OUPHOPO CLAP

- Ouphopo Vers une photographie à la subjectivité maitrisée

CLAP Creative Lab Process

Mon métier de paysagiste-urbaniste m’amène à travailler sur le territoire. Une partie de mon rôle consiste à arriver dans un nouveau lieu, dont je n’avais pas la connaissance quelques jours auparavant et d’en tirer une lecture juste.

La première visite est donc un moment primordial, excitant et étrange : je visite le site avant de savoir ce que je vais y faire vraiment. Je dois être attentif à quelle histoire le lieu me raconte. Quelles sont les traces, déjà quasi invisibles, qui persistent et fabriquent l’existant. Je dois interpréter chacune de ces lignes, à la recherche des clés pour proposer un avenir meilleur.

Entre stress et euphorie, le regard doit passer avec souplesse entre celui affûté du scientifique, analysant une problématique, à celui émerveillé de l’enfant, découvrant l’inconnu. Chaque visite est une découverte totale. On doit comprendre le territoire, ses logiques, ses lignes de force, sa géographie, ses acteurs, ses dynamiques, en un instant. Il s’agit d’être objectif. Notre avis et nos croyances d’experts sur ce qui est bon, bien et beau, n’ont rien à faire dans cette partie là de notre métier. Il s’agit de réduire à son minima la part de subjectivité. Comme le medecin qui soigne, le maire qui marit, le prêtre qui confesse, mon avis d’homme sur la situation n’a rien à voir là dedans. Imaginez-vous un médecin : «Désolé mon vieux, je vous aurez bien soigné, mais cet accident de voiture, c’est quand même un peu votre faute il me semble...» ou un maire «Avant de vous déclarer mari et femme, je voudrais bien m’assurer : vous êtes vraiment sûr de vous engager toute votre vie avec cette personne ? Parce que moi à votre place...».

Sans s’en rendre compte, la visite de site est pourtant un moment terriblement subjectif. Beaucoup de critères échappent à notre contrôle : la météorologie, l’envie de travailler plus ou moins forte, le temps imparti à la visite, le stress latent, les personnes qui nous accompagnent, leurs états d’esprits, etc.

Mais un point est absolument primordial et nous pouvons agir dessus : les photos qu’on prend du terrain. Si la visite elle-même est le premier souvenir que l’on aura du site, les photos sont ce qu’on décide de se souvenir. Leur pouvoir est, selon moi, largement sous-estimé. L’importance accordée aux prises de photos sur le terrain est, la plupart du temps, assez réduite, pour ne pas dire quasi nulle.

On prend les choses qui nous semblent importantes sur le moment, pensant ainsi créer une note visuelle claire, sur un sujet précis. Malheureusement, trois jours plus tard, la note, sortie de son contexte, n’aura plus aucun sens. Arraché à son environnement, elle n’a plus de valeur et n’est pas transmissible à quelqu’un d’autre.

Elle est d’ores et déjà perdue.

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Depuis les années 2000, le perfectionnement des appareils photo numériques et de l’informatique ont rendu les clichés photographiques faciles à prendre, gratuits, immédiats et infinis. leurs stockages et leur qualité ne sont plus des problèmes.

Pourtant, ce potentiel formidable dessert la plupart du temps la prise de vue : elle noie le cliché important dans une somme de photographies qui devient impossible de trier : par leur nombre, les informations se rendent elles-même illisibles, invisible.

Ce rapport à la photographie et la subjectivité inconsciente qui la gouverne m’intéresse (m’obsède ?) depuis l’Ecole du Paysage. Comment un concepteur peut atteindre plus d’objectivité ? Même si je continue de chercher, le premier pas consiste à prendre conscience de sa subjectivité, de la partialité de son point de vue et d’essayer, par tous les moyens, d’élargir son regard, tendant vers une inatteignable vision d’ensemble.

Lors de mon Travail Personnel de Fin d’Etude, clôturant mes études de Paysagiste DPLG, j’explore et met aux points diverses expériences pour prendre de meilleures photos d’un site que je découvre. Certaines fonctionnent, d’autres moins. Parmi elles, le maillage de panoramiques à 360° ne m’a jamais quitté.

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Attentif lors du premier arpentage d’un site, j’essaye de voir, ou plutôt de sentir, quand un endroit offre un point de vue, une sensation, un regard important sur le site à traiter. Quand on est sur un endroit comme celui-ci, on prend une photo, ou plutôt une série d’une douzaine de photos en portrait, qui seront automatiquement assemblés par un logiciel en un seul panoramique. Le résultat photographique est à peu près similaire au bien connu Google Streeview. Après avoir noté l’emplacement du panoramique sur une carte, on continue en réitérant l’opération quand on sent que c’est nécessaire.

Bizarrement, cette méthode amène à photographier un maillage plutôt homogène.

La distance entre chaque photo et le nombre de celle-ci s’adaptent de lui même avec la taille du site. Au cours de sa visite, je vois très vite grâce à la cartographie des panoramiques si j’en ai oublié un, ou si un point du site se détache immédiatement par un nombre de panoramiques supérieurs à la moyenne.

Une fois les panoramiques montés, il ne reste souvent que 10 à 30 photos pour un site de projet. Mais malgré ce nombre réduit de photos, elles contiennent et illustrent tout ce que je vais vouloir dire, durant les phases suivantes. Voilà pourquoi j’ai utilisé le terme de sensations au moment de choisir les points de vues pour réaliser un panoramique sur le site : bien souvent, je photographie des éléments du paysage qui ne se révèlent important que pendant les phases suivantes du travail. Pendant la visite sur le site, c’est comme si j’avaia l’intuition d’avoir sous les yeux quelque

choses d’important sans arriver à le pointer du doigt. En faisant un panoramique à 360°, je suis sûr de le photographier.

Il ne m’est arrivé que très rarement de me dire, au cours des phases de travail suivantes : « Zut ! Si j’avais su, j’aurai dut prendre une photo de telle choses. Cela me manque vraiment.».

Au fur et à mesure des phases de travail suivantes, on se replonge facilement dans ce réel choisi et synthétisé. On le confronte à nos hypothèses. Puis, une fois le travail arrivé à maturité, on décide d’être consciemment subjectif. En utilisant les photos recadrées, on travaille l’homogénéité entre le discours et la vision du territoire que l’on montre. Je ne me rappelle pas avoir utilisé la fameuse phrase pendant un oral « Bon, sur cette photo, on ne le voit pas trop, mais je vous assure que c’est très visible sur le terrain… ».

Depuis 10 ans, cette méthode ne m’a pas trahi. Elle me propose un équilibre entre deux nécessités : celle de l’objectivité d’une personne travaillant au service d’un public et celle de la subjectivité d’un concepteur faisant des choix pour proposer un point de vue clair.

Récemment, lors d’une visite de multiples sites dans la même journée, une nouvelle possibilité qu’offre cette technique m’est apparue : en montant les panoramiques, plusieurs photos brutes sortaient du lot. Si je n’avais pas pris les photos moi-même, j’aurai juré que le photographe avait délibérément choisi ce cadrage pour que la photo existe seule. Or ce n’est pas le cas : chaque photo d’un panoramique suit la précédente, avec un léger chevauchement afin de permettre aux logiciels de reconnaître les points de correspondances entre les 2 photos et de les assembler. Voilà tout. Pourtant, certaines d’entre elles nous racontent d’une manière surprenante le hors champ, la ville, son évolution, le rapport à l’agriculture, la philosophie qui guide le territoire Français, d’une manière plus juste et plus forte que si j’avais délibérément voulu faire ressortir ces sujets dans mes photographies.

C’est une sorte d’Oulipo Photographique qui apparaît. Un Ouphopo. Un peu au hasard, un peu en clin d’œil, voici 36 de ces photos. La lumière est banale. Le sujet aussi. Peut-être est-ce ces cadrages de rien qui mettent si bien en avant ce qui définit notre rapport aux paysages urbains et ruraux : un déjà là, invisible, banal, vide d’usages et de personnes qu’il s’agit d’espérer meilleur pour demain.

Ce perpétuel potentiel, rêve d’un demain, nous interdit-t-il le bien-être aujourd’hui ?

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Série - Autour de la Rochelle - Septembre 2017

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3, 9, 2, 10 4, 8, 7 1, 6, 5

13 35 14, 17, 25 12,16,18,23 15, 24 11, 21, 36 19, 20, 22

Rochefort 33, 31, 34 32 29 30

28 26 27

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« C’est une sorte d’Oulipo Photographique qui apparaît. Un Ouphopo. Un peu au hasard, un peu en clin d’œil, voici 36 de ces photos. La lumière est banale. Le sujet aussi.

Peut-être est-ce ces cadrages de rien qui mettent si bien en avant ce qui définit notre rapport aux paysages urbains et ruraux : un déjà là, invisible, banal, vide d’usages et de personnes qu’il s’agit d’espérer meilleur pour demain.

Ce perpétuel potentiel, rêve d’un demain, nous interdit-t-il le bien-être aujourd’hui ?»

Travail de recherche CLAP Lab. Octobre 2017