Camper - The Walking Society - Numéro 13 - Ydra

Page 1

13Numéro–F/W 2022

2

THE WALKING SOCIETY

CAMPER signifie « paysan » en majorquin. La simplicité du monde rural se mêle à l’histoire, à la culture et aux paysages de la Méditerranée, et influencent notre esthétique et nos valeurs. Notre respect des arts, de la tradition et du savoir-faire ancre notre promesse d’apporter des produits originaux, fonctionnels et de haute qualité, empreints d’une esthétique séduisante et d’un esprit innovant. Nous aspirons à adopter une approche plus humaine de notre activité, avec l’ambition de promouvoir la diversité culturelle, en plus de préserver l’héritage local.

3

YDRA Nous avons pris le bateau à destination d’YDRA en vue de découvrir une île unique en son genre en Méditerranée. Dans cet endroit accessible uniquement à pied ou à cheval, le paysage urbain n’a pas changé depuis plus d’un siècle. On y vit à un rythme tranquille et dans le plus grand respect de l’environnement.

Cette treizième édition est un voyage à destination d’une île grecque ancrée harmonieusement entre passé et présent. Une expérience artistique couronnée de succès année après année depuis des décennies, dont l’héritage culturel et créatif unique continue de prospérer.

WALK, DON’T RUN.

MARCHER signifie voyager : aller d’un endroit à un autre. Avancer, explorer et innover. The Walking Society est une communauté virtuelle ouverte à tous, toutes origines sociales, culturelles, économiques et géographiques confondues. Tant individuellement que collectivement, TWS défend l’imagination et l’énergie, et propose des idées et des solutions utiles pour améliorer le monde. Simplement et en toute honnêteté.

Ydra

5 F/W 2022 – Numéro 13

6 Vangelis est d’une nature peu loquace. Né à Vlichos, un petit village à l’est du port, il passe ses journées en compagnie de ses chevaux, Aris et Misty, déplaçant des chargements du port vers les hauteurs de l’île.

7

Quels changements se sont donc opérés sur Ydra depuis 1941 ? L’électricité est arrivée sur l’île à la fin des années 1960. C’est à peu près à la même époque qu’une foule d’artistes, d’écrivains et d’acteurs se sont rendus sur l’île pour y vivre. Ces intellectuels marchaient sur les pas des peintres grecs et de Henry Miller, qui découvrit l’île avant tout le monde. C’est là où Patrick Leigh Fermor écrivit Mani : Voyages dans le sud du Péloponnèse, l’un de ses ouvrages les plus célèbres. Pour sa part, Leonard Cohen arriva au printemps 1960.

De ses années de liberté sur Ydra, il dira plus tard : « C’était comme si tout le monde était jeune, beau et talentueux, comme poudré d’une sorte de poussière dorée ». Et encore aujourd’hui, le talent, tel un esprit magique, continue de planer sur l’entrelacs sinueux des rues étroites d’Ydra qui grimpent du port

Une miche de pain pétrifié, flottant immobile, sereine, dans la mer Égée. À l’approche de l’île d’Ydra, ce n’est pas la première image qui vient à l’esprit. Toutefois, c’est la description qu’en fait Henry Miller dans son journal de voyage en Grèce intitulé Le Colosse de Maroussi, publié pour la première fois en 1941. Il écrit : « Ydra est un roc qui sort de la mer comme une énorme miche de pain pétrifié. C’est le pain changé en pierre que reçoit l’artiste en récompense de son labeur, quand il découvre la Terre promise ». Aujourd’hui, l’île continue d’être une « terre promise », ancrée dans l’authenticité, en dépit de son évolution indéniable au fil des 80 dernières années.

jusqu’à l’arrière-pays, bordées de murs blancs colorés de bougainvilliers fuchsia et orange. Ydra est une terre d’artistes, de commissaires d’exposition et d’organismes fondateurs. Et le plus connu de ces organismes fondateurs est le bureau satellite de la

DESTE Fondation pour l’art contemporain à Athènes, ouvert par Dakis Joannou. Chaque année, il invite un artiste à créer et exposer le fruit de son travail dans les espaces réduits de l’abattoir abandonné dominant la mer.

Avant l’émergence de la communauté créative venue s’installer sur l’île, et avant même l’indépendance de la Grèce en 1821, Ydra accueillait aussi bien les pirates que les corsaires, les grands capitaines que les navigateurs de renom. L’année 1821 est un nombre récurrent dans les rues aux alentours du port, figurant notamment sur l’enseigne d’un restaurant et sur les drapeaux flottant sur l’ancienne forteresse, à présent transformée en musée historique. En dépit de sa taille minuscule, Ydra a joué un rôle majeur dans la lutte des Hellènes contre l’Empire ottoman. Sa flotte constitua une arme décisive pour le royaume nouvellement fondé de Grèce, sous le commandement d’Iakovos Tombazis et Andreas Miaoulis, toujours célébrés comme des héros nationaux sur l’île. Le petit port rectangulaire est bien caché et protégé, grâce à la sagesse locale acquise au terme de siècles de navigation. À l’heure actuelle, ses quais accueillent les ferries

8

9

Dimitris travaille dans la pâtisserie que ses grands-parents ont fondée en 1930. Les douceurs à la pâte d’amande parfumées à l’eau de rose sont la spécialité de la maison.

10 Corinna Seeds est la fondatrice du Hydrama Theatre and Art Centre. Née en Grèce, elle a passé son enfance à Londres avant de revenir s’installer à Ydra. 2022F/WSet

11 Simon est un peintre français disposant d’une maison et d’un atelier sur l’île. Il y a plus de 12 ans, Simon a débarqué sur Ydra après s’être trompé de bateau. Il n’en est jamais reparti. 2022F/WWalden

PREMIER MAI p.87 La Grèce célèbre l’arrivée du printemps avec une explosion de fleurs. À l’occasion du 1er mai, connu sous le nom de Protomagia, il est d’usage de créer des couronnes florales avec de l’ail en guise de bon présage.

ENFANTS YDRA p.112 Près de deux cents enfants vont à l’école sur Ydra, ce qui garantit un âge moyen sur l’île plus bas que la moyenne nationale et de réelles perspectives d’avenir.

12 journaliers qui font la navette entre Ydra et Le Pirée, chargeant et déchargeant des visiteurs, des denrées alimentaires, du courrier et des piles de journaux. Aucun véhicule, bus, voiture, train n’est présent à l’arrivée. Car parmi les facettes d’Ydra restées immuables depuis des siècles, il y a l’absence de transport sur roues, à l’exception des chariots que les porteurs transportent au fil des rues pavées. Les visiteurs continuent de grimper jusqu’aux habitations à pied ou avec l’aide de petits âne qui attendent patiemment à quelques mètres de l’eau. Parmi les destinations visées se trouvent des tavernes tenues par des familles, des appartements en location et de petits hôtels qui n’ont rien de particulier. Ydra reste comme figée dans le temps, comme sous l’effet d’un sortilège magique impossible à reproduire et à retrouver.

STEPHAN COLLOREDO-MANSFELD p.51 Musicien et producteur, Stephan ColloredoMansfeld a été élevé sur l’île par sa famille cosmopolite. À l’heure actuelle, il est passé maître dans l’art d’organiser parmi les meilleures fêtes d’Ydra.

ATHLETICÒS OMILOS YDRAS p.121 Sur Ydra, le grand terrain de football est le fief de l’Athletikòs Omilos Ydras, en plus de constituer un espace de verdure pour les habitants de l’île. FAMILLE MARDEN p.133 L’art coule copieusement dans les veines de la famille Marden, en résidence d’été à Ydra depuis les années 1960. Un après-midi ensoleillé, nous les avons rencontrés dans leur paisible jardin à l’ombre des arbres.

MICHAEL LAWRENCE p.97 Le peintre Michael Lawrence a quitté la Californie pour Ydra afin de peindre sa liberté où se mêlent corps, mer, sexe et amour.

MARCHER À YDRA p.41 Entretien avec George Koukoudakis, maire d’Ydra, au sujet du rythme décontracté de l’île mais aussi de sa préservation et de son avenir.

HYDRAMA THEATRE AND ART CENTRE p.32 L’art dramatique puise ses origines en Grèce et l’île d’Ydra n’y est pas pour rien. Hydrama Theatre and Art Centre, fondés par Corinna Seeds, est véritablement une scène en pleine effervescence dans son jardin.

Un après-midi passé chez Dimitrios Antonitsis pour parler d’art et de l’exposition Hydra School Projects, un projet créé il y a des années pour accueillir des artistes sur l’île.

DIMITRIOS ANTONITSIS p.15

CHLOE, DENNIS, MELINA, ROULIS, ZEUS p.23 Il n’y a pas de voitures, de motos ou de transports publics sur Ydra, à l’exception de chevaux grecs, de petite taille quoique robustes, qui transportent les personnes et les biens à travers l’île.

DESTE FOUNDATION p.105 Ydra est une île d’art. Dakis Joannou et le département local de la DESTE Foundation, une institution pour l’art contemporain basée à Athènes, y ont largement contribué.

Kenneth Koch, un poète américain qui vivait sur Ydra à la même époque que Cohen, écrivit cette phrase très connue : « Une fois qu’on a vécu à Ydra, on ne peut vivre nulle part ailleurs, y compris à Ydra. »

NATURISME SPONTANÉ p.59 Même s’il n’existe pas de plages naturistes officielles dans l’archipel des Sporades où se trouve Ydra, la Grèce a toujours été une destination populaire pour les voyageurs en quête de ce genre de liberté.

13

Pater Ioanikios, âgé de 86 ans, est l’un des cinq prêtres orthodoxes de l’île. Représenté ici en train d’acheter du pain pour la messe, Peter raconte que son métier n’a pas changé depuis sa prise de service il y a plus de 40 ans, sauf pendant la pandémie.

ANTONITSISDIMITRIOS

15

Rencontre avec

Quiconque se rend sur Ydra verra Dimitrios Antonitsis déambuler dans les rues pavées, toujours élégamment vêtu d’une tenue délicate et enveloppante, empreint d’une élégance inattendue, à la fois excentrique et gracieuse. Véritable figure de proue d’Ydra, Dimitrios Antonitsis y réside depuis 40 ans et rares sont ceux qui connaissent l’île aussi bien que lui. Dimitrios est notamment à l’origine de l’Hydra School Projects, une exposition et un festival d’art qu’il organise chaque été depuis 23 ans. Des artistes comme Gregor Hildebrandt, Brice Marden et Kiki Smith y ont participé, sans oublier les jeunes artistes prometteurs qui côtoient de près les artistes de renom. Chaque nouvelle édition voit l’émergence d’une thématique inédite.

En tant qu’artiste, Dimitrios travaille depuis des années avec un matériau inhabituel : l’aluminium. Il emploie une technique spéciale fondée sur le recours à un alliage de titane qui confère à la fragilité légendaire de l’aluminium une résistance phénoménale. Ainsi, ses œuvres ont la durabilité nécessaire pour séduire à coup sûr les collectionneurs. Et sa maison s’en trouve largement ornée, à commencer par la porte. Son salon se trouve dans la cour extérieure où une table entourée de six chaises en aluminium sont installées sur une terrasse à l’abri du soleil pendant les heures les plus chaudes de la journée. L’intérieur regorge d’œuvres de toutes tailles, parmi lesquelles les trois chiens de Dimitrios évoluent entre accès de léthargie et poussées d’enthousiasme. Quand Dimitrios s’assoit pour répondre à nos questions, le plus petit d’entre eux, un teckel noir prénommé Baracudaki, saute sur ses genoux pour s’y installer.

16

17 Hydra School Projects se trouve dans l’ancien lycée de l’île dans l’une des rues périphériques de la ville, non loin du port.

18

La maison de Dimitrios Antonitsis est ornée d’aluminium et de ses propres sculptures. S’y trouve notamment une réinterprétation de la Colonne Sans Fin de Brancusi, constituée d’amphores grecques traditionnelles.

19

Vous quittez l’île pendant les mois où les températures baissent comme beaucoup d’autres résidents ? Je voyageais beaucoup avant la Covid. Puis j’ai découvert qu’Ydra était aussi splendide en automne et en hiver que pendant l’été. J’ai passé une partie de l’hiver ici cette année. L’Hydra School Projects est un moyen de continuer à faire vivre l’île d’un point de vue artistique et culturel ? C’est tout à fait ça. Quand j’ai lancé l’Hydra School Projects, je voulais qu’un maximum d’artistes exposent ici. J’invitais 10 à 11 nouveaux artistes ici chaque année, veillant à mêler des artistes bien établis comme Brice Marden et de jeunes artistes. Ça a toujours été très international. Avant le lancement de School Projects, nombre d’artistes à Ydra se focalisaient sur la mer et les bateaux. C’est pourquoi ma toute première exposition fut exclusivement composée d’œuvres abstraites, de vidéos d’art et d’installations qui n’avaient rien à voir avec la mer. L’une des œuvres a été nominée pour l’éminent prix Hugo Boss, coordonné par le Guggenheim !

C’est vrai, même si l’œuvre portait plus sur l’esthétique de la grandeur que sur celle du tourisme. Ces photographies, c’est Instagram avant Instagram. C’est Instagram en 1968. Ça s’inti tulait Soul Substitute parce que, dans un certain sens, lorsque vous regardez ces photos, vous ne vous focalisez pas sur le lieu en soi mais sur sa propension à être Instagrammable.

Pourquoi Ydra vous a autant marqué à l’époque ? Il y a quelque chose de magique ici. La manière dont le port est caché quand la mer est calme et que vous arrivez par le nord. Le port reste invisible jusqu’au dernier moment. C’est une surprise. Je dirais même plus, c’est un crescendo. Vous naviguez et seuls s’offrent à votre regard des rochers, encore des rochers, toujours des rochers. Et tout à coup, subitement, apparaît ce minuscule port symétrique. C’est incroyable.

Je pense que cela est inévitable, du fait des avancées de la technologie et d’une meilleure accessibilité de l’île aux voya geurs. C’est un risque bien difficile à éviter. Cela me fait penser à votre œuvre réalisée en 2014, Soul Substitute, une série de photographies tirées des archives de l’Office national hellénique du tourisme et imprimées sur du cuir fin en guise de campagne pour promouvoir l’héritage architectural grec, avec en vedette des célébrités comme Grace Kelly. Déjà à l’époque, vous vous intéressiez au tourisme et à la manière dont certains lieux sont perçus par les foules comme des cartes postales animées.

Au sujet des matériaux que vous utilisez dans votre travail, en quoi l’aluminium vous attire ? J’aime que l’aluminium soit froid mais malléable, brillant mais sensible. Je perçois une constante dichotomie dans ce métal fra gile. Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par le concept d’outsider et à mes yeux, l’aluminium est l’outsider des métaux car tout le monde cherche toujours à avoir du bronze. Les artistes locaux se rassemblent presque tous les soirs dans l’une ou l’autre des maisons de l’île et parmi les fêtes organisées, certaines ont été véritablement mémorables. Pensez-vous que ces fêtes font partie intégrante de l’âme d’Ydra ?

Anciens pirates, les rusés Hydriotes surent positionner et construire le port avec finesse, de telle façon que si vous navi guez autour d’Ydra, vous apercevez la ville pendant quelques minutes seulement avant qu’elle ne se dérobe à nouveau au regard. C’est comme un mirage. Impossible de savoir avec certitude si vous l’avez bien vu ou non car le port est si petit et si bien caché qu’il passe devant vous comme dans un éclair. Et comment en êtes-vous venu à vous installer ici ? J’ai été adopté, d’une certaine manière. Je vivais à Zurich mais j’étais là tous les étés. C’était déjà une communauté d’artistes internationaux et de commissaires d’exposition grecs. C’était un groupe merveilleusement extravagant. Nombre d’entre eux ne sont plus avec nous aujourd’hui. Ils sont morts ou ont vendu leur maison. Je veux que cette communauté continue à prospérer. Je réalise combien la vie est difficile ici pour une personne âgée de 70 ans, 80 ans, car tant de maisons sont perchées parmi les rochers. La famille Marden a eu l’intelligence d’acheter une maison dans le bas du village. Helen Marden m’a recommandé cette maison lors d’une promenade un jour. Elle a un sixième sens en matière d’immobilier, c’est quelque chose qu’elle a dans le sang. Cette maison tombait en ruine à l’époque.

Dimitrios, commençons par le commencement. Comment êtes-vous tombé amoureux d’Ydra et comment en êtesvous venu à vivre ici ? Mon histoire avec Ydra a commencé il y a bien des années. À l’époque, j’étudiais à Zurich et je venais en famille naviguer dans la région pendant les vacances. Mes parents invitaient leurs amis et j’invitais les miens. Chaque année, l’escale que nous faisions à Ydra était toujours la plus mémorable. C’était toujours la dernière étape de notre voyage, du fait de sa proximité avec Le Pirée. Nous faisions du bateau, nous nous arrêtions dans une foule d’îles et nous passions des vacances formidables. Toutefois, les souvenirs qui restent profondément gravés dans ma mémoire sont les moments passés sur Ydra. C’était dans les années 1990 ?

Malheureusement non, dans les années 1980 !

Ydra gagne en popularité et attire toujours plus de visiteurs du monde entier. Pensez-vous que ce phénomène pourrait ruiner son héritage naturel et culturel ?

Faire la fête, c’est toujours important, voici ma devise. Les fêtes à Ydra sont un terrain d’observation formidable qui per met de voir comment la plupart des étrangers se conduisent quand ils se sentent libres ou débridés. Beaucoup d’entre eux mènent une vie très différente en ville et tous aspirent à goûter au style de vie légendaire de Grèce et d’Ydra. C’était encore très amusant il y a des années quand il n’était pas pos sible de Googler les gens et donc impossible de déterminer si Untel était un écrivain de renom, un escroc ou une vedette

Dans quelle mesure le milieu de l’art contemporain en Grèce a-t-il évolué ?

C’était un milieu fantastique dans les années 1990 et 2000 car il y a avait tant d’argent à dépenser. Il y avait de gros acheteurs, et pas seulement des acheteurs internationaux mais des Grecs aussi. Il y a avait ce groupe très enthousiaste de jeunes collectionneurs qui ont apporté un énorme soutien aux jeunes artistes grecs dans les premiers temps. Malheureusement, ils ont été infecté par ce que j’appelle le « virus de la foire d’art », achetant exclusivement des œuvres lors de manifestations comme Art Basel et nulle part ailleurs. Puis la crise économique grecque est survenue et depuis, rien n’est plus comme avant. Au-delà de la prochaine exposition Hydra School Projects, qu’avez-vous comme projet ? Tout se passe très bien pour moi, dans la mesure où je viens d’organiser une excellente exposition intitulée Brice Marden et l’Antiquité grecque au Musée d’Art cycladique, un véritable éden à mes yeux. Savez-vous que la notion de paradis n’est pas un concept chrétien ? Cela nous vient de Perse. C’était un jardin fermé et protégé, regorgeant de plantes et d’animaux magnifiques, au sein duquel il était facile de chasser et se nourrir. C’était un lieu agréable dédié au plaisir. Le fait que l’on m’ait demandé d’organiser une exposition au Musée d’Art cycladique, m’amenant à m’immerger dans l’abondance extraordinaire d’œuvres de la Grèce antique pour les placer aux côtés de celles d’un de mes artistes contemporains préférés, à savoir Brice Marden, pour moi, c’était le paradis. Et pour répondre à votre question, je n’ai pas de projet particulier pour le moment. Je veux simplement savourer ce moment, ce à quoi je m’adonnerais jusqu’à la fin août.

dans quelque domaine que ce soit. Il y a avait des gens de tous les horizons. Des femmes se prétendaient princesses de Perse, des hommes se présentaient comme des milliardaires. Tout le monde se réinventait sur Ydra. Ces fêtes étaient donc à la fois tragiques et comiques, d’une incroyable théâtralité.

Manifestez-vous toujours le même enthousiasme 23 ans plus tard ? Laissez-moi vous dire quelque chose : l’architecture et les façades restent les mêmes mais c’est un combat perdu d’avance. Les années passent et votre corps s’affaiblit. Ainsi, votre corps et votre esprit changent mais l’architecture reste inchangée. À un moment donné, je ne serai plus là, l’Hydra School Projects n’existera plus et rien de tout cela ne subsis tera. Toutefois, je continue de croire que, sur le plan méta physique, quelque chose restera des artistes qui sont venus ici et ont trouvé l’inspiration sur Ydra.

20 « Il y a quelque chose de magique ici. La manière dont le port est caché quand la mer est calme et que vous arrivez par le nord. Le port reste invisible jusqu’au dernier moment. C’est une surprise. Je dirais même plus, c’est un crescendo. Vous naviguez et seuls s’offrent à votre regard des rochers, encore des rochers, toujours des rochers. Et tout à coup, subitement, apparaît ce minuscule port symétrique. C’est incroyable. C’est comme un mirage. Impossible de savoir avec certitude si vous l’avez bien vu ou non car le port est si petit et si bien caché qu’il passe devant vous comme dans un éclair. »

23

DENNISCHLOEMELINAROULISZEUS

À votre arrivée au port, les âne sont les premières créatures que vous remarquez. Robustes quoique de petite taille, ces animaux qu’il est fréquent de retrouver sur les îles grecques sont le moteur d’Ydra et l’un des seuls moyens de transport sur l’île. Un cheval hennit. C’est le son produit par la sonnette de Harriet Jarman. Née en Angleterre, cavalière de compétition quasiment depuis sa naissance, Harriet vit à Ydra depuis l’an 2000, l’année où elle s’est installée sur l’île avec sa famille. En 2014, elle a fondé une association qui fait de l’élevage de chevaux ici. Les chevaux d’Harriet entraînent les visiteurs à la découverte des plages, des sentiers de montagne, des vallées et des pics élevés bien loin du centre-ville. « Je veux montrer aux gens pourquoi je me suis installée ici », dit-elle. « Ydra est bien plus qu’un simple port. »

Demandez à Harriet Jarman quand elle prend des vacances loin de ses chevaux et elle vous répondra avec conviction, le sourire aux lèvres : « Je vis déjà au paradis, je n’ai pas besoin de partir souvent en vacances ».

24

2022F/WPix

27

Les chevaux d’Harriet ne sont pas natifs d’Ydra et proviennent d’autres îles grecques et du continent. Un seul d’entre eux est né et a grandi sur l’île : c’est Dennis.

2022F/WMilah

28

29 2022F/WBonnie

Aucun vétérinaire ne vit sur Ydra, ce qui est surprenant pour une île qui dépend autant du transport à dos de cheval. Heureusement, le GAWF (Greek Animal Welfare Fund) se rend sur l’île chaque année pour faire un bilan de santé à tous les chevaux.

30

2022F/WPix

Chaque année, Hydrama Theatre and Art Centre de Corinna, attire des dizaines d’étudiants grecs et internationaux qui s’essayent au théâtre grec classique, en plus de cours de danse, de dramaturgie, de scénographie, d’analyse textuelle et bien évidemment de représentations publiques. Et c’est sans parler du développement et de la création de masques, des outils clés utilisés dans le théâtre grec pour représenter les personnages ou les humeurs. « Les gens étaient inquiets au départ », se rappelle Corinna. « Ils voyaient ces comédiens affublés d’étranges masques et se montraient méfiants à l’égard du théâtre. Une seule personne est venue à la grande première à l’époque. Aujourd’hui, le théâtre est toujours rempli d’une foule de personnes de tous horizons : des îliens, des touristes, des artistes de la scène locale, des dresseurs de chevaux, tout le monde. »

32 LE THÉÂTRE HYDRAMA

La maison de Corinna Seeds surplombe la mer d’un côté. De l’autre se déploie un amphithéâtre extérieur qu’elle a construit de ses mains. C’est une structure au design très simple, à l’image d’un théâtre grec classique. Corinna est née en Angleterre. Toutefois, de mère grecque, Corinna a passé son enfance à Ydra. Arrivée à l’âge adulte, elle est revenue s’installer sur l’île, quand il ne lui fut plus possible d’ignorer l’attraction qu’exerçait sur elle son ancien foyer.

« Il n’y avait pas d’activités artistiques, rien pour les enfants ni pour les adolescents », se rappelle-t-elle. « C’est la raison pour laquelle je me suis lancée dans le théâtre car c’était l’opportunité de bâtir une communauté, parmi les enfants tout particulièrement. »

41 MARCHER À YDRA avec le maire George Koukoudakis

42 52SURFACEKM2MILESDUNAUTIQUESPIRÉE37LARGEURMAXIMUM23KM 55LITTORALKM MONT EROS 592 M LARGEUR MINIMUM 6 KM

Les voitures sont interdites sur Ydra. Les motos et vélos aussi. Même s’il arrive de trouver une vieille bicyclette sur les petites plages, coincée entre deux barques de pêche. Se déplacer à pied dans la ville principale de l’île n’est pas un problème, compte tenu de ses dimensions réduites. Toutefois, se rendre dans les autres villages, à savoir Vlychos à l’ouest et Limnioiza à l’est, se révèle plus compliqué. Marcher demande de la patience et de l’endurance. À moins de se tourner vers le cheval comme moyen de transport, qui se monte en amazone à la mode d’Ydra.

Les bateaux qui font la navette entre Le Pirée et Ydra déchargent sur le quai des colis Amazon ainsi que du stock destiné aux bars et aux restaurants. Les cafés se remplissent à l’heure du petit-déjeuner, puis du déjeuner. Il en va de même pour les restaurants dont les tables sont disséminées à l’ombre dans les rues du port. Les âne attendent le prochain chargement, s’ébrouant pour chasser les mouches. Progressivement, le flux de bateaux se tarit, le soleil s’élève à son zénith et l’île attend que passent les heures les plus chaudes de la journée. Tout s’arrête sur Ydra et l’aprèsmidi s’écoule dans un silence quasi total. Ce que nous entendons par silence d’un point de vue urbain, c’est l’absence de bruits ambiants causés par les véhicules motorisés, le trafic et la rumeur chaotique de la ville. Car l’immobilité qui se coule sur Ydra pendant ces heures chaudes est, de fait, loin d’être silencieuse. En fond s’élève le chant ininterrompu des cigales cachées dans les pins maritimes, en plus de l’occasionnel claquement de sabots de chevaux agacés par les mouches et des cris répétés des goélands se disputant les restes de poisson trouvés sur le port.

Les matinées sont particulièrement animées sur Ydra. Les ferries chargés de touristes venus découvrir l’île le temps d’une journée s’avancent dans le port, les ancres lancées à l’eau émettent ce bruit de ferraille caractéristique et les amarres se tendent fermement autour des bittes prévues à cet effet.

43

« Il n’y a pas de véhicule motorisé parce que les gens qui vivent ici ont toujours désiré qu’il en soit ainsi. Une loi a été passée dans les années 1960, interdisant les motos et les voitures sur l’île. Seules quelques voitures

a étudié en Angleterre, décrochant une licence en Sciences politiques à l’Université d’Exeter, suivie d’études européennes à Cambridge avant de revenir en Grèce, à Athènes, pour son doctorat. Natif d’Ydra, il a choisi de retourner y vivre pour s’occuper de son île et de ses habitants : « J’aime toutes les facettes d’Ydra : sa communauté, son histoire, sa nature magnifique, son architecture ». Dans son studio sont accrochés des portraits des capitaines et des amiraux les plus célèbres de l’historique flotte hydriote.

44 sont autorisées sur l’île, avec un permis spécial délivré par le Ministère de la Culture. Lorsqu’un bâtiment public doit être construit ou rénové, nous devons faire une demande auprès du Ministère de la Culture afin de faire venir les véhicules requis », explique George Koukoudakis, le jeune maire de Koukoudakisl’île.

Voici l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés : nous sommes un musée en plein air… mais personne n’en paye l’entrée. » Se rendre sur Ydra oblige à ralentir la cadence, ce qui décuple le bonheur unique de passer des vacances sur l’île. La déconnexion n’est pas une option mais bien un état de fait naturel qu’il faut adopter. C’est une petite île mais tout prend du temps et il s’agit de s’adapter à son rythme. Bien évidemment, il y a des visiteurs qui consacrent quelques heures seulement à ce recoin de la mer Égée, le temps d’un aller-retour en ferry dans la journée. Toutefois, pour bien comprendre Ydra, il faut prendre le temps

Pour célébrer le bicentenaire de la Révolution en 2021, George a écrit un livre sur la guerre d’indépendance menée contre l’Empire ottoman. Il définit Ydra comme « un musée vivant en plein air », avec toutes les implications positives (et négatives) que cela entraîne. « Les édifices devant lesquels nous passons chaque jour sont ces mêmes bâtiments qui ont traversé les XVIIIe, XIXe et XXe siècles », explique-t-il. Toutefois, il y a un « débat éternel » quant aux avantages et aux désavantages de la conservation de ces bâtiments. Par exemple, les habitants d’Ydra n’ont pas le droit d’utiliser de panneaux solaires, qui sont pourtant largement adoptés dans toute la Grèce. « Naturellement, nous voulons préserver Ydra », explique Koukoudakis, « mais qu’avons-nous en contrepartie ?

45 IL N’Y A PAS DE LESMOTORISÉVÉHICULEPARCEQUELESGENSQUIVIVENTICIONTTOUJOURSDÉSIRÉQU’ILENSOITAINSI.UNELOIAÉTÉPASSÉEDANSANNÉES1960,INTERDISANTLESMOTOSETLESVOITURESSURL’ÎLE.

46 DISTANCE DU PORT À LA PLAGE D’AVLAKI 500 M TEMPS REQUIS POUR FAIRE LE TOUR DE L’ÎLE À PIED 13 HEURES

Les gens sont en quête d’un retour vers la nature, une tendance qui s’affirme non seulement en Grèce mais aussi dans toute l’Europe. Je pense que nous prenons finalement la bonne direction. Et ceux qui vivent ici jouissent d’une qualité de vie inégalable, entre flots cristallins, air pur et cadence ralentie. C’est un véritable privilège de vivre sur Ydra. »

47

Le mode de vie à des années-lumière de l’accélération ininterrompue et exponentielle vécue par le reste du monde ne pouvait manquer de présenter quelques inconvénients. Et ce qui embarrasse le plus Ydra ces dernières années est son incontestable dépopulation. Pendant la guerre d’indépendance, un jalon historique qui permet immuablement de s’orienter dans le temps, la population s’élevait à 16 000 habitants. Athènes était, à l’époque, une ville de 7 000 habitants et Le Pirée, un simple village de pêcheurs. À l’heure actuelle, l’île compte 2 000 habitants. « Toutefois, je suis optimiste et je tente de voir le verre à moitié plein », déclare Koukoudakis.

d’explorer l’île. Il faut parcourir ses sentiers à flanc de montagne, se prélasser sur ses plages cachées bien loin du port principal et déjeuner dans les tavernes encore rustiques, souvent tenues par des familles, qui servent du poisson pêché du jour, grillé à la perfection et toujours servi avec un quartier de citron pour une touche de fraîcheur. Sur Ydra, les restaurants pour touristes n’existent pas. Rien n’est produit à grande échelle et conçu pour des clients venus d’ailleurs, de l’Asie aux Amériques, au point que tout se ressemble. « Le tourisme n’est pas une menace ici », déclare le maire calmement. Nous disposons de 7 000 lits. Une fois ces lits occupés, personne d’autre ne peut venir. Nous n’avons jamais cherché à cultiver un tourisme de masse, simplement un tourisme de qualité. Il n’y a pas de grands hôtels, juste des maisons d’anciens capitaines et de petits boutiques-hôtels. L’établissement de tourisme principal sur Ydra dispose de 30 chambres. » Il y a aussi l’inévitable analogie maritime : « Ydra est comme un bateau disposant d’une capacité d’accueil limitée. Elle n’est en mesure d’accueillir qu’un nombre donné de passagers. »

«

48 NOUS DISPOSONS DE 7 000 LITS. UNE FOIS CES LITS PASSAGERS.DONNÉQU’UND’ACCUEILLIRN’ESTLIMITÉE.D’ACCUEILD’UNEDISPOSANTUNYDRAPEUTD’AUTREPERSONNEOCCUPÉS,NEVENIR.ESTCOMMEBATEAUCAPACITÉELLEENMESURENOMBREDE

51 Rencontre avec COLLOREDO-STEPHANMANSFELD

De la rue, la maison de Stephan Colloredo-Mansfeld ressemble à l’un des centaines d’édifices modestes de pierre blanche qui ornent les montagnes escarpées d’Ydra. À l’intérieur, au-delà d’une cour ombragée, se trouvent une terrasse et un imposant salon. Les plafonds sont élevés et les fenêtres offrent une vue imprenable sur le petit port, la mer et le continent un peu plus loin. S’y trouvent un triclinium, d’antiques chaises et un énorme buffet centenaire décoré d’aigles, en plus d’autres motifs n’appartenant pas à l’iconographie grecque. Il s’agit là d’objets de famille. Les origines des ColloredoMansfeld remontent d’après les archives au XVI siècle et s’ancrent quelque part entre l’Italie du nord-est et l’Autriche limitrophe. Rien ne laisse deviner chez Stephan les manières solennelles de la noblesse habsbourgeoise car il s’auréole plutôt de la liberté colorée des années 1970, la décennie au cours de laquelle sa famille est venue s’installer à Ydra. Sa maison était alors une manufacture de tapis. Aujourd’hui, c’est une belle demeure aux niveaux multiples, enjolivée d’art contemporain, d’objets anciens et même dotée d’un studio d’enregistrement qui regorge d’instruments cultes d’une grande rareté, situé au niveau inférieur à côté de la cuisine. S’y trouvent une batterie, des dizaines de guitares, d’autres instruments à cordes de différentes cultures, des basses, une table de mixage bien évidemment, entre autres équipements nécessaires à ses enregistrements. Stephan vit pour la musique. Le studio d’enregistrement a accueilli des musiciens comme Sébastien Tellier en 2019, des sessions d’improvisation collective et même des performances artistiques, menées notamment par la photographe Margherita Chiarva. Dans le studio d’enregistrement, dans une alcôve qui servait autrefois de four, Stephan s’est installé un lit dans le cas où il ait besoin de se reposer pendant une session. Ce lit d’appoint ne se trouve qu’à quelques centimètres de la batterie et d’un orgue des années 1960, l’opportunité pour Stephan de se lever en musique. Toute la maison, solitaire et perchée dans la partie haute de la vieille ville, semble se prêter à un isolement paisible et méditatif. Du moins jusqu’à ce que ses murs s’emplissent de musique ou des fêtes légendaires qui font de Stephan un hôte réputé sur l’île.

52

53

54

55

Tout se trouve à Miami car le climat ici à Ydra n’est pas bon : il y a trop d’humidité dans l’air. Votre maison semble idéale pour faire la fête.

Oui, je passe généralement quelques mois en Floride et les mois les plus chauds ici. Ma mère est en Autriche, mon père en Suisse et mes enfants vivent en Californie. Je voyage beaucoup mais mes deux bases principales sont ici et en Floride.

Toutefois, il y avait un groupe d’enfants étrangers qui ont grandi ici, dans un environnement largement influencé par la philosophie de la fin des années 1960, entourés d’artistes et d’individus excentriques que seul l’adjectif « surréaliste » pourrait décrire, avec du recul. Cette maison était une manufacture de tapis. A-t-elle été rénovée de fond en comble au fil des ans ? C’est un processus toujours en cours. Trouver des solutions, faire des expériences… C’est comme une thérapie ou de la méditation.

Stephan, vous vivez sur Ydra depuis très longtemps. Quelle enfance avez-vous eu ici ? Comment était-ce de grandir sur cette île sans pour autant être Grec de naissance ?

J’aime les collectionner. J’ai un orgue Farfisa Compact Duo que Pink Floyd utilisait dans les années 1960. J’ai aussi un thérémine et un mellotron. J’aime tout particulièrement les instruments exotiques. Ça a été difficile de faire venir tous ces instruments sur l’île ?

Pourquoi avez-vous décidé d’installer un studio d’enregistrement ici ?

Pas du tout, l’électricité a été installée dans les années 1960.

Comment et quand avez-vous commencé à vous passionner pour la musique ?

Sans aucun doute, Tellier, Sébastien Tellier. La musique continue de jouer un rôle important dans votre vie ? Vous vivez votre passion différemment par rapport à l’époque où vous étiez enfant ?

Oui, nous organisons beaucoup de fêtes ici et bien des choses se passent ici même ! Les amours s’épanouissent, les amours s’évanouissent…

Vous avez grandi dans une famille très internationale, multiculturelle. Comment votre famille est-elle arrivée sur Ydra et d’où venait-elle ? Ma mère est tchéco-canadienne tandis que mon père est suisse et grec. Respectivement peintre et sculpteur, ils vivaient sur la petite île de Kastellorizo. Quand ma mère a dû se rendre à Athènes pour accoucher, ils ont décidé de visiter Ydra après ma naissance car ma grand-mère grecque y avait une maison. Ils sont tout de suite tombés amoureux de l’île et de sa communauté, et décidèrent de s’y installer dans les années 1970. Il n’y avait pas d’électricité sur l’île jusqu’à récemment.

C’est important qu’il n’y ait pas de voitures sur Ydra car cela en fait une île réellement pittoresque et très retirée du chaos de la société contemporaine. Combiné à la lumière incroyable et à la disponibilité presque infinie du célèbre vin grec, le cachet de l’île se prête à la création d’une aura unique, magique.

J’ai eu une enfance très heureuse, pleine de magie, d’exploration et d’aventure. Nous étions une minorité.

Si on me le demande, oui ! Nous avons tous notre propre conception de la créativité mais oui, il m’arrive de produire de la musique.

Vous faites souvent le trajet entre Ydra et Miami ?

En principe, j’invite les gens que j’aime bien. Ils viennent ici, vivent ici. Mais c’est aussi un espace disponible à la location et dédié à l’enregistrement, la production. Et vous intervenez dans le processus créatif ?

Je dirais que la musique continue d’occuper une grande partie de ma vie. Je mène un projet de vinyles sur catalogue et je peux désormais recréer les sons qui m’accompagnent depuis mon enfance. Où se trouve votre colossale collection de vinyles ?

Vous êtes attaché à un instrument en particulier ?

J’ai commencé à collectionner des vinyles quand j’étais en pension en Autriche. J’avais 13 ans, je crois, et du mal à m’adapter aux merveilles du monde moderne. La musique était un moyen très agréable de s’échapper de la réalité et elle s’est imposée dans ma vie comme le plus fidèle des amis et des compagnons.

J’en avais discuté à plusieurs reprises avec un ingénieur du son américain qui vivait ici. Nous savions qu’Ydra avait un héritage musical considérable mais l’île était totalement dépourvue de ce type d’infrastructure. C’est ainsi que progressivement, au fil des ans, nous avons créé un véritable studio, autour duquel la maison s’organise désormais. Ainsi, j’ai réussi à m’entourer de la musique et de la culture de l’île. Il y a beaucoup de passage chez vous ?

Quel est l’artiste le plus original qui vous ait rendu visite ?

Leonard Cohen a écrit la chanson Bird on the Wire quand il était ici. Elle lui a été inspirée par un oiseau perché sur l’un des premiers fils électriques d’Ydra. C’était un lieu très spécial.

Oui, très difficile. Ce sont des instruments trop fragiles pour être transportés à dos de cheval ou d’âne et tous ont dû être transportés à la main depuis le port jusqu’ici.

Comment s’expliquent les rapports d’Ydra avec l’art, la musique et la créativité qui ont toujours animé l’île ? Il y a comme une sorte de magie dans l’air ?

C’est assez grand pour accueillir une personne. Apparemment, Ydra est aussi magique pour sa capacité à résister au tourisme de masse.

Vivre sur cette île, cela signifie quoi ? Y a-t-il quelque chose de spécial qui vous fasse dire : c’est chez moi ici ? J’ai voyagé dans le monde entier et j’ai toujours considéré Ydra comme ma maison, c’est incontestable. La familiarité de l’île, les odeurs et les souvenirs qui s’y ancrent sont irremplaçables.

Tout est en constante évolution. Je travaille sur un programme de résidence destiné aux musiciens ainsi qu’un espace pour organiser des concerts. J’ai aussi trouvé une ancienne citerne dans le jardin qui doit avoir quelques centaines d’années. J’aimerais la vider et en faire une chambre de séparation pour les voix afin d’obtenir une meilleure acoustique dénuée d’écho.

« J’ai eu une enfance très heureuse, pleine de magie, d’exploration et d’aventure. Nous étions une minorité. Toutefois, il y avait un groupe d’enfants étrangers qui ont grandi ici, dans un environnement largement influencé par la philosophie de la fin des années 1960, entourés d’artistes et d’individus excentriques que seul décrire,“surréaliste”l’adjectifpourraitavecdurecul. »

Avant d’appartenir à Stephan Colloredo-Mansfeld, l’ancienne manufacture de tapis était l’atelier de Demetri Gassoumis, un peintre grec qui a vécu sur Ydra pendant quelques années à partir de 1959.

La réponse la plus simple serait d’olives, d’amandes et de grenades. Mais plus globalement, ce sont tous les souvenirs heureux et insouciants que j’ai d’Ydra, que je tente toujours de recréer dans un contexte plus moderne et plus mature.

Vous n’avez pas de mal à vivre seul ? Pas le moins du monde. Je pense que c’est très important d’être à l’aise avec soi-même. Quels sont vos projets pour l’avenir ?

J’avais l’habitude d’en jouer mais à présent, produire est mon activité principale. J’aime la musique mais je n’ai jamais été réellement bon à quoi ce que soit en particulier.

Vous en jouez souvent ?

Quant à vos racines sur Ydra, de quoi sont-elles faites à votre avis ?

Oui, heureusement. Entre promouvoir la beauté de l’île et l’exploiter, il n’y a qu’un pas. Beaucoup de gens viennent ici parce que c’est un endroit encore caché, peu exposé. C’est comme un refuge, d’une certaine manière.

56

2022F/WWabi

Sur la plupart des îles méditerranéennes, en général, les plages les plus proches de la ville principale ne sont pas les plus éblouissantes. Toutefois, Ydra fait exception à la règle. Délaissant le port pour prendre la direction de l’ouest, à quelques minutes à peine de là, se trouve la plage d’Avlaki, une baie miniature de petite superficie, protégée du vent et bordée par une mer cristalline. La route se poursuit vers les hauteurs, épousant le littoral de l’île, ce qui oblige à descendre quelques marches couvertes d’aiguilles de pin pour rejoindre cette plage hybride présentant une plateforme de béton et de petites pierres arrondies. Plus loin se nichent les plages de Kamini, Vlichos et Plakes. Au-delà, toujours vers l’ouest, le voyage gagne en difficulté. Il ne s’agit plus d’une simple promenade mais d’une véritable randonnée. Il n’existe pas de plages naturistes officielles dans l’archipel des Sporades où se trouve Ydra. Toutefois, la Grèce a toujours été une destination populaire pour les voyageurs en quête de ce genre de liberté. Avec ses minuscules anses protégées par la nature et les rochers, Ydra offre une foule d’opportunités de s’abriter et de jouir d’une pleine liberté durant les mois de moindre fréquentation.

59

NATURISMESPONTANÉ

60 Il y a au moins 15 plages sur Ydra. La majorité des plages sont situées sur le flanc nord de l’île, face à la Grèce continentale, à l’exception de plages comme Klimaki, Nisiza et Limnioniza qui se trouvent sur la façade sud. Les trois dernières plages sont facilement accessibles en bateau-taxi ou au terme d’une randonnée éprouvante. 2022F/WNinaRight

61

Ydra est accessible par la mer depuis le port du Pirée, à 70 kilomètre environ de là, au terme d’un voyage en hydroptère de deux heures et demie. Toutefois, les habitants d’Athènes ou de Péloponnèse se rendent souvent au port de Metochi, où un ferry assure la liaison vers l’île en 20 minutes seulement.

64 2022F/WMyraCasi

65

2022F/WTrailDrift

L’artiste Reza Hasni a illustré les poèmes et les morceaux les plus beaux de Leonard Cohen portant sur les expériences vécues lors de son séjour sur l’île d’Ydra.

HYDRA 1963 From Flowers for Hitler, 1964 Leonard Cohen

HYDRA 1960 From Flowers for Hitler, 1964 Leonard Cohen

BIRD ON THE WIRE From Songs from a Room, 1969 Leonard Cohen

75 « Come over to the window, my little darling / I’d like to try to read your palm / I used to think I was some kind of Gypsy boy / before I let you take me home », chantait Leonard Cohen au début de So Long, Marianne. Il est peut-être le plus célèbre des habitants d’Ydra. Plus que ses marins, ses leaders et ses artistes, et encore plus que tous ces auteurs qui n’ont pu s’empêcher d’écrire sur l’île. On se demande si l’amour qui l’unissait à Marianne Ihlen, sa compagne et muse pendant les sept ans qu’il a passés sur Ydra, aurait été le même ou aussi intense ailleurs… Mais la question est absurde. Car tout dépend du contexte et, même en laissant la réalité de côté, la réponse serait sans doute non. Quand Marianne rencontre Leonard, l’écrivain Axel Johnson, son précédent

76 compagnon, vient de la quitter, elle et leur fils de 6 mois. Elle arrive à Ydra en 1958, Cohen en 1960.

Pendant ses sept années en Grèce, il publie quatre livres : Poèmes et Chansons. 2 (composé de The SpiceBox of Earth et de Flowers for Hitler,)

Les Perdants magnifiques et Jeux de dames. Deux recueils de poésie et deux romans.

Cohen y écrit et, de temps en temps, il se produit dans des tavernes.

Lui n’est pas encore le chanteurcompositeur que l’on connaîtra plus tard, mais seulement un jeune Américain qui aspire à être écrivain. Un soir, il aperçoit une jeune femme se promener dans le port, et il est envoûté. Ils emménagent ensemble dans une maison dotée d’une vaste terrasse juste au-dessus du port, de plus en plus fréquenté à l’époque.

Des mots que l’on retrouvera dans l’une de ses chansons les plus célèbres.

À mesure que les années passent, le « Gypsy boy » trouve son équilibre. Cet équilibre, il le doit à Marianne, comme il le chante dans ses chansons. Mais l’effet apaisant du silence printanier, le ciel étoilé qui plane sur Ydra et une mer encore préservée des ferrys et des yachts y sont aussi pour beaucoup. En attendant, il écrit ses premières chansons, peut-être conscient que la musique aussi, et pas seulement la littérature, lui réserve un avenir. Les ouvrages de Léonard ne sont pas aussi bien reçus qu’il l’espère, mais dans le village de Kamini, alors qu’il observe des ouvriers installer les premiers pylônes électriques, il voit un oiseau prendre feu sur les câbles, ce qui l’inspire à écrire : « Like a bird on the wire / Like a drunk in a midnight choir / I have tried in my way to be free. »

77

Dans la dernière lettre qu’il lui adresse, un e-mail, Cohen écrit : « Ma très chère Marianne, je suis derrière toi, si proche que je pourrais te prendre la main. » Il la rejoindra en novembre de la même année, trois mois plus tard.

En 1969, Leonard décide de quitter l’île. Pour faire de la musique, il doit retourner en Amérique. Il se raisonne et met un terme à sa relation avec Marianne à Ydra. Leur rupture est amicale ; ils resteront amis toute leur vie. Il réalise que ce genre d’amour, formé sur une île comme Ydra, n’aurait pas survécu dans un cadre aussi différent que celui de Tennessee.

Marianne meurt à Oslo en juillet 2016.

78

ISLAND BULLETIN From Flowers for Hitler, 1964 Leonard Cohen

THE GLASS DOG From Flowers for Hitler, 1964 Leonard Cohen

DAYS OF KINDNESS Leonard1985 Cohen

Sur l’amour, la mer et la douleur. Sur la mort, l’intoxication, la passion, la résignation. Depuis une perspective psychédélique.

Le mois de mai doit son nom à la déesse romaine Maïa, également présente dans la tradition grecque. Mère d’Hermès, elle était traditionnellement célébrée le premier jour du mois, sollicitée afin d’assurer de bonnes récoltes. En Grèce, des couronnes de fleurs sont fabriquées en l’honneur du printemps et, pour repousser les esprits malveillants, on glisse des gousses d’ail entre les fleurs.

PROTOMAGIA

87

Le printemps est la meilleure saison pour visiter Ydra. Les bougainvilliers en fleur attirent les insectes pollinisateurs et emplissent les rues étroites d’un arôme qui tient tête au jasmin ambiant. Presque partout dans le monde, y compris en Grèce, le 1er mai est la fête du Travail. Mais ici, elle coïncide aussi avec le festival plus ancien de Protomagia, une célébration de la renaissance, qui signifie littéralement « 1er mai ».

88

2022F/WBrutus

90

91 2022F/WKiara

93

Le cyclamen et le coquelicot sont endémiques de l’île. Habituellement, les montagnes sont arides, peuplées de pins maritimes, de cyprès et d’oliviers. Du fait des récentes vagues de chaleur, le risque d’incendies a beaucoup augmenté.

94 2022F/WTrekBrutus

Michael Lawrence

97

Michael Lawrence Ydra, June 24, 2012 Watercolor on arches paper 101 x 66 cm

De la lumière et de la couleur. La liberté, des corps nus, la mer et l’amour. Né à Los Angeles en 1943, Michael Lawrence s’installe à Ydra en 1992, où il accroche tout de suite à l’esprit de l’île, passé et présent. Son ami Ray Bradbury et Dakis Joannou, à qui aucune œuvre sur Ydra n’échappe, collectionnent ses travaux. Ce qui intéressait tout particulièrement Michael à Ydra, c’est la coexistence du contemporain et de l’ancien, également caractéristique de Rome, un autre de ses grands amours.

98 Michael Lawrence Ydra, May Watercolor2018onarches paper 101 x 66 cm

99 Michael Lawrence Ydra, April 29, 2018 Watercolor on arches paper 101 x 66 cm

100 Michael Lawrence Ydra, May 5, 2018 Watercolor on arches paper 101 x 66 cm

101 Michael Lawrence Ydra, Watercolor2018 on arches paper 101 x 66 cm

102 Michael Lawrence Ydra, June 13, 2018 Watercolor on arches paper 101 x 66 cm

2022F/WTrailDrift

FOUNDATIONDESTE

105

106 LORSQUE DAKIS JOANNOU ARRIVE SUR L’ÎLE, IL EST IMPOSSIBLE DE NE PAS LE REMARQUER À BORD DE SON YACHT. L’EXTÉRIEUR DU NAVIRE, IMAGINÉ PAR JEFF KOONS, EST RECOUVERT DE DESSINS GÉOMÉTRIQUES COLORÉS INSPIRÉS D’UN MOTIF CAMOUFLAGE UTILISÉ SUR LES NAVIRES BRITANNIQUES PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE. LE YACHT A ÉTÉ INSOLEMMENT BAPTISÉ « GUILTY » : COUPABLE. DAKIS A 82 ANS AUJOURD’HUI, MAIS SON VISAGE CONSERVE CE DEMI-SOURIRE RUSÉ DE L’HOMME D’AFFAIRES EXTRAVAGANT. POURTANT, IL N’ENTRETIENT PLUS GUÈRE DE LIENS AVEC DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES, MAIS PLUTÔT AVEC LE MONDE DE L’ART. JOANNOU EST LE FONDATEUR DE DESTE, UNE FONDATION À BUT NON LUCRATIF CRÉÉE À ATHÈNES EN 1983. DEPUIS 2008, UN BUREAU SATELLITE EXISTE À YDRA, SITUÉ À UNE COURTE DISTANCE DU PORT. IL S’AGIT D’UN BÂTIMENT SIMPLE ET MINUSCULE, QUI RESSEMBLE À TOUS LES AUTRES BÂTIMENTS DE L’ÎLE : FAIT D’ÉPAIS MURS DE PIERRE POUR TENIR LA CHALEUR ESTIVALE À DISTANCE ET OFFRIR UNE PROTECTION CONTRE LA MER LORSQUE LE VENT SE LÈVE. LE BÂTIMENT ABRITAIT AUTREFOIS UN ABATTOIR. CHAQUE ÉTÉ, IL ACCUEILLE DÉSORMAIS DES EXPOSITIONS DE DIFFÉRENTS GROUPES ET ARTISTES. EN JUIN, LE DESTE FOUNDATION PROJECT SPACE A INAUGURÉ APOLLO , L’EXPOSITION TRÈS ATTENDUE DE JEFF KOONS. L’ARTISTE N’A RIEN D’UN INVITÉ ORDINAIRE, ET CE POUR PLUSIEURS RAISONS, À COMMENCER PAR SA RELATION AVEC LE FONDATEUR DE LA FONDATION. INITIALEMENT PRÉVU POUR L’ÉTÉ

107 2020, LE PROJET A ÉTÉ REPORTÉ EN 2021, PUIS EN 2022 EN RAISON DE LA PANDÉMIE. CES DERNIÈRES ANNÉES, DES ARTISTES TELS QUE KIKI SMITH (MEMORY, 2019), DAVID SHRIGLEY (LAUGHTERHOUSE , 2018), ROBERTO CUOGHI (PUTIFERIO , 2016), URS FISCHER (YES , 2013), MAURIZIO CATTELAN (WE , 2010), MATTHEW BARNEY ET ELIZABETH PEYTON (BLOOD OF TWO , 2009) ONT TOUS EXPOSÉ DANS L’ANCIEN ABATTOIR. LA FONDATION FAIT FACE À LA MER ET S’ÉTEND EN DIRECTION DE L’EAU. SES FENÊTRES RENFORCÉES DONNENT SUR LA MER. DEPUIS PRÈS DE 40 ANS, LA DESTE FOUNDATION A PROFONDÉMENT MARQUÉ LE MONDE DE L’ART CONTEMPORAIN. POURTANT, AU DÉBUT DE L’AVENTURE DANS LES ANNÉES 1980, DAKIS JOANNOU ÉTAIT PARTAGÉ À L’IDÉE DE DEVENIR COLLECTIONNEUR. ET C’EST PRÉCISÉMENT POUR CETTE RAISON QU’IL A CHOISI DE CRÉER UNE FONDATION. EN 2016, IL EXPLIQUAIT DANS LE MAGAZINE INTERVIEW : « À L’ÉPOQUE, JE NE COMPRENAIS PAS L’UNIVERS DES COLLECTIONNEURS. JE PENSAIS QU’IL S’AGISSAIT D’ACCUMULER LES TROPHÉES, ET JE N’AVAIS PAS DU TOUT ENVIE DE FAIRE ÇA. MAIS J’AI TOUJOURS VOULU M’IMPLIQUER DANS LE DOMAINE ARTISTIQUE. » UN JOUR À LA PLAGE, EN GRÈCE, BIEN AVANT QUE L’IDÉE DE DESTE NE LUI VIENNE, IL PARTAGE SES INQUIÉTUDES AVEC LE CRITIQUE PIERRE RESTANY. ET RESTANY LUI RÉPOND : « LA SEULE SOLUTION, C’EST DE CRÉER UNE FONDATION. »

108 MATTHEW BARNEY AND PEYTON (BLOOD OF TWO CATTELAN (WE , 2010), MIRROR , 2011), ANIMAL FISCHER (YES , 2013), PAWEL (THE SECRET OF THE PHAISTOS 2014), PAUL CHAN (HIPPIAS ROBERTO CUOGHI (PUTIFERIO WALKER (FIGA , 2017), DAVID (LAUGHTERHOUSE , 2018), (MEMORY, 2019), 199 , 2020, 2021, JEFF KOONS (APOLLO

109 AND ELIZABETH TWO , 2009), MAURIZIO DOUG AITKEN (BLACK ANIMAL SPIRITS , 2012, URS PAWEL ALTHAMER PHAISTOS DISC , HIPPIAS MINOR , 2015), PUTIFERIO , 2016), KARA DAVID SHRIGLEY 2018), KIKI SMITH 2020, THE GREEK GIFT, APOLLO , 2022).

110 YDRA EST LIÉE DEPUIS LONGTEMPS À L’ART ET ELLE A TOUJOURS ÉTÉ UNE DESTINATION PRISÉE DES ARTISTES AU XXE SIÈCLE, SURTOUT DES ARTISTES GRECS AU DÉPART : DE NIKOS HADJIKYRIAKOS-GHIKAS, QUI ACCUEILLAIT SES AMIS PATRICK LEIGH FERMOR ET JOHN CRAXTON DANS SA MAISON SUR L’ÎLE, À PANAGIOTIS TETSIS, DONT LA MAISON TRANSFORMÉE EN MUSÉE PEUT ENCORE SE VISITER AUJOURD’HUI, EN PASSANT PAR PAVLOS PANTELAKIS, L’UN DES PLUS GRANDS PEINTRES HYDRIOTES QUI A ÉGALEMENT DIRIGÉ L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS LOCALE PENDANT 17 ANS, CONTRIBUANT À LA CONSERVATION DE L’HÉRITAGE URBAIN ET ARCHITECTURAL D’YDRA, SANS OUBLIER MARCELLA MALTAIS, QUI QUITTE LE CANADA POUR L’EUROPE ET S’INSTALLE SUR L’ÎLE DANS LES ANNÉES 1960, OÙ ELLE SE NOUE D’AMITIÉ AVEC LEONARD COHEN ET OÙ ELLE PASSERA TOUTE SA VIE. AUTANT D’ARTISTES NÉS AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE ET QUI ONT ASSISTÉ À LA TRANSFORMATION D’YDRA, CE VILLAGE DE PÊCHEURS DEVENU UN CENTRE COSMOPOLITE, D’ABORD DÉCOUVERT PAR L’AMÉRIQUE PUIS PAR AUJOURD’HUIL’EUROPE.BASÉE À ATHÈNES, LA DESTE FOUNDATION « ORIGINALE » N’AVAIT PAS DE SIÈGE PERMANENT JUSQU’EN 1997. EN 1988, ELLE S’INSTALLE POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS UN ANCIEN MOULIN À PAPIER DANS LE QUARTIER NEO PSYCHIKO, REPENSÉ PAR L’ARCHITECTE AMÉRICAIN CHRISTIAN HUBERT. DAKIS JOANNOU, COLLECTIONNEUR ACTIF DEPUIS DES ANNÉES, COMMENCE PAR EXPOSER SA COLLECTION PRIVÉE. JEFF KOONS FAIT UNE NOUVELLE APPARITION DANS L’HISTOIRE DE LA FONDATION : L’ESPACE DESTE

111 ACCUEILLERA SON SPECTACLE « A MILLENNIUM CELEBRATION » À L’OCCASION DE L’ARRIVÉE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE. EN 2004, EN L’HONNEUR DES JEUX OLYMPIQUES D’ATHÈNES, LA DESTE FOUNDATION ORGANISE LA PLUS AMBITIEUSE DE SES EXPOSITIONS À CE JOUR. BAPTISÉE « MONUMENTS TO NOW », ELLE PRÉSENTE LES ŒUVRES DE PLUS DE 60 ARTISTES DE LA COLLECTION DE DAKIS JOANNOU. CINQ CONSERVATEURS Y PARTICIPENT : DAN CAMERON, MASSIMILIANO GIONI, NANCY SPECTOR, JEFFREY DEITCH ET ALISON GINGERAS. CES DERNIÈRES ANNÉES, LES RELATIONS DE LA DESTE FOUNDATION SE SONT DÉVELOPPÉES COMME DES TENTACULES DANS TOUTE LA MÉDITERRANÉE. LE PRIX DESTE RÉCOMPENSE DEUX FOIS PAR AN DE JEUNES ARTISTES GRECS, AFIN DE PROMOUVOIR LE TALENT LOCAL. LA FONDATION COLLABORE ÉGALEMENT AVEC LE MUSÉE D’ART CYCLADIQUE À ATHÈNES ET LE MUSÉE BENAKI, ÉGALEMENT SITUÉ DANS LA CAPITALE GRECQUE. ENFIN, UNE COLLABORATION RÉCENTE AVEC LA GALERIE A.G. LEVANTIS À CHYPRE PERMET À JOANNOU, CHYPRIOTE AYANT FUI APRÈS L’INVASION TURQUE, DE PRÉSERVER LES LIENS ENTRE PASSÉ ET PRÉSENT.

La population se fait de plus en plus vieillissante sur le continent européen, comme l’illustrent les statistiques depuis quelque temps déjà. Le phénomène concerne principalement les pays de la Méditerranée, l’Italie en tête, suivie de près par la Grèce. Toutefois, l’âge moyen sur Ydra est inférieur à celui du reste du pays, un élément de bon augure pour l‘île. Ydra abrite aujourd’hui deux collèges et un lycée. La Naval Academy est la seule à proposer un enseignement universitaire, les autres étudiants devant se rendre sur le continent pour poursuivre leur formation. Kalliopi, Ioana, Gregori, Ilias et leurs amis font partie des quelque 200 enfants qui vont à l’école sur l’île. Un parent, guide de randonnée ayant fait sa vie ici, explique qu’aujourd’hui, de plus en plus d’enfants décident de rester à Ydra et de ne jamais quitter l’île. De ses bras, il fait mine d’englober le panorama l’air de dire : tout ce dont ils ont besoin est ici.

112 LES ENFANTS D’YDRA

2022F/WWalden

2022F/WTaylor

2022F/WK21Runner

121 OMILOSATHLETIKÒSYDRAS

122

123

124

Vue du ciel ou de l’une des maisons perchées dans les montagnes derrière le port, Ydra se compose de grappes de toits en terre cuite rouge réparties autour d’une étendue verte ressemblant à un grand lac. C’est le terrain de football local : une vaste pelouse artificielle entourée d’un petit stade avec des gradins et des vestiaires. Les montagnes se profilent à l’horizon, face à la mer qui scintille. Les maillots rouge et bleu (les couleurs du drapeau officiel de l’île, inchangé depuis des siècles) de l’équipe locale Athletikòs Omilos Ydras se déplacent sur le terrain. La « société sportive d’Ydra » est une petite équipe, composée d’adultes et d’enfants. Son sponsor principal est une marque d’eau minérale, ce qui est plutôt bien trouvé étant donné qu’« Ydra » signifie « eau » en grec. Pendant l’entraînement, l’Athlitikòs partage parfois le terrain avec des groupes d’enfants qui participent à des matchs amateur ou en quête d’ombre et de fraîcheur, et des joggeurs occupent de temps en temps la ligne de touche.

128

129

130 Le football est le sport le plus populaire en Grèce, dont l’équipe nationale a remporté l’Euro en 2004.

132

133 Rencontre avec la MARDENFAMILLE

134 Installée sur l’île depuis les années 1970, la famille Marden semble liée à Ydra par des traits héréditaires. Depuis plus de 50 ans, leur amour pour l’île (où, comme beaucoup d’autres, ils sont arrivés par hasard) n’a jamais faibli. Brice est l’un des plus grands peintres contemporains d’Amérique. Sa femme Helen est également peintre et artiste visuelle, tandis que leur fille Mirabelle est conservatrice. Ils arrivent d’Athènes, où Brice vient d’inaugurer l’exposition « Divine Dialogues » au musée de l’Art cycladique : une conversation entre le travail de l’artiste et une sélection d’antiquités des collections permanentes du musée. Pendant les mois les plus chauds, les Marden vivent dans cette vieille maison composée d’un grand studio et d’une cour intérieure, où un immense citronnier leur offre de l’ombre pour paresser l’après-midi. Mirabelle vient de se marier avec Cole Mohr, ancien mannequin international des années 2000. Alors qu’il sirote de l’eau parfumée avec des citrons de la maison, il se souvient de sa première fois à Ydra pendant leur lune de miel, et qualifie l’île de « rêve ». Un rêve qui se transmet de génération en génération.

135

Brice Marden, le mari d’Helen et le père de Mirabelle, est l’un des artistes contemporains les plus influents à l’heure actuelle. Représenté par la Gagosian Gallery depuis 2017, Marden a exposé son travail dans quelques-uns des musées les plus prestigieux au monde.

136 « Bitter Light a Year » d’Helen Marden a été exposé à la Gagosian Gallery de New York en 2021. Ses œuvres sont également visibles au Whitney Museum et au Princeton University Art Museum.

H : Pour toutes ces raisons, car c’était une île belle et accessible. Il y avait aussi des artistes grecs, comme Niko Ghika. Ydra a-t-elle influencé votre travail ?

M : J’ai étudié la photographie et la danse, mais j’ai surtout dirigé une galerie pendant sept ans. Je continue à travailler dans le monde de l’art et auprès d’artistes. J’ai participé à la publication du livre de mon père, par exemple, et à ses expositions aussi.

Vous considérez-vous comme une artiste ?

Parlez-moi de votre galerie.

M : C’est sans doute parce qu’il n’y a pas de voitures, et que les constructions obéissent à des restrictions. Je l’ai déjà dit, mais c’est génial pour les enfants. Impossible de se perdre ! J’ai essayé quand j’étais enfant, mais j’ai découvert que toutes les routes qui descendent mènent au port.

C : Nous nous adaptons sans cesse à ce qui se passe autour de nous. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment un avant, un pendant et un après.

C : À l’âge de 20 ans, à peu près. J’ai 36 ans aujourd’hui. Mon domaine, c’est la photographie, que j’ai étudiée quand j’étais plus jeune, mais j’ai commencé à vraiment peindre autour de l’âge de 25 ans. Il y a eu des hauts et des bas, mais je suis content d’être dans cette nouvelle phase. D’avoir un véritable espace à moi et de ne plus avoir à déplacer mes tableaux alors qu’ils sont encore frais, ce genre de choses.

Mirabelle, vous êtes née et vous avez grandi à New York, mais Ydra fait partie de votre ADN depuis votre enfance.

M : C’est difficile à expliquer, mais on a tous les deux bougé d’un endroit à un autre pendant longtemps, et on a maintenant l’impression de pouvoir s’arrêter. On a notre endroit à nous, et c’est électrisant.

Helen Marden : Une amie à moi, mannequin, vivait à Spetses à l’époque. Je suis allée lui rendre visite et, un jour, nous sommes allées à Ydra, et nous y sommes restées pendant six semaines.

La pension de famille dans laquelle je logeais coûtait 1 dollar la nuit, mais à l’époque c’était des drachmes. Brice est arrivé l’année suivante et nous avons loué une maison pendant tout le mois d’août pour 200 dollars. Pendant 20 ans au moins, personne ne venait à Ydra, car l’île était considérée comme un rocher inhospitalier sans plages… En réalité, elle était pleine de gens intéressants et exceptionnels. Selon vous, pourquoi Ydra a accueilli autant d’artistes et de musiciens ?

M : J’ai été la personne la plus heureuse au monde ici. Mes parents ont toujours travaillé ici ; ils passaient leurs étés à peindre. Il y a deux ans, j’ai créé une installation vidéo que j’ai présentée à Berlin, j’ai donc commencé à faire de la photo et à travailler ici aussi. Ça fait partie de moi.

H : Celui de Brice, plus que le mien. Il aime les oliviers, la couleur des feuilles et la lumière. Je travaille à l’aquarelle et l’influence de l’île est moins directe. Mais Brice… En ce moment, il expose au musée d’Art cycladique et l’une de ses œuvres est une simple

J’ai tout de suite aimé l’endroit : c’était splendide et très bon marché. J’avais très peu d’argent, mais j’ai tenu six semaines.

Mirabelle Marden : Ma mère était à Ydra quand elle était enceinte de moi, alors d’une certaine façon, j’ai toujours été ici. J’étudiais à New York, mais je passais tous mes étés sur l’île quand j’étais jeune : deux mois par an, tous les ans. À quoi ressemblait l’île à l’époque, à travers les yeux d’un enfant ?

Cole Mohr : Oui, je me suis toujours senti limité de ne pas avoir un vaste espace à moi. J’ai eu deux superbes studios, mais ils étaient trop petits et j’ai beaucoup déménagé entre temps. Il s’agissait d’espaces temporaires, et j’avais du mal à me concentrer sur le genre de travail que je voulais faire. Si je ne suis pas en mesure de me donner à 100 %, j’ai du mal à concrétiser les choses.

Quand avez-vous commencé à peindre ?

M : Je l’ai dirigée de 23 à 30 ans. Cela fait 13 ans qu’elle a fermé. À l’époque, c’était génial. Je suis toujours amie avec de nombreux artistes avec qui j’ai travaillé.

Helen, qu’avez-vous pensé d’Ydra lorsque vous l’avez découverte dans les années 1970 et comment êtes-vous arrivée ici ?

Mirabelle, où vous sentez-vous le plus chez vous ? M : À New York et à Ydra, mais différemment. Mes amis les plus proches vivaient ici. Une amie m’a fait remarquer l’autre jour que lorsque je suis à Ydra, je suis vraiment moi-même. Et je crois que c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire.

Cole, qu’avez-vous pensé lorsque vous avez découvert Ydra ?

M : L’autre jour, j’étais assise à un café au port et je regardais tous ces enfants en train de courir et de s’amuser. Ici, vous pouvez faire ce que vous voulez. Vous êtes libre, et c’est quelque chose que je n’ai jamais ressenti à New York. Vous pouvez vous balader et explorer seul, personne ne s’inquiétera. Vous pouvez jouer… Et il n’y a pas de voiture. L’île a-t-elle aussi marqué votre vie adulte ?

137

Vous entamez un nouveau chapitre, plutôt que de retourner à la normalité d’avant la pandémie.

Pendant le Covid, j’ai documenté son processus créatif, et celui de ma mère. C’était agréable, car pour la première fois depuis des années, nous vivions tous ensemble à New York.

Cole, vous avez été l’un des plus grands mannequins des années 2000, et maintenant vous êtes peintre ?

M : Beaucoup de gens se sont remis en question et ont revu leurs priorités. L’amour, le travail, le divorce, le mariage… Ce genre de choses.

C : C’est le paradis. Cet endroit est incroyable, comme un rêve. J’ai l’impression que l’île a été créée pour moi, mais je sais que beaucoup de gens ressentent la même chose. Ce ne sont pas seulement les paysages, c’est ce qu’ils transmettent. Comme un parfum. C’est incroyable comme Ydra a réussi à rester pure, tant bien que mal. C : Oui, et ça se ressent. Comme si le temps s’était arrêté, et pourtant elle n’est ni vieille ni démodée.

feuille138 d’olivier. Brice est tombé fou amoureux de l’île. Dans notre première maison, il travaillait sur cette énorme terrasse… Est-ce la première maison que vous avez achetée ici ?

H : Non, nous avons déménagé ici dans les années 1990. Aujourd’hui, il est impossible d’acheter une maison à Ydra, à l’exception de quelques énormes demeures.

H : La vie sociale, surtout. Plus calme, plus tranquille. Tout est différent maintenant.

« L’autre

Votre compte Instagram est incroyable. Authentique, sans artifices. Un vrai journal de votre quotidien avec Brice.

Votre première exposition s’est tenue il y a longtemps à la galerie Gagosian à New York, au printemps 2021. Qu’est-ce qui vous a poussé à peindre à nouveau et pourquoi vous êtes-vous arrêtée aussi longtemps ?

H : Oh oui, c’est vrai ! Pas vraiment, mais j’avais un sacré caractère. Disons que je n’étais pas très diplomate. Je me mettais très rapidement en colère, mais aujourd’hui il m’en faut davantage. Je suis vieille. Et j’ai l’impression d’avoir une attitude plus généreuse vis-à-vis du monde.

Que pensez-vous de ces critiques aujourd’hui ?

Qu’est-ce que vous regrettez de l’Ydra d’autrefois ?

H : Maintenant que mes enfants sont grands, je me sens plus sûre de moi. Auparavant, j’étais stigmatisée du fait d’être ma riée à Brice Marden. Les gens disaient : « Elle n’a rien à voir avec Brice Marden. » J’étais très critiquée. Les femmes ont plus de pouvoir à l’heure actuelle. La presse ne publiait jamais les articles de femmes à l’époque. Mais je pense surtout que je crois davan tage en moi. J’ai recommencé à peindre et à travailler, et j’aime toujours autant ça. Je n’ai rien montré à personne pendant des années.

H : Oh, merci ! Je voulais simplement montrer ce que je fais, y compris la maladie de Brice. Je me suis dit : pourquoi pas ?

H : Je m’en moque. Je travaille et c’est tout. Je pense que mes tableaux séduisent surtout les jeunes femmes d’aujourd’hui. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’aime ça. Dans une interview avec le magazine Vulture il y a quelques mois, vous avez déclaré au journaliste que vous étiez devenue plus aimable. Aviez-vous la réputation de ne pas l’être ?

Et je pense que ça a aidé des gens. Je voulais que ce soit… vrai. Ce qui est à l’opposé de ce que les gens montrent générale ment sur les réseaux sociaux.

H : Je ne sais pas, je ne suis pas beaucoup de monde. Je suis uniquement des profils concernant des animaux dans le besoin : des ânes, des chauve-souris, ou encore ces « rats héroïques » qui détectent des mines… jour, j’étais assise à un café au port et je regardais tous ces enfants en train de courir et de s’amuser. Ici, vous pouvez faire ce que vous voulez. Vous êtes complètement libre, et c’est quelque chose que je n’ai jamais ressenti à New York. Vous pouvez vous balader et explorer seul, personne ne s’inquiétera. Vous pouvez jouer… Et il n’y a pas de Mirabellevoiture. »Marden

2022F/WJunction

141 F/W 2022 Peu DriftBonnieStadiumTrail KiaraWalden

Walk, 142 F/W 2022 RunnerMil K21 BrutusCasiWabiMyra

143 KiaraWabiJunctionThelma

144 Casi DriftTaylorMyraTrail F/W 2022 Casi DriftMyraTrail

Don’t 145 PeuJunctionWaldenRightBonnieNinaStadium

Run. 146 F/W WabiKarstSetRunner2022K21

Édition148 et création Alla Carta Studio Camper -Directeur de la création de marque Achilles Ion Gabriel Camper -Directrice de la marque Gloria Rodríguez SophiePhoto ©camper.comMajorqueAlcudiaImpriméDépôtISSN :ArtesImpressionEvelinaLaurentiuAsjaCharlotteKelseyAlexUnHotelProductionRezaIllustrationsElisaStylismeDavideRédactionGreenCoppoVotoHasniProductiongrandmerciàBrackEdwards@HydradirectHartleyPiombinoSarjanStoltidouGráficasPalermo,Madrid2660-8758légal :PM0911-2021enEspagneDesignS.L.U.Camper,2022

2022F/WShirt

€ 18

Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.