L'architecture vernaculaire, un modèle contemporain ? Les leçons à tirer du M'Zab. — MONTEIL.C

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Camille MONTEIL

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sous la tutelle d’Aurore REYNAUD

L’architecture vernaculaire, un modèle contemporain ? Les leçons à tirer du M’Zab

Domaine d’étude EXPERIMENTAL



L’architecture vernaculaire, un modèle contemporain ? Les leçons à tirer du M’Zab


« La simplicité est la sophistication suprême. » Leonardo da Vinci, XVème siècle


©andréravéreau


©andréravéreau


PLAN DETAILLE

L’architecture vernaculaire, un modèle contemporain ? Les leçons à tirer du M’Zab

Lexique franco-arabe (page détachable)

• Introduction I. Motivations quant au choix du thème I. Qu’est ce qu’une architecture vernaculaire ? I. • quelques mots sur André Ravéreau II. • grands thèmes récurrents III. I.

L’habitat traditionnel au M’Zab

V.

• contextes géographique et géopolitique V. • conditions climatiques VII. • urbanisme et organisation spatiale IX. • culture et traditions XII. • nomadisme sédentaire au coeur du foyer XIV. - la maison de la palmeraie XIV. - la maison urbaine XVIII. • voir sans être vu XXI. • savoir-faire, matériaux et techniques constructives XXIII.

II.

Le M’Zab comme inspiration, vers une architecture adaptée

XXV.

• en quoi penser localement est-il écologique ? • le voyage : une démarche influente sur notre perception du monde - mise à profit de mes expériences à l’étranger dans ma formation - exemples de typologies urbaines à travers le globe

Conclusion et ouverture

XXIX.

Bibliographie

XXXI.

XXV.

XXVI. XXVI. XXVII.



LEXIQUE

ammas an tadert : patio, cour intérieure chebeq : ouverture zénithale et grille chebka : désert de cailloux, filet chouf : meurtrière, petite ouverture (relatif au regard) daïra : subdivision d’un wilaya, ensemble de communes. djerid : palme emess enej : espace découvert iqomar : galerie kharaja : sortir ksar : village fortifié, composé d’une mosquée, d’habitations, d’un souk, d’une palmeraie ksour : pluriel de ksar laali : petit salon réservé aux hommes moçallah : aires d’assemblée et de prière oued ou wadi : vallée, lit de rivière, rivière d’Afrique du Nord qibla : direction (sous entendu vers La Mecque) sqiffa : chicane souk : marché tolba : hommes savants tezefri : salon pour femmes tigharghart : prolongement de l’iqomar timchent : gypse déshydraté, plâtre tizfrit : salon/lieu de prière west ed-dar : centre de la maison wilaya : collectivité publique territoriale, au nombre de 48 en Algérie (auparavant appelée département, jusqu’à mai 68) Beni-Izguen : la Ville Sainte Bou-Noura : la Lumineuse El Atteuf : le Tournant Ghardaïa : la grotte de Daïa Melika : la Reine El Guerrara : vaste dépression en forme de cuvette où pousse une végétation Berriane ou Bir Rayan : Le Beau Puits


« Faire un projet, c’est construire une pensée. » Livio Vacchini, Capolavori , 2006.


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INTRODUCTION Motivations & choix du thème Depuis plusieurs années déjà, j’ai été sensibilisée et confrontée à de multiples architectures lors de mes voyages. Toutes différentes à travers le globe et pourtant similaires sur certains points, le climat est l’un des facteurs le plus significatif. Ce constat ne s’est pas fait tout de suite. Ma perception de ce lien avec l’Architecture s’est amorcé lors du commencement de mes études, et s’est confirmé lors de mon stage à Casablanca. Mes motivations quant à ce sujet d’étude se sont éclaircies lorsque j’ai été admise en Erasmus au Chili pour l’année prochaine. Il me semblait alors évident de parler de mon ressenti quant au voyage et à l’architecture propre à une région du monde. De plus, ma formation, d’abord en classe préparatoire artistique puis à l’EPSAA (Ecole Professionelle Supérieure d’Assistant en Architecture) trois années durant, m’a ouvert les yeux sur cet aspect de l’Architecture dite « vernaculaire » grâce à une approche très concrète de différents systèmes constructifs, et une conscience de l’usage de matériaux. Cet intérêt s’est manifesté notamment grâce à l’enseignement liée à la culture du projet dispensé par un de mes professeurs, Martin Veith pour qui « la contrainte crée la valeur », tout comme un site souvent hostile génère une architecture riche de sens. Tel le M’Zab. Qu’est ce qu’une architecture vernaculaire ? Issu du latin vernaculus, i, m signifiant « esclave né dans la maison du maître » et de verna, ae, m voulant dire « indigène », vernaculaire désigne tout ce qui est propre à un pays et ses habitants. Dans Le genre vernaculaire, Ivan Illich ajoute qu’il s’agit d’un « terme technique emprunté au droit romain, où on le trouve depuis les premières stipulations jusqu’à la codification par Théodose. Il désigne l’inverse d’une marchandise. Etait vernaculaire tout ce qui était confectionné, tissé, élevé, à la maison et destiné non à la vente mais à l’usage domestique. » * Lorsque l’on parle ici d’architecture vernaculaire, nous faisons référence à tout ce qui la caractérise d’un point de vue constructif, in situ. Ces critères sont vérifiables sur les plans topographique, géographique, climatique, mais également éthnique, culturel, social et technique. Dans le cadre de ce rapport de licence, je souhaiterais explorer à travers un cas d’étude qu’est le M’Zab, étudié et revisité par l’architecte André Ravéreau, les prises de position concernant le rapport à la modernité et la réinterprétation de l’habitat traditionnel dans son contexte. Pour ce faire, je tenterai de remettre en perspective les qualités d’enseignement propres à une formation dite « occidentale » de l’architecture et de l’influence que le voyage peut avoir sur la conception du projet de chacun, de part sa propre expérience. Il s’agira d’établir non seulement une comparaison mais aussi un lien entre l’architecture contemporaine et ce type d’architecture, traditionnel et daté. J’aborderai également les limites de la préfabrication et de la standardisation de notre ère et cette nécessité de revenir à la pensée et l’usage adaptés à l’homme moderne.

* ILLICH Ivan, 1983. Le genre vernaculaire, Paris, Seuil, p.179 I


André Ravéreau 1919 - 2017 1946 -1950 : Élève d’Auguste Perret à l’école des Beaux-Arts de Paris. 1949 : Encore étudiant, il se rend dans la vallée du M’Zab. L’architecture mozabite, par l’harmonie qu’elle dégage, est décisive dans son appréhension de la construction : « Comme tout le monde, j’ai reçu la séduction de Ghardaïa avant d’en faire l’analyse. On a l’intuition que les choses possèdent un équilibre que l’on appelle esthétique, et cela avant de savoir comment c’est, un équilibre […]. [C’est] l’analyse qui me l’a appris par la suite, j’ai vu dans le M’Zab à la fois la rigueur que j’aimais chez Perret, dont j’étais l’élève, et les formes exaltantes que l’on trouve chez Le Corbusier […]. » 1 Conscient du riche apport de cette architecture de tradition dans la définition de la modernité architecturale, il décide de retourner au M’Zab avec d’autres étudiants. Il n’imite pas les formes de l’architecture vernaculaire mais cherche à la comprendre pour mieux inscrire ses réalisations dans l’épaisseur d’une culture. « Je me penche beaucoup sur l’architecture dite ‘‘populaire’’. J’y trouve des subtilités constructives savoureuses, des inventions, une rigueur qui, à mes yeux, fait défaut à certaines architectures ‘‘de représentation’’. [...] [L]’architecture dite populaire est aussi savante dans la mesure où elle est le fruit d’un savoir très élaboré. » 2 1965 : Il devient architecte en chef des Monuments Historiques. Il obtiendra, entre autres, la classification au Patrimoine Mondial de l’U.N.E.S.C.O. de la ville de Ghardaïa et de la mosquée de Sidi Okba. 1970 - 1973 : Création de deux ateliers d’étude et de restauration de la vallée du M’Zab dont le second est plus communément appelé, a posteriori, l’atelier du désert. Il y voit l’opportunité de proposer un enseignement différent, sur l’apprentissage d’une culture constructive par la pratique, par le chantier. 1975 : Il est éconduit de l’atelier et contraint de se retirer en France où il s’installe définitivement. Il rédige et publie son premier livre, Le M’Zab, une leçon d’architecture et continue à concevoir une architecture située. 1980 : Obtention du prix d’architecture Aga Khan pour le centre de santé de Mopti.

Site officiel d’ALADAR, l’Association des Amis d’andré Ravéreau 1 BERTAUD DU CHAZAUD Vincent, RAVEREAU André, RAVEREAU Maya, 2007. Du local à l’universel, Paris, éditions du Linteau, p. 105 2 RAVEREAU André, 1981. Le M’zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p. 25-26 II

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1983 : Se voit décerner la médaille d’argent de l’urbanisme par l’académie d’architecture pour l’ensemble de son œuvre.


Caractéristiques récurrentes Les grands principes de l’architecture vernaculaire réside dans plusieurs grands thèmes qui diffèrent ou se recoupent selon le lieu d’investigation. Les critères les plus significatifs d’une expression architecturale vernaculaire sont : • • • • • • • • • • • •

le climat la topagraphie (relief...) la géographie la culture les traditions la (non)-religion les moeurs sociales le contexte historique (colonisation...) le contexte (géo)politique (conflits, interêts, pouvoirs...) les ressources (richesses, matériaux...) le savoir-faire (par qui ?) les usages (pour qui ?)

Cette liste non exhaustive accueille de nombreux thèmes communs à chaque architecture, peu importe sa situation. J’ai pris la liberté de réinterpréter un ennéagramme issu d’une conférence regroupant ces grandes lignes de conduite quant à la conception dite « vernaculaire » ainsi qu’un schéma sur son processus constructif.

VIVRE EN PAIX (santé, sécurité, harmonie)

Caractéristiques liées à un territoire

Techniques et savoir-faire

Matériaux

Formes architecturales

RESSOURCES ET CONTRAINTES

ANALYSES ET EXPERIMENTATIONS

Activités et modes de vie

Culture et spiritualité au sein d’une communauté

TRANSMETTRE

La conception vernaculaire III


Chacun de ces critères participe activement à l’expression singulière d’une population dans un contexte bien précis. J’essaierai de les aborder dans le cas d’étude que j’ai choisi, à savoir celui du M’Zab, en Algérie. J’ai choisi ce lieu car il incarne l’harmonie de toutes ces entités et ce depuis plusieurs siècles, au coeur d’un pays limitrophe à celui que j’ai eu la chance d’appréhender en stage comme en voyageant, à savoir le Maroc. J’expliciterai tous ces points comme suit : Tout d’abord, je replacerai le M’Zab dans son contexte géographique et géopolitique. J’analyserai ensuite l’urbanisme propre à cette vallée ainsi que son organisation. Puis je décrirai la culture et les traditions qui ont façonné une telle architecture. Je développerai tout particulièrement l’habitat mozabite et que j’appelle le « nomadisme sédentaire ». Je comparerai ces deux typologies d’habitation au M’Zab, occupées au rythme des saisons, ainsi que la construction relative à ces cellules familiales. En deuxième partie, j’évoquerai les enjeux d’une architecture contemporaine plus locale et écologique ainsi qu’à une démarche itinérante qu’est le voyage et l’apport que cela peut avoir sur notre manière de penser l’architecture. Je conclurai ce rapport sur ce que cette étude de cas m’a appris et ce que j’envisage pour la suite de mes études. Mots-clefs : architecture vernaculaire - M’Zab - Algerie - voyage - site - contexte - culture religion - habitat traditionnel - matérialité - local - écologie

L’homme créateur L’habitant Le concepteur Le bâtisseur

Processus constructif IV


I.

L’HABITAT TRADITIONNEL AU M’ZAB

Contextes géographique et géopolitique Situé à 700 kilomètres au sud d’Alger, le M’Zab est composé de cinq oasis isolées par une étroite vallée, au milieu d’un désert de cailloux dit chebka. Sept ksour - villages fortifiés - et leurs palmeraies respectives forment cette vallée, cinq étant situés sur les berges de l’oued M’Zab, que l’on appelle plus communément la pentapole du M’Zab, dont : Beni-Izguen - 1347, Bou-Noura - 1046, El Atteuf - 1012, Ghardaïa - 1053, Melika - 1124. El Guerrara - 1631, Berriane - 1679, Ces deux villes, quant à elles, sont situées à quelques kilomètres de la pentapole. La particularité de ces architectures du M’Zab est directement liée à l’histoire et aux traditions des Ibadites 1. Ce peuple chassé de sa capitale – Tahert – en 909, adepte d’un islam rigoriste, s’est installé dans un milieu hostile et a construit entre 1012 et 1350 un ensemble homogène de cités à l’architecture et à l’urbanisme spécifiques, dotés de trois éléments récurrents – le ksar, le cimetière et la palmeraie. « [...] la parfaite union entre l’austérité du site et l’austérité des hommes [qui] est aussi un signe de résonance. » 2 Pour répondre aux impératifs de repli et de défense, les Ibadites ont édifié des villages sur les affleurements rocheux, protégés par une muraille et dominés par une mosquée dont le minaret fonctionnait comme une tour de guet. La mosquée était d’ailleurs conçue comme une forteresse, avec un arsenal et un silo à grains, dernier bastion de la résistance en cas de siège. Le rempart de Beni-Izguen, qui constitue le premier monument classé au M’Zab, celui de Ghardaïa, le front du ksar de Bounoura, les tours de guet et les portes d’entrée des cités témoignent encore de cette ancienne organisation défensive. Au-delà des impératifs militaires, les Ibadites se sont aussi adaptés à un environnement semi-désertique grâce à d’ingénieux systèmes de captage et de répartition de l’eau. A proximité des ksar, ils ont créé des palmeraies qui comportent de nombreux ouvrages hydrauliques, barrages d’absorption, galeries souterraines, puits, ruisseaux artificiels ou rigoles, sans oublier un système de surveillance permanente des crues, afin d’éviter les éventuels dégâts et de veiller à la bonne répartition des eaux.

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Les Ibadites ne sont ni sunnites ni chiites, bien que leurs pratiques les rapprochent des premiers. Cette branche de l’islam est l’héritière du kharidjisme, un mouvement dissident qui ne souhaitait rejoindre aucun des deux camps après le schisme qui suivit la mort du Prophète en 632. Leur nom est d’ailleurs issu de l’arabe kharaja qui signifie « sortir ». GAMICHON Louise, 26/04/2016. « L’ibadisme, troisième voie de l’islam », Le Monde (site internet) 2

RAVEREAU André, GENTON Pierre, juillet 1951. « Le M’Zab, une leçon d’architecture », courrier n°7 et 8 -10ème série, Technique et Architecture, s.l. V


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2 km

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Morphologie et relief du site : La pentapole du M’Zab, dessin d’André Ravéreau dans Le M’Zab, cités millénaires du Sahara de Manuelle Roche 32° 29’ Nord, 3° 40’ Est

A partir de la fin du XIXème siècle, ces oasis sont devenues de véritables cités d’été pour profiter, à la saison chaude, de la relative fraîcheur dispensée par les palmiers et la présence de l’eau. Simples et fonctionnelles, l’organisation des cités et l’architecture de la vallée du M’Zab correspondent aussi aux idéaux religieux, sociaux et moraux des adeptes d’une conception rigoriste de l’Islam. Autour de la mosquée, bâtiment essentiel à la vie communautaire, s’organisent des maisons disposées en cercles concentriques jusqu’aux remparts. Chaque maison constitue une cellule cubique de type fixe, illustrant une organisation sociale égalitaire fondée sur le respect de la structure familiale dont elle s’attache à préserver l’intimité et l’autonomie. On retrouve le même état d’esprit dans le cimetière où seules se distinguent les tombes des sages et de petites mosquées. Enfin, dans la palmeraie, le système de partage des eaux repose sur une juste répartition. In fine, par son ordre et son aspect compact, la ville traduit la cohérence et la cohésion de son corps social. Marque d’une civilisation devenue sédentaire, la vallée du M’Zab a conservé les mêmes modes d’habitat et les mêmes techniques de construction jusqu’au XXème siècle. Ce modèle a d’ailleurs exercé une influence considérable sur la conception et l’urbanisme arabes, et a marqué de manière significative des architectes qui nous sont plus contemporains, tels que Le Corbusier, Fernand Pouillon et surtout André Ravéreau.

* L’ensemble des informations relatives à l’histoire du M’Zab ont été retranscrites suite au visionnage du reportage « La Vallée du M’zab », 15/04/2007. collection Muséoscope, production EPTV - Canal Algérie, présenté par Boulemaali Radia. (4’30’’) VI


Conditions climatiques

Dans la vallée du M’Zab, l’aridité du climat est à son apogée. Considéré comme « un désert dans le désert » selon les termes de José Gers - qui intitula ainsi l’un de ses ouvrages sur le M’Zab en 1936 - les Ibadites ont choisi l’endroit le plus hostile de la région, leur assurant ainsi une certaine sécurité face à leurs potentiels ennemis. Les températures varient considérablement au coeur du désert saharien. Très chaudes la journée et d’autant plus pendant la saison sèche, elles chutent rapidement à la nuit tombée. (cf tableau ci-dessous) Tout l’enjeu d’une installation dans une zone aussi peu propice à cela, réside dans la capacité de conception de ce peuple ibadite, qui doit oeuvrer et faire preuve d’ingéniosité pour s’offrir un environnement vivable, malgré les contraintes climatiques. Ces contraintes vont alors engendrer des architectures maghrebines particulières, répondant à un site atypique au relief important et à la chaleur accablante. Deux sortes d’habitats découleront de ce climat, toutes deux à patio pour ventiler et raffraîchir l’intérieur du foyer. Nous pouvons distinguer ces ouvertures zénithales capitales grâce à une vue aérienne de Béni-Izguen. (cf photo ci-contre)

Température

mini. maxi.

moy. janvier

moy. juillet

Climat saharien chaleurs torrides hivers doux

0.2°C 46°C

10.1°C

33.1°C

Hygrométrie

octobre - avril

mai - septembre

Peu humide

42 %

4%

Pluviométrie

minimum

maximum

moy. annuelle

Environ 10 jours/an

18 mm

120.5 mm

50 - 60 mm

Vents

hivers

été

vent de sable

Orientation variable

N-O

N-E

S-O

Sources : Office National de Météorologie (ONM) http://www.meteo.dz Agence Nationale des Ressources Hydriques (ANRH) http://www.anrh.dz

VII


VIII

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Urbanisme et organisation spatiale Au M’Zab, l’urbanisation des ksour a été établi pour des raisons symboliques mais également pratiques. Cette radioconcentricité autour de la mosquée est le reflet d’une hiérarchie urbanistique répondant à l’ordre suivant : Pouvoir religieux - Habitations - Souk et marchés - Fortifications - Palmeraie

Quartiers d’habitation Mosquée Quartier d’habitation des savants Marché et remparts Palmeraie

Organigramme de la radioconcentricité de Ghardaïa

Au delà de cette centralité visible en plan, on constate également que cet ordre est pyramidal : au sommet, la mosquée apparait tel un signal fort. Le minaret surplombe la ville et assoit son pouvoir religieux. Ce lieu de culte est visible de tous et partout, invitant les fidèles à s’y retrouver ou dans les moçallah - aires d’assemblée et de prière. Véritable repère dans la ville, cet édifice religieux est le point de départ, le noyau fondateur de la cité. (cf vues aériennes de Ghardaïa ci-contre) A contrario, le souk est délibérement « rejeté » en périphérie de la cité pour que le commerce, se fasse à l’extérieur de la ville sans gêner les quartiers résidentiels, et pour garder les gens de passage à distance. L’activité divine est donc mise sur un piédestal par rapport aux activités des hommes.

©2018ghardaïatourisme

La palmeraie, quant à elle, sert à la culture agricole, à l’irrigation et peut être profitable aux habitants lors de la saison sèche, jouissant d’une résidence secondaire.

Schéma de la ville de Ghardaïa X


INTIME

Seuil

Impasse

Ruelle

PUBLIC

Voie Seuils d’intimité et de privatisation de l’espace public à la maison

Ce fonctionnement de la ville est en totale adéquation avec le caractère privé ou public des rues et passages. Plus on s’enfonce dans la ville, plus l’accès est restrictif. Les rues sont catégorisées selon 3 fonctions : - celles qui servent de passage de marché ou bien de lieux de rencontres grâce à des banquettes maçonnées aménagées le long des murs - passages et accès aux maisons -impasses privatives ne permettant que l’accès à sa maison, elle même dotée d’une marche de 20 à 30 cm en guise de seuil, de rupture avec la voie.

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Culture et traditions

« La beauté d’une forme vient des forces conciliées pour la produire. Au M’Zab, les formes concilient toutes les forces : sociales et techniques. L’équilibre de la société ellemême s’y exprime ; l’unité, l’égalité sociale, religieuse, d’après la foi. Ainsi toutes les maisons sont de la même hauteur, pareille à la mosquée. La forme exprime aussi la vérité dans les moyens, la forme structurale.» 1 Ces multitudes d’imbrications de volumes homogènes génèrent une grande qualité architecturale résidant dans la fabrication de toits-terrasses. La vie en communauté se fait alors en toiture et devient une pièce urbaine à part entière, qu’elle appartienne à une cellule familiale ou à la mosquée. On assiste là à l’emmergence d’un nouveau sol, stratifié, au coeur d’un milieu urbain dense. « Le M’Zab est prestigieux sans intention de prestige.» 2 Uniforme et humble, cette architecture sans prétention ne fait aucune distinction sociale. Toutes les classes sont alors confondues et cohabitent sans disposer d’ornementation en façade, de surface ou d’équipement supplémentaire d’une maison à l’autre. En ces termes, André Ravéreau écrit que « Sans doute la morale des bâtisseurs du M’Zab était elle religieuse et rigoureuse. Elle était surtout ‘’égalitaire’’ et négligeait l’esprit de prestige : mosquées plus grandes en raison du nombre des fidèles mais aussi simples que les habitations et point de palais. » 3 Ainsi, point de jalousie ou de rapport de force, chacun est ainsi logé à la même enseigne, ce qui limite les envieux et d’éventuels conflits au sein de la communauté mozabite. « Plutôt que d’élever l’homme simple au rang de l’Imam, c’est l’Imam qui est venu à celui de l’homme simple.» 4 La religion participe non seulement à l’urbanisation d’une ville et sa composition mais aussi à l’organisation spatiale au coeur même du logement. En voici un exemple : Dans les ksour, l’orientation des pièces et des ouvertures dans les habitations est sensiblement toujours identique et répond à une logique religieuse. Les chouf - meurtrières - du tezefri - salon pour femmes - vers le ammas an tadert - cour intérieure - se fait selon la qibla - direction vers La Mecque - vers le Soleil Levant (SE). Qu’importe la situation des maisons dans la ville, elle sera conçue selon cet axe directeur. « L’architecture est à la fois le miroir des sociétés, une de leurs images les plus pérennes, et le contenant de leur bien-être. La concrétisation, aussi, de leur culture. » 5

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FATHY Hassan, RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture (préface), Paris, Sindbad, p.13 RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.277 3 idem, p.141 4 idem, p.90 5 idem, p.32 2

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Nomadisme sédentaire

L’architecture vernaculaire est un principe d’ordre, de simplicité et d’authenticité en opposition à l’Architecture qui est pétrie d’habitudes, de jugements de goûts, de formalismes rigides, tous relatifs. L’abri en est l’exemple le plus élémentaire, une préoccupation de tous temps et de tous horizons, « qu’elle soit mythique, religieuse, philosophique ou directement architecturale, la spéculation a fait de la cabane primitive un paradigme de l’art de bâtir, un étalon selon lequel évaluer, en quelque sorte, les autres édifices, puisque c’est d’une si frêle origine qu’ils dérivent tous. » 1 Il existe au M’Zab deux typologies d’habitation, occupées selon les saisons. En saison sèche, on privilégiera celle dans la palmeraie car il y fait plus frais grâce à la végétation foisonnante alentour et les systèmes d’irrigation. Tandis qu’en saison fraîche, la maison urbaine en centre ville est alors le lieu de vie de prédilection. Je présenterai ces deux types de logement dans les pages à suivre, avec leurs différences et leurs similitudes. Mais revenons à l’idée même de l’abri et des grands principes de conception de l’habitat traditionnel du M’Zab. Il est bon de rappeler que « L’établissement de l’abri consiste en la construction d’une enveloppe qui isole un volume de l’espace environnant dont on doit se protéger. L’un des problèmes primordiaux de cette construction est le ménagement des ouvertures, ‘’passages’’ de l’homme, de l’air et de la lumière. [...] Lors de l’installation massive d’une population, comme au M’Zab, la répétition considérable d’exécution d’ouvertures s’effectua ‘’dans un même temps’’. Il importait donc que le procédé comportât une extrême économie de moyens, de matière et de temps. » 2 C’est pourquoi, l’ensemble des logements répond à la même logique constructive et symbolique de telle sorte que l’organisation spatiale résulte de rituels religieux et usuels. Le corps est alors la boussole qui légifère l’espace par son attitude tout en étant soumis au rapport astral liée à la qibla - direction vers La Mecque. En face, le Levant (Est) s’oppose au Couchant (Ouest) derrière. Le premier entretient une relation avec la tête et le haut du corps, en éveil, tandis que le second est associé aux pieds et au bas du corps. Les deux orientations s’opposent quand l’un inaugure la clarté, le lever du jour et ses activités quand l’autre évoque la fin de journée, l’obscurité, le sommeil, la mort. L’organisation spatiale est donc impactée par ces significations. Au sein même du logement, on distingue aussi une cission entre deux types d’espace. D’un côté, ceux commandés ou servants ne présentant aucune issue et de l’autre ceux qui assurent un accès, desservent et sont desservis. Cette mise en réseau centrifuge des pièces autour de l’ammas an tadert - cour intérieure. Il prend alors une place stratégique dans la maison car toutes les activités domestiques s’y concentrent. C’est par lui qu’on sépare et unie les pièces entre elles. Il contraint chaque usager à y passer et devient le foyer de la communauté familiale. Lieu de passage obligé, il permet le contrôle des allers et venues de chacun, aussi bien au rez-de-chaussée qu’à l’étage.

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RYKWERT Joseph, 1976. La maison d’Adam au Paradis, Paris, Seuil, p. 229 RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p. 42 XIV


saison sèche

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LA MAISON DE LA PALMERAIE

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2m

Coupe longitudinale sur le west ed-dar

Implantation : En périphérie de la ville, dans le lieu le plus frais et fertile de la vallée Usage(s): résidence secondaire pour les plus riches Altitude: 470m Orientation(s): Ouvertures des arcades de l’étage au Sud Surface au sol: environs 120m² Surface du logement: environs 170m² Nombre d’étage(s): R+ 1, en partie en terrasse + terrasses individuelles Nombre de logement(s): Un Nombre de famille(s): Une Nombre de membre(s): 8 à 10 personnes XV


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1 - sqiffa, entrée en chicane 2 - west ed-dar, centre de la maison 3 - foyer/cuisine 4 - tizfrit, salon/lieu de prière 5 - chambres 6 - iqomar, galerie 7 - emess enej, espace découvert 8 - chebeq, ouverture zénithale et grille

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Nomadisme sédentaire (suite)

Il est important de noter qu’il y a deux dialectiques dans le logement. D’une part les espaces masculins/féminins et d’autre part l’activité diurne/nocturne. Indissociables l’une de l’autre, ces deux « règles » génèrent une manière d’habiter bien précise visible dans l’architecture même du lieu. En effet, hommes et femmes ne fréquentent pas la maison de la même façon car les espaces sont qualifiés de manière fonctionnelle et donc genrés. Culturellement, le statut de la femme diffère de celui de l’homme car ils n’ont pas le même rôle au sein de la famille. La place de la femme au foyer est extrêmement importante dans son bon fonctionnement car elle est essentiellement associée aux tâches ménagères. A travers son utilisation féminine et masculine, la maison apparaît comme le lieu de passage symbolique où se croisent et s’entremêlent ces deux mondes. Là où s’arrête celui de la femme, commence celui de l’homme et réciproquement. Certains endroits sont exclusivement réservés aux hommes quand d’autres sont privilégiés pour les femmes et enfants. Contraintes de se cacher du regard des hommes étrangers au foyer, même s’ils sont de la famille, des lieux comme le laali - ce salon masculin qui sert aussi de lieu de réception pour les hommes - leur est interdit, tout comme un homme qui doit se rendre sur une terrasse, espace dédié principalement aux femmes et enfants, se doit d’annoncer sa présence et demander l’accès avant de se présenter, permettant ainsi aux femmes des maisons voisines de partir pour se soustraire au regard masculin. Ces codes de bienséance sont indispensables dans la vie en communauté et des dispositifs architectoniques sont donc mis en place pour la favoriser.

En fonction des saisons et des moments de la journée, l’espace habitable est occupé de façon itinérante, facilitée par la rareté du mobilier. Il devient alors aisé de se prêter au jeu de nomade au sein de la maison selon la course du soleil. En hiver, la vie se fait au rez-de-chaussée car il est l’endroit le plus préservé des rigueurs du froid. « Un nouveau lieu nommé cette fois emess enej qui se traduit par ‘‘centre du haut’’, mot qui n’a pas son équivalent dans les autres maisons du Maghreb puisque cette organisation est liée à une condition climatique différente. C’est le lieu le plus habité, la nuit durant l’été, le jour l’hiver. » 1 Durant la matinée, l’activité se déroule sur les terrasses ou sous l’iqomar. La mitoyenneté des habitations permet aux femmes et enfants de passer par les terrasses pour se rendre chez leurs voisins. Inconfortables en été à cause de la chaleur et de la luminosité reverbérée, il faudra patienter jusqu’à la tombée de la nuit pour jouir des bienfaits des écarts de température, aussi bien dans la maison urbaine que celle dans la palmeraie. Au petit matin, le rez-de-chaussée redevient praticable, car il aura bénéficié d’une ventilation optimale, raffraîchi pendant la nuit.

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RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.126 XVIII


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LA MAISON URBAINE saison fraîche

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Coupe longitudinale sur le west ed-dar

2m

Implantation : Vallée de l’oued M’zab, milieu désertique et hostile Usage(s): habitation liée à l’agriculture, au commerce ou à la petite industrie Altitude: 470m Orientation(s): Est et Sud sont très prisées Surface au sol: 60 à 100m² Surface du logement: 100 à 150m² Nombre d’étage(s): R+ 1, en partie en terrasse + terrasses individuelles sur certaines chambres. Nombre de logement(s): Un Nombre de famille(s): Une Nombre de membre(s): environs 8 personnes XIX


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Plan de toiture

Plan de l’étage en balcon Maison urbaine typique au M’Zab

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Circulation (entrée/escaliers) Espaces de vie Foyer/cuisine Pièces partagées Pièce d’eau Ouverture zénithale Terrasse

Plan de rez-de-chaussée, en double-hauteur partielle XX


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+ _ 190

brise

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RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p. 61, 62, 66 reproduction d’un schéma de principe des vues dans le logement par André Ravéreau XXI


Voir sans être vu

Pour pallier aux jeux de regards pouvant être dérangeant, le rapport aux proportions du corps humain prend toute son importance. C’est lui qui va générer les dimensions des ouvertures et des acrotères, toujours dans le but de respecter son voisin de se cacher soi-même de l’éventuel voyeurisme d’autrui. « Les rapports de dimensions, d’ouvertures ou de bâtiments sont ceux que réclament l’usage et les propriétés des matériaux. [...] l’harmonie n’y perd rien car elle repose sur des dimensions à chaque fois ne accord avec le rôle de l’objet, la stature de l’homme, ce que les architectes appellent ‘‘l’échelle’’.» 3 Comme expliqué précedemment, la femme ne doit pas être vue des hommes autres que son époux. Des dispositifs constructifs sont donc pensés de telle sorte qu’elle soit protégée, qu’elle puisse voir sans être vue. Ainsi le passant ou le voisin ne peut être tenté de jeter un coup d’oeil à l’intérieur de la maison car l’architecture ne lui permet pas de le faire. Le tout dans un souci de bienséance et de bon voisinage. Ici, la hauteur de l’acrotère sert à dissuader l’usager de pencher. Elle ne peut l’empêcher de le faire, mais le simple fait de sa hauteur alerte et rappelle à la correction (cf schéma n°1). Des ouvertures ponctuelles et peu nombreuses en façade permettent de préserver une certaine intimité en conservant la fraîcheur de l’habitat. Il n’y a pas de baie superflue, chacune a une fonction bien précise et sont principalement concentrées vers le coeur de la maison, lieu le plus fréquenté et le plus frais de la cellule familiale. La rue étant un espace dédié aux hommes, le logement est introverti et centré sur lui-même, hors de portée visuelle (cf schéma n°2). 4.

3

RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.201 reproduction d’illustrations de Riccardo Balbo dans WEBER Wili, YANNAS Simos, 2014. Lessons from vernacular architecture, Londres, Earthscan editions (Routledge), p. 42 4

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Savoir-faire, matériaux, construction

Schéma d’une structure typique1 1 - soubassement de pierre 2 - mur de toub-argile 15/15/35 3 - enduit ou timchent-teinté : bleu, ocre - à la chaux blanche ou brut 4 - tableau : enduit plus lisse - teinte différente du parement 5 - linteau double dont l’un sert d’huisserie 6 - gargouille en terre cuite 7 - chape en timchent 8 - voutains en blocage de cailloux 9 - enduit en timchent bleu 10 - poutre en palmier (portée 2m ; écartement 0.7m) 11 - arc en blocage de cailloux 12 - cintre en nervures de palme 13 - enduit d’enrobement

« Fonction, Structure, Forme sont là, indissolublement liées sous le signe de l’Economie et de l’Efficacité. » 2

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, RAVEREAU André, GENTON Pierre, juillet 1951. « Le M’Zab, une leçon d’architecture », courrier n°7 et 8 -10ème série, Technique et Architecture, s.l. (reproduction du dessin original) XXIII


Eléments primaires de construction listés par André Ravéreau : – Cailloux : sans taille, ni outil, ni choix (à l’origine il n’y avait pas d’extraction [...]); – Plâtre : gisement de gypse abondant sur le site, prise rapide, maniement à main nue; – Nervures de palmes : matière sans valeur, on est obligé de tailler chaque année ces djerid du palmier, abondante, pose sans façonnage ni assemblage. 3

« Il n’y a pas d’homme primitif il y a des moyens primitifs. L’idée est constante, en puissance dès le début. » 4

Les moyens employés, bien que rudimentaires, ne peuvent que trouver leur place avec justesse. Un matériau est pour moi le reflet d’un site, l’expression d’un lieu et d’une culture et parce qu’il a été trouvé sur place, il ne peut être que légitime. Il raconte une histoire, il ne ment pas. Ce qui fait la beauté d’une architecture vernaculaire. Au delà du matériau brut, le savoir-faire et l’ingéniosité du peuple mozabite sont fondamentals, essentiels à la construction et prédominants dans leur architecture. Il en va de leur expérience commune, de leur connaissance transmise de génération en génération, qui tendent à s’enrichir et s’améliorer au fil du temps et des erreurs commises. « J’ai toujours pensé que la matérialisation de l’architecture n’a pas lieu au moment où elle se dessine, mais au moment où elle se construit. Sinon, elle n’a pas de sens. L’architecture vernaculaire, née sur place, façonnée par les contraintes, est par définition plus contextuelle. Sa force, en même temps que sa fragilité, vient du fait qu’elle se situe dans la permanence et non dans l’événement. » 5 L’édification menée à son terme va, par les limites des matériaux et des moyens mis en oeuvre, prendre la forme qui lui est destinée, avec ses qualités comme ses défauts. Et c’est ce travail artisanal qui va acquérir tout son charme par ces petites irrégularités, ces petits accidents dûs à ce travail manuel. Ainsi, à titre d’exemple, franchir se fera forcément par un arc car il résulte de la courbure des palmes et de l’aspect monolithique du plâtre aggloméré aux cailloux qui épouse parfaitement la forme de l’armature qui l’accueille. « L’igloo et la case empruntent tous deux la forme ronde parce que c’est le geste exact qui convient à la matière utilisée. » 6 De plus, ce type de construction garde la fraicheur d’une pièce de part son inertie et son épaisseur, constituant un véritable rempart à la chaleur accablante qui sévit dans cette région du monde. L’absence de fondations véritablement profondes, les contraint à épaissir les murs ce qui les protège du climat. Cela ne nous viendrait pas à l’idée de construire un édicule très poreux, vitré avec une structure métallique ! Je citerai, pour clore ce chapitre, un architecte britannique des années 1970, John F.C Turner qui disait qu’ « Un matériau n’est pas interressant pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il apporte à la société. »

3

RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.43 LE CORBUSIER, 1926. Vers une architecture vernaculaire, Paris, G.Crès, p.53 5 FREY Pierre, BOUCHAIN Patrick (préface) 2010. Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, p.3. 6 RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.103 4

XXIV


II.

LE M’ZAB COMME INSPIRATION, VERS UNE ARCHITECTURE ADAPTEE

En quoi penser localement est-il écologique ? Comme explicité précédemment, les leçons à tirer du M’Zab sont nombreuses mais à adapter selon une époque et un contexte. Pour moi, il s’agit de l’exemple même d’une recherche de cohérence dans l’architecture en réponse à un lieu précis. La finalité de pareille édification est louable sous beaucoup d’aspects notamment sur le plan écologique, question d’autant plus actuelle de nos jours. « [...] il est essentiel de considérer qu’il n’existe pas d’oeuvre architecturale en dehors d’un contexte [...] Ce qui est intéressant, c’est de repérer ce qu’il y a de plus juste dans ce contexte, de le sortir comme l’élément fondateur de l’acte commun pour répondre à une demande qui ne soit plus l’expression d’une plainte ou d’un besoin.» 1 Le M’Zab fascine encore aujourd’hui car son architecture est juste et économe en matériaux comme en énergie. Sa force réside dans le fait qu’elle n’est bâtie qu’avec de la main d’oeuvre, des ressources et des outils locaux. Elle est respectueuse de l’environnement car elle ne nécessite pas de moyens coûteux ou gourmands en énergie (grise ou de chauffage), le tout étant bien évidemment lié au contexte plus archaïque de l’époque. Mais elle demeure un exemple écologique dans la mesure où elle est pensée en fonction du site auquelle elle est rattachée et ce que ce dernier peut offrir ou contraindre. « Prendre le M’Zab pour exemple, ce n’est évidemment pas pasticher les formes mozabites. Mais, partout où l’on se trouve, fût-ce en Alaska, refaire la démarche mozabite. Essayer de faire table rase des influences culturelles, les nôtres et celles d’autrui, écarter l’idée de la prévalence du prestique - même celui d’une idéologie -, et construire pour que l’objet satisfasse le mieux à son programme. Non dans l’aspect mais dans l’esprit de la région, imposé à partir du climat. » 2 L’industrialisation, les transports et les moyens de communication mis à notre disposition ont favorisé et favorisent encore une architecture « exportable », « duplicable » pouvant être construite de la même manière aux quatre coins du monde. Et c’est précisemment au moment de la conception du projet d’architecture que le maître d’oeuvre se doit de faire preuvre d’ingéniosité et de bon sens dans le dessin d’un projet, quelque soit son programme. Comme il serait impensable de construire un bâtiment en béton armé avec de lourdes fondations en zone sismique, il me semble contradictoire de présenter un projet qui ne réponde pas à des contraintes topographiques ou climatiques. « J’appelle le M’Zab la culture de l’utile. » disait Aoumeur Bakali, professeur de littérature et directeur de communication à Ghardaïa. Le M’Zab est une grande source d’inspiration dans ce sens car elle participe activement à l’idée d’une architecture adaptée et non « adaptable », oeuvrant également dans l’emploi de compagnons possédant un réel savoir-faire et une connaissance du terrain car directement concernés et issus du lieu de construction du projet. 1 2

BOUCHAIN Patrick, 2006. Construire autrement, Arles, Actes Sud, p.19 RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, p.27 XXV


Le voyage, une démarche influente sur notre perception du monde Il me semble que l’enseignement en école a ses limites dans l’apprentissage du métier d’architecte que le voyage peut alors combler, s’il est pratiqué dans une démarche contemplative, d’observation et d’imprégnation du lieu. Je perçois cette expérience comme un déconditionnement total de toutes les normes voire préjugés sur telle ou telle culture, il s’agit pour moi d’une émancipation vis-à-vis de l’aspect purement théorique de l’Architecture, et ce par la pratique d’un espace. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été habituée à bouger énormément de part la profession de mon père et à constamment me réadapter à un milieu différent. Cela a eu très certainement une influence considérable sur mon envie de découvrir d’autres lieux, architecture, cultures, personnes... Avec mon bagage d’étudiante en architecture, il va sans dire que la vision et la perception du monde évoluent avec le temps et l’accumulation de connaissances. Cela permet d’être plus attentif à notre environnement et d’avoir un regard critique, positif ou non, sur ce que l’on voit. Je pense que ces rencontres, ces découvertes, parfois hasardeuses, participent à nous forger une opinion et une ouverture d’esprit que seul le fait de voyager peut nous offrir. J’ai eu la chance d’avoir de multiples opportunités de voyager, et chaque excursion a eu son lot de surprises. Tout comme l’apprentissage d’une langue, il faut être immergé dans un environnement particulier pour en tirer le plus d’enseignements. Patrick Bouchain l’exprime très justement lorsqu’il écrit, « L’homme est donc nomade, [...]toujours à la recherche d’une autre rencontre pour s’enrichir, se confronter... toujours en mouvement. [...] en faisant halte, il fabrique des choses différentes que celles faites dans le mouvement, il construit autrement, ses outils, ses rapports et ses rythmes deviennent plus stables. Il réalise quelque chose.» 3 L’expérience qui pour moi est la plus déterminante reste mon stage en agence d’architecture à Casablanca en février 2017. A la fois projetée dans ce milieu professionnel et dans un tout autre pays - bien que marqué par la présence française pendant plusieurs décennies - j’ai pu approcher ce domaine sous un autre angle. A la fois sur les chantiers et en agence, la mentalité et les savoir-faire locaux sont autres. Les phases de projet, bien que similaires aux nôtres, sont abordées différemment, à un rythme et une manière de faire parfois surprenants. Travailler au Maroc fut une expérience unique m’ayant permis de découvrir des contraintes et des impératifs très différents de ceux auxquels un architecte fait face en France métropolitaine. Etant donné qu’il me serait très difficile de parler plus longuement des lieux que j’ai eu la chance d’arpenter, j’ai tenté d’établir une comparaison à l’échelle globale montrant l’organisation urbaine des différentes régions du monde ayant les mêmes caractéristiques climatiques et géographiques permettent d’appréhender les relations et similitudes architecturales. J’ai remarqué beaucoup de convergence malgré les distances qui séparent ces différents pays notamment parce qu’ils présentent le même climat. Par exemple, l’architecture tanzanienne se rapproche de la marocaine, la cubaine ou même la guyanaise car toutes ces régions ont pour point commun un climat chaud sec et/ou humide. L’architecture de ces milieux est notamment visible en plan masse. (voir mappemonde ci-après)

3

BOUCHAIN Patrick, 2006. Construire autrement, Arles, Actes Sud, p.109 XXVI


London - RU

Gand - BELGIQUE

Paris - FRANCE

Nashville, TN - USA

Barcelona - ESPAGNE

La Habana - CUBA

Lisboa - PORTUGAL

Cayenne - GUYANE

Casablanca - MAROC

Antofagasta - CHILI

Dakar - SENEGAL

XXVII


M’Zab - ALGERIE

Berlin - ALLEMAGNE

Varsovia - POLOGNE

Praha - TCHEQUIE

Istanbul - TURQUIE

Genève - SUISSE

Zanzibar - TANZANIE

Venezia - ITALIE

XXVIII


CONCLUSION

« Prenons un homme du M’Zab, il a construit sa maison selon sa quotidienneté. Comme dans un habit à sa taille : dedans il se sent à l’aise, il n’est ni trop grand ni trop serré. Voilà une chose interdite à l’homme moderne. » *

A l’ère de la standardisation, du préfabriqué et de l’Architecture dite « universelle », il me semble primordial de prendre du recul, de requestionner notre manière de projeter et de construire. A l’instar du peuple mozabite, de leurs us et coutumes, l’Architecture devrait davantage répondre à des modes de vie, des usages, et des besoins pertinents. Elle est un « vêtement que l’on enfile à plusieurs », et doit s’adapter à l’Homme et non pas l’inverse. Tout ce qui fait la durabilité d’une architecture dans son espace-temps est qu’elle est intelligemment pensée, économe et rationelle. Je dirai que ce processus de pensée est efficace grâce à une immersion et une compréhension dudit site et de l’ensemble de ses paramètres. Il s’accompagne d’une étude anthropologique de la population locale et de ses attentes, puis d’un choix judicieux de systèmes constructifs incluant des matériaux propres à la région du monde auquel le projet est rattaché. Une architecture ne se déplace pas. Nous nous déplaçons vers elle. Cette prise de conscience s’est manifestée lors de mes nombreux voyages ainsi qu’au cours de mes différents stages, notamment celui que j’ai fait à l’étranger. Il m’a semblé évident qu’une architecture « réussie » et efficace puise sa richesse dans le fait qu’elle soit endémique et non duplicable. Elle est l’expression d’un climat, d’une topographie, d’une histoire, d’une culture, de savoir-faire... tant d’éléments qui ne devraient pas être transgressés dans la conception d’un projet.

* FATHY Hassan, RAVEREAU André, 1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture (préface), Paris, Sindbad, p.14 XXIX


J’ai aussi eu la chance d’avoir fait une école telle que l’EPSAA avant mon entrée en équivalence à l’ENSAPVS car j’ai pu abordé le projet d’architecture sous un angle concret et constructif, de part la courtesse de cette licence professionelle. Cela m’a permis d’être directement projetée dans le monde indissociable de la théorie et de la pratique, de la main et de la pensée, de la construction et du dessin. Cette étude introspective que j’ai menée au cours de mon rapport sur le M’Zab marque pour moi un tournant dans la manière dont j’envisage mes projets futurs. Dénué de tout artifice, ce type d’architecture, simple et essentiel, répond parfaitement à mes aspirations et à l’état d’esprit dans lequel je souhaite poursuivre mes études. Cela m’a permis de réinterroger ma sensibilité et de réaffirmer mes positions quant au processus de réflexion du projet d’architecture. Ma mobilité et mes voyages ont également participé à ma culture architecturale et m’ont forgée une maturité qui se ressent dans l’expression de mes idées à travers de nombreuses disciplines liées à l’Architecture. J’étais et suis toujours imprégnée du lieu dans lequel je me suis rendue et cela se voit explicitement dans mes propositions de projets. Mon départ en échange au Chili pour ma première année de master n’est donc pas anodin: j’y vois là une opportunité de m’ouvrir davantage, d’appréhender une architecture nouvelle et d’en connaître les codes. J’envisage d’ancrer le plus possible mes projets dans une logique d’économie de matière et de moyens, en faisant preuve d’une ingéniosité de conception au vu d’un contexte donné. C’est pourquoi mon choix d’orientation vers le domaine d’étude « expérimental » en master me permettrait d’appréhender plus concrètement une architecture respectueuse et mesurée, ayant pour finalité une mission humanitaire une fois diplômée.

XXX


XXIX

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BIBLIOGRAPHIE ASQUITH Lindsay, VELLINGA Marcel, 2006. Vernacular architecture in the 21st Century : theory, education and practice, Londres, Taylor & Francis, 312 p. BOUCHAIN Patrick, 2006. Construire autrement: comment faire? , Arles, Actes Sud, collection L’Impensé, 190 p. FREY Pierre, BOUCHAIN Patrick (préface) 2010. Learning from Vernacular : pour une nouvelle architecture vernaculaire, Arles, Actes Sud, 170 p. ILLICH Ivan, 1983. Le Genre vernaculaire, Paris, Seuil, 252 p. LE CORBUSIER, 1926. Vers une architecture, Paris, G.Crès, 230 p. MEISS (von) Pierre, 2012. De la forme au lieu + de la tectonique: une introduction à l’étude de l’architecture, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 384 p. RAVEREAU André, GENTON Pierre, juillet 1951. « Le M’Zab, une leçon d’architecture », courrier n°7 et 8 - 10ème série, Technique et Architecture, s.l. RAVEREAU André, FATHY Hassan (préface)1981. Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, 278 p. RAVEREAU André, RAVEREAU Maya, BERTAUD DU CHAZAUD Vincent, 2007. Du local à l’universel, Paris, Linteau,160 p. ROCHE Manuelle, 2003. Le M’Zab : cités millénaires du Sahara, Bez-et-Esparon, E&C éditions, 117 p. RUDOFSKY Bernard, 1964. Architecture without architects : A Short Introduction to Non-pedigreed Architecture, New York City, Doubleday and Co., 128 p. RYKWERT, Joseph, 1972. La maison d’Adam au Paradis, traduit de l’anglais par Lucienne Lotringer avec la collaboration de Daniel Grisou et Monique Lulin en 1976, Paris, Editions du Seuil, 253 p. WEBER Wili, YANNAS Simos, 2014. Lessons from vernacular architecture, Londres, Earthscan editions (Routledge), 215 p. ICOMOS (International Council On Monuments and Sites), mai 1982. Incription du M’zab sur la Liste du Patrimoine Mondial, Paris, 3 p. (article officiel photographié au Tate Modern Museum de Londres) Site officiel d’ALADAR, l’Association des Amis d’andré Ravéreau. http://www.aladar-assoc.fr Site d’Association d’Orientation Touristique www.ghardaiatourisme.free.fr

Reportage « La Vallée du M’zab », 15/04/2007. collection Muséoscope, production EPTV - Canal Algérie, présenté par Boulemaali Radia. (4’30’’) http://www.medmem.eu/fr/notice/EPT00067 GAMICHON Louise, 26/04/2016. « L’ibadisme, troisième voie de l’islam », Le Monde http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/l-ibadisme-troisieme-voie-de-l-islam-26-04-2016-5421_110.php Conférence sur le thème du Cycle des matières, Architecture vernaculaire au fil de la Terre : retour sur un voyage initiatique, le 20 octobre 2016. Maison d’Architecture d’Aquitaine - 308, Bordeaux. https://www.youtube.com/watch?v=qsHeuTejG0g XXX


IMAGES Couverture : George STEINMETZ Illustrations originales : André RAVEREAU Vue aériennes : George STEINMETZ, Yann ARTHUS-BERTRAND et Tarik KIKO Photographies : Manuelle ROCHE Fonds de carte : Google Earth et Guide Michelin 1956 Reproduction, mise en couleur et légende : Camille MONTEIL Autres schémas sans droit d’auteur : Camille MONTEIL



« Effacez l’artifice, Il ne reste que la construction ! Ce qui frappe l’observateur, ici, c’est l’unité générale de caractère. Il n’y a pas deux gestes, que l’on construise le barrage, la mosquée, la maison... Les bâtisseurs ont réduit et épuré toutes les raisons d’influence ou de prestige et choisi des solutions égalitaires - pas de palais au M’Zab - , il se sont trouvés confrontés aux seuls problèmes de défense et d’environnement. » André Ravéreau. Dans ce rapport, je tente d’expliciter les motivations qui m’ont poussée à choisir le thème de l’architecture vernaculaire. J’en définie les termes, en me penchant plus particulièrement sur le cas du M’Zab, cité millénaire d’Algérie. Je remets cet habitat traditionnel mozabite dans son contexte, révélant ses qualités spatiales et constructives. Ensuite, je mets en perspective ces constats en m’interrogeant sur l’apport d’une telle architecture dans notre manière de concevoir actuelle, et en quoi la démarche du voyage est nécessaire à enrichir notre culture du projet et à la rationaliser.

ARCHITECTURE VERNACULAIRE - M’ZAB - ALGERIE - VOYAGE - SITE - CONTEXTE CULTURE - RELIGION - HABITAT TRADITIONNEL - MATERIALITE - LOCAL - ECOLOGIE


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