Extrait - L'Empire Électrique - Victor Fleury

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La frégate se rapprochait du pont d’amarrage, grésillant de l’énergie voltaïque nécessaire au mouvement frénétique de sa roue de propulsion. Des arcs bleus éphémères, issus de son générateur, trouaient la semi-obscurité du port par intervalles irréguliers. Le soldat avait beau côtoyer les machines les plus perfectionnées au sein de la Grande Armée, les prouesses rendues possibles par la science électrique le fascinaient. Volta, Ampère, Frankenstein… Autant de grands noms qui avaient fait la puissance technologique de l’Empire français. Ces savants au service des dynasties européennes étaient les bonnes marraines de la Fée Électricité, qui avait tant changé le monde en si peu de décennies. Le navire pénitentiaire fut amarré, ses cordages noués par des marins aux mines patibulaires. La coque s’ouvrit à la façon d’une gueule béante, et vomit sur le quai un groupe de matons armés, portant uniformes et képis noirs, qui enserraient un unique prisonnier. Celui-ci était en mauvaise santé, accoutré de vêtements de marine en toile grossière, les joues creusées par les privations. Le hussard dévisagea le détenu. Cet homme n’était plus bon à rien. Pourquoi recourir à cette loque ? Ses longs membres maigres, entravés, accentuaient sa grande taille, mais c’était l’expression de son visage qui frappait. Le nez aquilin, la mine sévère, les yeux brillants d’une fièvre intelligente, il ne paraissait pas conscient d’être enchaîné, comme si sa propre situation ne le concernait pas. Il semblait perdu, trop haut pour sentir les coups que lui distribuaient ses geôliers en le forçant à avancer. — Voici votre homme, déclara le sergent de la brigade pénitentiaire à l’intention de son contact, sans même l’avoir salué. Lorsque vous aurez signé ce document, il sera sous votre entière responsabilité. Edmond Gérard prit la planchette et le stylographe que l’autre lui tendait, et griffonna à la va-vite son nom au bas du formulaire, pressé de se défaire de l’administratif. Pendant ce temps, le factionnaire détaillait son uniforme rutilant d’un regard morne. — Capitaine des hussards impériaux, hein ? Bizarre de vous trouver perdu sur les docks d’Édimbourg : je pensais tous les vôtres mobilisés sur le front asiatique. Le gaillard brun frémit de la moustache et fronça ses sourcils broussailleux. Ce peigne-cul le prenait pour un planqué. Il se retint

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