Douée pour l'erreur

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DOUÉE POUR L’ERREUR Du bon usage des bugs, glitchs et autres parasites numériques

Carine Bigot Tutorat : Daniel Pinkas Master Media Design HEAD Genève - janvier 2012



Sommaire Introduction 09 De l’erreur à l’horreur 11

- Erreur matérielle et logicielle : le bug et ses conséquences - La hantise du « débug » - Machines hors de contrôle : entre fiction et réalité - Nos erreurs ou celles des machines ?

De la répulsion à l’attraction

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- Erreur, glitch, bruit et hasard 28 - Le cas du jeu-vidéo 33 - Potentiel en matière de design 37 Conclusion 43 Illustrations 47 Bibliographie 55

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Introduction L'erreur dont traitent les théories philosophiques classiques est avant tout l'erreur cognitive, épistémique, de jugement. Ce mémoire porte sur un autre type d'erreur, strictement lié à la technologie, distinct du premier, mais qui entretient tout de même des relations intéressantes avec lui. Vis-à-vis des objets techniques et des technologies numériques, de la conception à l’utilisation, on constate que l’erreur est une action normalement évitée, corrigée ou ignorée. Au vu des ses multiples manifestations et de ses conséquences parfois affolantes ou désastreuses, il est habituel de considérer l’erreur comme une nuisance, de penser qu’elle n’a pas lieu d’être, qu’elle nuit à la fonction et qu'il ne s'agit donc que d'un vice de nos machines et programmes. Cependant, il existe différents types d'erreur technique et différents contextes dans lesquels elles peuvent apparaître, toutes n'étant pas irrémédiablement néfastes dans tous les cas de figures. Si en général l'erreur est perçue comme un échec, nous pouvons pourtant développer l'idée inverse, selon laquelle l'erreur serait une porte d’entrée vers des possibilités non préméditées et encore non explorées par les concepteurs et programmeurs. On remarquera alors, que l'erreur en technologie possède également certaines vertus, qu'elle peut être synonyme d’heureuse découverte, de bifurcation prometteuse, de modification et d’évolution du système qui l’a produite. À travers les expérimentations du Glitch Art et l'exemple particulier du jeu-vidéo, nous apercevrons pourquoi l’erreur peut constituer un atout et comment les artistes et designers réfléchissent à son utilisation. Cette recherche vise à établir des hypothèses quant à son application concrètes dans une perspective de design ; mais aussi, par la même occasion, à questionner plus largement sa place et son devenir au cœur des technologies numériques.

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« Si le robot est esclave, le thème de l'esclave est toujours lié, jusque dans la légende de l'apprenti sorcier, à celui de la révolte. La révolte du robot, sous quelque forme que ce soit, n'est pas rare dans les récits de sciencefiction. Elle y est toujours implicite. Le robot est comme l'esclave, à la fois très bon et très perfide, très bon comme la force qu'on enchaîne, très mauvais comme celle qui se déchaîne. » Jean Baudrillard, Le Système des Objets, Tel, Gallimard, 1968, p. 171

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Machines numériques et programmes informatiques sont de parfaits exécutants. Ils accomplissent des tâches de la manière que nous souhaitons, par des règles que nous leur dictons. Si nous exécutons nous-mêmes ces tâches, il est fort probable, à un moment ou l'autre, que nous commettions une erreur. Les machines nous apportent une aide serviable et pallient également beaucoup de nos défauts. Elles ne sont jamais fatiguées, ne sont pas tête en l'air, n'ont jamais mal, n'ont pas de saute d'humeur et ne font, en principe, jamais d'erreurs. Pourtant, si nous disposons de parfaits serviteurs qui a priori ne se trompent jamais, les erreurs sont néanmoins toujours présentes. Malgré une apparente immunité à l'erreur, il arrive qu'un élément vienne perturber ces machines si bien réglées. Ces perturbations peuvent être sans réelles conséquences comme elles peuvent entraîner d'importants dégâts. Quand une machine ou un programme adopte un comportement étrange ou me communique une réponse erronée, que mon écran affiche soudainement « An error has occurred » je me pose la question de l'origine de cette erreur. Qu'entend-on vraiment derrière les termes « erreur technique », « erreur informatique » ou « bug » ?

- Erreur matérielle et logicielle : le bug et ses conséquences La scène d'introduction du film Brazil de Terry Gilliam illustre bien le problème de l'erreur liée aux machines [fig. 1]. Dans un bureau du ministère de l'information, une machine imposante est occupée à établir des documents administratifs. Une personne supervisant cette tâche est perturbée dans sa lecture par une mouche et décide donc de l'écraser à l'aide de son journal. Le superviseur monte sur une chaise et écrase la mouche qui se trouve au plafond. Malheureusement, le corps de la mouche se décolle et tombe dans la machinerie en action. La machine ne s'arrête pas de fonctionner pour autant, mais elle inscrit par erreur le nom de Buttle au lieu de Tuttle. De cette erreur découlent les nombreuses péripéties du film.

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Bien que cet exemple relève d'un univers fictif, il semble inspiré de faits réels, d'où le mot anglais « bug » désignant une « bestiole » : en 1947, les ingénieurs travaillant sur l'ordinateur électromécanique Mark II à l'université d'Harvard, ont trouvé à l'intérieur de l'appareil une petite bête provocant des dysfonctionnements 1. L'insecte a été conservé dans un journal de bord et est aujourd'hui connu pour être le premier cas « documenté » de bug [fig. 2]. L'ENIAC (Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer) a rencontré le même problème, car son fonctionnement physique se voyait perturbé par des cafards [fig. 3]. À l'origine, « bug » désignait donc plutôt un problème mécanique, mais il est aujourd'hui employé pour désigner toutes sortes de perturbations, qu'elles soient mécaniques ou numériques, d'exécution ou de programmation. Si on imagine bien les conséquences matérielles que pouvait entraîner un dysfonctionnement dans les ordinateurs imposants de cette époque, qu'en est-il aujourd'hui pour des machines miniaturisées et des programmes multitâches incomparablement plus complexes ? Aujourd'hui il semble que le bug fasse intégralement partie du système numérique, qu'il soit l'une de ses caractéristiques intrinsèques. On justifie d'ailleurs assez aisément la moindre erreur comme relevant d'une « erreur technique ». En novembre 2011, l'agence de notation Standard & Poor's a annoncé par erreur une dégradation de la note française. Le lendemain, l'agence a rectifié le tir en justifiant qu'il était question d'une erreur « liée à une confusion de son système informatique » 2. Ah ces bugs, ils ont bon dos tout de même ! Mais si une erreur comme celle-ci prête à sourire, les bugs représentent un réel problème dans une société où la numérisation et l'informatique sont omniprésentes. Ce problème, comme le souligne bien le chercheur en informatique Gérard Berry, est que l'ordinateur agit comme un « amplificateur d'erreur » 3. Nos parfaits exécutants, si nous leur donnons ne serait-ce qu'un seul bit d'information faux dans la tâche qu'ils doivent accomplir, nous renverront un résultat lui aussi erroné. « [...]Le bug est une erreur de programmation éventuellement extrêmement minime et qui va entraîner la machine, qui a une conscience professionnelle absolue et un

1 National Museum of American History, Kenneth E. Behring Center, http://bit.ly/zf0hXq 2 Lemonde.fr avec AFP, L'agence Standard & Poor's s'explique sur son erreur sur la note française, http://bit.ly/yZjny2 3 Gérard Berry, Autopsie du Bug, France Culture, Place de la Toile, 20 fév. 2011, http://bit.ly/zy6Ate

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manque d'humour total pour aller n'importe où. Voilà, ça c'est la vrai définition du bug. L'ordinateur, c'est essentiellement un amplificateur d'erreur » 4. Sur un ordinateur, nous avons probablement tous déjà rencontré un message d'erreur. Sur le premier ordinateur Macintosh d'Apple, le message d'erreur s'accompagnait d'une petite icône crée par Susan Kare, représentant graphiquement et ironiquement une bombe [fig. 4]. De tels messages existent car dans la conception de systèmes informatiques beaucoup d'erreurs ont été rencontrées et sont donc prévues et catégorisées par les ingénieurs. Les erreurs ont différents niveaux de gravité. Sur le web, il y a le fameux code HTML « 404 » qui signale que vous demandez à accéder à un document inexistant [fig. 5]. Cela indique souvent que la page que l'on cherche à atteindre a été déplacée, modifiée ou n'existe tout bonnement plus. Avec une mise à niveau fréquente des sites internet, le code 404 prolifère et fait même l'objet d'une personnalisation par les web designers. D'un autre côté, des messages d'erreur plus alarmants peuvent survenir et nous prévenir d'un réel dégât. Le système d'exploitation Microsoft Windows est assez réputé pour son « blue screen ». Dans le jargon on le surnomme même « blue screen of death » (BSOD) [fig. 6]. Suite à une erreur importante, l'interface laisse place à un fond bleu sur lequel vient s'inscrire un message d'erreur de type 0x0000001D, qualifié parfois de « fatal error ». De la même façon que l'HTML 404, il s'agit d'un code, permettant de situer l'erreur dans un répertoire élaboré par les concepteurs. Les systèmes d'exploitation de type Unix comme Linux ou Mac OS ne sont pas épargnés puisqu'ils peuvent eux aussi, suite à une erreur, se figer et afficher un message invitant à redémarrer l'ordinateur. Cette erreur est appelée « Kernel Panic », littéralement « panique du noyau » [fig. 7]. Ce terme désigne diverses erreurs se produisant au cœur du système et qui peuvent entraîner l'arrêt complet de la machine, le plantage du système, un « crash » parfois définitif. Les erreurs informatiques sont parfois qualifiées de failles, mais on peut surtout avancer qu'elles représentent une véritable fragilité, une friabilité. Une petite erreur et c'est le système entier qui menace de s'écrouler.

4 Gérard Berry, Autopsie du Bug. Op. cit.

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Ce système vulnérable peut également être la proie d'un logiciel malveillant, d'un virus informatique. Le virus est avant tout un programme créé dans le but de se reproduire et s'infiltrer dans les ordinateurs de manière autonome. Quand celui-ci est malveillant, on peut détecter la présence de ce corps étranger par un comportement inhabituel de la machine. Les virus portent souvent un nom lié à sa façon de fonctionner, son apparence ou aux dégâts qu'il cause. Parmi les plus destructeurs, on peut citer le virus Tchernobyl qui a commencé à infecter les ordinateurs au 13e anniversaire de le catastrophe Ukrainienne 5. L'existence des virus informatiques et des conséquences plus ou moins importantes qu'ils entrainent, soulève une question relative à la sécurité des systèmes informatiques. C'est souvent pour cette raison que des mises à jour sont constamment développées. Dans la mesure où ces erreurs se limitent au seul espace d'un ordinateur et que celles-ci n'infligent pas des dégâts irréparables aux systèmes d'exploitation, on peut tout de même s'étonner des termes dramatiques utilisés pour les désigner. Les mots « fatal », « mort », « panique », « crash » et « virus » pourraient être employés dans un scénario beaucoup plus catastrophique que ceux évoqués jusqu'à présent. À plus grande échelle, pour comprendre la gravité des conséquences possibles des erreurs informatiques, nous pouvons tout d'abord nous remémorer le bug de l'an 2000 (Y2K). Cette erreur de date, une erreur de conception « fréquente » 6, n'a pas eu les lourdes conséquences anticipées puisqu'elle a été détectée et traitée à temps, mais elle a certainement été coûteuse et reste assez mémorable pour avoir provoqué une grande inquiétude. Ce qui a provoqué l'angoisse, c'est que cette erreur puisse entrainer des dysfonctionnements dans des secteurs sensibles tels que les transports, les télécommunications ou – horreur ! – les systèmes financiers. Si pour le bug de l'an 2000 le pire a été évité, il y a malheureusement des exemples plus dramatiques où cela n'a pas été le cas. En 1991, pendant la guerre du Golfe, un logiciel défectueux associé au système de missile Patriot (MIM-104 Patriot) [fig. 8] a causé la mort de 28 soldats américains en Arabie Saoudite. En 1996, le vol 5 Libération.fr, Alerte au Virus Tchernobyl, 23 avril 1999, web.archive.org, http://bit.ly/AbYZV4 6 Gérard Berry, Autopsie du Bug. Op. cit.

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501 d'Ariane 5 s'est soldé par une explosion en plein ciel suite à un problème dans son système de guidage [fig. 9]. Les logiciels, bâclés pour des raisons économiques, ont provoqué des pertes extrêmement coûteuses. À l'heure actuelle, la conséquence majeure des erreurs informatiques et numériques réside dans le budget qui est alloué à leur correction. Début 2011, la société Intel a détecté un problème dans la chaîne de conception logicielle de sa nouvelle génération de processeur Sandy Bridge 7, une erreur qui dégraderait prématurément la puce. Pour réparer cette erreur et prévenir l'impact sur les ventes, la société a estimé qu'il lui faudrait investir la modique somme de 300 à 700 millions de dollars 8. Ces exemples nous indiquent que les erreurs sont loin d'être de simples occurrences extrinsèques aux systèmes numériques. Au contraire, elles en constituent un vaste territoire. D'un côté il y a l'erreur mécanique qui intervient quand un élément externe altère le fonctionnement physique de la machine. De l'autre, se trouvent les erreurs plus spécifiquement numériques qui concernent les défaillances ou faiblesses de programmation. Pour les unes ou les autres, les conséquences peuvent se révéler coûteuses, néfastes ou même dangereuses. Elles doivent pour cette raison faire l'objet d'une attention toute particulière. On peut d'ailleurs noter, qu'en même temps que le terme de bug a vu le jour, avec lui est apparu celui de « débug » c'est-à-dire du travail de correction ou d'éradication des erreurs.

- La hântise du « débug » Ne vous est-il jamais arrivé qu'un logiciel se ferme brusquement, sans raison apparente ? Lors de l'utilisation d'un navigateur web, un message peut nous annoncer « L'application Safari a quitté inopinément » [fig. 10] ; « Internet Explorer a rencontré un problème et doit fermer » ou encore « Firefox a cessé de fonctionner ». Suite à ce « plantage », de plus en plus de programmes, nous proposent d'envoyer via le réseau un rapport d'erreur au fabricant du logiciel [fig. 11]. Un message destiné à rassurer l'utilisateur mais peut-être aussi à se donner bonne conscience. Cette fonction doit per7 Intel.com, Intel Identifies Chipset Design Error, Implementing Solution, communiqué officiel, http://intel.ly/yFq6X8 8 Gérard Berry, Autopsie du Bug. Op. cit.

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mettre de retracer la source de l'erreur, de la comprendre et éventuellement, de la réparer. Les logiciels et systèmes d'exploitation sont de nos jours conçus pour répertorier et prendre en compte les erreurs et les comportements anormaux des systèmes. Soit les erreurs sont simplement enregistrées dans un répertoire, soit le système possède un outil autonome de détection et de réparation de l'erreur. L'importance des erreurs mécaniques et numériques a amené des changements dans la manière de concevoir les logiciels. Il est devenu peu à peu primordial de chasser et corriger les erreurs. Avec une taille et une complexité qui croît constamment (conformément aux lois de Moore), tests et réparations ont finalement pris une importance supérieure à celle de l'écriture de logiciels. Guillaume Brat, ingénieur logiciel à la Nasa estime ainsi que le travail de vérification occupe 88% du temps dévolu et seuls les 12% restant sont dédiés à l'écriture du code. Les systèmes numériques sont désormais tellement variés, complexes et interconnectés qu'il est devenu corrélativement de plus en plus difficile de prévoir et détecter les erreurs. Dans un article, Vincent Nouyrigat considère que l'informatique est « malade des lignes de code » 9. Il y souligne le difficile travail de détection et de correction des erreurs, tant les couches des codes s'accumulent au fil des années. « Les informaticiens ont un problème. Et pas un petit problème : les voilà incapables d'assurer la fiabilité des nouveaux systèmes informatiques tentaculaires qui se profilent ! Parce que les lignes de code qui sous-tendent ces programmes sont devenues trop nombreuses, trop complexes » 10. Cette impossibilité d'assurer un système fiable est surtout évoquée pour des projets sensibles tels qu'une « autoroute ou un réseau aérien automatique » 11. Bien que le problème de l'erreur et de sa correction n'est pas réellement nouveau, il suscite aujourd'hui des perplexités et des interrogations. En effet, certains spécialistes comme Joseph Sifakis (chercheur au CNRS), soulignent que « le fossé se creuse entre le potentiel offert par le matériel informatique et notre maîtrise intellectuelle » 12. Kevin Sullivan, informaticien au Software Engineering Institute surenchérit en avançant que « nous n'avons jamais cessé 9 Vincent Nouyrigat, Român Ikonicoff, Bugs logiciels : L'Informatique, Malade des Lignes de Code, Science & Vie n°1121 fév. 2011, p. 54 10 Ibid. 11 Ibid. 12 Ibid.

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de bâtir des systèmes qui dépassent le cadre de notre savoir théorique » 13. Il existe également une incompatibilité entre la demande commerciale qui se fait pressante, et les réelles capacités des programmeurs a instaurer des systèmes fiables dans les temps qui leur sont impartis. On pourrait donc croire qu'au lieu d'essayer de repenser et concevoir des systèmes plus fiables, les programmeurs passent plus de temps à corriger les erreurs mais aussi à accroître les risques en augmentant le nombre de lignes de code et en abusant du « copier/coller ». Sont-ils en train de courir après le lapin blanc ? Il nous est difficile de mesurer le nombre de logiciels que nous utilisons au quotidien, comme il nous est difficile de mesurer les programmes qui se cachent derrière. Selon Patrice Godefroid de la société Microsoft, « on observe sur les logiciels courants (de bureautique, GPS, etc.) entre 1 et 10 bugs dans chaque millier de lignes de code » 14. Quand on sait qu'il faut environs 20 millions de lignes de code pour un téléphone portable et 100 millions pour programmer les organes numériques d'une voiture 15, on comprend un peu mieux le malaise devant l'ampleur de la tâche, devenue une tâche sisyphéenne. Si des erreurs sont détectées après la sortie commerciale d'un produit, celui-ci fera sûrement l'objet d'une mise à jour, ou bien le fabriquant proposera un « patch », terme qui en français, désigne une rustine. Si on compare l'erreur informatique à la crevaison d'une roue de vélo, le patch représente ce qui empêche les conséquences de l'erreur sans pour autant la supprimer. On pourra rouler jusqu'à la prochaine crevaison. Même si certains professionnels trouvent la situation alarmante, des efforts et des recherches sont tentés pour palier plus efficacement aux dysfonctionnements. Pour les systèmes dits critiques comme les transports, des méthodes formelles existent, solution réputée coûteuse mais qui vise à garantir une certaine fiabilité face aux bugs. On peut également évoquer la conception de systèmes tolérants aux pannes et aux erreurs, supposés préserver le fonctionnement normal d'une machine quand celle-ci rencontre des défaillances. À une époque il fallait écrire rigoureusement une commande pour pouvoir ouvrir soi-même un logiciel. Une simple faute dans la ligne de commande empêchait ce lancement, et il n'y avait aucune indication du système pour 13 Ibid. 14 Ibid. 15 Robert N. Charrette, Why Software Fails. IEEE Spectrum, sept. 2005, http://bit.ly/xlloJR

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nous suggérer l'emplacement de l'erreur. Aujourd'hui, quand j'orthographie mal un mot dans le moteur de recherche Google [fig. 12], il me propose une correction presque toujours pertinente. D'une autre manière quand j'écris un petit programme à l'aide du logiciel Processing [fig. 13], que je l'exécute mais qu'il ne marche pas, je bénéficie tout de même d'une « aide intelligente » m'indiquant plus ou moins précisément la nature et la localisation de l'erreur. Il existe également des systèmes créés pour vérifier d'autres programmes informatiques. Créé en 1998, Bugzilla est l'un des plus anciens. C'est un logiciel sous licence libre représenté par une coccinelle, ce coléoptère porte-bonheur, la « bête à bon dieu » friande de pucerons [fig. 14]. Même si ces programmes ne corrigent pas automatiquement les erreurs, en faisant office de traqueurs ils en facilitent tout de même la découverte. La correction des erreurs, bien que pouvant être la hantise de certains, se révèle également être un travail nécessaire, non seulement dans un objectif de réparation, mais aussi dans un souci d'amélioration et de développement futur. Le travail de programmation inclut une dialectique erreur/correction, une recherche qui permet peu à peu de comprendre et d'améliorer des systèmes complexes. Aujourd'hui, avec l'accumulation des mises à jours, les logiciels courants tendent à être chroniquement en version bêta, c'est-à-dire une version dont on sait pertinemment qu'elle contient des erreurs. Ceci peut être perçu comme une forme de résignation, celle de voir apparaître de nouvelles erreurs accompagnées d'effets inattendus.

- Machines hors de contrôle : fiction et réalité En plus d'avoir dessiné une icône de bombe pour accompagner un message d'erreur, Susan Kare a également créé deux autres icônes liées au bon ou mauvais démarrage du système Macintosh : « Happy Mac » l'ordinateur souriant et « Sad Mac » l'ordinateur troublé [fig. 15]. Illustrer l'état de l'ordinateur en lui attribuant des expressions faciales nous apparaît dans ce cas plutôt amusant. Par contre qu'en serait-il si au lieu d'être une représentation gra-

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phique, ces émotions ou pensées étaient réellement intégrées à l'ordinateur ? Est-il possible d'imaginer un ordinateur qui un jour sera content de travailler pour vous et un autre refusera sous prétexte qu'il n'est pas d'humeur ? L'erreur informatique est parfois étrangement associée à une sorte de mal être de la machine. Le parasite qu'est le bug provoquerait-il en elle des douleurs, des doutes ou de la colère ? Il est arrivé qu'avec une amie nous ayons à attendre longtemps qu'un ordinateur traite notre demande, celui-ci n'étant pas forcément assez puissant par rapport à la tâche à exécuter. Avec impatiente et une petite dose d'anxiété mon amie me dit : « il réfléchit ». Cette simple phrase ajoutée au temps d'attente, m'a fait imaginer l'ordinateur réfléchir tel que moi je peux le faire, c'est-à-dire en doutant de la réponse à donner, en élaborant des hypothèses, en remettant en cause le résultat, en hésitant, en s'énervant, etc. D'une autre manière, je me suis moi-même déjà entendue dire « il n'a pas apprécié » en parlant de l'ordinateur comme s'il s'était fâché à la suite d'une manipulation. Ce ne sont là que des expressions linguistiques, mais attribuer des émotions ou un comportement humain à un ordinateur n'est pourtant pas une réaction qui nous est inconnue. En cédant des comportements humains aux machines, en leur attribuant des désirs, en réalité nous présageons leur conduite en adoptant ce que Daniel C. Dennett appelle le point de vue intentionnel 16. Les études en robotique et en intelligence artificielle s'efforcent de doter l'ordinateur « des capacités habituellement attribuées à l'intelligence humaine » 17. On peut penser que doter les machines de raisonnements et comportements aussi souples et complexes que les nôtres n'a rien de déplaisant, ceci pouvant peut-être atténuer la froideur et le côté mécanique qu'on leur reproche. Je me trouve moi même agréablement surprise face aux messages d'erreurs employant de plus en plus des phrases et un vocabulaire proches de l'humain. Quand le navigateur web Firefox plante, un message affiche : « Hum... C'est embarrassant » comme s'il était gêné d'admettre sa faiblesse [fig. 16]. Le site du réseau social Facebook m'a déjà annoncé que « le serveur a trouvé [ma] requête confuse et ne sait pas comment la traiter », insinuant que ma demande n'était pas claire [fig. 17]. Dans cet exemple les concepteurs jouent avec notre tendance à considérer la machine 16 Daniel C. Dennett, La Stratégie de l'Interprète. Le Sens Commun et l'Univers Quotidien. NRF Essais, Gallimard, Paris, 1990, p. 30 17 Jean-Paul et Marie-Christine Haton, L'Intelligence Artificielle. Que sais-je ?, PUF, 1993, p. 3

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comme une personne. Mais jusqu'où peut aller ce jeu du mimétisme, de ces erreurs numériques déguisées en pathologies humaines ? Il est tentant de ressasser ici l'exemple de l'ordinateur de bord HAL 9000 du film 2001 : L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick [fig. 18]. Bien que l'apparence de Hal n'ait rien d'anthropomorphe, son comportement est quant à lui sujet à diverses interrogations. Autant il se révèle sympathique quand il manifeste une sensibilité pour le dessin de David Bowman, autant il attise la méfiance quand il semble avoir la capacité de mentir et de conspirer contre l'équipage. HAL ne fait pourtant qu'exécuter la mission qu'on lui a donné, mais son comportement devient ici particulièrement nuisible. « Le dysfonctionnement de Hal naît de la contradiction entre sa mission d'une part, et ce qu'il doit dire à l'équipage. Le mensonge le fait buguer, et la sensation qu'on comprend qu'il ment lui fait prendre des mesures funestes » 18. Il n'est pas rare dans le domaine de la science-fiction, de voir les erreurs liées aux machines se transformer en actes de mutinerie. Des films comme Matrix et Terminator nous présentent des machines libérées de leur esclavage à l'égard de l'humain au détriment des hommes. Dans le roman utopique Erewhon, Samuel Butler décrit la vitalité exacerbée des machines : « On me dit aussi que presque toutes les machines ont leurs manies et leur tempérament propres ; qu’elles connaissent leurs conducteurs et leurs gardiens, et qu’elles jouent volontiers des tours aux gens qu’elles ne connaissent pas » 19. Il y évoque également la crainte que cela provoque pour le peuple d'Erewhon : « Parfois, quand son action normale est troublée, elle perd la tête, et va de mal en pis, comme un dément pris de folie furieuse » 20. Voilà que notre machine à l'origine si serviable, devient une ennemie, folle et insubordonnée. La première apporte son aide au travail de l'homme, la seconde le sabote. Mais ce n'est pas la première fois que la machine est considérée comme une ennemie. Dès ces débuts et aujourd'hui encore, elle peut être perçue négativement, parfois en raison même de la perfection de son travail qui fait d'elle une excellente remplaçante de l'homme. C'est à croire que nous ne serons jamais satisfaits de nos machines !

18 Jean-Noël Lafargue, Le dernier blog, Hal 9000, http://bit.ly/xvZjFI 19 Samuel Butler, Erewhon (1872). Trad. fr. Valéry Larbaud, Imaginaire, Gallimard, Paris, 2005, pp. 157-183, http://bit.ly/yOWH76 20 Ibid.

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Nous arrivons donc à un seuil de ressemblance qui semble nous déranger. Dans le chapitre consacré aux machines de Ce que sait la main, Richard Sennett distingue deux espèces de machines, « le répliquant et le robot ». Les répliquants sont « des copies d'êtres humains » qui « nous reflètent en nous imitant », tandis que le robot est « pareil à un miroir dans une fête foraine : il accroît démesurément » les capacités humaines. Malgré cette distinction, R. Sennett admet tout de même qu'il existe « une zone ambiguë » entre « mimétisme et amplification » et que « Dans Blade Runner, les répliquants qui sont des copies d'êtres humains amplifient les aspects particulièrement brutaux et pervers de la vie quotidienne » 21. L'aspect inquiétant semble donc dériver en partie de l'amplification des erreurs techniques que nous comparons à des déviances humaines. Il est intéressant à ce propos de signaler qu'en 1970, le roboticien Masahiro Mori a introduit le terme de « vallée dérangeante » (Uncanny Valley) 22. En référence au concept Freudien Unheimlich 23, la vallée dérangeante met en avant une réaction humaine négative face à un robot humanoïde à la fois très proche de l'homme dans l'imitation, mais une imitation encore insuffisante car la moindre erreur ou imperfection se transforme à nos yeux en aberration repoussante [fig. 19]. Les analogies entre l'homme et la machine renforcent l'effet de miroir, et le reflet n'est peut-être pas toujours flatteur. Le thème du double pose la question de l'attribution de nos propres erreurs à la machine. Nous savons déjà de quoi elles sont capables en termes d'erreur sans pour autant qu'elles soient programmées dans ce but. À travers fictions, superstitions et croyances, c'est l'idée d'une créature irrémédiablement imparfaite qui est sans cesse pointée du doigt. Une créature inachevée et difficilement contrôlable dans laquelle Jacques Bouveresse détecte les caractéristiques de la légende du Golem. « Les machines intelligentes sont nos Golem en un sens comparable à celui auquel nous sommes les Golem de Dieu, l'argile qu'il a façonnée et animée pour sa gloire et son service et — cet aspect a son importance — à ses risques et périls » 24. Cet imaginaire relatif à l'imperfection et au mal inscrits dans la machine, bien qu'attrayant dans un scénario fictif, peut sembler démesuré dans une situation concrète. Si l'on remet un peu les pieds sur terre, on est en droit 21 Richard Sennett, Ce que Sait la Main. Albin Michel, Paris, 2010, p. 120 22 Masahiro Mori, The Uncanny Valley, 1970, http://bit.ly/xxDLw2 23 Sigmund Freud, L'Inquiétante Étrangeté. Folio Essais, Gallimard, Paris, 2011 24 Jacques Bouveresse, Le Fantôme dans la Machine. in La Parole Malheureuse, les Éditions de

Minuit, Paris, 1971, p. 453

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de se demander si ces métaphores ne sont pas essentiellement alimentées par les capacités grandissantes de nos machines et par notre impuissance à comprendre et à contrôler les erreurs qui s'y développent. Il apparaît donc raisonnable d'essayer de faire plus clairement la distinction entre les erreurs humaines et celles des machines. On peut également s'interroger sur le fait qu'un jour, les programmes puissent atteindre un mécanisme de pensée si proche du notre, qu'ils pourront également se tromper, voire comme nous, se tromper elles-mêmes.

- Nos erreurs ou celles de la machine ? Nous l'avons vu, qu'une machine ait la capacité de faire des erreurs suscite de l'appréhension. Mais cette peur liée aux analogies excessives fait régner une certaine confusion entre les erreurs des machines et les erreurs humaines. Malgré les similitudes une différence, et elle paraît évidente, sépare nos erreurs de celles des machines. La machine ne fait qu'exécuter à la lettre ce qu'on lui demande. Dès lors, les erreurs des machines sont, soit le résultats de nos propres erreurs dans la formulation de la demande, soit le résultat d'une perturbation qui n'est pas directement de notre ressort. Dans son célèbre article Les ordinateurs et l'intelligence, Alan Turing pose la question de savoir si les machines peuvent penser. Dans une logique d'argumentation rationnelle, Turing y énumère et examine des objections à l'idée de machine pensante. Une de ces objections m'intéresse particulièrement ; elle se réfère aux « arguments provenant des diverses incapacités » parmi lesquelles figure la capacité de commettre des erreurs. « Le fait de revendiquer que “ la machine ne peut pas faire d'erreurs ” semble curieux. On est tenté de répondre : “ En sont-elles pires à cause de cela ? ” » 25. Turing semble néanmoins défendre l'idée qu'il s'agit d'une capacité positive en faisant apparaître une « confusion entre deux types d'erreur. Nous pouvons les appeler “ erreurs de fonctionnement ” et “ erreur de conclusion ”. Les erreurs de fonctionnement sont dues à quelque faute mécanique ou électrique qui fait que la machine ne se comporte pas comme elle le devrait […] Les erreurs de 25 Alan M. Turing, Les Ordinateurs et l'Intelligence. Trad. fr. Patrice Blanchard, in Vues de l'esprit, Interéditions, Paris, 1999, p. 70

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conclusion apparaissent seulement quand une signification est attribuée aux signaux de sortie de la machine […] Quand une proposition fausse se trouve imprimée, nous disons que la machine a commis une erreur de conclusion. Il n'y a évidemment absolument aucune raison de dire qu'une machine ne peut pas faire ce genre d'erreur. Elle pourrait ne rien faire d'autre que d'imprimer sans cesse “ 0 = 1 ”. Pour prendre un exemple moins méchant, elle pourrait disposer d'une méthode pour tirer des conclusions par induction scientifique. Nous pouvons nous attendre à ce qu'une telle méthode conduise occasionnellement à des résultats erronés » 26. Dans ce passage, Turing semble bien suggérer que si nous le voulons, le processus de résultat d'une machine peut inclure un mécanisme, une « méthode » la conduisant à un résultat ou un comportement erroné. Évidemment se pose la question du but. Pourquoi aurait-on besoin d'une machine capable de faire des erreurs ? L'exemple du test de Turing peut nous donner une amorce de réponse, en introduisant une perspective ludique, celui du jeu de l'imitation 27. « On affirme que l'interrogateur pourrait distinguer la machine de l'homme, simplement en lui posant un certain nombre de problèmes d'arithmétique. La machine serait démasquée à cause de son exactitude implacable. La réplique est simple. La machine (programmée pour jouer le jeu) n'essaierait pas de donner les réponses justes aux problèmes d'arithmétique. Elle introduirait délibérément des erreurs d'une manière calculée pour dérouter l'interrogateur ». Dans le jeu de l'imitation, Turing évoque donc la possibilité d'une erreur programmée, une capacité à donner volontairement une réponse fausse dans le but de ne pas se faire démasquer. On peut retrouver un schéma similaire dans les jeux d'échec, où l'ordinateur peut feindre une manœuvre peu prometteuse ou même apparemment absurde, pour mieux tromper son adversaire. Dans le test de Turing, ce que l'on perçoit comme une erreur est en fait un comportement programmé, c'est à dire volontairement attribué à la machine. Il ne s'agit pas d'un mécanisme d'erreur humaine dont la cause est parfois complexe à déterminer, par exemple un lapsus. Il est ici question d'une 26 Ibid. 27 Le jeu de l'imitation se joue avec un homme (A), une femme (B) et un interrogateur.

L'interrogateur est séparé des deux autres joueurs. L'objet du jeu pour l'interrogateur est de deviner lequel est (A) et lequel est (B). l'objectif du joueur A est d'induire l'interrogateur en erreur. L'objectif du joueur B est d'aider l'interrogateur. Les réponses sont dactylographié. À partir de ces règles, qu'arrive-t-il si une machine prend la place de A dans le jeu ?

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1. De l’erreur à l’horreur

simulation, d'une attitude donnant l'illusion d'une erreur. Dans son essai Le Fantôme dans la Machine, Bouveresse rapproche la confusion qu'il peut exister entre « douleur et expression de la douleur » 28 et la distinction qu'il existe entre commettre une erreur et adopter un « comportement caractéristique » de l'erreur 29. Si cette aptitude a été incluse lors de sa conception, on imagine plus aisément une machine capable de tirer différentes conclusions (vrais ou fausses), de déformer ou d'oublier des informations. Pour Turing, le reproche qui est fait à la machine de ne pas savoir faire d'erreur renvoie indirectement à un autre reproche, celui de l'incapacité d'avoir un comportement diversifié. Comme le rappelle Bouveresse, « ce qui distingue en première analyse l'homme de l'animal et de la machine, c'est la possibilité de former et d'exprimer spontanément une quantité non-limitée d'idées » 30. Cependant, les deux auteurs semblent s'accorder sur le fait qu'une machine pourraient en principe posséder les capacités d'accéder à ce comportement diversifié, et que l'erreur représente une des voies envisageables : « Imaginons à ce propos une machine programmée de manière à simuler parfaitement l'exécution réfléchie d'une tâche, hésitant, commettant des erreurs, les corrigeant, effaçant et recommençant, accompagnant son travail de commentaires, de critiques et de comparaison ; ne pourrions-nous être tentés de dire qu'elle « pense », par opposition à une machine qui utilise l'algorithme conduisant infailliblement à la solution par la voie directe ? » 31. Il existe pourtant bel et bien une différence entre un humain qui se trompe et une machine programmée pour feindre l'erreur. Le point de vue avancé par Turing fait en quelque sorte apparaitre un type d'erreur différent de ceux vus jusqu'à maintenant, une erreur de « conclusion » qui peut être délibérément planifiée par son concepteur, dans le but d'enrichir le comportement de la machine, d'atténuer une certaine forme de déterminisme. Ce type d'erreur, comme Turing et Bouveresse le soulignent, octroie une nouvelle dimension à la machine, un nouveau comportement qui selon la manière dont il est utilisé, peut constituer un atout non négligeable. Mais il ne remet pas en question, pour l'instant du moins, la distinction entre la machine et l'humain. 28 Jacques Bouveresse, Le Fantôme dans la Machine. Op. cit., p. 449 29 Ibid., p. 447 30 Ibid., p. 438 31 Ibid., p. 424

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2. De la répulsion à l’attraction

« Dans l'histoire de nos créatures artificielles nous retrouvons et nous sommes exposés à retrouver toujours davantage les éléments les plus caractéristiques de la légende du golem, cet être qui se présente à la fois comme un simulateur remarquable et un domestique efficace, mais dangereux, dont il faut se défaire lorsque sa taille est en passe de devenir excessive, mais aussi et surtout comme un être embryonnaire, incomplètement créé, à demi fait, à la fois définitivement incomplet et susceptible de développements imprévisibles et incontrôlables. » Jacques Bouveresse, Le Fantôme dans la Machine, in La Parole Malheureuse, les Éditions de Minuit, Paris, 1971, p. 453

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Pour mesurer l'implication des erreurs dans les technologies numériques, il serait dommage de ne s'intéresser qu'au point de vue normatif, à son aspect néfaste et alarmiste. L'erreur des machines représente bien évidemment un problème quand elle n'est pas souhaitée. Cependant l'exemple du test de Turing a mis en évidence une ambivalence vis-à-vis des erreurs des machines, en introduisant l'erreur programmée, c'est-à-dire l'erreur considérée comme un objectif. Le domaine de l'art et de la création représente un contexte où l'erreur n'implique pas normalement les conséquences énumérées précédemment. Elle peut même y être, facilement provoquée et ardemment désirée. Comme l'a suggéré Turing, les erreurs des machines permettent d'ouvrir les champs du possible. Comment se manifeste et se caractérise cet attrait artistique pour les erreurs mécaniques, numériques ou programmées ? Quels sont concrètement les possibilités qu'elles soustendent et dans quelles perspectives peuvent-elles être mises en œuvre ?

- Erreur, glitch, bruit et hasard La trilogie cinématographique Matrix contient plusieurs références à l'erreur numérique. Dans le premier volet, lorsque Néo et l'équipage retournent à leur point de rendez-vous après avoir consulté l'oracle, Néo aperçoit deux fois successivement le même chat noir [fig. 20]. Ce qui pour lui est une impression de « déjà-vu » se révèle être un bug, une légère altération de la matrice qui se produit lorsqu'une modification plus grande y est opérée. L'erreur présentée dans cette scène est loin d'être néfaste puisqu'elle avertit les protagonistes du danger qui les guette. La seule conséquence est ici de provoquer l'apparition répétée du chat, un composant du système bien inoffensif, comparativement à l'agent Smith. Malgré cette anomalie, le système (la matrice) continue de fonctionner. À l'instar de cet exemple inoffensif, il peut arriver que le résultat d'une erreur puisse être bénéfique ou du moins susciter de l'intérêt. Il arrive que devant le produit d'une erreur informatique on puisse se dire : « Je n'avais encore jamais vu ça ! ». De même, si le résultat nous intrigue et nous plaît, nous pouvons nous demander : « Comment puisje obtenir à nouveau des résultats analogues » ?

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2. De la répulsion à l'attraction

Avec le développement de l'informatique, de nombreux musiciens et artistes sonores se sont emparés de ces nouveaux outils. Au cours de leur utilisation, ils se sont aperçu que certaines erreurs techniques ajoutaient une dimension à leur création et ont décidé de les y intégrer. Étranges, inattendus, non conformes, jusqu'alors inconnus ou rejetés. Pour Kim Cascone les résultats de ces défaillances électroniques ont fait émerger de nouvelles production sonores : « glitches, bugs, application errors, system crashes, clipping, aliasing, distortion, quantization noise, and even the noise floor of computer sound cards are the raw materials composers seek to incorporate into their music » 32. On retrouve ces caractéristiques chez des artistes de musique électronique tels que Autechr, Pan-Sonic ou Matmos. Les perturbations originellement liées à une défaillance physique du matériel ont été rassemblés sous le terme de glitch (Glitch Music). Alexei Shulgin et Olga Goriunova soulignent qu'un glitch peut être décrit comme une interruption momentanée et non comme blocage du système 33. Bien que les résultats et comportements de la machine soient différents, altérés et déformés, ils sont néanmoins toujours présents. L'intérêt créatif pour les défaillances des machines ne s'arrête pas au domaine sonore. Avec la venue des logiciels de traitement de l'image et de la vidéo, celles-ci ont elles aussi été exposées expérimentalement à diverses erreurs propres aux systèmes numériques. De la même manière que pour le son, une défaillance physique, une erreur d'encodage, une erreur de compression, de calcul ou de transmission d'information provoque des changements sur les données et paramètres visuels. L'artistes Ant Scott archive sur son site web le fruit de ces perturbations inattendues [fig. 21]. Des artistes tels que Paul B. Davis ou Takeshi Murata ont pour leur part exploré diverses possibilités en matière de parasitages vidéo. En s'imposant comme une pratique à part entière, cet attrait pour la perturbation et le parasitage des données a introduit une véritable esthétique du glitch (Glitch Art). Cependant, il convient de tracer une distinction au coeur de cette pratique. Iman Moradi fait ainsi la différence entre les travaux résultant d'un glitch pur et ceux qui se bornent à en mimer les caractéristiques 34. Selon lui un glitch pur est une coïnci32 Kim Cascone, The Aesthetics of Failure: “Post-Digital” Tendencies in Contemporary Computer

Music. Computer Music Journal, Volume 24 - n°4, déc. 2000. http://bit.ly/wkswHl 33 Olga Goriunova et Alexei Shulgin, Glitch. in Software Studies : A Lexicon. Sous la direction de Matthew Fuller, MIT Press, 2008, p. 110. http://bit.ly/AyHump 34 Iman Moradi, Glitch Aesthetics. Unpublished bachelor of arts dissertation, University of Huddersfield, janv. 2004, p. 9

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dence, il est accidentel, non-intentionnel et trouvé. D'un autre côté, il existe des glitchs recherchés, provoqués et créés de toute pièce. Aujourd'hui, c'est plutôt la deuxième tendance qui domine. Certains artistes s'inspirent des erreurs techniques tandis que d'autres cherchent des moyens techniques pour en reproduire les effets. Il existe aujourd'hui une panoplie de programmes permettant d'obtenir les caractéristiques visuelles d'un glitch sur des images ou vidéos : Glitch Browser (2005-2009) de Dimitre Lima, Iman Moradi et Ant Scott [fig. 22] ; Monglot (2011) de Rosa Menkman, Glitch Me (2011) du collectif Undef, ExtraFile (2011) de Kim Asendorf ou encore Satromizer OS (2011) de Jon Satrom et Ben Syverson [fig. 23]. S'il en existe autant, c'est que les artistes et programmeurs en ont compris le fonctionnement et la manière de les reproduire. On peut se demander où se situe l'intérêt de multiplier les expériences conduisant à un résultat visuellement similaire, et, qui plus est, pas toujours intéressant. Selon Paul B. Davis, le fait que la culture populaire se soit emparée de l'esthétique glitch (clip de Kanye West, Welcome to Heartbreak, Nabil Elderkin, 2009) a dénaturé et affaibli le questionnement sous-jacent à la démarche 35. Rosa Menkman admet qu'une pratique généralisée et irréfléchie ramènerait le glitch au statut de norme 36. Kim Cascone met lui aussi en garde sur le fait que le glitch puisse devenir un simple « tag » dans iTunes, et perdre peu à peu son sens et son pouvoir, celui de révélateur, d'outil de compréhension et de « divination » 37. En effet, pour la majorité des artistes, l'intérêt n'est pas seulement esthétique, il est aussi critique. L'erreur, l'inachevée, l'informe, l'échec ou l'imperfection sont des thèmes récurrents dans l'histoire de l'art. L'erreur évoque aussi la faiblesse et la finitude essentielles de l'homme. Son utilisation dans un cadre technique tend à prolonger le questionnement de la faillibilité. Un autre point essentiel, est que par la multiplications des manipulations, les artistes contribuent à un système ouvert, c'est-à-dire à l'élargissement des capacités d'un programme ou d'un appareil. Selon Kim Cascone, il est important de noter que les erreurs et les manipulations non conformes ont amené les artistes à modifier les machines et à créer ainsi des outils personnalisés 38. Un outil conçu dans un but, peut en faire 35 Thecreatorsproject.com, Paul B. Davis, http://bit.ly/vZF9Yb 36 Rosa Menkman, The Glitch Moment(um). Network Notebooks 04, Institute of Network

Cultures, Amsterdam, 2011, p. 11, http://bit.ly/xj5K5q 37 Kim Cascone, Erreuromancie : La Divination par le Glitch. in t0p0l0g1es, exposition du collectif Art of Failure, espace multimédia Gantner, Bourogne, 2011, http://bit.ly/xwx8oh 38 Kim Cascone, The Aesthetics of Failure. Op. cit. 30


2. De la répulsion à l'attraction

naître d'autres, et l'erreur peut servir de révélateur. Un ordinateur ou un logiciel propriétaire peut apparaître comme une boîte noire ; c'est un objet autonome et indépendant dont le fonctionnement interne nous est souvent caché. Utiliser l'erreur reflète le souhait d'accéder à des aspects méconnus, des mécanisme internes. Pour y accéder, un travail de déconstruction et de ré-assemblage de la machine est souvent nécessaire. « La variété des bruits est infinie […] Avec l'incessante multiplication des nouvelles machines nous pourrons distinguer un jour, dix, vingt ou trente mille bruits différents. Ce seront là des bruits qu'il nous faudra pas simplement imiter, mais combiner au gré de notre fantaisie artistique » 39. L'art des bruits décrit par Luigi Russolo dans son manifeste futuriste en 1913 met en avant l'infinité de possibilités qu'offrent les machines. Les artistes contemporains qui s'intéressent à l'erreur informatique semblent adopter une optique analogue. Cependant Rosa Menkman rapproche plutôt la notion de bruit à celle décrite dans la Théorie mathématique de la communication (1948) de Claude Shannon et Warren Weaver 40 [fig. 24]. À partir de ce schéma, on peut imaginer que la source du bruit parasitant une information puisse revêtir différentes formes et concerner également différents types d'information et processus numérique. Le bruit peut à la fois venir d'un problème matériel, d'une intervention humaine, ou bien être inhérent au système lui-même, c'est-à-dire intégré dans le programme. L'altération des images qu'induit le format JPEG en est un exemple. D'autres artistes et designers réfléchissent également à l'usage du bruit ou parasite comme source de variation. Bien que s'éloignant des particularités de l'esthétique du glitch, il s'inspirent néanmoins des critères de l'erreur que sont l'imprévu, l'incontrôlé ou l'inachevé. Le design génératif et l'utilisation de fonctions aléatoires permettent d'obtenir de tels résultats. La particularité du design génératif ou évolutionnaire est d'utiliser les capacités de calcul de la machine pour produire un objet dont la forme n'est pas figée, mais bien au contraire toujours en changement et évolution, car ses paramètres sont modulables 41. Ainsi, parmi toutes les formes possibles d'un objet engendré par un algorithme génératif, il est fort probable que certaines d'entre-elles puissent nous surprendre ou 39 Luigi Russolo, L'Art des Bruits, 1913, http://bit.ly/zfQXzK 40 Rosa Menkman, The Glitch Moment(um). Op. cit., p. 13 41 Philip F. Hingston, Luigi C. Barone et Zbigniew Michalewicz, Design by Evolution. Advances in Evolutionary Design. Springer-Verlag, Berlin, 2008

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s'apparenter à des erreurs. Les designers Jonathan Puckey et Luna Maurer s'intéressent à l'usage des techniques laissant une place à l'imperfection. À partir de cet objectif ils ont élaboré des outils typographiques dont le résultat est dépendant de la manière dont ils sont utilisés : « It is an investigation in how we can use new technological developments in order to make the design more human, direct and that leaves space for imperfectness » 42. L'outil Typographic Rhythm permet ainsi de faire varier la graisse des caractères en fonction de la vitesse de frappe [fig. 25]. Conçu par Jürg Lehni, Le module externe (plugin) Scriptographer, destiné à être ajouté au logiciel Adobe Illustrator, représente également un désir de démultiplier les fonctionnalités d'un programme déjà existant. Entièrement programmable (en javascript), cet outil a la particularité de pouvoir intégrer la fonction d'aléatoire (random). En restant dans l'usage de la typographie, on peut également citer le projet Frankenfont (Fathom, 2011). Il s'agit d'une édition imprimée du récit Frankenstein de Mary Shelley dont chaque caractère et glyphe a été extrait d'un document PDF, luimême issu d'une recherche sur internet. Dans cet exemple, non seulement le processus de fabrication (piocher des caractères tels des fragments de texte) est similaire à celui du professeur Frankenstein, mais le résultat visuel de ce travail l'est également [fig. 26]. Bien que sur les premières pages on puisse déjà discerner une incohérence dans les caractères utilisés, celle-ci s'accentue au fil des pages pour devenir vraiment monstrueuse. « This prevents others from extracting the fonts to be used for practical purposes, but creates an opportunity for a curious Victor Frankenstein who wants to use these incomplete pieces to create something entirely different » 43. Les expérimentations relevant du design génératif semblent parfois correspondre au désir de retrouver la singularité formelle que présente l'erreur. Avec les capacités de calcul de l'ordinateur et la puissance des algorithmes génératifs, il est tout à fait possible d'imaginer un programme artificiellement parasité dans l'espoir d'obtenir des résultats à la fois incontrôlés, mais également fructueux. Si cette possibilité est offerte, il reste toutefois à ce demander à quel usage un tel programme peut être destiné. Les artistes questionnent la nature et les limites de la technique tandis que les designers 42 Luna Maurer et Jonathan Puckey, Drawing Typologies, 2007, http://bit.ly/AENPVL 43 Fathom, Frankenfont Project, 2011, http://bit.ly/z5vX8U

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2. De la répulsion à l'attraction

cherchent de nouveaux outils et processus de création. En 2004, Iman Moradi signalait que dans la pratique du glitch, les recherches sur l'incarnation physique ou les sensations étaient des voies encore peu explorées 44. Audelà du plaisir esthétique ou de l'outil de création, il est donc opportun de se demander, s'il existe d'autres situations où l'utilisateur pourrait tirer avantage d'une machine contenant des erreurs ou ayant la capacité d'en faire.

- Le cas du jeu-vidéo Si on comprend plus aisément pourquoi l'erreur est acceptée dans le domaine de l'art, cela l'est moins quand elle concerne un produit commercialisable. Seriez-vous d'accord que l'on vous vende un produit, par exemple un téléphone mobile, dont les fonctions sont aléatoires et erronés ? A priori ce n'est pas une bonne idée, pourtant le jeu-vidéo constitue l'un de ces produits dans lequel l'erreur peut prendre une tournure tout à fait différente et inattendue. L'univers de jeu décrit par Mamoru Oshii dans le film Avalon (2001) semble posséder cette caractéristique [fig. 27]. Avalon est un jeu de guerre illégal de type FPS (first-person shooter). L'héroïne du film est une joueuse chevronnée du niveau classe A, ce qui lui permet de gagner sa vie en jouant. L'intrigue du film se focalise sur l'existence d'un niveau caché, la classe « Spécial A », à laquelle on peut accéder lorsque qu'apparaît une petite fille appelée ghost. L'image fantomatique de cette petite fille semble aberrante dans ce monde virtuel consacré à la guerre, mais elle constitue néanmoins la clé permettant d'accéder à un espace caché du jeu. Il serait exagéré de dire que dans ce domaine l'erreur soit unanimement acceptée. Comme dans toute autre situation elle peut être une source de frustration, surtout lorsque qu'après une interruption brutale et définitive, on s'aperçoit que la partie n'a pas été sauvegardée. En se basant sur une étude de 580 cas de glitch, Les sociologues Wilma et William Bainbridge en ont défini trois grands groupes 45. Le premier désigne les écarts qui peuvent exister entre l'environnement de jeu affiché à l'écran et celui normalement prévu par le programme. Le second regroupe les simple erreurs de program44 Iman Moradi, Glitch Aesthetics. Op. cit. 45 Wilma A. Bainbridge, William S. Bainbridge, Creative Uses of Software Errors : Glitches and Cheats. 2007, http://bit.ly/A4z3BD

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mation, les problèmes de logique et d'interaction et les codes de tests non supprimés. Le troisième, quant à lui, réunit plus particulièrement les comportements imprévus du joueur, à la fois dans l'espace du jeu, sur la console elle-même, ou avec les manettes de contrôle. Que le support du jeu soit une console ou un ordinateur, les sources d'erreurs qui le concerne sont à peu près les mêmes que celles décrites pour l'informatique. Pourtant, dans cette catégorisation on peut remarquer l'importance et la variété des erreurs liées aux interventions de l'utilisateur, qui font de lui un parasite inattendu et peu évoqué jusqu'à présent. Wilma et William Bainbridge avancent que les bugs et glitchs des jeux-vidéo contribuent à en renforcer l'aspect amusant et lui confère un certain mystère 46. Dans un journal consacré à la culture du jeu-vidéo, Eben Holmes avance que le caractère mystérieux et fantastique des jeux-vidéo participe à l'acceptation de cet univers : « far from being incompatible with gameplay, I posit that the uncanny constitutes a mode of gameplay unto itself, in which case the video game becomes a kind of ludic fantasy-aperture for the thrills of uncanny encounters » 47. Dans un univers 3D, il n'est pas rare qu'une erreur permette d'accomplir une action normalement impossible, comme par exemple traverser les éléments du décor ou alors nager dans les airs [fig. 28]. Dans Super Mario 64 (1997), les joueurs curieux et aguerris auront sûrement remarqué qu'en sautant sur le toit du château, Mario passe, étonnamment, au travers. Bien que celle-ci soit étonnante, il existe des erreurs beaucoup plus impressionnantes dont l'impact est incertain. Un code de programmation destiné aux tests du jeu Pokémon Rouge et Bleu n'avait pas été supprimé avant sa sortie commerciale. Cet oubli malencontreux a donné naissance à un pokémon célèbre appelé MissingNo. (missing number) [fig. 29]. La rencontre avec ce pokémon peut avoir des effets heureux comme augmenter la puissance d'un pokémon, mais elle peut aussi se révéler désastreuse et provoquer la destruction complète du jeu. L'erreur conspire ici avec une logique ludique, en se révélant parfois une aide pour le joueur, parfois un handicap. Cette incertitude relevant du jeu de hasard peut être pour le joueur tout à fait excitante. Une autre erreur de programmation fréquente concerne les interactions 46 Ibid. 47 Eben G. Holmes, Strange Reality : Glitches and Uncanny Play. Eludamos Journal for Computer Game Culture, 2010, 4 (2), p. 256, http://bit.ly/zdd1OK

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entre les différents éléments du jeu. Une collision non détectée, la difficulté d'interagir avec un objet en sont deux exemples. On peut souligner que ces erreurs sont liées à la complexité que représente leur programmation. Le jeu en ligne QWOP (2008), développé par Foddy Bennett, est devenu populaire en raison de sa maniabilité volontairement difficile et frustrante causée par un système de contrôle maladroit [fig. 30]. Mais pourquoi cet engouement pour les erreurs et imperfections dans les jeux -vidéo ? Plusieurs éléments peuvent l'expliquer. À commencer par les easter eggs, des messages, fonctions ou jeux volontairement introduits et cachés par les concepteurs, auxquels on peut accéder par une combinaison de touches. Ils sont également présents dans divers logiciels et sites web. Adobe Photoshop possède dans chacune de ses versions une image alternative de son écran d'accueil. Sur le site de Google, si vous saisissez la requête « Do a barrel roll », il vous sera possible de voir le contenu de la fenêtre effectuer une rotation de 360° [fig. 31]. Le cheat code représente un autre exemple de fonction cachée. À l'origine destinés aux développeurs comme moyen de contrôler un jeu, ces codes ont tout d'abord été utilisés par les joueurs pour tricher. Ils permettent par exemple d'obtenir un personnage invincible ou d'atteindre directement un niveau supérieur. Sur les consoles, ces codes pouvaient être insérés à l'aide d'un matériel spécial appelé action-replay. Au-delà de la simple tricherie, cette possibilité de modifier le programme a susciter des élans créatifs. Qu'elle soit totalement fantaisiste ou très sérieuse, la modification de jeux est devenue une pratique créative à part entière, que l'on peut rattacher au Game Art. Super Mario Clouds créé par Cory Arcangel est un mod (jeu modifié) de Super Mario Bros dont il n'a conservé que les nuages [fig. 32]. Le collectif d'artistes Jodi est également reconnu pour avoir altéré les jeux Quake et Wolfenstein. Les fonctions cachées et la possibilité de modifier l'apparence ou le comportement d'un programme font partie des attraits de l'erreur et du glitch lors d'un jeu. Bien que dans la conception des jeux-vidéo, l'erreur reste habituellement un élément à éviter et corriger, sa popularité vis-à-vis d'une partie des utilisa-

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teurs a parfois été prise en compte par les concepteurs, qui s'en sont inspirés. Le créateur de jeu-vidéo Hideo Kojima est connu pour avoir réintégré dans un gameplay des éléments caractéristiques du bug. Dans un épisode de la série de jeux Metal Gear Solid, si avant d'affronter l'ennemi The End, le joueur effectue une sauvegarde et laisse s'écouler une semaine, il pourra le voir mourir de vieillesse alors que le scénario principal prévoit de le faire mourir autrement. La découverte et l'exploitation massive des glitchs et erreurs constituent un domaine de jeu annexe, qui vient se superposer à celui des concepteurs. Malgré les quelques tentatives d'intégration de l'erreur, le game designer Brice Roy doute de la pertinence des résultats en faisant remarquer que « l'approche consiste plus à scénariser quelques événements en leur donnant l'habit du bug, plutôt qu'à repenser la place de ce dernier dans le système de jeu » 48. Par l'acceptation et l'appropriation des erreurs par les joueurs, on assiste à leur intégration en tant qu'éléments constitutifs. Le jeu est un exemple d'un domaine où les glitchs ont une fonction, où le « glitching » signifie bien exploiter et utiliser les glitchs dans un but qui, même s'il diffère de celui déterminé par les concepteurs, reste néanmoins dans le cadre du jeu. L'erreur a permis au joueur d'en changer les règles et le but au gré de ses envies. Il a la possibilité de ne pas suivre la quête principale mais plutôt de partir à la conquête de ces éléments cachés. Wilma et William Braindbridge utilisent le terme de metagame pour évoquer cet espace de récréation sous-terrain provoqué par les glitchs. L'industrie du jeu-vidéo semble quelque peu frileuse à l'idée d'exploiter radicalement les possibilités de l'erreur, peut être à cause son image trop négative. En 2009, Zach Gage développe Lose/Lose, un jeu de tir qui a la particularité d'effacer un des fichiers du disque dur à chaque fois qu'un ennemi est détruit, « a video-game with real life consequences » comme il le décrit [fig. 33]. Cet exemple exploite de manière efficace les idées d'élément caché (l'effacement des données en arrière-plan) et de destruction suggérée par l'erreur, tout en conservant le plaisir du jeu. Le cas du jeu-vidéo a l'intérêt de mettre en avant deux points importants non prévus par les concepteurs : l'appropriation et le potentiel ludique de l'erreur. 48 Brice Roy, BBBBBBBUG !. Amusement n°6, The Bugged Issue, oct. 2009

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Il est difficile de déterminer le comportement qu'un joueur peut avoir avec la machine ou le programme. Par certaines des ses actions, volontairement ou non, il est tout à fait capable de les amener dans des retranchements incertains et erronés. Malgré l'apparition d'une erreur, le jeu ne s'arrête pas nécessairement. Dans un contexte de jeu, la surprise, l'inattendu et même la destruction peuvent contribuer à l'amusement. L'erreur fait émerger des metagames. Provoquer et débusquer l'erreur peuvent être des activités tout aussi divertissantes qu'on aurait tort de négliger.

- Potentiel en matière de design L'objet de cette étude est de questionner les modalités et le rôle de l'erreur au sein des technologies numériques. Le fait que des scientifiques, ingénieurs, artistes, designers et utilisateurs s'y intéressent laisse présager de sa force, voire même de son aura. Mais pour autant, l'erreur, peut-elle avoir des fonctions ? Si oui, lesquelles ? Enfin, est-il possible d'utiliser l'erreur, de la contrôler, de l'inventer et de la designer ? Qu'elle doit être prise en considération dans les technologies numériques me paraît hors de doute. Toutefois, en termes de création, elle constitue un champ d'expérimentation vaste et encore inexploré. Il me paraît donc nécessaire de recenser et de formuler plus explicitement les différents buts et utilisations qui ont été évoqués précédemment. À partir des exemples étudiés, on peut distinguer trois perspectives vis-à-vis de l'erreur dans le numérique. Toutefois, ces points de vue ne sont pas totalement cloisonnés, ils peuvent converger, se compléter et se juxtaposer dans certains cas. L'une des perspectives que l'on peut adopter envers l'erreur dans un contexte technique est de la considérer comme une source d'inspiration, par son processus et son résultat. Cette démarche consiste à observer, récolter, archiver, analyser et exploiter les causes et effets de l'erreur. Cela peut être fait passivement au gré de l'occurrence d'erreurs fortuites, ou bien d'une manière active c'est-à-dire volontairement provoquée par diverses manipulations de la machine physique ou du programme. « Je puise mon inspiration dans mon

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processus, étroitement lié à l’erreur. Je ne suis pas le seul designer à voir l’erreur comme une bénédiction. Il est intéressant de provoquer l’erreur à condition de savoir la cultiver. J’apprends chaque jour de nouvelles choses, je fouille, détourne et provoque, puis j’archive les résultats. Cette méthode est pour moi une source d’inspiration fertile et pérenne » 49. Web designer, Raphaël Bastide se définit lui-même comme un digital digger, c'est à dire une personne qui creuse, qui n'hésite pas à tester les possibilités du numériques mais aussi à se confronter à l'erreur dans l'espoir évident de découvertes inattendues. Dans cette situation, même si l'erreur est provoquée, elle ne fait pas nécessairement l'objet d'une recherche plus approfondie, mais elle peut occuper une place significative dans un processus de création. Pour certains, on ne saurait se contenter d'attendre qu'une erreur technique se produise ou consacrer du temps à forcer le hasard. Apparaît alors la volonté de l'automatiser et de la programmer pour qu'elle se produise au moment opportun, dans les conditions que l'on aura déterminées. C'est dans cette objectif qu'on été développés la majorité des logiciels de modification d'image des artistes du Glitch Art. Pourtant, l'idée de programmation de l'erreur peut aller encore plus loin. Au-delà du simple fait de reproduire le mécanisme d'une erreur technique ou d'un glitch, pourquoi ne pas directement programmer l'irrégularité, l'imperfection et l'indéterminé ? Il y a un côté paradoxal dans le fait d'utiliser une machine pour recréer des erreurs. Pourtant, ce n'est pas une aberration que de souhaiter lui attribuer ce qui fait de nous des êtres humains, des êtres capables d'un comportement étonnamment complexe et varié, dont l'erreur fait partie. Nous avons vu qu'avec le design génératif, il est envisageable de simuler et systématiser le processus de génération de l'erreur et d'obtenir ainsi un résultat inattendu. En matière de design d'objet et de design graphique, cet aspect peut être particulièrement sollicité. Il permet de sonder des voies improbables et d'y intégrer des paramètres fluctuants. Cette fonction peut-être intégrée à une palette d'outils. Ce n'est finalement pas une nouveauté d'inclure l'effet d'une erreur comme fonction dans un programme. Dans le logiciel de compositing After Effect, n'existe-t-il pas un effet prédéfini ou du moins un plugin visant à reproduire un glitch 49 Lesintegristes.net, Web Design et Processus : Entretien avec Raphaël Bastide. Juill. 2011, http://bit.ly/x9mFdY

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2. De la répulsion à l'attraction

télévisuel ? Nous sommes habitués de nos jours à ce qu'un programme informatique ou un appareil soient multifonctions (smartphone, imprimante tout-en-un). Ne peut-on pas imaginer alors, l'ajout d'une telle fonction dans de nombreux autres appareils ? Bien sûr, cet ajout ne supplanterait pas la fonction principale de l'objet ou du programme, il pourrait plutôt selon les cas, prendre le statut de plugin ou d'easter egg. Une dernière perspective qu'il est possible d'adopter par rapport à l'erreur est de la considérer sous l'angle de l'émotion qu'elle peut susciter et l'imaginaire qu'elle peut révéler. Remémorons-nous la scène de la machine à manger du film de Charlie Chaplin Modern Times (1936). Dans cette séquence, les ingénieurs présentent au directeur de l'usine un engin destiné à faire manger automatiquement les ouvriers et augmenter ainsi leur rendement [fig. 34]. Pour mettre en évidence la fiabilité de cette machine, une démonstration est réalisée sur un ouvrier (interprété par Charlie Chaplin). Les premières opérations se déroulent impeccablement. Hélas, le cobaye fait l'expérience de la machine qui s'affole, renverse sur lui la soupe brûlante, accélère la rotation de l'épi de maïs, mais qui, contre toute attente, lui essuie pourtant méticuleusement la bouche à l'aide d'un tampon à bascule. Dans cette situation fictive, la défaillance de la machine nous amuse. Comme le souligne Baudrillard, « un ennui technique nous excède, une cascade d'ennuis peut provoquer l'euphorie » 50. Du point de vue créatif, il a beaucoup été question jusqu'à présent du produit de l'erreur qu'il soit sonore, visuel ou physique. Pourtant, comme la scène de Modern Times en témoigne, l'erreur peut aussi être exploitée pour les sensations qu'elle nous procure lorsque l'on en est spectateur ou que l'on en fait l'expérience. Surprise, colère, peur, curiosité, contemplation ou amusement, la variété des émotions que l'erreur peut susciter représente une raison suffisante de s'y attarder. Les fictions, l'imaginaire, les fantasmes ou la magie qui entourent l'idée d'erreur peuvent être un point de départ, un angle stratégique dans la formulation de scénarios de design. En 2010, James Chamber, conscient de la fragilité de certains objets techniques, a imaginé les doter d'un système de défense 50 Jean Baudrillard, Le Système des Objets. Tel, Gallimard, 1968, p. 185

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Douée pour l'erreur

artificielle. Floppy Legs est un lecteur de disquette qui a la capacité de détecter l'humidité et de se surélever pour éviter la menace d'un liquide [fig. 35]. The Gesundheit Radio évacue la poussière qui nuit à ses organes internes en « éternuant ». My Little Piece of Privacy (2010) [fig. 36] de Niklas Roy est un rideau intelligent, voire même un peu paranoïaque, qui vient se positionner devant chaque passant pour l'empêcher de regarder à travers la fenêtre. Le résultat est évidemment contraire, puisqu'au lieu « d’empêcher les gens de regarder, il se transforme en un objet ludique qui attire l’œil » 51. Les Éditions Volumiques (Étienne Mineur et Bertrand Duplat) proposent des livres dotés de capacités extraordinaires comme le livre qui tourne ses pages tout seul ou encore le livre qui disparaît et devient illisible vingt minutes après son ouverture. Ces exemples ne relèvent pas tous des mêmes intentions pourtant ils contribuent à élargir et enrichir la fonction initiale de l'objet, à prouver qu'une machine même ordinaire, est encore capable de nous surprendre. Il a déjà été évoqué que l'erreur pouvait désigner la personnification d'une machine ou la figure du fantôme, notamment si l'on repense au jeu de l'imitation et à cette machine capable de mentir introduite par Turing. De tels scénarios, pouvant faire l'objet d'un autre mémoire, prolongeraient un questionnement sur notre relation aux machines, sur leurs fonctions, leurs capacités intellectuelles mais également leur évolution future.

51 Niklas Roy, My little piece of Privacy, 2010, exposition Paranoïa, Maison des Arts de Créteil, mars 2011, http://bit.ly/yiN56O

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Conclusion Cette étude a permis d'avancer l'hypothèse selon laquelle l'erreur technique peut être prise en compte, exploitée, pensée, intégrée, voire même être un objet de design. Dans la conception d'un système mécanique ou numérique, malgré une connotation négative et problématique, l'erreur peut être profitable. Elle pointe les fragilités et limites de tout système. Prise en considération, elle permet d'opérer des changements qui contribuent à l'évolution générale de ces systèmes. L'erreur technique en elle-même n'est pas à remettre en cause, c'est son résultat, qui, quand il n'est pas désiré et contrôlé, peut devenir synonyme de réel problème. Du point de vue de l'art et de la création numérique, l'erreur est plus facilement accueillie, observée, analysée, provoquée, capturée ou mimée. Dans ce domaine, l'erreur est considérée pour son potentiel caché et peu exploré. Elle ouvre la voie à différentes perspectives et attentes : retrouver un résultat caractéristique de l'erreur, générer des formes innovantes, ou encore voir l'erreur comme un instrument de sensations et perception. Si ses possibilités ne sont plus à prouver, reste toutefois la question de son usage et intégration. Dans le domaine des jeux-vidéo, Brice Roy laisse entendre que l'intégration de l'erreur est une utopie : « Que serait un jeu capable d'offrir des outils pour manipuler, déformer, altérer de manière ludique les bugs qui surgiraient en son sein ? Forcément irréaliste, l'approche n'en est pas moins séduisante » 52. L'artiste Julian Oliver doute de la possibilité de « designer » un glitch : « Can you design a glitch ? Perhaps you can only design with glitches, not design glitches themselves… » 53. Les artistes et designers qui ont d'ores et déjà accepté l'erreur, soulèvent désormais des questions concernant son invocation, son adaptation, son contrôle ou sa création en elle-même.

52 Brice Roy, BBBBBBBUG !. Amusement N°6 The bugged issue, oct. 2009 53 Julian Oliver, message publié sur Twitter le 7 décembre 2011, http://bit.ly/x6rvwq

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Enfin, pour soutenir une hypothèse d'évolution liée à l'erreur, il est possible d'évoquer son importance dans la conception moderne de la génétique moléculaire. Les mutations sont des erreurs de « réplication » 54 du code, le plus souvent nuisibles, mais occasionnellement augmentant l'aptitude de l'organisme qui les portent. L'erreur, comme le soutient Richard Dawkins, est le moteur de l'évolution : « […] En tout cas, pour la copie des réplicateurs biologiques, l'erreur peut réellement être bénéfique […]. Elle a été essentielle pour l'évolution progressive de la vie. Nous ignorons de quelle manière le réplicateur de molécules originel faisait ses copies, mais leurs descendants modernes, les molécules d'ADN, sont étonnamment fiables comparés aux procédés humains de copie les plus raffinés, bien qu'ils commettent aussi des erreurs de temps à autre. Ce sont ces erreurs qui rendent l'évolution possible » 55. Si l'erreur fait indéniablement partie du système numérique et qu'elle peut se révéler bénéfique, il est du rôle du designer de cultiver et de modeler cette aptitude, pour pouvoir un jour affirmer avec conviction qu'une machine est douée pour l'erreur.

54 Richard Dawkins, Le Gène Égoïste. Odile Jacob, Paris, 1996, pp. 31-40 55 Ibid. p. 37

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Illustrations

fig. 4

fig. 1

fig. 2

fig. 5

fig. 3

fig. 6

1 Brazil, Terry Gilliam, 1985 2 Log Book With Computer Bug, http://americanhistory.si.edu 3 ENIAC, http://commons.wikimedia.org/ 4 Capture d'ĂŠcran, message d'erreur Mac OS 7 5 Capture d'ĂŠcran, http://www.google.com/404 6 Bluescreen Windows, http://commons.wikimedia.org

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Douée pour l'erreur

fig. 10

fig. 7

fig. 11

fig. 8

fig. 9 fig. 12

7 8 9 10 11 12

Kernel Panic Mac OS 10, http://commons.wikimedia.org MIM-104 Patriot, http://commons.wikimedia.org/ Eplosion du vol 501 d'Ariane 5, http://www.capcomespace.net Capture d'écran, rapport d'erreur Safari Capture d'écran, rapport de plantage Firefox Capture d'écran, Google

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Illustrations

fig. 16 fig. 13

fig. 17

fig. 14

fig. 18

fig. 15

13 14 15 16 17 18

Capture d'écran, Processing Buggie, mascotte du logiciel Bugzilla, http://www.bugzilla.org/ Happy Mac et Sad Mac, Susan Kare, http://kare.com/ Capture d'écran, Firefox Capture d'écran, Facebook 2001, L'Odyssée de l'Espace, Stanley Kubrick, 1968

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DouĂŠe pour l'erreur

fig. 22

fig. 19

fig. 20 fig. 23

fig. 24

fig. 21

19 20 21 22 23 24

Uncanny Valley, Masahiro Mori, http://commons.wikimedia.org/ Matrix, Andy et Lana Wachowski, 1999 bbc_exile02.gif, Ant Scott, http://www.beflix.com/ Glitch Browser, Dimitre Lima, Iman Moradi et Ant Scott, 2005, http://glitchbrowser.com/ Satromizer OS, Jon Satrom et Ben Syverson, 2010, http://satromizer.com/sOS/ Modèle de communication, in The Glitch Moment(um), Rosa Menkman

50


Illustrations

fig. 25

fig. 28

fig. 26 fig. 29

fig. 27

25 26 27 28 29 30

fig. 30

Typographic Rhythm, Jonathan Puckey, http://jonathanpuckey.com/ Frankenfont, Fathom, 2011, http://fathom.info/frankenfont/ Avalon, Mamoru Oshii, 2001 Capture d'écran, Rally Sport Challenge 2, http://igetyourfail.blogspot.com/ Capture d'écran, Pokémon Rouge et Bleu, http://www.pokepedia.fr/ QWOP, Bennett Foddy, 2008, http://www.foddy.net/

51


DouĂŠe pour l'erreur

fig. 31

fig. 34

fig. 35

fig. 32

fig. 36

fig. 33 31 32 33 34 35 36

Capture d'ĂŠcran, Google Super Mario Clouds, Cory Arcangel, 2002, http://www.coryarcangel.com/ Lose/Lose, Zach Gage, 2009, http://stfj.net/ Modern Times, Charlie Chaplin, 1936 Artificial Defence Mechanisms, James Chamber, http://objects.jameschambers.co.uk/ My Little Piece of Privacy, Niklas Roy, 2010, http://www.niklasroy.com/

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