Ardennes & Alpes n°216

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Ardennes Alpes

#216 / 2e trimestre 2023



Ardennes & Alpes — n°216

édito En juin 2023, le journal Le Soir titrait : « On vend l’Everest à des gens qui ne savent pas faire de la montagne ». Pour illustrer cet article, Le Soir reprenait une photo qui avait marqué les esprits : l’immense file d’attente au niveau du ressaut Hillary en mai 2019. Un extrait qui interpelle : « Aujourd’hui, avec des sommets comme l’Everest, on se retrouve avec 90 % des gens qui ne sont pas en capacité de porter secours parce qu’ils sont eux-mêmes en danger pour progresser seuls ». Le Club Alpin Belge a quant à lui pour but d’accompagner les pratiquants dans leur évolution dans la découverte, l’encadrement, l’autonomie ou la performance. Une des valeurs fortes de notre Fédération est bien l’entraide et l’apprentissage à l’autonomie. La sur fréquentation de l’Everest a pour corollaire l’abandon de nombreux déchets sur place. Une initiative peu connue qu’il convient de mettre en évidence est l’opération « Clean Everest » initiée il y a quelques années par la Française Marion Chaygneaud-Dupuy1. Au cours des 4 premières années, 10 tonnes de déchets ont été collectées. Clean Everest a également mis en place un modèle de gestion des déchets sur la base d’une charte de la montagne propre. Le projet permet, en les formant, d’impliquer et de soutenir les guides et 1 - https://www.unesco.org/fr/articles/clean-everest

L’israélien Ido Fidel dans son dernier bloc de finale hommes ECB 2023

les populations locales. Une nouvelle forme de pratiquer l’alpinisme ? Loverval 2023, dernière manche de Coupe d’Europe de Bloc, a été un grand succès ! Merci à l’équipe professionnelle du Club Alpin pour son travail assidu, à l’ADEPS, à nos sponsors, aux participants et aux invités. Et félicitations à nos athlètes pour leurs performances, en particulier la médaille d’or de Chloé Caulier ! Vous le constatez par vous-mêmes, le coût de la vie augmente. Notre Fédération n’échappe pas à la règle. Pour se donner les moyens de poursuivre le développement de nos sports et d’améliorer le service à nos affiliés, le Conseil d’administration a décidé d’augmenter le montant des cotisations. Tous les détails dans les pages qui suivent.

© Thibaut Debelle Photography

Le 29 mai 1953, le sommet de l’Everest était atteint pour la première fois par Tensing Norgay et Edmund Hillary. C’était il y a 70 ans. 25 ans plus tard, le 8 mai 1978, l’Italien Reinhold Messner et l’Autrichien Peter Habeler atteignaient le sommet de l’Everest pour la première fois sans apport d’oxygène.

La pause estivale approche, synonyme pour beaucoup de départ en vacances. Que vous partiez loin ou que vous restiez dans la nature près de chez vous, profitez-en ! Rapportez-nous des photos et des récits qui égailleront les prochains numéros d’Ardennes et Alpes. Je vous laisse découvrir ce numéro riche et varié. Bonne lecture et bonnes vacances !

DIDIER MARCHAL Président du CAB page 3


WESTFJORDS STORY Jean-Françoi s Pauly © 20 23

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© 2023

Début février, le tournage d’un film m’emmène deux mois en Islande. Nous sommes cinq Belges sur une équipe de plus ou moins 50 personnes principalement islandaises mais aussi britanniques.

Adrien Knoo ps

VÉLO-TRAIMPE PAGE 11

Ça faisait un petit temps que nous voulions prendre le large. Une petite aventure pour rencontrer, grimper, rigoler et découvrir. On connaît une recette pour ça : plantez une tente accompagnée de falaises, saupoudrez de grimpeurs et laissez mijoter, la sauce prend rapidement.

ALP © 2

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ALP PROJECT PAGE 14

Le 23 janvier 2023, le grand départ est lancé de Salzbourg, en Autriche. Après 2 jours de voyage en train et des mois de préparation, l’excitation est grande et palpable. Enfin nous nous lançons dans cette grande aventure imaginée de toutes pièces : Austria to Littoral Path ou ALP Project.

UNE HIGHLINE DE 1.2 KM

Sommaire 3

Édito

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Un pari sur l’avenir

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Westfjords Story

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Vélo-traimpe — Un trio gagnant pour tandemontagnes

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ALP Project

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Corse — Mare è Monti > Calenzana > Cargese

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Une virée dans les Calanques

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Trois frangins sur le GR20

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Henri La Fontaine et Émile Vandervelde — Une cordée au sommet (partie 1/2)

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LIRE : Henri La Fontaine, prix Nobel de la Paix en 1913 — Pierre Van den Dungen

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LIRE : Dette d’oxygene — Toine Heijmans

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Réflexion sur le fond et sur la forme

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LIRE : La Montagne de ma peur — David Roberts

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Une highline de 1.2 km — traversant la vallée de la Warche

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Born to climb — un pont historique deviendra bientôt un site d’escalade unique en Belgique.

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De l’or à Loverval

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Sven Lempereur — Interview

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Sylvain

Lienne

© 202

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Question : Comment fait-on pour amener cette ligne de l’autre côté de la vallée ? C’est de loin la question la plus fréquemment posée, à juste titre, car selon la situation, c’est l’étape la plus difficile de tout le processus d’installation. Chez les « highliners », nous appelons cette étape la connexion.


Un pari sur l’avenir

Richard

Coulie

©

LE CONSEIL D'ADMINISTRATION

Le Conseil d’administration du Club Alpin Belge a décidé d’augmenter le montant des cotisations. Plutôt que de vous laisser découvrir par vousmêmes les nouveaux montants lors de votre affiliation ou ré-affiliation, nous avons voulu vous dévoiler le dessous des cartes.

Il s’agit d’un pari sur l’avenir : augmenter le montant des cotisations, c’est prendre le risque de voir le nombre d’adhérents diminuer en raison de l’augmentation du prix. Mais c’est surtout se donner les moyens de développer notre Fédération, pour le profit de tous ! Gageons que vous nous suivrez en nous restant fidèles !

Quelques mots d’explication.

compétitions, les besoins de davantage de communication, de soutien à ces jeunes ; •

L’indexation générale en Belgique ne nous a pas épargnés : 12 % pour les salaires, 10 à 20 % sur d’autres frais et encore 5 % d’inflation en 2023 après les 10 de l’an dernier…

Comme nous pratiquons des sports comprenant des risques, il importe de continuer à amplifier l’effort de formation, à la sécurité, au secourisme, former des moniteurs, former des initiateurs alpinistes, former et former encore, tout en améliorant la qualité des formations ;

Globalement, il faut aussi combler l’érosion lente et structurelle du bénévolat pour toute une série de missions, comme dans la plupart des clubs et des ASBL ;

Les finances publiques belges étant ce qu’elles sont, il y a peu de chance d’obtenir un grand refinancement du sport… et de nos disciplines.

Les réflexions menées en Conseil d’administration sont les suivantes :

C’est tout cela qui nous a amenés à prendre la décision d’augmenter le montant des cotisations.

En 2023 et 24, la Fédération doit s’atteler au renouvellement des permis d’environnement pour l’accès aux rochers. C’est un gros travail, en temps, en argent, en suivi. Les procédures sont plus complexes qu’avant ;

Tout cela, pour honorer les challenges qui se présentent à nous, pour continuer à pratiquer avec le plus de sécurité, de formations, doper les filières pour les jeunes et les athlètes.

Les rochers ont besoin d’équipements renouvelés, d’inspections, et même pour certains massifs de sanitaires et d’aires de bivouacs vu la hausse de la fréquentation. C’est vital, car l’équipement, c’est notre sécurité. La propreté, un gage de respect vis-à-vis des autres usagers des sites ;

L’arrivée de l’escalade aux Jeux Olympiques, ainsi que l’engouement croissant pour ce sport, font que le nombre de membres augmente, mais aussi les besoins de nouvelles

Le Conseil d’administration a choisi de faire un effort pour maintenir les cotisations « jeune » à un niveau le plus raisonnable, pour soutenir la jeunesse, l’avenir de nos pratiquants. Cette augmentation des cotisations permettra à l’équipe professionnelle de continuer à travailler dans les meilleures conditions, mais servira aussi bien entendu à améliorer les services aux membres.

Barre des Écrins depuis le Col du Galibie page 5


CONCRÈTEMENT

RANDO

INDOOR

COMPLÈTE

Adultes

40 €

48 €

110 €

Juniors

29 €

35 €

65 €

Pourquoi s’affilier au Club Alpin Belge ? En fonction du type d’affiliation, les avantages sont nombreux et variés !

RANDO

INDOOR

COMPLÈTE

Randonnée

Escalade structure artificielle (salle) et slackline hors massif d’escalade

Pour tous nos sports

Assurances

> Responsabilité civile (RC)

> Assurance accident individuelle (AC)

> Protection juridique

> Couverture d’assurance adaptée à vos pratiques en club et individuelle

> Zone de couverture de l’assurance

Conseil de l’Europe

Monde entier

Monde entier

> Frais de recherche et de secours en montagne

 (uniquement lors de randonnées)

Activités concernées

> Rapatriement, couverture étendue et/ou annulation

Option

Option

Option

Un accès à des formations professionnalisantes

Abonnement au trimestriel « Ardennes & Alpes »

Accès à la bibliothèque du CAB (plus de 3 000 ouvrages)

Des réductions dans les refuges d’autres Clubs Alpins (principe de réciprocité)

L’accès à plus de 30 sites naturels d’escalade en Belgique

Et un avantage qui ne se chiffre pas, c’est d’appartenir à une communauté de près de 6000 passionnés de nature et de montagne, avec tous les sports et valeurs qui y sont associés !

Alors, bienvenue chez nous et au plaisir de vous croiser en rando, en escalade ou quelque part en montagne ! LE C.A.

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Westfjords Story

Tournage d’une scène à Önundarfjördur, Flateyri – février 2023

JEAN-FRANÇOIS PAULY — Texte et images

Début février, le tournage d’un film m’emmène deux mois en Islande. Nous sommes cinq Belges sur une équipe de plus ou moins 50 personnes principalement islandaises mais aussi britanniques. Le film s’intitule The Damned et raconte l’histoire de pêcheurs isolés pendant un long hiver au XIXe siècle. Le poisson ne mord pas à leurs lignes et lorsqu’un navire basque s’échoue sur les récifs à l’entrée de leur fjord, ils se trouvent dans l’impossibilité de sauver les naufragés et de tous passer l’hiver avec leurs maigres réserves. Ils devront ensuite subir les conséquences de leurs décisions et ce faisant s’attirer les foudres d’un draugur, sorte de démon nordique…

La Belgique étant un pays idéal pour les coproductions internationales, il arrive souvent que des Belges soient envoyés tourner à l’étranger. Cela permet de découvrir des pays pas forcément éloignés et de s’immerger dans la culture pendant plusieurs semaines en travaillant avec les locaux tout en développant une vie quotidienne sur place. Au sein d’une équipe de cinéma, chacun se voit attribuer des tâches bien spécifiques afin d’être le plus efficace possible, car mettre en branle tout ce petit monde coûte très cher. Mon boulot c’est deuxième assistant caméra. Mon rôle est d’installer et d’assurer le bon fonctionnement de la caméra et de ses accessoires (objectifs, filtres, batteries, cartes mémoires, système vidéo sans fil, etc.) pour que les personnes qui se concentrent sur l’aspect artistique n’aient pas à se soucier de la technique liée à la prise de vues. Tous les jours, suivant le scénario, les choix de mise en scène, les réalités du décor naturel ou non et la météo, les situations seront différentes et il faudra s’y accommoder. Pas vraiment de routine dans ce travail où une grande capacité d’adaptation est requise. Pour réaliser au mieux la vision artistique du film dans les contraintes de production, il nous faut, en tant qu’équipe, pouvoir maîtriser ou coordonner tous les éléments humains et page 7


Notre principal cassetête sur les décors était de garder la neige « propre » de nos nombreuses traces de pas. non-humains. Si ça peut parfois être facile en studio, c’est rarement le cas en décor naturel. Nous avons tourné dans le nord-ouest de l’île, juste sous le cercle polaire arctique, à quelques 350 km des côtes du Groenland près de la ville d’Ísafjörður (fjord des glaces) dans la région des Vestfirðir (Westfjords). Avec ses 2 700 habitants, son port de pêche, ses deux supermarchés, son école secondaire et son hôpital, c’est une ville importante. Comptez cinq heures de route pour atteindre une autre ville avec autant de commodités. Ici toute la vie humaine se concentre sur le bord de mer et les

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routes zigzaguent longuement dans les fjords créés par les anciens glaciers. Les montagnes basaltiques s’élèvent à 700 m quasiment à pic et laissent peu de place pour les humains qui se protègent tant bien que mal des avalanches et des éboulis de rochers. Sans les récents tunnels permettant de relier certains fjords, ceux-ci étaient simplement inaccessibles l’hiver par les routes des cols. Toute proportion gardée avec notre époque mondialisée, on n’est pas loin de l’isolement des pêcheurs de notre histoire… Quand on arrive quelque part avec toute la machine de cinéma de fiction, on est fort lourd : les camions techniques des différents départements, les loges pour les comédiens, un espace de bureau, un endroit pour manger à l’abri et au chaud, des toilettes mobiles, etc. Tout ceci va former notre camp de base. Si le décor naturel ne se trouve pas à côté d’un endroit où tout ce brol peut tenir, il va falloir jouer aux sherpas avec le matériel nécessaire sur le plateau. Et si en Bel-


gique on a l’habitude de se déplacer au moyen de roulantes, cette fois on a dû utiliser des luges ! Contrairement à l’alpinisme qui se vit à 360°, dans le cinéma, on a la possibilité de tricher en choisissant les axes de prises de vues et souvent des décors paraissant inaccessibles sont en réalité à quelques centaines de mètres de notre camp de base. Pas besoin d’atteindre le plus haut sommet pour la photo ! Notre principal casse-tête sur les décors était de garder la neige « propre » de nos

Ci-contre grande: Óshyrna (656 m) – février 2023 Ci-contre petite : Vue sur Ernir (696 m), Lambamúli (628 m) et le port de Bolungarvik depuis Ósvör – mars 2023 Portrait : Un instant à l’abri dans la camionnette pendant une nuit de tournage – février 2023

nombreuses traces de pas, mais aussi de ne pas glisser avec la caméra, les optiques ou d’autres choses aussi chères que fragiles. Pour ça, presque toute l’équipe portait de petits crampons « de ville » qui se sont avérés si bien utiles que j’en ai usé deux paires jusqu’au bout. Au vu de la météo imprévisible et changeante, la production a décidé de reproduire en studio la cabane du poste de pêche, nous permettant de tourner les scènes intérieures du film confortablement quand les conditions n’étaient pas celles recherchées. Parfois c’est le vent qui nous a empêchés de déplacer les camions, au risque qu’ils se renversent à la sortie du tunnel en direction du fjord d’à côté. À d’autres moments, ce fut le manque de neige. De fait, comme un peu partout en Europe continentale, cet hiver a été plutôt chaud et sec pour l’Islande. Nous avons page 9


Grande: La moraine du Skálafellsjökul – mars 2023 Petite : Le lac glaciaire Fjallsárlón sous la pleine lune – mars 2023

eu pendant une dizaine de jours une période de redoux par moment accompagnée de pluie qui a fait fondre la neige de nos décors situés en bord de mer. Même si les montagnes dans l’arrière-plan restaient enneigées et que nous avions le matériel nécessaire pour faire de la fausse neige à base de cellulose, il nous était impossible de tourner en extérieur. En raison du sol tellement détrempé et enclin à l’érosion, les propriétaires des décors refusaient qu’on s’y rende tant qu’une bonne couche de neige protectrice ne recouvrait pas ces mousses si fragiles qui font le charme des paysages islandais une fois l’été venu. Après deux mois au pied de ces montagnes impressionnantes, mais étrangement similaires, il me titillait d’aller voir d’autres régions de l’île. Alors, une fois le film mis en boite, je suis resté à vadrouiller une semaine dans le sud-est, entre Vík et Höfn. Là, l’activité volcanique à l’œuvre sous le glacier Vatnajökull transforme radicalement page 10

et rapidement le paysage. Sa vitesse d’exécution contraste avec le lent travail d’érosion des glaciers qui ont creusé les fjords du nord-ouest. La temporalité est impressionnante : si en géologie on parle toujours de phénomènes se déroulant sur des millions d’années, ici en quelques générations humaines, les sédiments des glaciers et la lave font reculer la mer sur des dizaines de kilomètres ! Notamment à cause des jökulhlaup, d’impressionnantes crues résultant de l’éruption d’un volcan sous-glaciaire et de la vidange de son lac présent dans le cratère. On parle ici en km3 de roches, glace et lave charriés par l’eau en quelques heures…et c’est arrivé plus de 10 fois en Islande au cours du siècle dernier ! Les paysages lunaires ainsi créés sont aussi inhospitaliers qu’envoûtants et replacent l’humain à sa juste place : vulnérable, simple visiteur et dépendant de sa technique pour survivre en ces régions hostiles. Cette force omniprésente des éléments terrestres aura résonné en moi. Je reviens sur le continent non seulement passionné de reliefs et de progression dans ceux-ci, mais dorénavant captivé par leur histoire et leur formation. Aussi, je reviens grandi de cette expérience de travail enneigée et désormais prêt à relever les défis d’un tournage en milieu extrême. Pourquoi pas l’Antarctique la prochaine fois ? !

JEAN-FRANÇOIS PAULY

https ://fr.wikipedia.org/wiki/Draugr https ://cineuropa.org/fr/newsdetail/441793/ voir Jökulhlaup


Vélo-traimpe Un trio gagnant pour tandemontagnes 1

CLAIRE JANSSENS & ADRIEN KNOOPS — Texte & images Ça faisait un petit temps que nous voulions prendre le large. Une petite aventure pour rencontrer, grimper, rigoler et découvrir. On connaît une recette pour ça : plantez une tente accompagnée de falaises, saupoudrez de grimpeurs et laissez mijoter, la sauce prend rapidement. Mais tout ça en essayant de limiter notre empreinte environnementale, et que d’autres après nous puissent faire pareil, c’est plus compliqué. Le vent d’enthousiasme semé par les récents exploits verticalo-véliques belges nous motive à tester la voie maritime. Quelques cours de voile et deux trois vomis plus loin, le projet tombe à l’eau. Une autre idée émerge : un voyage en tandem ! Quelques discussions avec des amis où il est question de « Divorce-bike » et où le deuil de notre couple semble la seule issue possible finit de nous convaincre que c’est l’idée du siècle. Alors que la majorité de nos proches sont à la recherche d’un bien immobilier, nous avons le projet autrement ambitieux de trouver un tandem pliable de seconde main. Ledit tandem est trouvé en terre sainte cycliste flamande. À nous les cocotiers de Méditerranée en février ! Une planification millimétrée suivie d’un départ encovidé et d’une annulation massive des trains réservés donnent directement le ton : notre voyage sera sous le signe de l’improvisation.

Tandem een Nous rejoignons finalement les copains d’Entre Ciel et Terre à Seynes1 pour le vrai départ. Une petite semaine de grimpe, de chaleureux adieux en distanciation sociale et nous voici enfin partis à vélo. Notre équation parfaite formulée en Belgique : Sud = Chaud, est rapidement mise en

échec à l’arrivée à Avignon où nous nous retrouvons dans un violent mistral, geignant. Nous décidons d’intensifier notre migration méridionale et prenons un train pour Gênes. Après avoir raté deux fois le bateau qui doit nous amener en terre promise sicilienne, quelques larmes seront nécessaires pour que nos armateurs italiens nous prennent en pitié et nous dégotent une place sur le suivant. La découverte de l’immense paquebot sème un doute bientôt confirmé sur l’impact environnemental de la traversée. Un rapide calcul nous suggère que le transport passager maritime pourrait être vraiment écologique si celui-ci n’était pas réalisé sur des bateaux de croisière portant des voitures, restaurants et autres casinos. Croisons-les doigts pour que de nouvelles alternatives soient lancées2 ! Alors que nous pensions trouver en Sicile un dépaysement méditerranéen, nous nous retrouvons après quelques coups de pédales sur le site d’escalade de San Vito dans une ambiance étrangement familière. Dix-sept compatriotes flamands ont planté leurs tentes dans le camping vide pour notre plus grand bonheur, on se croirait à Freyr ! La suite de notre tournée cycliste sicilienne sera avortée quelques jours plus tard par un lumbago pour Adrien, on n’a plus 20 ans. Nous battons en retraite vers Malte, le dos courbé mais la tête haute pour de nouvelles aventures varapesques. Nous atteignons ensuite la Grèce où une vague de froid historique sévit. Notre quête de chaleur nous emmène toujours plus au sud et le mythe de l’île brûlante de Kalymnos s’effondre lorsque des flocons de neige s’abattent sur des tufas desquels tombent des stalactites de glaces, au moins ça colle ! Nous arrivons finalement à quitter notre prison dorée-glacée pour mettre le cap sur la Turquie. La réputation des chiens de bergers Kangals turques et une cynophobie aiguë développée en Sicile fait planer un

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léger nuage d’appréhension sur cette nouvelle aventure. Mais dès le premier soir, une meute de chiens de talus particulièrement bien léchée nous offre une thérapie canine salutaire. La chaleur est enfin là et nous naviguons gaiement en tandem sur la côte turque à la recherche des plus belles colonnettes, de Datça à Olympos jusque Geyikbayiri près d’Antalya. Nous y serions bien restés toute la vie mais la fournaise estivale commence à s’installer et nous quittons notre Eden turc pour une belle traversée cycliste de la Crète et du Péloponnèse. C’est lors d’une montée de col sous une chaleur écrasante que le nord et sa fraîcheur nous appellent.

Tandem twee Après une journée sur les sites Internet ferroviaires européens à essayer de réserver des trains déjà complets, c’est la déconfiture. Le plan initial théoriquement bouclé en 3 trains de nuit se transforme en un trajet de 7 trains et 1 bus pour un total de 60 heures depuis la Belgique. Ce voyage exalto-exubéro-exténuant nous apporte son lot d’aventures et nous demande de rivaliser d’ingéniosité pour embarquer un tandem horsla-loi dans pas mal de trains. La technique la plus efficace semble d’abandonner le paquetage dans un autre wagon pour que le contrôleur ne retrouve les propriétaires qu’au terminus. Arrivés à Tromsø, le changement est brutal. Les tufas et dévers calcaires athlétiques méditerranéens sont devenus grandes voies techniques en trad

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Nous y serions bien restés toute la vie mais la fournaise estivale commence à s’installer. sur granit norvégien. Sacrée ambiance ! Nous nous adaptons au climat local du soleil de minuit, où la fenêtre météo devient l’horaire. Au petit refuge de montagne au pied des voies, c’est pancakes à minuit, départs à 2 h et odeur de bacon frit à 4 h, chacun suit son rythme qui se rit des conventions nocturnes. Mais le mauvais temps finit par s’installer pour de bon et nous décidons de nous alléger de nos 19,6 kg de matos d’escalade via la poste. Adios l’escalade, et vive le tandem ! La suite du voyage est familiale avec la fratrie de Claire venue nous rejoindre en train pour poursuivre la découverte de la Norvège à vélo. Nous roulons entre fjords et montagnes, et enchaînons les cols tantôt sur nos deux pieds, tantôt sur nos deux roues, participant gaiement au flot cycliste venu contempler cette nature. Après 6 mois de voyage à écumer les falaises, les routes et les transports en commun européens, il est temps de rejoindre la Belgique. Mieux préparé, le trajet retour se fait en 3 trains de nuit entrecoupés de visites diurnes d’Oslo et Copenhague. Longue vie au vélo-traimpe3 !

CLAIRE JANSSENS & ADRIEN KNOOPS

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Ardennes & Alpes — n°216

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1 - Seynes est une commune française située dans le nord du département du Gard, en région Occitanie. 2 - De chouettes initiatives existent déjà comme Sailcoop (www.sailcoop.fr/) ou le planificateur de voyage bas carbone Mollow (www.mollow.eu/). 3 - Pour plus d’infos sur notre voyage ou des trucs et astuces pour les transports en communs à vélo : www.polarsteps.com/voyadair/4528856-le-voyadair

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La famille Debisth avale le bitume norvégien.

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Claire en pâmoison devant les paysages crétois.

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Claire et Kaspar s’enjaillent au relais.

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Adrien dans son style classique détendu, aux prises avec le calcaire turque.

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Les tentes profitent d’un coucher de soleil romantique en Norvège

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ALP Pr AUSTRIA TO LITTORAL PATH IMAGES © ALP

Le 23 janvier 2023, le grand départ est lancé de Salzbourg, en Autriche. Après 2 jours de voyage en train et des mois de préparation, l’excitation est grande et palpable. Enfin nous nous lançons dans cette grande aventure imaginée de toutes pièces : Austria to Littoral Path ou ALP Project.

Une traversée intégrale de l’arc alpin à skis de randonnée, en autonomie, parcourant les massifs d’Autriche, d’Allemagne, de Suisse, d’Italie et de France. Un périple que nous estimons à 90 jours pour une distance de 1 100 km et 81 000 mètres de dénivelé positif. Nous avons construit notre aventure autour d’une démarche environnementale et écoresponsable. C’est pourquoi nous avons opté pour le train pour rejoindre Salzbourg depuis Marseille. Puis page 14

SIMON WUILMART

les Alpes se feront à skis ou à pied lorsque le manque de neige se fera sentir. Les transferts en vallée majoritairement en autostop, bus ou train. Enfin, une fois le littoral et la ville de Menton atteints, nous rejoindrons Marseille à vélo (où nous sommes domiciliés), nos skis chargés sur ces derniers. Armés de deux GoPro, d’un micro et d’un drone, l’idée sera également de constater le dérèglement climatique et d’aller à la rencontre des acteurs clefs de la montagne afin de recueillir leurs témoignages. Mais surtout, de comprendre quelles solutions ces personnes mettent en place pour préserver cet environnement. Nous n’allons pas être au bout de nos surprises. Dès les premiers jours, nous faisons face à de grandes difficultés : poids des sacs, itinéraire dans une neige vierge et abondante, froid intense. Le premier soir se termine à la frontale et le lendemain nous nous voyons déjà à tirer des longueurs et rappels pour nous échapper d’un terrain trop engagé.


oject

Ardennes & Alpes — n°216

Le ton est donné et traverser les Alpes ne sera pas une mince affaire. Les Alpes autrichiennes nous offrent un décor de rêve durant ces premières semaines avec de la neige à basse altitude et de la poudreuse jusqu’aux genoux. Nous évoluons dans de généreuses forêts de sapins sortis tout droit des contes d’Andersen. Puis assez rapidement, nous atteignons la grosse dorsale Autrichienne : les Hohe Tauern. Les paysages glaciaires sont déserts et très exigeants en cette fin de mois de janvier. Nous ne croisons âme qui vive. Les refuges non gardés nous offrent le réconfort du soir, tout comme le thé et la soupe après des journées glaciales. Puis la journée, nous nous efforçons de suivre les traces des chamois et des renards afin de gagner cols et passages dont les pentes sont parfois un peu trop chargées en neige. Nous essuyons nos premières tempêtes à haute altitude et les corps en subissent déjà les dégâts entre crevasses aux mains, peaux abimés, perte de poids. Nous avons fait le choix de partir sans tente et sans sac de couchage. L’idée étant d’atteindre un refuge d’hiver à chaque fin d’étape et de profiter des couvertures et du bois laissé à disposition pour les randonneurs. Dans le Haut-Adige, la région la plus germanophone d’Italie, nous restons bloqués 3 jours dans la vallée, du fait de la neige et du vent violent. C’est un premier constat : la neige ne tombe plus droite et est constamment accompagnée de violentes rafales. page 15

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Dans les Alpes, les conditions et la météo jouent un rôle majeur dans notre progression. Les étapes faciles sur le papier peuvent se révéler être un véritable enfer et inversement. Nous restons constamment vigilants car les difficultés sont variées.

Au bout de quelques semaines, nous comprenons de plus en plus l’environnement dans lequel nous évoluons et la notion de danger est de plus en plus acceptée. Sous nos skis et au gré des journées, nous sentons l’évolution du manteau neigeux et avons de plus en plus d’aisance à appréhender le terrain et les difficultés. Les prises de décision sont alors plus fluides. Lorsque nous atteignons la Suisse par le massif de la Silvretta fin février, les conditions nivologiques sont critiques : il n’a plus neigé depuis plus d’un mois et le pays subit la plus grande sécheresse hivernale depuis le début des relevés des mesures. Les barrages du Tessin sont au plus bas et nous nous voyons même à déchausser les skis à 2 400 m au plein cœur de l’hiver par manque de neige… En revanche, cet anticyclone est un mal pour un bien car il nous permet d’avancer de manière sécurisée et de jouir d’un généreux soleil. La progression est rapide mais au col du Simplon, les conditions changent drastiquement et les successions de dépressions se mettent en place dans les Alpes. Constamment nous adaptons notre itinéraire et parfois nous doublons, voir triplons les étapes pour atteindre les vallées avant les déluges. Nous sommes mi-mars, et il se met enfin à neiger en Suisse et en France. Les abondantes chutes sont souvent suivies d’importantes hausses des températures créant des conditions difficiles à gérer.

Dans le Valais, le point culminant de la traversée est atteint avec l’ascension du Bishorn à 4 153 m. Encore une fois, la glace vive du glacier témoigne de la sécheresse de l’hiver dans cette zone de la Suisse où se concentrent pourtant les plus hauts sommets des Alpes. Dans le massif du Grand Paradis, nous faisons face aux avalanches qui sont bien présentes. Le franchissement de la frontière française, fin mars, se fait au GPS, sans visibilité.

L’émotion est forte au mont Thabor, lorsque le massif des Écrins se dévoile face à nous. En Vanoise, nous pouvons bénéficier des agréables refuges qui sont gardés à cette période (nous n’avons fait qu’une dizaine de refuges gardés sur toute la traversée). L’émotion est forte au mont Thabor, lorsque le massif des Écrins se dévoile face à nous. C’est notre terrain de jeu et la mer n’a jamais semblé aussi proche ! Mais l’hiver n’a toujours pas dit son dernier en cet avril 2023. La traversée du Mercantour est de toute beauté, sobre, technique et sauvage. Finalement, nous rangeons les skis au Pas du Diable à 40 km de la mer et terminons notre aventure à pied, skis sur le dos, jusqu’à Menton où famille et amis nous attendent les pieds dans le sable.

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L’émotion est grande en voyant la mer, 90 jours après avoir quitté Salzbourg.

Pour découvrir plus en détails notre aventure et récits :

Nous bouclons finalement les 300 km de vélo le long du littoral pour atteindre Marseille, que nous atteignons le 25 avril 2023, plus de 3 mois après avoir quitté la cité phocéenne.

https ://alp-project.eu

Nous sommes heureux et fiers d’avoir pu accomplir cette aventure et d’avoir rempli tous nos objectifs : un périple décarboné, de superbes rencontres pleines d’espoir et des images incroyables. Également, montrer et prouver aux gens qu’il est possible de réaliser de grandes aventures proches de chez soi, tout en limitant son impact sur l’environnement.

Des images fraiches encore plein la tête, nous nous tournons maintenant vers notre nouvel objectif : celui de la réalisation de notre film qui retracera notre aventure en mettant en avant les personnes inspirantes que nous avons rencontré tout au long du périple. Celui-ci sera prévu pour la fin d’année 2023 !

SIMON WUILMART

Instagram : @austria.to.littoral.path Contact : projet.alp@outlook.com

Légendes : 1.

Traversée des Dômes de la Vanoise

2.

De Menton à Marseille, un retour à vélo

3.

ALP, à la frontière Italo-suisse

4.

La Suisse, beau pays mais sec !

5.

ALP et Pilou, au départ d’Arolla

6.

ALP et l’Air de Paix (BE), projet À chacun ses montagnes

7.

Neige de printemps

8.

Simon & Guillaume au sommet du Mont Thabor

9.

Heureux de pouvoir skier malgré l’anticyclone

8

10. Il n’y a rien à envier au Mistral ici ! 11.

Simon contemple les paysages

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12. De Menton à Marseille, un retour à vélo

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Ardennes & Alpes — n°216

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Corse Mare è Monti > Calenzana > Cargese (Mai 2023) CHIRSTINA DEWART — Texte & images J’ai choisi de ne pas prendre l’avion pour aller en Corse. Ce sera donc le train et le bateau.

Rochefort-Jemelle-Namur-Lille Flandres, puis le TGV jusque Marseille. De là, un bateau de nuit jusque l’Ile Rousse puis un petit tortillard bien sympathique jusqu’à 10 km de Calenzana. Un peu de stop et je suis au départ le 9 mai, aux environs de 10 h 00. Chouette sensation que d’atteindre l’île en bateau, tranquillement, en abordant ses côtes dans le soleil levant.

Étape 1 : Calenzana > Bonifatu Très belle montée commune avec le GR20 jusqu’au premier col, vue sur les villages de Balagne et le golfe de Calvi, puis très longue descente par une piste forestière jusqu’à la rivière Figarella qui fournit la région en eau. La Corse est couverte de fleurs au mois de mai : cyclamens sauvages, jacinthes blanches, pancacre d’Illyrie (m’a-t-on soufflé) et tant d’autres encore. Par contre, aucun randonneur, où sont les foules annoncées ? Apparemment concentrées sur les mois d’été et le GR20. Arrivée à la très agréable auberge de la forêt à Bonifatu, petit muscat pétillant bien frais !

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Étape 2 : Bonifatu > Tuarelli Boostée par le bon repas de la veille et un petit-déjeuner copieux, je monte sans effort jusqu’à Bocca di Bonassa, à 1 200 m d’altitude, le point culminant de la randonnée. C’est le moment que choisit la brume pour se déchirer et offrir une ouverture inespérée sur la vallée et le golfe de Calvi. S’ensuit une très longue descente dans la forêt jusque Tuarelli, le long de la rivière Fangu, transparente, avec ses belles piscines naturelles. Il n’y a plus de gîte à Tuarelli, le propriétaire de celui de Galeria vient me chercher, comme convenu.

Étape 3 : Tuarelli > Galeria Il était prévu que l’hébergeur de Galeria me ramène à Tuarelli pour descendre le Fangu jusque Galeria, mais une intoxication alimentaire me cloue à la tente. Petite déprime, mais le lendemain, ça repart.

Étape 4 : Galeria > Girolata Rien mangé la veille, grignoté un petit bout de pain au matin, cette fois, c’est le ventre vide que je m’attaque à la montée. Le corps suit, il a ses ressources. C’est probablement une des plus belles étapes, en contrehaut du golfe de Galeria, puis de la baie de Focolara, et enfin du golfe de Girolata, avec vue imprenable sur les falaises rouges de la presqu’île et réserve naturelle de Scandola. Girolata, où l’on n’accède qu’à pied ou en bateau, sa forteresse du 16 e siècle et ses vaches qui ruminent sur la plage : un autre monde.


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Étape 5 : Girolata > Curzu Par le sentier du facteur, en passant par la magique plage de Tuara, complètement sauvage, on accède à la « civilisation », au parking pour touristes de Bocca al Croce. Un petit café à la buvette installée à l’entrée du sentier et je me replonge en solitaire dans une longue montée vers le Capu di Curzu, avant de redescendre aussi sec sur le village de Curzu. En Corse, rien n’est jamais plat. Seul village de mon séjour où j’ai vu des orangers, mandariniers, pamplemoussiers et citronniers couverts de fruits. Je n’ai pas osé en marauder…

Étape 6 : Curzu > Serriera Courte étape de 3 h 30 que de nombreux randonneurs couplent avec la précédente ou la suivante. Pour ma part, je l’ai parcourue tranquillement, en partant dans l’air frais du matin, libre de m’arrêter aussi souvent que je le souhaite pour admirer le golfe de Porto et le Capo Rosso. Chemin bucolique entre forêts aérées, pâtures et petits ruisseaux, trop souvent à sec. Les pluies de l’hiver n’ont pas suffi à recharger les réserves souterraines. Les touristes souhaitent le soleil, mais les Corses appellent la pluie. Après-midi à la plage, située à 2,5 km de Serreria, un jeu d’enfant quand on ne doit pas tout le temps regarder ses pieds.

Étape 7 : Serriera > Ota Une des étapes les plus difficiles. + 880 m bien raides, mais en récompense, au sommet, une superbe châtaigneraie parsemée de lys en épi (asphodèle blanche de son petit nom). Une forêt de contes de fées ! S’ensuit un - 570 m tout aussi raide, au pied de falaises intimidantes qui, en leur temps, ont parsemé le sentier de grosses pierres qui demandent une vigilance de tous les instants pour préserver ses chevilles. L’arrivée à Ota se fait avec un bonne Pietra blonde au fût, amplement méritée.

Étape 9 : Marignana > E Case Longue étape également, mais les vues sur la mer ne sont jamais loin. On quitte les perspectives sur le golfe de Porto, pour celles du golfe de Sagone, en passant pas celui de Chiuni. Le refuge de E Case n’existe plus, la tempête d’août 2022 au eu raison du bâtiment et de la motivation de son propriétaire. C’est une dame de la ferme de Chiuni qui vient me chercher et me ramènera le lendemain matin pour poursuivre la randonnée. Lieu étrange mais sympathique, peuplé d’un chameau, d’ânes, d’un paon albinos (Léoonnnn !!!) et d’un chat affectueux qui s’installe tout de suite au beau milieu de mon lit !

Étape 10 : E CaseÙ > Cargese Très beau départ de randonnée dans le maquis frais avec le chant des oiseaux pour seule compagnie. Des lambeaux de brume remontent les flancs de la montagne. Très belles ouvertures vers le golfe de Chiuni avant une descente abrupte vers une bergerie qui compte aussi beaucoup… de chiens de chasse. L’agriculteur est d’ailleurs en train de vider un sanglier. Beaucoup d’aboiements ce jour-là, mais tous les chiens sont attachés, ouf ! Longue piste forestière avant une dernière grimpette sur la colline qui domine Cargese. Retour à la civilisation. Mais fière d’avoir bouclé cette superbe randonnée dans la nature préservée de Corse. Cargese-Ajaccio en bus : un minibus de 17 places dont j’ai eu la dernière ! Puis le bateau jusque Marseille et retour en train. Atterrissage feutré dans le quotidien, la tête pleine de « Mare e Monti ».

CHRISTINA DEWART

Étape 8 : Ota-Marignana En matinée, remontée des gorges de la Spelunca, assez touristiques, puis d’un de ses affluents, jusqu’à Evisa. Ensuite, le « chemin des châtaigniers », au milieu d’arbres multiséculaires, impressionnants et toujours bien vivants. Les cochons sauvages ont foui à leurs pieds.

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Une virée dans les Calanques THOMAS PAIRON — Texte & images

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Le trajet de nuit de notre dernier périple en voiture à Ailefroide nous ayant laissé un souvenir mitigé, nous décidons de nous déplacer vers notre prochaine destination en train : c’est plus rapide (voir plus bas), plus vert (Greta likes this) et moins fatigant. Ne reste plus qu’à trouver une destination relativement accessible où il fait bon grimper. Après un bref et tardif brainstorming, nous irons donc dans les Calanques de Cassis (ou de Marseille, c’est selon) !

Notre train démarre donc de Bruxelles-Midi à 13 h 20 heure locale pour nous déposer moins de 6 h plus tard en gare de Marseille. Un dernier train typé S8 Ottignies-LLN version 1990 nous dépose environ 30 minutes plus tard à Cassis, destination finale. Nous logeons au Cassis Hostel, auberge de jeunesse majoritairement occupée par des pas si jeunes que ça. Extinction des feux à 22 h, c’est pas l’ambiance de folie ; cependant, à 30 € la nuit incluant le petit-déj’, accès à une cuisine et à la piscine, le tout à 1 h de marche d’En-Vau, c’est un bon deal ! Pour ceux que ça intéresse, il y a également un camping pas loin qui, selon les dires des deux Allemandes qui nous ramèneront le surlendemain en stop, est « sehr gut ». La première sortie de la semaine se dirige vers l’Eissadon pour l’Éperon Ouest de la calanque du même nom. Force est de constater que les durées annoncées des marches d’approche sont légèrement exagérées, tout comme le « déluge sur Marseille » narré plus tard dans la semaine par un autochtone qui ressemblait plus à une

petite averse passagère. Tout est relatif. L’escalade démarre au pied de la mer pour terminer 170 mètres plus haut en 6 longueurs avec une vue très sympathique sur le Cap Canaille. Le rocher est bon sauf dans la première moitié et l’équipement aéré annoncé dans le topo nous met dans l’ambiance. On ne croise pas grand monde, mis à part quelques randonneurs et une autre cordée dans la voie d’en face « sur les traces de Gaston ».

L’escalade démarre au pied de la mer pour terminer 170 mètres plus haut Le lendemain, nous nous dirigeons vers la calanque d’En-Vau. Très peu de grimpeurs en vue, nous entamons la Saphir, arête classique et facile du coin. Rien de fou côté grimpette, mais la vue d’en haut sur la calanque vaut clairement le détour. Il est tout à fait possible d’éviter cette ascension en 4 sur calcaire brillant en accédant par le haut à pied, comme nous le découvrons quelques minutes plus tard à la descente. C’est quand même vraiment trop beau, on redescend à pied vers la plage pour piqueniquer et se donner l’impression de n’avoir pas complètement glandé de la journée. Le plan de base était de rester dans les calanques proches de Cassis pour éviter des marches d’approche trop longues (c’est quand même les

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1.

Éperon Ouest Eissadon

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Cap Canaille

3.

Vue sur Sugiton et Morgiou en haut du Temple

4.

Vue sur En-Vau en haut de la Saphir

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vacances), mais on se décide à aller voir ce que ça raconte un peu plus loin. En fait, ça se fait très bien en bus jusqu’au campus de Luminy et puis à pied jusqu’à Sugiton pour « le Temple » en démarrant très tôt (typiquement entre 10 h et 11 h). Le fameux déluge Marseillais (bon en vrai ça puait quand même l’orage) nous fait redescendre un peu avant la fin et nous permet de profiter d’un soleil radieux en bas des rappels. On en profite pour passer par Morgiou avant de retourner à notre point de départ. L’arrêt de bus est également un excellent endroit pour rentrer en stop (durée d’attendre entre 0 et 2 minutes, statistique basée sur deux expériences) directement à Cassis avec les deux Allemandes susmentionnées.

En résumé : • Grimper dans les calanques en mai c’est top : pas trop chaud et pas trop de monde. • Ça se fait facilement en train, en bus, en stop et surtout à pied avec 1 à 2 h de marche d’approche. • Si tu cherches un peu d’animation, reste à Marseille. • C’était très bien.

THOMAS PAIRON

Une tactique similaire nous permettra de pousser jusqu’à la grande traversée du bec de Sormiou, itinéraire recommandé par des grimpeurs du coin le jour avant1. Apparemment, il y a une grotte à visiter au milieu de la traversée, ce qui nous emballe pas mal ! Le topo indique qu’une frontale est nécessaire « sauf quand le soleil illumine la grotte » dans les passages glissants. On n’a qu’une frontale et la LED d’un téléphone, on croise donc les doigts pour que le soleil fasse son boulot. La traversée en bord de mer est top, la vue sur la calanque également, et ça passe en chaussures d’approche (ce qui n’enlève rien au plaisir). Le sommet du bec nous donne également une vue sur l’île Riou et nous fait réaliser qu’on a loupé la grotte, tant pis. Notre dernière sortie nous emmène vers le Cap Canaille que nous observons depuis plusieurs jours. L’approche est bien plus longue qu’attendu, mais la vue sur Cassis et les calanques vaut le détour. Nous démarrons au niveau de la Ciotat, nous descendons dans un mélange de poudingue, de calcaire et de grès et nous traversons avec de belles formations qui nous rappellent Berdorf (avec la mer en plus et le monde en moins). On en profite pour rater la deuxième grotte du séjour tout en profitant d’une grimpe variée grâce aux trois types de roche présents sur le site.

3

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Nous remontons finalement vers la Belgique avec, dans l’ordre, un bus qui n’existe pas, un inouï 45 minutes en retard, ce même train qui tombe en rade en pleine cambrousse, un RER en panne à Paris et un Thalys bloqué par un autre train en panne sur la même voie. On explose un peu l’horaire, mais ça reste toujours plus marrant qu’en voiture. On recommande !

1 - Pour la fluidité de la trame narrative, cet événement passé sera raconté dans le futur.

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MAXIME RENAUX

Le GR20, un GR de près de 180 km pour 13 000 m de dénivelé positif, réputé comme « le plus dur d’Europe » qui traverse la Corse du Nord au Sud ou du Sud au Nord, selon les préférences de chacun. Certains préfèrent commencer par le Nord, plus spectaculaire. Il est aussi plus engagé et technique, et donc plus facile à aborder avec une certaine fraîcheur musculaire. D’autres partent du Sud, pour « s’échauffer les muscles », faire de plus longues étapes au début et avoir le soleil dans le dos. Avec mes deux frères, Guillaume et Arnaud, nous sommes partis du Sud (pour encore une autre raison, l’accessibilité à la Corse) début septembre 2022. Et en partant, nous étions loin de nous douter qu’à côté des compétences habituelles nécessaires en trek (garder sa motivation, endurance, gérer sa bouffe et son eau – surtout l’eau, très importante sur le GR20 – savoir lire une carte, etc.), le GR20 nous en mettrait une inattendue à rude épreuve : le bricolage et l’ingéniosité qui va de pair. Nous avons, en effet, eu la grande chance de pouvoir réparer différents éléments de matos voire même d’en créer tout au long de nos 11 jours sur les sentiers corses. Je suis coutumier du fait, j’ai cassé l’un de mes bâtons. Voici les deux ingrédients d’une réparation du tonnerre : un sacré bout de bois trouvé par terre qu’on est venu glisser à l’intérieur des brins et du tape pour emballer le tout. J’ai dit réparation du tonnerre puisque 6 mois plus tard j’utilise toujours ce même bâton et sans avoir changé la réparation. page 26

Ceci dit, une réparation de bâton n’est pas fort compliquée, la suite est nettement plus farfelue si je puis dire. Quel est l’un des objets, sinon l’objet, le plus important d’un bon trek ? Je vous le donne en mille, les chaussures. Après seulement 3 jours de marche, la semelle de Guillaume décide qu’elle aime bien le Sud de la Corse et envisage de rester sur place. Un peu plus tard, c’est sa deuxième semelle qui décide que : soit l’odeur de ses petons est insoutenable, soit le sol corse est plus sympa que le sol belge mais qu’elle est mieux ailleurs que sous le pied de mon pauvre frangin. Enfin, c’est la semelle d’Arnaud qui clamse et préfère le climat corse à la météo tempérée du plat pays qui est le nôtre. Alors, si certains décident qu’ils n’en ont pas besoin pour ce GR, nous ne sommes pas des Hobbits et aimons avoir des chaussures aux pieds pour randonner. On a donc acheté de la colle extra forte (c’est fou ce qu’on peut trouver sur un GR) et chaque soir (quasiment), Guillaume se trouvait une brindille pour en badigeonner ses chaussures et celles d’Arnaud au passage, le tout avant de les emballer solidement dans… une bonne couche de tape. On a aussi utilisé un joyeux colson trouvé en route mais celui-ci a fini par lâcher. Le plus beau bricolage du trek est sans doute l’un des moins nécessaires… Nous avons fabriqué un superbe étendoir en accrochant une corde à deux tire-fesses en plein vent. Cela a eu non seulement 1.

Bocca di l’Innominata

1.

Montée vers la Pointe des Éboulis

2.

Montée vers le refuge d’Usciolu

3.

Passage délicat

4.

Sommet de la pointe des Éboulis

Guillaume Renaux © 2023

3

frangins sur le GR20


Mais bon, nous étions quand même principalement là pour randonner et voir de beaux paysages et pas pour bricoler. Niveau points de vue, nous n’avons pas été déçus, les paysages sont magnifiques et plus variés que ce à quoi nous nous attendions. En comparaison avec le Sud, la partie Nord est plus minérale et impressionnante avec ses montées très raides. On se mange d’ailleurs de jolis murs avec un paquet de D+ en très peu de kilomètres. Le Sud est plus vert et comprend quelques belles étapes de crêtes et de jolies montées mine de rien. Cette partie est plus roulante et permet d’avaler les kilomètres à grande vitesse. Ce qui est génial et frustrant en même temps avec le GR20 c’est que l’on voit la mer de chaque côté pendant la quasi-totalité du trek. Ça rend encore plus agréable la baignade finale vu qu’elle nous nargue pendant l’entièreté du voyage. Ceci dit, plusieurs spots de baignades se trouvent tout au long du parcours (cascade des Anglais et en-dessous des refuges de Ciuttulu et d’Onda). Avec les frangins, nous avons opté pour 2 variantes : les Aiguilles de Bavella dans le Sud et la variante des crêtes entre les refuges d’Onda et de Petra Piana dans le Nord. Les deux valent, selon nous, la peine. Bavella ressemble, en y repensant, à ce que l’on trouve dans le Nord et offre un superbe panorama. La crête entre Onda et Petra Piana représente un joli challenge technique où l’on doit utiliser les mains à plusieurs reprises tout en se déplaçant sur une jolie arrête.

Guillaume Renaux © 2023 Maxime Renaux © 2023

le don de faire sécher nos vêtements extrêmement vite mais en plus de nous faire rire et de faire rire les autres campeurs.

Maxime Renaux © 2023

On voit la mer de chaque côté [...] elle nous nargue pendant l’entièreté du voyage.

En conclusion, si tu hésites à te lancer sur ce GR que ce soit seul(e) ou accompagné(e) n’hésite pas, tu ne le regretteras pas ! MAXIME RENAUX

Guillaume Renaux © 2023

Nous avons vécu un superbe trek entre frères et un très agréable challenge sportif. Les moments partagés sur les sentiers nous ont encore plus rapprochés. Et si l’accueil corse n’est pas aussi chaleureux que celui de ton bar de quartier, la bienveillance et la bonne humeur des gens croisés aux refuges ou sur les sentiers suffit largement à égayer toutes les soirées.


Une cordée au sommet — PARTIE 1/2 BERNARD MARNETTE Le Club Alpin Belge est fondé à Bruxelles par quelques passionnés de montagne de notre pays en 1883. À l’origine il s’agit d’une société savante composée de nombreuses personnalités connues et actives dans la vie publique. Cependant très peu d’entre eux sont de véritables alpinistes. C’est l’époque où le grand air inspire et le contact avec la nature est recherché. Nous sommes encore en plein essor romantique.

À ses débuts, le club alpin de notre pays a donc surtout pour but de faire découvrir la nature alpestre et de lutter contre la sédentarité. Les ambitions sportives du club sont donc assez modestes. Parmi les premiers membres, beaucoup aiment la montagne mais très peu sont de véritables page 28

grimpeurs. Ils sont, pour l’essentiel, botanistes (F. Crépin), géographes (E. Hennequin), voyageurs (J. Leclercq), biologistes (E. Van Beneden), ou simples curieux. À la lecture des premiers récits de courses de ces « clubistes », deux personnalités ressortent indiscutablement comme de véritables alpinistes : Henri La Fontaine et Émile Vandervelde. Il s’agit de deux personnalités parmi les plus importantes de la vie politique et intellectuelle belge. Il n’est pas nécessaire ici d’évoquer dans le détail toute l’activité de ces deux monstres sacrés. On rappellera cependant que l’un comme l’autre furent avocats de formation et membres du Parti ouvrier belge. Pour Henri La Fontaine (1854-1943), on mentionnera qu’il fut vice-président du Sénat, passionné de bibliographie. Il est également l’instigateur, avec Paul Otlet (l’homme qui voulait « classer le monde » selon l’expression de Françoise Levie) de l’Office international de bibliographie qui allait donner naissance au Mundaneum, organisme qui se voulait rassembleur des savoirs du monde. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui « l’Internet de papier »1. Il fut également rapporteur de nombreuses communications internationales ayant pour but le rapprochement entre les peuples. Il fonda notamment la Société Belge pour l’arbitrage 1 - Le Mundaneum fait partie du programme « mémoire du monde » de l’Unesco. Paul Otlet et Henri La Fontaine sont aujourd’hui reconnus comme pionnier du Web.

(Photo : H. La Fontaine)

Henri La Fontaine et Émile Vandervelde


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Page précédente : Un refuge dans les Alpes suisses

et la paix. Pacifiste militant, il décrocha le Prix Nobel de la Paix en 1913. Émile Vandervelde (1866-1938) quant à lui fut professeur à l’Université libre de Bruxelles, ministre à de nombreuses reprises, fondateur du Parti ouvrier belge et président de la seconde internationale socialiste. Ces différentes casquettes lui valurent d’être surnommé « Le Patron ». Voici présentées ces deux personnalités notoires. Nous voudrions, dans cet article, mettre en exergue l’activité alpine de cette véritable première « cordée belge » mais également mettre en valeur le rapport de ses membres à la montagne et notamment avec le Club Alpin Belge. Car, en effet, la montagne n’a jamais été loin de leurs préoccupations quotidiennes, on peut même dire qu’elle a joué un rôle tout au long de leur vie. Émile Vandervelde ne disait-il pas que pour être un bon meneur, il fallait, étant donné la fatigue qu’impose la vie politique, avoir les muscles

solides et être capable de faire ses quarante à cinquante kilomètres d’affilée. Ils furent, l’un et l’autre des précurseurs du club alpin. La Fontaine fut membre fondateur en 1883 et président en 1891-1892 puis de 1925 à sa mort en 19432. Son statut de président lui permit d’entrer en contact avec beaucoup de personnalités du monde de la montagne de l’époque3 : Puiseux, Schnei-

2 - À noter qu’entre 1910 et 1925, l’activité du club a été quasiment réduite à néant. Après 1925, Henri La Fontaine (qui a plus de 70 ans) va conserver le titre de président, mais, dans la pratique, c’est surtout Henri de Schijver et Xavier de Grunne qui gèrent la destinée du CAB. On retrouve cependant Henri La Fontaine lors d’une sortie en Vanoise en 1925 ou encore au Plan de l’Aiguille (à Chamonix) en 1930. Jusqu’à la fin, il animera les AG du club. Sa correspondance, notamment avec Xavier de Grunne, montre qu’il gardera jusqu’à la fin un vif intérêt pour le club alpin. 3 - À noter que lors de leurs périples nos alpinistes belges rencontrent parfois de belles personnalités de la montagne tels W.A.B. Coolidge, rencontré à Tignes en 1885.

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der, Martel, Elisée Reclus, etc.4 et pour les Belges Albert 1 er 5, Xavier de Grunne 6, Ernest Solvay, Charles Lefébure7, Jules Leclercq, Edmond Picard8, etc. Parmi ses activités au club, on le retrouve, lui et son ami Vandervelde, protagoniste de nombreuses conférences, communications, rédactions d’articles ou encore promoteur de randonnées dans les Ardennes. Émile Vandervelde fut moins assidu au club alpin que son ami La Fontaine même s’il en est nommé vice-président en 1890 (après y être entré en

4 - Elisée Reclus vit à cette époque en Belgique. Il est membre du Club Alpin Français et de la Société Pyrénéenne Ramond. 5 - René Mailleux mentionne (dans son « Roi Albert alpiniste » La Renaissance du livre – 1956) que c’est bien lors de discussions avec Henri La Fontaine que le roi évoque pour la première fois sa volonté de pratiquer l’alpinisme : « C’est avec lui que le prince Albert eut un premier entretien sérieux au sujet de la montagne ». La Fontaine rentrait d’un beau voyage avec ascensions au Tyrol et débordait d’enthousiasme. Le Prince, qui écoutait avec un intérêt grandissant, lui demanda à brûle-pourpoint s’il n’était pas trop tard pour entreprendre les grandes courses dont il rêvait. Ne l’avait-on pas persuadé qu’il fallait commencer la pratique de ce sport dans les très jeunes années. La Fontaine lui répliqua que, selon la vieille sagesse, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Et il lui proposa le désarmant exemple d’Ernest Solvay qui, à 65 ans, ne manifestait nullement l’intention d’en rester là, bien au contraire. Peu de temps après cet entretien, le 18 février 1902, Charles Lefébure faisait, au Cercle Artistique de Bruxelles, une causerie intitulée « Les hautes vallées et cimes des Alpes ». Le prince Albert y assistait et suivait avec un réel intérêt l’exposé du conférencier qui ne manqua pas, évidemment, d’attirer l’attention de son auditoire sur le « cas » Ernest Solvay ». Albert 1er emploiera comme premiers guides les Supersaxo de Saas Fee, guides habituels d’Ernest Solvay. On ajoutera également que c’est durant la présidence de La Fontaine, en 1926, que le roi accordera son patronage au club alpin. 6 - Xavier de Grunne, excellent alpiniste et pilier du club alpin des années 30 sera le compagnon habituel d’Albert 1er dans les Ardennes. 7 - Secrétaire et compagnon de cordée d’Ernest Solvay, il est l’auteur d’un livre fondateur pour les alpinistes belges : « Mes étapes d’alpinisme » – Société protectrice des enfants martyrs – 1901. 8 - Edmond Picard dont La Fontaine fut le secrétaire n’est pas un alpiniste réputé, on lui connait cependant une épique tentative d’ascension du Mont-Blanc.

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1884)9. Il a une vision du club moins idéalisée que celle de son président. Dans ses souvenirs10, il décrit le club alpin : « Une étonnante et un peu tartarinesque compagnie qu’aimaient mieux manger des truites, sur le bord du lac de Lucerne, que hisser leurs 90 ou leurs 100 kilos au sommet d’un col de montagne. La Fontaine et moi étions à peu près les seuls membres du Club à faire des ascensions. » 11

9 - Curieusement, alors qu’il est nommé à des responsabilités au sein du Club, il semble y être beaucoup moins actif. On ne retrouve plus après cette date ni allocutions ni d’articles de sa part. À noter que si son activité diminue, il ne reste pas moins actif en montagne. Sa carrière alpine dure une vingtaine d’années d’abord encordé avec La Fontaine, il terminera sa carrière alpine avec Louis de Brouckère. 10 - Émile Vandervelde : Souvenirs d’un socialiste – Ed. Denoël – 1939. 11 - À noter qu’à cette époque, tous les alpinistes belges ne sont pas actifs au sein du CAB. Ainsi, n’en font pas partie, Albert Van Den Bossche (qui réalisa la première belge du Mont-Blanc en 1872), Émile de Laveleye (qui réalisa un périple sur les sommets du Mont Rose (2e sommet des Alpes) en 1864, la liégeoise Adèle Planchard dont un refuge en Oisans porte le nom.


Page précédente : Première page de l'article publié dans la revue du CAB en 1889. C'est le 1er article d'Henri La Fontaine sur le classement universel. Quand la montagne entre dans l'histoire du Web !

Par-delà le club alpin, leur vision de la montagne leur ouvre l’esprit comme le décrit La Fontaine dans le Bulletin du Club Alpin Belge12. « À gravir les montagnes, on apprend la patience, la persévérance, la prudence et aussi l’audace calme qui aborde les difficultés sans s’en effrayer. Et la récompense, pour ceux qui savent voir et comprendre le rôle que les cimes jouent dans l’économique du monde, dépasse tous les plaisirs dont trop de citadins se délectent. » Parfois, c’est la politique qui s’immisce lors d’une course en montagne. Ainsi, Émile Vandervelde se souvient13 : « Mon vieil ami La Fontaine, musicologue

« À gravir les montagnes, on apprend la patience, la persévérance, la prudence et aussi l’audace calme qui aborde les difficultés sans s’en effrayer » HENRI LA FONTAINE

passionné, se souviendra, peut-être, que c’est en montant à Engelberg, pour aller faire des ascensions dans le massif du Tilis qu’il initia ma jeune ignorance à la thématique wagnérienne, cependant que, dans ma ferveur de néophyte, je parlais à mon ainé de la doctrine socialiste. Ce fut, en somme, la première conversion que je fis : au retour de ce voyage La Fontaine s’affilia au Parti ouvrier. » Un autre lien qui n’est pas sans importance est l’aspect bibliographique. Il est peu connu que c’est au niveau du CAB que les prémices de la réflexion sur le Mundaneum, l’Internet de papier, ont eu lieu. Bruno Liesen précise cependant dans un article sur La Fontaine14 :

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« Sans surprise, les premiers essais bibliographiques de La Fontaine sont liés à deux de ses matières de prédilection : Projet de bibliographie universelle des ascensions alpines en 1889 et Essai de bibliographie de la paix en 1891. » Henri La Fontaine écrira deux articles15 fondateurs sur la réflexion de la bibliographie universelle dans la revue du CAB dont le tout premier en 1889. Il y explique le rôle qu’il voit jouer au club. « J’estime que le Club Alpin Belge, par la nature de ses travaux, est tout désigné pour accomplir cette mission de haute nécessité. En effet, ses ressources ne lui permettent pas, comme aux vastes associations similaires de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France, de l’Italie et de la Suisse, de consacrer à la construction des cabanes ou à l’amélioration des voies alpines des sommes suffisamment importantes. D’autre part, dans les limites du territoire belge, il ne pourrait planter que quelques poteaux indicateurs ou tracer quelques sentiers minuscules vers des points de vue plus ou moins ignorés. Par contre, la rédaction d’une bibliographie des ascensions serait de nature à donner à l’activité du Club Alpin Belge un but suffisamment élevé pour appeler sur lui l’attention des sociétés étrangères et lui assigner un rang égal à celui des autres clubs alpins, malgré le nombre minime de ses membres et le chiffre modeste de ses revenus. Le caractère international du travail à réaliser l’impose en quelque sorte à une association d’un pays neutre. Les nations importantes du globe éprouvent souvent, les unes à l’égard des autres, des sentiments d’une susceptibilité telle qu’ils pourraient à certains moments mettre entrave à l’œuvre poursuivie. Une semblable éventualité ne serait pas à craindre si le Club Alpin Belge était, d’un commun accord ; chargé de présider à la confection de la bibliographie proposée. »

Voici donc pour le rôle, pas si modeste, que le Club Alpin Belge (et plus largement la montagne) a joué dans la création de l’ancien Internet.

BERNARD MARNETTE 12 - Henri La Fontaine : Notre passé – Bulletin du Club Alpin Belge – décembre 1925 13 - Émile Vandervelde : Souvenirs d’un socialiste (Ed. Denoël – 1939) 14 - Bruno Liesen, Henri La Fontaine et la bibliographie au service de la coopération intellectuelle (in Henri La Fontaine, Prix Nobel de la Paix en 1913 (Racine – 2012)

15 - Henri La Fontaine – Projet de bibliographie universelle des ascensions alpines (Bulletin du CAB – Tome II – 1893) -Henri La Fontaine : Bibliographie internationale et alpinisme (Bulletin du CAB – Tome III – 1905)

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HENRI LA FONTAINE, PRIX NOBEL DE LA PAIX EN 1913 — UNE VIE de PIERRE VAN DEN DUNGEN

Le Club Alpin Belge a été fondé en 1883 par une poignée de personnalités de premier plan en Belgique dans différents domaines avec le but de stimuler le goût des voyages. Ces élites n’avaient pas pour idéal l’exploit sportif mais voulaient se rapprocher de la nature par le biais de l’effort physique et du développement des connaissances scientifiques. Parmi ces membres fondateurs, deux se sont distingués comme de véritables alpinistes, Henri La Fontaine et Émile Vandervelde qui ont grimé ensemble durant plusieurs années. Pierre Van den Dungen, docteur en Philosophie et Lettres, nous raconte avec entrain et détails la vie prodigieuse d’Henri La Fontaine, vice-président du Sénat, qui a créé avec Paul Otlet le Mundaneum, un organisme qui voulait rassembler les savoirs du monde. Il a ainsi coinventé la « classification décimale universelle » toujours appliquée et a été un précurseur de l’Internet papier. C’est d’ailleurs dans un article publié dans la revue du CAB qu’il évoque pour la première fois son projet de bibliographie. Grâce au dépouillement minutieux d’une correspondance et d’archives abondantes Pierre Van den Dungen nous apprend que Henri La Fontaine, internationaliste, libéral progressiste, féministe, sénateur du parti ouvrier, trouvait une inspiration dans les œuvres de Beethoven, Mozart et Wagner.

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DETTE D’OXYGENE de TOINE HEIJMANS

Un excellent roman de haute altitude Toine HEIJMANS, né à Nimègue en 1969, historien, journaliste et écrivain a été lauréat du prix Médicis étranger pour son roman « En mer ». Il est néanmoins alpiniste et nous présente son nouveau roman « Dette d’Oxygène » qui mène son personnage Walter à se remémorer ses conquêtes des cimes en compagnie de son indéfectible ami Lenny. Délaissant la narration habituelle de magnifier l’esprit de compétition, l’auteur s’attache à nous associer à l’ascension de l’Everest en passant par les Alpes en démarrant de l’altitude de 3 mètres (Nimègue) à celle de 4883 mètres. Les chapitres sont d’ailleurs scindés selon différentes altitudes et peuvent se lire séparément les uns des autres. L’adhésion du lecteur est acquise, qu’il soit ou non alpiniste, entre autres par les réflexions pertinentes et lucides qui portent notamment sur les changements des mentalités alors que les montagnes restent les mêmes.

Grand voyageur, toujours à la recherche de la concorde universelle, ce qui lui valut le prix Nobel de la Paix en 1913, Henri La Fontaine était en outre un alpiniste amoureux des sommets. Il a exercé la fonction de président du CAB pendant plusieurs années. Quelle fierté pour le Club Alpin Belge de compter parmi ses membres fondateurs une personnalité illustre comme Henri La Fontaine qui « adorait l’alpinisme, le scientisme, le pacifisme, enfin tout ce qui élève l’homme et l’éloigne de la terre » et merci à l’auteur d’avoir fait resurgir sa longue vie fantastique. Le Mundaneum est reconstitué en centre d’archives accessible au public et est situé à Mons. ALAIN PURNODE Bibliographie :

« Henri La Fontaine et Émile Vandervelde ; une cordée au sommet » de Bernard Marnette, à paraître.

« Henri La Fontaine, prix Nobel de la Paix en 1913 – une vie » de Pierre Van den Dungen, éditions Samsa, Bruxelles, 2022.

Toutes ces descriptions, considérations et anecdotes sont exprimées dans un style personnel, fluide et précis qui rend le récit très attachant. Ce roman qui se nourrit de la culture montagnarde ne peut donc laisser indifférent celles et ceux qui cultivent l’art de gravir les sommets et est assurément appelé à un essor qui dépasse la sphère du monde des alpinistes. La traduction du néerlandais assurée par Françoise Antoine a bénéficié de la supervision technique et éclairée de notre ami Jean Bourgeois qui accorde ainsi une authenticité indéniable à l’ouvrage. NB. La « dette d’oxygène » se crée lors de l’augmentation de la consommation d’oxygène par des exercices physiques intenses ; par exemple, elle peut se compenser par une très forte respiration. Le livre édité en mars 2023 par les éditions Belfond à Paris comprend un glossaire en fin de volume (+/- 22 € ; ISBN : 978-2-7144-9820-5).

ALAIN PURNODE


Réflexion sur le fond et sur la forme PIERRE GUYAUX Je suis passionné par l’escalade que je pratique depuis de longues années. Cette passion, j’aime la partager, en salle et sur les rochers, en couenne et en grande voie, en touriste et en expédition. Et c’est ce tout qui m’anime. Aussi, j’aime me sentir vibrer en écoutant les aventures de mes camarades ou en regardant les films qu’ils et elles réalisent pour communiquer cette passion. Moi-même, avec mon frère Jonas, je me suis essayé à mettre des images en récit, des mots en paroles dans « La vie au bout de chez soi 1 ».

Réaliser un film, pour moi, c’est une façon de poser un regard. Rien n’est neutre, tout est angle et point de vue. C’est un processus créatif, une invitation à exprimer et partager un sujet, une passion. Étant un être sensible, j’aime trembler de ce qui est beau, de ce qui est dur, de ce qui nous habite, nous passionne et fait nos vies. Et naturellement, depuis toujours, j’observe avec grand intérêt les films, les récits. Avec le temps, j’ai appris à regarder, à lire différemment. À faire attention à l’esthétisme, aux symboles, aux musiques, aux plans. Je porte attention au sens des fonds et des formes.

1 - « La vie au bout de chez soi » réalisé par Jonas Guyaux. Disponible sur YouTube.

Dernièrement, j’ai participé à un festival de film d’aventure. Le temps d’une soirée, je voulais me laisser emporter et voyager au rythme des aventures montées en images. Mais très vite, j’ai été ennuyé, fatigué par ce que j’ai vu. À l’exception d’un film de pirate qui avait justifié mon déplacement et qui ne m’a pas déçu, pour le reste j’ai été troublé par des scénarios pauvres de fond, pauvres de forme ou carrément les deux. Comme si tout pouvait être sujet, ou précisément rien. Cela m’a donné envie de partager quelques réflexions.

Manuel Meurisse © Unsplash

Ardennes & Alpes — n°216

Sur la forme, il y a quelque chose qui semble devenir une tendance contemporaine : compiler des images qui claquent sur un rythme effréné. Les plans durent 1 à 2 secondes et s’alternent dans des séquences flash accompagnées par une musique percutante. Gros plans sur une voiture qui roule dans la boue // éclaboussures au ralenti // deux personnes qui rient aux éclats // un coucher de soleil // une image aérienne du site // déchargement du matos // encordement… Parfois, je ne dis pas que cela ne peut avoir de sens pour insister sur une action, sur des répétitions, mais globalement cette technique visuelle est surutilisée et, il me semble, dessert le propos, la narration du récit. Je ne peux m’empêcher d’y voir un parallèle avec un style autrement connu : la publicité. Dans la pub, les objectifs sont clairs : associer des images chocs, émotionnelles, touchantes à des marques afin de les imprimer bien profondément dans nos inconscients et ainsi nous pousser à consommer. C’est simplement du conditionnement. Au fond, il n’y a là rien de tout à fait extraordinaire quand on sait que bien souvent les films d’aventures sont financés par des sponsors. L’autre réflexion qui me traverse dans cette tendance à recourir aux images flashs, c’est que l’air de rien, nous sommes de plus en plus habitués à des stimulations rapides. Les réseaux sociaux accessibles 24h/24 sur les téléphones « intelligents » sont des torrents d’informations extrêmement

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rapides et puissants. Lessivés d’images, nos cerveaux affaiblis sont à la merci des contenus ciblés et communications commerciales. De plus, beaucoup d’études existent et mettent en garde contre les dégâts sur notre santé mentale et nos capacités de concentration. Nous perdons nos capacités à prendre le temps d’apprécier un texte, une vidéo dont le contenu est plus long, plus lent. Cela au détriment de notre capacité à contempler, à s’imprégner d’un récit, de paroles. Voir de plus en plus de vidéos adopter ce format me semble être le signe d’une époque qui ne marque pas que des progrès. Sur le fond, c’est une autre réflexion. Aujourd’hui, il semble que faire un tour de Belgique à vélo est devenu plus original que de faire le tour du monde en avion. Les moyens techniques permettent à presque tout le monde de filmer et de monter une vidéo. Ajouter à cela de superbes décors, des pratiques sportives vertigineuses, un drone et paf ! Ça fait sensation. Mais cela ne suffit pas à faire récit, à l’instar de ces méga-productions américaines où ça explose de partout. Pire, cela détourne, affecte les fondements de nos pratiques en ne montrant que les aspects liés à la performance individuelle, aux dépassements sans limites. Les nôtres et celles de ce qui nous entoure. Parfois j’ai l’impression que cela va de soi. La norme de performance et d’exploit, surreprésentée dans les communications commerciales

se naturalise à notre insu. Sans doute plus qu’on ne le laisserait entendre. Petite précision, je ne suis pas contre la performance sportive, qui s’apparente pour moi à un art. Comme jouer un joli morceau de musique nécessite la maîtrise de son instrument, accéder à un haut niveau sportif nécessite de connaître son corps et de pouvoir en jouer. En tant que grimpeur, je suis amateur de beaux mouvements et je prends grand plaisir à regarder les vidéos d’athlètes de haut niveau exercer leur art. Mais il est vrai, j’aime surtout les voir habités de leur passion. Observer leur processus de progression, les réussites, les échecs et surtout comment ils les traversent. Si les images de performances étaient seules, elles perdraient leur valeur. Je suis persuadé qu’en créant des histoires et en les partageant, nous participons à l’élaboration d’imaginaires collectifs. Bien plus que de simples moyens de se divertir, celles-ci sont chargées d’images et de messages qui nous traversent et nous affectent. Qu’en partageant nos histoires au travers de films, il est important de penser ce qu’elles sous-tendent et par là ce qu’on soutient.

Alors pour conclure, une question : Qu’avons-nous à raconter ?

PIERRE GUYAUX

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LA MONTAGNE DE MA PEUR de DAVID ROBERTS

En 1965, quatre jeunes universitaires entreprennent l’ascension du Mont Huntington (3 731 m) en Alaska. Le récit de David Roberts a tous les éléments pour un bon succès : ils atteignent le sommet par une voie nouvelle et l’un d’eux disparaît lors de la descente. Mais qu’est-ce qui retient mon enthousiasme ? Ce livre est pourtant considéré comme un des meilleurs récits d’alpinisme. David Roberts est un très bon écrivain, qui s’est spécialisé en littérature à l’université. Son récit est truffé de considérations philosophiques, questionnant la raison même de l’alpinisme et de notre passage sur Terre. Sa réflexion est profonde et bien écrite. Et pourtant, je n’arrive pas à la suivre totalement. Bien que du point de vue technique la traduction soit impeccable, serait-ce dans celle de son page 34

aspect philosophique qu’un rien y manquerait pour m’emporter vraiment ? Ou est-ce moi qui, à force d’avoir lu de tels récits d’ascension, arrive peu à peu à saturation ? Néanmoins, ce témoignage est intéressant de bout en bout et nous force à approfondir par nous-mêmes les réflexions de son auteur. Ce livre, de référence encore actuellement aux États-Unis, représente pour moi une ode à la jeunesse, son énergie et son enthousiasme. Traduction de l’anglais (États-Unis) par Éric Vola, assisté de Marion Thévenot. Éditions Nevicata 2023, 155 pp. ISBN 978-2-87523-206-9

JEAN BOURGEOIS


Une highline de 1.2 km traversant la vallée de la Warche

JEF COX — POUR BESALCK Images : SYLVAIN LIENNE

L’installation de la plus longue highline de Belgique expliquée à l’aide des 3 questions les plus fréquemment posées.

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Après de multiples recherches, nous avons finalement trouvé un drone assez puissant et un fil de pêche assez solide pour établir notre connexion

Question 1 : Est-ce que c’est installé ici en permanence ? Non, c’est une installation éphémère. Cette ligne est restée là pendant une semaine.

Beslack c’est quoi ? Depuis 2013, BeSlack est un cercle de la fédération qui rassemble les passionnés de Slackline et de Highline en Belgique. Des initiations, des démonstrations et des rassemblements sont organisés pour partager leur passion. Retrouvez toutes leurs infos sur www.beslack.be !

Slackine et Highline ? La Slackline, c’est l’art de marcher sur une sangle souple tendue entre deux points d’ancrage. Cette discipline allie équilibre, concentration et force. Que ce soit dans un parc ou en pleine nature, la Slackline vous offre une sensation unique de liberté et de connexion avec votre corps. Mais pour les plus audacieux, il y a la Highline. Il s’agit de pratiquer la slackline en hauteur, au-dessus de falaises, de canyons ou même de bâtiments. C’est une expérience extrême qui demande une maîtrise parfaite de soi et une confiance absolue en ses capacités.

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Question 2 : Comment fait-on pour amener cette ligne de l’autre côté de la vallée ? C’est de loin la question la plus fréquemment posée, à juste titre, car selon la situation, c’est l’étape la plus difficile de tout le processus d’installation. Chez les « highliners », nous appelons cette étape la connexion. La connexion entre un point d’ancrage A et un point d’ancrage B peut se faire de plusieurs manières. La plus simple consiste à lancer une cordelette depuis chaque extrémité. En bas, vous attachez les deux cordelettes ensemble, puis vous tirez la cordelette connectée vers le haut. Ensuite, vous attachez la slackline sur la cordelette et la tirez d’un bout à l’autre. Comme il y a 1,2 km de forêt entre les points d’ancrage A et B dans la vallée de la Warche, cette solution n’était pas envisageable. La connexion a donc dû se faire par les airs. Pour les courtes distances, on utilise généralement un arc et des flèches, un drone, un « patator » ou encore un aigle dressé qui transporte un fil de pêche du point A au point B. Pour une distance de 1,2 km, on rencontre rapidement des problèmes. Un fil de pêche normal se rompt sous son propre poids sur une telle longueur. Un drone normal ne peut pas traîner 10 kg. Dix kilogrammes, c’est à peu près la force qui s’exercera sur le drone s’il doit voler en trainant un fil de pêche de 1,2 km sans que celui-ci ne s’enfonce trop profondément dans la vallée. Si le fil de pêche descend trop bas pendant le vol, il est irrémédiablement coincé dans les arbres.


Après s’être renseigné auprès de plusieurs autorités compétentes en matière de drones, la réponse a été sans équivoque : « Faites la connexion avec un hélicoptère. » Cependant, un hélicoptère était trop gourmand en énergie fossile et trop cher pour notre projet de marche au-dessus des arbres. Après de multiples recherches, nous avons finalement trouvé un drone assez puissant et un fil de pêche assez solide pour établir notre connexion. En octobre 2022, nous avons pu réaliser une première connexion. Malheureusement, en raison de la détérioration des conditions météorologiques et de la montée des vents, nous avons dû rompre cette connexion un jour plus tard. C’est avec beaucoup de soulagement que notre tentative suivante en avril 2023 fut un premier succès. Quoi qu’il en soit, vous avez maintenant un fil de pêche suspendu entre les points A et B sur une distance de 1,2 km. Comment faire pour qu’une slackline soit suspendue à cet endroit au lieu d’un fil de pêche ?

Page de gauche : Antoine Lecoq Ci-dessus : Wouter Op de Beeck Ci-contre : Jonathan Desmaele Page 35 et double-page suivante : Jef Cox Page 40 : Riggers page 37


La highline se pratique seul, mais l’installation d’une highline, le « rigging », se fait en groupe.



Dans l’étape suivante, vous allez faire passer une cordelette plus solide avec le fil de pêche. Cette cordelette doit être aussi solide que possible, mais ne doit pas être trop lourde pour que le fil de pêche ne casse pas pendant la traversée. Une fois que vous avez une cordelette suspendue comme connexion, vous commencez à faire passer deux autres cordelettes de manière à avoir un duo. La cordelette supérieure est tendue le plus possible et va servir de « tringle » pour mettre en place le système « rideau ». Nous suspendons la slackline tous les 50 m, comme un rideau, sur cette corde tendue et nous tirons ce rideau avec la deuxième cordelette. Ce système d’installation a deux avantages. Premièrement, une partie du poids de la sangle est directement repris par la corde tendue, ce qui permet d’avoir un système beaucoup moins lourd à tirer. Deuxièmement, la flèche au milieu de la vallée est nettement réduite, ce qui permet d’éviter de coincer la sangle dans les arbres tout au long du processus d’installation.

Question 3 : Qui installe cette ligne ici ? Les pompiers ou l’armée ? Dans un monde idéal, vous appelez l’armée le vendredi soir en disant : « Je voudrais une highline entre les rochers de Mérinos et des 5 ânes du samedi matin au dimanche soir, s’il vous plaît. Mettez juste une bonne sangle extensible. » Mais c’est peut-être aussi bien que cela ne soit pas une réalité … La highline se pratique seul, mais l’installation d’une highline, le « rigging » se fait en groupe. page 40

Cela fait de la highline une activité de groupe et un sport intéressant, tant sur le plan technique que sur le plan social. Ici, l’installation s’est faite par un groupe de personnes expérimentées, qui ont suivi des formations de « rigging » et sont membres de l’association BeSlack.

JEF COX — POUR BESALCK

Crédits et données : Nom : The Great Rig In The Sky aka. La Warche qui rit aka. De sapin Longueur : 1 204 m Hauteur : 100 m au-dessus de la vallée de la Warche, Waimes Dates : Du 21 au 30 avril 2023 Organisation : BeSlack, The Wall et Lyapunov. Un grand merci à Antoine Lecoq (The Wall) pour avoir repéré ce spot et obtenu toutes les autorisations locales. Rigging Team : Stijn Vandenbussche (Send), Jef Cox (Send), Johan Wuyts (Cross), Jessica Levine (Cross), Jonathan Desmaele (Cross), Wouter Op de Beeck (Send), René Deridder (Cross), Janis Dothée (Send), Oscar Defoor (Send), Viktor Deturck (Cross), Gertian Roose (Send), Kobe Somers (Send), Senne Jennis (Send), Pierre Materne (Cross), Anji (Cross), Emile Dumon (Send), Laurent Kothar Blondiau (Walk), Moran de Wachter (Cross), Moritz H (Send), Tille Mortelmans (Walk), Laurane Néron (Walk), Natalia Vincente (Walk), Sami Cooreman (Cross), Vic Jonkers (Walk) Send le plus rapide : 25 min. 19 sec. (Jef Cox) Send = traverser sans tomber / Cross = traverser en tombant / Walk = marcher un peu mais sans traverser Aftermovie (Indie studio) : https://youtu.be/3RRRDRv5lgM


Ardennes & Alpes — n°216

Born to climb Un pont historique deviendra bientôt un site d’escalade unique en Belgique. JOHANNES SEEL Un nouveau cercle du CAB, le KCO (Kletterclub Ostbelgien), se crée en communauté germanophone autour du projet d’équiper un pont désaffecté en mur d’escalade. À la recherche de soutien, un crowdfunding a été lancé.

Born est un petit village de 600 habitants situé entre Malmedy et Saint-Vith (ndlr : vous comprenez maintenant le titre), qui est traversé par un imposant viaduc fabriqué durant la première guerre mondiale. Ce pont en béton pressé, construit en 1916 par des prisonniers de guerre, fait 285 mètres de long sur 18 mètres de haut. Il était initialement destiné à transporter des marchandises et des soldats. Après avoir à peine servi, sa destruction pour raisons militaires prévue en 1940 n’a, pour d’obscures raisons, pas eu lieu. Marqué par des centaines d’impacts, ce monument est donc un témoin silencieux d’un chapitre sombre de l’histoire. Mais au cours des dernières années, la dynamique autour de la bâtisse a changé. Et bientôt on pourra y grimper ! Situé au milieu d’un cadre magnifique de verdure, de chevaux, d’arbres et d’un potager bio, le pont a été reconquis par la végétation. Un point d’observation offre une vue panoramique sur la campagne verdoyante. En dessous, dans l’arc juste à côté de celui destiné au projet d’escalade, passe le Ravel qui relie Monjoie (en Allemagne) et Saint-Vith et permet de bifurquer vers Vielsalm. Ce réseau de pistes cyclables traversant les

Fagnes fait de la région un paradis du tourisme local et éco-responsable. On peut donc s’y rendre à vélo, de plus, le pont se situe sur la route qui relie Liège à Berdorf. En tant que grimpeur ou grimpeuse, lorsqu’on voit un édifice pareil, on se fait naturellement prendre par l’envie de le grimper. Au départ, l’idée est née autour d’un projet d’agriculture durable sur des magnifiques terrains situés à côté du pont. Où est le lien ? L’asbl ne veut pas uniquement faire pousser des plantes comestibles. L’envie est de faire vivre l’endroit de manière durable, créative et collective. Notamment en organisant des rencontres et évènements. Une partie des bénévoles derrière ce projet étant passionnée par l’escalade, le rêve de pouvoir intégrer dans leurs activités ce pont qui surplombe majestueusement tout le village a coulé de source. Après 100 ans d’inactivité, la vie de ce pont prend donc un tournant réjouissant. Le site a le grand avantage de permettre de grimper en tête dans un cadre sécurisant, en pleine nature et à l’abri de la pluie. Les relais seront placés d’une manière qui permettra également de s’exercer aux manips de grande voie de manière très sécurisée. L’escalade pourra y être pratiquée selon le même cadre règlementaire qu’en falaise, c’est-à-dire en libre accès pour les membres du CAB (et d’autres fédérations d’escalade). Après des tests de stabilité réussis et le feu vert tant de la commune que du CAB, le projet est prêt à passer dans la phase de réalisation. Des prises vont donc être fixées aux murs et les voies seront également créées en intégrant les reliefs de la structure. page 41


En équipant ainsi les côtés et l’impressionnant dévers de l’arc, tant des groupes encadrés que des familles avec enfants et des grimpeurs expérimentés pourront y trouver leur compte.

Merci pour votre soutien Aidez-nous à transformer cet édifice de guerre en un lieu de partage et de rencontres. www.kletterclub.be/crowdfunding

L’idée d’équiper des ponts avec des prises d’escalade n’est pas nouvelle. Il y a déjà des structures connues dans d’autres pays comme le pont de Pérolles à Fribourg en Suisse ou le Pont de Laupheim près d’Ulm en Allemagne. Mais en Belgique, il s’agit d’une première. En collaborant avec les acteurs derrière ces deux installations de ponts concernant les questions techniques, ainsi qu’avec des ouvreurs expérimentés de salles en Belgique, le KCO veut devenir une plateforme permettant de riches échanges d’expériences. L’équipement du pont démarrera au mois d’août et se fera en différentes phases. En effet, premièrement, aura lieu la phase de préparation et de nettoyage du béton. Ensuite les ouvreurs seront amenés à créer les voies sur différentes faces de deux piliers. Le nombre exact de voies dépendra des ressources disponibles, mais l’objectif est d’installer une dizaine de voies pour la fin de l’été, en envisageant également un mur de bloc. Une nacelle sera louée pendant le mois d’août et le projet cherche encore des bénévoles prêts à venir aider, ainsi que et surtout des ouvreurs expérimentés motivés à l’idée de réaliser des voies pérennes. L’inauguration de ce premier grand chantier sera fêtée le weekend du 27 août. Reste la question du financement. Après avoir répondu à quelques appels à projets, le cercle Kletterclub Ostbelgien lance aujourd’hui un crowdfunding et un appel aux dons. Des contreparties sont proposées autant aux novices en escalade qu’aux passionnés, ainsi qu’aux associations d’escalade et entreprises. Aidez-nous à transformer cet édifice de guerre en un lieu de partage et de rencontres. Allez donc faire un tour sur le site, soutenez-nous et partagez-le un maximum. www.kletterclub.be/crowdfunding ou via le code QR Pour toute question ou proposition, n’hésitez pas à prendre contact avec nous via : hello@kletterclub.be.

Merci déjà de votre soutien !

JOHANNES SEEL

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De l’or à Loverval SIMON VANKEERBERGHEN Pour le CAB La European Cup Boulder 2023, l’événement phare de l’escalade de bloc en Belgique cette année, s’est déroulée avec succès les 27 et 28 mai à Loverval. Les meilleurs grimpeurs d’Europe se sont affrontés lors de cette compétition qui marquait également la dernière manche du circuit de l’année 2023.

Le podium du classement général était décerné à Loverval et c’est la France qui a remporté les honneurs, tant chez les hommes que chez les femmes. Les athlètes français ont montré une maîtrise technique et physique impressionnante tout au long des trois compétitions européennes (Chambéry, Liébana et Loverval). Lors de notre manche à Loverval, c’est Ido Fidel (ISR) qui s’est hissé à la première place du clas-

sement, suivi de près par Pierre Le Cerf (FRA) à la deuxième place et Antoine Girard (FRA) à la troisième place. Du côté des femmes, c’est Chloé Caulier (BEL) qui a remporté la médaille d’or, suivie de Flavy Cohaut (FRA) à la deuxième place et de Martina Buršíková (SVK) à la troisième place. La victoire éclatante de Chloé Caulier dans la catégorie féminine est un véritable exploit. Sa détermination, sa technique impeccable et son talent exceptionnel lui ont permis de se hisser au sommet du classement et de décrocher la médaille d’or. Tout au long de la compétition, Chloé Caulier a impressionné les spectateurs avec son agilité et sa maîtrise des mouvements complexes et physiques que peut demander l’escalade de bloc.

© Thibaut Debelle Photography

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Cette année, la European Cup Boulder a adopté un format de compétition captivant, ajoutant une dose d’intensité et de suspense à l’événement. Les compétiteurs ont été confrontés à des blocs stimulants, mettant à l’épreuve leur force, leur agilité et leur créativité. Les qualifications se sont déroulées en deux séries de trois blocs chacune. Chaque grimpeur disposait de quatre minutes par bloc pour résoudre les problèmes de mouvement, précédés d’une démonspage 43


tration. Des pauses de quatre minutes ont permis aux athlètes de récupérer entre chaque tentative. Les demi-finales et les finales ont été encore plus intenses, avec quatre blocs à vue. Les compétiteurs devaient résoudre les problèmes dans un temps limité de quatre minutes par essai. Une rotation entre les grimpeurs avait eu lieu entre chaque essai. L’excitation était palpable alors que les athlètes se lançaient dans les blocs, démontrant leur talent exceptionnel. Ce format de compétition dynamique a créé une atmosphère électrisante autour du public, mettant en valeur le talent et l’engagement des grimpeurs et grimpeuses de classe mondiale. Cette compétition restera dans les mémoires en tant qu’événement mémorable de l’escalade de bloc en Belgique. La European Cup Boulder 2023 à Loverval a été un succès retentissant, mettant en lumière le talent et l’engagement des athlètes belges et étrangers. La Belgique s’est affirmée comme une destination incontournable pour les compétitions sportives de haut niveau, attirant des athlètes de renom et des amateurs passionnés. Nous tenons à remercier chaleureusement tous les sponsors, bénévoles et membres du personnel du Centre Adeps de Loverval qui ont contribué à la réussite de cet événement. Leur soutien précieux a créé une atmosphère professionnelle et a permis de mettre en valeur le dynamisme de la communauté de l’escalade. Félicitations aux vainqueurs et à tous les participants pour leurs performances exceptionnelles !

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Leur passion et leur dévouement sont une source d’inspiration pour tous les passionnés d’escalade, qu’ils soient novices ou confirmés. Nous espérons que la European Cup Boulder 2023 à Loverval a suscité de nouvelles vocations et encouragé les amateurs à repousser leurs limites dans ce sport captivant. L’escalade de bloc continue de gagner en popularité à travers le monde, et des événements comme la European Cup Boulder contribuent à la promotion et au développement de ce sport spectaculaire. Nous avons hâte de voir les prochaines compétitions et de célébrer avec vous les exploits des grimpeurs talentueux qui repoussent sans cesse les frontières de ce magnifique sport.

SIMON VANKEERBERGHEN

© Thibaut Debelle Photography

© Michael Timmermans Photography

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Chloé Caulier dans son 4e bloc de finale femmes ECB 2023

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Qualifications hommes ECB 2023

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Mur connecté de notre partenaire ShopHolds

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L’israélien Ido Fidel dans son dernier bloc de finale hommes ECB 2023

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Des bénévoles de ECB 2023

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Podium des femmes ECB 2023 avec la victoire de Chloé Caulier

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L’équipe belge encourage Alexandre Noel durant les qualifications hommes ECB 2023 © Thibaut Debelle Photography

© Thibaut Debelle Photography

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© Michael Timmermans Photography

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Sven Lempereur Interview par SIMON VANKEERBERGHEN

Heureux de cet exploit

— Pour le CAB

Simon Vankeerberghen : Sven, pour nos lecteurs qui ne te connaîtraient peut-être pas encore, est-ce que tu peux te présenter et revenir un peu sur ton parcours de grimpeur ? Sven Lempereur : J’ai commencé à l’âge de quatre ans, en compagnie de mon père et de mon frère. Mon frère et moi, nous nous soutenions mutuellement pour grimper avec l’aide de notre père.

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Supercrackinette ? Cette voie était faite pour moi, alors je me suis dit, vas-y ! Pendant cette période, j’ai également fait du foot en parallèle. Ensuite, j’ai intégré des clubs d’escalade comme à Louvain-la-Neuve, puis à Jambes. Cependant, je suis revenu vers mon entraîneur, Didier Motard, lorsque j’avais quatorze ou quinze ans. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision d’arrêter le football et de m’orienter à fond vers l’escalade et la compétition. Au début, cela n’a pas été facile, mais j’ai rapidement fait mes preuves en Belgique, puis j’ai eu la chance de participer à des compétitions européennes. Au début, j’ai rencontré des difficultés, mais j’ai toujours persévéré. J’ai participé à de nombreuses compétitions, mais je n’ai jamais atteint de finales jusqu’à un déclic qui m’a permis de franchir un cap et j’ai pu performer et participer à plusieurs finales par la suite. Je me suis classé dans le top dix du classement général des coupes d’Europe. J’ai eu alors l’occasion de participer aux coupes du Monde, une expérience enrichissante pour un jeune athlète.

© William Belle

À 24 ans, le grimpeur Sven Lempereur s’est lancé le défi d’enchaîner son premier 9a+. C’est donc Supercrackinette et son 9a+ de Saint Léger que notre falaisiste belge décide de faire tomber après un combat acharné et quelques 35 essais. La rédaction d’Ardennes & Alpes profite tout naturellement de ce nouveau numéro pour rencontrer Sven et lui demander de revenir sur ce bel exploit.


Ardennes & Alpes — n°216

Maintenant, petit retour sur ton dernier exploit, l’enchaînement de Supercrackinette, un 9a+ du mythique site de Saint Léger. Pourquoi cette voie ? J’avais une réelle envie de me lancer un défi. La voie d’escalade que j’allais choisir allait être un gros projet pour moi. J’avais envie de me lancer dans quelque chose de plus ambitieux, de relever un défi qui semblait presque impossible au départ. C’était comme un chantier, quelque chose qui demandait beaucoup d’efforts et de travail. J’ai décidé de me lancer dans cette voie à Saint-Léger, un endroit que j’apprécie particulièrement. J’ai alors passé cinq jours à grimper dans « Supercrack » à l’automne 2021. Au début, mes mouvements étaient limités, je ne réalisais pas vraiment la complexité de la voie et je me suis clairement fait bousculer. Peu à peu, j’ai compris les méthodes et j’ai progressé, ce qui m’a permis au final, après un an et demi de travail, d’enchaîner cette très belle voie. Au-delà de l’accomplissement d’avoir réussi la voie, cela m’a permis d’apprendre beaucoup sur moi-même et sur mes capacités. C’était un véritable défi qui a demandé beaucoup de persévérance. Même si je n’avais pas réussi à enchaîner cette voie, l’expérience en elle-même était précieuse. Cela m’a permis de progresser, de me dépasser et de grandir en tant que grimpeur. C’est un accomplissement dont je suis fier. Physiquement, t’es-tu préparé spécifiquement pour cette voie ? J’ai travaillé avec mon entraîneur et ami, Tonio, pour mettre en place une préparation physique spécifique à cette voie. Nous avons axé les séances sur les prises, en reproduisant les mouvements et l’intensité que je rencontrais dans la voie. J’ai également eu une attention particulière à ma progression et à mon évolution. J’avais besoin d’avoir un objectif précis et de mesurer mes progrès régulièrement. Cela a été une source de motivation pour moi. L’entraînement a été intense et parfois difficile, mais cela a été un pas de plus vers l’enchaînement de cette voie incroyable. C’était une expérience qui m’a permis d’évoluer physiquement et stratégiquement. Le jour J, comment cela s’est-il passé ? Le jour où j’ai enchaîné la voie, j’étais très confiant et motivé. J’avais fait des essais précédents et j’avais réussi à progresser dans les mouvements clés de la voie. J’étais donc prêt à donner mon maximum pour réussir. La journée a commencé vers 16 heures lorsque je suis arrivé sur le site de

Je me sentais en grande forme physique, ce qui renforçait ma confiance.

grimpe. J’ai pris le temps de m’échauffer correctement pour préparer mon corps à l’effort intense qui m’attendait. Je me sentais en grande forme physique, ce qui renforçait ma confiance. Avant la journée de l’enchaînement, j’avais bénéficié d’une journée de repos et j’avais pu récupérer pleinement. Je me suis engagé dans ma routine habituelle, essayant de me mettre dans la meilleure position mentale possible. J’étais à la fois excité et un peu nerveux, car je savais que c’était un moment important et que beaucoup de personnes de la falaise étaient présentes pour me soutenir. J’ai commencé ma première tentative et j’ai réussi à atteindre un point critique de la voie, où je devais faire un mouvement difficile. J’ai tenu la prise pendant un court instant, mais finalement, j’ai chuté. Cependant, cela m’a donné confiance car j’ai pu constater que j’étais capable de réaliser ce mouvement. J’ai pris une heure de repos pour me ressourcer, et pendant ce temps, je me suis concentré sur mes sensations et sur la visualisation de la voie. Je suis retourné sur la paroi et, cette fois, j’ai réussi à enchaîner les mouvements jusqu’au sommet ! Comment te sentais-tu après cet enchaînement ? Au moment de l’enchaînement, j’étais dans un état de concentration totale. J’étais tellement focalisé sur chaque mouvement que je n’ai que peu de souvenirs précis de l’ascension elle-même. J’étais simplement déterminé à aller jusqu’au bout et à ne pas commettre d’erreur. Une fois que j’ai atteint le sommet, un sentiment de soulagement m’a envahi. C’était un mélange d’émotions intenses, comprenant la satisfaction d’avoir réussi, la libération de la pression accumulée et une grande fierté. J’étais épuisé physiquement, mais mentalement j’étais comblé. Les heures qui ont suivi ont été marquées par une adrénaline persistante. J’étais excité et incapable de dormir, revivant les moments forts de l’enchaînement. Je me suis senti complètement immergé dans cette réalisation et j’ai pris le temps de savourer chaque instant. Le lendemain, par contre, j’ai ressenti un page 47


Il ne faut pas avoir peur de sortir de sa zone de confort et d’explorer tous les aspects de l’escalade. certain vide. Après avoir atteint un objectif aussi important, je me suis demandé ce que je devais faire ensuite. J’ai passé du temps à réfléchir, à apprécier les photos et à célébrer ma réussite, mais je savais que je devais me fixer de nouveaux défis pour continuer à progresser. Justement, tu parles de progresser, si tu pouvais donner quelques conseils à nos membres : penses-tu que commencer l’escalade jeune est un atout ? Commencer l’escalade à un jeune âge est clairement un atout, tant sur le plan mental que physique. Cela offre des avantages techniques et stratégiques. De plus en plus, on reconnaît l’importance de pratiquer différents sports dès le plus jeune âge et je sens qu’il y a un manque chez ceux qui commencent tardivement. Un manque dans la compréhension des subtilités de l’escalade. C’est quelque chose qu’on apprend dès le plus jeune âge. Aujourd’hui quand je grimpe, je me lance et cela me procure une sensation incroyable. Je ne saurais pas expliquer exactement ce que je fais, les mouvements, le positionnement, c’est juste quelque chose qui se fait naturellement, comme si mes articulations le savaient déjà. Il y a une certaine fluidité dans l’escalade. Les choses se passent facilement. Donc, je dirais oui, commencer jeune est bénéfique. Après, entraînez-vous régulièrement, jour après jour et il est possible de commencer plus tard, parfois avec une progression plus lente, mais si vous grimpez régulièrement, vous finirez par atteindre un chouette niveau. Penses-tu qu’il faut être polyvalent (bloc, lead en salle, grande voie, …) pour performer en falaise ? Pour performer en falaise, il est super important d’essayer différents styles d’escalade. Ça peut être le bloc, le lead en salle, la grande voie, ou même d’autres choses. En explorant ces différents aspects, tu peux développer des compétences variées qui t’aideront en falaise. Le bloc, par exemple, c’est hyper spécifique et c’est même peut-être maintenant un sport à part entière. Ça t’apprend à avoir de l’intuition et à résoudre des problèmes de manière rapide et créative. C’est un vrai challenge pour ton corps et ton esprit. Le lead en salle, c’est une autre histoire. Tu grimpes page 48

en tête avec une corde, et ça te pousse à travailler ton endurance, ta résistance et ta gestion du stress. Tu dois lire les voies, planifier tes mouvements et rester concentré. C’est une bonne façon de gagner en confiance et de prendre des décisions rapides pendant l’escalade. Et puis il y a la grande voie, où tu te lances dans l’ascension de parois rocheuses sur plusieurs longueurs. Là, tu vas devoir gérer ton énergie sur une longue durée et maîtriser des techniques spécifiques. C’est une expérience incroyable qui te mettra vraiment à l’épreuve. Donc oui, en gros, il ne faut pas se limiter à un seul style. Plus tu essaies de trucs différents, plus tu développes tes compétences et ton esprit d’adaptation. Il ne faut pas avoir peur de sortir de sa zone de confort et d’explorer tous les aspects de l’escalade. Quels conseils donnerais-tu aux grimpeurs débutants? De grimper, de grimper et de grimper. Et surtout de ne pas se bloquer à un niveau pensant qu’on ne pourra pas enchaîner le suivant.

De croire en lui, c’est la seule chose qui me manquait et qui me manque toujours d’ailleurs. Et aux grimpeurs dans le 7 et dans le 8 ? Pour progresser en escalade, je dirais qu’il est primordial de grimper autant que possible et de ne pas avoir peur de consacrer du temps et des efforts à cette pratique. Il ne suffit pas de simplement grimper une voie une fois et de dire « ça ne marche pas, je descends ». Il y a toujours une solution à trouver. Lorsque tu te retrouves face à un mouvement ou à un passage difficile, il est important de ne pas abandonner facilement. Prends le temps d’analyser la situation, observe les autres grimpeurs qui réussissent et essaie de comprendre les mouvements. Parfois, une petite modification dans ta technique ou une approche

Page précédente et ci-contre : Essais dans Supercrackinette


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© William Belle


Je n’ai pas complètement abandonné la compétition, car chaque chose qui m’attire peut toujours ressurgir.

Il y a donc deux ou trois ans, j’ai décidé de retourner vers ma passion initiale, la falaise. J’ai décidé de laisser de côté les compétitions pour retrouver ce que j’aimais vraiment. Cependant, le hasard ou peut-être pas, le COVID est arrivé. Cela a mis un frein à mes compétitions, ce qui correspondait à ma période de moindre intérêt pour la compétition. Je n’ai pas complètement abandonné la compétition, car chaque chose qui m’attire peut toujours ressurgir. J’ai pris du recul et j’ai réalisé que je pouvais maintenant y aller pour moi-même, sans la peur de décevoir les autres. Ce n’est donc pas un arrêt définitif, mais plutôt une pause pour le monde de la compétition.

différente peut faire toute la différence. La clé est d’adopter une attitude de persévérance et de détermination. Chaque fois que tu te retrouves confronté à un obstacle, considère-le comme une occasion d’apprentissage et de progression.

Quels sont tes futurs projets en grimpe ?

Et à Sven d’il y a 5 ans ?

Mon objectif principal, clairement, c’est d’être le premier belge à enchaîner un 9b ! J’ai pris en compte la liste des voies existantes et il y en a deux ou trois qui m’attirent et entre autres en Espagne comme La Planta de Shiva ou Fight for Flight. Il y a aussi une sorte de compétition amicale entre Seb (Berthe) et moi pour celui qui arrachera ce premier 9b. Nous nous efforçons tous les deux de réaliser le plus grand nombre de voies en falaise et cela nous pousse à nous dépasser mutuellement chaque jour. Seb a récemment réussi à conquérir de belles nouvelles voies, ce qui est vraiment impressionnant.

De croire en lui, c’est la seule chose qui me manquait et qui me manque toujours d’ailleurs. Aujourd’hui, quelle est la place de la compétition dans ta pratique de l’escalade ?

© Augustin Fort

Je pense qu’à l’âge de seize ans, j’ai pris conscience de l’importance de la confiance en soi. Avant cela, j’avais du mal à me sentir sûr de mes résultats, ce qui créait une certaine appréhension en moi. J’avais un mélange de joie et d’appréhension qui me tiraillait dans le ventre, mais j’ai appris à passer au-dessus de ces sentiments.

Je voudrais aussi continuer à travailler sur d’autres projets en Belgique. Il y a encore de nombreuses opportunités à explorer ! Merci Sven de t’être livré à nous aujourd’hui. On ne peut dès lors te souhaiter que le meilleur pour cette saison, et que toi et les autres falaisistes belges poursuiviez vos exploits qui nous font tant rêver.

Interview de SVEN LEMPEREUR par SIMON VANKEERBERGHEN

Si vous voulez garder un œil sur les super projets de Sven, n’hésitez pas à le suivre et à le soutenir sur : @svenlempereur @sven.lempereur.3

Heureux de cet exploit page 50


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