BIKINI SEPTEMBRE-OCTOBRE 2020

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SEPTEMBRE-OCTOBRE 2020 #48



TEASING

À découvrir dans ce numéro...

«LES ZINZINS DE L’ESPACE»

CAMPAGNE

BACHELOT

ZADISTES

EXODE

«LA MORT DU COCHON LA FASCINAIT»

TRUMP

ANTENNE 5G


ÉDITO

TOP 15 DES CHOSES QUI NOUS MANQUENT - La moiteur tropicale d’une salle de concert bondée - L’excitation des quelques minutes précédant le début d’un live (où t’es prêt à t’enflammer alors que c’est juste un technicien qui traverse la scène) - Entendre un « La Bretagne, ça vaaaaa ? » - L’effervescence quand un festoche dévoile sa prog, y compris les festivals où t’as aucune chance d’aller (« wowowow Coachella ! ») - Le matos spécial “camping festival” qui prend la poussière dans le garage : tente Quechua, chaise pliante Décath’, bob Cochonou… - Être coupé du monde pendant trois jours - Boire des bières dès le matin, histoire de relancer la machine avant les concerts de l’aprem - Se lancer avec enthousiasme dans un pogo... avant d’en sortir au bout de deux minutes (ouais, on vieillit) - Voir qu’il te reste encore des sous sur ton compte cashless - Un concert de Cali (blague) - Le faux suspense du rappel (« ils ont pas rallumé, ils vont revenir, t’inquiète ») - Les stickers des Gérards (“ Sean Paul II ” <3) - Compléter sa garde-robe en faisant un tour au stand de merch - Les jeux de mots pourris (mais drôles quand même) dans les pages festivals du Télégramme - Retrouver à la fin de l’été des gobelets de festoches sous son siège de bagnole La rédaction

SOMMAIRE

6 à 11 12 à 21 22 à 29 30 à 33 34 à 39 40 à 45 46 à 49

WTF : Amérique, états généraux des festivals, brasseurs & bars... « La tentation de la ZAD » Les zinzins de l’espace Demain, tous néo-ruraux ? Cassette is not dead RDV : Lucie Antunes, Barbara Rivage, Poing, Teenage Bed... Madeleine de Sinéty : l’hymne de nos campagnes

50 BIKINI recommande 4

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Ce numéro a été bouclé le 20 août. Si annulation ou report de spectacles en raison de la crise sanitaire, consulter les sites des salles et festivals.

Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Richard Baker / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2020.



WTF

L ’AMÉRIQUE DANS TOUS SES (50) É TATS

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BON ANNIF !

L ’AUTOMNE 2020 EST MARQUÉ PAR LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES AMÉRICAINES. L’OCCASION POUR QUATRE STRUCTURES CULTURELLES DE PROPOSER UNE PROGRAMMATION SPÉCIALE « ZE YOUNAÏTEED STAYTS OF AMÉRIKA » .

Piloté par l’équipe de Polarité[s], le Novomax fête ses cinq ans. Pour son anniversaire, la salle de musiques actuelles de Quimper prévoit trois jours de nouba (si les mesures sanitaires le permettent…) Parmi les invités : Sheer-K, The Red Goes Black, Ko Ko Mo, Mezerg… Du 1er au 3 octobre.

Féminines, c’est le nom du spectacle de l’autrice et metteuse en scène Pauline Bureau retraçant l’épopée de la première équipe de football féminine de France. Une aventure lancée à Reims en 1968 par une bande de jeunes filles qui n’avaient peur de rien, et surtout pas de gagner. Du 10 au 12 novembre au Théâtre de Cornouaille à Quimper.

ÉTÉ INDIEN

dehors

Un week-end itinérant à travers le pays de Lorient, c’est le programme de “Dehors”, deux jours imaginés par l’équipe de L’Hydrophone. Des DJ sets nomades pour célébrer la fin de l’été qui investiront la glacière du port de pêche, la Maison Glaz à Gâvres… Les 12 et 13 septembre. 6

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Pierre Grosbois

MISE OVAIRES

LE GRAND SOUFFLET ATLANTIQUE JAZZ Instrument de musique intimement lié à la conquête de l’ouest américain, l’harmonica est mis en valeur par le festival brétilien du Grand Soufflet pour son édition 2020 : concerts (Les Tontons Souffleurs, Diabolo…) et conférences sur le sujet (dont une à l’Institut franco-américain à Rennes). Quand ? Du 30 septembre au 10 octobre en Ille-et-Vilaine

Pour sa 17e édition, la part belle sera donnée à la musique américaine à l’Atlantique Jazz Festival avec au programme Mike Ladd, l’organiste Rhoda Scott (photo) ou encore un hommage au bluesman Skip James. Quand ? Du 27 septembre au 13 octobre à Brest et en Bretagne

LES AMÉRICAINS

Le festival Les Indisciplinées a décidé de dédier une soirée à l’Amérique Prix Nobel de littérature, l’écrivaine avec cet ambitieux ciné-concert autrichienne Elfried Jelinek tente avec (composé par Andy Moor, Josh Sur la voie royale de comprendre Begley, DJ Rupture et Anne-James comment les Américains ont pu Chaton) où se mêlent musique, art mettre Trump à la Maison Blanche. vidéo, littérature et performance, Une attaque au vitriol adaptée au pour proposer aux spectateurs un théâtre par Ludovic Lagarde. kaléidoscope des USA d’hier et Quand ? Du 10 au 14 novembre d’aujourd’hui. à l’Aire Libre à Saint-Jacques-de- Quand ? Le 10 novembre au la-Lande Théâtre de Lorient

SUR LA VOIE ROYALE



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ÉTATS GÉNÉRAUX DES FESTIVALS : QUE FAUT-IL EN TRÈS VITE APRÈS SA NOMINATION COMME MINISTRE DE LA CULTURE, ROSELYNE BACHELOT A ANNONCÉ LA TENUE D’ÉTATS D’APPORTER DES SOLUTIONS À UN SECTEUR (QUASI) À L ’ARRÊ T DEPUIS MARS. ENTRE ESPOIRS ET CRAINTES, LES ACTEURS « Se projeter dans l’avenir », imaginer « un modèle viable de festival » et « envisager une meilleure coopération des territoires » : voilà les contours – encore flous – que dessinait Roselyne Bachelot lors de son annonce, fin juillet, des états généraux des festivals. Ceux-ci sont prévus logiquement en septembre (« tout de suite après la fin de l’été ») et doivent se tenir en Avignon. Si certaines mesures (comme celle sur la distanciation physique) pourraient être prises d’ici là*, les organisateurs d’événements, lourdement touchés depuis le début de la crise sanitaire, attendent des réponses et des solutions pour passer le cap. FRANÇOIS FLORET, DIRECTEUR DE LA ROUTE DU ROCK :

« Pour retrouver un peu de sérénité, il faut qu’on se sente soutenus sur la durée, notamment par le biais de subventions qui représentent environ 15 % du budget du festival. Pour une structure telle que la nôtre, c’est important pour payer nos frais fixes : salaires, loyers, etc. Heureusement, on a eu en France un soutien que beaucoup de pays nous envient, comme le chômage partiel par exemple. Maintenant, il faut qu’on puisse avoir un cadre sanitaire clair permettant l’accueil du public. Et concernant les prochaines programmations, on doit aussi savoir ce qu’il en est des artistes étrangers. Pour nous qui faisons venir beaucoup d’Anglo-Saxons, les fermetures de frontières telles qu’elles se pratiquent ces derniers temps ne sont jamais une bonne nouvelle. » 8

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JÉRÔME TRÉHOREL, DIRECTEUR DES VIEILLES CHARRUES :

« Les états généraux de la culture sont prévus pour septembre, mais des mesures doivent être prises d’ici là. Nous sommes tous dans un flou artistique que nous ne comprenons pas vu l’ampleur de la situation. Roselyne Bachelot dit en avoir conscience, nous attendons de voir cela. À l’heure actuelle*, je n’en sais pas plus sur le cadre de ces états généraux. Je n’ai pas été consulté ou approché à ce sujet. Nous espérons des réponses forcément, mais ça fait depuis mars que nous en attendons. Dans les possibles mesures annoncées, j’attends des aides financières, un maintien du chômage partiel… Il faudra des mesures d’accompagnement, sans doute jusqu’en août 2021.

Aucune entreprise ne peut arrêter ses activités pendant six mois. Aujourd’hui, l’objectif est d’éviter la faillite de boîtes et la perte d’emplois. J’ai peur que ce soit une hécatombe, surtout dans un secteur aussi interdépendant que celui de la musique live (la moitié des entreprises de spectacle vivant seraient menacées de faillite, selon le syndicat Prodiss, ndlr). Pour que ces états généraux nous permettent d’avancer, il faut que les acteurs culturels soient écoutés. Après les attentats de novembre 2015, les organisateurs de spectacles ont su être forces de propositions, s’adapter et revoir les protocoles en matière de sécurité, afin de pouvoir rouvrir les salles et festivals. On s’est tous mis autour de la table pour que cela soit possible. »


ESPÉRER ? GÉNÉRAUX DES FESTIVALS. AVEC L’OBJECTIF CULTURELS RESTENT DANS L’EXPECTATIVE.

ADRIEN GAILLARD, COFONDATEUR DU FESTIVAL DU ROI ARTHUR :

« Autant que possible, on attend plus de visibilité et de rigueur dans les décisions. Jusqu’à présent, les mesures manquent de clarté. Où et quand porter des masques ? Quelle jauge respecter par rapport à quel espace ? Il faut aussi donner un allant pour permettre au monde de la culture de se tourner vers 2021. Il faut remotiver les troupes et permettre de reprendre espoir pour commencer à se projeter plus sereinement sur la prochaine édition. Reste qu’en l’état, impossible de prédire les mesures sanitaires et d’accueil qu’il nous faudra faire respecter. S’il faut qu’on commence à interdire les pogos parce qu’ils ne sont pas conformes avec les règles de distanciation, on n’a pas fini… » * Ce numéro a été bouclé le 20 août 9


WTF

LES BRASSEURS AU COMPTOIR Skumenn à Cesson-Sévigné dès cet automne et Tri Martolod à Concarneau dans le courant de l’année prochaine : deux brasseries majeures dans le paysage breton s’apprêtent à ouvrir leur propre bar (avec horaires tardifs certains soirs) sur le lieu même de leur production. « L’envie mûrit depuis un an et demi, explique Frédéric Leschallier de la brasserie de l’agglo rennaise. C’est moins une nécessité économique qu’un moyen d’affirmer notre identité avec un espace à nous où on peut travailler la déco et faire venir des artistes en adéquation avec notre ADN. »

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DEUX BRASSERIES LOCALES ONT POUR PROJET D’OUVRIR LEUR PROPRE BAR SUR LEUR LIEU DE PRODUCTION. IDENTITÉ RÉAFFIRMÉE, PRÉSENCE SUR LE TERRITOIRE ET CIRCUIT-COURT : UN POSITIONNEMENT QUI A SES ATOUTS.

Pour le boss de Tri Martolod, Mikaël Le Breton, l’idée est surtout « d’avoir un lieu en dur pour installer la brasserie sur son territoire. On a depuis longtemps l’habitude d’organiser des événements chez nous mais il faut à chaque fois tout monter et démonter… » Pour impliquer les habitués de la bière finistérienne, le projet fait

l’objet d’un financement participatif. « Pour eux c’est aussi l’assurance d’avoir un lieu avec un prix plancher grâce au circuit court : 2 € le demi. » Un tarif forcément tentant. Ouvrir son propre bistrot, Coreff, poids lourd de la bière en Bretagne, s’y refuse. « C’est délibéré, assure son directeur Matthieu Breton. On n’a pas envie de faire de la concurrence aux bars de Carhaix, déjà que c’est compliqué pour eux en ce moment… On a la chance de pouvoir bouger pour proposer nos bières un peu partout, eux sont sédentaires. Quelque part, ce serait déloyal de venir sur leurs plates-bandes. »

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MAKE AMERICANA GREAT AGAIN

S’il est originaire du Val-de-Marne, c’est vers les bayous du sud des États-Unis que Theo Lawrence lorgne avec sa country pop teintée d’americana, de blues et de soul. La tournée promo de Sauce Piquante, son dernier album sorti peu avant le confinement, passe par L’Échonova à Saint-Avé le 9 octobre, l’Ubu à Rennes le 11 octobre et le Run ar Puñs à Châteaulin le 21 novembre.

LE MASQUE ET LA PLUME La quatrième édition du festival vannetais Les Émancipéés (avec deux accents aigus) devait se tenir du 23 au 29 mars. Elle est décalée du 28 septembre au 5 octobre. Ça se passe toujours au Palais des Arts, avec la même double thématique chansons & littérature. À l’affiche, entre autres, Aloïse Sauvage, Jeanne Cherhal, Vincent Delerm et un spectacle de Fabcaro. 10

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Erwan Pianezza

DOSSIER

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« LA TENTATION DE LA ZAD »

MANIF, OCCUPATION, INCENDIE… LES ACTIONS CONTRE LES PYLÔNES TÉLÉPHONIQUES SE MULTIPLIENT. L’ARRIVÉE DE LA 5G FERA-T-ELLE DE CES MILITANTS LES NOUVEAUX ZADISTES ?

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DOSSIER

ne dizaine de plots en béton sont disposés en travers du chemin. De chaque côté du sentier, deux cahutes en bois ont été dressées. À l’entrée du champ, des pancartes longent la route et alertent les passants du combat qui se joue ici. Comme dans une partie de Risk, chacun a disposé soigneusement ses pions, prêt à attaquer ou répliquer. Car en cette fin de journée du mois de juillet, au lieu-dit Ty Nevez Leustec à Locronan, dans le Finistère, nous sommes au cœur d’une bataille entamée il y a maintenant plus d’un an. « C’est au printemps 2019 qu’un riverain a soulevé le lièvre en découvrant, totalement par hasard au milieu de la végétation, un panneau de chantier, annonçant la construction d’un pylône téléphonique de 40 mètres par l’opérateur Orange », rembobine Erwan Pianezza, Locronanais de

47 ans et ancien conseiller municipal entre 2007 et 2012. Ici, personne n’était au courant de ce projet. Il n’y avait eu aucune réunion publique, aucune communication de la part de la mairie... » Très vite, un collectif rassemblant des riverains et des habitants de la commune se met alors sur pied avec un objectif simple : empêcher l’implantation de l’antenne-relais. « Les raisons sont diverses : le risque présumé des ondes électromagnétiques sur la santé, la dévaluation de nos maisons, l’impact visuel pour Locronan classé comme l’un des plus beaux villages de France, le fait que cela s’implante sur le parcours sacré de la troménie, le manque de démocratie locale… », énumère Manu Queinnec, paysagiste de 44 ans résidant à 300 mètres du site, qui craignait un lancement des travaux avant la rentrée (cet article a été bouclé à la mi-août).

« Pendant quinze jours, on s’est relayé sur place » 14

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En attendant, le collectif a multiplié les actions : des conférences, une rencontre infructueuse en préfecture avec des représentants d’Orange, des manifestations (dont une marche qui a rassemblé près de 200 personnes le 27 juin), un recours au tribunal administratif (« toujours en attente de sa recevabilité »)… Sans oublier une occupation de terrain. « Pendant quinze jours, on s’est relayé sur place. Nous avions été informés de l’arrivée de techniciens. On était là pour les accueillir. Les champs ont des oreilles ici !, se marre Erwan. S’il faut le refaire, on le refera. »

La 5G, nouvel épouvantail

Une mobilisation anti-antennes qui semble grossir de plus en plus sur l’ensemble du territoire. De Locronan à Rennes, en passant par Moëlan-sur-Mer, Languénan, Brest ou encore Plaintel et Saint-Malo, chaque projet d’installation se voit dorénavant contesté. Un phénomène loin d’être nouveau, mais qui s’est intensifié ces derniers mois avec l’arrivée de la 5G, la prochaine génération de technologie mobile


Photos : Bikini

qui doit booster ses performances : un débit multiplié par dix, un délai de transmission considérablement réduit, une capacité à supporter un grand nombre d’usagers… Un nouveau standard qui, en cette rentrée, va passer un cap avec l’attribution des fréquences que vont se partager Orange, SFR, Bouygues et Free. Avant un déploiement du réseau grand public qui devrait débuter d’ici la fin 2020/début 2021 dans les premières métropoles françaises. Une technologie devenue le nouvel épouvantail des anti-antennes. Même si aujourd’hui aucun projet de pylône n’intègre la 5G (les demandes actuelles de permis de construire ne mentionnent que la 3G et 4G), tous les opposants craignent sa future mise en route, les opérateurs ayant la possibilité de faire évoluer librement leurs équipements. D’abord porté par les riverains de ces antennes, ce débat a gagné de nouveaux cercles, y compris politique. Le député France Insoumise François Ruffin est récemment monté au créneau sur ce sujet à l’Assemblée nationale et de nombreux maires (dont Pierre 15


Photos : Bikini

DOSSIER

Hurmic à Bordeaux et Éric Piolle à Grenoble, tous deux écologistes) demandent un moratoire, craignant une augmentation de la consommation énergétique (lire ci-dessous). Un contexte de défiance qui encourage les collectifs locaux à ne rien lâcher, malgré la demande (également compréhensible) d’une partie des habitants à disposer d’une couverture mobile optimale. « Il y a bien quelques endroits où on capte mal dans la com-

mune, mais la quasi totalité est tout sauf en zone blanche On peut donc s’interroger. C’est quoi l’intérêt : être toujours plus connectés, joignables à tout moment, entourés d’objets technologiques ? Nous sommes là sur un choix de société. C’est désormais le combat qui nous anime », développe Manu à Locronan, également membre d’un collectif à l’échelle du Finistère regroupant une quinzaine de comités locaux.

Virginie Hervieux en fait elle aussi partie. Formatrice en agriculture biologique, cette trentenaire habite à Treffiagat, commune du Pays bigouden qui, début juin, a vu s’ériger une antenne-relais Orange, près du stade de foot et du terrain de basket. « L’installation s’est faite en moins de 24 heures, peste la jeune femme. Les techniciens sont arrivés à 6 h du mat, accompagnés d’un vigile, et ont terminé les travaux à 23 h. Ça faisait un boucan d’enfer. » Une façon de faire, jugée « expéditive », que dénonce Virginie et la dizaine de voisins avec qui elle s’est associée. « D’autant plus que les travaux pour la dalle béton ont été réalisés pendant le confinement. Comme s’ils voulaient le faire le plus rapidement possible et à l’abri des regards. Cela ressemble à un passage en force. » Pointée du doigt par le collectif de riverains : la loi Elan qui permet aux opérateurs d’accélérer le déploiement d’antennes et de ne plus devoir

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« L’AUGMENTATION DU TRAFIC DÉPASSERA LE GAIN D’ÉNERGIE » Olivier Ridoux, chercheur à l’Irisa (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) à Rennes La 5G est-elle plus économe en énergie que la 4G ? Elle permet effectivement d’utiliser moins d’énergie par unité d’information. Pour un débit identique, la 5G est plus performante. Le problème, c’est qu’on va en profiter pour faire passer beaucoup 16

plus de choses. Avec cette technologie, nous allons augmenter les volumes échangés. De grandes entreprises du numérique tablent sur le déploiement de la 5G pour développer leurs activités. Dans le domaine des jeux vidéo et du streaming notamment. In fine, l’augmentation du trafic dépassera largement le gain d’énergie. On va perdre d’un côté ce qu’on a gagné de l’autre. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.

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Avec cette hausse du trafic, quel sera l’impact sur l’ensemble du réseau ? La 5G est un protocole de “bout de ligne”, un protocole entre l’antennerelais et le smartphone. Mais si on augmente le trafic entre ces derniers, cela veut aussi dire qu’il faut augmenter le trafic à l’intérieur du réseau. C’est un peu comme notre système sanguin : il y a les grosses artères, les veines et les capillaires au bout des doigts. Si jamais on

arrivait à augmenter le débit dans les capillaires, on épuiserait le cœur. Avec la 5G c’est pareil. Pour continuer à fonctionner correctement, c’est toute l’infrastructure qui va devoir s’adapter et assumer ce nouveau débit. Qui dit 5G, dit également nouveaux téléphones compatibles… Pendant une certaine période, qui pourrait être assez longue, les différents systèmes vont coexister.


consulter les municipalités dès lors que le permis de chantier est délivré. Ce que déplore Nathalie Carrot-Tanneau, maire nouvellement élue à Treffiagat. « J’ai pris contact avec Orange dans l’espoir de rediscuter le lieu d’installation du pylône. Nous aurions aimé un site plus isolé et plus éloigné des équipements sportifs, mais l’opérateur n’a malheureusement pas voulu négocier. On ne peut que le regretter », fait savoir l’édile qui précise néanmoins qu’un « affichage en mairie et des articles dans la presse locale ont informé la population de Treffiagat. Ce n’était pas une surprise ». Informés, les habitants de Saint-Cadou, au cœur des Monts d’Arrée, le sont. Sur le pied de guerre depuis qu’ils ont vu fleurir un panneau de construction au lieu-dit Menez Du en décembre 2019, la douzaine d’agriculteurs bio refusent de voir pousser une antenne Free de 35 mètres au milieu de leurs champs. Ils ont ainsi fondé le collectif Kurun (“tonnerre” en breton). « Nous voulons que ce coin reste le plus protégé. Tout le monde ne passera pas à la 5G du jour au lendemain. Nous aurons donc aura la somme des impacts de la 3G, de la 4G, de la 5G… Si le renouvellement du parc ne va pas se faire d’un coup, cela incitera malgré tout de nombreux utilisateurs à changer de smartphones plus tôt que prévu. Ce qui d’un point écologique n’est pas l’idéal car l’impact de fabrication est largement supérieur à l’impact d’utilisation. La bonne chose à faire serait de prolonger la durée de vie de son téléphone. Raisonnablement, le conserver trois au lieu de deux ans représenterait déjà un gain énorme en termes de ressources, de matières premières et d’énergie. 17


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Pas de pesticides, pas de pollution… et pas d’ondes électromagnétiques dont nous ne savons finalement pas grand chose. Faisons en sorte de préserver le vivant ! », proclame Jakez Perros, éleveur de brebis et de moutons. « Si j’ai choisi de déménager à SaintCadou, c’est pour son caractère sauvage. Je pense même que le fait d’être une zone blanche est un atout de la commune pour attirer des personnes qui souhaitent vivre sans être envahies par la technologie. On a des lignes fixes pour téléphoner et de l’Internet filaire pour travailler, ça suffit amplement », abonde Ludivine Verbeke, traductrice freelance de métier, qui a rejoint Kurun avant tout pour le volet santé : « Tant qu’il n’y a pas d’études affirmant que les ondes électromagnétiques sont inoffensives (actuellement, l’OMS les classe simplement comme « cancérogènes possibles », ndlr),

le principe de précaution devrait s’appliquer. Idem pour la 5G. D’ici dix ou vingt ans, cela peut être un scandale sanitaire, comme l’amiante l’a un jour été. Je trouve qu’on n’en a pas assez conscience. Avec le collectif, on essaie d’alerter la population. »

Fin juillet, une quarantaine d’entre eux s’étaient réunis à Kernascléden, près de Pontivy, pour échanger sur « les champs électromagnétiques, la 5G, les vaccins, Bill Gates, les armes psychotroniques, Didier Raoult… » Des profils bigarrés, sensibles à certaines thèses complotistes, qui « Une colère qui monte » représentent une part (minoritaire) Ce qu’essaie également de faire des anti-antennes. Danièle Bovin, présidente de l’asso- S’ils sont aussi inquiets pour leur ciation des Citoyens éclairés, qui se santé, les membres de Kurun à définit comme “électrosensible” : Saint-Cadou tentent de leur côté de « J’ai des maux de têtes et des sen- démêler le vrai du faux en matière de sations de brûlures lorsque je suis risques sanitaires. Quitte à jouer les proche d’une antenne-relais ou cobayes. C’est ainsi qu’une quinzaine d’une ligne électrique », explique de riverains de Menez Du se sont cette Morbihannaise de 62 ans. Une dernièrement donné rendez-vous pathologie qui peine à être considérée au petit matin pour un happening en France. L’Anses (agence nationale surprenant : une prise de sang collecde sécurité sanitaire) reconnaît les tive. Parmi les premières volontaires à souffrances mais précise qu’il n’existe passer sous l’aiguille : Marie Gerbes, pas de preuve reliant les ondes à ce arboricultrice de 41 ans. « Nous réasyndrome. Au grand dam de ces lisons une analyse sanguine avant malades autoproclamés. l’arrivée de l’antenne. Et – si elle est un jour installée – nous en referons une pour comparer nos taux de globules blancs, rouges, plaquettes… Cela nous permettra d’avoir une preuve en cas de dégradation de notre état »,

« Incendie du pylône et

lettre de menace de mort » 18

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explique cette mère de deux enfants. Une action pour le moins étonnante, en attendant d’autres plus spectaculaires, pour ne pas dire en dehors des clous ? Ces dernières semaines, plusieurs antennes ont connu des dégradations en Bretagne : à Brest, Plaintel ou encore Languénan, des équipements ont été incendiés. « Le bloc technique du pylône a entièrement brulé. Une enquête est actuellement en cours, indique Didier Morain, premier adjoint à la mairie de Languénan, dans les Côtes d’Armor, où l’ambiance est loin d’être folichonne. L’an passé, une lettre de menace de mort a été reçue par un élu. Elle faisait référence à l’antenne. » Si l’ensemble des collectifs interrogés affirment rejeter les formes d’actions violentes, ils reconnaissent néanmoins « une colère qui monte ». Tous font référence à Plogoff et à sa forte mobilisation populaire (tournant parfois à des affrontements violents) pour s’opposer à la construction d’une centrale nucléaire dans les années 80. « Si les techniciens de Free débarquent un jour, on sera là et on fera venir du monde », prévient Jakez à Saint-Cadou. « Avant l’installation de l’antenne, nous 19


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avions symboliquement revégétalisé la dalle béton, rapporte Virginie à Treffiagat, également membre d’Extinction Rebellion, asso écologiste qui manifeste par des actions nonviolentes de désobéissance civile. Nous nous opposons clairement à toute dégradation. Pour autant, si un jour quelqu’un fait brûler le pylône à titre individuel, on ne le soutiendra pas, mais on ne dénigrera pas. » Chercheuse au CNRS et à Sciences Po Rennes, Sylvie Ollitrault a pas mal bossé sur les collectifs antiantennes. Selon elle, le manque de concertation avec les opérateurs téléphoniques (contactés, Orange et SFR ont refusé de s’exprimer sur ce point) explique en partie cette protestation, qui pourrait s’intensifier. « La radicalité des actions est envisageable puisque l’ensemble de la contestation environnementale est traversé par le recours à la désobéissance civile. De nombreux groupes sympathisants du mouvement des ZAD soutiennent des contestations

qui, à l’origine, relèvent d’une préoccupation d’habitants non politisés. » « Des militants radicaux nous ont déjà approchés, confesse Erwan à Locronan. C’est sûr qu’il y a la tentation de la ZAD : une occupation et un blocage qui permettraient d’empêcher l’antenne de se monter. » « Cela peut être efficace, mais ce n’est pas le positionnement du collectif, modère son collègue Manu. Nous avons d’autres armes avant cela : le recours au tribunal administratif notamment. » Si elle a été interrogée par les gendarmes pour l’incendie à Languénan (« ils se sont vite rendus compte que je n’y étais pour rien »), Clémence Sabourin a elle choisi le terrain judiciaire. Cette infirmière, qui habite à 160 mètres du pylône, a fait une croix sur son budget vacances pour embaucher un avocat. « 4 000 € en tout. C’est une somme c’est sûr, mais c’est le moyen qui me semble le plus efficace pour obtenir un résultat. » Un recours a été déposé au tribunal

administratif. « On va contester le plan local d’urbanisme. Le terrain de l’antenne a été passé de zone naturelle à zone agricole... » Une voie légale qu’ont également emprunté les collectifs de Moëlan-surMer ou encore de La Roche-Maurice, dans le Finistère. Avec une certaine efficacité pour ce dernier : Orange a dû abandonner son projet d’antenne sur le site du Lez, pour des raisons d’intégration paysagère.

« DEUX RISQUES MAJEURS : L’ESPIONNAGE ET LE SABOTAGE »

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Julien Nocetti, enseignantchercheur à Saint-Cyr Coëtquidan Avec l’arrivée de la 5G, faut-il craindre une hausse des cyberattaques ? Plus vous reliez différents types d’appareils entre eux, plus vous entrainez mécaniquement un risque de vulnérabilité. Cela multiplie les failles potentielles, sachant que la plupart de ces objets 20

n’ont pas été conçus pour être réellement sécurisés. Prenons la voiture autonome par exemple. Les constructeurs en sont encore à un stade assez embryonnaire et ils ne se sont pas du tout penchés sur la sécurisation. Quels types de structures peuvent être ciblées ? Des sites industriels, du mobilier urbain, des équipements routiers… Les hôpitaux et opérateurs de santé représentent l’un

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des secteurs les plus à risques. Avec la convoitise que suscitent les données personnelles et médicales, on peut imaginer l’appétit de nombreux acteurs pour les récupérer. Autre utilisation visée : le télétravail. La 5G multipliera le recours aux outils où on dépose des documents et où circulent de plus en plus de données. À quoi peuvent ressembler ces futures attaques ? Il y a deux risques

majeurs : l’espionnage et le sabotage. L’espionnage, le vol d’informations, c’est quelque chose d’assez classique. Le nouveau risque, plus élevé en l’occurrence, est celui de sabotage. Exemple : si un pays (prenons la Chine) construit le futur réseau 5G en France (ce qui n’arrivera pas) et si la France prend une position ferme sur un dossier chinois, on peut imaginer des représailles, comme une coupure du réseau, partielle ou totale.


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Une issue favorable qu’a également connue le collectif de riverains de la rue des Celtes à Quimper. En saisissant l’ANFR (agence nationale des fréquences), il a réussi à faire désinstaller un des émetteurs de l’antenne située à seulement 12 mètres (!) de la première habitation. « Nous faisions partie des cas dits atypiques. Le niveau d’exposition était alors de 11,3 volts par mètre, alors que l’ANFR préconise 6 V/m. Aujourd’hui, nous sommes à 2,2. C’est rassurant, même si on aimerait que ce seuil soit plus bas, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, éclaire Édouard Bensoussan, un des riverains, qui suivra de près le dossier 5G en cette rentrée. Il y a des raisons d’être inquiets vu les performances annoncées de cette technologie. Si un jour on vient nous l’installer, on s’y opposera. » De son côté, l’Anses annonce qu’elle dévoilera les conclusions de son étude d’évaluation des risques sanitaires de la 5G « d’ici la fin 2021 ». Un timing qui fait bondir les collectifs. « Cela fera déjà plusieurs mois qu’elle sera en place. Même si sa dangerosité est démontrée, cela sera trop tard pour faire marche arrière. Voilà pourquoi il faut se mobiliser dès aujourd’hui. »

Julien Marchand 21


DOSSIER

LES ZINZINS DE L’ESPACE

L’ACTUALITÉ SPATIALE CONNAÎT UNE ANNÉE 2020 À FOND LES BALLONS. AU PLUS GRAND BONHEUR DES ASTRONOMES BRETONS PRÊTS À DÉCOLLER. 5, 4, 3, 2, 1, 0.... FRRRRRRRR !!! 22

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DR

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DOSSIER

l y a 38 ans, en juin 1982, Jean-Loup Chrétien devenait le premier français à effectuer une mission spatiale à bord du vaisseau soviétique Soyouz T-6. Celui qui a fait ses études à Morlaix et SaintBrieuc aura-t-il bientôt un successeur breton ? Dans cette course à l’espace, un nom émerge : Antoine Bocquier, 24 ans, qui a grandi à Plabennec et qui est actuellement scolarisé à Centrale Lille en ingénierie. Malgré son jeune âge, le garçon possède déjà un solide CV : un stage chez Thalès à Turin dans un projet de mission martienne, puis un contrat auprès d’une compagnie luxembourgeoise fabricant des petits robots pour des missions vers la Lune. « Ces derniers mois, j’étais aussi en Suède à l’école royale polytechnique de Stockholm, dans un double cursus en ingénierie spatiale. » Pour le dire trivialement, Antoine bûche comme un malade pour réaliser son rêve : faire un jour partie d’une mission d’exploration extraterrestre. « Mais devenir astronaute n’est pas un projet de carrière en soi, relativise-t-il. Il y a une phase de sélection par décennie, avec six ou sept lauréats sur plusieurs milliers de candidats. C’est un objectif que je garde en tête mais il faut pouvoir dans le même temps explorer de nouvelles voies : la recherche scientifique, l’entreprenariat... Le spatial est un domaine d’activité très vaste et en plein développement. » Un domaine qui le fait rêver depuis tout gamin et qu’il a vraiment pu éprouver IRL en décembre 2018 en participant également à une mission de simulation en plein désert de

l’Utah, aux États-Unis, où est installée une base habitée reproduisant les conditions de vie d’un équipage en milieu isolé. Son nom : la Mars Desert Research Station (MDRS), un des centres d’expérimentation de la Mars Society, organisme international existant depuis une vingtaine d’années et ayant pour but de promouvoir l’exploration et la colonisation de la planète rouge.

« Superstars »

« Hormis l’atmosphère terrestre qui est gardée en l’état, tout le reste doit permettre de tester une possible vie là-bas : sorties en scaphandre pour reproduire les contraintes de mouvement, contacts avec l’extérieur limités au strict minimum et décalés de vingt minutes pour reproduire la distance Terre-Mars, nourriture en poudre, ressources limitées en énergie… » Le tout pendant deux semaines, en équipage de six à dix personnes.

« Tester une possible vie

sur la planète rouge » 24

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La tête vers les étoiles, Charles Frankel l’a également eue pendant un bon moment. Franco-américain, il a mené dans les années 70 des études dans le domaine en Arizona et dans le Vermont, avant de lâcher l’affaire au moment même où le gouvernement US mettait un coup de frein à son programme spatial. « C’était les années Reagan, la fin des missions Apollo… La chute du bloc soviétique dans les années suivantes n’a pas aidé non plus : les deux géants se faisaient concurrence, ce qui a permis une forte émulation et de spectaculaires avancées. » Le sexagénaire morbihannais a néanmoins toujours gardé intact sa passion, faisant carrière dans la vulgarisation scientifique via des bouquins, côtoyant de fameux astronautes tels Pete Conrad de la mission Apollo 12 et Alan Shepard de la mission Apollo 14 (« De vraies superstars. Et de vrais déconneurs! »). Il a aussi participé à plusieurs missions de la Mars Society (en Arctique notamment) et suit de près l’actu spatiale. « Et en ce moment, reconnaît-il, je suis gâté. »


Photos : DR

L’année 2020 restera effectivement comme historique pour le secteur. Il y a d’abord eu l’envoi très médiatisé dans l’espace de deux astronautes par SpaceX, une grande première pour une compagnie privée. Il y a eu ensuite, toujours concernant la firme d’Elon Musk, la confirmation pour Thomas Pesquet qu’il fera partie des prochains à s’envoyer en l’air avec la capsule Crew Dragon, direction la station ISS où il a déjà séjourné en 2016-2017. Il y également la volonté américaine de renvoyer des hommes sur la Lune, même si l’objectif de 2024 fixé par Donald Trump est considéré comme irréalisable par la grande majorité des experts. Il y a, enfin, l’envoi quasi simultané de trois sondes vers Mars par trois pays différents (par ordre chronologique les Émirats arabes unis, la Chine et les États-Unis) pour scruter une planète que l’homme rêve de coloniser. Pour Charles Frankel, « ce n’est désormais qu’une question de temps ». Il partage avec Antoine Bocquier une même vision : « La clé pour réussir est de trouver sur place la matière première pour que les astronautes puissent vivre et repartir sur Terre. Il faut retrouver 25


DOSSIER

l’esprit des explorateurs du Nouveau Monde : quand Magellan est parti avec ses caravelles, il n’emmenait pas de quoi faire le voyage retour. Il prenait le risque de trouver sur place de quoi revenir en Europe avec ses hommes. » Prof de physique-chimie dans un lycée à Vannes, Thomas Appéré a aussi son avis sur la question. Ancien thésard en astrophysique, il a longtemps travaillé sur la planétologie (la géologie des autres planètes que la Terre) et estime que la clé de la conquête martienne réside effectivement dans la roche martienne. « Avec l’arrivée d’acteurs privés comme SpaceX mais aussi Blue Origin, sans oublier la nouvelle concurrence géopolitique avec la Chine, on peut estimer raisonnable de fixer un objectif à 2050 pour envoyer un vaisseau habité vers Mars. »

Moins optimiste, Priscilla Abraham ne voit actuellement « aucune possibilité » d’envoyer des hommes vers la quatrième planète du système solaire. « Le problème, c’est la radiation, estime la coresponsable du planétarium de Rennes. La Terre possède un bouclier magnétique qui nous protège. Aller vers Mars exposerait sur plusieurs mois les astronautes à des taux de radiations similaires à ceux qu’ont vécus les liquidateurs chargés de nettoyer le toit du réacteur de Tchernobyl en 1986. » « C’est un obstacle insurmontable pour l’instant, abonde Bruno Mauguin, son collègue du planétarium. Mais cela ne veut pas dire que ce qui est impossible actuellement le restera à l’avenir. La conquête spatiale a démontré qu’en la matière, l’homme est capable d’exploits. Les premiers pas sur la Lune en 1969 se sont fait avec des moyens technolo-

giques aujourd’hui comparables à une calculette premier prix. » Et si Thomas Appéré s’interroge sur « la pertinence d’envoyer des hommes sur place alors que les robots qui y sont envoyés sont de plus en plus sophistiqués », Priscilla Abraham juge que « rien ne vaut l’œil humain

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L’IMPOSSIBLE CHASSE AUX MÉTÉORITES

Il y a eu, sur les cent dernières années, moins de vingt chutes de météorites observées en France. L’avant-dernière a achevé son (très) long voyage en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande. « Une caméra de surveillance a permis d’identifier une heure précise d’impact (5 h 15 le 26

19 juillet 2011) et une zone géographique couvrant les communes de Paimpont et Campénéac », détaille Alain Carion, minéralogiste parisien et « chasseur de météorites » à ses heures. S’il a fait le déplacement sur place, il n’est parvenu à trouver aucun caillou céleste. Ni lui ni personne

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d’autre. Et pour cause : « C’est le pire endroit possible pour chercher, constate Priscilla Abraham, du planétarium de Rennes. C’est une zone boisée et humide, les météorites – s’il y en a – sont trop bien cachées pour espérer en retrouver. » D’autant que ces débris de corps extraterrestres, très riches en fer, peuvent facilement se confondre avec les scories issues des anciennes forges nombreuses dans le secteur. Dans le monde, la majorité des météorites sont retrouvées sur la glace des pôles ou en zone désertique « où elles sont plus facilement

visibles que dans un espace végétalisé », fait remarquer Gérard Odile (photo), collectionneur basé à la frontière entre le Morbihan et la Loire-Atlantique. Il possède une bonne centaine de pièces, dont quelques locales. « Il y a eu par le passé quelques chutes : à Clohars-Fouesnant en 1822, Cléguérec en 1869, Lescouët-Gouarec en 1874… Mais l’une de mes plus belles pièces est une météorite martienne. Combien je les achète ? C’est confidentiel ! » Pour les cailloux les plus rares, le marché peut s’envoler à plus de 1 000 € le gramme.


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en matière d’exploration. Si un jour on parvient à aller sur Mars, ce serait une vraie avancée, une étape supplémentaire dans la conquête spatiale qui n’est pas que symbolique ».

« En condition d’apesanteur »

En attendant que cela se réalise un jour peut-être, nos zinzins de l’espace se préparent. Dans l’Utah pour Antoine Bocquier, en Arctique pour Charles Frankel, ou bien encore à Lorient pour Seamus Thierry. Médecin anesthésiste à l’hôpital du Scorff, il travaille depuis quelques années dans le domaine émergeant de la médecine spatiale. « Pour des missions longue durée telles qu’aller sur Mars, il faut que les astronautes soient capables de procéder à des interventions chirurgicales. Par exemple, on teste en condition d’apesanteur une manœuvre d’intubation d’un patient, de manière à leur proposer ensuite un protocole détaillé. » Seamus Thierry et son équipe du Centre de simulation en santé du Scorff (C3S) ont déjà effectué ces deux dernières années deux campagnes d’expérimentation lors de vols paraboliques. « Si la médecine spatiale se développe à Lorient, ce n’est pas tout à fait un hasard, note-t-il. Historiquement, le C3S propose des solutions médicales 27


DOSSIER

comme celui de l’espace des sciences à Rennes. « Depuis Galilée, l’intérêt pour le ciel et ce qu’il contient ne s’est jamais démenti, constatent Bruno Mauguin et Priscilla Abraham. La fascination est intacte et les améliorations technologiques permettent de plonger toujours plus vers l’infiniment loin et l’infiniment grand. »

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Pascal Le Dû

C3S

« Une nébuleuse à mon nom »

pour le milieu marin et il existe des similitudes entre les deux domaines : l’isolement, l’espace clos, le matériel limité et le stress qu’engendre les trois. » S’il n’a jamais connu l’expérience de l’apesanteur, Charles Frankel a simulé la vie en communauté dans un lieu restreint et coupé du reste de la Terre. Et pour lui, si la vie sur Mars est possible, on est très très loin du séjour all inclusive du Club Med avec liche à volonté. « Il y a les éventuels problèmes de santé mais le paramètre le plus difficile à gérer

selon moi est l’humain, constate-til. En milieu confiné, les comportements sociaux sont imprévisibles. Or, pour qu’une colonisation martienne réussisse, il faut imaginer vivre dans un entre-soi pendant plusieurs mois minimum, dans des conditions de tension inégalables. » Pour ne pas finir par s’entretuer ou avec des méga-cloques sur le corps dues aux radiations XXL, mieux vaut encore continuer de rêver des étoiles en restant sur la terre ferme. Nombreux sur le territoire, les planétariums proposent de s’initier à l’astronomie,

« Plonger toujours plus vers l’infiniment loin » 28

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Ce que fait Pascal Le Dû depuis son domicile de Rosporden. Cet astronome amateur s’est lancé en 2003 dans l’astrophotographie qui, comme son nom l’indique, consiste à prendre en photo différents objets célestes. Avec sa lunette et son télescope planqués dans une sorte d’abri de jardin, reliés à une caméra et tout un outillage informatique – comptez quelques milliers d’euros pour bien s’équiper – il traque les étoiles sans bouger de chez lui. « L’astronomie a ça de génial qu’elle peut vous faire partir très loin sans avoir à voyager. Chaque nuit, le ciel diffère. Et ici dans ce bout de Finistère, les conditions de lumière sont fantastiques. » Si certains de ses collègues cherchent à photographier les cratères de la Lune ou à pister les étoiles filantes, Pascal Le Dû s’est spécialisé dans la chasse aux nébuleuses, ces amas de gaz formant de spectaculaires formes de couleurs fluorescentes (un peu comme des tâches d’essence, mais en mieux). « En août 2011, j’ai même découvert une nébuleuse planétaire – une planète en fin de vie qui se désagrège – qui n’avait jusqu’alors jamais été répertoriée. » Elle est désormais enregistrée sous son nom : “LDû 1”. La classe. Peutêtre pas autant que de marcher sur Mars mais presque. Régis Delanoë



INTERVIEW

ANCIENNE CONSEILLÈRE EN COMMUNICATION POLITIQUE, AUJOURD’HUI PAYSANNE BIO, CLAIRE DESMARES-POIRRIER VIENT DE PUBLIER « L’EXODE URBAIN ». UN OUVRAGE QUI NOUS INCITE À QUITTER LA VILLE POUR NOUS INSTALLER À LA CAMPAGNE. CHICHE ? epuis la crise sanitaire, on parle beaucoup du monde d’après et de changements de vie radicaux qui passeraient notamment par le fait de tout plaquer pour s’installer à la campagne. Ce phénomène sera-t-il éphémère ou peut-il être durable ? J’ai commencé à écrire sur l’exode urbain il y a près d’un an. On était vraiment sur un sujet de niche. 30

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Depuis le confinement, c’est devenu une question d’actualité. Au-delà de la crise que nous avons vécue, cela s’explique aussi par le sentiment de vulnérabilité qui s’est accentué en ville : les canicules, les pics de pollution… De plus en plus de gens s’interrogent sur le fait d’être citadins et des conséquences que ça a sur leur vie. Le bon score des écologistes aux dernières élections municipales est d’ailleurs un signe.

Mais, autant je suis admirative des efforts en matière d’écologie qui peuvent être faits en zones urbaines, autant je considère que ce n’est pas du tout proportionné à la situation qui nous attend. Demain, nous ne pourrons plus tous habiter en ville. L’exode urbain m’apparaît alors nécessaire. Je parle là d’un mouvement massif, aussi important que l’exode rural, qui pour moi est inéluctable.


Pourquoi est-ce la fin des villes ? Parce que nous sommes arrivés au bout d’un modèle. Dans un monde où les ressources sont finies, on ne peut continuer de produire et de consommer de manière infinie. Or, la ville fonctionne sur ce schéma. Nous pouvons encore tenir dix ou vingt ans comme ça, mais au-delà non. Alors soit on attend l’effondrement qui vient, soit on essaie de construire un avenir différent. Une voie qui refuse le productivisme et le rapport systématique à la consommation dans tous les espaces de la vie. Une voie qui repose sur l’autonomie et l’entraide. C’est un constat digne des collapsologues que tu fais là… Oui mais je l’amène d’une autre manière. Je suis dans le même espace idéologique que les collapso – Yves Cochet est d’ailleurs le préfacier de mon livre –, mais je ne suis pas sur le même chemin. Ils ont une approche systémique, alors que je me positionne sur un niveau plus intime : où est-ce que je vis, avec qui, de quelle façon, dans quel objectif… Pour moi, l’exode urbain est une question de choix de vie personnelle mais qui, à l’échelle d’une société, peut provoquer un changement important. Les scénarios de l’effondrement nous amènent à 2030-2050. Il faut donc se projeter dans un avenir relativement proche et trouver un espace avec un peu d’espoir, de quiétude et de joie. Aujourd’hui, selon les derniers sondages, 81 % des urbains considèrent le mode de vie rural comme idéal et 57 % affirment que s’ils pouvaient quitter la ville ils le feraient. Ce que tu as fait il y a dix ans en devenant agricultrice. Comment as-tu sauté le pas ? C’était un choix militant. J’avais envie d’avoir un métier et une vie en cohérence avec mes valeurs. À l’époque, je faisais de la communication politique, j’étais chez Europe Écologie les Verts. 31


INTERVIEW

J’étais diplômée d’une grande école, j’habitais Lille, j’avais 27 ans, j’avais un bon salaire. Mais j’étais en souffrance au travail. D’un côté, j’écrivais des discours où on disait qu’on allait changer le monde, réduire l’impact carbone, sauver la planète. De l’autre, je travaillais 70 heures par semaine, je passais mon temps dans les trains et les avions, je ne mangeais que de la m****... La “slow life”, on n’y était pas. Il y avait un grand écart entre mon quotidien et les valeurs que je portais. Jusqu’au jour où j’ai décidé de démissionner, avant de rencontrer mon compagnon Adrien. Six mois plus tard, on quittait tout pour se former aux plantes et trouver une ferme à Sixt-sur-Aff, 2 000 habitants, entre Rennes et Redon.

ruraux, ça peut être l’endroit pour mettre en place de nouvelles dynamiques. Et pas que dans le domaine de l’agriculture : l’emploi agricole ne représente que 10 % de l’emploi rural. Il faut tous les métiers et tous les profils. Il y a des demandes et des besoins à pourvoir. C’est l’opportunité pour chacun de se reconvertir ou de se réinventer s’il le souhaite.

La campagne apparaît ici comme salvatrice, elle a pourtant aussi ses points négatifs : pollution agricole, déserts médicaux, faible réseau de transport en commun… Mais la ville a également ses inconvénients ! Sur l’absence de services en zone rurale, il faut arrêter d’être dans une logique clientéliste. Pour moi, la néo-ruralité c’est se dire “OK, Quelle est ta définition de la cam- il n’y a pas tel ou tel service, mais pagne ? qu’est-ce que je peux faire pour y C’est une question compliquée. Les répondre et contribuer à la vie de zones rurales sont très hétérogènes ma communauté”. La campagne en France. La campagne où je vis souffre également d’effets de seuil : n’est pas la même que celle des zones s’il n’y a pas assez d’habitants, le littorales qui sont très gentrifiées et où service n’ouvre pas. Alors que si il y a une pression foncière forte. Ce on est suffisamment nombreux, la que je défends dans l’exode urbain, classe d’une école peut être maince sont les zones délaissées. Des ter- tenue par exemple. Idem pour le ritoires qui sont désœuvrés et qui ont bureau de poste, l’épicerie, la dernière besoin d’un renouveau. Licence IV du village…

ÉVOLUTION DE LA POPULATION ENTRE 2018 ET 2040

BREST

LORIENT

d’un maillage minimum sur le plan médical et judiciaire, plus de transport en commun… Il faut réfléchir les services en termes de bassin de vie et les répartir de manière équitable.

Sur l’échiquier politique, quel parti peut le mieux répondre à cela ? Évidemment, je vais dire que ce sont les écologistes (Claire DesmaresPoirrier pourrait être candidate EELV pour les élections régionales de 2021, ndlr). C’est dans ce mouvement que j’ai appris ce qu’était le principe de subsidiarité : la décision revient à l’échelle la plus à même d’appliquer Dans la région, tu penses au centre- L’exode urbain peut se voir comme la politique. Si cela concerne la comBretagne ? un outil pour réaménager le territoire. mune, c’est la municipalité qui décide. Oui forcément. Le “kreiz” est une Comment ça peut se traduire ? zone pertinente pour l’exode urbain En créant de nouvelles dynamiques, Que penses-tu des projections démocar ça peut être un espace d’inno- les gens qui vont prendre ce chemin graphiques qui montrent, en 2040, vation. Il y a énormément de biens seront le premier levier de ce réamé- une région avec des villes toujours immobiliers sur le marché, il y a la nagement du territoire. Pour autant, plus grandes et un centre-Bretagne possibilité d’y monter des projets, des politiques publiques doivent se qui peine à attirer ? d’entreprendre… Pour de futurs néo- mettre en place. Il faut le maintien C’est la logique de métropolisation. Un modèle pensé dans les années 2000, mais obsolète selon moi. La densification des villes, dont on a longtemps pensé qu’elle pouvait être une solution pour contrer le

« Le centre-Bretagne peut être un espace d’innovation »

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TAUX ANNUEL D’ÉVOLUTION EN %

plus de 1,0 de 0,7 à 1,0 de 0,4 à 0,7 de 0,1 à 0,4 proche de 0

SAINT-MALO

RENNES

VANNES

source : INSEE novembre 2019

réchauffement climatique, n’apporte en réalité que des contraintes et ne permet pas d’apporter une bonne qualité de vie. Le risque de l’exode urbain n’est-il pas la gentrification ou la périurbanisation de la campagne ? La valeur des biens immobiliers qui grimperait en pleine campagne, je n’y crois pas. Ici, les gens se disent plutôt “la grand-mère est morte, comment on va réussir à vendre sa baraque ?”. En périphérie de Rennes, le prix des maisons peut augmenter, mais c’est là un des effets de la métropolisation, que je dénonce. Même chose avec le développement du périurbain. L’artificialisation des sols, les constructions neuves (au lieu de la rénovation du bâti ancien) et l’implantation de zones commerciales : la ville qui gagne sur la campagne, ce n’est pas ce que je défends. L’exode urbain, c’est le choix de la vie rurale. Recueilli par Julien Marchand

L’Exode urbain, paru aux Éditions Terre Vivante 33


PAPIER

CASSETTE IS NOT DEAD ON LA CROYAIT RINGARDISÉE, MAIS LA K7 TENTE UN INATTENDU RETOUR. UNE ENTREPRISE DE LANNION S’EST DERNIÈREMENT LANCÉE DANS LA PRODUCTION DE BALADEURS. ET DE NOMBREUX GROUPES, LABELS ET DISQUAIRES RESTENT MÉGA FIDÈLES À CE SUPPORT AUSSI CHEAP QUE RÉVOLUTIONNAIRE. ’est un ex-objet du quotidien qu’on pensait définitivement largué par la marche forcée du modernisme. Comme la disquette, le modem (« scricccch shhhhrr ») ou encore le Minitel, la cassette semblait conçue pour ne durer qu’un temps avant de devoir fatalement mourir. Une madeleine à faire buguer les jeunes en leur montrant le coup du rembobinage à l’aide d’un stylo. Rectangle de plastique de 10 centimètres sur 6, ce support 34

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s’est vendu par brassées dans les supermarchés et stations-services à l’ère où la musique est devenue industrie dans ces folles années 80. Il s’est ainsi écoulé des millions de K7 de Genesis, Michael Jackson ou Daniel Balavoine, et encore plus de supports vierges prêts à enregistrer à la volée des chansons chopées à la radio. « C’est la firme néerlandaise Philips qui a miniaturisé en 1963 le procédé de lecture sonore sur bande magnétique, contextualise Gilles

Rettel, prof à l’ESRA (une école rennaise d’audiovisuel), ancien guitariste de Marquis de Sade et spécialiste de l’évolution du son. Les cassettes vont rapidement envahir un marché jusqu’alors monopolisé par le vinyle. » Dès leur apparition pourtant, leur qualité sonore est décriée, la bande provoquant un son saturé pouvant s’altérer avec le temps, générant d’étranges distorsions. « Mais l’histoire retient qu’un objet s’impose dans nos vies moins pour ses qualités propres que pour


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son utilité », constate notre historien. Et ce que la K7 a d’abord apporté, c’est sa capacité d’enregistrement. « C’est un fabuleux outil de démocratisation de la musique, poursuit notre expert. Dès les premières années, des lecteursenregistreurs comme le fameux magnéto quatre pistes sont apparus permettant de capter l’instantané de la musique depuis n’importe où et non plus seulement en studio. » La légende veut que Keith Richards ait ainsi mémorisé le riff de Satisfaction au pied du lit grâce à l’enregistreur qu’il avait installé sur sa table de chevet. « La K7 a inventé le home studio, estime Benjamin Le Baron, du groupe rennais Fragments, dont le dernier album Songs for Marge a notamment été édité l’an dernier dans ce format. J’ai grandi au début des 90’s, mes premières expériences sonores ont consisté à jouer avec la vitesse de la bande pour provoquer des sons bizarres. » Un souvenir qui parle à beaucoup de musiciens ayant connu cette époque pré-ordi, comme Yann Tiersen (lire page 38). Autre grand avantage de la K7 : sa transportabilité, avec l’invention en 1979 du fameux walkman par Sony. « C’est son patron qui aurait exigé 35


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« Pour les groupes fauchés, c’est le support idéal » de ses ingénieurs qu’ils conçoivent un appareil nomade lui permettant d’écouter sa musique en jouant au golf », raconte Gilles Rettel. Il s’en écoulera 350 millions d’exemplaires jusqu’à l’arrêt de sa production en 2004, marquant durablement une époque. Le baladeur accroché à la ceinture est indissociable de l’imagerie pop des eighties. « Encore aujourd’hui, c’est le support physique qui se trimballe le plus facilement, constate Benjamin Moreau, du groupe de métal rennais Fange, dont les premiers albums ont été autoproduits en K7. C’est incassable, ça se range dans une poche de jean, c’est plus pratique que de se balader avec un vinyle et c’est pour ça que ça continue de se vendre encore pas mal en merchandising après les concerts. »

« La musique pour tous »

Dernier atout et non des moindres, la K7 a, depuis ses débuts, constitué un format peu onéreux, aussi bien à produire qu’à acheter en bout de chaîne. « C’est l’accès à la musique pour tous, de loin ce qui est le moins cher en rayon : entre 5 et 10 € la pièce », font remarquer Renaud Berthou et Christophe Mével, gérants du disquaire brestois Bad Seeds qui propose une soixantaine de K7 en vente à la boutique, dont deux labels brestois spécialisés dans ce format : CooL RaouL et Bloc Note. « Pour les jeunes groupes un peu fauchés, c’est aussi le support idéal pour éditer un enregistrement à peu de frais. C’est moins coûteux qu’un CD et encore moins qu’un vinyle », ajoute 36

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Benjamin de Fange. David, du groupe rennais Black Boys on Moped – deux albums édités en K7 – et fondateur du micro-label Renegat Records, calcule : « Enregistrer 100 K7 coûte 200 € à un groupe, contre 1 200 € pour la même quantité de vinyles. » La petite brique en plastique si révolutionnaire, pratique et économique, a pourtant bien failli disparaître dans les années 90, avec comme arme du crime son supposé remplaçant, le CD, commercialisé à partir de 1982. « Débute l’ère du numérique et la cassette devient alors un support honteux qu’on va s’acharner à reléguer », situe Mary Berthelot d’Ideal Crash, un label rennais qui n’édite que des K7 depuis dix ans (Bison Bisou, Lysistrata, Équipe de Foot… Quelques sorties par an, « 50 à 100 exemplaires par édition, du pur artisanat »). Pour Steven Jamet, du disquaire Blindspot à Rennes et sa cinquantaine de K7 en rayon (« l’équivalent de 5 % de notre activité, contre 95 % pour le vinyle »), c’est là « toute l’histoire du capitalisme : on avait vendu les Beatles en vinyle pour écouter dans le salon, puis en K7 pour la bagnole, il fallait maintenant convaincre les gens de racheter les mêmes albums une troisième fois avec le soi-disant format du futur que représentait le CD ». Le baladeur CD – ou Discman – n’ayant pas totalement réussi à surpasser le walkman, il a fallu attendre l’arrivée du MP3 pour le coup de grâce : en 2001, l’iPod inonde le marché avec ses 5 gigas de capacité

(à l’époque). La même année, la K7 ne représente plus que 4 % de la musique vendue dans le monde, contre près de dix fois plus dix ans auparavant.

« Format pirate »

Ringardisée, elle survit pourtant tant bien que mal durant ces difficiles années de numérique triomphant. D’une part car elle est restée le support préféré des pays émergeants (« Maghreb, Éthiopie… Le réservoir musical de ces régions est majoritairement sur K7 », assure Steven Jamet), d’autre part en gardant les faveurs de toute une frange de musiques underground. « Pas mal de groupes garage, métal ou drone la plébiscitent », fait-on savoir à Bad Seeds. « Les groupes obscurs de punk, les rockeurs maudits, les musiciens expérimentaux… », ajoute Seb Blanchais, du label Beast Records qui propose lui aussi sa cinquantaine de K7 dans le shop qu’il gère dans le centre-ville rennais. Pour Benjamin


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de Fange, « c’est le format pirate par excellence », celui des micro-labels en circuit court. Si les afficionados ont longtemps vécu sur les dizaines de millions de cassettes vierges produites du temps de l’âge d’or, ce réservoir s’épuise, les fabricants historiques (TDK, BASF, Maxell…) ayant depuis quitté le marché. Une petite entreprise bretonne continue néanmoins d’exploiter le maigre filon : Mulann, installée à Lannion, « seule société en Europe à produire de la bande magnétique, précise son patron Jean-Luc Renou. On en écoule environ 30 000 par mois, de la top qualité pour une restitution sonore optimale ». La PME trégorroise croit tellement au retour de la K7 qu’elle a même décidé depuis l’an dernier de lancer également sa production de baladeurs. « On a commercialisé à Noël dernier un premier modèle au look rétro à 69 €. L’édition était limitée à 500 exemplaires, ils sont quasi tous partis. On est en train de mettre au point un nouveau modèle

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Ideal Crash

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rechargeable et Bluetooth, qu’on espère pouvoir lancer à la rentrée de septembre. » Le principe de ce nouveau bébé ? Une fonctionnalité permettant de lire la cassette à distance et sans fil depuis une enceinte connectée, comme un smartphone. Difficile à première vue de faire plus anachronique que de se procurer un lecteur K7 en 2020 mais c’est donc pourtant possible avec le baladeur Mulann, les lecteurs-enregistreurs

Thomson ou Sony (qui ont relancé leur production) ou encore en occas’ via Le Bon Coin ou en braderie. Si le support reste largement minoritaire (pas de chiffres officiels en France mais la K7 représentait seulement 0,2 % des ventes physiques de musique en Grande-Bretagne l’an dernier) il garde donc ses adeptes et en gagne même de la part de certains jeunes musiciens nés après son âge d’or.

Mary d’Ideal Crash ne s’en étonne pas. « Il y a un côté collectionneur, presque fétichiste avec la K7, explique-t-elle. Les groupes peuvent se faire plaisir avec une sortie physique sans prendre de gros risques financiers qui s’écoule généralement bien car ce sont de beaux objets. » « C’est un peu le support des beauxarts : on peut customiser l’objet à l’envie, travailler l’artwork, s’amuser avec les couleurs et l’emballage, enchaîne Guillaume Derrien des Disques Anonymes, autre label breton qui fait de la K7. Parmi les acheteurs, difficile de savoir combien les écoutent réellement, tout le monde n’étant pas équipé. Dans la démarche, on se rapproche plus du badge ou de la sérigraphie que du vinyle ou du CD. Acheter une K7, ça marque un attachement à un groupe et à son univers » Régis Delanoë

« AVEC LA K7, LA MUSIQUE DEVIENT UN PRODUIT VIVANT » C.E Fernandez

Yann Tiersen, artiste et défenseur de la musique analogique Portrait, ton dernier album, est sorti avec une version K7. Est-ce le choix de ton label ou le tien ? Le mien. C’est la première fois que je sors un album en K7 mais c’est complètement logique car c’est un support analogique, pour une musique analogique. C’est limite le plus cohérent des supports après le vinyle. 38

Pour un mélomane, le son n’est pas trop dégueu ? Mais non ! Je préfère écouter l’album en K7 qu’en CD, vraiment. Parce que j’entends vachement la numérisation qui amène comme un filtre au travail analogique, le rendant plus fade. Une K7 bien enregistrée et écoutée avec un bon lecteur, ce n’est pas désagréable. Cela amène du grain, la musique devient un produit vivant. Ton rapport à la K7 remonte à loin ? À l’enfance. Mon père

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avait une platine vinyle mais elle était fragile, alors c’est avec les K7 que j’ai fait mon apprentissage musical. Et c’est aussi grâce à elles que j’ai commencé à travailler la musique en enregistrant mes premières démos sur un 4 pistes K7. Quelle peut être sa place aujourd’hui, à l’ère du streaming ? Pas loin du vinyle. C’est le support physique pas cher qui permet à la musique de laisser une trace. C’est comme en

photo, où il y a plus de respect pour l’argentique que pour le numérique, même si les quantités produites n’ont rien à voir. Et je vais te dire : je reste dubitatif sur le streaming. C’est sans doute le fait d’habiter une île où la connexion Internet est parfois aléatoire. Pour écouter de la musique, j’ai ma bonne vieille chaîne hifi. La dépendance à la technologie, ce n’est pas trop mon truc et ce n’est peut-être pas le sens de l’histoire…



TOUJOURS DANS LES BONS COUPS

APRÈS UN PARCOURS AUSSI DENSE QUE VARIÉ, LA PERCUSSIONNISTE LUCIE ANTUNES A SORTI « SERGEÏ ». UN PREMIER ALBUM ÉLECTRONIQUE ET SAVANT, VU COMME UN ABOUTISSEMENT POUR CETTE « GEEK DE LA RYTHMIQUE ».

a musique, c’est comme le foot : on peut être le plus talentueux des environs, avoir des prédispositions évidentes, rien ne garantit plus la réussite que le travail. Lucie Antunes est bien placée pour le savoir. Cette percussionniste a passé des années à bosser ses instruments, à enchaîner les concours, les compétitions de techniques, avant de trouver sa voie. Un long cheminement qui a accouché fin 2019 d’un premier album sorti sur le label InFiné, Sergeï, formidable pièce 40

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instrumentale entre musiques électroniques, pop et rythmiques folles. Pourtant, Lucie Antunes a mis du temps avant de dévoiler ses propres compositions. Durant des années, elle a côtoyé et joué avec des artistes tels que Moodoïd, Aquaserge ou Chassol. Elle a mené sa propre compagnie musicale, axée sur la musique contemporaine, et monté plusieurs spectacles durant plus de dix ans. Mais il fallait, enfin, assumer ses envies de soliste, et se livrer un peu plus encore. Elle se souvient :

« Un jour, Chassol m’a dit : “Je compose ce que j’ai envie d’écouter”. Cette phrase a tout changé, c’est devenu mon objectif. Ça m’amuse de faire des rythmiques complexes. J’ai toujours voulu, au fond de moi, partager une musique un tout petit peu plus savante avec un public qui pense ne pas y avoir accès. » Sergeï, c’est cela : une musique imprégnée de mathématiques rythmiques, mais qui s’écoute sans aucune difficulté. L’aboutissement d’un parcours initié dès le plus jeune âge. Enfant,

Pierre Andreotti

RDV


Lucie Antunes parvient à canaliser son hyperactivité grâce à la batterie, cet instrument qui demande au pied gauche de faire quelque chose, et à la main droite une tout autre tâche. Acharnée, elle rentre au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, un établissement de pointe, et se transforme certes en musicienne, mais aussi en bête de concours. « Dans un milieu masculin comme celui de la musique, une femme doit ouvrir sa gueule et être la meilleure. On n’a pas le droit à l’erreur. Tout cela m’a donné le goût de la compétition. C’est comme préparer les JO : t’es seule, tu bosses dans ta chambre dix heures par jour pendant un an pour parfois te faire dégager au premier tour d’un concours. Je suis rentrée là-dedans comme dans une drogue. » Le week-end, le soir, elle s’échappe de cet environnement élitiste (et un peu fermé d’esprit) pour s’encanailler dans les clubs. Elle y découvre les musiques électroniques. Et puis un jour, c’est le déclic. À trois jours d’une compétition, elle décide de laisser tomber, et commence sa véritable carrière d’artiste. Jusqu’à l’arrivée de Sergeï, qu’elle voit comme une performance plutôt qu’un simple album. Il faut dire qu’en live, la dextérité du trio qu’elle forme avec Franck Berthoux et JeanSylvain Le Gouic (aka Juveniles) est hypnotique. Sur scène, elle privilégie les instruments acoustiques, notamment le marimba et le vibraphone, pour laisser à ses compères le soin de manier les synthétiseurs. La pop, la musique contemporaine et l’électronique s’entrechoquent, et font prendre à Sergeï toute sa dimension massive et harmonique. Brice Miclet Le 10 octobre à Baisers Volés à La Nouvelle Vague à Saint-Malo Le 17 décembre à La Carène à Brest 41


RDV

BELLE COTE Saleté d’année 2020. Le festival I’m From Rennes, l’un des événements traditionnels de la rentrée musicale locale, a lui aussi fait les frais des règles sanitaires, ce qui prive Barbara Rivage d’une de ses plus belles dates. En attendant de pouvoir se produire de nouveau sur scène, le duo (qui fait partie du dispositif Horizons, piloté par l’Antipode et le Jardin Moderne) prépare pour cet automne la sortie de son premier EP. « Un cinq titres fait maison accompagné d’autant de clips », présente Roxane 26 ans, l’ainée du couple qu’elle forme avec Vivien, 24 ans.

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ROXANE ET VIVIEN FORMENT BARBARA RIVAGE. UNE DES CURIOSITÉS DE LA RENTRÉE.

« On joue ensemble depuis quatre ans mais on s’y est mis sérieusement il y a deux ans, d’abord à Angers où on a vécu, puis à Rennes où on s’est installé pour profiter des plus grandes opportunités artistiques », situe ce dernier. Les Images, premier extrait de l’enregistrement qui sortira dans quelques semaines et déjà écoutable sur le Net, révèle une électro-pop éthérée où se mêle habilement le synthé et la voix fragile de Roxane,

la guitare et les chœurs de Vivien, ainsi que la boîte à rythme tapissant l’ensemble. « On a beaucoup écouté la scène new-yorkaise, ce qui a pu nous inspirer : le Velvet, Television, Patti Smith… » Plus localement, il y a aussi un peu de Niagara (période Pendant que les champs brûlent) qui vient aux oreilles à l’écoute de ce nouveau duo rennais bien prometteur. R.D


Yves de Orestis

FIST AND FURIOUS

TROISIÈME ALBUM EN VUE POUR POING, LE PROJET ÉLECTRO SOLO DE FRANÇOIS JONCOUR. La dernière fois qu’on avait causé avec François Joncour, c’était en 2011. Avec ses deux acolytes Pascal Le Floc’h et Laurent Guéguen, le Brestois venait alors de sortir le premier album d’I Come From Pop, un trio de folk rock plutôt bien branlé. Près de dix ans plus tard, on le retrouve sous le nom de Poing, le projet électro qu’il mène désormais en solo. « Poing est né en 2014, à une époque où j’ai commencé à travailler dans mon coin sur des choses purement électroniques et instrumentales. C’était clairement en lien avec ce que j’écoutais à ce moment-là. Des artistes comme James Holden par exemple : sa musique m’avait totalement soufflé. » L’ancien guitariste se plonge alors dans les synthétiseurs modulaires qui lui permettent d’explorer un large spectre de textures et d’élasticité sonores. Le 25 septembre, verra naître The Golden Button, le troisième album de Poing. Un disque que François a peaufiné avec le musicien et ingénieur du son Thomas Poli (ESB, Dominique A…). Entre techno, ambiant et noise, les six morceaux de cet opus oscillent avec équilibre entre tension et apaisement. « Cet album est, je trouve, le plus mélodique des trois, mon côté pop certainement. » J.M Le 9 octobre à Spring Rec au Jardin Moderne à Rennes 43


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PEINARD BED L’INDIE FOLK LO-FI DU LORIENTAIS NATHAN LEPROUST, AKA TEENAGE BED, LORGNE VERS LA CÔTE EST AMÉRICAINE ET TAPE DANS LE MILLE. TOUT EN DOUCEUR, CALME ET VOLUPTÉ. Vous rappelez-vous de Woodrow ? Un groupe pas mal du tout, vainqueur du Label Mozaïc en 2015, fondé à Lorient par deux amis de lycée, Olivier et Nathan, et qui avait pris ses quartiers à Nantes. Depuis, les deux potes ont décidé d’explorer chacun de leur côté leurs références : Olivier avec Trainfantome, dans une veine indie rock 90’s, et Nathan sous le pseudonyme Teenage Bed, lorgnant vers la même époque mais dans un style plus bedroom pop d’influence Elliott Smith.

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Après huit ans passés dans la cité des Ducs, celui qui y a aussi fondé le festival L’Ère de Rien est désormais installé au Mans, où il bosse dans une microbrasserie. « Du provisoire certainement, avant de repartir ailleurs. Peut-être dans le Finistère où j’ai pas mal d’attaches avec la scène locale : Lesneu (dont il jouera la première partie à la rentrée, ndlr), Slow Sliders, Bantam Lyons, Djokovic… » Il pourrait aussi repartir en Amérique, où il a récemment passé quelques mois

inspirant musicalement. « J’ai pu faire quelques dates à Montréal, Calgary, Minneapolis, Boston et Philadelphie, une ville où j’ai bien accroché. » Il y a notamment fait la rencontre de Scotty Leitch, batteur d’Alex G (une des pointures du moment de l’indie folk US) et avec qui il a même enregistré un album. « Je compose beaucoup. J’ai aussi


DR

sorti deux EP, dont Expectations, sorti en début d’année, et un album de confinement », habilement nommé Since We’re Stuck At Home. « Faire de la musique seul me va pas mal. Ça correspond assez à la démarche lo-fi d’enregistrer à l’envie, sans perdre des heures en studio. Cette spontanéité me plaît. » R.D Le 17 septembre à La Carène à Brest

Jesse Lucas

APÉRICKCUBE

Après L’Odyssée et Les Mystères du temps, place au Nouveau Monde pour Rick Le Cube. Déjà le troisième volet des aventures du petit œuf cubique imaginé par le duo SATI qui, cette foisci, part à la recherche de sa famille prise au piège d’un vaisseau tentaculaire et mystérieux. Un ciné-concert jeune public (mais pas que), mêlant animation, dispositifs numériques interactifs, musiques organiques et électroniques… Le 8 octobre à l’Antipode à Rennes, le 14 au Pôle Sud à Chartres-de-Bretagne, le 15 à Bel Air à St-Aubin-du-Cormier, le 24 novembre à La Nouvelle Vague à Saint-Malo… 45


FOCUS

MADELEINE DE SINÉTY L� HYMNE DE NOS CAMPAGNES

Madeleine de Sinéty

EN 1972, MADELEINE DE SINÉTY DÉCOUVRAIT PAR HASARD POILLEY, VILLAGE DE 500 HABITANTS, EN ILLE-ET-VILAINE. CETTE PHOTOGRAPHE Y RESTERA DIX ANS, RÉALISANT PLUS DE 50 000 CLICHÉS. UNE HISTOIRE QUE NOUS RETRACE JÉRÔME SOTHER, CODIRECTEUR DU CENTRE D’ART GWINZEGAL À GUINGAMP, QUI LUI CONSACRE UNE EXPOSITION.

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UNE ARISTO À LA CAMPAGNE « Comme son nom l’indique, Madeleine de Sinéty est une enfant d’aristocrates. Elle est née en 1934 et a grandi dans un château mais sans grande richesse, la fortune familiale ayant été dilapidée. Dans son journal, elle raconte qu’elle entendait de sa fenêtre les paysans travailler mais qu’elle n’avait pas le droit de les approcher, pour des histoires de classe sociale. Le monde de la campagne lui était à la fois proche et étranger. » 47


FOCUS

SUR UN COUP DE TÊTE « Elle s’est formée aux Arts décoratifs à Paris, avant de devenir illustratrice pour la presse. Elle était totalement autodidacte en photographie. Un été, alors qu’elle séjournait en Bretagne pour les vacances, elle s’est retrouvée coincée dans les embouteillages et a décidé de prendre une petite route pour les éviter. Elle a atterri à Poilley, un village de 500 habitants (378 aujourd’hui, ndlr) à une soixantaine de kilomètres au

UN VILLAGE GÉNÉRIQUE « Ce qui est intéressant, c’est que ça aurait pu être n’importe quel autre village. Poilley – sans être méchant – est une commune qui n’a aucune particularité. Des villages comme ça, il y en a partout en Bretagne. Par son travail, elle va ainsi décrire un village générique des années 1970, à un moment où la campagne était en train de se transformer : on faisait face à la mécanisation de l’agriculture, au remembrement, aux fermes de plus en plus grandes… Elle a photographié peu de tracteurs, préférant se concentrer sur les tâches réalisées à la main. Elle a capté des pratiques et des gestes d’antan. Elle avait conscience d’être témoin de choses en train de disparaître. » 48

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nord de Rennes. Elle est tombée sous son charme et, sur un coup de tête, elle a décidé de s’y installer. Cela correspondait à un moment de sa vie où elle avait envie de quitter Paris. C’est ainsi qu’elle a commencé à photographier les habitants de Poilley qui, étrangement pourrait-on dire, l’ont très vite acceptée. Elle devait avoir des énormes capacités d’empathie pour réussir à s’immiscer autant dans leur quotidien et leur intimité. »


Photos : Madeleine de Sinéty

LA MORT DU COCHON « Elle est restée entre 1972 et 1982 à Poilley où elle a pris plus de 50 000 photos (33 000 diapositives couleur et 23 000 négatifs noir et blanc, ndlr). Tout l’intérêt de son travail réside, selon moi, dans ce qu’on appelle “l’unité de lieu et de temps”. Elle a accumulé une telle quantité d’images sur un lieu si petit et sur un temps si long que ça en est exceptionnel. Plus qu’une dextérité technique, la force de ses photos repose sur la qualité de relation qu’elle avait avec les gens. Ses clichés ne sont pas spectaculaires, mais ils dégagent une simplicité et une justesse. Parmi ses thèmes de prédilection : les enfants, les gestes agricoles, le rapport à la nature, la relation aux animaux… La mort du cochon la fascinait par exemple. Elle l’a photographiée une trentaine de fois. Le moment où on abat un animal est une scène récurrente dans l’histoire de l’art. On touche presque à la mythologie. » Recueilli par Julien Marchand À partir du 18 septembre à Gwinzegal à Guingamp 49


@bikinimagazine @bikinimag @bikini_mag

AGENDA

Julien Mignot

Marta Bevacqua

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Richard Dumas

RECOMMANDE

MIOSSEC

HÉMISPHÈRES

BAISERS VOLÉS

LE SEW

Au Quartz à Brest du 24 au 26/09 À Fouesnant le 1/10, à Lannion le 2/10

À La Carène à Brest Du 17 au 28 octobre

À La Nouvelle Vague à Saint-Malo Les 9 et 10 octobre

À Morlaix En cette rentrée

MAINTENANT

DANGEREUSES LECTRICES WHISPERING SONS

À Rennes Du 2 au 11 octobre

Aux Ateliers du Vent à Rennes Les 26 et 27 septembre

20e édition pour le rendezvous multidisciplinaire rennais ! Arts, musiques, technologies : l’exigeant et pointu festival Maintenant poursuit son exploration de la culture numérique et se penche notamment, cette année, sur le rapport entre création et activisme.

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« Manger ! » C’est une édition consacrée au “miam miam” qu’a concoctée le festival rennais de littérature féministe. Plaisir de la table, culture du régime, stéréotypes professionnels… Derrière notre assiette, se révèlent aussi des injonctions et des situations inégalitaires.

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Bonne nouvelle : un nouveau lieu culturel ouvre en BZH ! Imaginé par le cinéma La Salamandre, le théâtre de l’Entresort et Wart (organisatrice de Panoramas), le SEW investit l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix. Ce pôle pluridisciplinaire affiche déjà une belle prog musicale : Jeanne Added (photo), Salut c’est Cool…

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France 3

Avec son nom digne des sitcoms d’AB Productions, le festival Baisers Volés retient l’attention. D’autant plus que la programmation est, pour sa troisième édition, hyper soignée : Pomme (photo) en tête d’affiche, Rouge Gorge, Victor Solf (ex-Her), Johan Papaconstantino, Pedro Winter, Molécule...

Avec les frites double cuisson, les bières qui tapent et le seum, le rock indé est l’autre spécialité belge. BRNS, Girls in Hawaii, Balthazar, dEUS... La dernière sensation en date : Whispering Sons, un groupe de cinq Bruxellois au son cold wave parfaitement validé. Aux Indisciplinées à Lorient Le 5 novembre

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Attention, dispositif exceptionnel à La Carène à Brest. Un dôme permettant une multidiffusion et une spatialisation sonore sera au cœur de ce rendez-vous expérimental auquel participeront l’ensemble Sillages, Sonars (Maxime Dangles, photo) et l’ensemble Nautilis. Pour des esthétiques électro, jazz et contemporain.

David Tesinsky

En 1995, un jeune Brestois déboulait « ivre mort au matin » avec son premier album, Boire. Tout Miossec est déjà là : des textes éthyloamoureux prononcés d’un débit chancelant mais avec morgue. 25 ans plus tard, une réédition est annoncée pour le 11 septembre, avec la tournée anniversaire qui va bien.

DINARD FILM FESTIVAL

Le festival du film britannique s’accommode du Brexit, comme de la pandémie, préparant sa 31e édition comme si de rien n’était : une trentaine de films au programme et, en tête de gondole, la première série de Stephen Frears nommée Quiz (photo). À Dinard Du 30 septembre au 4 octobre




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