BRUZZ - editie 1713

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Au-delà de la crise strictement sanitaire, le confinement aura été marqué par d’autres turbulences dont la rue s’est fait le témoin. Cette photographie fut prise par la Bruxelloise Patricia Naftali dans le cadre de la collecte internationale Vitrines en Confinement.

le paysage sonore. Active depuis vingt ans dans la préservation de la mémoire sonore de Bruxelles, l’asbl Bruxelles Nous Appartient répondait au confinement par une carte sonore alimentée avec la complicité des habitants de la ville, convoqués via Facebook. « Ce sont des sons enregistrés dans l’espace public », précise Séverine Janssen, directrice de BNA-BBOT. « Les gens se sont plutôt tournés vers ce qui est spécifique. Il y a pas mal d’applaudissements de 20 heures, des sons d’espaces publics déserts comme une galerie, le son d’un enfant qui apprend à marcher sur une Grand-Place déserte ». « La qualité sonore de la ville en temps de confinement est quand même exceptionnelle », s’enthousiasme Séverine Janssen qui confie avoir été particulièrement émerveillée par le son de la Gare Centrale qui résonnait « comme une ville fantôme » ou encore « le son des oiseaux qu’on n’a plus l’habitude d’entendre. » Le sound-mapping s’est récemment clôturé par une pièce sonore intitulée Our Common Isolation (www.bna-bbot.be). Pendant que certain(e)s partaient à la collecte de sons, d’autres

recueillaient des émotions. Initié par le cinéaste bruxellois Olivier Magis, rapidement rejoint par un bataillon de onze autres réalisateurs, le projet Retour du Front aura consisté à filmer près de 200 heures d’entretiens par Skype avec 32 membres du personnel soignant des unités COVID des hôpitaux de Bruxelles et de Wallonie. « Chaque réalisateur a suivi les mêmes personnages pendant deux mois et demi », explique Olivier Magis. « On n’était pas là pour faire du journalisme mais pour retenir leurs émotions. On offrait un refuge de parole à ces soignants. » Aujourd’hui, alors que l’ennemi invisible semble reculer, le projet vidéo touche à sa fin. « La dernière partie du travail a consisté à filmer le contrecoup du personnel soignant. Certains ont une résilience exceptionnelle alors que d’autres sont en burn-out. » Alors que l’initiative devrait prochainement se matérialiser sous la forme d’un documentaire et d’une websérie pour la RTBF, le collectif planche sur d’autres déclinaisons de la matière audiovisuelle récoltée « afin de laisser une trace pour la population et pour les chercheurs de demain. »

NE PAS S’ARRÊTER « Nous avons tout donné dès les premiers moments », dit Pablo Garrigós de Covid Photo Brussels (#covidphotobrussels), un collectif né, lui aussi, dans l’urgence. Sept reporters bruxellois œuvrant pour des agences de presse ou des ONG, soucieux de « donner le meilleur d’eux-mêmes dans cette crise » se sont attelés pendant la durée du confinement et au-delà à « créer une mémoire visuelle de Bruxelles sur la pandémie afin de toujours pouvoir se rappeler les moments les plus durs de notre histoire. » Habitué(e)s pour la plupart à couvrir les turbulences du monde à des milliers de kilomètres de Bruxelles, parfois même dans des zones de conflit, la crise sanitaire vécue dans la capitale et la zone de guerre qu’étaient devenus les services hospitaliers, prenaient étrangement une allure familière. « Jusqu’ici en tant que photographes, ce sont des crises que l’on voyait en dehors de l’Union Européenne, à l’exception de la guerre en Ukraine et des attentats. » Soucieux de couvrir l’événement dans sa globalité, les sept photographes répartissent leurs efforts

sur plusieurs fronts : « Certain(e)s se sont intéressés à l’actualité pure, d’autres à la réponse sociale des différentes associations de quartier, certain(e)s se sont déplacés dans les crématoires, les cimetières et les hôpitaux tandis que d’autres tenaient à capter une histoire plus intime du confinement. » Avec, toujours, la peur au ventre : « Le dilemme s’est posé aux photographes de sortir couvrir les événements ou de rester chez soi comme préconisé. Nous étions mal informés et ce n’est que plus tard que l’on nous a dit de porter un masque.» Si le virus semble avoir perdu du terrain, le collectif bruxellois n’entend pas encore baisser les armes : « des conséquences inattendues de cette crise doivent encore apparaître. C’est pour cela qu’il est important de continuer à photographier. » De son côté, La Fonderie, le Musée bruxellois des Industries et du Travail, archivait la parole de la majorité invisible des Bruxellois, ceux que l’on avait invités à entrer dans la résistance en restant sagement cloîtrés chez eux. Une première initiative les appelait via Facebook à témoigner oralement (avec une option vidéo) des bouleversements que le confinement avait pu avoir sur leur travail. Une seconde collecte visait à identifier la place des objets du quotidien dans l’expérience de la quarantaine. « On a demandé aux gens de prendre un objet important dans leur confinement et de nous expliquer pourquoi celui-ci avait pris une telle place », dit Pascal Majerus, conservateur à La Fonderie. « Une dame nous disait, par exemple, que son chariot de courses était sa seule occasion de sortir. Ce caddy qu’elle considérait auparavant comme un simple objet utilitaire était devenu un symbole de liberté. » Si l’expérience s’est révélée passionnante, Pascal Majerus formule un seul regret. « Le problème de ces appels à la collecte virtuels c’est qu’on touche toujours un public privilégié. Encore une fois, le confinement aura renforcé les fractures sociales existantes », dit le conservateur. « Mais rien ne nous empêche de compléter le travail après la crise en allant à la rencontre des Bruxellois à qui l’on n’a pas pu donner la parole pendant le confinement ».

ARCHIVEREN OM NIET TE VERGETEN Ervan overtuigd dat ze een historisch moment beleefden, begonnen heel wat Brusselaars documenten te verzamelen om de gedachte aan de pandemie in leven te houden voor toekomstige generaties. “Getuigenissen verzamelen is een van de reflexen van onze samenlevingen, wanneer ze geconfronteerd worden met het uitzonderlijke,” zegt Bruno Benvindo, geschiedkundige gespecialiseerd in herinneringspolitiek en tentoonstellingsdirecteur van het Joods Museum van België. De verschillende verzamelingen van beelden, getuigenissen, tweets, objecten en geluiden – op touw gezet door kunstenaars, universitair onderzoekers, organisaties of musea – hebben een gemeenschappelijke agenda: de geschiedenis van de lockdown vertellen zoals hij werd beleefd, niet door machthebbers en hun kabinetten, maar door al wie de crisis dag na dag beleefde. “Het probleem met zulke virtuele oproepen is dat ze altijd een geprivilegieerd publiek bereiken,” merkt Pascal Majerus, conservator van het museum La Fonderie, op. “Maar niets verhindert ons om na de crisis het werk voort te zetten.” NL

UNFORGETTABLE ARCHIVES Convinced that they were living through historic times, many residents of Brussels began to collect documents to keep their memories of the pandemic alive for future generations. “Collecting testimonies is one of the reflexes of our society, especially when it is confronted with extraordinary circumstances,” says Bruno Benvindo, a historian specialized in the politics of remembering and exhibition director of the Jewish Museum of Belgium. The various collections of images, testimonials, tweets, objects, and audio recordings – initiated by artists, university researchers, organizations, or museums – have a common agenda: to tell the history of the lockdown as it was experienced not by those in power and their cabinets, but by all those who experienced the crisis day after day. “The problem with such virtual calls is that they only reach a privileged audience,” Pascal Majerus, conservator at the La Fonderie museum notes. “But nothing prevents us from continuing the work after the crisis.” EN

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