Les cahiers du patrimoine de Bolivie

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les cahiers du p a t r i m o i n e d e

BOLIVIE n°1 décembre

2012

Ichapekene Piesta

La fête majeure de san Ignacio de

moxos

Todos Santos, le jour des défunts • Ñatitas • Les cabanes du Pirai • Le dauphin rose, patrimoine naturel de Bolivie • Les danses boliviennes par la poste • Vivre pour manger • Huayna Potosi


déParteMents de bolivie

todos santos

le jour des défunts

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Cabanes du Pirai, santa Cruz iChaPekene Piesta, san ignaCio de Moxos huayna Potosi dauPhin rose d’aMazonie

sommaire todos santos Le jour des défunts

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Ñatitas

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Le culte aux crânes humains

Les cabanes du Pirai

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Le dauPhin rose

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ichaPekene Piesta

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entretien avec Roberto Fernandez Erquicia, « Un enjeu important pour la reproduction culturelle de la nation moxeña»

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enjeux L’inscription sur les listes de Patrimoine de l’UNESCO

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timbres Les danses boliviennes par la poste

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chroniques de L’hédonisme Vivre pour manger

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ichapekene Piesta

Patrimoine naturel de Bolivie Patrimoine culturel immatériel de l’humanité

au sommet du

huayna Potosi

Délégation Permanente de l'Etat Plurinational de Bolivie auprès de l'UNESCO Chargé d'affaires a. i. : Sergio Caceres G. * Assistantes : América Dominguez, Jennifer Sauvage * 1 rue Miollis – 75015 * tél : 01 45 68 30 39 * courriel : boliviaenlaunesco@unesco-delegations.org web : boliviaenlaunesco.org

32 huayna Potosi au sommet du

32 Les cahiers du patrimoine de Bolivie Septembre / Décembre 2012 Direction : Sergio Caceres Coordinatrice de rédaction : Jennifer Sauvage Assistante de rédaction :América Dominguez Mise en page : Anne Leïla Ollivier - Atelier ALO Imprimé par : Le Ravin Bleu Ont participé à ce numéro : Edgar Arandia, Mabel Franco, Ramon Rocha Monroy, Gaston Ugalde


Présentation

L

a Bolivie est un pays bien loin de l’imaginaire européen. Il semble donc paradoxal que le voyageur initié à la Bolivie reparte ébloui, enchanté, et même amoureux des couleurs, des arômes, des paysages et des saveurs qu'il a pu découvrir. Pourquoi donc existe-t-il cette distance entre la Bolivie et le public européen? Si comme le dit le poète, la distance n’est rien de plus qu’une erreur des yeux, cette publication nous servira donc de lunettes pour corriger cette déficience. A travers ces pages, nous souhaitons donc redonner de la visibilité à la Bolivie, en faisant connaître la diversité de ses expressions culturelles et de ses incroyables richesses naturelles. Le patrimoine, comme son nom l’indique, est un legs, un héritage. Cet héritage que laisse la Bolivie à ses enfants et à l’humanité est vaste. Lorsque l'on pense à sa nature, la Bolivie est un de ces rares pays dont la géographie permet à des communautés de s'établir aussi bien à 200 mètres au dessus du niveau de la mer, qu'à 4000 mètres d'altitude, venant ainsi caresser le ciel. Si l'on s'intéresse à sa culture, ce pays recèle de vestiges civilisationnels importants tels que le Temple de Kalasasaya et sa Porte du Soleil que nous a légué la culture Tiwanaku (patrimoine mondial de l'humanité depuis 2000) ou les ruines de Inskanwaya, un héritage de la culture Mollo. On ne peut enfin oublier les héritages Incas tels que la magnifique montagne sculptée de Samaipata (patrimoine mondial de l'humanité depuis 1998) et leurs systèmes routiers andins. Il existe également des patrimoines vivants que le temps a maintenu intacts. Rites, coutumes, festivals continuent de se dérouler année après année, depuis les temps où les conquistadors espagnols n'avaient pas encore foulé nos terres. La cuisine traditionnelle est également un héritage qui nous est venu de loin. Des saveurs austères et mystérieuses de l'altiplano aymara à la variété colorée de la cuisine “criolla”, il s'agit ici de siècles de renouvellement d'un même acte culturel. Voici donc tout ce dont nous parlerons dans ces cahiers. En plus de notre modeste contribution, nous compterons sur la signature d'artistes, écrivains et intellectuels de renom, qui nous illumineront par leurs connaissances sur la Bolivie et son patrimoine. Sergio Cáceres Paris, novembre 2012

Charlotte douCet

La mode de La ChoLa de La paz a tenue de Chola, pour la huitème année consécutive, a été célébrée lors des défilés de mode « Chola de La Paz, une L tradition de chez nous » organisés par les Promociones Rosario

Aguilar, du nom de l’ancienne conseillère municipale. L’objectif de cet événement est de revaloriser la tenue de la Chola de La Paz et de montrer que le vêtement et les accessoires, grâce au travail et au savoir-faire des artisans, sont des pièces uniques, élégantes et distinguées. L’assistance a aussi montré beaucoup d’intérêt aux accessoires, tels que les porte-monnaie, bijoux et chaussures. Ce défilé a également été soutenu par le Minsitère des Cultures et a eu lieu à l’Hotel Torino de La Paz.

La Chambre des députés déCLare de nouveaux patrimoines

site de Cal orCk’o, suCre, bolivie/MiCah MaC allen

La Chambre des Députés a approuvé le projet de loi qui déclare patrimoine culturel de la Bolivie les zones paléontologi-ques de la municipalité de Sucre, de Toro Toro dans le département de Potosi et des vallées de Tarija. Eleuterio Guzman, président de la commission des Nations et des Peuples Indigène Originaire Paysans, a rappelé 3

que ce projet compte sur l’approbation technique et juridique du Ministère des Cultures et d’Autonomie, des départements et des municipalités respectives. Le député Jorge Choquetarqui, membre de cette instance législative, a rappelé que le projet initial ne visait que le département de Chuquisaca, mais que celui-ci s’est finalement étendu à Potosi et Tarija car ces départements ont des caractéristiques paléontologiques similaires. Le gouvernement national et les gouvernements municipaux resteront chargés de la protection, la conservation, la restauration et la promotion des ces patrimoines paléontologiques.


tradition

todos sa

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tradition

antos

Le jour des défunts daniel esPinoza/abi©

Par edgar arandia Quiroga

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a fête des morts ne se célèbre pas seulement dans nos cultures, il s’agit là d’une pratique traditionnelle effectuée dans d’autres pays et cultures où la notion de la mort n’est pas considérée uniquement comme une perte des signes vitaux. Le processus de passage vers une autre vie est immuable: « ...la mort est perçue comme une partie essentielle de la vie » nous affirmait Kaulicke. Malgré la diversité des formes de culte envers les «âmes», on peut retrouver une certaine convergence dans la circularité du temps et de l’espace, ce qui permet une rencontre entre le vivant et le mort et le retour des défunts sur terre. Les différents rites et LA CéLéBRATION DE TODOS SANtraditions liés à la mort TOS, AU DELà DE SE CONSIDéRER s’établissent dans une COMME UNE FêTE Où RèGNE LA continuité entre les « TERREUR », EST UNE éVOCATION contextes ruraux et urAUx êTRES qUI ONT qUITTéS PHySIbains, produisant un qUEMENT CE MONDE. LA MéMOIRE mélange de symboles VIVE SE MANIFESTE à TRAVERS LA mythico-religieux. « CéLéBRATION » RITUELLE. Chez nous, Todos Santos débute le 1er novembre et se déroule sur trois jours, voire plus dans certaines régions. Cette célébration est composée de rites syncrétiques basés sur l’imaginaire des collectivités urbaines et rurales où sont ancrés des symboles de la mort dans la vie quotidienne. Pour le monde occidental, les célébrations autour de la mort appartiennent au monde primitif et inspirent un sentiment de terreur et de refus du christianisme. L’ anthropologue français J.E. Monast, dans son œuvre sur les indiens aymaras remarque que « Le 1er novembre n’est pas ici une occasion de manifester son amour pour le christianisme, le jour de Todos los Santos est la fête de la terreur. Aucune autre époque de l’année se trouve tant marquée par la peur et la désolation spirituelle ». Une affirmation erronée puisque les acteurs sociaux qui s’identifient à ce type de pratiques ont un lien très spontané avec le « spirituel » et tous les éléments sacrés qui s’y rapportent. Petits Pains et Pâtisseries ConfeCtionnés Par les cholitas boliviennes

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tradition todos santos à Quime, tiwanaku et la Paz

fournies lorsque le défunt est parti dans les trois années précédant la célébration (« les âmes fraîches ») et le deviennent de moins en moins au fur et à mesure que les années passent. Si l’âme n’a qu’un an, on prépare généralement des petits pains à partir d’un « quintal » de farine (en Bolivie l’équivalent d’environ 46kg) en formes symboliques d’humains et d’animaux. La table mise en place comporte généralement un portrait du défunt, pris de préférence lors d’une célébration, où celui-ci est en bonne santé. Une autre tradition enracinée dans ce lieu est de mâcher de la feuille de coca et de boire un peu en attendant l’arrivée des âmes. Cette pratique est cependant réalisée seulement par les communautés aymara. Le 1er novembre à minuit, les âmes arrivent. Une table avec des pains, des fruits, de la nourriture doit déjà être installée et les portes et fenêtres des maisons sont ouvertes en signe de bienvenue. A ce moment-là, une grande agitation s’empare des rues ; les gens se rendent visite entre eux, maison par maison, en priant pour les défunts. Les risiris (prieurs) sont également reçus pour effectuer des oraisons où ils invoquent le repos éternel de l’âme du défunt et de l’aide pour ses parents et ses amis. Le lendemain à midi, certains habitants se dirigent vers le cimetière avec des paniers remplis de masitas (pâtisseries), pendant que d’autres envoient de la chicha morada (boisson traditionnelle) et des pains à leurs familles et amis les plus proches. Tout doit être fait pour que l’âme reparte en étant heureuse. Le 2 novembre, les communautés dont les morts sont enterrés dans le cimetière arrivent tôt avec leurs chargements de petits gâteaux, cannes à sucre et couronnes de fleurs avec lesquelles elles ornent les autels. Il est rare de mettre des photos au centre de celui-ci. Toute la journée, l’entrée du cimetière est animée par des musiciens et des stands de nourriture et de boissons sont mis en place. Enfin, au coucher du soleil, tous s’en vont en chantant et dansant, avec des corbeilles remplies de pain venant des communautés pour lesquelles ils ont prié. Rien ne doit rester, car cela évoque la peine.

La tradition populaire considère les fêtes liturgiques catholiques des 1er et 2 novembre comme un seul et même événement qui s’appelle ici Todos Santos. Généralement, on insiste plus sur le « jour des défunts » (jour des âmes). Les observations dans la population de Tiwanaku, quime et dans la zone de Callampaya (autour du cimetière général de la ville de La Paz) nous montrent clairement que la célébration de Todos santos , au delà d’être une fête où règne la « terreur », est une évocation aux êtres qui ont quittés physiquement ce monde ; la mémoire vive se manifeste à tra-

vers la « célébration » rituelle. Selon Hans Van Den Berg, anthropologue hollandais, les structures rituelles sont des projections du comportement social. Un des phénomènes culturels les plus caractéristiques des Andes, évident dans ce type de festivités, est la coopération mutuelle [...].

la celébration à Quime

la célébration à tiwanaku

quime se trouve dans la vallée de La Paz et bénéficie d’un climat plutôt doux. La conformation sociale est différente de celle de Tiwanaku. Cette région, autrefois prospère pour l’exploitation minière, est habitée majoritairement par des blancs et des métisses qui

Les habitants de la localité de Tiwanaku possèdent leurs propres rites de célébration. Tous reçoivent leurs morts chez eux et préparent une table où ils attendront l’âme du défunt. Les tables sont habituellement très

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tradition célèbrent cette fête en improvisant des saynètes dans lesquelles sont effectuées des satires des mariages catholiques et de ses protagonistes (curés, enfants de choeur et mariés, tous fictifs dans ces représentations). De même que dans d’autres régions de l’Altiplano, on prépare dans la vallée de La Paz des pâtisseries pour attendre et servir les âmes - tout d’abord dans la maison, puis dans le cimetière – en faisant en sorte qu’il ne reste rien le 2 novembre. De véritables festins sont organisés entre voisins. Ceux-ci s’envoient mutuellement de la nourriture, préparée avec énormément de soin et de générosité, à tel point que cela ressemble à une compétition de celui qui fera les plus beaux adieux à son âme. Il arrive parfois que les rites d’adieux s’effectuent à l’intérieur du cimetière mais ils ont lieu généralement à son entrée. Le 3 novembre, des mariages et des baptêmes fictifs sont mis en scène et des grandes balançoires sont installées sur lesquelles sont invités à se balancer les célibataires. Dans cette satire du mariage, deux hommes s’habillent de manière improvisée en curé et en sacristain. Sur la place centrale, le curé invite tous les voisins à se marier, et même si beaucoup de participants le sont déjà légalement, tous prennent part activement à cette parodie. Petit à petit des couples « non officiels » se forment et se rapprochent chacun à leur tour de ces deux personnages qui, par des discours comiques et bien souvent liés à la sexualité, font rire l’assistance. Durant toute la cérémonie on fait allusion à la vie licencieuse des sacristains et des curés du village, ainsi qu’à la virginité des femmes. quime reçoit dans ces fêtes une grande quantité de gens originaires du pays qui se sont établis à la ville ou à l’étranger. Tous reviennent ici car les habitants de quime ont pour tradition d’enterrer leurs morts dans leur lieu de naissance et la fête de Todos Santos est une bonne occasion pour se réunir entre proches. Les indigènes sont minoritaires dans cette région et il s’agit là probablement de la raison pour laquelle il n’apparaît aucun rite agricole et que peu d’entre eux participent activement à ce type de rituels.

Le 1er novembre on prépare également une table, avec des pâtisseries, des fruits et la photo du défunt. Sur la table on met un pain noir si la personne décédée était mariée et un pain blanc s’il s’agissait d’une petite fille ou d’un petit garçon, en signe de leur pureté. Si la personne était adulte et mariée, on lui prépare ce qu’elle aimait le plus manger et boire. On dispose sur la table des petits pains en forme de chevaux pour que

dessins d'edgar arandia Quiroga illustrant le livre la otra Muerte du MêMe auteur.

ces derniers transportent l’âme durant son voyage et lui fassent traverser la rivière qui la sépare de l’audelà ; et d’autres en forme d’escaliers pour que l’âme ne reste pas sur terre et puisse monter au ciel... Les oignons fleuris représentent le récipient, dans lequel celle-ci puisera pour amener de l’eau dans l’autre monde. On met également sur la table un verre d’eau avec un petit bouquet de genêt pour porter chance à

la célébration à la Paz A La Paz, Todos Santos est une fête qui mobilise quasiment toutes les zones de la ville. Callampaya, connue comme étant la zone du cimetière, est le lieu où sont préparés la majorité des rituels pour le jour de la fête […]. 7


grande table PréParée au Ministère des affaires étrangères en l'honneur des âMes défuntes Qui se sont battues Pour la liberté et la dignité des hoMMes.

l’âme défunte et que celle-ci ne souffre pas de jalousies dans son retour à l’autre vie. Les cannes à sucre, placées en forme d’arc, serviront de bâton pour son voyage de retour. L’âme arrive à midi. Certaines familles ont pour tradition de lui faire écouter sa musique préférée et si la personne était membre d’une fraternité, on lui fait écouter ses morenadas (musiques typiques boliviennes) favorites. Il est assez courant d’entendre des conversations sur les moments les plus importants de la vie du défunt : des anecdotes, des fêtes patronales et leurs expériences dans les festivals. On permet aux mouches de se rapprocher et de se poser sur les assiettes, le pain et d’autres aliments, car selon les croyances, ce sont des âmes qui viennent s’alimenter. De la même manière, on considère les sons légers et le vent qui fait bouger les portes comme étant provoqués par les âmes présentes. Afin que les nouvelles âmes se retirent en étant heureuses, on les traite bien lors de leur arrivée et de leur départ pour éviter que celles-ci ne s’interposent dans les plans de ceux qui restent sur terre. Tous les sacrifices possibles sont donc réalisés pour ce rite pendant les trois premières années au minimum.

g.Jallasi/abi©

Le 2 novembre, certaines femmes aymaras aisées arrivent avec des camions chargés de pâtisseries devant le cimetière et s’installent tout autour de celui-ci. Si les âmes qu’elles reçoivent sont nouvelles, la quantité et la qualité des pâtisseries sont considérables. Assises à côté de leurs paniers, elles font prier pour l’âme de leur mari ou d’un autre proche. Le prieur ou les groupes d’enfants effectuant des prières se renseignent sur le nom de l’âme et prient pour elle, en échange de quoi ils reçoivent des pains et d’autres aliments. Ainsi se déroule la journée et la table est finalement rangée une fois que tout est terminé. La durée du rite est variable, il se prolonge parfois jusqu’à la nuit. Après avoir terminé les offrandes, les proches se réunissent, dansent et boivent, jusqu’au lever du jour bien souvent. Les zones périphériques de La Paz, ayant une population majoritairement immigrée, ont recours aux mêmes coutumes et rites avec quelques variantes issues de l’influence urbaine. Parfois la célébration dure plusieurs jours, voire jusqu’à une semaine quand la mort est récente. Le huitième jour on amène les vêtements du défunt pour les laver, dans le but d’éliminer ses peines et que son âme s’en aille allègrement. […]

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photo reportage

Ñatitas Le cuLte aux crânes humains PhotograPhies de gaston ugalde textes de Jennifer sauvage

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haque année en Bolivie, la célébration de Todos Santos laisse place au culte des ñatitas le 8 novembre. Ce jour là, beaucoup de monde assiste aux messes célébrées dans les cimetières pour honorer leurs ñatitas qui sont des crânes de personnes défuntes. Ces crânes, remplis de de connaissance et de savoirs ancestraux, donnent de nombreux avantages à leurs possesseurs: ils leur portent compagnie, les protègent et veillent à la fertilité de leurs terres. Ils ont également le pouvoir de faire se repentir les voleurs et les malfaiteurs. Selon l'anthropologue Denisse Arnold, le Sami est la substance qui reste dans les os des défunts et qui permet de veiller sur le bien être de ceux qui sont en vie.

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photo reportage

L

e mois de novembre est le mois où commencent les premières pluies et il est important que la fête soit bonne pour que la vie continue et que l'équilibre de la nature soit garanti. L'apparition d'un arc en ciel lors de la célébration du 8 novembre est d'excellent augure car cela annonce l'arrivée des temps humides pour l'agriculture.

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n échange de la compagnie et de la protection que leur offrent les ñatitas, les possesseurs de ces crânes humains doivent s'occuper des esprits qui les animent en allumant des bougies en leur honneur au moins une fois par semaine. Il est également coutume d'accumuler des couronnes de fleurs sur les crânes et de partager avec ces esprits des cigarettes et de la feuille de coca. Les possesseurs d'une ñatita disent que les âmes défuntes leur apparaissent en rêve et qu'ils peuvent voir leurs apparences.

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photo reportage

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elon Edgard Arandia quiroga, il est commun de penser que les ñatitas les plus miraculeuses sont celles qui appartiennent à des personnes ayant eu une mort violente ou prématurée. En effet, les esprits de ces âmes ne sont pas tranquilles et vagabondent sur terre en espérant que quelqu'un s'occupe d'eux et qu'un nom leur soit attribué pour leur permettre de revivre.

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ans la culture andine, la mort est perçue comme un fait naturel et religieux mais aussi comme un symbole de vénération et de respect depuis les temps préhispaniques. Les morts protègent les vivants et les dialogues entre eux se font par le biais de crânes de personnes défuntes. Pendant la période coloniale, la pratique du culte des ñatitas s'est faite rare et de manière cachée car ceux qui étaient en possession de têtes de mort étaient considérés comme des hérétiques. Ce culte a repris de l'importance sous l'ère républicaine, à partir de 1910 et des messes ont à nouveau été célébrées dans les cimetières après 1985. En 2009, l'Eglise Catholique a déclaré que ce rite était un sacrilège. Même si selon les critères occidentaux cette activité est perçue comme étant terrifiante, elle est largement pratiquée par les adultes et les jeunes étudiants des zones urbaines qui demandent à leurs ñatitas de veiller sur eux pour qu'ils trouvent l'amour, du travail et qu'ils puissent acquérir plus de savoir.

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Les cabanes du Pirai Cette nomination, officialisée en septembre 2012 par le Parlement lors de la session d'honneur du 202ème anniversaire de la ville de santa Cruz, a été accueillie avec beaucoup d'enthousiasme par les cabaniers. Ces cabanes, espaces de détente et de loisirs, sont des lieux très appréciés de tous ceux qui aiment les beaux paysages et la gastronomie orientale bolivienne (le zonzo, le majadito de pato, le charque, le locro et le cuñapé).

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vière Pirai qui ont reçu cette nomination avec beaucoup d'enthousiasme. Ils attendent maintenant la promulgation du décret au Sénat National. Tous les jours, des centaines de jeunes, de couples et de familles entières se rendent dans les cabanes du Pirai pour profiter de cette atmosphère particulière. Tous sont attirés par ces sites de détente où il est possible de goûter la gastronomie typique orientale, de siroter des boissons fraîches, de faire des promenades à

es cabanes de la rivière Pirai, considérées comme un vestige de l'ancienne Santa Cruz de la Sierra, ont été déclarées "Patrimoine Culturel Touristique de l'Etat Plurinational de Bolivie". Cette nomination a eu lieu lors de la session d'honneur célébrée par le Parlement en commémoration au 202ème anniversaire de la ville de Santa Cruz. La désignation a été largement approuvée par la cinquantaine de cabaniers installés sur les bords de la ri-

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cheval ou en quad et surtout de profiter de ces paysages pittoresques et des plages de la rivière. Dans la cabane Jasaye, Madame Teodosia Camargo Nomey, pionnière du lieu âgée de 73 ans, garde en mémoire les épisodes de l'histoire de ces cabanes et les confie à Alexander Terrazas du journal El Dia. « Je me rappelle des premières huttes construites dans les années 1950 alors qu'un port avait pris place sur les rives du Pirai, à l'endroit où se croisaient les routes de Buenavista, yapacani et Portachuelo. Les charretiers arrivaient de partout, avec leurs carrioles d'aliments tirées par des chevaux et des ânes, et venaient vendre leur chargement sur le marché La Recova de Santa Cruz. En 1960, le professeur « NOUS NE NOUS Noël Kempff Mercado OPPOSONS PAS AU créait le premier jardin DéVELOPPEMENT ET botanique amazonien VOULONS AU de Bolivie sur cette CONTRAIRE GRANmême zone où étaient DIR DANS LE MêME recensées toutes les eséLAN qUE SANTA pèces d'arbres caractéCRUz MAIS UN PEUristiques de la région. PLE SANS HISTOIRE Rasé par une terrible ET SANS TRADITIONS tempête et une inondaNE PEUT AVOIR DE tion en 1983, c'est à la MéMOIRE » fin de cette même année que les douze premières cabanes ont été construites». Alors qu'à l'époque les familles installées sur cette zone ne dépassaient pas le nombre de vingt, on estime actuellement qu'une cinquantaine de familles sont établies dans ce lieu et vivent du commerce de plats typiques. Le président de l'association de cabaniers, Freddy Contreras, a affirmé que cette nomination allait pousser les cabaniers à fournir un meilleur service aux visiteurs, tant au niveau de l'accueil que de la gastronomie. Il a reconnu que le premier objectif des associés était de paver les voies de circulation avec des briques en céramique pour ne pas rompre l'esprit traditionnel de l'ancienne Santa cruz. Ces voies seront d'ailleurs piétonnes pendant les fêtes et les festivals traditionnels. Monsieur Contreras a également rappelé qu'une autre priorité pour les cabaniers était d'avoir accès à tous les services basiques et à la sécurité juridique. « Nous ne nous opposons pas au développement et voulons au contraire grandir dans le même élan que Santa Cruz, mais un peuple sans histoire et sans traditions ne peut avoir de mémoire » déclare-t-il finalement. / J. sauvage

eriC.arMiJo©

sPéCialités Culinaires de santa Cruz / dr.

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la rivière Pirai dans les dernières lueurs de la Journée. gonzalo Contreras del solar©


Le dauphin rose d'amazonie « Patrimoine naturel » de l'etat bolivien le dauphin rose d'amazonie est l'unique espèce de cétacé en bolivie, ce qui lui donne une valeur inestimable pour un pays n'ayant pas accès à l'océan. la déclaration de ce dauphin comme patrimoine naturel de bolivie va permettre la mise en place des mesures de préservation pour cette espèce victime de nombreuses menaces qui mettent sa survie en péril.

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Ce mammifère se dénote par sa capacité à pivoter à 90° grâce à des vertèbres qui, contrairement à celles de ses congénères, ne sont pas soudées et lui permettent de se faufiler plus facilement à travers les arbres et les autres obstacles pour attraper sa nourriture. Au-delà de sa rareté, les autorités du Béni soulignent également l'importance de ce dauphin dans l'histoire et la culture du département. Tania Melgar, sénatrice du MAS (parti au gouvernement) ayant appuyé ce projet de loi affirme que dans le Béni, la vue d'un dauphin rose est signe d'espoir, de vie et de bonne santé.

e 18 septembre 2012, Evo Morales a promulgué une loi qui déclare le dauphin rose d'Amazonie « Patrimoine Naturel de l'Etat bolivien ». Cette norme vise à protéger et à conserver cette espèce d'eau douce largement menacée d'extinction. Ce dauphin vivant principalement dans les affluents des rivières Mamoré et Iténez, est l'unique mammifère aquatique en Bolivie. Il est un des plus grands dauphins de rivière : les mâles mesurent en moyenne 2,25 mètres de longueur et pèsent de 160 à 180 kilos et les femelles mesurent 2,16 mètres pour environ 100 kilos.

fernando truJillo/oMaCha© 14


nadyn Pizarro/WWf©

evo Morales, Président de l'etat Plurinational de bolivie, en déPlaCeMent à trinidad (béni) lors de la ProMulgation de la loi

reynaldo zaConeta/abi©

Selon la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES), le mammifère serait, dans tous les pays que recouvre son habitat – Bolivie, Brésil, Pérou, Colombie et Vénézuela –, surtout menacé par la contamination des cours d'eau par le mercure (utilisé dans les opérations d’orpaillage illégal). D'autres facteurs seraient mis en cause tels que la pêche commerciale, l'érosion des rivières, l'exploitation forestière et le tourisme non responsable.

A l'annonce de cette promulgation, le président bolivien a fait remarquer qu'il était du devoir de l'Etat de protéger et de conserver toutes les espèces de son pays, et particulièrement celles qui sont menacées d'extinction. Moises Shiriqui, le maire de Trinidad (capitale de Béni) a également rappelé que cette loi allait permettre de créer des instruments pour protéger ce symbole de la région./ J. sauvage

le dauPhin rose d'aMazonie, PatriMoine naturel de bolivie ENzO ALIAGA-ROSSEL EST CHERCHEUR ASSOCIé à L'INSTITUT D'ECOLOGIE DE L'UNIVERSITé DE SAN ANDRES à LA PAz. TRAVAILLANT SUR CETTE ESPèCE DE DAUPHIN DE RIVIèRE DEPUIS PLUS DE 12 ANS, IL NOUS FAIT PART DES PRINCIPAUx IMPACTS qUE POURRAIT AVOIR CETTE NOMINATION SUR LA CONSERVATION DE CETTE ESPèCE ET SUR SON ENVIRONNEMENT. La déclaration du dauphin rose d'Amazonie (Inia boliviensis) comme patrimoine naturel de Bolivie est un évènement particulièrement marquant de l'histoire de la conservation du pays, puisque c'est la première fois que la valeur d'une espèce animale est reconnue. Le dauphin rose bolivien, en plus d'être un animal charismatique, est une espèce endémique, unique au monde, qui vit dans les rivières du haut bassin de la rivière Madera. Les principales populations se trouvent dans les rivières du département de Béni. Bien que celles-ci soient en relative bonne condition, le savoir sur la biologie et l'écologie reste peu développé et les menaces pour ces animaux augmentent de manière conséquente, mettant leur survie en péril. Le livre rouge des vertébrés de Bolivie les catégorise comme une espèce menacée d'extinction, non seulement par la perte et la dégradation de leur habitat, mais également pour la diminution forte de leur population. La nécessité de mettre en oeuvre des actions de conservation de cet animal est donc évidente. Le dauphin rose a été déclaré Patrimoine Municipal de Trinidad (capitale du département de Béni), Patrimoine Départemental et Patrimoine Naturel du Pays. Cependant ces déclarations ne doivent pas rester lettre morte et de nombreuses actions et collaborations entre autorités et société civile doivent être mises en oeuvre pour les défis et enjeux attendus. Il semble tout d'abord fondamental de réaliser des campagnes de diffusion et d'éducation environnementale qui puisse générer une perception positive des dauphins, particulièrement dans les zones rurales. Cette déclaration permettra également de renforcer l'intérêt international déjà porté au dauphin rose bolivien. Le tourisme d'observation de la nature pourrait se constituer en une alternative économique pour la région et permettre également de soutenir directement la conservation du dauphin rose. Les boliviens ont ici une espèce unique, un patrimoine qu'il est indispensable de protéger pour que les générations futures puissent également en profiter.

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ichaPeken

Patrimoi

Déclarée patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, la Ichapekene Piesta est une fête splendide qui a lieu de début juillet à début Août à San Ignacio de Moxos, dans le département de Béni situé à l’est de la Bolivie. Cette fête, expression culturelle de la nation de Moxos depuis plus de 300 ans, est une célébration syncrétique qui rappelle l’histoire de ces peuples depuis l’arrivée de San Ignacio de Loyola, missionaire jésuite venu dans ces régions afin de convertir les indigènes au christianisme. A travers des danses, de la musique, des chants, des jeux et des cérémonies rituelles, les habitants de San Ignacio recréent ce mythe pour maintenir la mémoire de leur peuple et la faire partager, avec toute leur générosité, à ceux qui souhaitent y participer.

les Macheteros sont les guerriers Porteurs du PluMage saCré. leurs Coiffes Constituées de PluMes de PerroQuet taraba rePrésentent les rayons du soleil 16


ne Piesta

ine cuLtureL immatérieL de L’humanité Par CarMen beatriz loza Photos : Cristian MúJiCa et Carlos MúJiCa/faMa ProduCCiones©

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La Ichapekene Piesta

Une offrande de San Ignacio de Moxos à l’humanité

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la grande fête de san ignacio de Moxos - municipalité située à 96 kilomètres de trinidad (capitale du département de béni) - est une célébration très importante et de grande ampleur qui marque l’existence des plus de 13 mille habitants de cette commune et des alentours. année après année, tous fêtent joyeusement la ichapekene Piesta (la grande fête) entre le 7 juillet et le 5 août. Celleci se dénote particulièrement par son éclat et les débordements de joie des derniers jours de juillet - le 30 et le 31- au moment où l’image de san ignacio de loyola fait son apparition dans la procession et lorsque les groupes de danseurs et les personnages traditionnels de la fête parcourent les rues.

les aChus, Qui Prennent la forMe de vieux grands-Pères MaliCieux, rePrésentent les anCêtres ProPriétaires de la forêt 19

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de garder dans ses mains la Bannière Sainte de la chrétienté pour la planter durant sa mission, mais celui-ci est assisté par les géants et les guerriers porteurs du plumage sacré, les Macheteros, dont les coiffes représentent les rayons du soleil. Les esprits de la montagne, Juan et Juana Tacora, interviennent également dans la lutte. A ces derniers se confrontent les ancêtres propriétaires de la forêt qui prennent la forme de achus (vieux grand-pères malicieux), personnages masqués et cocasses qui sont vaincus par Ignacio de Loyola et finissent par se convertir au christianisme. Le Conseil Municipal Indigène de San Ignacio de Moxos, en tant que gouvernement autonome, est res-

our comprendre le mythe fondateur transcendant la fête, il est nécessaire de comprendre que des menaces d’esclavage pesaient sur les peuples de Moxos tant de la part des portugais que des espagnols. Dans ce mythe, les ennemis ne sont pas concrètement définis et il est possible que d’autres groupes ethniques guerriers les aient également visés. En tout cas, il apparaît que sous la protection des jésuites, la société de Moxos s’est stabilisée et est ainsi parvenue à garder quelques-unes de ses traditions. La lutte sanglante qui se serait livrée à cette fin prend en compte aujourd’hui de nombreux personnages mythiques du ciel, des forêts et des eaux. Certains d’entre eux sont déterminés à empêcher Ignacio

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ouvrant la MarChe sur son Cheval en Jouant du taMbour, le tintiririnti heraldo est un Personnage ridiCule Qui rePrésente siantago Matador de indios (« saint JaCQues le tueur d’indiens»)

ponsable depuis 322 ans de la recréation de ce mythe évoque également la purification spirituelle qui est symdans lequel se confondent expressions culturelles inboliquement vitalisée au fur et à mesure que celui-ci est digènes et occidentales : danse, musique, chant, liturabondamment engraissé, avant d’être fixé dans la cour. gie, chorégraphie et jeu. Cette grande célébration Musique, danse et personnages syncrétique, qui a lieu jour et nuit, a pour but de faire renaître la foi par tous les efforts auxquels se sont A mesure que les heures passent, diverses scènes et consacrés les habitants de San Ignacio, une foi non chorégraphies se succèdent. La grande cour intérieure seulement catholique (représentée par San Ignacio de du temple jésuite et l’espace au sein du Conseil MuniLoyola) mais qui se révèle aussi dans la présence des cipal Indigène sont des scènes qui permettent à plus de esprits des ancêtres. 48 groupes de danseuses et personDurant la fête se succèdent nages masqués de se réunir autour de messes, processions, veillées LE CONSEIL MUNICIPAL INDIGèNE l’image d’Ignacio de Loyola. Ils forfunèbres, aumônes et festins. DE SAN IGNACIO DE MOxOS, EN ment tous un large cortège de personUn des évènements les plus im- TANT qUE GOUVERNEMENT AUTO- nages humains et non humains portants consiste en la re- NOME, EST RESPONSABLE DEPUIS réalisant des chorégraphies au rythme cherche d’un tronc imposant 322 ANS DE LA RECRéATION DE CE des instruments antiques natifs : (par sa hauteur), choisi avec MyTHE DANS LEqUEL SE CONFON- chuyu’i, bajón, yuruh’i, chiri, cáyure, beaucoup d’attention par les au- DENT ExPRESSIONS CULTURELLES jerure. torités et les experts. Ces der- INDIGèNES ET OCCIDENTALES : Chacune des comparsas (groupes de niers ramènent le tronc au DANSE, MUSIqUE, CHANT, LITUR- danseurs traditionnels accompagnés village et à leur arrivée font une GIE, CHORéGRAPHIE ET JEU. d’un orchestre) joue un rôle différent entrée triomphale en le portant, au cours des festivités. Avant de s’insuivis en cortège par les villageois. Il s’agit là de l’exhitéresser au défilé, il est nécessaire de s’arrêter un mobition d’un élément clé : el palo encebado (mât de coment sur certains instruments de musique. Le chuyu’i cagne), qui ne représente rien de moins que la vitalité est une espèce d’ocarina en argile à deux tons. Le bajón de la forêt et le manche de la Bannière Sainte arborée (le basson), qui ressemble à une grande flûte de pan, est lors de la bataille par Ignacio de Loyola. Le tronc un ensemble de trompettes ouvertes faît à partir de pal21


doSSier mier Cusi, du nom du fruit du palmier. Le cáyure est une flûte à un seul ton alors que le jerure en contient trois. Les tambours, flûtes et violons viennent se mêler à tous ces sons qui sont la preuve même de cet inévitable métissage. Les personnages défilent dans des costumes très colorés avec des masques spéciaux faits de bois, d’écorces d’arbres, de cuir, de plumes et de tissus en coton. Les anges, le soleil, la lune et les êtres du ciel font leur apparition alors que les forêts sont représen-

de noMbreuses Messes ont lieu durant le Mois où se déroule la iChaPekene Piesta

Les barbares, le gendarme juif, les moperitas (danseuses traditionnelles), les carayanas (descendants d’espagnols), les chunchos (indiens non soumis) et les cambas (indigènes des plaines) imposent leurs pas au rythme de la musique. Les macheteros, avec leur énorme coiffe aux plumes multicolores, leur hache en bois à la main et leurs grelots attachés à la cheville, gardent néanmoins le rôle principal. Pendant ce temps, au sein du Conseil Municipal Indigène, des dizaines de femmes préparent des mets délicieux financés par les apports des habitants du coin. Tous ceux qui participent à la fête peuvent boire et se nourrir gratuitement, signe de la générosité des habitants de San Ignacio. Les visiteurs, les groupes de musique et de danse sont reçus à un festin dans une grande cérémonie qui s’effectue dans le salon du Conseil où est placée la Bannière Sainte. Les pratiques cérémoniales telles que le maripeo (acte de verser à boire de la chicha, une boisson traditionnelle) sont accompagnées par le chœur musical et les orchestres des différents groupes de danse dans un mouvement de va-etvient au sein du Conseil Municipal Indigène. Patrimoine immatériel

tées par les très vieux achus qui suivent le Tintiririnti Heraldo, cavalier richement paré qui annonce la fête au rythme de son tambour en se promenant à cheval. Des centaines de cerfs, de taureaux, de tigres, d’hiboux, de flamants et de toucans débouchent de différentes rues et se mêlent au vacarme des feux d’artifice qui décollent de chapeaux ailés portés par les achus.

Pendant que ces activités prennent place, des espaces de jeu sont installés autour du village pour les combats de coqs et le jocheo (corrida où les hommes provoquent le taureau sans jamais le tuer), qui attirent l’attention de toute la foule. Puis dans un acte de dévotion, celle-ci rentre enfin pour la restitution de la Bannière Sainte au musée du village qui signera la fin de la Ichapekene Piesta de San Ignacio de Moxos. Grâce à la richesse de ses manifestations, cette célébration qui se déroule chaque année dans le sud-ouest de Béni vient d’être inscrite sur la Liste Représentative de l’UNESCO en tant que Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité. La Ichapekene Piesta est, par cette distinction, reconnue internationalement au même titre que deux autres manifestations boliviennes : le Carnaval de Oruro (2001) et la Cosmovision andine des Kallawaya (2003).


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doSSier « un enjeu important pour la reproduction culturelle de la

nation moxeña »

r. f. erQuiCia©

entretien aveC roberto fernandez erQuiCia

roberto fernandez erquicia, sociologue et ethnologue bolivien, est membre du colectivo Bolivia. ancien directeur du département de recherche du Musée national d'ethnographie et de folklore de bolivie, il nous éclaire sur les enjeux de la déclaration de la ichapekene Piesta en tant que patrimoine culturel immatériel de l'unesCo. — Quel est le mythe fondateur de la ichapekene Piesta ?

— Que représente les personnages et les rites les plus marquants de la fête ?

— Cette fête est la plus importante du calendrier rituel et religieux de la nation moxeña (nation qui recouvre les populations de Moxos du xVIIème siècle). Je l'appelle nation car c'est ainsi qu'elle est reconnue dans la nouvelle constitution politique de l'Etat plurinational de Bolivie. Cette fête a beaucoup d'importance car elle concerne l'histoire et la culture des habitants de San Ignacio de Moxos. Elle montre l'influence depuis le xVIIème siècle des missions jésuites qui arrivèrent dans cette région et intégrèrent la religion catholique à la cosmovision de ces peuples. Malgré cette idéologisation, les habitants de Moxos ont su maintenir et reproduire leur propre culture. Dans la cosmovision primigène de ces peuples il n'y avait IL éTAIT DONC FONDAMENTAL pas de différence qUE LA ICHAPEKENE PIESTA entre la nature et la SOIT RECONNUE EN TANT culture. Pour eux, qU'ACTE SOCIAL PAR comme dans tous L'UNESCO POUR éVITER CES les mythes origiDANGERS DU FOLKLORE ET naux, les astres, les PERMETTRE AUx HABITANTS forêts et les lagunes DE SAN IGNACIO DE MOxOS communiquaient DE NE PAS êTRE TRAITéS entre eux et ceci est COMME DES OBJETS DE CURIOlargement repréSITé MAIS COMME DES ACsenté dans la fête, TEURS SOCIAUx. dans les danses où se manifestent le soleil, la lune et d'autres éléments de la nature. Dans la Ichapekene Piesta, San Ignacio de Loyola est représenté comme un héros protecteur face au joug et à l'asservissement espagnols, il essaie également de s'imposer face aux représentations religieuses amazoniennes.

— La procession est tout d'abord ouverte par le Tintiririnti Heraldo. D'après les études de Carmen Beatriz Loza, ce personnage est Santiago matador de Indios (Saint Jacques le tueur d'indiens) qui est représenté de manière ridicule sur son cheval. La procession est ensuite constitué d'achus qui sont des ancêtres venant visiter la communauté une fois par an en amenant avec eux leur propre histoire. Il y a également les jichis qui sont des personnages habitant dans les eaux. La danse des macheteros symbolise, quant à elle, un mythe du soleil reflété dans la coiffe de plumes du fameux perroquet Taraba. Juan et Juana de Tacora sont deux personnages immenses qui interviennent dans la fameuse danse des géants dont l'influence vient des géants et grosses têtes de l'Europe du xVIIème siècle. Les masques, faits de bois, ont une importance fondamentale. Ils permettent aux danseurs qui les portent de se transformer en esprits de la nature. Il y a dans cette fête un fort syncrétisme entre la culture originaire et l'influence des jésuites qui se retrouve au niveau des personnages, des instruments, de la matière des costumes,etc. Ce qui est très important ici est que de nombreux éléments culturels étrangers sont représentés selon la perspective des habitants de Moxos. La fête est un élément de reproduction culturelle dont fait également partie la riche gastronomie de la région : tous les délices de cette nation sont préparés par la communauté. La consommation rituelle de boissons alcoolisées (telles que la chicha) et de certains hallucinogènes ont pour finalité de transformer l'individu et de le mettre dans un état psychologique et religieux qui lui permette de se rapprocher du domaine très dangereux du monde des esprits et de la nature, tel un curé boirait son vin pendant la messe. 24


doSSier — a quelle occasion fut créée la ichapekene Piesta ?

— Quel est l'enjeu de la déclaration de la ichapekene Piesta comme patrimoine culturel immatériel de l'unesCo ?

Il n'existe pas de dates exactes à ma connaissance mais plusieurs chroniques jésuites indiquent que de nombreuses ethnies amazoniennes de la région ont été intégrées dans les missions au xVIIème siècle. L'usage du moxeño comme langue véhiculaire en est un signe. Dans ces réductions, les jésuites donnaient beaucoup d'importance à la musique et à la fête, d'où l'existence de l'orchestre baroque de San Ignacio de Moxos qui joue du violon et d'autres instruments classiques européens. Les jésuites ne souhaitaient pas détruire la culture indigène et voulaient, au contraire, la sauvegarder car elle leur permettait de faciliter le processus d'évangélisation. Les habitants de San Ignacio ont donc utilisé la fête pour reproduire leur propre cosmovision religieuse à travers des danses et des êtres mythiques.

— Il est tout d'abord important de savoir que la demande d'inscription à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO vient des habitants de San Ignacio de Moxos eux-mêmes et non de l'Etat bolivien. Ils considèrent cette fête comme un fait culturel rituel qui leur permet de revendiquer et de réaffirmer leur propre identité face à cette planétarisation et cette uniformisation des comportements culturels. Il ne s'agit pas là de folklore comme sont malheureusement considérées beaucoup de fêtes en Amérique latine. Le folklore n'a aucune conscience de son existence. Il est ce qui a permis de stigmatiser les sociétés campagnardes en Europe depuis le xVIIème siècle et beaucoup de sociétés non occidentales actuellement. Montrer la fête comme un élément d'attraction culturelle mais sans en analyser le fond ne peut entraîner que sa dégradation. En faisant intervenir l'Etat dans son organisation on court le risque d'archéologiser et de maintenir statiques ces manifestations qui sont en réalité des faits vivants, sociaux et politiques qui se transforment au gré de la reproduction culturelle. Il était donc fondamental que la Ichapekene Piesta soit reconnue en tant qu'acte social par l'UNESCO pour éviter ces dangers du folklore et permettre aux habitants de San Ignacio de ne pas être traités comme des objets de curiosité mais comme des acteurs sociaux. Cette inscription va permettre également à la nation moxeña d'avoir plus de moyens pour effectuer des recherches, avec leurs propres spécialistes (en linguistique, musique,etc.), et ainsi retracer plus précisément leur histoire. quant au tourisme, cette fête attire beaucoup de touristes boliviens et étrangers car elle est considérée comme la capitale folklorique du Béni. La fête apparaît déjà dans tous les guides touristiques internationaux mais elle y est parfois traitée comme un fait folklorique. Actuellement, certains éléments de la fête sont déjà le fruit d'une rupture culturelle avec une forte influence occidentale : des groupes de cuivre viennent couvrir le son des flûtes et des bassons traditionnels et des concours de beauté pour petites filles sont organisés pour élire une Reine de la Fête. Cette déclaration comme Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO représentait donc un enjeu très important pour la reproduction culturelle de la nation moxeña.

— Qui participe à l'organisation de cette fête ? C'est toute la nation moxeña qui organise cette fête avec ses autorités traditionnelles et l'appui de l'Etat depuis ces dernières années. L'Eglise, la mairie, la sous-préfecture et des institutions privées jouent aussi un rôle important dans cette organisation. Il s'agit là d'un immense travail communautaire où tous participent à la préparation de la fête et à son financement, avec une volonté particulière de tout offrir aux visiteurs. — Quel est l'interprétation politique de cette fête ? La fête est également un fait politique. Pendant un mois, la nation moxeña s'approprie des espaces de pouvoir tels que les places où se trouvent les autorités et les églises pour les transformer en espaces rituels : Le palo encebado (mât de cocagne) par exemple, qui représente la fertilité de la forêt, est placé au centre de la place. Cette fête regroupe à la fois les expressions culturelles de cette nation, l'influence jésuite et la nouvelle réalité que constitue l'Etat bolivien. Par exemple, les achus, pour survivre, incorporent de nouveaux éléments comme le drapeau bolivien sur leurs vêtements. La ritualisation de ces espaces et de ces symboles permet de voir la perception et la relation de la nation moxeña avec l'Etat bolivien. 25


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enjeux

L'inscription sur les listes de Patrimoine de l’unesco PAR JENNIFER

SAUVAGE

alors que la ichapekene Piesta vient d'être déclarée « Patrimoine culturel immatériel de l'humanité » par l'unesCo le 5 décembre dernier, un petit retour sur les enjeux d'une inscription sur les listes de patrimoine de cette organisation semble intéressant. la mise en valeur et la conservation de biens et d'éléments hérités par une communauté ou un pays sont fondamentales pour des questions d'identité, de développement local et divers autres facteurs. Cet article s'arrêtera donc un instant sur les raisons qui poussent à la conservation de ces richesses, sur les différentes listes de l'unesCo auxquelles il est possible de postuler pour inscrire un bien ou un élément et enfin sur les enjeux que représente une inscription sur ces listes. de la mémoire, peut être à l’origine d’un projet collectif porteur de cohésion sociale. Au niveau communautaire, donner de la visibilité à un patrimoine permet de mieux se connaître et de mieux vivre ensemble. A plus grande échelle, cela favorise le respect des différences de penser ce monde et de l’identité culturelle entre tous les peuples. Enfin la valorisation et la conservation de ces richesses est également un instrument de développement local. En effet, le tourisme, géré de manière durable et responsable, peut être à l'origine de recettes financières diverses (hébergement, transports, restauration...), de création d'emplois (réhabilitation et entretien du patrimoine, chercheurs, guides..) et peut également rendre plus accessible certains services aux populations locales par l'amélioration de certaines infrastructures (médecine, alimentation…).

Pourquoi conserver le patrimoine ? Le patrimoine est communément défini comme étant une richesse ou un bien hérité communément par un groupe. Ce patrimoine, qu'il soit culturel ou naturel, est soumis à de nombreux risques de dégradation dans le temps. Des éléments naturels (pluie, vent, végétation...) à la modernisation des sociétés, des migrations et de l'urbanisation aux besoins du développement humain, tous ces éléments sont autant de facteurs qui altèrent ce patrimoine ou ne permettent pas la transmission de connaissances et de savoir-faire traditionnels aux nouvelles générations. Face à ces risques, il est donc important de comprendre les raisons pour lesquelles sa conservation et sa valorisation sont nécessaires. Il s'agit, dans un premier temps, d’un moyen d’assurer la continuité de l’identité de peuples et de territoires. Il est en effet indispensable pour l’homme de se référer à son histoire pour assurer la continuité d’une identité qui évolue sans cesse. Le patrimoine joue le rôle d’un élément de stabilité dans un monde en évolution rapide qui permet aux générations actuelles de se situer dans le temps et de se repérer face aux mutations de notre société. Il s'agit également d'un moyen de recours à des solutions traditionnelles qui restent inégalées par leur efficacité pour résoudre des problèmes du monde contemporain. Une autre raison qui pousse à cette conservation est que ces patrimoines constituent une clé de compréhension entre les communautés présentes sur un même territoire et entre les différentes cultures du monde. En effet, préserver et valoriser un patrimoine à travers une réappropriation

Quelles sont les différentes listes de patrimoine de l'unesCo ? Lorsque l'on entend parler couramment d'un bien ou d'un élément qui a été déclaré « patrimoine de l'UNESCO » ou « patrimoine de l'humanité », cela signifie que celui-ci a été inscrit sur une des listes de patrimoine de l'UNESCO. Les listes qui nous intéressent ici sont celles qui sont régies par les deux Conventions suivantes : celle de 1972 pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (monuments, sites, formations géologiques...) et celle de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (traditions et expressions vivantes héritées par nos ancêtres telles que les arts du spectacle, les pratiques sociales, les ri26


doSSier niciens, la fourniture d'équipements, l'élaboration de mesures normatives, la création d'infrastructures, la promotion du patrimoine ou encore l'octroi de prêts et de subventions pour mener à bien des projets de conservation et de mise en valeur. D'un point de vue financier, l'inscription donne également une reconnaissance internationale qui permet de capter l'aide issue de la coopération internationale pour la conservation du patrimoine et ainsi de financer les projets, programmes et activités mis en place par les principaux acteurs. Enfin, l'inscription sur les listes de patrimoine de l'UNESCO représente un enjeu de développement local pour la création d'activités économiques qu'elle suppose. La visibilité donnée au patrimoine par l'inscription sur ces listes a tendance à renforcer les activités touristiques dans les localités où elles se trouvent. Ces activités, comme nous l'avons vu plus haut, sont à l'origine de recettes financières, de créations d'emploi et du développement de certains services auxquels les

tuels et événements festifs, les savoir-faire anciens...). Chacune de ces conventions prévoit deux listes auxquelles les Etats parties peuvent proposer des candidatures. L'une des listes recense le patrimoine reconnu pour sa valeur universelle exceptionnelle ou pour l'importance attribuée à sa transmission et l'autre est composée de biens ou d'éléments ayant autant de valeur mais dont l'état nécessite des mesures de sauvegarde urgentes pour assurer son existence et sa conservation. Des experts sont ensuite chargés d'évaluer les candidatures qui sont approuvées en dernière instance par un comité intergouvernemental représentatif de toutes les régions du monde. Quels sont les enjeux d'une inscription sur ces listes ? Les enjeux d'une inscription sur les listes de patrimoine de l'UNESCO sont nombreux et considérables. Cette inscription représente tout d'abord un enjeu de reconnaissance et de mise en valeur du patrimoine à caractère exceptionnel à travers le monde. En effet, au niveau local tout d'abord, cette inscription demande une implication des communautés et des localités dans les mesures de conservation et de mise en valeur de leur patrimoine à travers le montage du dossier de candidature. Elle entraîne également une sensibilisation des gouvernements et de l'ensemble des habitants à la reconnaissance de leur patrimoine. Une meilleure visibilité de patrimoine s'effectue également au niveau mondial avec la reconnaissance par la communauté internationale du caractère exceptionnel universel du patrimoine intégré aux listes de l'UNESCO. L'inscription sur ces listes constitue également un enjeu très important de conservation et de sauvegarde urgente du patrimoine. Elle induit tout d'abord l'élaboration et la mise en œuvre de plans de gestion qui définissent des mesures de préservation et des mécanismes de suivi adéquat ou des plans de sauvegarde permettant de sauver du patrimoine menacé de disparition. Elle entraîne aussi bien souvent une formation à la gestion du site par des experts, dans le cas de patrimoines matériels. Un bien ou un élément inscrit donne également accès à l'assistance internationale fournie au titre du Fonds du Patrimoine Mondial ou du Fonds pour la sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel. Il est à noter que cette assistance, dans certains cas (préparation de candidatures, mesures urgentes de sauvegarde, patrimoine inscrits sur des listes nationales...), peut être attribuée aux Etats-parties sans condition d'inscription. Cette assistance peut prendre de nombreuses formes telles que l'étude de problèmes pour la conservation, la mise à disposition ou la formation d'experts et de tech-

populations locales avaient difficilement accès. Cependant, le tourisme non durable et non responsable peut être nuisible (dégradation de sites, folklorisation de certaines expressions culturelles...) et il est important de préciser qu'une bonne gestion de ce patrimoine classé, à travers la valorisation de ses fonctions dans la société et de son intégration dans les politiques de planification de l’économie, peut également être un outil de développement local. 27


Les danses boliviennes

par la Poste Par freddy luis Maidana

la bolivie célèbre la déclaration patrimoniale de ses danses traditionnelles les plus connues telles que la Morenada, le Caporales, la kullawada, la llamerada et le Ch'utas, chacune promulguée par une loi individuelle par le Président de l'etat Plurinational de bolivie, evo Morales ayma. le Ministère des Cultures, en collaboration avec l'entreprise de courriers de bolivie, a créé une série de timbres en l'honneur des danses patrimoniales du pays.

le Caporales Le Caporales est une danse qui met en avant les métisses qui, durant l'ère coloniale, étaient les contremaîtres des esclaves noirs amenés en Bolivie. Elle trouve son origine dans les années 1970, lorsque les frères Estrada Pacheco la créèrent en s'inspirant du personnage du Caporal de la Saya. Dans cette nouvelle interprétation, le Caporal est cette fois séparé de la troupe pour constituer un nouveau groupe de plusieurs « Caporales ». La musique s'est initialement inspirée de la danse des « negritos » et a ensuite évolué soenus diverses formes.

le Ch'utas Cette danse célèbre depuis des temps anciens la floraison de la pomme de terre et les premières récoltes de l'altiplano. Elle traite donc d'une période qui se situe dans les premiers mois de l'année, plus précisément lors de la saison de la fertilité et des pluies, ce qui se reflète à travers les costumes colorés et les broderies représentant la fleur de pomme de terre dans différents tons. Le costume du Ch'uta date de l'époque de l'esclavage, lorsque les domestiques des haciendas (grandes exploitations agricoles en Amérique latine) se déplaçaient jusqu'à La Paz pour commercialiser les produits de leurs maîtres, en s'installant dans les tambos (marchés indigènes) qui se trouvaient dans la zone du cimetière. Ils étaient vêtus de pantalons en flanelle de terre, de sabots et de lluch'u (bonnet de laine typique des Andes) qui ont rapidement été repris pour la danse. Ils leur permettaient également de se moquer des costumes ajustés de leurs maîtres. Aujourd 'hui, des groupes composés de milliers de ch'utas participent au festival traditionnel du « Dimanche de la Tentation et Enterrement de Pepino ». La danse des Ch'utas est présente dans les neufs départements de La Bolivie, mais également dans le monde, et constitue une source importante de revenus bénéficiant à divers secteurs économiques du pays. 28


la kullawada La Kullawada est une danse d'origine préhispanique qui représente les tisserands et les fileurs sous le règne des Kollas. Grâce à la transformation de la laine, ces derniers sont devenus des industriels progressistes très remarqués par la somptuosité de leurs costumes. Cette danse naît dans la douceur de ses pas et représente également l'espièglerie des jeunes couples. Le « Waph'uri » (l'homme) prend un air de séducteur tout en cachant son identité grâce à un masque, et la « Awila », représentant sa femme, reste derrière pour le surveiller.

la llamareda Le nom de cette danse en langue aymara est « Karwani » (éleveur de lamas). La llamareda se danse depuis les époques pré-hispaniques et met en scène le patûrage et l'ornement des lamas qui sont des activités typiques de l'homme andin. Les lamas transportaient sur leurs dos des produits qui étaient commercialisés et échangés dans les villages d'autres régions. La llamareda était une danse aymara à l'origine. Aujourd'hui les majestueuses représentations de la llamareda ont lieu lorsque des dizaines d'éleveurs et d'éleveuses de lamas apparaissent avec leurs « q'urawas » (frondes), trait de l'expression culturelle du pays.

Photos : tony suárez©

la Morenada La Morenada est une danse où sont reproduites les formes de l'organisation sociale, hiérarchique et politique, ainsi que l'empreinte du colonialisme dans le monde aymara. Elle remonte à l'ère coloniale, lorsque les afro-descendants et autres groupes culturels ont souffert de l'exploitation des colonisateurs. Cette situation a été recréée par les aymaras et les métisses et a été enrichie jusqu'à ce qu'elle acquière une identité propre. Au fil du temps, la morenada a également été influencée par les inspirations urbaines, et n'a jamais eu autant d'importance qu'aujourd'hui. il s'agit de la danse la plus représentée dans tous les festivals folkloriques boliviens (en Bolivie et ailleurs) et peut rassembler plusieurs centaines de danseurs. Son rythme a laissé son empreinte dans le monde musical et la morenada est devenue l'une des mélodies les plus connues et importantes en Bolivie, entraînant parfois même son exportation. 29


chronique de l’hédo-

Vivre pour

manger Par raMon roCha Monroy

ramon rocha Monroy est un écrivain, journaliste et chercheur reconnu en bolivie. nommé à de nombreuses reprises pour des prix de littérature nationaux pour ses romans el run run de la calavera, ando volando bajo, Pedagogía de la liberación, la casilla vacía, Potosí 1600, il est également très connu pour ses critiques culinaires au niveau national sous les pseudonymes « el ojo de vidrio » ou encore « el Cronista de Cochabamba ». il a été nommé vice-ministre des Cultures de bolivie en 1999. Jean-Jacques Rousseau était un homme dont la digestion lente et difficile ne lui permettait pas de savourer l'extensivité et la sophistication de la nourriture française dans son immense variété. Pour cette raison, il préférait les goûts frugaux de la campagne : le vin ordinaire, le pain noir et le lait caillé. Il s'étonnait que les bulgares vivent longtemps en ne se nourrissant quasiment que de yaourt, même s'il ne connaissait pas les bulgares et n'avait jamais goûté au yaourt. Il inventa donc tout naturellement cette maxime aujourd'hui largement reconnue : « Il ne faut pas vivre pour manger mais plutôt manger pour vivre », que les boliviens de nos régions ont transformé par cette autre expression : « A Cochabamba, on ne mange pas pour vivre mais on vit pour manger ». Eh bien oui , aux portes de la ville de Cochabamba, on devrait mettre une pancarte annonçant que nous vivons pour manger, et ce avec beaucoup de fierté. Un bon ami du pays attendait les jeudis pour s'enfiler deux succulents plats de fidius uchú (plat de pâtes pimenté) et en rapportait quatre rations à la maison (pour la famille... biensur) en me confiant, tout fier, que cela allait faire bientôt deux décennies qu'il accomplissait ce rite.

Un jour, des folkloristes sont venus visiter Los Cantaritos II en présence de deux invités italiens. A peine le propriétaire, Rafito Vargas, fut-il au courant qu'il leur sortit une phrase extraordinaire : « Ah, des italiens, il faut absolument qu'ils gôutent notre aji de fideo (plat de pâtes pimenté) , et finit par leur servir des grands bols en céramique de cet épais bouillon de nouilles du pays avec des queues de vache et des côtes d'agneau frites qui ressemblaient à une aile de condor. Je ne sais pas si les italiens, au moment de goûter les pâtes, furent épouvantés parce qu'elles n'étaient pas al dente ou qu'elles étaient tout simplement servies sur un lit de pomme de terre, mais le culot de mon de mon ami Rafo m'a ouvert encore plus l'appétit et j'ai vigoureusement dévoré mon jarwi uchú (soupe de blé pimentée). En s'intéressant un peu à la cuisine de Cochabamba, on se rend facilement compte que celle-ci abonde de féculents mais qu'elle est en réalité très pauvre en viande. Un habitant aisé de Santa Cruz a l'habitude de commander sans aucun problème 500 grammes de faux filet et de le manger sans aucune garniture, avec seulement un ou deux quignons de baguette. Les grills abondent au Brésil pour les gens qui mangent de grandes quantités

LE JarWi uChu EST UNE SOUPE PIMENTéE

LE fidius uChu

DE BLé MOULU AVEC DES POMMES DE TERRE, DE LA VIANDE DE BœUF, DU POULET, LE TOUT CUIT AVEC DU PIMENT ROUGE EN POUDRE ET SERVI AVEC DU PERSIL FINEMENT HACHé. LE JARWI UCHU EST SERVI ICI DANS UN CH’ILLAMI -UN GRAND BOL EN CéRAMIqUE- SOUVENT UTILISé POUR SERVIR LES PLATS DANS CETTE RéGION.

EST UN PLAT DE PâTES PIMENTé SERVI DANS UN BOUILLON éPAIS AVEC DES qUEUES DE VACHE, DES CHUñOS ET DES POMMES DE TERRE.

Photos Jarwi uchu, Fidius uchu, souPe de CaCahuète et llaJua : gouverneMent MuniCiPal CoChabaMba © 30


chronique de l’hédoniSme LA oCa

Jonathaneo/CC-by-3.0

EST UNE TUBERCULE qUI CONSTITUE UN ALIMENT BASIqUE DES ANDES. AFIN D'êTRE CONSOMMABLE, CELLE-CI EST ExPOSéE PLUSIEURS JOURS AU SOLEIL JUSqU'à CE qU'ELLE DEVIENNE PLUS DOUCE ET SUCRéE. ELLE SE CUISINE GéNéRALEMENT AU FOUR AVEC DE LA VIANDE OU EN SOUPE. TOUT COMME LA POMME DE TERRE, LA OCA PEUT êTRE DéSHyDRATéE ET CONSERVéE AINSI PLUSIEURS ANNéES.

de viande. Les habitants de Santa Cruz adorent les grillades, au point qu'ils déséquilibrent le budget des propriétaires de restaurants. En échange nous, habitants de Cochabamba, nous leur allégeons ce coût en nous rassasiant avec des soupes de cacahuètes, des salades de pommes de terre ou patates frites, du riz, des pâtes et autres féculents en bouillon ; et enfin lorsqu'on nous amène les viandes nous ne pouvons plus rien avaler. Une deuxième observation est que comme nous sommes toujours une société agraire, la quantité nous intéresse plus que la qualité. Le Tata Néstor, (personnage du Roman El Run Run écrit par l'auteur de cet article), que j'ai connu à Pocona, s'alimentait uniquement de vingt pommes de terre par jour dans un plat géant. C'est pour cette raison que notre aji est toujours servi sur un lit de pommes de terre, de ocas , de chuños, de riz ou de pâtes, autrement dit que des féculents. Si quelqu'un a encore un doute sur le fait que nous soyons une société agraire, pourquoi sommes-nous tant obsédés par le climat ? A peine monte-t-on dans un taxi que l'on entend immédiatement des phrases telles que « qu'est-ce qu'il pleut ! ». « Cette année les pluies sont arrivées plus tôt ». « Il ne pleut pas, c'est à peine de la bruine », « Il fait froid » ou « quelle chaleur ! ». Des phrases d'agriculteurs dont a hérité notre culture urbaine. LA

llaJua EST UNE SAUCE PIqUANTE à BASE DE PIMENT, DE TOMATES ET D'HERBES.

LA

souPe de CaCahuète EST UN PLAT TRèS RéPANDU EN BOLIVIE ET PARTICULIèREMENT APPRéCIé DANS LA RéGION DE COCHABAMBA.

table splendide afin que Rafo Balderrama la photographie et qu'elle soit mise en couverture d'une revue pour laquelle nous travaillions à l'époque. Puis nous nous sommes assis pour savourer la nourriture chinoise et Alfredo n'a rien goûté. Le canard laqué arriva enfin et une lueur d'enthousiasme apparut dans son regard ; il demanda de la llajua (sauce piquante) et ils lui ont apporté du piment locoto haché dans une sauce soja, ce qui n'est pas la même chose. Il sortit à ce moment une phrase immortelle: « Ah, quand je pense que je pourrai être en train de savourer un fidius uchu...». Cela m'a donné envie de lui répondre par une phrase de série télé : « Arrête-toi là, tu as tout dit ». Sous l'empire Inca, Cochabamba était le réservoir à grains des quatre suyos (régions incas). Puis les espagnols sont arrivés et se sont rendus compte que notre terre était propice à la semence du blé et du maïs, qu'ils destinaient aux mines de Potosi : le blé pour les espagnols et le maïs pour les mitayos (indiens exploités durant l'époque coloniale). Jusqu'à aujourd'hui, les espagnols et les autres peuples européens ont toujours considéré le maïs comme un aliment pour le bétail et ne le servaient jamais à table. Pendant la colonisation, les espagnols ont également amené leurs coutumes, comme le pain de blé. Les indiens exploités, eux, s'alimentaient de soupe de fé-

LE Chuño EST EST UN DES éLéMENTS CENTRAUx DE L'ALIMENTATION INDIGèNE DES ANDES CENTRALES. IL EST LE RéSULTAT D'UNE DéSHyDRATATION DE LA POMME DE TERRE PAR LE FROID. LA FABRICATION DU CHUñO EST LA FORME TRADITIONNELLE DE CONSERVER ET DE STOCKER LES POMMES DE TERRE PENDANT DE LONGUES PéRIODES, PARFOIS MêME PLUSIEURS ANNéES.

eriC in sf/CC-by-3.0

S'il est quelqu'un qui a des goûts culinaires typiques de Cochabamba, c'est bien mon frère Alfredo. Il est impossible de lui servir de la sauce blanche, de la sauce de tamarin, du yaourt naturel avec du jus de betterave, de la cuisine chinoise, ou encore moins japonaise. Alfredo est un inconditionnel de soupes de féculents telles que le lluspichi, le ch'aqe, le jarwi uchu ou encore de l'uchuco aiquileño qui est un plat à base de viande, de chuños et de pommes de terre cuisinés avec des piments aux trois couleurs. Autrement dit, encore des féculents. Je me rappelle une fois où mon bon pote Pedro Tu, propriétaire du restaurant Lai Lai, avait préparé une

culents appelées laguas. C'est pour cette raison que mon ami Ricardo Perez Alcala, célèbre peintre et courageux habitant de Potosi, sait maintenant cuisiner 40 variétés de lagua. Toujours des féculents. On dit que les peuples forts sont ceux qui se nourrissent de graines car cela nous réconforte. Pendant ce temps, les anglais, les éleveurs du Béni et les habitants aisés de Santa Cruz dévorent de la viande rouge et les aymaras, des tubercules assaisonnées avec de la jallpawaika, une délicieuse sauce au piment jaune.

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la Bolivie t’attend...

au sommet du

huayna Potosi

huayna, la montagne sincère

o

n dit que le huayna Potosi est l’une des montagnes de 6000 mètres les plus accessibles au monde. Arriver au sommet par sa route relativement courte et facile reste accessible pour beaucoup. Nombreux sont les grimpeurs qui ont tenté son ascension par les faces ouest et nord-ouest, beaucoup plus difficiles et techniques. Le Huayna ne laisse personne indifférent. Cet imposant massif composé de roches, de neige et de glace, a été gravi par quasiment toutes ses faces. Il fut conquis pour la première fois en 1919 par les allemands R.Dients et O.Lohse, qui arrivèrent en haut de la pointe sud. En 1877, un groupe de quatre alpinistes allemands sont morts dans leur tentative d'ascension. Hier, comme aujourd'hui, les conditions climatiques et le terrain restent des barrières naturelles pour les montagnards qui souhaitent à tout prix arriver au sommet. Les conditions d'enneigement ont beaucoup changé et les glaciers ont fondu à cause du réchauffement climatique. Ce qui paraissait être une ascension facile il y a dix ans est aujourd'hui beaucoup plus difficile à cause de la formation de crevasses qui rendent sa conquête plus technique et dure. La disparition des glaciers est une raison de plus pour visiter le Huayna avant que sa beauté ne disparaisse sous l'effet des activités de l'Homme. r. bajo

EN REDESCENDANT DU SOMMET DU HUAyNA, ON DéCOUVRE PETIT à PETIT LES PAySAGES SPECTACULAIRES qU'ON A COMMENCé à GRAVIR DANS LA NUIT.

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©MICHAEL SAUVAGE

source : Ministerio de Culturas, "huayna Potosi, la montaña sincera", identidades, n°1, 2012 (extrait)


la Bolivie t’attend...

La montagne en quelques verbes... PAR

MABEL FRANCO

la sous-municipalité de zongo se donne actuellement comme objectif de faire connaître ce colosse de 6088 mètres d'altitude et de promouvoir cette difficile mais magnifique ascension. Mabel franco, journaliste pour la razon, nous raconte son expérience en quelques verbes... rêver. Je rêve, je rêvais, qu'au coin de la rue j'allais tomber sur un gros pan de glace. Brillante, belle, saisissante, effrayante. Les rêves peuvent devenir réalité et ceux qui le savent sont ceux qui soudainement, sans trop réfléchir, éteignent leur ordinateur au bureau le soir et se retrouvent le lendemain matin en face d'une immense montagne enneigée, 6088 mètres au-dessus du niveau de la mer, le Huayna Potosi. La montagne peut-elle s'exprimer ? Oui elle le peut. A travers les humains qui s'en rapprochent, qui la contemplent et qui la foulent.

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©THéOPHILE ROULET

ARRIVéE AU SOMMET DU HUAyNA AU LEVER DU SOLEIL POUR LES PLUS RAPIDES. LA PLUS BELLE RéCOMPENSE, UNE FOIS LA CIME ATTEINTE, EST CE PANORAMA à 360° qUI SE LAISSE DéCOUVRIR PETIT à PETIT, TEINTé PAR LES PREMIèRES LUEURS DU SOLEIL. A TRAVERS LES NUAGES, IL EST POSSIBLE D'APERCEVOIR LA PAz, LE LAC TITICACA ET LA CORDILLèRE.


la Bolivie t’attend... bois. quel bonheur de le trouver et de prendre un bon café, une soupe et de se mettre au lit, peu importe que l'on connaisse ou non ses camarades de chambre. Ce refuge protège du vent, du froid et pour ceux qui s'y rendent après le mois de septembre, de la pluie et de la neige. Ce campement a été contruit par les frères Gonzales, Agustin (52 ans) et Eulalio (50 ans), guides de montagne natifs de zongo. ecouter. L'acclimatation d'un ou deux jours se fait dans ce lieu. La nuit qui précède l'ascension il faut se coucher tôt car on quitte le lit à une heure du matin. Mais d'ici là, on a le temps d'écouter les histoires de ces guides. Agustin et Elio font partie d'une fratrie de sept frères et sœurs. « quand on était petit, on entendait beaucoup parler d'accidents d'avion, de ceux qui transportaient de la viande entre les départements de Béni et de la Paz. Leurs instruments de calcul ne fonctionnaient pas toujours et parfois, à dix centimètres près, ils heurtaient le Huayna. Nous n'avons jamais connu de survivants » raconte Agustin. Elio se rappelle qu'à sept ans il faisaient ses premiers pas sur le glacier, avec son père, pour voir de près un des avions. « Ensuite, avec mon frère, on en ramassait quelques morceaux pour jouer à la maison ». Ils commencèrent donc ainsi et très vite, plus aucune montagne de Bolivie n'était un secret pour eux. La peau foncée par le soleil et le froid, ces deux guides ont une corpulence très fine et mesurent 1m58. Ils impressionnent par leur patience et leur assurance lorsqu'il s'agit de guider les novices. « Tu peux le faire », ne cessentils de répéter. Elio est le guide qui a retrouvé en 2012 un cadavre d'aviateur civil, Rafael Benjamin Pabon, disparu dans le Huayna depuis 1990. Sa mère avait rêvé de l'endroit où il devait se trouver. « Moi qui l'avait cherché tant de fois, j'ai suivi ses indications et j'ai trouvé les restes de l'avion et le pilote encore attaché par sa ceinture de sécurité », raconte-t-il sans aucune émotion. « Nous avons déjà vu tant de cadavres dans ces avions que je ne ressens plus rien, sauf la satisfaction de pouvoir annoncer à la famille qu'on a retrouvé les restes d'un proche ». douter. Il est l'heure de s'habiller. Le poids du sac à dos se répartit dans tout le corps, et surtout dans les pieds. Chaque chaussure pèse une tonne. Un peu comme un astronaute. Il fait froid, très froid, mais ce n'est encore

feuilles de CoCa.

Quentin ChaPelet

découvrir. Le Huayna Potosi (La Jeune Potosi) appartient à la muncipalité de La Paz. La sous-muncipalité de zongo souhaite mettre cette montagne sur la carte touristique nationale car nombreux sont les visiteurs étrangers qui viennent jusqu'ici. Entre le 21 et le 23 juillet 2012, une centaine de britanniques, argentins, français, suisses, allemands et finlandais sont passés par le refuge construit à 5200 mètres d'altitude. Et sur les murs de celui-ci, on peut voir des messages écrits en hébreu, en coréen et tellement d'autres langues encore. Une « montagne » d'étrangers au point qu'à 5600 mètres d'altitude on y trouve le campement « argentin », où les novices arrivent déjà épuisés. Mais cette arrivée a déjà un air de triomphe. Il existe des routes plus difficiles pour monter au Huayna, comme « la française », pour ceux qui trouvent la face nord trop facile. Accéder au sommet par la face ouest est titanesque. se laisser éblouir. Le Huayna, comme on le surnomme, est tout simplement somptueux pour les visiteurs qui viennent voir ce colosse à deux heures de route de La Paz. Le premier lieu auquel ceux-ci se rendent est bien souvent le cimetière de Milluni où ont été construites des tombes en contrebas de la montagne. Le Huayna n'est pas à l'origine de ces décès (même si cela est déjà arrivé dans les premières tentatives d'ascension), ce sont principalement les mines qui ont fait se dresser les croix de ce cimetière. Mais il faut craindre cette montagne malgré tout. Cette montagne qui attend, dans toute sa majestuosité, ceux qui ont décidé de la gravir. sous-estimer. Avec l'équipement d'escalade loué et l'enthousiasme du groupe, n'importe qui peut se prendre pour un Bernardo Guarachi. Mais l'on se rend compte que tout ne sera pas si facile au moment où l'on charge son sac sur le dos avec tout l'équipement nécessaire dedans : pull, pantalon, casque, frontale, gants, bottes, crampons, sac de couchage, harnais et piolet. A ceci on rajoute deux litres d'eau, du chocolat et des biscuits. Au total, ce sont 25 kilos qu'il faut transporter sur le dos. C'est ainsi que l'on effectue la traversée pour rejoindre le refuge de « las rocas », deux heures de marche dans les névés de neige et les roches pointues, pour seulement atteindre le point de départ. se reposer. Le refuge Las Rocas est une structure construite avec les pierres du coin, de la chaux et du

LA FEUILLE DE COCA EST RéPUTéE EN BOLIVIE ET CHEz LES MONTAGNARDS DES ANDES POUR DONNER DES FORCES, AIDER à LUTTER CONTRE LE FROID ET LES MALADIES. D'APRèS MICHEL SAUVAIN, CHERCHEUR à L'INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DéVELOPPEMENT, « DES éTUDES CLINIqUES MONTRENT qUE LA COCA PERMET DE SOUTENIR UN EFFORT PROLONGé ET STIMULE LE SySTèME RESPIRATOIRE. CETTE PLUS GRANDE RéSISTANCE FACE à L'EFFORT PHySIqUE EST ATTRIBUéE à UNE MEILLEURE CIRCULATION SANGUINE, à UNE ACTION SUR LES CATéCHOLAMINES (MéDIATEURS CHIMIqUES DU SySTèME NERVEUx) ET à UNE AUGMENTATION DU NOMBRE DES GLOBULES ROUGES, qUI FAVORISENT UNE PLUS GRANDE OxyGéNATION DES MUSCLES ». ELLE PERMET DONC DE COMBATTRE LE FAMEUx SoRoCHE, LE MAL DE L'ALTITUDE ANDIN. 34


la Bolivie t’attend... le refuge « el CaMPo alto », situé à

5130 Mètres d'altitude, est l'abri des rien comparé aux -20°C qui nous attenMontagnards Pour la Courte nuit Qui les attend avant l'asCension. le déPart dent à 6000 mètres. Le guide nous reest Prévu entre 2 et 3 heures du Matin, garde : « Vous êtes sûrs de vouloir y selon les aPtitudes de ChaCun. aller ? » quelle intensité ! y aller ou pas. Allons-y, et que Dieu, le Huayna et la Pachamama soient avec moi ! Monter. La signification de ce mot s'apprend dans la montagne. « Passer d'un lieu à un autre qui se trouve plus haut » dit le dictionnaire. Les genoux, les jambes, la gorge, la tête en comprennent le sens. Il faut marcher, grimper, en enfonçant les crampons dans la neige. La fonte laisse découvrir quelques pierres, certaines énormes qu'il faut franchir malgré le poids des chaussures et le corps tout emmitouflé. respirer. « Les habitants de La Paz ? sabrina Perrissin/CC-by-3.0 Des hommes d'altitude ? ». quel mensonge ! L'oxygène manque et c'est à ce moment que l'on se rend compte qu'on vue sur l'altiPlano et la faCe sud du a un cœur. On dirait que la tête va exhuayna Potosi ploser. De l'eau ! De la feuille de coca ! [...] avoir confiance. Les guides ne cessent d'encourager le groupes de novices : journalistes, fonctionnaires, conseillers municipaux, Maire de zongo. Tous encordés, on ressent la peur mais surtout l'assurance de ne pas être seul. Au moindre problème, les autres sont là. atteindre le sommet. Neuf heures et demi. Les experts disent que la face nord est la plus facile et qu'on peut la gravir en cinq heures, six heures au maximum. Nous en sommes à dix ! Le sommet est presque là, il ne reste plus skykid 123ve/CC-by-3.0. que quelques mètres... L'objectif à atteindre est un petit replat vertigineux. diffuser. Le maire adoint de zongo, Javier quispe s'émerveiller. Le paysage qui s'offre au sommet est à Poma, a trente ans et a gravi pour la première fois « sa » couper le souffle. La Cordillère royale en entier. […] montagne. Il est épuisé. Il a fait cet effort parce qu'il Au loin, le lac Titicaca et l'Illimani qui semble lui aussi souhaite que plus de monde vienne jusqu'ici. Les nous défier. « C'est un monstre », nous dit Elio, qui guides sont là pour le soutenir mais il a encore besoin connait cette montagne et la respecte. « Comme le d'appuis pour, par exemple, mieux aménager le refuge. Huayna. Le pire qui puisse arriver est d'avoir trop Il veut également se battre pour faire disparaître les déconfiance. Nous le savons après avoir gravi toutes ces chets laissés par l'homme dans la montagne. Une guide cimes, et marché sur les glaciers, au bord des cred'une autre entreprise suggère de diversifier les activivasses ». [...] tés dans la montagne, Elio pense d'ailleurs que l'on vaincre. « Tu te vaincs toi même, pas la montagne. pourrait skier ici. D'autres, enfin, souhaitent que la Elle, elle est là, imperturbable, et n'a que peu de consicommune agisse pour que la mairie de La Paz aide à dération pour toi », nous confie un montagnard argenabaisser les coûts (l'équipement étant un peu coûteux) tin. « C'est pour cela que lorsqu'on n'arrive pas au bout, pour attirer plus de jeunes. on a un peu honte parfois ».

source : franco Mabel, "huayna Potosi - los verbos de la montaña", la razón, 12 août 2012, www.la-razon.com 35


traversée de laMas sur la route du huayna...

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