage de mur.

Source : http://cncp-feuillette.fr/wp-content/uploads/2014/02/Maison-Feuillette-Editions-Terre-vivante.pdf, consulté le 24/07/2020 53 Panneaux reconstitués de plusieurs couches de copeaux de bois.

54 Panneaux de plâtre et de fibres végétales distribués par Fermacell.

55 Panneaux de fibre de bois étanche.

52

26

Figure 26 : Préfabrication bois-paille ©Batipailleconstructions

Figure 27 : Préfabrication bois-paille ©Symamaisonpaille

Figure 28 : Maison bottes de paille porteuses, Loire-Atlantique ©Buildgreen

Figure 29 : Chantier auto-construction bois-paille, Hérépian juin 2020 ©Cécile Pélissier

Figure 30 : Chantier bois-paille, Hérépian juin 2020 ©Cécile Pélissier

Figure 31 : Maisons bois-paille préfabriquées, Écohameau du Plessis, juin 2020 ©Cécile Pélissier

Figure 32 : Chantier auto-construction bois-paille, 27 Bouglainval, juillet 2020 ©Cécile Pélissier

Le chanvre Le chanvre est utilisé de deux manières dans la construction, la partie fibreuse permet de réaliser

de la laine de chanvre, qui est un puissant isolant comme la plupart des laines. La chènevotte, qui est le

cœur de la plante, séparée de la fibre par défibrage, sert à la confection de ce qu’on appelle le « béton de

chanvre ». Le béton de chanvre consiste à mélanger la chènevotte avec un liant, principalement de la chaux, mais qui tend à être remplacée progressivement par de la terre crue. J’ai pu m’entretenir avec le chercheur Artur Hellouin de Minibus, qui développe le projet « Eco-Terra ». Le chaux-chanvre est un des premiers éco-matériaux qui s’est développé en France dans les années 80. Le projet Eco-Terra56 a

pour objectif de développer le terre-chanvre et plus principalement la terre allégée. En effet, la chaux,

bien qu’elle soit utilisée historiquement depuis l’époque romaine, n’est pas un matériau écoresponsable, elle est produite par calcination du calcaire brut à environ 900°. Ce n’est donc pas une matière naturelle

peu émissive en CO2. “[...] c’est vraiment la même chose. Avec les avantages de la terre, c’est réemployable à

l’infini, si c’est pas stabilisé, il n’y a pas de brûlures sur le chantier, pour les conditions des travailleurs c’est plus

intéressant, et enfin l’impact environnemental est moindre, puisque la terre n’a pas besoin de cuisson”. 57 Le but du projet de recherche Eco-Terra est de mettre en place des normes applicables localement, en fonction des terres présentes sur site et des ressources agricoles disponibles à proximité. Ainsi, on obtient le

mélange terre-fibre adéquat en fonction des ressources disponibles localement. Ce béton naturel est soit

projeté à la machine, soit appliqué à la main, soit mis en œuvre sous forme de blocs (vois figures 39 et

40). Le chaux-chanvre et le terre-chanvre peuvent également être utilisés pour réaliser des enduits de

finitions (voir figure 37).

On utilise beaucoup le béton de chanvre en renforcement d’isolation pour les bâtiments anciens. Ses propriétés sont en effet parfaitement adaptées au bâti ancien, colombages ou vieilles pierres. Sa mise en œuvre sous forme de projection permet également de venir l’appliquer sur n’importe quel support, droit

ou oblique, et permet de rattraper et réparer facilement les défauts du bâti ancien (voir figures 35 et 36).

Il est également utilisé en construction neuve, notamment sous forme de blocs (voir figure 38) ou de

projection dans une ossature bois (voir figures 33 et 34). Ces techniques proches de la maçonnerie

traditionnelle, permettent d’être facilement appropriées par les entrepreneurs. Des formations sont

données par Construire en Chanvre et par différents acteurs de la construction chanvre comme l’École Nationale du Chanvre.

Partenaires : Eco-Pertica, ADEME, Cerema, Région Normandie, Région Bretagne, Fondation de France.

Entretien avec Arthur Hellouin de Menibus, associé de Eco-Pertica et chercheur pour Eco-Terra, réalisé le 23/06/2020, 40 minutes.

56 57

28

Figures 33 et 34 : Maison neuve structure bois / remplissage chanvre, Ile d’Oléron ©ACDecoSARL

Figure 35 : Réhabilitation chaux-chanvre ©Maisons&travaux

Figure 37 : Enduit de finition chaux-chanvre ©Biofaire-matériaux

Figure 36 : Chaux-chanvre entre colombages ©Al’étatbrut

Figure 38 : Bloc de béton de chanvre ©Lachronique.be

Figures 39 et 40 : Zoom sur la matière terre-chanvre / Projection terre-chanvre ©Eco-Pertica

29

2. Caractéristiques principales des matériaux naturels 2.1 Propriétés physiques et perspirance Au-delà des qualités écologiques et des potentialités de développement local que nous avons vues plus haut, les matériaux biosourcés et géosourcés se distinguent des matériaux conventionnels par leur fonctionnement hygrothermique permettant ce que l’on appelle la « perspirance ».

La perspirance d’une paroi, à l’image de la perspiration empruntée à la peau humaine (absorption

d’oxygène ou élimination de l’eau à travers la peau), est le procédé permettant de faire migrer la vapeur

d’eau dans les murs, de l’ambiance présentant la pression la plus élevée à l’ambiance dont la pression est la moins élevée, et ainsi d’évacuer l’excès d’humidité. Une paroi perspirante assure une migration de la

vapeur d’eau à travers les éléments qui la constituent et autorégule naturellement l’hygrométrie de l’air intérieur, tout en restant étanche à l’air. Cela peut être comparé à un vêtement en Goretex® : une couche

isolante (le manteau) et une couche étanche à l’air (le coupe-vent) mais aussi une matière qui permet d’évacuer la transpiration, la vapeur d’eau.

“Le principe de fonctionnement d’une telle paroi repose sur l’autorégulation naturelle et statique de

l’hygrométrie à l’intérieur du bâtiment : lorsque l’hygrométrie de l’air intérieur est supérieure à celle de la paroi, cette dernière absorbe la vapeur et, au contraire, lorsque l’air intérieur s’assèche la paroi libère la vapeur d’eau qu’elle a absorbée. Un principe qui augmente la sensation de confort à l’intérieur du bâtiment”. 58

Figure 41 : Perspirance bâti ancien ©Perspirance.fr Source : https://www.perspirance.fr/3_page_isolation_et_perspirance.html Miget, Stéphane (2014). « Parois perspirantes, mythe ou réalité ? » [En ligne], Le Moniteur, le 04/03/2014. URL : https://www.lemoniteur.fr/article/parois-perspirantes-mythe-ou-realite.1308349.

58

30

Pour parvenir à une paroi perspirante, il faut mettre en œuvre des matériaux hygroscopiques 59, qui sont

capables d’absorber sans dommage le surplus de vapeur d’eau et de le restituer quand les conditions le

permettent. Parmi les matériaux d’isolation, indispensables à la composition d’une paroi, il se trouve que

ce sont les isolants biosourcés qui possèdent ces caractéristiques. Le plus spectaculaire étant la laine de mouton qui peut absorber 33 % de son poids en vapeur d'eau sans perdre ses propriétés physiques et

isolantes. Les panneaux isolants en fibres de bois absorbent jusqu'à 17% d'humidité sans dégrader le

niveau de conductivité. À titre de comparaison, les isolants traditionnels comme par exemple les fibres minérales, naturellement non hygroscopiques, ne sont pas en mesure de stocker plus de 2% d'humidité.60

Le gros avantage des isolants biosourcés est qu’à performance thermique égale, vis-à-vis d’un isolant en

laine minérale par exemple, ils permettent de mettre en place des parois perspirantes et d’arriver in fine à un meilleur confort hygrothermique. Le confort hygrothermique diffère du confort thermique dans le

sens où il prend en compte l’humidité relative de l’air, c’est-à-dire le taux d’humidité. En effet, à températures égales, le sentiment de chaud ou de froid est différent si l’air est humide ou non. La zone

de confort hygrothermique se situe entre 40 à 60% d’humidité relative. 61 La température des parois d’un logement joue également un grand rôle dans le confort hygrothermique, les écarts de plus de 3°C avec l’air intérieur étant sources d’inconfort. Là encore ce sont les matériaux naturels qui sont le mieux

positionnés dans leur capacité à retenir la chaleur ou la fraîcheur (inertie d’absorption et déphasage thermique). 62

Figure 42 : Diagramme de l'air humide et polygone de confort hygrothermique, en vert. Source : [Fauconnier, 1992] via energieplus-lesite.be Figure 43 : À quelle température se sent-on bien chez soi ? ©Homeconfort Source : https://www.homeconfort-eco.fr/comment-am%C3%A9liorer-son-confort/ Qui absorbe l'humidité de l'air.

Miget, Stéphane (2014). Op.cit.

61 Nepsen (2014). « Confort hygrothermique et réduction des consommations d’énergie » [En ligne], 24/06/2014. URL : https://nepsen.fr/wp-content/uploads/2014/08/Confort-Hygrothermique-et-r%C3%A9duction-des-consommationsd%C3%A9nergie.pdf 62 Sandrine Marceau, Sabine Caré, Pilar Lesage (2016). « Matériaux biosourcés et naturels pour une construction durable ».

Séminaire MABIONAT, May 2016, Champ-sur-Marne, France.

59 60

31

Dans ce sens, une expérimentation a été menée à Montholier dans le Jura avec la participation de la

FFB63 en 2006. Deux constructions différentes ont été réalisées, l’une mixte en bois-chanvre, l’autre en

bois-paille, avec l’installation de nombreux capteurs dans les murs. Les comportements des habitants ont été observés pendant un an et demi et comparés avec les données d’une maison jumelle virtuelle, conçus avec des matériaux conventionnels (parpaings, isolants polyester). “L'expérimentation a fait

apparaître un écart de 40% dans les consommations d'énergie entre les maisons expérimentales et la maison virtuelle. Parmi les explications : les occupants font commencer la saison de chauffe beaucoup plus tard. Il semble bien qu'un certain sentiment de confort soit apporté par la nature des matériaux, dont la température naturelle est proche de celle de la peau, mais aussi par leur effet de régulateur d'humidité” [FFB, 2006].

Beaucoup d’études ont complété, depuis, cette expérimentation. Le béton de chanvre a bénéficié de

nombreux programmes de recherche qui ont pu mettre en évidence la capacité naturelle du matériau à

se comporter comme un matériau à changement de phase 64 (inertie latente), et à réguler naturellement

la température intérieure [Amziane et Arnaud, 2013]. Le C&B Construction et Bioressources, a publié

un document technique en 201265 mettant en exergue le fonctionnement hygrothermique des matériaux

biosourcés (pour cette étude le bois, le chanvre, la paille) et les relations entre changement de phase de l’eau dans les matériaux, confort hygrothermique et consommation d’énergie. La terre crue a également

été largement étudiée 66 par son comportement hygroscopique, sa forte inertie thermique, son inertie latente et ses nombreuses propriétés de régulation hygrothermique [CRAterre, 2016]. Elle est

considérée comme un des matériaux les plus intéressants en termes d’inertie et de régulation d’humidité.

Son usage est préconisé en revêtement intérieur même à faible épaisseur : “Il n'est pas nécessaire de construire une maison en terre pour en avoir les bénéfices. Deux centimètres d'épaisseur sur les murs, que ce soit en enduit ou en panneaux d'argile, suffisent en général pour assurer le confort hygrothermique d'un logement.

En rénovation, dans une salle de bains, 2-3 cm permettent de supprimer les problèmes de condensation”. 67

Les capacités de régulation de l’humidité et de la température intérieure (et des parois), font des

matériaux naturels des matériaux très performants en terme de confort hygrothermique. À cela, on peut

ajouter leurs propriétés acoustiques (notamment absorbantes) importantes. 68 Certains matériaux comme

la terre crue sont, de plus, connus pour absorber les mauvaises odeurs et d’amortir la propagation des

Fédération Française du Bâtiment.

On appelle matériau à changement de phase, ou MCP, un matériau dont l’utilité pratique repose sur l’existence d’une ou plusieurs transitions de phase au sein de leur microstructure. Pour un matériau de construction cette propriété lui permet de stocker ou de libérer de l’énergie sous forme de chaleur. Cela est dû à la circulation de la vapeur d’eau au sein du matériau et à son changement de phase, de l’état liquide à l’état gazeux, ou inversement. Source : Wikipédia.

65 C&B (2012). « État des lieux des connaissances actuelles sur le Fonctionnement Hygrothermique des matériaux biosourcés. », 52 p.

66 Notamment le projet BAE (Béton d’Argile Environnemental) projet de recherche appliqué au programme C2D2. La direction de la recherche et de l’innovation du ministère chargé du développement durable a soutenu, de 2009 à 2014, un programme incitatif de recherche intitulé C2D2 – Concevoir et construire pour le développement durable.

67 Interview Andreas Krewet, gérant d'Akterre pour « Thermique : La terre crue améliore le confort hygrothermique » [En ligne], CTB : Cahiers Techniques du Bâtiment, Publié le 01/03/2010. URL : https://www.cahiers-techniquesbatiment.fr/article/2-thermique-la-terre-crue-ameliore-le-confort-hygrothermique.27319 68 Ministère de la Cohésion des Territoires (2020). Op.cit.

63 64

32

ondes électromagnétiques.69 Concernant les ondes, leur diminution peut être perçue comme une qualité

ou comme un défaut selon l’efficacité en matière de télécommunication recherchée dans un environnement.

À performances thermiques et acoustiques égales, les matériaux conventionnels demandent

comparativement des installations supplémentaires pour arriver aux mêmes niveaux de confort

(ventilation ultra-perfomante, système de récupération de la chaleur, système de refroidissement, système de chauffage peu énergivore). Tandis que l’usage des matériaux naturels va avoir pour effet de diminuer la consommation de chauffage et de climatisation (s’ils sont correctement mis en œuvre et si

la conception du logement est pensée de manière bioclimatique) et de stabiliser les ambiances intérieures.

On pourrait parler de technologies high-tech versus low-tech, que ce soit dans le processus de fabrication des matériaux, que dans leur système d’exploitation. Sans opposer le low-tech au high-tech, les deux

comportant leurs propres avantages, il semble que moins on met en place d’équipements technologiques

qui nous rendent dépendants de leur bon fonctionnement, plus on crée des systèmes durables qui peuvent s’autoréguler naturellement.

“Moi, ma maison, j’ai du terre chanvre et j’ai des enduits [terre], donc je considère que c’est important d’avoir cette régulation naturelle de la maison et cette capacité à le faire tout seul… Et je pense qu’effectivement ça la

rend… enfin, on se rend moins dépendant des systèmes. Mais aujourd’hui c’est très compliqué, parce que si on

compare une maison à réception sur laquelle la ventilation marche très bien, aujourd’hui il n’y a pas de preuves… il y a beaucoup de gens qui disent « oui, c’est plus confortable », mais y a pas de preuves scientifiques.”

- Entretien avec Arthur Hellouin de Menibus, chercheur Eco-Terra

Il n’y a aujourd’hui effectivement pas de preuves scientifiques qu’une maison constituée de matériaux

naturels soit plus confortable physiquement parlant, qu’une maison conventionnelle avec des systèmes

et équipements très performants. Les caractéristiques physiques naturelles propres aux matériaux

biosourcés et géosourcés sont, avec leurs qualités écologiques, les principales propriétés mises en avant

lors des communications scientifiques, politiques ou journalistiques. Or, ce qui m’a intéressée dans ce

travail est l’aspect plus méconnu et peu étudié de leur apport sensible. C’est peut-être via ces qualités-là, les propriétés sensorielles, que l’on pourrait expliquer l’impression de confort optimal dont parlent

presque unanimement les habitants et les usagers des bâtiments conçus avec des matériaux naturels. Ce sentiment de confort optimal, j’ai pu le constater dans mes enquêtes comme nous le verrons plus loin.

69

Source : https://www.akterre.com/la-terre.html

33

2.2 Qualités sensorielles et apport sensible Dans certaines publications sur les matériaux naturels, il est évoqué l’intérêt sensible de la mise

en œuvre de ces matériaux, sans toutefois que cette dimension soit développée ni explicitée en profondeur. Ainsi dans le rapport « Les matériaux de construction biosourcés & géosourcés » publié sur

le site du Ministère de la Cohésion des Territoires, on peut lire :

“ Le vivant au cœur du bâtiment : La mise en œuvre de matériaux biosourcés et géosourcés dans la

construction réintroduit la nature au cœur du bâtiment et renforce le bien-être des habitants tant par leur dimension esthétique qu’en favorisant les sentiments de connexion au vivant (biophilie)”. 70

La biophilie, comme je le développerai dans la deuxième partie de ce mémoire, est le lien émotionnel

inné que l’être humain entretient avec le vivant. Pourquoi les matériaux naturels sont-ils considérés

comme des matériaux « vivants » ? Le CNRTL définit le vivant comme ce “Qui vit, qui est en vie ; dont les fonctions de la vie se manifestent de manière perceptible”. Au sens figuré, il renvoie à ce “Qui a la vigueur,

l'expression de ce qui vit ; qui en a les qualités”.71 Bien que la nature ne puisse se résumer aux seuls éléments

vivants, la demande sociale de nature semble se confondre avec le sentiment de connexion au vivant.

Durant mes entretiens avec des professionnels de la construction « naturelle », cette idée de vie était très souvent présente via des métaphores, sans pour autant être clairement explicitée. Par ailleurs, si beaucoup

m’ont décrit précisément la qualité du confort hygrothermique et son explication physiologique, cela

semblait difficile pour les acteurs interrogés de parler de ressentis et de mettre des mots précis sur leurs sensations.

“On se sent bien, quoi ! Ça respire, on sent que les murs respirent, que l’avantage de ça c’est que ce sont des murs qui sont perspirants.” - Entretien avec Camile Behaghel, architecte

“C’est un ressenti global, les gens ne savent pas trop à quoi c’est dû.” - Frédéric Mercier, architecte “Je sais pas... Je pense que ça c’est dû… […] on peut même pas le dire vraiment, le pourquoi de la chose.” Sylvie Wheeler, artisane

“C'est pas explicable, hein, comme ça par les mots, parce qu’il faut vraiment le vivre.” - Bruno Belenfant,

architecte

Comme nous l’avons vu plus haut, le fait que les matériaux naturels soient perspirants, qu’ils absorbent l’humidité et la restituent, qu’ils emmagasinent la chaleur et la diffusent, qu’ils varient en fonction de

l’air ambiant et de l’atmosphère, en font des matériaux ayant un comportement proche de la peau et

Ministère de la Cohésion des Territoires (2020). Les matériaux de construction biosourcés et géosourcés, [en ligne]. URL : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2019 12/les_materiaux_de_construction_biosources_geosources.pdf 71 CNRTL, https://www.cnrtl.fr/definition/vivant, consulté le 18/08/2020.

70

34

donc du « vivant ». Beaucoup de personnes interrogées lors de mon enquête utilisaient l’expression de « murs qui respirent ». Par ailleurs, ces matériaux changent de couleur et d’aspect en fonction des

variations de luminosité et d’humidité. Cette propension au changement, aux variations, quelque fois imprévisibles, comme le craquement du bois, donne un caractère particulier à l’habitat. On pourrait

effectivement dire que le bâtiment respire, que les matériaux vivent, bien que ce ne soient que des images, elles donnent un caractère naturel à l’habitat.

“Et après par rapport aux matériaux, alors c’est plus le bois là, mais c’est vrai aussi pour les enduits, comme la

chaux, le plâtre ou la terre, c’est des enduits qui vont très facilement sur une couche superficielle absorber les variations d’humidité, intérieures ou extérieures, et donc la lumière va changer plus sur ces surfaces-là. Un bois mouillé n’a pas du tout la même couleur qu’un bois sec, c’est pareil pour les enduits. Et donc ça les gens ils

apprécient, c’est ce qu’on voit dans les bâtiments anciens. Ils apprécient que ça change.” - Entretien avec Corentin Desmichelle, architecte

Une matière froide et immuable comme le métal ou le béton produit une perception différente qu’un

bois massif, un revêtement en terre, ou un mur de pierre. Bruno Belenfant, architecte associé de l’atelier Belenfant-Daubas, parle même d’absence de sensations, de fermeture des émotions, au contact des

matériaux conventionnels, réactivées au contact des matériaux naturels :

“Quand on est dans un bâtiment par exemple… quand on regarde ici, métal, béton… [...] On est dans une

ambiance où on se coupe de nos sensations parce que c'est des sensations agressives. Donc on se coupe de nos sensations. Le fait de travailler avec ces matériaux-là, on retrouve nos sensations, la sensation de contact avec la matière, avec une matière pour laquelle la peau, ne serait-ce que physiquement la peau a un plaisir à être en

contact. Vous voyez, vous n’avez pas de plaisir à être en contact avec du béton ou du métal ! Vous voyez c'est

froid, c'est pas agréable ! Il y a des matériaux comme ça qui sont agréables au toucher, à l'ambiance, au rayonnement du matériau et sauf que… beaucoup de gens ne s'en rendent pas compte parce qu'ils sont habitués à vivre dans des ambiances où leurs sensations sont… refermées.” - Entretien avec Bruno Belenfant, architecte

Bruno Belenfant ajoute que, l’humanité vivant dans des bâtiments en pierre, en bois et en terre crue depuis des millénaires, ces matériaux ont été éprouvés au contact de l’être humain. Les matériaux modernes, récents quant à eux, sont des matériaux sur lesquels nous avons peu de recul, et qui ne sont

pas forcément satisfaisants en termes d’ambiance et de confort.

Dans le domaine des sensations, il y a celles qui peuvent être directement associées à des perceptions

physiques et celles qui peuvent provenir d’évocations. Ainsi il est également important de prendre en compte la dimension psychologique de nos perceptions. La terre, la pierre, le bois sont en tant que

matières présentes dans la nature identifiées comme telles, même quand elles sont extraites de leur milieu

et transformées pour être utilisées en tant que matériau. De la matière au matériau, il y a pourtant des

processus de transformation, peu pour la terre crue et la paille, plus pour le bois, et encore plus pour le 35

chanvre par exemple. Ainsi, a priori, plus une matière conservera son aspect brut, moins elle sera transformée, plus elle pourra être associée à la « nature ».

Le bois en tant que matériau de construction est très souvent associé à la nature, c’est un matériau très sensible, de par son odeur, sa texture ou encore son toucher. En ce sens, une réflexion qui m’a été faite alors que j’évoquais la construction en bois et les avancées techniques permettant aujourd’hui de construire des

immeubles de grandes hauteurs : “Ah on peut construire des immeubles en bois ?... Moi, si Paris était comme

cela je ne la quitterais peut-être pas ! Le béton cela m’oppresse, j’ai besoin de nature… j’ai besoin de respirer”.72

Si l’assimilation du matériau bois avec la nature est assez courante, il en est de même avec le matériau terre

crue. Ce sont des matières présentes en grandes quantités dans nos paysages, nous avons ainsi naturellement tendance à les identifier comme de la « nature ». Cependant tous les bois n’auront pas le

même effet, dépendamment de leurs aspects visuels, de leur texture, de leur odeur (beaucoup d’études ont

été faites sur le bois, j’y reviendrai plus tard dans la deuxième partie de ce travail). La terre crue, en fonction

de la technique utilisée et de la couleur de la terre, aura également un aspect plus ou moins naturel.

Un aspect pouvant également influer sur les perceptions est la connaissance ou non des ressources

utilisées dans la construction du bâtiment. L’expérience sensorielle du chantier, via la participation à la

construction, joue aussi un rôle prépondérant. Ainsi, lors d’un chantier participatif auquel je suis allée à

Hérépian, dans l’Hérault, certains repas collectifs étaient pris directement dans la maison en construction, où les murs n’avaient pas encore été enduits de terre crue, et où la paille était apparente.

Un ami des auto-constructeurs présent à ce dîner a lancé : “Ah, ce qu’on est bien dans la nature !”, puis a

ajouté “Au moins là on n’est pas dans de l’artificiel”. 73 Voir le chantier, en l’occurrence ici voir la paille sortie du champ utilisée directement pour remplir la structure bois, a une influence certaine sur la perception

de la qualité « naturelle » de la maison. Car une fois fini, un intérieur utilisant des matériaux naturels ne sera pas toujours d’aspect très différent d’un intérieur plus conventionnel, du moins pas au premier coup

d’œil. La paille qui compose les murs ne se percevra plus, le bois de structure ne sera pas toujours apparent, ce sont les finitions qui seront alors déterminantes.

Je reviendrai en profondeur sur la

dimension sensorielle des matériaux

naturels, avec à l’appui mes résultats d’enquête, dans la troisième partie de ce

mémoire. Avant cela, je tiens à poser certaines définitions et présenter certains

travaux de recherche se rapportant au sentiment de nature et à son pouvoir Figure 44 : Intérieur de la maison en construction, chantier bois-paille à Hérépian ©Louise Piétri 72 73

Discussion avec un usager du parc des Buttes Chaumont, le 06/06/2020.

Propos recueillis sur le chantier en bois-paille à Hérépian, en juin 2020.

restaurateur, pourvoyeur de bien-être.

36

Deuxième partie - Confort, bien-être et sentiment de nature -

« Brillantes fleurs, émail des prés, ombrages frais, ruisseaux, bosquets, verdure, venez purifier mon

imagination salie par tous ces hideux objets. Mon âme morte à tous les grands mouvements ne peut

plus s’affecter que par des objets sensibles ; je n’ai plus que des sensations, et ce n’est plus que par elles que la peine ou le plaisir peuvent m’atteindre ici-bas. » Jean-Jacques Rousseau - Septième Promenade 74

74

Rousseau, Jean-Jacques (1782). Les rêveries du promeneur solitaire, Septième promenade. Le livre de poche, 2001, 223 p.

37

1. Notions de confort et de bien-être 1.1 Éléments de définitions Avant d’analyser les sensations de bien-être et de confort des répondants à mon enquête, je vais définir ici ce que l’on entend généralement par ces deux notions.

Le confort est un mot s’utilisant au sens propre et au sens figuré. Il est défini par l’“Ensemble des

commodités matérielles qui procurent le bien-être” 75 ou l’“Ensemble de ce qui contribue au bien-être, à la

commodité de la vie matérielle”76, ou encore par l’“Ensemble des commodités, des agréments qui produit le bienêtre matériel”. 77 La dimension matérielle étant majoritaire dans ces définitions, on conviendra que la

définition du confort, au sens propre, correspond à la présence de commodités matérielles. Le confort au sens figuré correspond, lui, a une forme de “Tranquillité psychologique, intellectuelle, morale obtenue par

le rejet de toute préoccupation” 78 ou “Tout ce qui assure le bien-être de l'esprit et sa tranquillité”. 79 Il est donc

attaché à la tranquillité de l’esprit.

Le confort est une notion subjective, comme le note Jacques Pezeu-Massabuau (2004), l’appréciation du confort ne cesse de varier en fonction des périodes et des lieux, en fonction des avancées techniques, et

des personnes qu’il concerne. Le confort s’appréhende toujours par comparaison à un état initial ou bien

encore par rapport à la situation d’autres personnes.

D’après les définitions précédentes, le confort est une condition au bien-être, qui est quant à lui défini

comme “le sentiment général d’agrément, d’épanouissement que procure la pleine satisfaction des besoins du

corps et/ou de l’esprit” 80, le CNRTL ajoute que “Le bien-être, à la différence du bonheur, s'accompagne généralement d'une composante physique (cause ou effet)”.

Le sens de bien-être semble se confondre avec les deux significations du terme « confort » (confort

physique au sens propre, tranquillité de l’esprit au sens figuré). Cependant le bien-être est positionné

comme la résultante du confort, qui lui est sa condition. Le terme « bien-être », contrairement au confort, regroupe à la fois le physique et le psychologique. Ainsi, le confort matériel participe à procurer du bien-être, mais il n’est pas suffisant. À l’inverse, le bien-être ne procure pas le confort, le bien-être

étant le but à atteindre.

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), http://www.cnrtl.fr/definition/confort, consulté le 28/07/2020.

76 Rey, Alain (dir). Dictionnaire historique de la langue française. Paris : dictionnaires Le Robert, 1992.

77 Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/confort/18147, consulté le 28/07/2020.

78 Ibid.

79 CNRTL, Op.cit.

80 CNRTL, https://www.cnrtl.fr/definition/bien-%C3%AAtre, consulté le 28/07/2020.

75

38

1.2 De l’espace de qualité à celui du bien-être Le confort d’un espace ou d’un lieu défini résulte des conditions physiologiques qui s’y déroulent.

Selon Lucille Grésillon, urbaniste, maître de conférence en géographie à l’université de Caen, la qualité

d’un espace dépend de ses composants matériels et de leur agencement “Cette qualité est mesurable par des

critères objectifs où les normes de confort et d’esthétique jouent un rôle essentiel” [Grésillon, 2008]. Le bien-être,

lui, dépendrait de l’adéquation entre les besoins sensoriels des individus et les propriétés sensibles des espaces. “[...] le phénomène contemporain d’individuation provoque un élargissement de la notion de qualité de vie : celle-ci dépend non seulement du confort matériel mais aussi de l’intensité et de la diversité des perceptions sensorielles (Vigarello, 1982). Il y aurait donc rupture contemporaine : le bien-être deviendrait surtout une

question de sensorialité (Sèze, 1994, p.34-35)” [Ibid.]. La distinction est faite ici entre un espace de qualité, défini par son agencement, et un espace de bien-être, défini par ses capacités à répondre à des besoins

sensoriels. Le confort est garanti par des critères hygiénistes (eau courante, lumière, chauffage) qui

assurent aux usagers un certain silence sensoriel (bruit, odorat). Tandis que le bien-être est une sensation

agréable procurée par la satisfaction des besoins physiques, intellectuels et spirituels, comme le définit

le Petit Robert. En tant que sensation, il met en œuvre la sensorialité des usagers, elle-même composée des caractéristiques physiologiques, neurologiques et psychologiques de la perception [Grésillon, 2008].

Le confort moderne matériel, rendu possible par la standardisation des logements, a permis que le corps

soit affranchi des contraintes du froid, de l’obscurité, de la saleté, de la promiscuité, des travaux physiques les plus pénibles [Sèze, 1994, p.34-35]. “Que le corps soit libéré des contingences physiques n’est aujourd’hui

qu’une condition nécessaire mais non suffisante au bien-être sensoriel : celui-ci dépend aussi de la capacité de stimulation sensorielle des espaces” [Grésillon, 2008].

Dans les années 80, le milieu de la géographie a posé les bases théoriques du rapport entre bien-être et

espace de vie, notamment grâce à l’ouvrage de Bailly (1981) La géographie du bien-être. Pour Antoine

Bailly et Jean Racine (Bailly, Racine, 1988), qui se sont interrogés sur les indicateurs permettant de le mesurer,

il

y

a

deux

dimensions

au

bien-être,

l’une

objective,

l’autre

subjective.

Dans sa dimension subjective, le bien-être évolue en fonction des cultures et des temporalités. Il apparaît ainsi que pour le bien-être contemporain occidental, le confort matériel ne suffit pas. L’espace de bien-

être dépend de l’appropriation sensorielle de l’habitat ou du lieu fréquenté, le corps devant être investi

de sensorialité. La sensorialité déployée est propre à la sensibilité de chaque usager. Certains espaces sont donc plus propices à l’épanouissement de la sensorialité et au développement de la sensibilité du

corps. D’après Lucille Grésillon (2008) : “Dans l’habitat, le passage de l’espace de qualité à l’espace de bien-

être dépend beaucoup des possibilités d’adéquation du sensible aux besoins sensoriels de l’habitant”.

1.3 Typologie de confort et bien-être Jacques Pezeu-Massabuau, enseignant et docteur ès lettre, a beaucoup écrit sur la maison,

l’habitat et l’art d’habiter. Dans son ouvrage Du confort au bien-être, la dimension intérieure (2002), il 39

explique que le bien-être éprouvé dans un espace à un moment donné dépend de trois composantes : le bien-être corporel, le bien-être esthétique et le bien-être relationnel [Pezeu-Massabuau, 2002, p.15-

34]. Selon lui, il y a trois besoins essentiels dans l’habitat : se voir protégé et capable de repos ; posséder un cadre de vie qui flatte aux yeux d’autrui ; rêver à l’écart des soucis quotidiens. La « dimension intérieure » est la forme que prennent ensemble ces trois exigences “dont la satisfaction s’appelle le confort”.

“Ainsi ce véritable confort – ce bien-être -ne jaillit-il que d’un environnement humain -historique et social- d’où

nous parviennent confondus tous ces éléments… Et le plus précieux d’entre eux (ce qui serait l’ultime requête de notre dimension intérieure) : cette calme certitude d’appartenir à une culture -la nôtre- à la fois libre et protégé”

[Pezeu-Massabuau, 2002, p.11].

Pour l’auteur, le degré zéro du confort est le niveau du corps “presque uniquement olfactif, thermique et

tactile”, c’est la fraîcheur en été, la douceur d’une étoffe, une “sensation globale d’agréments physiques”. Ainsi

le premier degré va dépendre des qualités de l’espace, sec ou humide, étroit ou spacieux, dur ou mou,

clair ou obscur, silencieux ou bruyant, des extrêmes envers lesquels un certain niveau assure une

impression de confort. Le deuxième degré de confort est le plaisir du beau, du domaine du goût, relevant

de la satisfaction esthétique et de l’expression du paraître (aux yeux des autres). Enfin le troisième niveau est l’aire de l’intimité, cette liberté de n’être qu’avec soi ou d’être avec les autres, que permet un espace

intime dans lequel il est possible de rêver sans encombre. Ces trois types de confort amènent donc au véritable confort, global, qu’il nomme la « dimension intérieure ».

Pezeu-Massabuau insiste également sur la dimension culturelle et personnelle du bien-être. Le confort

est fonction de notre culture et de notre histoire sociale. Dans un article paru dans Communications, Le

bien-être, de l’inconfort à l’anticonfort (2002-2), il explique les processus culturels qui nous font accepter à

priori des espaces inconfortables, bien que confortables au sens de l’intégration sociale à une culture

donnée. “Notre impression de bien-être domestique reste de nature sociale, si intimement que nous la ressentions.

Elle s'inscrit toujours dans le passé de notre civilisation et, pour chacun de nous, s'ancre dans la mémoire de sa

maison”. Le logement est l’émanation de la société tout entière et de ses usages. Les habitats étant chargés de valeurs sociales, faire perdurer une forme d’habitat c’est faire perdurer l’ordre social et les traditions.

“Ce déni partiel de maintes aménités domestiques est ainsi un « fait de civilisation » (comme disent les géographes

en peine d'une autre explication), inhérent à notre existence et dont il paraît l' « envers » inévitable.

Paradoxalement, une correction de détail se ressent d'abord comme une trahison de notre passé, voire une mise à l'écart de la collectivité elle-même” [Pezeu-Massabuau, 2002-2, p.91].

Quelque part en suivant cette réflexion, on pourrait dire qu’innover dans l’habitat, en changer les formes et les règles, est en soi une forme de contestation. C’est d’une certaine façon se rebeller contre l’ordre en

cours et l’esprit en place. Changer de modèle de construction, changer les règles, est coûteux en temps et en énergie. Cela requiert une volonté particulière qui provient du désir d’être en adéquation avec ses

idées et sa conception du monde. Si l’analyse de Pezeu-Massabuau est correcte, l’ontologie et la

cosmologie d’un individu prendraient en premier lieu forme dans son habitat. Cette idée est dans la 40

continuité des pensées sociologiques et anthropologiques dominantes sur l’espace habité. On peut se

référer entre autres au travail de Pierre Bourdieu, qui voit dans la maison Kabyle (1970) la projection spatiale des clivages sociaux et l’expression d’une cosmogonie. 81 Pour Bourdieu, le déterminisme social

implique que le logement incorpore dans sa matérialité, dans la composition de ses espaces, dans son

mobilier, les habitus de classe [Bourdieu, 1979]. Cependant ce déterminisme n’est pas figé et entre dans

des processus plus ou moins lents d’évolutions permanentes. Pour l’historien et anthropologue Christian Zarka, il existe une action réciproque entre les modes de vie d’une part, évoluant perpétuellement, et

l’espace d’habitation, véritable conditionnement architectural qui, se transmettant d’une génération à

une autre, finissent par ne plus correspondre à la forme que l’homme entend donner à son environnement. “Sous la pression de nouvelles conditions de vie (socio-économiques, politiques, et culturelles)

l’homme brise le carcan reçu en héritage et renouvelle son environnement” [Zarka, 1981].

En définitive, et c’est le sujet de son autre ouvrage L’éloge de l’inconfort (2004), Pezeu-Massabuau

démontre que le confort est un phénomène historique qui n’existe qu’en tant que rapport à un état

meilleur ou pire. Les sociétés occidentales n’ont eu de cesse de passer d’un état d’inconfort à un autre, l’état de confort étant très fragile, et les sources d’inconforts toujours présentes. En ce sens le confort ultime relève de l’utopie et le vieux rêve du bien-être absolu, “cette euphorie tranquille du corps et de l’âme”,

un idéal à dépasser. “[...] le « bien-être idéal » (auquel nous ne cessons de tendre) demeure asymptotique à nos

plus coûteuses réalisations” [Pezeu-Massabuau, 2002-2, p.92]. En résumé, chercher le confort c’est accepter l’inconfort, les deux étant indissociables, comme le sont le bonheur et le malheur, l’un existant seulement comparativement avec l’autre. L’intérêt, selon J. Pezeu-Massabuau, demeure dans l’action, de ce qui nous donne envie d’améliorer une situation, de passer de l’état d’inconfort à celui du confort.

1.4 Méthodes d’évaluation du confort Concernant l’habitat, la problématique du confort dans la société occidentale actuelle est surtout

celle du confort thermique. Dominée à la fin du XXème siècle par des préoccupations hivernales, celles

relatives au confort d’été sont destinées à occuper une place de plus en plus importante dans les années

à venir. En effet le climat se réchauffant, notamment au niveau national82, et les consommations

d’énergies cherchant à être limitées, des solutions vont devoir être développées ou remises au goût du jour pour maintenir un minimum de fraîcheur dans nos intérieurs.

Les paramètres physiques d’ambiances, sont ceux principalement étudiés en terme de confort dans l’habitat, ils sont dissociés des paramètres propres aux occupants (à savoir la thermorégulation, qui

comporte une dimension comportementale et une autre physiologique, à laquelle il faut ajouter les

Théorie expliquant la formation de l'Univers, de certains objets célestes.

Selon le scénario A2 du GIEC, les températures de l’hexagone, à la fin du siècle, augmenteraient selon un gradient NO-SE de 3°C en littoral atlantique à 4°C au SE d’une ligne Strasbourg-Toulouse.

81 82

41

facteurs psychosociologiques du confort83). Les paramètres d’ambiance regroupent en particulier la température, l’humidité de l’air, la vitesse de l’air et les paramètres d’inconfort localisés (températures des parois, du sol, gradient vertical). Les standards, les normes et les modèles de calcul, ont accompagné l’évolution de la notion de confort.

Dans le domaine des sciences appliquées, deux protocoles de conforts, celui de Fanger (1973) et celui

d’Hymphreys et Nicol (2002), ont eu le plus d’influence. Sur le modèle de Fanger a été construite la norme NF EN ISO 773084 qui est en vigueur aujourd’hui.

Dernièrement, l’Agence Qualité Construction a publié un protocole [ACQ, 2019] permettant

d’apprécier conforts et ambiances. Il vient compléter certains outils développés par l’AQC, notamment

dans le cadre du dispositif REX Bâtiments Performants 85, en permettant davantage de retours

d’expériences concernant les conforts et les ambiances des bâtiments à hautes performances énergétiques

et environnementales. Les sens de l’être humain sont définis par différents mécanismes de réception : la réception d’énergie électromagnétique (vision), la mécanoréception (toucher, ouïe), la chimio-réception

(goût, odorat) et la thermo-réception (perception de la chaleur). “L’ensemble des informations reçues nous

permettent de juger de la qualité d’une ambiance. À chacun d’entre eux [les sens] sont affectées des informations factuelles que sont des indicateurs” [AQC, 2019]. Le protocole Rex se focalise sur les thématiques de confort

hygrothermique, de confort acoustique et de confort visuel “en lien avec nos sens les plus actifs dans les

bâtiments d’aujourd’hui : le toucher, la perception de chaleur, l’ouïe et la vision”. Pour chaque thématique sont développés des indicateurs : température, humidité, vitesse de l’air, éclairement, présence de polluants.

Ce type de protocole est assez technique et se traduit par l’utilisation d’appareils de mesure perfectionnés.

Il repose en majeure partie sur des paramètres physiques mesurables et quantifiables et beaucoup moins

sur les perceptions et sensations des usagers. Par ailleurs, il n’intègre absolument pas la dimension olfactive.

Mon hypothèse est que certaines qualités d’ambiance ne sont pas mesurables de cette manière, car elles

reposent plus sur des perceptions et des émotions particulières, ou collectives, dépendantes de l’espace et du sujet qui l’expérimente. Il manquerait selon moi à ce protocole une approche plus phénoménologique,

basée sur la confrontation et le recoupement des expériences vécues des usagers. C’est dans cette optique

que j’ai mené mon enquête comme nous le verrons plus loin.

ARENE IDF (2014). Confort d’été passif, Les guides Bio-Tech [en ligne], ouvrage réalisé à la suite d’un groupe de travail de l’ICEB, coordonné par Alain Bornarel (TRIBU). URL : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-22277confort-ete-passif.pdf, consulté le 20/07/2020.

84 ISO 7730, « Ambiances Thermiques Modérées – Détermination des Indices PMV et PPD et Spécifications des Conditions de Confort Thermique», (AFNOR, Paris, 1994).

85 Il consiste concrètement à capitaliser des retours d’expériences. Il se base sur l’audit in situ de bâtiments précurseurs allant au-delà des objectifs réglementaires de performances énergétiques et environnementales.

83

42

2. Expérience de nature et théories de la restauration 2.1 L’expérience de nature Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) définit la nature comme : l’“Ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l’activité et de l’histoire humaines”, mais également comme l’“Environnement terrestre, en tant qu’il sert de cadre de vie à l’espèce humaine et qu’il lui fournit des ressources”. La définition de la nature adoptée en général par les sciences humaines est liée au

dualisme conceptuel entre « nature/culture » ou « monde humain/monde non humain » [Truong, 2018,

p.17]. Pour la philosophe américaine Donna Haraway, les deux termes forment “une co-construction

indissociable”, et pour Bruno Latour “Dans la tradition occidentale, on ne peut jamais parler de l’une sans parler de l’autre : il n’y a pas d’autre nature que cette définition de la culture et pas d’autre culture que cette définition de la nature”. 86

Cependant, anthropologues et philosophes l’affirment ces dernières décennies : la nature cela n’existe

pas, ce n’est qu’une construction de l’esprit allant de pair avec son opposé, la culture.87 S. Moscovici dans La société contre nature (1972) réfute l’opposition nature/culture “La société n’est pas hors nature et contre nature” [p.42]. Selon lui, l’homme fait partie intégrante de la nature, son univers est à deux dimensions,

naturelle et sociale. Les animaux aussi possèdent leurs ordres sociaux, donc la dimension sociale serait elle aussi naturelle. Pour P. Descola, le concept de nature a été peu à peu construit “comme un dispositif ontologique d’un genre particulier servant d’assise à la cosmologie des modernes” [Descola, 2005].

En réalité, ces différents aspects de la façon de définir et de représenter la nature sont souvent mêlés.

Différents discours et différentes compréhensions de la nature sont ainsi mobilisés et contribuent à la

représentation de l’environnement et la relation à la nature des individus [Truong, 2018, p.18].

La notion de nature porte en elle des questions philosophiques, à travers les rapports que l'homme

entretient avec le milieu naturel et l'environnement, ainsi que ses conceptions de la vie sociale. Ceci explique les multiples sens qu'il est possible d'attribuer au mot « nature » dans les représentations sociales. Il y aurait donc autant de sens du mot nature que d’individus.

Soga et Gaston (2016), définissent l’expérience de nature comme une “large variété de types d’interactions

humain-nature”. M.X. Truong, dans sa thèse Les expériences olfactives de nature (2018), part du postulat que les expériences de nature ne sont pas uniquement des contacts ponctuels, mais sont diverses,

complexes et inscrites dans une histoire individuelle et un contexte politique et social. L’expérience de nature serait davantage un processus qu’un événement, qui inclurait au moins trois composantes : des

86 87

Vincent, Catherine (2020). « Dépasser le dualisme entre nature et culture », Le Monde [en ligne], le 20/07/2020.

Ibid.

43

interactions sensorielles entre les individus et les entités naturelles, un contexte social et culturel, un phénomène transformatif d’enrichissement personnel [Truong, 2018, p.22].

Ainsi, pour mon étude, j’étudierai la façon dont les matériaux naturels, à travers les interactions

sensorielles qu’ils apportent aux usagers, peuvent procurer une expérience de nature dans l’habitat. Et

cela moins de manière ponctuelle que de façon prolongée, à travers l’interaction de l’homme avec son

environnement habité, notamment au sein d’un phénomène transformatif global, incluant la vision et l’expérience de la construction.

2.2 La Biophilie Pourquoi les expériences de nature sont-elles reliées au confort et au bien-être ? Les théories

comme celle de la biophilie (Kellert et Wilson) et celles de la restauration de l’attention (Ulrich et

Kaplan) tentent d’expliquer ce qui nous lie intimement à la nature.

“Les éléments dont nous disposons indiquent de façon concluante que connaître et expérimenter la nature nous

rend généralement plus heureux et en meilleur santé. Davantage, ce qui caractérise notre connexion intangible avec la nature nous aidera à élaborer des décisions bénéficiant aux gens et l’écosystème dont nous dépendons”

[Coll., 2013]. 88

La biophilie est décrite par le biologiste E.O. Wilson dans son ouvrage « Biophilia » (1984), comme “la

tendance innée de l’Homme à concentrer son intérêt sur la vie et les processus vitaux, voire l’adhésion émotionnelle innée de l’Homme aux autres organismes vivants, ce lien émotif qui depuis toujours unit les êtres

humains à d’autres formes de vie et qui les a accompagnés tout au long de leur évolution” [Kremarova,2009].

Ce lien inné s’expliquerait en partie par notre patrimoine génétique. L’idée de biophilie avait été

précédemment avancée par le psychanalyste Erich Fromm comme l’amour passionné de la vie et de tout

ce qui vit.

Ce concept a notamment été repris dans l’architecture sous le terme de « Biophilic Design ». L’idée

étant, face au constat que nous passons la majeure partie de notre temps à l’intérieur, d’intégrer l’idée de nature au cœur des bâtiments pour concevoir des intérieurs plus agréables (mais aussi plus productifs).

Le terme de biophilie est plutôt entendu ici comme le lien inné à la nature au sens large et n’est pas réduit à la seule dimension du vivant.

La conception biophilique peut prendre plusieurs formes au sein de l'habitat. Il y a cependant trois

grands principes qui sont : l’intégration de la nature dans l’espace sous forme de végétation, d’eau, de

lumière naturelle et de vues sur un espace de nature ; les analogies naturelles, c’est-à-dire tout ce qui peut

évoquer la nature dans la forme, la texture, la couleur ou la structure ; et la nature de l’espace comme lieu

s’assimilant à un milieu naturel où l’on pourrait se réfugier, surveiller, s’évader [Browning et al., 2014].

88

Traduit de l’anglais par l’auteur.

44

“Les matériaux biosourcés, associés à des conceptions architecturales émergentes, semblent donc avoir leur place dans la mise en œuvre de la biophilie. En termes d'aménagement intérieur, bien des ressources pourraient être

mises à contribution d'un design biophilique : le bois, déjà très utilisé, mais aussi le bambou, le chanvre, les

roseaux, la tige de bananier, le liège, etc... Il est tout de même important de noter que les matériaux biosourcés

sont souvent intégrés en structure des bâtiments, et plus rarement utilisés à des fins esthétiques. Leur comportement hygrothermique, lié à la matière même qui les constitue, pourrait cependant répondre subtilement à un des principes de la biophilie”. 89

Plusieurs études ont été réalisées notamment sur des bâtiments tertiaires, ce concept étant très populaire

aux USA, notamment dans l’idée d’augmenter la productivité des employés dans les espaces de travail.

Dans le rapport de « Terrapin Bright Green » (2012) on peut citer les impacts suivants : Fonctionnalité cognitive et performance : restauration de l’attention et des ressources cognitives ; Bien-être et santé

psychologiques : amélioration des capacités d’adaptation, de la vigilance, des émotions et de l’humeur ;

Bien-être et santé physiques : relâchement des muscles, réduction de la pression artérielle et des taux d’hormones de stress (e.g. le cortisol) dans le sang. Ces bénéfices ont été observés à la fois dans des

environnements de bureaux, des hôpitaux et des écoles. Une autre étude menée par « HumanSpaces » sur 3600 employés de bureau repartis sur 8 pays, rapporte que les espaces comportant des éléments

naturels comme de la végétation et de la lumière naturelle augmentent de 15% le sentiment de bien-être,

de 6% la productivité et de 15% la créativité.90

Ces études sont en cohérence avec la théorie de la restauration de l’attention (ART) de Kaplan & Kaplan

(1989) et celle de la réduction du stress (SRT) d’Ulrich (1991).

2.3 Les théories de restauration de l’attention et de réduction du stress Il y a deux théories principales dans la restauration psychologique et le bien-être individuel lié

aux expériences de nature : la Théorie de Restauration de l’Attention, Attention Restoration Theory,

ou ART, (Kaplan and Kaplan, 1989 ; Stephen Kaplan, 1995), et la Théorie de Reduction du Stress,

Stress Reduction Theory, ou SRT, (Ulrich, 1984).

Rachel et Stefan Kaplan, tous deux chercheurs en psychologie environnementale, ont distingué dans leur théorie de restauration, deux formes d’attention, l’attention dirigée et l’attention involontaire. Ainsi,

pour S. Kaplan (1995) “le contact avec des environnements naturels est un moyen de rendre temporairement

inutile l’usage de l’attention soutenue, dirigée ou sélective, et donc de lui permettre [à l’individu] de prendre du

repos” [Bonnefoy, 2017, p.159]. Pour offrir cette expérience restauratrice, ces environnements doivent

Karibati (2018). « La biophilie, ou l'art d'inviter la nature dans nos espaces intérieurs » [en ligne]. URL : http://www.karibati.fr/la-biophilie-ou-la-nature-au-centre-de-lhabitat/, consulté le 31/07/2020.

90 HumanSpaces (2015). The Global Impact of Biophilic Design in the Workplace [en ligne]. Disponible sur : https://greenplantsforgreenbuildings.org/wp-content/uploads/2015/08/Human-Spaces-Report-BiophilicGlobal_Impact_Biophilic_Design.pdf 89

45

remplir quatre conditions : permettre l’évasion (le sentiment d’être loin de son environnement quotidien)

; permettre la fascination (la capacité d’un environnement à permettre une attention diffuse et sans effort) ; avoir une grande compatibilité (la capacité d’un environnement à remplir les besoins et les attentes de

l’individu) ; ainsi qu’une grande cohérence (la taille d’un environnement, sa complexité, et la possibilité pour l’individu de s’y sentir intégrer) [Truong, 2018, p.78].

S.R. Kellert (2012) ajoutera que l’effet d’un environnement naturel sur la restauration individuelle repose

sur les caractéristiques de celui-ci et sur la richesse de la stimulation qu’il procure. L’être humain serait

attiré de façon inconsciente par les paysages riches en végétation, offrant des refuges, de l’eau disponible dans les sources et rivières, ainsi que des vues dégagées permettant de voir arriver une menace, ce qui

constitue des caractéristiques écologiques importantes ayant permis la survie et l’évolution de notre espèce [Truong, 2018, p.79].

Les multiples recherches qui ont suivi dans le domaine de l’ART ont démontré que pour éprouver une

restauration psychologique, une solution efficace était le contact visuel avec des paysages restaurateurs.

De façon générale, les environnements naturels auxquels nous sommes exposés régulièrement, tels que

les forêts, parcs, jardins, cours d’eau, surfaces végétalisées, et ce même en milieu urbain, procureraient

déjà des effets bénéfiques [Lee K.E. et al., 2015]. Il suffirait en outre de n’y être exposé que pendant une

très courte période de temps, quelques secondes à quelques minutes, pour les ressentir [Karmanov et

Hamel, 2008]. “Regarder par la fenêtre un arbre, observer ses branches couvertes de neige, les couleurs changeantes de son feuillage, l’oiseau se confondant parmi ses rameaux…, constituent des « micros expériences

restauratrices » capables de reconstituer nos capacités attentionnelles”. 91 La réduction du contact avec la nature

au seul sens de la vue est cependant incomplète. Cela est assez symptomatique de la prépondérance de

ce sens dans les sociétés contemporaines visuo-centrées. Cependant, toutes les perceptions sensorielles

prennent une part importante dans l’expérience de nature.

“Dans l’expérience de nature, les sens ne sont pas isolés les uns des autres, mais fonctionnent ensemble (Agapito et al., 2013) en une combinaison d’images, de sons, de textures, d’odeurs, de goûts, de sensations et de conditions

thermiques et atmosphériques (Howes, 2013). Cette combinaison nous apporte une conscience et une

représentation cohérente de notre environnement (Fulkerson, 2013; Tilley, 2006), là où une stimulation mono-

sensorielle peut être un facteur de stress (Stuster, 2000)” [Truong, 2018, p.42]. Réduire les expériences

restauratrices de nature à une dimension exclusivement visuelle serait passer à côté “d’une large part des

objets et des éléments restaurateurs sensoriels non-visuels présents dans les espaces naturels que nous fréquentons”.

La théorie d’Ulrich, quant à elle, ou la théorie de la réduction du stress, explique que l’influence restauratrice de la nature passe par une amélioration de l’état émotionnel et des niveaux de l’activité

Sok-Paupardin, Eloise (2019). Théorie de la restauration de l’attention : pourquoi voir la nature améliore nos performances cognitives [en ligne].Visonnary Insight, le 14 mars 2019. URL : https://www.sageglass.com/fr/visionary-insights/theorierestauration-attention-nature-performances-cognitives 91

46

physiologique de l’individu, notamment par un ralentissement du rythme cardiaque. Son étude met en

lumière que les environnements naturels sont plus propices à la récupération que les environnements bâtis, et cela car ils suscitent des émotions et sentiments positifs (tels que l’intérêt, l’agrément ou le

calme). Ulrich est le premier à expliquer ces processus de restauration psychologique en les reliant à des

variables physiologiques (comme la pression artérielle). Les études d’Ulrich, enrichie par plusieurs études92 postérieures, ont prouvé l’influence d’une vue sur un espace de nature dans certains espaces

comme les hôpitaux, les prisons ou encore les écoles. Elles ont démontré les effets bénéfiques à court

terme d’une exposition visuelle à la nature sur la pression artérielle, le rythme cardiaque, les niveaux de cortisol, de la transpiration et des tensions musculaires. Ainsi que des effets psychologiques positifs sur l’humeur, le niveau d’anxiété et le sentiment de confort et de détente.

Il est intéressant de constater que certains chercheurs, comme Ratcliffe et al. (2013), qui ont notamment travaillé sur les chants d’oiseaux, ont démontré que des environnements familiers ayant une charge émotionnelle personnelle, comme des jardins et des maisons de famille par exemple, peuvent avoir un

fort potentiel de restauration psychologique (PRP). Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, la

plupart des études effectuées concernant le PRP mettent la vue au centre de la recherche, mais cela touche tous les sens. Comme l’étude de Ratcliffe et al., l’ouïe peut être étudiée, mais d’autres études analysent aussi l’odorat ou encore le toucher.

Ces recherches sur le bien-être lié aux expériences de nature ont dernièrement été élargies aux matériaux

naturels présents dans l’environnement intérieur. Ainsi, nombreuses sont les études sur les bénéfices de la présence du bois dans les intérieurs. Le groupe FPInnovations, par exemple, a publié deux rapports,

Wood as a Restorative Material in a Healthcare Environnement [Fell, 2015] et Wood and Human Health

[Fell, 2011] basés sur les recherches menées par David Fell93. Une étude qu’il a réalisée sur 119 sujets

(des étudiants) a fait le lien entre la présence ou non du bois dans un intérieur et le niveau de stress.

Cette expérience s’est concentrée sur la stimulation visuelle apportée par le bois au niveau du mobilier

dans une pièce de type bureau. Une tâche stressante (un test mathématique) a été administrée aux 119

étudiants, sans qu’ils aient connaissance de l’étude, dont la moitié dans une pièce avec un mobilier

stratifié bois (effet boulot plaqué), et l’autre dans la même pièce avec le même mobilier fini en stratifié

blanc. Le niveau de stress a été mesuré par le biais de l’activation du système nerveux sympathique (SNS),

ici par suivi de la conductance cutanée des sujets. Les résultats de l’étude ont montré que les sujets étaient

moins stressés dans la pièce avec du mobilier d’apparence bois que dans la même pièce avec du mobilier blanc (voir images ci-après).

R.S. Ulrich, View through a window may influence recovery from surgery, Science, 224 (1984), pp. 420-421 ; E.O. Moore (1982) A prison environment’s effect on health care service demands. Journal of Environmental Systems, 11, 17-34 ; W.S. Shin, The influence of forest view through a window on job satisfaction and job stress, Scandinavian Journal of Forest Research, 2007; 22: 248253 93 Director, Research and Analysis at Forestry Innovation, University of British Colombia.

92

47

Figure 45 : Les deux environnements utilisés pour mettre en pratique l’expérience de David Fell à l’Université de Colombie Britannique. Source : Fell,David (2011), Wood and Human Health.

Figure 46 : Réponse de la conductance cutanée (SCR) par minute en fonction du temps, pendant l’expérience de David Fell à l’Université de Colombie Britannique.

Source : Fell, David (2011), Wood and Human Health.

Le point négatif de cette expérience est qu’elle s’est concentrée uniquement sur la perception visuelle du

bois, perception qui a pu être faussée car il s’agissait d’un simili bois et non de bois massif (ni même de

plaqué bois). Sur le site du célèbre fabricant suédois qui vend ce mobilier existant en blanc ou en « effet bois », on peut lire qu’il s’agit de panneaux à particules de bois recouvert d’une impression « effet bois ».

Le stratifié94 qui fini ce type de mobilier n’est pas du tout composé de bois, c’est un effet visuel qui est

facilement identifiable lorsque l’on s’approche de la matière. Cette particularité n’est pas mentionnée par l’équipe de David Fell dans le rapport Wood and Human Health.

D’autres études mettant en œuvre l’odorat et le toucher ont été menées autour du bois, comme celles conduites par stimulation olfactive autour de l’alpha-pinède, qui est une molécule présente dans l’essence

de pin. D’après un rapport publié dans le « Journal Of Wood Science » [Ikei, 2016], l'odeur de l'alpha-

pinède a été liée à la réduction des fréquences cardiaques via des tests effectués sur treize jeunes japonaises

en laboratoire. Cette étude avait pour but de mettre en évidence l’effet de relaxation physiologique de cette molécule, dans le cadre d’un programme de recherche sur la thérapie du bain de forêt au Japon

(dont je parlerai plus loin). De même, une étude autrichienne menée autour du pin cembro, qui consistait

à analyser le sommeil d’individus dormant dans un lit en plaqué-pin (plaqué-bouleau) et de ceux dormant

Le stratifié est un empilement de feuilles de papier kraft noyées dans de la résine thermo-durcissante. Pour produire l’effet décoratif désiré une impression est placée juste avant la résine. Le stratifié bois consiste au même procédé par lequel on remplace l’impression par une fine couche de bois.

94

48

dans un lit en pin massif (pin cembro), a démontré l’influence des odeurs libérées par le pin cembro. Les résultats ont montré que les sujets (30) qui avaient dormi dans un lit en pin massif avaient en moyenne

diminué leur fréquence cardiaque de 3500 battements par minute, chaque jour, par rapport à ceux qui

n’y avaient pas dormi, et augmenté significativement la qualité de leur sommeil réparateur par rapport aux autres.95

Toutes les essences d’arbres n’ont pas le même effet physiologique, il est donc important de ne pas généraliser ces études, surtout que certains résultats sont basés sur des tests à petite échelle, qui

mériteraient d’être confirmés ou infirmés par des études complémentaires. Cependant les bienfaits

relaxants des arbres et des promenades en forêts sont connus depuis bien longtemps, notamment par les

japonais qui pratiquent le « Shinrin-Yoku », le bain de forêt japonais (marche en forêt consistant à se

« baigner » dans l’atmosphère forestière). Les études du Dr Qing Li 96 ont permis une reconnaissance

scientifique internationale de cette pratique, institutionnalisée en 1982 par l’agence des forêts du Japon.

“Quand vous marchez dans la forêt, vous inhalez son pouvoir guérisseur. Tout ce que vous avez à faire, c’est être

là” [Li, 2018, p.178]. Qing Li considère le Shinrin-Yoku comme une passerelle qui, via la sensorialité,

rapproche l’humain de la nature en l’aidant à se sentir mieux. Ainsi, Quin Li et son équipe du « Forest Therapy Study Group » étudient l’impact des expériences sensorielles du Shinrin-Yoku sur la santé humaine. En reprenant des travaux menés dans les années 60 en URSS sur la sylvothérapie, ce groupe

de recherche a mis en évidence l’importance des phytoncides, ensemble de molécules excrétées dans l'air

par les arbres et les végétaux des forêts, dans l’expérience sensorielle vécue lors d’un bain de forêt

[Truong, 2018, p.85-86]. Ces molécules, qui jouent un rôle de défense et de communication entre les

arbres, auraient également un effet bénéfique sur le système immunitaire de l’être humain. Cependant

les chercheurs insistent sur le fait que les concentrations en phytoncides présentes dans l’atmosphère lors

d’un bain de forêt varient d’un lieu à l’autre, et sont généralement assez basses, aussi bénéfiques soientelles.

“Aussi, l’effet du Shinrin-Yoku sur l’organisme est, comme toute expérience de nature, un phénomène complexe

et multi-sensoriel. C’est bien ce qu’écrit Li quand il détaille l’importance de chacun des sens et la façon dont ils interviennent dans l’expérience du bain de forêt ” [Truong, 2018, p.86].

Le Shinrin-Yoku intègre la dimension sensorielle, dont une part olfactive forte, dans le déroulement d’une expérience de nature restauratrice. Cette pratique du Shinrin-Yoku se développe au-delà des

frontières japonaises, notamment en Suède et dans d’autres pays aux cultures fortement liées à la forêt.

Joanneum Research, Institute of Health Technology and Prevention Research. Stone Pine, Positive health effects of Stone Pine furniture [en ligne]. URL:http://humanresearch.at/newwebcontent/wpcontent/uploads/2012/11/pdf_Zirbenholz_Folder_en.pdf 96 Qing Li (2010). “Effect of forest bathing trips on human immune function”. Environ Health Prev Med (2010) 15:9–17.

Published online: 25 March 2009. ; Qing Li (2018). Shinrin Yoku : l’art de la science du bain de forêt. First. 310 p.

95

49

2.4 Paysage multisensoriel et ville durable Si la nature apporte bien-être et mieux vivre, son contact est donc en principe indispensable,

notamment dans les espaces construits par l’homme que constituent les villes denses. Le fort

« verdissement » observé dans la plupart des grandes villes européennes reflète la part de plus en plus importante donnée à la nature en ville.

“La nature rend-elle les villes plus habitables ? À cette question, les citadins répondent souvent par l’affirmative.

Plus la ville est verte, et les espaces verts nombreux et attractifs, et plus, leur semble-t-il, la ville sera agréable à vivre. Ainsi, partout dans le monde, le nombre de mètres carrés d’espaces verts par habitant est un indicateur apprécié par les élus. Cependant, cette opinion masque une réalité plus complexe” [Donadieu, 2013].

“[…] le rôle du paysagiste n’est pas de contredire l’urbanité volontaire en ponctuant la ville d’îlots de fausse-

vraie nature. Il doit, avec des matériaux propres à l’urbain, recréer de toutes pièces un cadre qui, par référence, donne à la ville des capacités émotives identiques à celles rencontrées dans la nature” [Corajoud, cité par B. Blanchon, 1999].

La nature présente en ville est bien souvent une nature contrôlée et esthétisée. En référence aux trois formes de nature de John Dixon Hunt (1996) (nature sauvage, nature exploitée, nature magnifiée par

l’Art), la nature urbaine sauvage et spontanée n’est pas celle qui est mise en valeur, ni prônée dans les

politiques de la ville. Elle est même bien souvent éradiquée en faveur d’une planification cadrée et

fortement administrée de l’espace urbain. Ainsi un certain nombre d’auteurs, comme N. Mathieu (2000), R. Raymond (2005), L. Bourdeau Lepage et R. Vidal (2013), J.P. Lévy et I. Hajek (2016) ou encore N. Blanc (2016), questionnent cette nature urbaine, ses formes, et les attentes sociales auxquelles elle

répond. La nature urbaine serait en définitive une utopie, un artefact créé par l’homme, répondant à une esthétique maîtrisée et des formes enjolivées, propres aux représentations sociales de la nature en ville.

Elle répondrait plus aux besoins d’expériences de nature d’une élite qu’à l’ensemble d’une population.

“[…] le projet de « ville durable » a pu devenir le symbole de ce contre quoi il est censé lutter : un « verdissement

» inégal de la ville, facteur de ségrégation sociale. Si une ville naturalisée apparaît bien au cœur de la « ville durable », elle procède moins de l’application d’un paradigme idéologique, d’une régulation politique « par le haut » que d’une mosaïque d’initiatives, croisant ambiances, pratiques sociales et récits ordinaires” [Lévy, Hajek, 2016, p.1].

Le concept de développement durable popularisé par le rapport Bruntland de 1987, a été transposé aux villes au début des années 90. Ces trois dernières décennies de mise en pratique de « projets durables » ont marqué une « clubbisation »97 de plus en plus forte des espaces urbains [Lévy, Hajek, 2015]. La

nature en ville relève ainsi plus de l’utopie paradoxale que de l’intérêt commun. Par ailleurs, l’étalement

urbain, la création de parcs en ville, les actions de végétalisation intensive des rues et façades, peuvent

97

Terme introduit par Eric Charmes dans La ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, 2011, PUF, Paris.

50

demander beaucoup d’énergie, être consommateurs d’espace et de ressources, et aller in fine à l’encontre

de la protection des espaces naturels, notamment ceux périphériques à la ville qui se voient petit à petit grignotés. “Les entraves à un développement durable des villes sont à rechercher dans la densité déjà faible ou

en déclin des structures urbaines” [Lévy, Hajek, 2016, p.64].

De plus, la dimension sociale du développement durable des villes est bien souvent absente alors qu’elle

est au cœur de la durabilité. L’appropriation sociale, la prise en compte du patrimoine commun, est ce qui ferait en majorité le projet urbain durable [Donzel, 2015]. C’est pourquoi de nombreux urbanistes

(comme Thierry Paquot ou Théa Manola) militent pour une approche plus sensible du projet urbain, qui mettrait l’usager au cœur de l’espace urbain, en faisant appel à ses sens et à son émotivité. Le mot « paysage » est alors convoqué comme amenant la dimension sensible à la conception de l’espace : “Oui,

l'expérience paysagère s'apparente bien à un cadeau : le don des sensations” [Paquot, 2016]. On parle de

« paysage sensible » ou encore de « paysage multisensoriel » [Manola, 2015]. Comme l’écrit Nicole Blanc

dans le rapport de recherche Des paysages pour vivre la ville de demain (2004), “l’usage du terme de paysage

modifie sensiblement le droit de l’environnement y ajoutant la dimension morphologique voire sensible de l’espace” [p.7].

L’espace sensible est alors défini par l’ensemble des sensations qu’il va susciter chez l’usager, tous sens

confondus : “Le sensible d’un espace est la partie perceptible par les sens de l’ensemble des objets matériels qui le

composent. En milieu urbain, il s’agit des structures bâties et non bâties comprenant la totalité des objets pouvant

être caractérisés par leurs propriétés physiques ou chimiques” [Grésillon, 2008]. Pour Théa Manola “une approche sensible de l’espace pourrait aider à la considération de la tant recherchée « ville durable »”. Elle définit

par sensorialité urbaine “le système de relations sensorielles (visuelles, sonores, tactiles…) et sensibles, tissé entre un individu et son milieu” [Manola, 2013].

On considère peu la multisensorialité et le sensible à l’échelle urbaine, l’espace étant essentiellement abordé par son aspect visuel. Par ailleurs, quand les autres modalités sensorielles sont mobilisées, ce sont les aspects négatifs (odeurs, bruits) qui surgissent en tant que « maux urbains ». La sensorialité urbaine

qualitative serait un moyen de considérer la durabilité spatiale, via la volonté de faire et penser l’espace en plaçant l’homme et son milieu au centre des préoccupations. Dans ce cadre, les cinq sens, la sensibilité

et plus largement l’esthétique seraient reconsidérés. L’habitant et son rapport sensible à l’environnement construit est encore aujourd’hui une dimension négligée du développement urbain durable, “l’habitabilité

(au sens de Heidegger) de notre monde s’en voit de ce fait mésestimée” [Manola, 2013]. Ainsi, les projets

urbains, les écoquartiers, ces éléments d’actions qui se veulent durables, passent en partie à côté d’un élément primordial à la constitution de l’espace et à son appropriation par les citadins. C’est cette

appropriation qui est essentielle et qui, au travers de l’expérience sensible de chacun, fera la durabilité d’un espace et son intégration réussie au tissu urbain, lequel (rappelons-le) comporte deux dimensions : l’une spatiale et l’autre sociale.

51

“Pourtant, aborder les questions de la multisensorialité et du sensible permettrait d’aborder de manière plus holistique la durabilité spatiale, de sortir d’une approche essentiellement centrée sur les questions techniques d’une certaine écologie, et d’intégrer une vision plus phénoménologique et sociale de celle-ci. [...] Dans la perspective

d’un dépassement de cette occultation, par les approches contemporaines du développement urbain durable, de tout un pan de l’expérience (sensible) de l’homme, le paysage, et plus spécifiquement le paysage multisensoriel, devient une question essentielle” [Manola, 2013].

C’est dans cette lignée que je propose de réfléchir ici à l’apport sensible des matériaux naturels dans la

constitution de la ville elle-même, c’est-à-dire du bâti. Lui apporter une sensibilité, de l’intérieur comme

de l’extérieur, pourrait amener d’importantes qualités à l’environnement urbain, et participer à la

constitution de paysages98. Par ailleurs, plutôt que de verdir les villes avec de la nature factice esthétisante, l’expérience de nature pourrait-elle émaner directement des constructions, et ainsi participer à contrer l’étalement urbain et la consommation toujours plus grandes des Naf99 ?

Après avoir présenté le cadre théorique dans lequel je situe ma recherche, et défini les termes clefs qui

serviront à ma démonstration, je vais maintenant développer dans une troisième partie mes enquêtes, et leurs résultats, et les confronter à mon hypothèse.

J’utilise ici le terme paysage en opposition à celui d’environnement, dans le sens où « paysage » induit une dimension qualitative, bonne ou mauvaise, nécessitant l’apport du sensible par la personne qui le perçoit.

99 Espaces naturels agricoles et forestiers.

98

52

Troisième partie - Apport des matériaux naturels dans le sentiment de nature -

« Nos cinq sens imparfaits, donnés par la nature, De nos biens, de nos maux sont la seule mesure.

Les rois en ont-ils six ? Et leur âme et leur corps Sont-ils d’une autre espèce, ont-ils d’autres ressorts ? » Voltaire – Discours en vers sur l’Homme 100

100

Voltaire (1734). Discours en vers sur l’Homme. Premier discours. Œuvres complètes, éditions Garnier, tome 9.

53

1. Présentation de l’étude menée 1.1 Méthodologie de l’enquête Pour mener à bien mes enquêtes, notamment dans un contexte de crise sanitaire, j’ai utilisé plusieurs méthodes. Lors du confinement qui ne permettait pas de rencontres directes, j’ai contacté des

professionnels de la construction « naturelle », 101 d’abord par mail, puis par téléphone. J’ai ainsi pu

effectuer une dizaine d’entretiens téléphoniques, de 20 à 45 minutes, en majorité avec des architectes

spécialisés dans les matériaux biosourcés et géosourcés. Ces professionnels ont été une source précieuse

d’informations. Lors de nos entretiens, que j’ai par la suite retranscrits sur papier, ils m’ont expliqué les principes constructifs, raconté leurs expériences, donné des contacts, et parfois aidée à partager le

questionnaire que j’ai réalisé sur Internet. Leurs réponses à mes questions, ciblées sur les ressentis au contact des matériaux naturels (voir le guide d’entretien en annexe), ont orienté la rédaction de mon questionnaire.

Destiné aux habitants de constructions réalisées en majorité avec des matériaux naturels, j’ai créé un questionnaire en ligne que j’ai ensuite communiqué sur les réseaux sociaux spécialisés dans l’écoconstruction. Le réseau « Twiza », réseau pour un habitat sain, m’a également aidé à diffuser ce

questionnaire, ainsi que plusieurs architectes auprès de leurs clients. Certains m’ont également permis d’interviewer et de rencontrer des usagers de bâtiments publics ou d’entreprises, ou bien d’aller à la rencontre d’habitants. Ainsi, j’ai pu m’entretenir avec la directrice d’un centre culturel, avec le gérant d’une société de chauffage, visiter une école primaire et un écohameau récemment construits.

En parallèle à la diffusion en ligne de mon « questionnaire habitants », et lorsqu’il a été possible de se

déplacer, j’ai visité plusieurs ensembles de logements collectifs en bois en Bretagne. Grâce aux réseaux

sociaux et aux contacts pris en amont, j’ai pu visiter et transmettre mon questionnaire aux habitants du logement collectif et participatif « Les petits ensembles » à Guérande. J’ai également réussi à visiter et à rencontrer un habitant de la « Ferme du Rail », réalisée en matériaux biosourcés à Paris.

Enfin, j’ai complété cette recherche par une immersion de plusieurs jours sur des chantiers participatifs :

dans l’Hérault pour la construction d’une maison individuelle en bois-paille ; en région parisienne pour

la réalisation d’enduits en terre crue sur un bâtiment d’activité, « La ferme des possibles », à Stains.

101

« Naturelle » dans le sens de « construction utilisant des matériaux naturels ».

54

1.2 Caractéristiques de l’échantillon En définitive, j’ai obtenu une cinquantaine de réponses à mon enquête en ligne intitulée

« Matériaux naturels et habitat sensible ». J’ai pu exploiter les réponses de 49 répondants. Ce formulaire,

présenté en annexe, était composé de quatre parties. Une partie « Description du logement » dans

laquelle les répondants étaient invités à préciser la composition de leur habitat ; une partie « Ressentis

intérieurs » axée sur les ressentis et les émotions à l’intérieur du logement ; une troisième partie « Ambiances paysagères » qui questionnait l’intégration de l’habitat à l’environnement ; et enfin une dernière partie « Renseignements » permettant de situer l’échantillon.

Avant de présenter les résultats de cette enquête en ligne, je m’intéresserai à la représentativité de

l’échantillon obtenu. Le questionnaire, comme je l’ai mentionné plus haut, était destiné aux habitants de

logements individuels ou collectifs construits en majorité avec des matériaux naturels. Ce type d’habitat

est encore minoritaire en France. Comme je l’ai développé en première partie, la part de logements individuels construits en bois est d’environ 9%, et de 4% pour le collectif. Le nombre de bâtiments conçus

en paille en France est estimé à seulement 5000 selon le RCPF. Les isolants biosourcés représentent uniquement 10% de la part de marché des isolants. Il est difficile d’obtenir des résultats quantitatifs dans ce contexte. C’est donc une enquête qualitative que j’ai choisi de mener.

Pour mobiliser des répondants à mon enquête, les réseaux sociaux autour de l’écoconstruction ont été le

plus efficace. Aujourd’hui, « écoconstruction » rime encore majoritairement avec « auto-construction ».

Ainsi, la majorité (52%) des répondants à mon enquête ont construit eux-mêmes leur logement, et 84% ont participé à sa construction. En France, les professionnels du bâtiment estiment de 3% à 7% la part des

français qui se lancent chaque année dans l'auto-construction. 102 Une autre particularité de l’échantillon est la faible représentativité d’habitants en logement collectif (14% seulement). Effectivement, les logements collectifs construits en biosourcé ou géosourcé sont encore très minoritaires, il est donc difficile de mener des enquêtes dans ce secteur, surtout avec les restrictions imposées lors de la crise sanitaire.

Figure 47 : Part des auto-constructeurs. Enquête « Matériaux naturels et habitat sensible », effectuée auprès de 49 personnes, réalisée entre mai et juin 2020. Source : Cécile Pélissier Source : Le Moniteur. URL : https://www.lemoniteur.fr/article/l-autoconstruction-concurrence-ou-debouche-pour-lesentreprises.473704, consulté le 07/08/2020.

102

55

L’échantillon obtenu est composé en majorité de personnes déjà sensibilisées à la problématique des

matériaux naturels. Elles ont choisi à 98% ce type d’habitat, ont participé pour la plupart à la construction

de leur logement, et sont a priori attentives à leur impact sur l’environnement et à la nature en général.

Par ailleurs, 77% des répondants habitent à la « campagne » (village ou hameau), contre 33% en ville.

Ce qui corrobore l’idée d’une relation privilégiée de l’échantillon avec l’environnement naturel par

rapport à la population française en général.

En comparaison, l’étude sur le logement de l’INSEE 103 de 2019 indique que seulement 21% des

résidences principales des Français se situent dans une commune rurale (31% dans une unité urbaine de moins de 100 000 habitants, 31% dans une unité de plus de 100 000 habitants et 16% dans l’unité

urbaine de Paris). En 2019 également, l’habitat individuel représente 56% des logements. Il est

majoritaire parmi les résidences principales comme parmi les résidences secondaires et les logements occasionnels (cependant, dans les communes rurales, la part de logements individuels est de 90%). Enfin, concernant la surface moyenne des logements, le rapport de l’INSEE fait état de 90 m² en moyenne

pour les habitations en France. C’est beaucoup plus concernant mon étude, dans laquelle 63% des répondants habitent un logement de plus de 100 m², et où 91% possèdent un jardin ou un terrain (dont

la moitié de plus de 500 m²), contre 63 % pour l’ensemble des français.104

Figure 48 : Caractéristiques principales des logements. Enquête « Matériaux naturels et habitat sensible », effectuée auprès de 49 personnes, réalisée entre mai et juin 2020. Source : Cécile Pélissier Étude INSEE n° 173 parue le 11/12/2019, consultée en ligne le 07/08/2020. URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4263935#graphique-figure3.

104 Étude 2019 « Le jardin : Source de plaisir(s) ? » réalisée par IPSOS pour le compte de l'UNEP. URL : https://www.lesentreprisesdupaysage.fr/content/uploads/2019/12/dossier-complet-ifop2019.pdf, consulté le 18/08/2020.

103

56

Pour cette enquête, l’échantillon s’est constitué en partie de manière aléatoire via des publications sur les réseaux sociaux. Elle a ainsi pu être diffusée sur l’ensemble du territoire français (et en Belgique). Ainsi,

comme le montre la carte ci-dessous, la plupart des régions ont été représentées, avec une forte participation en Bretagne, Pays de la Loire et en Occitanie, en cohérence avec l’implication générale de ces régions dans l’écoconstruction.

Figure 49 : Carte représentant la localisation des répondants. Enquête « Matériaux naturels et habitat sensible », effectuée auprès de 49 personnes, réalisée entre mai et juin 2020. Document réalisé avec le logiciel Dataviv’. Source : Cécile Pélissier

Un autre élément important vis-à-vis de l’échantillon est que 9 répondants sur 10 déclarent avoir habité

précédemment dans un habitat de construction conventionnelle, c’est-à-dire des constructions utilisant

les parpaings, le béton ou encore en l’acier. Cet élément est très important car il permet aux habitants de

comparer. Comme nous l’avons vu plus haut dans cet ouvrage, cette possibilité de comparaison est

primordiale dans l’évaluation du confort. Nous pouvons en déduire que les résultats de notre enquête sont pertinents et mobilisables.

La plupart des répondants habitent depuis peu dans leur logement, 67% depuis moins de cinq ans. Il

s’agit pour beaucoup de nouvel habitat, neuf pour la plupart, ou de bâtiments anciens rénovés (18%).

Cette étude ne prendra donc pas en compte le possible vieillissement des constructions, certaines caractéristiques pouvant s’estomper avec le temps comme les odeurs de bois, de terre ou de chanvre.

En conclusion, selon moi, l’échantillon est représentatif de l’étendue de la construction en matériaux naturels en France. Celle-ci est peu présente en ville et dans le secteur du logement collectif, bien que cet

aspect soit en train d’évoluer. La majorité des logements concerne des logements individuels, en région

rurale. Il s’agit de foyers (1 à 2 personnes pour 47%, 3 à 4 pour 42%) qui ont fait le choix d’une certaine qualité de vie allant de pair avec leur habitat, c’est-à-dire une vie plutôt proche des éléments naturels.

57

1.3 Caractéristiques des espaces étudiés En analysant les réponses à ce questionnaire, j’ai pu dégager plusieurs éléments, croiser les

ressentis et les lier à la présence ou non de certains matériaux. J’ai procédé de deux manières pour l’analyse

des résultats. Pour les questions fermées, j’ai réalisé une analyse plutôt quantitative (même si le terme

« quantitatif » correspond mal à notre enquête) et cela grâce à un logiciel de traitement de données, permettant de dégager des grandes tendances concernant mon échantillon. J’ai procédé de l’autre à une

étude qualitative d’analyses de discours, de mots clefs et de récurrence de terme, pour les questions

ouvertes.

La composition des logements dont il est question dans mon étude est importante car elle permet de

saisir quelles en sont les sources de sensorialité. La presque totalité des logements traités utilise le bois (à 94%) et les isolants biosourcés (90%), une majorité utilise la terre crue (53%), ainsi que la paille (47%).

Figure 50 : Matériaux les plus utilisés dans la construction des logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

Cette étude est bien représentative de l’ensemble des matériaux biosourcés et géosourcés utilisés ces

dernières années en France dans la construction naturelle. À noter que le chanvre est faiblement

représenté par rapport à la paille, ce qui s’explique par son coût plutôt élevé, et par la nécessité de sa

transformation industrielle. De plus, la projection de béton de chanvre requiert une machinerie adaptée qui représente un investissement. Il est de ce fait peu utilisé par les auto-constructeurs, qui sont

majoritaires dans mon étude. La paille a contrario est très peu chère à l’achat, facile à mettre en œuvre et ne demande pas d’outillage spécifique. Elle est donc très appréciée par les auto-constructeurs, comme

la terre crue qui est gratuite quand elle provient directement du site et ne nécessite pas d’outillage

particulier.

58

Les matériaux les plus visibles dans les logements des répondants sont le bois (79%) et la terre crue (51%). Il s’agit de revêtements en bois extérieurs ou intérieurs (lattages, parquets, panneaux) ou de

structures en bois apparentes, ainsi que d’enduits en terre crue intérieurs ou extérieurs (terre-paille, terre-

sable, terre-chaux). La terre est parfois aussi employée pour le sol, en structure ou en remplissage (torchis, bauge). La pierre est peu représentée (20%), ainsi que le béton de chanvre (13%).

Figure 51 : Matériaux naturels visibles dans les logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

Il est rare de pouvoir se passer entièrement de matériaux issus de l’industrie cimentière pour la réalisation

d’une habitation, notamment pour les fondations. Les dalles principales aux rez-de-chaussée sont également souvent réalisées en béton. Ainsi, 70% des répondants utilisent les matériaux conventionnels pour les fondations, le soubassement ou la dalle principale de leur habitat. Il en est de même avec le

revêtement de toiture, souvent en tuile, en ardoise, en métal ou en membrane étanche. 49% d’entre eux déclarent que leur toiture est réalisée en matériau conventionnel. 105

Figure 52 : Part des matériaux non naturels dans les logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

En regardant un peu plus en détail la construction des logements visés par mon étude, j’ai constaté que

7 répondants sur 10 habitent dans un logement dont la structure est en bois (généralement une habitation neuve), soit 34 logements sur 49, 15 déclarent habiter dans une habitation en pierre

105

Souvent la terre cuite est considérée comme « naturelle » par les répondants, alors qu’elle a subi beaucoup de transformation.

59

(généralement du bâti ancien). Peu de personnes disent habiter dans un logement conventionnel au

niveau structurel (7/49). Cela prouve la validité de mon échantillon qui concerne effectivement bien des

habitations construites en majorité avec des matériaux naturels.

Figure 53 : Structure des logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

L’isolant le plus représenté dans mon échantillon est la paille, avec 42% 106 d’utilisation. La botte de paille n’étant pas utilisée en rénovation compte tenu de son épaisseur (36 cm), on peut déduire que 42% des

habitations représentées dans notre échantillon sont construites en ossature bois avec un remplissage en bottes de paille, soit 20 logements sur 49. 18 mettent en œuvre des isolants issus du bois (laines et fibres de bois), 14 de la ouate de cellulose, 13 du chanvre (laine de chanvre ou béton de chanvre).

Figure 54 : Isolation des logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

Enfin, en matière de finitions intérieures, la terre crue est le matériau le plus présent dans cette étude

(49%), devant la chaux et le bois (37%). Il est par ailleurs le matériau de prédilection en finition des

constructions en bois-paille, ce qui semble cohérent avec l’estimation de 20 logements mettant en œuvre

À noter que pour les réponses à choix multiples, les pourcentages totaux dans les graphiques dépassent les 100%. Une extension par exemple peut-être construite en bois reliée à une maison principale en pierre, ou une isolation réalisée avec plusieurs matériaux.

106

60

cette méthode constructive au sein de l’échantillon.107 Les finitions en terre crue sont cependant

compatibles avec n’importe quel support, c’est un revêtement apprécié pour tout type de construction.

Figure 55 : Finitions intérieures des logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

Au niveau des revêtements extérieurs, c’est le bois qui est le plus présent (29/49) suivi par la chaux

(19/49). Rien de surprenant quand on sait que la chaux est utilisée en remplacement du ciment pour les

mortiers perspirants, tout en assurant une étanchéité. C’est le matériau de prédilection pour enduire à

l’extérieur un bâtiment constitué d’un matériau naturel qui nécessite de « respirer » : pierre, terre crue,

isolants biosourcés. Le bois, lui, est idéal en parement extérieur d’une construction en bois et très apprécié en façade pour son intégration paysagère comme nous le verrons plus loin.

Figure 56 : Revêtement extérieur des logements des répondants. Source : Cécile Pélissier

Cette première analyse m’a permis de qualifier les espaces qui sont concernés par cette étude. Comme

l’enquête s’est déroulée en ligne, je n’ai pas pu moi-même les visiter. Grâce à la description précise des

matériaux utilisés et des procédés constructifs, il est possible d’avoir une bonne vision des espaces visés,

sources des expériences sensorielles des répondants. De plus, dans un deuxième temps, j’ai reçu quelques photos des logements prises par certains participants. Les matériaux les plus utilisés et les plus présents dans mon étude sont donc le bois, la terre crue, la chaux, la paille et les isolants biosourcés en général.

Toutes les maisons en bois-paille ne sont cependant pas finies avec de l’enduit terre, les murs en caissons de bois-paille préfabriqués le sont avec du Fermacell ou de l’OSB par exemple.

107

61

Figure 57 : Photographie prise par le répondant n°7 de l’extérieur de son logement.

Figure 58 : Photographie prise par le répondant n°31 de l’intérieur de son logement.

Figure 59 : Photographie prise par le répondant n°8 de l’intérieur.

62

2. Analyse des résultats : trois niveaux de confort apportant un bien-être optimal La sensorialité, bien qu’elle soit propre à chacun, possède une forte dimension culturelle comme je

l’ai déjà évoqué plus haut. De ce fait, dans la société occidentale certains sens priment sur d’autres, dans

la mesure où ils sont valorisés par rapport à d’autres. Je souhaite rappeler que l’expérience sensorielle est

rarement le résultat d’un seul type de stimulation mais la combinaison de plusieurs dimensions et sens confondus [Grésillon, 2018 ; Truong, 2018]. Ici je m’intéresse au « sensorium », c’est-à-dire à l’“Organe

central où les sensations venues des divers organes sensoriels se synthétisent de façon à permettre la perception

d'un objet”. 108 Le sensorium est la somme des perceptions d’un organisme et le siège de la sensation, à partir duquel le sujet interprète et expérimente les environnements dans lesquels il vit. 109

À la question « Quels sont les sens qui sont principalement stimulés dans votre habitat ? », les enquêtés

ont répondu en premier la vue, puis le toucher en deuxième, l’ouïe en troisième et l’odorat en dernière

position. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, l’odorat semble avoir une forte influence sur le sensorium et l’appréhension de l’environnement intérieur.

Ces sens sont associés en priorité au bois (pour 68%) et à la terre crue (pour 52% des répondants).

Viennent ensuite la pierre (14%) et la chaux (11%). Le bois et la terre crue étant les principaux matériaux naturels visibles à l’intérieur des logements dans cette enquête, et la vue étant le sens évoqué en premier, il semble cohérent que ces deux matériaux soient ceux caractérisés comme les plus « sensibles ». Ils sont

également très liés au toucher, les deux ayant des textures bien particulières, ainsi que des caractéristiques de variation (lumière, humidité, couleurs) proches de celles que l’on retrouve dans les milieux naturels.

Ils sont également, comme nous le verrons plus loin, fortement associés à des éléments du paysage.

SENS

%

La vue Premier

81,6%

Deuxième

12,2%

Troisième

4,1%

Quatrième

2,0%

L’odorat Quatrième

40,8%

Troisième

30,6%

Deuxième

20,4%

Premier

8,2%

L’ouïe Troisième

40,8%

Quatrième

26,5%

Deuxième

20,4%

Premier

12,2%

Le toucher Deuxième

44,9%

Quatrième

28,6%

Troisième

20,4%

Premier

108 109

6,1%

Figures 60 et 61 : Sens les plus stimulés selon les répondants et matériaux qui y sont associés.

Source : Cécile Pélissier

Définition du CNRTL. Source : https://www.cnrtl.fr/definition/sensorium. Consulté le 10/08/2020.

Source : Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Sensorium. Consulté le 10/08/2020.

63

Sur le sensorium, David Howes (1990), anthropologue des sens, explique : “C'est par une combinaison des

cinq sens que les êtres humains perçoivent le monde, mais le mode de combinaison est loin d'être constant” [p.155].

Constance Classen (1997) ajoute que l’ensemble des significations et valeurs sensorielles d’une culture

“forment le modèle sensoriel selon lequel les membres d’une même société « donnent un sens » au monde, ou traduisent les perceptions et concepts sensoriels en une « vision du monde » particulière” [p.402]. Joel Candau,

docteur en ethnologie, explique que les sensations produisent des états mentaux qui sont, quant à eux,

pratiquement incommunicables. S'il y a partage possible de l'expérience sensorielle, ce partage se fonde sur “la traduction publique de représentations qui restent intimes” [Candau, 2000, p.130], sur des énoncés et

un langage commun élaboré autour de représentations publiques édifiées par une communauté ou une

culture [Marchionni, 2018]. Ainsi, il est difficile de décrire ses émotions propres et son sensorium

unique, car les mots manquent et le vocabulaire commun employé, via les habitudes d’une culture, est

limitant. Les expériences sensorielles singulières sont alors “rabattues en quelque sorte vers la signification socialement négociée attachée au descripteur” [Candau, 2000, p.136]. C’est donc à travers le prisme de

l’exprimable, lié à une culture particulière, que les répondants à cette enquête décrivent leurs émotions.

Ainsi je me suis rendu compte que les mêmes mots, les mêmes images, sont employés de manière assez homogène par la majorité des participants, et qu’il a été parfois difficile pour eux d’exprimer leur ressenti personnel, voire de sortir du cadre technique du mesurable et de l’admis.

À travers l’analyse des discours et des réponses aux questions, j’ai pu mettre en avant trois types de confort

évoqués par les enquêtés, comme je le présupposais dans mon hypothèse : le confort physique ou physiologique, le confort esthétique et le confort psychologique.

2.1 Le confort physique Le confort physiologique, ou bien-être physique, semble résulter, comme le suggère Lucille

Grésillon, d’un « silence sensoriel intérieur », c’est-à-dire une absence de gêne, de froid, de chaud, de douleur, de bruits trop forts, ou d’odeurs désagréables, qui viennent déranger l’équilibre intérieur par une

trop forte perturbation des sens, ou une perturbation désagréable. “Les causes possibles de ce bien-être sont

de deux catégories : intérieures et extérieures. À l’intérieur, l’idéal est le silence total c’est-à-dire l’absence de

douleurs et l’équilibre des fonctions régulatrices biologiques. À l’extérieur, la présence de stimuli sensoriels, que le vécu a labellisés comme bons, est nécessaire” [Grésillon, 2013, p.2].

Mes enquêtés ont été invités à préciser leurs ressentis, soit via des questions fermées obligatoires à échelle de satisfaction, soit via des questions ouvertes non obligatoires.

S’agissant du confort physique, incluant les aspects thermique, acoustique, olfactif, et la qualité de l’air,

les répondants ont déclaré être satisfaits voire très satisfaits de leur ressenti (voir figure 62). Par ailleurs, la dimension physiologique du confort semble importante pour les participants qui l’ont mentionnée

dans les réponses ouvertes. Cela, soit via des remarques plutôt techniques concernant le peu de chauffage, la baisse des coûts qui y sont liés, la très bonne isolation phonique ; soit (et c’est plutôt la majorité) en 64

mentionnant des qualités d’ambiance : « chaude », « saine », « feutrée », « naturelle », comme nous y

reviendrons plus loin. Une répondante (la n°24),110 explique que « Le bien-être physiologique est

vraiment la première sensation vécue avant toutes les autres ».

En réponse à la question « Y a-t-il un élément particulier de vos ressentis dont vous souhaitez parler ? »,

certains participants font uniquement référence à ce confort physique :

« Acoustique agréable. » n°3 « Bien-être corporel. » n°10

« Le bien-être, le confort phonique, la régulation de l'hygrométrie et la température à l'intérieur. » n°29

Figure 62 : Évaluations du confort physiologique par les enquêtés. Source : Cécile Pélissier Les réponses ayant été enregistrées sur internet et numérotées par l’application, j’utiliserais cette numérotation pour dissocier les répondants les uns des autres.

110

65

Pour le sens du toucher, j’utiliserai le terme « haptique » qui inclut la dimension tactile et les phénomènes kinesthésiques, c’est-à-dire la perception des mouvements du corps dans l’espace.111 Une des questions ouvertes sur les sensations haptiques, « Pouvez-vous décrire particulièrement vos sensations liées au

toucher et à la qualité de l'air intérieur ? », démontre qu’un quart des répondants (8/33) mentionne la très bonne qualité hygrothermique des espaces. Cela via la régulation de l’hygrométrie, l’absence de

surfaces froides, et la sensation de chaleur qui émane des matériaux. Les termes utilisés sont parfois imagés, parfois plus techniques :

« Humidité régulée, surfaces tempérées (pas d'aspect froid au toucher). » n°3

« Isolation terre-paille-chaux régule l'hygrométrie, pas de COV dégagés. » n°12

« Chaleur des matériaux, côté tempéré des enduits terre, aucun matériau froid. » n°14

« La qualité de l'air est surtout due au bois et à l'ouate de cellulose qui assurent une bonne régulation hygrométrique et au fait que les divers composants utilisés ne génèrent pas d'émanations toxiques. » n°22

« La qualité de l'air est bonne et il n'y a pas de sensation d'humidité qui est parfaitement désagréable dans les maisons conventionnelles. » n°23

« L'absence de courant d'air (bâtiment passif) et le ressenti "chaud" (fibre de bois) procurent un agrément extraordinaire par rapport à un bâtiment "froid" (laine de verre/béton). » n°25

De même, la qualité acoustique de l’espace est souvent évoquée, sans que le terme « acoustique » ne soit forcément utilisé. Il est plus souvent question de sensation, d’impression ou encore d’« esprit ».

« …il a quelque chose d'absorbant et doux lorsqu'on marche pieds nus. » n°21 - sur l’haptique « Confort global, sensation de bien-être, silence (pas de résonance). » n°27 - idem

« Un bien-être général, ambiance cosy, chaleureuse et souple, sans résonance comme avec du placo. » n°30 - sur la présence des matériaux naturels

« Un esprit chaleureux à l’œil et une acoustique formidable. » n°41 - idem « Atmosphère plus chaleureuse et feutrée. » n°42 - idem « La douceur, la fraîcheur, l'acoustique » n°46 - idem À la question « Trouvez-vous qu’il émane une odeur particulière de votre logement ? », 26 répondants sur 49 ont répondu par la négative. L’odorat, comme nous l’avons vu plus haut, est le dernier sens invoqué

par les enquêtés. Pourtant, nous verrons plus loin que pour les 23 participants qui ont répondu oui, les odeurs décrites sont assez riches. En outre, l’idée de neutralité est souvent utilisée pour décrire les odeurs,

Source : Wikipédia. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Haptique, consulté le 22/08/2020 ; Le sens haptique résulte de l'activité simultanée et coordonnée des récepteurs tactiles et kinesthésiques qui fournissent de l'objet une perception unique en trois dimensions. — (Robert Rigal, Motricité humaine: fondements et applications pédagogiques, vol.1, Presses univ. Québec, 2002, page 213) 111

66

comme c’est le cas il me semble aussi au niveau de l’acoustique, de la lumière et des couleurs. La « douceur » qui est évoquée dans les réponses suggère le « silence intérieur » dont je parlais plus haut.

Pour finir, à la question « Si vous habitiez un logement non construit avec des matériaux naturels

auparavant, pouvez-vous expliquer ce qui a changé dans votre vie quotidienne ? », le tiers des répondants invoquent le confort hygrothermique (7/23), et acoustique (3/23), comme un des changements majeurs :

« Confort thermique. » n°7 et n°40

« Moins de factures, plus de confort, un vrai plaisir d'habiter chez soi. » n°8 « Le confort paisible de vie sans climatisation. » n°10

« Excellent confort thermique hiver comme été, coût de chauffage insignifiant, air sain, hygrométrie parfaite, ambiance acoustique reposante. » n°11

« Humidité et stabilité de la température. Silence et qualité du sommeil. Pas de sensation.

Ressenti de confort général. » n°14

« …un grand confort thermique. C'est la principale caractéristique. À l'intersaison, pas besoin de chauffage et l'hiver un chauffage de type poêle à bois offre un confort thermique exceptionnel. » n°23

« Le ressenti et le son qui est plus sourd. Les matériaux absorbent le son. » n°24 On remarque ici que l’enquêté n°14 écrit n’avoir « pas de sensation ». En réalité, il s’agit plutôt d’une neutralité et d’une absence de sensations désagréables, permettant ce confort physiologique optimal.

Dans le cas de mon étude, le confort physique, ou physiologique, est donc largement évoqué au niveau des changements et des conséquences de l’habitat actuel par rapport au précèdent. Il est peu évoqué

lorsque l’on questionne le ressenti global en présence des matériaux naturels, puisque alors les répondants

décrivent majoritairement une atmosphère plus qu’un ressenti physiologique. Il l’est plus lorsque la

question précise le type de ressenti, notamment pour le ressenti haptique. Les matériaux naturels utilisés

sont alors liés au confort physique.

Cette dimension d’agrément physique est importante mais ne représente pas la majorité des réponses.

Elle est bien présente, mais ne suffit pas à qualifier l’atmosphère particulière de l’espace. Comme je l’ai

évoqué en deuxième partie de ce travail, le confort physique est une dimension nécessaire au bien-être,

mais n’est pas une condition suffisante.

67

2.2 Le confort esthétique

Figure 63 : Évaluations esthétiques de l’espace par les enquêtés. Source : Cécile Pélissier

Les questions fermées à échelle m’ont permis d’évaluer la satisfaction des habitants en matière

d’esthétique des matériaux, de qualité de la lumière ou encore de l’effet naturel qui pouvait émaner du

logement. De manière générale, ceux-ci sont satisfaits ou très satisfaits. On remarque d’ailleurs (voir figure 63), qu’aucun répondant n’a remis en cause l’esthétique des matériaux naturels.

Le CNRTL définit le terme esthétique comme ce “Qui est motivé par la perception et la sensation du beau”. 112 J’utiliserai le terme de « confort esthétique », en dépassant son évocation essentiellement

visuelle. L’esthétique, selon ma définition, est une interprétation positive et artialisée des qualités d’un

objet ou d’un espace. Même s’il est vrai que l’on lie souvent l’esthétique au visuel, ce confort, en faisant référence au beau, peut-être également associé au toucher (belle matière), à l’ouïe (belle musique) ou à

l’odorat (belle odeur). J. Pezeu-Massabuau (2002) dans son analyse du bien-être intérieur, positionne les

qualités du « beau » dans un second niveau de confort, après le confort physique. C’est le domaine du

goût et de la satisfaction esthétique de son milieu et aussi l’expression d’une certaine forme de paraître.

Le beau est une construction personnelle mais également socio-psychologique. Ainsi par exemple, la valorisation du bois en tant que matériau esthétique n’est pas sans lien avec les discours écologiques

valorisant le naturel dans la société française actuelle. Le beau fait référence à l’air du temps. “L’essence de l’art ne consiste pas dans la conscience du jamais-vécu-auparavant (the never-before-experienced), mais dans la recréation de la dimension bio-culturelle du sentir (feeling)”. – J. Pallasmaa (1982)

112

Source CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/esth%C3%A9tique, consulté le 10/08/2020

68

Ainsi, pour la question « Développez plus précisément vos ressentis liés à la présence des matériaux naturels », les termes (et leurs dérivés) qui ressortent très nettement des réponses sont en premier la

notion de « chaleur », et du « chaleureux », évoqués par plus d’un tiers des répondants (13/36), et celle de la « douceur », et du « doux » (7/36). Cinq répondants font mention de « bien-être », quatre

d’« harmonie ». Les notions de réconfort, de cocon sont également présentes, ainsi que celles du vivant et de la nature.

« Le bois est chaud à regarder. » n°6

« Chaleur et authenticité, les tons sont naturels. » n°14 « Ambiance chaleureuse. » n°29

« Un bien-être général, ambiance cosy, chaleureuse et souple, sans résonance comme avec du placo. » n°30

« Cocooning chaleureux. » n°34

« Aspect mat, doux, lumière tamisée. » n°3 « La douceur. » n°20

« Surtout le regard, avec des couleurs douces et chaudes. » n°44

« Confort, sensation agréable en entrant, douceur, bien-être, clarté. » n°48 « Matériaux chaleureux, agréable à voir, harmonieux…» n°45

« La douceur, la fraîcheur, l'acoustique, l'harmonie des couleurs tirées naturellement des matériaux et de leurs nuances. » n°46

« C'est naturel, donc l'environnement intérieur est plus agréable et relaxant. » n°37 « C'est beau et vivant comparé à un inerte placo peint. » n°8

Dans les réponses à la question « Pouvez-vous décrire particulièrement vos sensations liées au toucher et à la qualité de l'air intérieur ? » on retrouve les deux notions principales de douceur et de chaleur :

« …chaleur et confort » n°11 « …chaleur au toucher » n° 18

« Pour le toucher ce serait la douceur et la chaleur que la couleur naturelle des matériaux fait ressortir. » n°24

« …le ressenti "chaud" » n°25

« Parquet en bois : chaud pour les pieds nus, air doux et à bonne température. » n°28 « …impression de douceur de l'enveloppe du bâtiment liée au matériau terre. » n°30

« Sensation de chaleur, confort, rayonnement des parois lié au parcours de la lumière, textures. » n°38

« Douceur / fraîcheur / chaleur / paix / cocon / sobriété. » n°48 69

Également, à la question « Si vous habitiez un logement non construit avec des matériaux naturels auparavant, pouvez-vous expliquer ce qui a changé dans votre vie quotidienne ? » :

« Ambiance douce, confort chaleureux/enveloppant. » n°3 « Sommeil de qualité, sensation de cocon. » n°18 « …sensation de robustesse et de cocon » n°21

« …c'est un cocon, qu'on a personnalisé » n°45 Le sentiment de chaleur et de douceur provenant des intérieurs est majoritaire pour les enquêtés ayant répondu aux questions ouvertes sur les ressentis intérieurs (37/49). La moitié a fait mention de

« douceur » ou de « chaleur » à une ou plusieurs reprises dans les réponses au formulaire en ligne (19 répondants sur 37). « Chaleur » ou « chaleureux » est ainsi cité dans 20 réponses, « douceur » ou « doux »

cités dans 20 réponses également, « cocon » et « nid » dans 6 réponses.

Ces ressentis concernent l’ensemble des sens, soit le sensorium évoqué plus haut. Ils définissent une

ambiance pour qualifier l’espace intérieur, comme le résultat de tous les sens qui y sont convoqués.

L’ambiance est la “Qualité du milieu (matériel, intellectuel, moral) qui environne et conditionne la vie

quotidienne d'une personne, d'une collectivité”. 113 Le terme d’ « atmosphère » est un synonyme dans son sens

figuré. Ainsi, pour la majorité des enquêtés, l’ambiance d’un espace conçu avec des matériaux naturels

est chaleureuse et douce. Cette esthétique est confortable, plus que dans les maisons conventionnelles

dans lesquelles ils ont habité auparavant.

Le confort esthétique des répondants est notamment soutenu par l’évocation de la nature et du naturel

dans l’atmosphère du logement. Ainsi, ils sont une quinzaine à faire référence à la nature dans les questions ouvertes sur les ressentis intérieurs :

« Intégration naturelle » n°11 « Chaleur et authenticité, les tons sont naturels. » n°15

« La non-géométrie parfaite qui rappelle plus la nature. » n°17 « Apaisant, pas d'odeur de neuf mais de la nature. » n°33

« C'est naturel, donc l'environnement intérieur est plus agréable et relaxant. » n°38

« La douceur, la fraîcheur, l'acoustique, l'harmonie des couleurs tirées naturellement des matériaux et de leurs nuances » n°47

La référence à la nature se retrouve en particulier dans la description de l’odeur du logement, pour les

enquêtés ayant déclaré sentir une odeur particulière :

113

Définition du CNRTL. https://www.cnrtl.fr/definition/ambiance//0, consulté le 11/08/2020.

70

« Une bonne odeur naturelle. » n°1 « La nature. » n°11

« …une sensation diffuse de "nature" qui s'invite » n°21 « Odeur naturelle de terre. » n°29

« Une odeur naturelle mélange de terre, bois. » n°31 « Agréable, naturelle, champêtre. » n°48

Outre la référence directe à la nature, sur les 47% de participants ayant déclaré ressentir une odeur

particulière dans leur logement, plus de la moitié parle de l’odeur du bois (53%). De ce fait, le thème principal abordé est celui de la nature ou du naturel à 81% : 11 personnes évoquent l’odeur du bois, 5

une odeur naturelle ou de nature, 3 l’odeur de la terre, 2 l’odeur du chanvre. Viennent ensuite les thématiques de la pureté (24%) et de la neutralité (14%), ainsi que de l’agréable (14%).

Thèmes

Récurrence

%

17

81,0%

Bois

11

52,4%

Nature / Naturel

5

23,8%

Terre

3

14,3%

Chanvre

2

9,5%

5

23,8%

Fraicheur

2

9,5%

Sain

1

4,8%

Pur

1

4,8%

Minéral

1

4,8%

3

14,3%

Équilibré

1

4,8%

Douce

1

4,8%

Neutre

1

4,8%

Apaisant

1

4,8%

3

14,3%

Agréable

2

9,5%

Bonne

1

4,8%

1

4,8%

Histoire

1

4,8%

Ancien

1

4,8%

Nature

Pureté

Neutralité

Agréable

Histoire

Figure 64 : Tableau -Analyse du verbatim utilisé par les répondants pour décrire l’odeur de leur logement. Source : Cécile Pélissier

71

Outre les odeurs naturelles, il est également fait mention du « vivant » dans les descriptions des ressentis

ou des différences avec les logements conventionnels. Cet attribut de vie se révèle dans les textures plus

« organiques », dans les variations de couleurs, dans l’aspect « vrai », ou dans le craquement des matières :

« Les nuances de la chaux font vibrer les murs. Leur couleur change constamment. » n°2 « Je caresse souvent mes murs, ils sont comme une seconde peau pour moi » n°2

« L'irrégularité des murs, des sols et des plafonds, de leur matière et de la lumière. » n°17

« La sensation que ça vit et évolue (voire que ça respire). Dans un logement aux matériaux

conventionnels, je n'ai pas cette sensation de vie, les murs paraissent raides et froids, et cela donne une sensation d'enfermement. » n°21

« …une maison en bois a aussi la particularité d'émettre des petits craquements qui lui confèrent un aspect "vivant. » n°22

« …un côté "organique" à l'habitation » n°22

« Un endroit qui semble plus authentique et réel, pas de placo ni de peinture blanche. L'aspect est irrégulier sur les murs car les pierres en dessous le sont aussi, ce qui crée un aspect vrai. » n°41 « J'ai grandi en lotissement, ce logement naturel c'est pour moi un logement vivant, qui a plus "d'âme". » n°45

« …les imperfections du fait main montre que c'est une maison vivante » n°45 « …géométrie moins rigide » n°46

« …un enduit terre apporte un côté vivant à la surface qui réagit bien à la lumière » n°46 L’esthétique de la nature se traduit par des tons naturels, doux et chaleureux, par des formes non rigides,

par des variations de lumières et des textures organiques. C’est l’esthétique qui est prônée par les participants à mon enquête. Ceci s’explique notamment par le fait que l’ensemble de l’échantillon se déclare proche, voire très proche de la nature en général.

En réponse à la question « Quelles sont les relations que vous entretenez avec la nature en général ? »,

la totalité des enquêtés déclare avoir une relation de proximité avec la nature. Les occurrences autour du mot « respect » (10) sont celles qui reviennent le plus ainsi que l’adjectif « très » (9) suivi de « bonne », de « proche » ou de « forte ». Certains parlent d’un rapport ou besoin vital et indispensable (5).

« Un lien profond, que je découvre de jours en jours. » n°2

« Je vis dedans, grâce et avec elle, et j'en ai plus conscience que beaucoup. » n°8 « Je ne peux pas vivre sans. » n°12

« Nous sommes en campagne et aimons passer du temps dans la nature. » n°14 « Très proche », « Très forte », « Très bonne », « Excellente »

72

« Elle est indispensable à mon quotidien et à ma vie en général, elle me nourrit, m'oxygène, me met invariablement en joie, et me permet de mieux structurer ma pensée. Je me sens y appartenir pleinement. » n°21

« Très proche, besoin viscéral de nature. » n°27

« Quotidiennement vitale pour le bien-être, respect et empreinte minimisée. » n°33 « On adore ! » n°34

Ainsi, il semble logique que la nature faisant partie des préférences des personnes interrogées, les liens

déclarés étant très forts, celle-ci représente le repère esthétique qui les accompagne. Elle devient la

référence en termes de confort visuel, olfactif, tactile, et cela à travers la sensorialité qui s’est développée

à son contact. Le beau recherché est ainsi le beau trouvé dans la « nature ». Il se retrouve dans les intérieurs qui y font référence, par des irrégularités, des matières, des odeurs, des variations, qui donnent l’aspect du vivant et font écho à l’esthétique des espaces naturels.

La « nature » produit des formes complexes et des nuances variées. Les milieux naturels sont loin d’être

homogènes, leurs tonalités ne sont pas unies, ni leurs formes rectilignes. De par leurs diversités formelles

et colorimétriques, les formes de la nature produisent des esthétiques complexes. C’est pourquoi les

matières artificielles lisses et homogènes semblent souvent mal intégrées dans un environnement naturel.

Même si elle en imite les formes et les couleurs, une matière trop lisse et trop unie sera différemment

perçue d’une matière organique complexe créée par la nature. Par le toucher, le visuel et même l’olfactif,

on percevra la différence entre deux esthétiques divergentes. C’est pourquoi, il me semble, que le bâti

traditionnel vernaculaire, utilisant les ressources disponibles dans le paysage, comme la pierre, la terre,

le bois, paraît mieux intégré au paysage naturel que le bâti moderne utilisant du béton, du ciment ou du métal. Par leurs aspérités, leurs dégradés de couleur, leur absence de « perfection », plutôt propre aux

artefacts synthétiques, ils correspondent et répondent aux règles des environnements auxquels ils appartiennent.

Figure 65 : Bâtiment Vauban sur la côte normande, près de Carolles Plage, juillet 2020 ©Marine Vaillant

73

Cet aspect particulier de l’intégration au paysage, on le retrouve dans les réponses à la troisième partie du

questionnaire concernant les ambiances paysagères et l’insertion des habitations dans leur environnement.

La forme de confort qu’est le confort esthétique inclut aussi la représentation de ce qui est donné à voir

aux autres. Ainsi, si la dimension qu’apportent les matériaux naturels dans le paysage intérieur rapproche ses occupants de l’esthétique naturelle, l’image qui est projetée à l’extérieur est également importante, l’esthétique créée de manière individuelle étant vouée à composer le paysage urbain.

Aux questions « Trouvez-vous que votre bâtiment s’intègre bien à son environnement ? » et « Depuis

l’extérieur, comment évaluez-vous l’esthétique de votre bâtiment ? », les enquêtés ont répondu à 98% que

leur habitation s’intégrait bien à l’environnement, et sont en majorité satisfaits et très satisfaits de l’esthétique extérieure de leur bâtiment.

Figure 66 : Évaluation de l’esthétique extérieure des habitations par les enquêtés. Source : Cécile Pélissier

En analysant le verbatim et les thèmes abordés en réponse à la question ouverte « Pouvez-vous expliquer

pourquoi ? » (concernant la bonne intégration de leur bâtiment), il apparaît que beaucoup évoquent le paysage dans lequel il s’inscrit (18/40) : forêt, campagne, champs, montagne, arbres sur le terrain. Ainsi

que la concordance avec les matériaux utilisés (15/40). Le bois (ou bardage) est souvent cité (13 fois)

comme un élément esthétique d’intégration dans le paysage. Le thème du vernaculaire et du patrimoine

est également assez présent (12/40), ainsi que celui du naturel (10/40).

« Les couleurs du bardage et de l'enduit chaux-chanvre ne sont pas artificielles ; c'est la vraie couleur des matières, simplement. » n°2

« Coloris : terre crue et bois grisé - couleurs en camaïeu avec les teintes de forêt, champs. » n°3 « Maison bois et paille dans la forêt. » n°5

« Le bardage bois vieilli naturellement s’intègre à tous les décors, urbain comme rural, balnéaire et montagne. » n°6

« Bardage bois au milieu des arbres » n°7

« Parce qu'il est fait de la même terre... » n°8 74

« Le bardage bois s'harmonise bien avec le végétal alentour. » n°18

« Notre terrain est très arboré et notre maison (longère avec un bardage bois) s'intègre parfaitement dans son environnement. » n°23

« S'intègre mieux aux espaces naturels autour » n°25

« Le bois s'intègre parfaitement bien aux paysages. » n°27

« Les matériaux locaux ont cela de particulier d'être adaptés ! » n°30

« Les pierres de la maison viennent toutes du rocher sur lequel elle est posée et elle est entourée d'un écrin vert. » n°42

Thèmes

Récurrence

%

Intégration au paysage

18

45,0%

Vernaculaire / Patrimoine

14

35,0%

Intégration

7

17,5%

Forêt

4

10,0%

Local

5

12,5%

Paysage

4

10,0%

Vieille

3

7,5%

Végétal

3

7,5%

Traditionnelle

2

5,0%

Arbres

2

5,0%

Ancien

1

2,5%

Champs

1

2,5%

1

2,5%

Montagne

1

2,5%

Technique ancienne Classé

1

2,5%

1

2,5%

Siècles

1

2,5%

Patrimoine

1

2,5%

Vernaculaire

1

2,5%

Campagne

Matérialité

15

37,5%

Bois

11

27,5%

Terre crue

2

5,0%

Bardage

2

5,0%

Végétalisé

2

5,0%

Chaux Chanvre

1

2,5%

Paille

1

2,5%

Pierre

1

2,5%

Naturel

10

25,0%

Figure 67 : Tableau - Analyse du verbatim utilisé dans les réponses à la question « Pouvez-vous expliquer pourquoi ? » (évaluation de l’esthétique extérieure) Source : Cécile Pélissier

Pour les enquêtés, les dimensions locale et naturelle des matériaux sont garantes d’une bonne intégration à l’environnement dans lequel s’inscrit le bâtiment.

« Maison bien intégrée, ça ne fait pas verrue. » n°14 Les habitations des participants ne sont pourtant pas « traditionnelles » (sauf quand il s’agit de

rénovation) et sont en majorité, de par leurs principes constructifs, en rupture avec le bâti environnant.

Ainsi, lorsque l’on interroge les participants sur l’effet que leur bâtiment produit sur les passants à l’extérieur, pour la majorité d’entre eux (19/39), cela provoque la curiosité et l’étonnement chez les

passants, voire la surprise. Pour quelques-uns, il n’y a aucune différence avec une autre habitation car les matériaux naturels ne sont pas visibles de l’extérieur (5). Une minorité invoque le charme du traditionnel (2). Enfin, certains évoquent le bien-être ou le caractère agréable que les passants peuvent ressentir (4).

75

« Original », « Attire le regard », « Curiosité », « Intrigués, curieux et intéressés »,

« Ils sont interpellés, je pense, par cette maison en bardage bois », « Beaucoup de curiosité », « Beaucoup de commentaires », « Réaction », « Étonnant », « Curiosité !!! », « Effet d'étonnement » La majorité des personnes interrogées est consciente d’être en marge du style commun. Pourtant les

répondants semblent être fiers de leur habitat qui correspond à leur vision du monde et semblent bien

vivre cette différence. Il émane une forme d’originalité assumée de la part des participants à l’enquête.

Figure 68 : Photographie prise par le répondant n°14 « plan large nord »

Figure 69 : Photographie extérieure prise par le répondant n°7

Figure 70 : Photographie extérieure, répondant n°31

Figure 71 : Photographie en construction, répondant n°8 76

2.3 Le confort psychologique Juhani Pallasmaa, architecte et professeur finlandais, s’est intéressé particulièrement à la notion

d’atmosphère et de multisensorialité dans l’architecture, à travers la phénoménologie de l’expérience.

“L’architecture donne des articulations à notre expérience de l’être-au-monde et renforce le sentiment que nous

avons de la réalité et de nous-mêmes” ; “la signification ultime de tout édifice dépasse l’architecture ; elle fait

revenir notre conscience vers le monde, vers le sentiment que nous avons de nous-mêmes et de notre existence” [Pallasmaa, 2010, p.11-12].

En ce sens, l’habitat, comme je l’ai déjà évoqué en deuxième partie, implique la matérialisation d’une certaine ontologie et cosmologie de la part de ses habitants. Il est représentatif de leurs façons de percevoir le monde et d’être au monde, d’autant plus quand il a été auto-dessiné ou auto-construit. Ainsi,

un auto-constructeur que j’ai rencontré sur son chantier de maison en bois-paille m’expliquait : “Dans

certains pays c’est un rite initiatique de construire sa maison. Et c’est vrai que je l’ai senti comme ça. Moi, ça me

plaît d’être dans une maison en fait que je connais par cœur”. 114

Mon hypothèse est qu’il existe un troisième niveau de confort, qui va au-delà de celui que décrit J. Pezeu-

Massabuau comme l’aire de l’intimité : “Une habitation doit d'abord garantir cette liberté de ne voir que

nous-même et les nôtres. Elle est un repli de la réalité où nous blottir et ne plus entendre la rumeur de la tribu.

Un toit et des murs, des volets clos n'y suffisent pas toujours” [Pezeu-Massabuau, 2002-2, p.81]. Ce troisième

niveau je l’appellerai le confort psychologique. Il passe, à mon sens, par l’idée et la confiance que l’habitant peut avoir envers son habitat et par son appropriation, facilitée par l’auto-construction.

La satisfaction d’avoir construit soi-même, ou d’avoir participé à la construction, est bien évoquée par

les répondants à l’enquête comme un gage de bien-être. Ainsi que la sensation d’osmose psychologique

que certains décrivent, due à la satisfaction d’habiter un logement conforme à leurs idées. Ces éléments ont été la vraie surprise des résultats en ce qui me concerne. Ainsi à la question « Si vous habitiez un logement non construit avec des matériaux naturels auparavant, pouvez-vous expliquer ce qui a changé dans votre vie quotidienne ? » :

« Je me sens plus en cohérence avec mon logement actuel. Il reflète ma vision du monde. » n°2 « La sensation d'être en osmose avec son habitat » n°4

« Le bien-être, la satisfaction d'être conforme à nos idées » n°27 « Confort et satisfaction (auto-construction) » n°39

« C'est un cocon, qu'on a personnalisé. On a adapté notre logement à notre façon de vivre et nous ne nous sommes pas adaptés à notre logement. » n°45

« …satisfaction d'avoir participé à la réalisation à plusieurs. » n°46

114

Entretien avec A.G. à l’Écohameau du Plessis, le 20/06/2020.

77

Et à celle « Y a-t-il un élément particulier de vos ressentis dont vous souhaitez parler ? » :

« Satisfaction d'avoir construit une maison en réduisant l'énergie grise de la construction au maximum. » n°12

« C'est un investissement personnel dans la mise en œuvre de son logement, et crée une autre relation à son "abri", un retour aux besoins primaires de Maslow 115, une appropriation de son logement. » n°30

En relation avec la satisfaction de son habitat apparaît la fierté d’avoir construit son propre logement,

d’avoir réalisé un projet et matérialisé ses idées de manière concrète. Ce sont des éléments qui induisent

un certain épanouissement personnel. Par ailleurs, les personnes qui ont construit ou conçu leur logement, ou celles qui ont suivi le chantier, ont bien connaissance des éléments qui le constituent. Il est

encore plus facile pour elles d’avoir confiance dans l’aspect « naturel » et « sain » de leur environnement, alors qu’une part de ces ressentis peut être psychologique. Par ailleurs, le fait d’avoir vécu une expérience

de chantier semble avoir une réelle influence. Avoir mis en œuvre de la paille dans ses murs par exemple change complètement la vision d’un espace une fois fini, bien que la paille ne se voie plus. Certains

réalisent d’ailleurs des « fenêtres de vérité » pour mettre en avant cet élément. Cela consiste à laisser une partie de l’intérieur du mur visible derrière une vitre révélant la paille.

Figures 72, 73 et 74 : Exemples de fenêtre de vérité : Ferme des Possibles à Stains ©Cécile Pélissier, Maison Feuillette ©CNCP Feuillette, École primaire à Bourgeuil par Corentin Desmichelle ©Topophile

Corentin Desmichelle, architecte spécialiste de la construction en paille, me racontait que ce qui le frappait sur les chantiers était les odeurs : “Oui, c’est l’odeur, le bois, le bois ça sent bon, la paille, ça sent fort

et ça sent bon, c’est vraiment très agréable”. 116

Frédéric Denise, architecte de Archipel Zéro, m’a mentionné les retours des usagers sur un de ses bâtiments : “ La crèche… j’ai fait une crèche en chaume et paille (pas de terre de crue), c’est pareil, c’est un 115 116

Abraham Maslow a établit une représentation pyramidale de la hiérarchie des besoins en 1943. Source : Wikipédia.

Entretien avec Corentin Desmichelle, le 28/04/2020

78

cocon. Les parents, les enfants, ils disent que c’est un endroit merveilleux. Alors est-ce que c’est parce qu’ils savent que c’est en paille ? Il y a un côté image qui sert à mystifier ou est-ce que c’est du domaine du ressenti ?

Je ne sais pas... En tout cas, ils ont un sentiment, une impression, que leur enfant vis un instant merveilleux dans ce nid en paille et en chaume”. 117

Pour être moi-même allée sur plusieurs chantiers en paille, je peux témoigner du fait que les odeurs sont

effectivement saisissantes et que l’impact psychologique produit est assez fort. Il est certain que le simple

fait de savoir qu’un bâtiment est fait avec des matériaux biosourcés venant du paysage environnant, et de

l’expérimenter directement, procure un fort sentiment « naturel ». Sentiment qui peut ne pas être présent

si l’on n’a pas vécu cet aspect-là du chantier. Lorsque j’ai visité les logements sociaux de la Ferme du Rail à Paris par exemple, j’ai été accueillie par un travailleur social qui y résidait. Icham m’a fait faire le tour des espaces intérieurs dont les finitions étaient de type conventionnel. Pour ma part, il était assez difficile

d’imaginer que le bâtiment était plus naturel qu’un autre (exceptée la façade en bois rond coupé, que j’ai

trouvée très belle). Pourtant, il a été réalisé en bois avec un remplissage en paille via des caissons

préfabriqués. Icham lui-même m’a confié ne rien trouver de différent au bâtiment par rapport à un autre,

si ce n’est un confort thermique en hiver et en été. Ce qui semblait être beaucoup plus important pour lui était l’atmosphère sociale de l’ensemble (le projet de la Ferme du Rail met en œuvre des logements sociaux et une ferme urbaine dans une dynamique de partage et d’inclusion).

Figures 75 et 76 : Visite de la Ferme du Rail à Paris-19ème, le 16/05/2020 ©Cécile Pélissier

Sur l’appropriation de son habitat, une habitante de l’écohameau du Plessis m’a confié “En fait c’est peutêtre aussi parce qu’on a travaillé dedans, mais on n’a pas eu de déménagement où il fallait vraiment s’installer ou se faire aux choses. Ça a été facile, naturel, un peu comme les matériaux”. 118

C’est pourquoi le confort psychologique paraît très important et semble être en définitive ce qui crée le « bien-être ». L’idée de nature peut être véhiculée par des éléments très matériels mais aussi beaucoup

par la dimension psychologique.

117 118

Entretien téléphonique avec Frédéric Denise, Archipel Zéro, le 28/04/2020.

Entretien avec A.D. à l’Écohameau du Plessis, le 04/06/2020.

79

« Le fait de savoir que je suis dans un logement sain est aussi réconfortant…» n°45 Dans les résultats, la notion de bien-être et très présente, mais aussi celle de paix et d’apaisement. Il me

semble qu’il existe un lien fort entre sensation de paix et sensation de nature, comme j’ai pu l’expliquer dans le chapitre consacré à la restauration de l’attention, et que paraît corroborer cette enquête.

« …la terre blanche est très apaisante » n°4

« Ce logement donne une sensation de paix, de confort et même de réconfort, de stabilité. Il permet également la concentration. » n°21 « Un bien-être spécial. » n°29

« Apaisante, odeur agréable comme au printemps à la campagne. » n°32 « Apaisant, pas d'odeur de neuf mais de la nature. » n°33 « …paix » n° 48

Figure 77 : Photographie intérieure prise par le répondant n°31 Figure 78 : Photographie intérieure prise par le répondant n°8

Figure 79 : Photographie intérieure prise par le répondant n°14

Figure 80 : Photographie intérieure prise par le répondant n°2

80

2.4 Bien-être optimal et sentiment de nature J’aimerais arriver ici à ce qui m’a intéressée particulièrement dans la poursuite de cette enquête,

à savoir : les matériaux naturels participent-ils au sentiment de nature et, par extension, au bien-être ?

Comme je l’ai mentionné plus haut, l’évocation du naturel et de la nature est bien présente dans la description des ressentis des enquêtés, notamment dans la description des odeurs. Le questionnaire

comportait en outre une question directe à ce sujet « Depuis chez vous, avez-vous une sensation de

nature ? » : 48 participants sur 49 ont répondu oui (une personne ne s’est pas prononcée). Suivie de « Cette sensation provient-elle du logement ou de l’extérieur ? » : la majorité des répondants ont répondu des deux à 67% (22% de l’extérieur uniquement et à 6% du logement uniquement).

Figure 81 : Présence et provenance du sentiment de nature selon les répondants Source : Cécile Pélissier

En croisant cette donnée avec la présence ou non d’un jardin ou espace extérieur, j’ai pu remarquer que

la sensation de nature provenant de l’extérieur seulement était faible (pour un quart de ceux qui possèdent

un jardin). La sensation de nature provenant de l’intérieur uniquement est présente pour les logements qui ne possèdent pas de jardin (25 %). J’ai pu en déduire qu’il y a bien une sensation de nature qui

provient de l’intérieur des logements. Comme le nombre de répondants n’ayant pas de jardin ou d’espace extérieur est faible, il est difficile d’en tirer une conclusion indéniable. Cependant, il me paraît évident

que la matérialité intérieure du logement participe bel et bien au sentiment de nature. À mon sens, elle permettrait même de démultiplier le sentiment de nature quand le logement comporte aussi un accès à un espace extérieur végétalisé.

Figure 82 : Croisement sentiment de nature et présence d’un espace extérieur.

Source : Cécile Pélissier

81

Si la quasi-totalité des répondants ont un sentiment de nature depuis chez eux, ils déclarent aussi majoritairement bénéficier d’un bien-être optimal.

Figure 83 : Moyenne du niveau de bien-être évalué par les répondants. Source : Cécile Pélissier

Avec une moyenne de 4,7/5, le niveau de bien-être de mon échantillon semble supérieur à la moyenne

des français qui est de 6,7/10, soit 3,3/5, selon le barème Qualitel.119 Ce dernier s’intéresse à la perception

et l’usage de leur logement par les Français d’après une étude menée depuis 2017 par l’IPSOS.

“Le Qualiscore est un indice composite conçu par les équipes scientifiques d’Ipsos. Il permet de noter la qualité perçue du logement sur la base de dix-sept critères. Une note sur 10 est obtenue en pondérant le poids de chacun

de ces critères en fonction de sa contribution à la satisfaction globale et en fonction de l’intensité de la satisfaction

exprimée par les répondants”. 120 Bien que ce baromètre ne parle pas directement de bien-être mais de satisfaction du logement, il permet de donner un élément assez fiable de comparaison.

La plupart des répondants déclare un niveau maximal de bien-être dans leur logement (74%) et de 4/5 pour le reste. Pour aller plus loin, je me suis intéressée à ce qui pouvait faire la différence entre ces deux

notes de 5/5 ou de 4/5. Je rappelle que les questions fermées étaient obligatoires dans mon questionnaire

et ont reçu la réponse de 49 enquêtés, ce qui est loin de constituer un échantillon quantitatif. Cependant, j’ai voulu procéder à quelques croisements d’informations :

Figure 84 : Évaluation du bien-être selon les répondants. Source : Cécile Pélissier

119 120

4 850 personnes interrogées en 2019.

Source : site internet du baromètre Qualitel. URL : https://www.qualitel.org/barometre-qualitel/, consulté le 12/08/2020

82

Figure 85 : Croisement bien-être et surface du logement / bien-être et présence d’un jardin. Source : Cécile Pélissier

A priori, selon ces données, la présence ou non d’un espace extérieur (jardin) ne semble pas influer sur

le niveau de bien-être. La surface du logement a une influence dans les extrêmes (-50m² ou + de 200m²)

mais pas pour les valeurs médianes.

Figure 86 : Croisement bien-être et odeur / bien-être et matériaux visibles / bien être et type de structure. Source : Cécile Pélissier

En revanche, la présence visible des matériaux naturels, ainsi que la présence d’une odeur particulière,

semblent influer sur le haut niveau de bien-être. La proportion de 4/5 est plus importante chez les

personnes qui ne ressentent pas d’odeurs particulières et pour ceux dont les intérieurs ne comportent pas

de matériaux naturels visibles. On remarquera aussi qu’elle est plus grande chez les habitants d’un logement construit avec une structure conventionnelle (béton/parpaings).

Ces pistes sont encourageantes et seraient à poursuivre via une recherche à plus grande échelle. Il semble

que les odeurs de nature apportées par certains matériaux à l’intérieur du logement et la présence visible de matériaux naturels procurent un bien-être important aux répondants à mon enquête. Les matériaux

les plus sensibles, visuellement, olfactivement et au niveau haptique, sont le bois et la terre crue. Cela

semble aller dans le même sens que les études présentées en deuxième partie de ce travail. Notamment

celles menées sur les qualités olfactives de certaines essences d’arbres, et celle menée par David Fell sur

la présence visuelle du bois dans les intérieurs. Je n’ai pas connaissance d’études qui ont été menées sur le matériau terre mais, d’après les témoignages que j’ai recueillis et dont je parlerai ci-après, il me semble

qu’elles apporteraient un éclairage scientifique important dans la compréhension des ressentis.

83

3. Apports connexes des entretiens menés et de l’immersion 3.1 La particularité du matériau terre Les résultats obtenus lors de l’enquête en ligne sont en résonance avec les entretiens que j’ai pu mener en amont et en aval du questionnaire.

Certains architectes m’ont apporté des témoignages précieux sur les retours d’usagers d’équipements qu’ils ont conçus. Frédéric Denise, architecte de l’agence Archipel Zéro, a réalisé une extension utilisant

la terre crue (structure et finition) pour l’hôpital de jour de Dieppe, accueillant de jeunes psychotiques :

“Les soignants m’ont dit que depuis qu’ils avaient déménagé ils avaient observé que les enfants étaient plus calmes [...] Le pisé et la terre coulée, qui sont très massifs et qui absorbent le son et la pollution, c’est vraiment

une matière très bienveillante, davantage en terme de confort, de qualité de l’air, en qualité acoustique. Du

coup les autistes qui sont très sensibles aux agressions, sont très sensibles à des ambiances plutôt softs, des ambiances qui calment les choses”. 121

Sylvie Wheeler, artisane enduiseuse spécialisée en terre crue et argile naturelle, me racontait lors de notre

entretien que beaucoup de ses clients étaient des cabinets de psychiatres ou de psychologues. “Ça laisse cours à pouvoir parler, à être neutre, et du coup à être centré sur soi”. 122

Pour Bruno Belenfant, architecte de l’agence Belenfant-Daubas spécialisée dans l’architecture en terre

crue : “On a, nous, de façon même spectaculaire, des retours extrêmement positifs. C'est évident, c'est une

évidence pour ceux qui vivent dans ces bâtiments-là, c'est une évidence. C'est une évidence qu'il y a quelque chose d'autre. Ce n'est pas explicable comme ça par les mots parce que... il faut vraiment le vivre”. 123

La plupart des personnes interrogées n’arrivent pas à expliquer les ressentis au contact de la terre crue, elles les définissent comme « un bien-être spécial », une « énergie particulière ».

“C'est une ambiance enveloppante, c'est enveloppant… Il y a une espèce de sensation tactile directe, de sensation de bien-être, liée au matériau.” - Bruno Belenfant

“Je sais pas… Je pense que ça c’est dû (les ressentis au contact de la terre)… c’est parce que c’est archaïque, je pense que c’est parce que ça représente des choses qui sont archaïques...” – Sylvie Wheeler

“Il y a une fascination pour la terre crue […] Donc j’essaye de comprendre, il y a plein d’explications mais elles sont tellement larges à tous les niveaux, culturel… je ne sais pas… mythique, mythologique, sociologique [...]

Voilà mais sinon c’est tous les sens en fait, c’est l’acoustique, c’est la vue, c’est l’odorat car ça dépollue, enfin ça

Entretien téléphonique avec Frédéric Denise, architecte d’Archipel Zéro, le 28/04/2020.

Entretien téléphonique avec Sylvie Wheeler, enduiseuse argile/terre rue, le 19/06/2020.

123 Entretien avec Bruno Belenfant réalisé par Corrine Hélière de l’ENSA Nantes, le 19/12/2019.

121 122

84

permet d’absorber les COV et les rejets extérieurs… le toucher, la vue l’ouïe et l’odorat. Et puis le 6ème sens qu’on ne peut pas définir, qu’est le ressenti, qu’est justement ce qu’on ressent.” – Frédéric Denise

“Pour répondre sur les ressentis […] c’est surtout la paille associée à la terre qui est vraiment super parce qu’en

fait il y a une très bonne qualité à la fois… ça respire, on sent que les murs respirent, que l’avantage de cela c’est

que ce sont des murs qui sont perspirants, qui ont une bonne hygrométrie. On n’est pas dans une boite fermée, c’est extrêmement isolant tout en ayant une perception des choses qui est un peu calfeutrée… je dirais que quand

on parle la voix est assez atténuée, c’est très absorbant, c’est très agréable.” – Camille Behaghel , architecte de l’Atelier 108

Camille Behaghel m’a expliqué que, selon lui, ce sont les enduits en terre crue qui font toute la différence

sur une réalisation en biosourcés. Quelques centimètres (2-3) suffisent dans un intérieur pour réguler

l’hygrométrie et absorber les sons. Il en résulte une ambiance plus feutrée, apaisante qui donne un sentiment de cocon.

Pour Corentin Desmichelle “C’est vrai qu’on se sent encore mieux enveloppé quand il y a des enduits en terre

dans une maison”. 124

Lorsque j’ai rencontré A.G., habitant de l’écohameau du Plessis, celui-ci était en train de terminer de

construire sa maison en bois-paille. Pour lui, il était indispensable d’utiliser la terre crue en finition, provenant des déchets d’une carrière à proximité. “Après c’est un ressenti, en fait il devrait y avoir des

machines pour mesurer ça… mais ça change l’ambiance en fait. Ça devrait pouvoir se mesurer en Hertz ou je ne sais pas quoi. Y’a quelque chose de ce genre-là… Je ne sais pas si c’est une sensation ou si ça revient au

psychologique mais c’est plus apaisé”. 125 A.G. compare sa sensation à celle que l’on peut avoir dans une

grotte. D’ailleurs il me montre qu’à l’intérieur de la maison on capte moins bien avec son téléphone

portable. C’est un constat que fait aussi Martin Rauch, spécialiste suisse de la construction en terre crue, dans sa maison en pisé. C’est également un point que m’a confirmé Arthur Hellouin de Menibus,

chercheur du projet Éco-Terra “On a vu que les éco-matériaux atténuaient un peu plus les champs

électromagnétiques que les matériaux minéraux”. 126 D’après certains discours provenant des enquêtés, il en

résulterait une atmosphère différente, plus apaisante. L’utilisation d’outils de mesure pourrait permettre

de valider ou d’infirmer ce point, ainsi que définir si l’affaiblissement des ondes permet tout de même un accès satisfaisant aux outils de télécommunications.

Si la terre crue semble avoir des qualités sensibles importantes, selon A.H. de Menibus, que ce soit avec du chanvre, de la terre ou du bois, finalement avec n’importe quel matériau naturel, cela revient au même

au niveau des sensations physiologiques. Les parois de finition vont faire la différence en matière de

ressenti physique, via la régulation de l’hygrométrie et les qualités thermiques et acoustiques. La Entretien téléphonique avec Corentin Desmichelle, architecte, le 28/04/2020.

Entretien avec A.G., habitant de l’écohameau du Plessis, sur place le 20/06/2020.

126 Entretien téléphonique avec Arthur Hellouin de Menibus, chercheur Éco-Terra, le 23/06/2020.

124 125

85

différence entre chaque matériau est ensuite psychologique. C’est une question de goût et de préférence.

Dans ce sens, j’ai remarqué lors de mes entretiens que certains vantaient les mérites de la terre, d’autres du bois, du chanvre ou de la chaux. Finalement, chacun y allant avec sa sensibilité.

Pour A.D., habitante de l’écohameau du Plessis, ce qui fait la différence entre sa maison actuelle et sa maison précédente conventionnelle est qu’ “elle est plus douce, on sent une atmosphère dedans, c’est plus…

enveloppant. Il y a moins de différence, enfin je ne sais pas, c’est moins dur, on rentre chez nous quoi […] Je pense que c’est les couleurs, la douceur [...] C’est du toucher. Il y a l’air qui a changé déjà, puis on est plus… je

ne sais pas comment dire... quand on rentre on se sent plus dans une espèce de cocon plutôt que dans quelque chose de froid… Chaleur, douceur et on a l’impression qu’on est plus chez nous, que c’est moins impersonnel”.127

Cependant A.D. n’apprécie pas l’esthétique de la terre crue mise en œuvre chez son voisin A.G. qu’elle

trouve trop sombre. Avec son conjoint, ils ont choisi un enduit de finition à l’argile et de la peinture écologique qu’ils ont appliqués sur des plaques de fibre-plâtre fermant les caissons préfabriqués de leur

maison en bois-paille. Ce que j’ai le plus ressenti dans la maison de ce couple est l’odeur de l’argile et de

l’huile de lin qu’ils ont utilisé pour protéger le bois (meubles, sol, escalier).

Figures 87 et 88 : Rencontre avec A.D. et L.D. à l’écohameau du Plessis, le 04/06/2020 ©Luc Delemotte ©Louise Piétri

Figure 89 : Intérieur d’une maison à l’écohameau du Plessis ©Camille Behaghel

127

Figure 90 : Écohameau du Plessis ©Cécile Pélissier

Entretien avec A.D., habitante de l’écohameau du Plessis, sur place le 04/06/2020.

86

Si les variations en terme de goût sont importantes, les ressentis expérimentés lors de la construction

jouent aussi un rôle, comme déjà mentionné auparavant. Pour avoir moi-même expérimenté les enduits en terre, sur un chantier en bois-paille à Hérépian, et sur un chantier d’enduits en terre-cellulose à Stains

(organisé par l’architecte Frédéric Denise), il apparaît que le contact avec la terre crue lors de sa mise en œuvre est particulièrement satisfaisant. Ainsi, les participants à ces chantiers ont tous apprécié poser les

enduits directement avec la paume de la main et ressentir le contact avec cette matière très agréable.

“Quand la terre est bonne c’est parfait. Il n’y a pas de transport et pour les personnes qui le font c’est un vrai moment de plaisir, puis un moment partagé. On peut faire participé les enfants, ce n’est pas comme la chaux, ce n’est pas abrasif, ce n’est pas cuit, cela en est presque magique en fait tellement c’est simple”. 128

Il est de plus en plus courant de faire participer les futurs habitants, voire les futurs usagers, aux travaux

de finitions, notamment quand elles sont en terre. Pour exemple, Corentin Desmichelle a organisé un

chantier participatif pour les enduits terre à l’école primaire de Bourgueil (qui a notamment permis de

former des artisans locaux). Frédéric Denise, a lui, organisé des chantiers participatifs ouverts pour les enduits terre de deux bâtiment à l’été 2020, un à Stains, un autre au Havre. La paille aussi est un matériau très agréable à travailler : “Après, je pense à quelque chose par rapport au chantier.. ce qui est super agréable

par rapport aux chantiers de construction paille c’est que ça sent la paille… on se sent bien. On est super content

de travailler dans la paille, quand il y a des chantiers participatifs tout le monde s’assoit dans la paille pour

pique-niquer. Il y a toute une ambiance, donc si tu parles du ressenti, faut parler du ressenti pendant le chantier, car un chantier paille c’est vraiment unique”. 129

3.2 La chaleur du matériau bois Le bois est particulièrement apprécié pour l’aspect chaleureux qu’il procure dans un intérieur.

Beaucoup plus connu que la terre et souffrant moins de mauvais aprioris, il est au goût du jour dans la

fabrication de la ville contemporaine. Certaines collectivités soutiennent la construction en bois et la

valorisent dans les projets publics et les opérations de logements sociaux. Ainsi, on voit de plus en plus

apparaître du bois dans les structures des chantiers des villes, ce qui marque un vrai changement dans la construction du paysage urbain. Bien que ce type d’actions soit minoritaire, ces dernières se développent

de plus en plus.

Lors de mon étude, j’ai pu m’entretenir avec le gérant d’une société de chauffage (poêles à granulés bois)

qui a fait construire ses locaux professionnels en bois-paille en 2008 (à cette époque il faisait partie des

précurseurs de cette méthode constructive, les règles professionnelles n’existant pas encore). Mon

interlocuteur, qui est spécialisé dans le domaine, a par ailleurs insisté sur le fait que, de manière générale,

si on construisait mieux, plutôt que de mettre des chauffages ultra performants, cela serait beaucoup moins coûteux au niveau énergétique. En outre, il a choisi des finitions bois pour l’intérieur de son show128 129

Entretien téléphonique avec Frédéric Mercier, architecte de FRAMM, le 05/06/2020.

Entretien téléphonique avec Camille Behaghel, architecte de l’atelier 108, le 15/05/2020.

87

room. Il trouve le bois très chaleureux et amenant un côté plus noble. “Après, pour le coup, le ressenti qu’on

a par rapport aux clients, ils aiment bien venir au magasin parce que c’est chaleureux. [..] Après tout le monde n’y est pas sensible mais je sais que mes collaborateurs cela leur plaît bien en tout cas. Et les clients aussi”. 130

Si l’esthétique et les couleurs du bois paraissent chaleureuses, les odeurs du bois sont également très appréciées, comme j’ai pu le voir dans les réponses au questionnaire en ligne mentionné précédemment.

En revanche, toutes les essences n’auront pas le même pouvoir olfactif, l’odeur a tendance également à s’estomper avec le temps ou l’habitude. Cependant elle peut ressurgir ou changer selon la météo,

notamment par temps humide. Les variations visuelles, olfactives et sonores (craquements) que procure le

matériau apportent un aspect « vivant » et organique. Selon une étude du professeur Minoru Masuda

(2004), l’usage du bois dans les intérieurs permet surtout de procurer une dimension naturelle à l’ambiance. Selon lui, la présence du bois et de plantes combinés dans un intérieur sont les clefs pour produire une ambiance naturelle, apaisante, chaude et confortable.

Pendant le confinement du printemps 2020, j’ai réalisé un premier questionnaire en ligne sur ce qui

pouvait manquer aux personnes lors de cette période particulière. J’y ai reçu plus de 200 réponses (231).

Sur la quinzaine de questions posées, une m’a particulièrement intéressée. J’ai proposé plusieurs images figurant différents types d’intérieurs et demandé aux répondants dans quel environnement ils aimeraient

passer leur confinement. Ce sont les images avec la présence du bois (voir images ci-après) qui ont reçu le plus de votes (50% pour la série 1 et 25% pour la série 2).

23,5 % des votes

6 % des votes

20,5 % des votes

50 % des votes

Figure 91 : Réponses à la question « Quelle chambre préférez-vous ? ». Questionnaire réalisé en ligne entre mars et avril 2020, 231 répondants. Source : Cécile Pélissier 130

Entretien téléphonique avec Brice Faveau, gérant de JPF SARL, le 02/06/2020.

88

24,5 % des votes

25 % des votes

23,5 % des votes

14,5 % des votes

12,5 % des votes

Figure 92 : Réponses à la question « Dans lequel de ces intérieurs aimeriez-vous vivre votre confinement ? ». Questionnaire réalisé en ligne entre mars et avril 2020, 231 répondants.

Source : Cécile Pélissier

Figure 93 : Tableau récapitulatif de l’étude menée par Planet Ark en 2014 sur 1003 répondants australiens.

Source : Wood, Housing, Wealth, Humanity Planet Ark 2014. URL : https://makeitwood.org/documents/doc-1253wood--housing--health--humanity-report-2015-03-00final.pdf

Si le bois est massivement apprécié dans les intérieurs (comme le montre également l’étude ci-dessus),

c’est qu’il possède de nombreuses qualités sensorielles dont celles liées à l’haptique. Le matériau bois en lui-même subissant très peu les variations de température, il procure une sensation plus chaude au toucher que d’autres matériaux, ou moins « froide ». Cette sensation au toucher est renforcée

visuellement par la teinte du bois, jaune-rouge, qui produit un effet de chaleur [Masuda, 2004]. La

réflexion de la lumière UV sur le matériau bois provoque une stimulation légère sur le globe oculaire 89

sans fatigue pour les yeux ce qui provoque cet aspect « doux ». Le contraste, le grain et le motif du bois

ont une influence, plus il sera faiblement contrasté, et ses lignes régulières, plus il apporterait un effet « naturel » et « apaisant » [Ibid.]. Une planche de bois à particules ne donnera pas la même impression qu’un bois massif, visuellement elle semblera moins naturelle et moins agréable, olfactivement elle n’aura

pas la même odeur, les panneaux composites comportant beaucoup de colle. Certains produits issus du

bois sont très transformés et n’ont plus grand-chose de naturel. La façon dont le bois aura été traité aura

aussi une influence sur les perceptions. En outre, la majorité des personnes interrogées lors d’études qualitatives sur le bois préfèrent quand celui-ci est doux au toucher et moins rugueux : “ Nos participants

ont tendance à préférer les surfaces plus lisses et à faible frottement qui suscitent la chaleur au toucher du doigt, on ne connaît pas encore cependant si ces facteurs contribuent au sentiment du naturel” [Skedung et al., 2020].131

Ainsi tous les bois ne procureront pas le même effet ni le même rapport sensible, notamment un « faux-

bois » ou un bois composite, comme un stratifié ou un contre-plaqué, ne procurera pas le même effet qu’un bois brut. Plus le bois sera proche de son état naturel, moins il sera traité, plus il aura des effets

positifs selon une approche multi-sensible, surtout visuo-tactile de l’effet de nature [Coll., 2015].

Que ce soit avec le bois, la terre crue ou même le chanvre, dont j’ai peu parlé dans cette étude (ayant été

peu évoqué par les répondants 132), chacun compose son paysage sensoriel à l’intérieur de son habitat, en fonction de ses goûts, de sa sensibilité. Pour autant, une esthétique commune se détache de tous ces bâtiments aux matériaux biosourcés et des intérieurs qu’ils composent. C’est un paysage intérieur plus

naturel, par les couleurs, les odeurs, les sons que les matériaux absorbent, qui rapproche ses habitants

d’une sensation de nature qui leur est chère. Plus doux, plus chaleureux, plus « cocon », par opposition aux matériaux froids, résonnants, durs, que proposent les intérieurs standardisés mis en œuvre par l’industrie, notamment par les fabricants de maisons et de logements sur catalogue.

Qing Li, dans son ouvrage « L’art du bain de forêt » ajoute sur le Shizen, mot japonais qui se traduit par « ce qui est naturel, sans artifice » : “Le shizen renvoie à l’idée que nous sommes tous connectés à la nature

émotionnellement, spirituellement et physiquement et que plus une chose est près de la nature, plus elle est

agréable, qu’il s’agisse d’une cuillère, d’un meuble ou de la façon de décorer une maison” [Li, 2018, p.23].

Ce qui est intéressant dans les entretiens que j’ai pu mener et chez les personnes que j’ai pu rencontrer,

est que leur goût, leur préférence, leur sensibilité étaient marqués par leur vécu, leur histoire et leur culture. Ainsi les personnes attirées par la terre ont pu passer par le modelage ou la sculpture ; celles

attirées par la paille ont rêvé, enfant, de construire une cabane en paille entourée par les champs ; celle fascinées par la pierre ont grandi dans des paysages marqués par une architecture qui en possédait. Ainsi,

plusieurs personnes interrogées sur le matériau qui évoquait le plus de plaisir pour elles, m’ont parlé de la maison traditionnelle en pierre de leurs grands-parents, imaginant les paysages de leur enfance. Le

131 132

Traduit de l’anglais par l’auteur.

Le chanvre possède cependant de belles qualités sensorielles, olfactives, visuelles et tactiles.

90

paysage intérieur comme celui, plus vaste, du dehors, est marqué par une forte dimension culturelle,

expérimentale et phénoménologique, propre à une histoire personnelle et au contexte dans lequel elle se déroule. Les goûts et les sensibilités en sont marqués et se reflètent dans les environnements que nous façonnons.

3.3 La conception biophilique La matérialité n’est pas le seul facteur permettant un sentiment de nature depuis son intérieur.

Comme l’a souligné un répondant à l’enquête en ligne « La clarté, qui n'a rien à voir avec l'utilisation de matériaux naturels, est aussi un aspect essentiel de cette maison » n°23. Effectivement, l’apport de lumière naturelle, la réverbération du soleil sur les surfaces, les vues et ouvertures sur des horizons

dégagés, la présence de végétation dans les intérieurs, ainsi que des formes souples et organiques imitant la nature, sont autant de facteurs qui permettent, combinés, d’apporter un sentiment de nature.

Ce sont les principes du design biophilique que j’ai évoqué précédemment dans cet ouvrage. Ces éléments sont revenus assez souvent dans les entretiens que j’ai menés. Dans ce sens, la directrice du

centre culturel de Courtenay (45), construit en bois et en paille par l’architecte Corentin Desmichelle, me

disait que le bien-être était dû à l’ambiance globale émanant de l’intérieur du bâtiment. “Toutes les

personnes qui rentrent, elles disent « Ha, mais c’est super ! On se sent hyper bien, il y a une ambiance zen ».

Même quand il y a des fortes fréquentations, il y a vraiment.. alors, il y a le patio qui participe car il y a cette belle lumière et il y a une vue sur toute une vallée, la vallée de la Cléry, donc au loin, à 360°, il y a vraiment ce côté « on se sent bien ». Les personnes, elles ne vont pas expliquer beaucoup mais spontanément elles nous disent

tout le temps qu’elles se sentent bien, que c’est très particulier, mais elles ne savent pas pourquoi”.133 Selon la

directrice, dans cet endroit il y a une ambiance très apaisante, “j’allais dire, une spiritualité à ce bâtiment”,

qui provient des matériaux naturels utilisés, des couleurs neutres présentes, des qualités acoustiques de la construction, de l’orientation au niveau du soleil et des vues qui ont été cadrées. Le mobilier a une place

prépondérante selon elle, le choix s’est porté sur du mobilier fait sur mesure, en bois massif, qui apporte toute l’ambiance épurée, et de la “beauté”.

Figures 94 et 95 : Intérieur du pôle culturel de Courtenay ©Brice Derez et ©CAUE du Loiret 133

Entretien téléphonique avec Corinne Lorentzs, responsable du pôle culturel de Courtenay, le 02/06/2020.

91

La directrice de l’école maternelle « La ruche » dans le Gâtinais Français et une professeure m’ont expliqué

que c’est l’ensemble de ce bâtiment, construit en 2019 presque tout en bois, qui fait que les élèves et les

enseignants se sentent bien. “Pour rajouter à l’aspect bien-être, et surtout pour l’enseignant, moi c’est la première fois que je suis dans une classe qu’est vraiment très.. qu’on sent vraiment comme apaisante. Alors,

après, je pense que la double pente y est aussi pour quelque chose, et les matériaux assez naturels aussi avec le

bois. [...] Et même parce que j’ai déjà bossé dans une école très neuve il y a trois ans, et je trouve celle-ci encore plus agréable. Et les matériaux naturels, ça, je pense que ça joue vraiment. Et même l’organisation au niveau

du couloir, le fait de passer le long du jardin, on a la chance d’avoir des arbres et d’être entouré de nature”. 134 Le bâtiment tout en bois est effectivement implanté dans un espace très arboré. Il y a la présence de la « nature » autour, la présence du bois, mais aussi “les espaces sont très bien calculés car on se sent vraiment

bien, avec les grandes ouvertures”. Pour ces deux enseignantes, qui ont aussi une classe dans le bâtiment d’à

côté, datant des années 70, il n’y a pas de comparaison possible, les classes sont plus ventilées, plus

lumineuses, plus confortables.

En définitive, c’est l’ensemble de la conception spatiale qui peut mener à un sentiment de nature.

Beaucoup d’éléments peuvent jouer un rôle, comme la luminosité, la vue sur des espaces extérieurs, la

qualité de l’espace au niveau sonore, olfactif, tactile et visuel, puis la présence de matière naturelle ou de

végétation dans les intérieurs. Un des points également invoqués est la mise en œuvre de formes plus organiques, plus rondes, qui pourraient permettre d’aller encore plus loin dans la démarche. “Moi, ce que j’aurais préféré encore, c’étaient des murs plus ronds. Mais bon là on n’a pas réussi, on reste dans des formes conventionnelles.” – A.D. de l’écohameau du Plessis

Le design biophilique, de par son objectif, ne peut se passer de la mise en œuvre des matériaux naturels

dans la composition de l’espace intérieur. Ceux-ci doivent cependant être en cohérence avec l’ensemble

de la conception et ne sont pas les seuls à avoir une influence sur le sentiment de nature.

Figures 96 et 97 : Intérieur et extérieur de l’école la Ruche ©Cécile Pélissier et ©Construction21 134

Entretien sur place avec la directrice et une professeure de l’école « La ruche » à Perthes-en-Gâtinais, le 04/06/2020.

92

Conclusion Résumé de la recherche Les enquêtes menées lors de cette étude ont permis de mettre en avant le confort intérieur et le

bien-être que pouvait induire l’utilisation des matériaux naturels dans la conception d’un environnement

(tel que le bois, la terre crue, la paille, le chanvre et les isolants biosourcés). À mon questionnement de base : les matériaux naturels portent-ils en eux le sentiment de nature ? J’ai pu répondre que oui, ces

matériaux participent au sentiment de nature dans l’habitat, dans les espaces de travail ou collectifs. Ce sentiment sera plus ou moins fort s’ils sont visibles, palpables, odorants, et si d’autres éléments tels que la lumière naturelle, la vue sur l’extérieur, la présence de végétation, sont aussi présents.

Pour les personnes interrogées qui vivent dans ces intérieurs ou y évoluent, les ambiances créées par les

matériaux naturels sont plus chaudes, plus douces, plus apaisantes et confortables, comparativement à

des environnements conçus avec des matériaux conventionnels. Ces atmosphères intérieures procurent

aux usagers et habitants une sensation de bien-être soutenue par une sensation de nature et de naturel.

Cette sensation de nature semble physiquement résulter, pour la plupart des enquêtés, de la présence visible des matériaux naturels dans les intérieurs et des odeurs de nature qui en émanent.

Pour ces espaces à forte dimension naturelle, j’ai pu démontrer que confort et sentiment de nature étaient

liés. Le confort est évoqué par les enquêtés à travers trois formes différentes qui, combinées, procurent un bien-être optimal aux habitants. Il s’agit du confort physiologique, du confort esthétique et du confort

psychologique. Pour les espaces étudiés, le confort physiologique est produit par la façon dont les matériaux naturels sont employés. Ceux esthétique et psychologique sont liés au sentiment de nature que ces derniers peuvent procurer aux usagers.

Les matériaux naturels vont ainsi permettre le confort physique grâce à leur particularité hygrométrique

et aux performances thermiques et acoustiques résultant de la qualité de leur mise en œuvre. Ils vont également permettre de créer une esthétique proche ou évocatrice des milieux naturels, ce qui induit un

confort esthétique pour les usagers qui y sont sensibles. Enfin, le fait de savoir que leur milieu est

construit avec des matériaux naturels va procurer une sensation de sécurité et un confort psychologique important aux habitants.

Je précise que je n’ai pu vérifier ces trois caractéristiques qu’avec la population étudiée seulement. L’effet

de nature varie selon la sensibilité de l’usager, selon sa culture personnelle, et selon la connaissance qu’il

a de la conception de son logement. En l’occurrence, mon échantillon était surtout composé de personnes sensibilisées aux problématiques environnementales et qui avaient pour la plupart participé ou suivi la réalisation de leur milieu de vie ou de travail.

93

Par ailleurs, j’ai pu mettre en avant le rôle de l’auto-construction, ou de la participation à la construction,

dans la satisfaction de son habitat et dans la facilité de son appropriation. Pouvoir réaliser certains travaux par soi-même, choisir les matières et matériaux, concevoir ou co-concevoir son abri, joue un rôle

important pour ce qui est du confort psychologique. Il en résulte une confiance envers son environnement de vie, en l’occurrence une confiance en sa qualité naturelle, qui est associée à une absence

de toxicité et à une faible empreinte écologique. Les enquêtés sont soucieux d’évoluer dans un

environnement sain et non-toxique. Ils sont en premier lieu préoccupés par l’empreinte écologique de

leur mode de vie, puis par leur confort esthétique, et ensuite par leur santé (voir figure 100). Le fait de

vivre dans un environnement qui respecte et met en œuvre leurs valeurs procure un sentiment d’osmose

avec l’habitat, dont résulte un bien-être important. La fierté d’avoir participé, seul ou en groupe, à la

réalisation, ou à une partie de la réalisation, joue également un rôle important.

Empreinte écologique En premier

62,5%

Deuxième

25,0%

Confort esthétique En premier

26,1%

Deuxième

43,5%

Sante sécurité En premier

22,4%

Troisième

34,7%

Économie locale Deuxième

25,5%

Quatrième

29,8%

Figures 98 et 99 : Coursives communes logements collectifs « Les petits ensembles » à Guérande (44), visite du 12/05/2020. ©Cécile Pélissier

Conditions de chantier Troisième

20,8%

Cinquième

41,7%

Figure 100 : Tableau – Qu’est ce qui a motivé votre choix en priorité ? (vivre en habitat naturel), Enquêtes en ligne « Matériaux naturels et habitat sensible », menée entre avril et juin 2020, 49 répondants. Source : Cécile Pélissier

Limites des enquêtes menées Ma recherche a été limitée dans le temps et dans les moyens que j’ai eus à disposition. Ainsi,

mes résultats se limitent à une quinzaine d’acteurs interrogés de manière exhaustive, et à une

cinquantaine d’usagers ayant répondu volontairement à un questionnaire en ligne détaillé. Je n’ai notamment pas réussi à recueillir les témoignages de personnes habitant dans des logements collectifs

locatifs, ce qui aurait pu mener à un autre niveau d’analyse. Effectivement, il serait intéressant de

recueillir les ressentis de personnes habitant dans un milieu urbain dense et qui n’ont pas eu de rôle important à jouer dans la conception ou dans la construction de leur logement.

94

Les ressentis physiologiques et esthétiques vécus en ville permettraient de tirer des conclusions importantes sur le sentiment de nature apporté par les matériaux naturels. Mes enquêtes concernaient

pour la plupart des milieux ruraux, où le sentiment de nature peut être facilement provoqué par des

éléments extérieurs. Il me semble qu’une étude comparative entre des habitants d’un ensemble locatif en milieu urbain utilisant des matériaux biosourcés et un autre utilisant des matériaux conventionnels, serait

intéressante à mener pour valider ou infirmer cette recherche sur sentiment de nature et matériaux naturels.

Par ailleurs, la valorisation du « naturel », par rapport au conventionnel, comme me l’a fait remarquer A.

Hellouin De Menibus, est un argument situé qui dépend de l’échelle de valeur d’une société. “Aujourd’hui

on est en train de mettre le « bio » au sommet des valeurs positives, mais longtemps cela n’a pas été le cas, et il reste des gens qui ne sont pas dans ce truc-là”. En définitive, étant donné que le confort et le bien-être

dépendent de l’échelle de valeur de chacun, l’utilisation des matériaux naturels n’aura un effet positif que

pour celles et ceux qui mettent les expériences de nature, et les problématiques environnementales associées, au cœur de leur mode de vie.

Limites des matériaux naturels Tous les matériaux naturels ne sont pas bons pour la santé humaine. L’exemple de l’amiante en

est le plus probant. On peut également parler du radon qui irradie des sols granitiques et qui est responsable de problèmes de santé publique. Les matériaux biosourcés, étant amenés à se développer de

plus en plus, doivent également demander une certaine attention. Effectivement, ce sont des matériaux sensibles à l’eau et putrescibles. S’ils ne sont pas bien mis en œuvre, ils peuvent pourrir et induire le

développement de moisissures très néfastes pour la santé. “Un postulat, encore trop souvent utilisé, « c’est

naturel, c’est sain ! » ne peut suffire. Vous avez des plantes, des champignons tout à fait naturels que je ne vous

conseille pas de tester !” 135- Suzanne Déoux. Les COV136 émis par le traitement de certaines surfaces, dont le bois, sont également à considérer avec attention. Le bois est également une source importante

d’émissions de monoterpènes 137 dans les intérieurs. Malgré leur caractère naturel, ces composés peuvent

avoir des effets non négligeables sur la santé des occupants : “À faible concentration, une odeur agréable leur

sera attribuée. À l’inverse, à des concentrations élevées (répertoriées dans la littérature de l’ordre du mg.m-3),

des risques d’irritation et d’allergies seront suspectés” [Marlet et Lognay, 2011].

Malgré leurs bienfaits généraux, les matériaux naturels restent encore confidentiels et plus difficiles à mettre en œuvre que les matériaux conventionnels. Ils sont généralement plus chers, pas à l’achat mais dans leur mise en œuvre, et peu de professionnels de la construction ont les compétences pour les

employer. Beaucoup de répondants à mon enquête en ligne déploraient une mauvaise volonté de la part

Interview de Suzanne Déoux, docteure en médecine, professeure à l’université d’Angers, pour Construction 21 en mars 2019.

Composés Organiques Volatiles 137 Dans le monde végétal, les terpènes sont connus comme principe odorant des végétaux.

135 136

95

des entrepreneurs qui « rechignent » à mettre en œuvre ces techniques, par manque de formation mais

surtout parce qu’ils demandent plus de temps et plus d’attention. C’est donc tout un système qui

demande à être reconfiguré, à travers la formation d’une part, la mise en valeur des compétences et des savoir-faire, d’autre-part. En effet, le processus demandé par les matériaux naturels demanderait, pour

être économiquement compétitif, que le travail de la main-d’œuvre soit revalorisé, et que le prix des

matériaux non durables soit augmenté au prorata de leur coût environnemental. Par ailleurs, certains matériaux comme la terre crue sont gratuits, d’autres comme la paille sont très peu chers à l’achat, ce qui

permettrait une valorisation de la main d’œuvre sans augmentation des coûts de construction.

Un atout pour le projet local La valorisation des matériaux naturels est aussi un tremplin vers la valorisation des ressources et des savoir-faire d’un territoire. “En gros, les artisans aujourd’hui sont cantonnés à utiliser des matériaux qu’on leur fournit, et à respecter les caractéristiques qui vont avec. D’où l’idée de retravailler avec des matériaux locaux,

c’est aussi l’idée de réappropriation par les artisans d’une certaine maîtrise de ce qui est acceptable ou non sur le chantier”. – A.H.Menibus

Si le développement de ces matériaux est accompagné par le développement de filières locales, et par la

formation d’une main-d’œuvre compétente ayant une forte valeur ajoutée, l’utilisation des matériaux naturels dans la construction peut-être fortement bénéfique à la construction d’un projet local. Le projet

local, théorisé par Alberto Magnani (2003), vise à diminuer les ressources environnementales que

consomment les établissements humains, et leur empreinte écologique, en réduisant la mobilité et en améliorant la qualité des produits consommés. Cela consiste à valoriser les ressources locales et la valeur

du patrimoine territorial, en faisant profiter à tous ceux qui y vivent d’une meilleure autonomie

économique. C’est, en définitive, co-concevoir avec tous les acteurs intéressés un projet de développement territorial. Et c’est bien ce qu’induit le développement des agro-ressources, des forêts

présentes sur un territoire, des terres, ainsi que la valorisation des déchets rejetés par les industries locales.

Cependant, cette valorisation des ressources locales doit être menée de manière durable et raisonnée.

Ainsi, il faut bien avoir à l’esprit qu’un bois d’œuvre, par exemple, demandera entre 25 et 70 ans de

maturité avant d’être exploitable en tant que bois de construction. 138 Cette temporalité n’est pas

forcément compatible avec les besoins de l’industrie. Ainsi, la plantation industrielle d’arbres à croissance

rapide s’est accélérée dans les pays tropicaux et subtropicaux qui exportent leurs bois un peu partout dans

le monde. “Basées sur un modèle agricole, les plantations industrielles d’arbres à croissance rapide ont des conséquences écologiques et sociales qui peuvent être importantes : déforestation et conversion d’écosystèmes naturels, dégradation de la biodiversité, pollutions des sols et de l’eau, fragmentation des milieux, accaparation

Agricultures et Territoires (2015). « Produire du bois d’œuvre dans le bocage » (en ligne). Chambre d’Agriculture d’Ille-etVilaine. URL : https://chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/002_inst-sitechambres/pages/recherche_innov/Agroforesterie_produire_bois_bocage.pdf, consulté le 24/08/2020

138

96

des terres des communautés locales”. 139 Par ailleurs, en France, l’augmentation des activités économiques en lien avec la forêt fait débat. L’intensification industrielle des plantations est loin d’être une activité

durable : “L’industrialisation de la filière met en danger la biodiversité et appauvrit les sols. Et l’énergie nécessaire à la production et au transport assure un bilan carbone tout sauf neutre. Le problème n’est pas la

déforestation, mais la « malforestation »”. 140 Tout les scénarios en lien avec l’exploitation du bois ne sont

pas vertueux. “Si l’utilisation du bois exploité avec des méthodes douces présente un bilan très positif par rapport

à d’autres matériaux, cela n’est pas le cas si l’exploitation a été réalisée avec des engins lourds et surtout si la chaîne d’exploitation implique des transport sur des longues distances” [Canopée, 2020]. Par ailleurs, la

synthèse du rapport « Gestion forestière et changement climatique : une nouvelle approche de la

stratégie nationale d’atténuation » [Ibid.] démontre que vouloir stocker du CO2 en intensifiant le

prélèvement d’arbres en France aujourd’hui serait contre-productif et réduirait le puits de carbone au

niveau national. Les experts suggèrent au contraire de laisser les arbres vieillir en France (79% ont moins

de 100 ans) et de limiter les coupes à la production du seul bois d’œuvre indispensable à la construction

durable, tout en réduisant drastiquement les prélèvements pour le bois-énergie en le limitant aux coproduits issus de la sylviculture. “Orienter la sylviculture vers la production de bois d’œuvre de qualité ”,

“Privilégier des méthodes d’exploitation douces et la transformation locale du bois” sont les principales

recommandations de ce rapport.

La mauvaise gestion et la surexploitation des ressources d’un territoire, quelles qu’elles soient, n’est en

rien souhaitable. Des possibilités et des études existent permettant de rentabiliser de manière durable certaines exploitations sans nuire aux sols ou aux paysages. Cela peut être le cas, par exemple, avec la

production de bois d’œuvre dans les bocages ou en agroforesterie, la valorisation de la paille quand elle

est en surplus, ou encore la plantation de chanvre en tête d’assolement pour fertiliser les sols. Ces

ressources qui n’entrent pas en conflit avec d’autres usages et ne détériorent pas les écosystèmes peuvent alors être valorisées sans inconvénients en tant que matériaux de construction.

C’est pourquoi il est important de faire bien attention à ne pas passer d’un système inefficace et non-

durable à un autre. Il est selon moi important de ne pas prôner une seule manière de faire, mais bien l’adaptation aux conditions sociales et économiques, et aux ressources locales et humaines du territoire

dans lequel on intervient. Valoriser uniquement le bois, par exemple, conduirait à surexploiter cette ressource et à menacer certains écosystèmes. C’est à mon sens la valorisation de l’ensemble des matières

et matériaux au bon endroit et de la bonne façon qui peut garantir une utilisation durable et efficace des

ressources d’un territoire. Au niveau constructif par exemple, le bois est particulièrement efficace en

WWF (2018). « Plantations industrielles d’arbres à croissance rapide. Réalité, risques et solutions » (en ligne). URL : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2018-07/20180702_Rapport-plantations-industrielles-arbres-croissance-rapidemin.pdf, consulté le 24/08/2020.

140 Borzakian, Manouk (2018). « Locarno (7). Le capitalisme touche du bois » dans Géographie en Mouvement - Libération, publié le 07/08/2018 (en ligne). URL : http://geographiesenmouvement.blogs.liberation.fr/2018/08/07/locarno-7-lecapitalisme-touche-du-bois/ 139

97

structure, la paille en isolation, la terre crue en revêtement intérieur ou extérieur. Le mélange de plusieurs

techniques et matériaux peut être beaucoup plus vertueux et plus économiques en termes de ressources, que l’utilisation massive d’un seul procédé. Si ces matériaux ne sont pas disponibles localement, il s’agira

de s’adapter avec d’autres qui seront tout aussi efficaces, et selon leurs propres caractéristiques.

C’est donc une connaissance des territoires et une valorisation durable des ressources qu’il semble important

de mener, une adaptation au contexte et aux besoins, ainsi qu’une dé-standardisation des procédés normatifs et industriels permettant trop peu de flexibilité.

Atouts pour le paysage urbain Si la demande sociale de nature peut être comblée en partie par l’utilisation des matériaux

naturels dans la construction des bâtiments, leur emploi serait un atout majeur pour la construction de la ville durable de demain. En effet, d’un point de vue écologique tout d’abord, la consommation de ressources non renouvelables par les gros consommateurs, que sont les agglomérations urbaines, pourrait s’en trouver diminuée. En matière de ressources locales disponibles, cependant, l’intérêt en ville serait

aussi la valorisation des déchets déjà présents. On peut prendre pour exemple la mise en valeur des terres

du Grand Paris Express, qui est en train de prendre forme dans la constitution d’une filière terre crue de construction pour la région Ile-de-France (projet Cycle-Terre porté par la ville de Sevran). Il me semble

que ce sont surtout les filières du réemploi qui devraient être développées en priorité en ce qui concerne

les villes. En effet, les projets voyant le jour dans les zones urbaines denses induisent presque toujours la

destruction de bâtiments existants. Si la rénovation ou la récupération des matières premières étaient

priorisées, la consommation des villes en termes de matériaux de construction en serait transformée. Les filières du réemploi sont par ailleurs également créatrices de main-d’œuvre supplémentaire et de valeur

ajoutée. C’est ce que met en œuvre notamment la coopérative « Bellastock », en proposant des solutions

de réemploi aux maîtres d’ouvrage, et cela dès l’amont des projets. Ainsi par exemple, sur le projet de la Ferme des Possibles à Stains, menée par Archipel Zéro, la façade principale a été créée avec des fenêtres

issues de la démolition d’un immeuble des années 70. Les briques de terre crue utilisées ont été, elles aussi, récupérées d’un workshop organisé par Bellastock. En définitive, seuls les éléments qui n’ont pas

pu provenir du réemploi ont été conçus en matériaux naturels, la structure en bois, l’isolation en paille, et les enduits en terre crue provenant directement du site. Ces matériaux seront eux aussi par la suite, en

fin de vie du bâtiment, réutilisables ou compostables. C’est ainsi que l’on crée une boucle vertueuse et

une économie circulaire indispensable à la mise en place d’une société plus durable.

98

Figures 101 et 102 : Façade constituée de menuiseries réemployées issues d’un chantier de démolition, Ferme des Possibles à Stains (93), visite du 02/07/2020. ©Cécile Pélissier

L’utilisation plus massive des matériaux naturels pourrait en outre améliorer la qualité de vie en ville et

satisfaire le plus grand nombre, en proposant des espaces plus confortables à l’intérieur des bâtiments, et

en composant un paysage urbain plus sensible et proche des formes et couleurs rencontrées dans les milieux naturels. Par ailleurs, si la demande sociale de nature en ville était en partie satisfaite par la

matérialité du bâti lui-même, les espaces de végétation urbaine trop consommateurs d’espace, d’énergie

ou de ressources, pourraient être limités ou mieux répartis. Il me semble cependant primordial que

l’augmentation d’espaces végétalisés, ainsi que la déminéralisation des sols, accompagnent la matérialité du bâti, d’une part pour lutter contre les îlots de chaleur qui vont devenir de plus en plus problématiques,

et pour garantir le maintien d’une certaine biodiversité. C’est selon moi la condition à l’existence du sentiment de nature en ville, ces éléments n’étant pas dissociables mais complémentaires. Si les citadins « se sentent mieux » en ville, si leur sensibilité est stimulée dans le bon sens, ceux-ci accepteront peut-

être mieux une densité qui paraît a priori peu supportable. Cela participerait à contrer l’étalement urbain,

consommateur d’espaces naturels agricoles ou forestiers, et également à limiter la mobilité de compensation. On peut ainsi se mettre à rêver d’une ville plus sensible, plus naturelle, moins consommatrice de ressources, plus sociale et finalement plus durable.

Figure 103 : Visite logements bois à St Nazaire (44), ZAC Courtil Brécard, le 12/05/2020 ©Cécile Pélissier

Figure 104 : Visite Ferme du Rail Paris (19ème), le 16/05/2020 ©Cécile Pélissier

99

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Legrand (Novabuild), Erwan Hamard (chercheur à l’université Gustave Eiffel), Corentin Mouraud

(Entrepreneur), 60 minutes.

« Manifeste pour un urbanisme circulaire », webinaire présenté par DIXIT, avril 2020, Sylvain Grisot. « Bellastock », webinaire présenté par Comité 21 Grand Ouest, 21/04/2020, avec Marie Labousset de Comité 21 et Mathilde billet de Bellastock.

« C POSITIF », webinaire présenté par Novabuild, 22/04/2020, revue de projet « Les petits ensembles » à Guérande avec Bruno Belenfant architecte du projet.

« Ensemble pour demain : La nature en ville, une « promesse Dangereuse » », webinaire présenté par

Leonard, 20/04/2020, avec Jean-Christophe Fromantin (maire de Neuilly-sur-Seine) et Didier Sicard (épistémologiste).

Émissions / Podcasts / vidéos « Comment l'histoire de l'urbanisme est liée à la lutte contre les épidémies », France Inter, Le virus au carré, 03/04/2020, avec Philippe Rahm, 16 minutes, présenté par Mathieu Vidard.

« COVID-19 : Les villes devront probablement revoir leur design », ICI Radio Canada, publié le 31/03/2020, avec Matthieu Dugal et Marc-André Carignan.

« Retour d’expérience sur le domaine de la terre », OPAC 38, réalisation Anne-Sophie Seguin,

25/01/2019, (https://www.youtube.com/watch?time_continue=26&v=LtA5yHpBd_Q).

MOOC

« Découvrir le bâtiment biosourcé », Karibati et Ville Aménagement Durable, février 2020, 4h. « Construire en terre crue aujourd’hui », Amàco, février 2020, 6h30. « Construction Chanvre », École Nationale du Chanvre, juillet 2020, 4h Expositions « Réenchanter le monde, architecture, ville, transitions » au Forum, Maison de l’architecture de Normandie, Rouen, du 14/03/2020 au 19/09/2020. Visité le 22/05/2020.

Entretiens semi-directifs par téléphone ou sur site Architectes / Artisans : Julia Turpin, architecte de Grand Huit, 27/04/2020, 8 minutes.

Frédéric Denise, architecte de Archipel Zéro, 28/04/2020, 40 minutes.

Corentin Desmichelle, architecte de l’Atelier Desmichelle Architecture, 27/04/2020, 30 min.

Hervé Potin, architecte de Guinée-Potin Architectes, 01/05/2020, 25 min.

Camille Behaghel, architecte de l’Atelier 108 Architecture, 15/05/2020, 40 min.

Olivier Pouvreau, architecte Olivier Pouvreau, 18/05/2020, 30 min.

Frédéric Mercier, architecte FRAMM, 05/06/2020, 45 min.

Sylvie Wheeler, artisane enduiseuse terre crue, 19/06/2020, 15 min.

Arthur Hellouin de Menibus, chercheur Eco-Terra, 23/06/2020, 40min.

Bruno Belenfant, architecte Atelier Belenfant-Daubas, le 19/12/2019, retranscrit et réalisé par Corinne Hélière, ENSA Nantes.

Maîtres d’ouvrage / habitants : Corinne Lorentzs, directrice du pôle culturel et associatif de Courtenay, 02/06/2020, 40 min.

Dirigeant de JPF SARL, entreprise chauffage bois, 02-06, 20 min.

L.D. et A.D., habitants à l’écohameau du Plessis (visite de site).

A.G., auto-constructeur à l’écohameau du Plessis (visite de site).

Directrice de l’école « La ruche », et une institutrice, à Perthes-en-Gâtinais (visite de site).

Pascal Magnier, adjoint au service urbanisme de Perthes-en-Gâtinais (visite de site).

N.M. et C.M., auto-constructeurs, Hérépian (chantier participatif).

Questionnaires en ligne « Ville durable & Confinement », 231 répondants, du 29/03 au 18/04. « Matériaux naturels et habitat sensible », 49 répondants entre le 06/05 et le 02/06.

Visites de sites Le Lain, Ploeren (56), rue du Phare de Plen Menn, 28 logements sociaux collectifs, Olivier Pouvreau

Architecte, Bretagne Sud Habitat, 11/05/2020 15h, 20 minutes.

ZAC Kerfontaine, rue René Cassin, Séné (56), 25 logements sociaux collectifs, Olivier Pouvreau

Architecte, Bretagne Sud Habitat, 11/05/2020 16h, 20 minutes.

ZAC Maisonneuve, Guérande (44) « Les petits ensembles », 1 à 3 rue des Arpents, 11 logements collectifs participatifs, Atelier Belenfant-Daubas Architectes, 12/05/2020, 14h, 45 minutes.

ZAC Courtil Brécard, îlot C, Allée Michel Petrucciani, Saint Marc sur mer, Saint Nazaire (44), 20 logements collectifs, Guinée Potin Architectes, 12/05/2020, 16h, 30 minutes.

La Ferme du Rail, 2 bis Rue de l'Ourcq, 75019 Paris, 20 logements sociaux collectifs, serre et restaurant, Grand Huit Architectes, 16/05/2020, 15h, 60 minutes.

Écohameau du Plessis, Pontgouin en Eure-et-Loire, RDV avec L.D et A.D. puis A.G., 80 min. École primaire La ruche, Perthes en Gâtinais, RDV avec Pascal Magnier du service urbanisme puis avec la directrice de l’école, 45 min.

Chantier de maison individuelle en bois-paille-terre à Hérépian (34), chez N.M. et C.M., trois jours de

chantiers participatifs.

« Résilience », La Ferme des Possibles, à Stains (93), halle de production, restaurant et bureaux associatifs, Archipel Zéro Architectes, 02/07/2020, une journée de chantier participatif.

Chantier de maison individuelle en bois-paille à Bouglainval (28), le 04/07/2020 dans le cadre des journées portes ouvertes du réseau Twiza.

Chantiers participatifs Construction bois-paille et enduits terre crue chez N.M. et C.M., réseau Twiza, Hérépian, 3 jours, 11-

12-13 juin 2020.

Enduits terre crue et cellulose, Ferme des Possibles avec Archipel Zéro, Frédéric Denise, 1 journée, 02 juillet 2020.

Annexes GUIDE D’ENTRETIEN UTILISÉ Questions architectes / entrepreneurs orientés éco-matériaux

• • • • • • • • • • •

Quels sont vos éco-matériaux de prédilection, ceux que vous mettez en œuvre dans vos projets ?

Quels est leur part en général dans l’ensemble de vos constructions ?

Parmi ceux-ci, quels sont ceux qui se voient et qui contribuent à l'identité écologique de vos constructions / qui contribuent à leur identité locale-régionale ?

Avez-vous des retours sur les ressentis et le bien-être des habitants une fois les bâtiments livrés et vécus ? À votre sens quel est l’atout majeur des éco-matériaux sur le confort ?

Avez-vous vous-même expérimenté des ressentis particuliers pendant le chantier ou la réception ?

Quel est votre rapport aux matériaux biosourcés et géo-sourcés ? Comment les avez-vous découverts ? Vous êtes-vous formé spécifiquement ?

Avez-vous eu des ressentis ou une histoire particulière vis-à-vis d’un de ces matériaux qui vous a marqué ?

Seriez-vous d’accord pour diffuser dans votre réseau une enquête en ligne destinée aux habitants des constructions biosourcées et/ou géo-sourcées sur les ressentis ?

Avez-vous des collègues travaillant comme vous avec des éco-matériaux qui seraient intéressés par cette enquête ?

Souhaitez-vous recevoir les résultats de cette enquête une fois terminée ?

Questions architectes / entrepreneurs spécialisé sur un matériau X (naturel) • • • • • • •

Vous mettez en œuvre le matériau X dans la plupart de vos projets ? Avez-vous d’autres matériaux de prédilection ?

Comment avez-vous découvert le matériau X, vous êtes-vous former spécifiquement ?

Avez-vous des retours sur les ressentis et le bien-être des habitants une fois livré et vécu ?

Avez-vous vous-même expérimenté des ressentis particuliers pendant le chantier ou pendant les visites après réception ?

Avez-vous eu des ressentis ou une histoire particulière vis-à-vis de ce matériau X ?

Quels sont à votre sens les principaux avantages de ce matériau sur le bien-être et le confort intérieur ?

Seriez-vous d’accord pour diffuser une enquête en ligne destinée aux habitants des constructions biosourcées et/ou géo-sourcées sur les ressentis ?

10/05/2020

Matériaux naturels et habitat sensible

Matériaux naturels et habitat sensible Architecte et étudiante chercheuse (ENSP/AgroParisTech), je mène une étude sur les ressentis dans l’habitat naturel.

Ce questionnaire est destiné aux habitants de logements collectifs ou individuels construits majoritairement avec des matériaux naturels biosourcés et/ou géo-sourcés (bois, pierre, paille, terre crue, chanvre et isolants issus de la biomasse). Il est anonyme, les résultats seront analysés en vue de la production d’un mémoire de recherche et d'un rapport sur le rôle sensible des éco-matériaux.

Merci par avance pour votre participation !

Cécile Pélissier *Obligatoire

Description du logement

1.

Votre logement est-il individuel ou collectif ? * Une seule réponse possible. individuel collectif

2.

Se situe t-il dans : * Une seule réponse possible. une ville un village un hameau Autre :

https://docs.google.com/forms/d/1_qiOPfNpcl3zqJ-Y-JmBaDJ0TbOSBg9Ag6c8__j4Wcs/edit

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3.

Matériaux naturels et habitat sensible

Quelle est sa surface approximative ? * Une seule réponse possible.

- de 50 m² 50-100 m² 100-200 m² + de 200 m²

4.

Depuis combien de temps y habitez-vous ? * Une seule réponse possible.

- de 1 an De 1 à 5 ans 5 à 10 ans + de 10 ans

5.

Avez-vous précédemment habité dans un logement construit avec des matériaux dits «conventionnels» ? * Matériaux conventionnels : présents en quantité dans l'industrie, transformés, non naturels (béton, ciment, métal, PVC,etc).

Une seule réponse possible. oui non ne se prononce pas

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6.

Matériaux naturels et habitat sensible

Quels sont les matériaux naturels utilisés dans la construction de votre logement ?* Plusieurs réponses possibles. bois terre crue paille pierre sèche chanvre liège ouate de cellulose laine de mouton Autre :

7.

Sont-ils visibles ? * Une seule réponse possible.

Oui Non

8.

Si oui lesquels ?

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9.

Matériaux naturels et habitat sensible

Quelle est la part des matériaux non naturels dans la construction de votre logement ? * Plusieurs réponses possibles.

Dalle Structure Toiture Cloison Porte et fenêtre Revêtement extérieur Finition Aucun Autre :

10.

Décrivez la composition de votre logement : Plusieurs réponses possibles.

Bois

Pierre

Terre crue

Paille

Chanvre

Chaux

Autre naturel

Conventionne

Structure Isolation Finitions intérieures Revêtement extérieur Cloisons Sol Plafond

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Matériaux naturels et habitat sensible

11.

Ou expliquez précisément avec vos mots la composition de votre logement :

12.

Avez-vous participé à la construction de votre logement ? * Plusieurs réponses possibles. non oui

13.

Si oui, à quel niveau ?

Plusieurs réponses possibles.

Travaux de finition Plomberie / électricité Gros-oeuvre Auto-construction Autre :

Ressentis et perceptions intérieurs

14.

D'après vous, quels sont les sens qui sont le plus stimulés par les matériaux naturels dans votre logement ? * Une seule réponse possible par ligne.

Premier

Deuxième

Troisième

Quatrième

La vue Le toucher L'odorat L'ouie

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15.

Matériaux naturels et habitat sensible

À votre avis, par quel(s) matériau(x) naturel(s) ces sens sont-ils stimulés ? * Rattachez les sens aux matériaux présents dans votre logement :

16.

Pouvez-vous décrire plus précisément vos sensations et ressentis liés à la présence des matériaux naturels ?

17.

Pouvez-vous parler de votre rapport au toucher ? De la qualité de l'air à l'intérieur de votre logement ?

18.

Trouvez-vous qu'il émane une odeur particulière de votre logement ? * Une seule réponse possible. oui non

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Matériaux naturels et habitat sensible

19.

Si oui, comment la décririez-vous ?

20.

Précisez ces ressentis à l'intérieur de votre logement : * Une seule réponse possible par ligne.

Mauvais

Moyen

Bon

Très bon

Confort thermique été Confort thermique hiver Confort acoustique Confort olfactif Qualité de l'air et hygrométrie Esthétique des matériaux Qualité de la lumière Effet naturel Effet rassurant / enveloppant

21.

Comment évaluez-vous votre bien-être général à l'intérieur de votre logement ? * Une seule réponse possible.

1 Mauvais

2

3

4

5 Très bon

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Matériaux naturels et habitat sensible

22.

Si vous habitiez un logement non construit avec des matériaux naturels auparavant, pouvez-vous expliquer ce qui a changé dans votre vie quotidienne ?

23.

Selon votre expérience, quels peuvent-être les inconvénients liés à l’utilisation de matériaux naturels ?

24.

Y a-t-il un élément particulier de vos ressentis, émotions ou sensations liés aux matériaux dont vous souhaitez parler ?

Ambiance paysagère

25.

Depuis l’extérieur de votre logement comment évaluez-vous l’esthétique de votre bâtiment ? * Une seule réponse possible.

1 Mauvais

2

3

4

5 Très bon

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26.

Matériaux naturels et habitat sensible

Trouvez-vous que votre bâtiment s’intègre bien à son environnement ? * Une seule réponse possible. oui non

27.

Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

28.

Avez-vous un jardin ou un accès à un espace extérieur de verdure ? * Une seule réponse possible. oui non

29.

Si oui, de quelle surface environ ?

30.

Depuis chez-vous avez-vous une sensation de nature ? * Une seule réponse possible. oui non ne se prononce pas

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Matériaux naturels et habitat sensible

31.

Si oui, pensez-vous qu’elle provient du logement lui même ou de l'extérieur ?

Une seule réponse possible. du logement de l'extérieur les deux ne se prononce pas

32.

À votre avis, votre logement a t'il une esthétique locale/régionale ? * Une seule réponse possible.

1

2

3

4

5

non

33.

oui

Considérez-vous que votre logement à une esthétique écologique ? * Une seule réponse possible.

1 non

34.

2

3

4

5 oui

Selon vous, quel effet produit votre logement sur des passants à l'extérieur ?

Renseignements

Permet de mieux analyser les réponses et de pouvoir établir des échantillons.

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35.

Matériaux naturels et habitat sensible

Etes-vous une femme ou un homme ? * Une seule réponse possible.

Femme Homme Autre

36.

Quel est votre âge ? * Une seule réponse possible.

18/25 ans 26/35 ans 36/50 ans 51/65 ans + 65 ans

37.

Combien de personnes composent votre foyer ? * Une seule réponse possible.

1à2 3à4 5à6 + de 6

38.

Quel est votre code postal ? *

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Matériaux naturels et habitat sensible

39.

Quelles sont les relations que vous entretenez avec la nature en général ?

40.

Habiter un logement éco-construit était-il une volonté personnelle ? * Une seule réponse possible. oui non ne se prononce pas

41.

Si oui, qu'est-ce qui a motivé votre choix en priorité ?

Plusieurs réponses possibles.

En premier

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Empreinte écologique Confort / Esthétique Santé / Sécurité Economie locale Conditions de chantier

42.

Faites-vous partie d'une association en rapport avec l'éco-construction ? * Une seule réponse possible. oui non

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43.

Matériaux naturels et habitat sensible

Accepteriez-vous que je vous contacte pour un entretien plus approfondi ?

Auquel cas merci de me laisser vos coordonnées (mail ou téléphone) :

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