Le silence des yaks
Texte: Rosula Blanc Photographies: Bertrand Carlier
Les Editions de la Giette 2022
« Veux-tu venir avec moi? »
« Oui « a dit le grand yak. « Où allons-nous? » ai-je demandé.
« A la rencontre d’une histoire » a dit le grand yak. « Où est-elle? » ai-je demandé.
Je ne voyais que la montagne immense, enneigée. « Tu cherches trop loin » a dit le grand yak. « Tout est ici, inscrit dans mon corps. »
La caravane
Je regarde le balancement des dos poilus devant moi, les longues queues qui on dulent au rythme de la marche, les petits signes des cornes qu’ils se font les uns les autres. Nayan tourne légèrement la tête pour me regarder du coin de l’oeil. « C’est bon » je lui répond en pointant en avant avec mon bâton. De temps en temps les yaks vérifient si je suis présente avec eux et si je dis la même chose avec mon corps que le berger en tête du troupeau. Nous communiquons tout le long avec de petits gestes et le placement de nos corps. Des fois je leur lance un mot - ou même une pive - pour les encourager à continuer. Marchant à l’arrière du troupeau, je deviens yak. Je suis à la place du taureau qui clôture, rassemble et protège la caravane. Je suis la gardienne du rythme. Je sens le rythme de la caravane dans mon corps et laisse son chant traverser mon être. Je sens quand les pauses font partie de la symphonie et je sens aussi quand le rythme est en train de se perdre. Ce ne sont pas les mêmes pauses, pas la même façon de s’arrêter. Et dans ces moments seulement où la musique risque de s’arrêter, je redonne du rythme, je remettre de l’entrain, j’encourage et dynamise la caravane avec mon énergie. Et de nouveau je me laisse porter, je nage avec le courant de la caravane. Il y a des moments où transie par le silence, je regarde le paysage avec eux; il y a des moments où emportée par une joie bouillonnante, je cours avec mes yaks à travers les pierriers dans la descente.
La nature n’est pas rythmé comme un métronome, mais d’une façon cyclique où activité et repos alternent. Ainsi le rythme de la caravane de yak n’est pas un rythme carré et machinal non plus, c’est un rythme vivant comme un ruisseau, qui trouve son chemin dans un terrain irrégulier : parfois l’eau s’écoule plus vite, parfois plus lentement, parfois elle se précipite par-dessus un rocher, parfois elle s’attarde sur un plat. C’est un rythme où le temps peut s’allonger ou se rétrécir, un rythme qui se crée en dialogue avec le paysage, la montagne, la nature. Un rythme entre marche soutenu / continu et des moments d’orientation et contemplation du paysage. Un rythme qui en montant avance souvent en accordéon où le yak en tête grimpe la pente d’un bon pas puis s’arrête pour reprendre haleine et attendre les autres membres du troupeau. Dès que tous ont rattrapé le troupeau, le premier yak repart. Un rythme qui inclu des moments de joie et accélération qui redonne de l’énergie et de l’élan au troupeau.
La caravane nous force de lâcher nos concepts de l’ère industrielle rythmé par les machines et nous remets face à la nature. Elle nous relie au paysage et nous fait regarder et ressentir la montagne autrement. Avec les yeux des yaks.
Nomade / Naulekh
La lumière change sur les pics des géants de montagnes qui nous entourent, la lueur dorée s’efface graduellement, devient de plus en plus froide et finalement disparaît - le soleil se couche.
Le froid s’installe immédiatement. Je m’enveloppe dans mon sac de couchage et ajuste les couvertures de bât autour de mes jambes. J’allume le réchaud devant ma petite tente et je mets de l’eau à chauffer. J’organise mes affaires autour de moi. Le froid intense me force à réfléchir à chaque mouvement et me plonge dans une ambiance d’expédition.
Naulekh est couché à une dizaine de mètres de moi et rumine calmement. Nous sommes partis tous les deux seuls en itinérance - un yak et un humain. C’est la fin du mois d’octobre. La montagne est déserte - abandonnée à elle-même. Les trou peaux sont redescendus vers les villages, les randonneurs se font de plus en plus rares. C’est la saison des yaks - avec les teintes jaune-ocres de l’herbe sèche, l’am biance désertique de la fin d’automne; les journées brillantes, le froid intense de la nuit, l’approche de la neige.
Le son rauque des perdrix des neiges dans le pierrier, le croassement d’un corbeau à la tombée de la nuit sont les seuls signes de vie que je distingue. Pour moi, il n’y a que Naulekh, moi et la montagne. Le silence m’emballe, m’entraine, m’emporte.
L’espace est profond, vibrant, presque tangible dans la lumière indirecte du jour qui s’efface. Ralentir - plonger dans la mer du temps… la mer de silence…
Le scintillement des étoiles apparait en dessus des silhouettes des montagnes. Les journées sont courtes, les nuits longues. J’aime ces moments d’introspection, de non faire, d’être avec la montagne tout simplement. Je dors beaucoup, je rêve ou je rêvasse, oscillant entre sommeil et éveil. J’écoute Naulekh brouter à côté de la tente. J’ouvre la fermeture éclair pour le regarder sous les étoiles. Je l’observe lever délica tement les jambes pour se démêler de la corde et continuer à brouter…. Je le vois s’arrêter pour humer l’air et écouter la nuit… se déplacer le nez au sol en cherchant l’herbe qui lui convient et finalement se recoucher. Je me recouche aussi en laissant la porte de la tente entre-ouverte pour voir les étoiles depuis mon matelas, chaude ment emballée dans mes deux couches de sac de couchage.
Jamais je n’ai vécu la montagne et son silence aussi intensément que ces jours seule en itinérance avec un yak. Une partie de moi devient yak à force de passer tellement de temps à regarder Naulekh, à le ressentir, à communiquer avec lui . Automatiquement nos corps se mettent en résonance et cherchent une harmonie entre son rythme et le mien, entre ses besoins et les miens, entre son désir et le
mien. Autant lui que moi nous nous adaptons à ce troupeau inégal, autant lui que moi faisons des efforts pour faire plaisir à l’autre et trouver de l’harmonie. Cela me touche quand le soir, au camp, je descends vers la rivière ou le lac pour me brosser les dents et Naulekh se lève et m’appelle, inquiet que je parte sans lui.
La journée, Naulekh me suit librement. Nous cheminons dans un terrain escar pé, nous traversons des pierriers. Naulekh est tellement agile à poser ses pieds, à trouver un chemin dans les cailloux; il ralentit à peine, il me suit de bon entrain. L’ombre profonde de la montagne avec son froid astringent intensifie la présence du corps. Naulekh et moi. Je sens le « nous » tellement fort. Notre complicité. Il suit, il réfléchit, il participe. Il a son opinion sur le bon passage - c’est une commu nication constante entre nous. En général, il approuve mon choix, mais des fois il a des propositions meilleures, des fois il pose des questions « T’es sure? » Il s’arrête et examine le paysage. Du coup, moi aussi, je m’arrête et j’observe le paysage avec lui. En effet, y-a-t-il une autre possibilité? Normalement, nous tombons d’accord « c’est bon, continuons, c’est le bon chemin ». Naulekh me fait regarder la montagne plus intensément. Il ne la voit pas que de la logique d’un chemin pédestre, mais d’une logique énergétique, d’une dynamique des lieux.
Naulekh m’apprend à ralentir les pensées, le faire, le bouillonnement intérieur, d’ouvrir mes sens et laisser mon corps s’imprégner de la montagne pour sortir le l’ombre de mon mental.
Le petit sentier descend dans la forêt. L’odeur des pins nous enveloppe. La densité de la forêt nous saisit après l’espace vaste des pâturage d’altitude; les structures et les formes des plantes, des arbres, des pierres. Cela doit être encore tellement plus dense pour Naulekh à travers les odeurs qui lui communiquent la présence les ani maux que je ne peut qu’imaginer invisible dans la profondeur de la végétation. Nous courons en descente d’un pas léger. C’est un jeu. C’est rigolos. Ca m’amuse - et je sens que cela amuse Naulekh aussi. Cette légèreté et vitesse de mouvement presque comme une danse entre les pierres, les troncs et les racines. Bouger. Tout le corps est engagé à garder l’équilibre. Vitalité, légèreté, joie de vivre…
Quel bonheur de partager ces jours avec Naulekh et de célébrer cette amitié à deux. Pour un yak qui a grandi dans un troupeau, c’est une des choses des plus difficiles de quitter le troupeau et être seul sans ses compagnons. Dans mon troupeau, il n’y a que Naulekh que je sentais prêt à essayer. Après des années de treks, la confiance s’est installé entre nous pour oser franchir le pas de ne pouvoir compter que l’un sur l’autre.
Quand je suis partie la première fois seule avec Naulekh pour le Tour des Muve rans, je savais que cela allait être difficile, car il peut arriver n’importe quoi avec un yak adulte beaucoup plus fort que moi qui panique ou refuse d’avancer, mais je me sentais prête à être dans le moment et avec Naulekh. Et je le sentais prêt aussi. Je sa vais que nous nous engagions dans un grand défi ensemble. Pendant les cinq jours que nous avons marché ensemble en montagne, j’ai traversé toutes les émotions: j’ai pleuré de joie, de gratitude, d’impuissance, de rage, de désespoir et d’amour… Il ya eu un jour ou nous avons avancé que de 500 mètres… tellement Naulekh était per turbé et figé de peur. Mais finalement nous avons trouvé un chemin ensemble et le dernier jour Naulekh partait devant moi, plein d’entrain. Il était redevenu Naulekh, le leader de troupeau, dans toute sa force et sa beauté.
Naulekh est né marcheur. Le deuxième jour après sa naissance les deux dri (yaks femelles) que nous avions gardé à la Giette pour le vêlage - pendant que les autres yaks étaient déjà monté à l’alpage - se sont enfuis avec leurs veaux pour rejoindre les hauteurs. Quand j’ai vu qu’elles avaient disparu, je suis partie à leur recherche en pensant qu’elle n’étaient pas très loin avec les deux petits veaux. Mais quand je les ai finalement retrouvé, c’était loin en dessus de la forêt à l’alpage de la Niva. Mais comme les autres yaks étaient de l’autre côté de la vallée, à l’alpage de Tzaté, nous
devions redescendre. Je portais Naulekh par petits bout pour aller plus vite. Je cou rais avec lui dans les bras jusqu’à ce que j’en pouvais plus. Alors je le reposais vite par terre pour que Namou, sa mère, soit rassurée et ne m’attaque pas. Quand j’avais repris de la force, je le reprenais dans mes bras et repartais en courant - Namou me suivait en galop… Ainsi nous sommes redescendu jusque vers une route ou nous pouvions charger les deux dri avec leur veaux dans la bétaillère et les amener à Tzaté de l’autre côté de la vallée. Nous les avons laissé sortir en bas de le l’alpage. Le troupeau était déjà sur les crêtes. Les deux mamans yaks ont grimpé encore le même soir les cinq cents mètres de dénivelé avec leurs veaux pour rejoindre le troupeau. Naulekh n’avait que trois jours!
Quand nous avons commencé les treks, le petit Naulekh venait souvent é la tête du troupeau. Tout petit déjà il avait cette envie de marcher, de découvrir, de partir à l’aventure, pendant que les veaux en général sont collés à leur mère lors des dépla cement. Ce désir de marcher et de découvrir s’est transformé en une grande volon té de travailler. Naulekh est le meilleur yak de travail que j’ai, aucun des autres yaks n’arrive à sa hauteur. Aucun autre à autant d’endurance, d’ambition et d’envie de voyager; autant de courage, de la curiosité et de la puissance physique…
Traversées
JJ’ai toujours rêvé de faire un grand voyage avec Naulekh, la continuation de la tra versée des Alpes que nous avions commencé en 2011 avec Sonja et les yaks Lufang, Julong et Manduk, en reliant Evolène à Menton. Après une longue préparation administrative et logistique, nous sommes partis pour les Alpes autrichiennes en 2020. Avec Pascale comme co-équipière humaine et Tsarang comme co-équipier yak, nous projetions de traverser les montagnes direction l’est pendant deux mois.
Si je devrais donner un titre à cette expédition autrichienne, je le ferais avec les mots de la dame âgée que nous avons croisé sur le chemin bien fréquenté qui monte vers la Schweinefurterhütte.
« Vous allez où? » nous avait-elle demandé en fronçant les sourcils.
« Là-bas, direction est» j’avais dis en montrant vers le fond de la vallée .
« Là-bas, il n’y a rien, il n’y a que des cailloux et la terre sauvage » a-t-elle répondu d’un air de désapprobation.
Bon... dans le moment nous nous regardions un peu amusées avec Pascale. Mais rétrospectivement « là-bas, il n’y a que des cailloux » qualifie bien les défis de cette expédition. Raides et caillouteuses, ces montagnes autrichiennes. Raides, raides, raides, avec des vallées profondément encaissées, des alpages rudes et pauvres en herbe, des cols escarpés...
Le lendemain de la rencontre avec cette dame peu enthousiaste de notre projet, nous montions vers le Satteljoch sur un chemin mal tracé et mal entretenu. Les yaks étaient fatigués, et surtout Tsarang souffrait de la chaleur.
« C’est bien raide ici » je ai remarqué à des randonneurs qui descendaient de la montagne
« C’est rien ici, comparé à en-haut. » « Vraiment?? Mais y a-t-il un chemin? » « Il y a un chemin... »
Oui, il y avait un semblant de chemin, mais raide, mal entretenu, avec des cailloux partout, avec des marches et des grand blocs à escalader et des mottes de terre qui cédaient sous le poids des yaks… C’était dangereux pour les yaks et angoissant pour nous. Arrivées au col, Pascale et moi nous nous sommes tombées dans les bras en pleurs, tellement l’émotion avait été forte et tellement nous étions heu reuses d’être arrivées sur le col avec nos yaks sains et saufs sans accident. Mais il fallait encore redescendre pour trouver de l’eau et de l’herbe pour un campement.
Le premier endroit avec de l’eau que nous trouvions à la tombée de la nuit était surbrouté... après tout l’effort que les yaks avaient fourni, il y avait à peine quelque brindilles à manger pour eux. Je sentais ma gorge se nouer et les larmes me monter aux yeux, tellement je me sentais mal de ne pouvoir leur offrir que cela. Je devais
me battre pour avaler l’émotion. Je les regardais. Naulekh s’était couché tout de suite, il sait quand il a besoin de repos. Tsarang l’a rejoint après un petit moment. Ils étaient calmes, ils étaient au repos, ici et maintenant. Eux, ils ne pensaient plus à la belle prairie de l’autre côté du col qui aurait pu être leur pâturage du soir, ils profitaient juste de se poser après l’immense effort qu’ils avaient fourni. Quelle résilience!
Dès le premier jour, ce voyage ne s’était pas déroulé comme prévu. Le premier déjà col était infranchissable pour les yaks et nous avons dû faire demi tour dans la pluie... Dès le premier jour de ce voyage, la montagne nous a appris l’humilité, la patience. Dès le premier jour, nous avons été freiné dans notre désir d’avaler des kilomètres et d’avancer et avons du apprendre à lâcher prise et nous incliner à ce qui est plus grand que nous: la montagne, la météo, la réalité du moment présent.
Après trois semaines de marche dans les cailloux, un matin pluvieux Tsarang n’allait pas bien. Il posait à peine le pied. Il tremblait. Je lui ai mis quelques aiguilles d’acupuncture et posé mes mains pour qu’il retrouve un peu de force. Il fallait que nous descendions vers la civilisation, car la météo annonçait la neige. Cette minus cule clairière dans la forêt, n’était pas un endroit pour rester dans le mauvais temps
avec un animal blessé. Nous sommes descendu au fond de la vallée où il y’avait un grand hôtel-restaurant. Le parking était désert ce matin-là dans le mélange de pluie-neige qui commençait à tomber. J’ai aperçu un homme entre les bâtiments et je suis allée lui parler et expliquer notre problème. Il m’a dit que je pouvais laisser les yaks sur le pré devant la maison, comme les vaches étant déjà descendues dans la vallée. Nous avons débâté les yaks dans une pluie de plus en plus intense. Le monsieur nous a laissé mettre les bagages dans un garage et nous nous sommes réfugiées dans le restaurant pour nous réchauffer avec une boisson chaude et réflé chir à la suite.
Il pleuvait des cordes quand nous sommes aller voir une écurie plus bas dans la vallée dont le monsieur sympa pensait qu’elle pouvait nous servir d’abris. Mais elle était fermée. Quand nous sommes revenu, il n’y avait plus de yaks sur le grand pâturage en dessous de l’hôtel! En faisant le tour du parc pour voir où ils auraient pu sortir, nous avons trouvé des traces dans le sable au bord de la grande rivière et avons compris que les yaks qui nous ont vu partir sur le sentier de l’autre côté, ont dû traverser la rivière pour essayer de nous suivre. Ils ne voulaient pas rester seuls sur ce pré dans la pluie. En effet, nous les avons retrouvés plus bas, où une clôture les empêchaient de nous suivre plus loin. Cela m’a beaucoup touché de comprendre qu’ils avaient essayer de nous suivre! Pendant ces trois semaines de voyage, nous
sommes vraiment devenu un troupeau. Nous les avons ramené et avons cherché l’endroit le plus abrité possible entre les bâtiments de l’alpage pour monter notre camps pour la nuit, car la pluie commençait à se transformer de plus en plus en neige et Tsarang ne semblait vraiment pas en forme. Nous avons monté la tente tout proche des yaks. Je voulais être à côté d’eux dans la tempête pour les soutenir avec notre présence. Les yaks ont dormi sous l’auvent du chalet, nous dans notre tente couverte de neige lourde qui la transformait presque en iglou. Le lendemain, la montagne était couverte de trente centimètres de neige fraîche. Il fallait absolu ment descendre pour que les yaks aient à manger et qu’on puisse soigner Tsarang. Le monsieur du restaurant nous a donné l’adresse d’un paysan plus bas. Pascale a fait du moxa à Tsarang qui tremblait de nouveau ce matin, je l’ai encouragé avec un petit massage et nous sommes partis sur la route enneigé vers le bas de la vallée.
Nous avons fait une pause de quelques jours dans la ferme de Marco et avons appe lé un vétérinaire pour faire examiner le pied de Tsarang. Mais après quelques jours il ne marche toujours pas. J’ai fait pleins de téléphones et mis en marche toutes mes connexions que j’ai en Autriche pour finalement trouver un deuxième endroit d’ac cueil pour faire un pause plus longue avec Tsarang. C’est sur l’alpage de l’éleveur de yak Michael Wilhelm à Sölden que nous avons passé la semaine suivante. Après la
chaleur des premières semaines, la météo se dégradait de plus en plus. Il continuait à pleuvoir dans les vallées et neiger en altitude. Avec cette météo inhabituelle nous aurions du de toute façon interrompre notre voyage comme les cols devant aient infranchissables.
Toute la nuit le vent du sud avait soufflé autour du chalet. Il avait secoué les volets et les vitres, cela clapotait de partout. Le vent chantait dans les arbres, accompagné de la symphonie de l’eau qui ruisselait et glougloutait, ainsi que la pluie qui titillait contre les vitres et tambourait sur le toit et le grognement du torrent au fond du vallon.
J’ai apporté un peu de foin à mes deux yaks derrière la maison et je suis partie vers le fond du vallon pour voir ce que faisait le troupeau de yaks de Michael dans la tempête. La pluie fouettait mon visage et coulait le long de ma veste et de mes pan talons goretex. Tout en marchant j’observait le torrent à côté de moi qui se trans formait en fleuve sauvage. J’observait ses vagues, ses tourbillons et les grandes éten dues où il inondait le pâturage. L’eau se frayait son chemin à travers les cailloux, les creux, les arbres et arbustes. Je étais fasciné par la puissance sauvage de l’élément. Je me sentais bien et libre dans la tempête, comme purgée par les éléments. Les quarante cinq yaks de Michael avaient pris de la distance de l’eau et broutaient plus haut dans la pente entre les arbustes. Avec l’instinct de l’animal sauvage ils de vaient sentir le danger des crues, pendant que les quelques vaches de la race Tuxer traînaient toujours dans le plat à côté du torrent déchaîné.
Le vent chassait des rideaux de pluie a travers la montagne. C’était le moment de faire demi tour et de revenir en arrière, car le fleuve continuait à gonfler, il com mençait à lécher le fond des ponts et à inonder les plats. Le paysage se transformait de plus en plus. Je suis rentrée au chalet d’alpage trempée, mais nourrie de cette rencontre avec les éléments. Dans la cuisine m’accueillait la chaleur du fourneau à bois que Pascale avait entretenu pendant mon absence. Je ressentais le bien-être profond que procure le doux rayonnement du feu, sa chaleur, sa lueur. J’en étais tellement plus consciente après plus de trois semaines vécues dehors dans la tente. Cet abris simple que nous procurait le chalet d’alpage avec la fontaine dehors dans les prés, le fourneau à bois et la lumière des bougies était plus qu’assez. Mon corps et mon âme y trouvaient un bonheur profond.
C’est cette simplicité d’être que je recherche dans les long treks à travers les mon tagnes. Etre proche des yaks, de la nature, des éléments - même des éléments déchainés. La sensibilité du corps qui se développe et devient de plus en plus fine. L’observation du paysage qui s’éguise. Le mental qui se calme pour devenir de plus en plus simple et commence à laisser de la place à d’autres espaces de notre être…