Article - Coop Himmelblau - 2015

DUSSUD Benjamin

Coop Himmelblau,

Concrétisation et indices de continuités depuis 1968

L5H2 / Approches théoriques de l’architecture École nationale supérieure d’architecture de Grenoble

Introduction Les années cinquante marquent un tournant dans la définition de l’architecture. Alison et Peter Smithson apportent une nouvelle manière de penser la ville à l’opposé du modernisme et des grands plans d’urbanisme où l’homme est perçu comme un modèle unique, standardisé. Il est donc temps d’envisager les hommes comme une communauté non plus identique, mais multiculturelle et individuelle. Les pensées sur la ville fleurissent aux quatre coins de la planète et les architectes se lancent dans la recherche d’une nouvelle définition pour l’architecture. On ne pense plus la ville en plan, mais on cherche à mettre en place des situations, des évènements qui donnent une vision immersive de la ville animée par cette communauté. La photographie et le collage permettent de rendre compte de la façon dont l’architecture et l’environnement urbain peuvent interagir pour générer des espaces de vie ensemble.

Il y a en 1968 de grands bouleversements sociaux qui troublent un peu plus la vision de la ville. C’est à cette époque que les trois Autrichiens Wolf Prix, Helmut Swiczinsky et Michael Holzer, porteurs d’une critique affirmée et dure de la société et de l’architecture, s’unissent pour former en 1968 le groupe Coop Himmelblau.

L’agence a aujourd’hui réalisé un grand nombre de bâtiments aux formes audacieuses évoquant leur vision, maintenue depuis 1968.

Alors comment les architectes de l’agence viennoise ont-ils réussi à garder un lien quasi permanent entre les revendi1

cations sociales de leur début en 1968 et l’architecture ambitieuse qu’ils propagent aujourd’hui à travers le monde ?

Pour comprendre d’où viennent ces indices de continuité qui résident dans leurs réalisations, il est nécessaire d’analyser les aspects de la communication, de l’élaboration et de la morphologie du projet pour ainsi saisir la naissance du concept architectural en liaison étroite avec les sentiments, les émotions. D’une architecture intuitive au début des années soixante-dix à une architecture ouverte, ces concepteurs semblent vouloir provoquer des sensations auprès de chacun.

De la naissance à l’expression : histoire d’une idée Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe a subi d’importantes destructions dans les villes, nécessitant une reconstruction massive afin de loger les millions d’habitants sinistrés.

La pensée architecturale s’oriente alors vers de grands plans d’urbanisme assurant une ville construite rapidement grâce aux nouvelles technologies qui apparaissent dans la construction.

Les grands penseurs de ces villes, réunis autour des Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne (CIAM) à partir de 1928 imaginent dès lors une architecture basée principalement sur un modèle unique de l’homme dont les besoins, proportions et déplacements sont définis et universels.

Le bouleversement des années 1950 à 1970

En 1953, lors du CIAM 9, Alison et Peter Smithson proposent par le biais de leur grille, une vision novatrice pour penser l’architecture et la ville. En effet en intégrant les enfants, catégorie sociale oubliée de l’architecture moderne, les Smithson entendent définir une architecture basée sur la rue, représentant la vie en communauté au sein de la ville et la société multiculturelle aux besoins multiples. (1) L’architecture prend alors la forme d’un bâtiment-rue, « outil de 2

(1) (2) ROUILLARD, Dominique, Superarchitecture. Une autre histoire de l’architecture, Paris,Ed. La Vilette, 2004.

[Fig. 1]Présentation du projet «The White Suit» par Coop Himmelblau, 1969.

[Fig. 2] Photographie des masques de Hans Rucker, 1970, http://www.spatialagency.net/ database/haus-rucker-co.

3

[Fig. 3] Installation Oase n째7 sur un b창timent viennois par Hans-Rucker-Co en 1972. http://www.bellastock.com/blogbellastock/?p=316

[Fig. 4] Maquette du Wolke (The Cloud) par Coop Himmelblau 1968 http://www.coop-himmelblau.at/architecture/philosophy/coop-himmelblau-is-not-a-color

4

(3) Lettre adressée à Sigfried Giedion par Alison et Peter Smithson, Bill Howell et John Voelcker le 4janvier 1955, Archives J-L Sert, Graduate School of Design [GSD] Harvard

ré-identification de l’homme avec son environnement ». (2) Au travers de leur Cluster City les Smithson intègrent cette pensée sociale et la combine avec un développement urbain suivant les flux de déplacement de ses habitants. « La forme est une forme active, elle crée la communauté, c’est la vie elle-même faite manifeste » (3) diront A. et P. Smithson, B. Howell et J. Voelcker. La vision de la ville est alors totalement bouleversée. Partout dans le monde des réflexions proposant un rapport nouveau entre la ville et ses habitants naissent. Kenzo Tange et les métabolistes japonais s’interrogent sur la requalification d’un espace urbain surchargé par des architectures de grandes ampleurs, Yona Friedman introduit l’idée d’une ville contenue dans une unique architecture qui prendrait la forme d’une mégastructure à l’organisation cellulaire. Grâce à l’invention du plastique, l’architecture prend des formes plus adaptées à l’homme, allant même jusqu’à se faire complètement mobile à l’instar de la maison de vacances volante de Guy Rottier. À la fin des années soixante, les contextes sociaux, économiques et politiques provoquent de nouveaux bouleversements à travers le monde. Les idées sociales des Smithson et les mégastructures de Friedman sont remises en cause pour leur caractère fictif. La ville ne semble plus constituer un modèle adapté à la vie de l’homme et l’architecture tend alors à se recentrer sur lui, tels un vêtement ou une capsule spatiale.

(4) COOP HIMMELBLAU, «Beyond the blue» Édition Prestel, Vienne, Autriche, 2008

C’est donc dans ce contexte particulier que la voix de l’agence Coop Himmelblau se fait entendre en 1968 pour proposer ses idées en continuité avec cette critique forte de l’utopie des années cinquante. Wolf Prix, Helmut Swiczinsky et Michael Holzer tout trois inspirés par le courant du corps machine développent ainsi une architecture centrée sur l’homme pour le protéger du monde instable qui l’entoure. (4) Le travail du groupe Hans-Rucker-Co à travers le projet Oase N° 7 [Fig. 3] sera interprété par Coop Himmelblau pour enrichir un imaginaire basé sur l’image du nuage, hors du sol [Fig.4]. Ainsi il existe bien une analogie entre le travail de Hans Rucker et Wolke de l’agence autrichienne.

D’autre part, les Autrichiens développent en parallèle une architecture que l’on pourrait nommer de sensitive, réagis5

sant à ses occupants comme un corps réagit à son environnement.

De ces idées revendicatrices, l’agence à continuer son chemin, parcourant une architecture déconstruite qui à sans cesse chercher à questionner le lien entre les hommes et leur environnement urbain. L’architecture de papier développée au commencement de leur activité s’est transformée à la suite d’une recherche morphologique et a constitué une image de l’agence en évolution constante.

Aujourd’hui, Wolf D. Prix reste le seul, parmi les trois architectes du départ, à continuer l’aventure au sein de l’agence.

Au travers de cela, l’image que l’agence renvoie s’est transformée toujours dans le besoin de rester connecté à son époque pour mieux la comprendre.

La question du trait : représenter, communiquer le projet Afin de partager ses idées et de les diffuser, Coop Himmelblau use de plusieurs modes de représentations, les utilisant chacun pour exprimer une part du projet. Néanmoins, il existe une véritable différence de comportement de l’agence entre les périodes de 1968 à 1980, basé sur la recherche de concepts provocateurs de sensation, et de 1980 à aujourd’hui, dans laquelle l’agence tente de formuler une réponse de plus en plus concrète pour exprimer ces sensations. Ces deux périodes sont repérables dans l’utilisation des outils de communication mis en place par les architectes.

La main de l’architecte pour penser le projet est un élément majeur dans la conception. Bon nombre des projets réalisés par l’agence aux alentours de 1970 expriment, par le dessin, la volonté de décrire des projets finis à la constructibilité plausible. Ainsi le dessin quasiment technique permet d’exprimer les idées morphologiques que l’agence développe. [Fig.6] Aujourd’hui l’aspect technique de la représentation graphique ne semble plus jouer le même rôle dans la communication du projet puisqu’il est relayé dans la phase de réalisation laissant davantage de place à des croquis conceptuels exprimant par la main le mouvement et le ressenti dans l’architecture. [Fig. 5] L’agence qui avait besoin de trouver une certaine crédibilité dans sa conception architecturale emploie aujourd’hui un 6

[Fig. 5] Croquis du musée des Confluences, Coop Himmelblau, 2013 http://www.coop-himmelblau.at/architecture/projects/musee-des-confluences/

[Fig. 6] Croquis du Wolke par Coop Himmelblau 1968 http://www.coop-himmelblau.at/architecture/projects/musee-des-confluences/

[Fig. 7] Maquette du Wolke par Coop Himmelblau 1968

[Fig. 8] Maquette d’étude du musée des Confluences par Coop Himmelblau 2013

7

graphisme tourné vers la sensation et qui appelle à l’imaginaire de chacun.

Pour que le projet soit compris de tous, les architectes ont compris assez vite l’importance de le mettre en situation afin de provoquer une comparaison avec l’environnement connu. En 1968, les rendus réalistes dessinés à la main montraient le projet dans un tissu urbain défini, comme pour faire interagir ces formes nouvelles avec la ville traditionnelle que les penseurs de cette époque s’appliquent à remettre en cause. [Fig. 9] À nouveau, on retrouve un comportement visiblement différent dans la manière d’exprimer la place du projet dans la ville par le rendu réaliste. En effet, on pourrait voir, dans les insertions des projets contemporains de l’agence, la volonté de représentation un projet flambant, aux allures monumentales tant la représentation semble se concentrer sur l’aspect formel du projet au détriment de son interaction avec la ville.

Dans le travail de recherche formelle faite par l’agence, il est important de prendre en compte une troisième composante de représentation, à savoir la maquette. C’est un médium de recherche dont l’agence s’est toujours servie pour formuler un concept dans les trois dimensions. Pourtant ce travail de modelage semble avoir suivi le même processus d’utilisation dans les projets de Coop Himmelblau, passant de maquettes finies, souvent à l’échelle un, à des maquettes faites de mousses et de calques, exprimant une sensation par leur abstraction.

Mais il est indispensable de prendre en compte la communication des membres de l’agence comme miroir de sa philosophie. Coop Himmelblau se fait connaître en 1968 par une communication verbale forte, critiquant violemment l’architecture des années 1970 au travers de manifestes sanglants et affirmés. (5) Quelques années après la création de l’agence, Helmut Swiczinsky et Michael Holzer quittent l’agence laissant Wolfgang Prix seul aux commandes du navire. L’agence s’est développée, à acquérir une envergure mondiale et son image, exprimée essentiellement par Prix, renvoie aujourd’hui l’image d’une agence en expansion, la plaçant parfois comme une agence ayant perdu de son engagement dans le domaine social pour préférer des projets représentant l’agence dans le monde.

(5) COOP HIMMELBLAU, Architecture must blaze, Vienne, 1980, http://www. coop-himmelblau. at/architecture/ philosophy/architecture-must-blaze

8

Genèse de la forme : outil d’expression pour la ville et la société Depuis 1968, l’agence Coop Himmelblau a évolué au rythme des critiques sociétales, des happenings parfois mal accueillis ou par le changement d’identité et d’image.

Ces périodes ont donné lieu à une recherche de formes en permanente évolution, autant de manifestes architecturaux destinés à diffuser leur vision de la société par l’architecture. Les projets de l’agence autrichienne s’insèrent dès le départ dans un processus d’invention d’un concept générateur de sensations et de projets.

Les yeux fermés, imaginer l’architecture

DONADA, Julien.

Les Visionnaires.

Une autre histoire de l’architecture. [DVD].

Paris, Petit à Petit Production, 2013, 71 min, couleur.

(6)

(7) LABEDADE, Nadine.

«Open house, 19831992», Frac-Centre. http://www.frac-centre. fr/index-des-auteurs/ rub/rubprojets-64. html?authID=46&ensembleID=121&oeuvreID=583 [consulté le 02.11.2015].

(8) DONADA, Julien.

Les Visionnaires.

Une autre histoire de l’architecture. [DVD].

Paris, Petit à Petit Production, 2013, 71 min, couleur.

Ces sensations sont liées à la façon de dessiner le projet. En 1984, l’agence réalise l’Open House à Malibu et conçoivent une architecture prônant pour des formes ouvertes, sans limites de fabrication dans le temps. [Fig.9] Cette architecture est le fruit d’un dessin réalisé à la main, les yeux fermés. C’est un processus nouveau dans la pensée de l’architecture ; en fermant les yeux, Wolf Prix s’exprime par son inconscient, se détournant de toute contrainte physique. “I use my hand like a seismograph for notation of this feeling” (6). Il y a évidemment un lien très fort avec l’histoire de Vienne et la découverte de la psychanalyse par Freud.

Fabriquer le projet en exprimant ses émotions contenues dans son inconscient permet alors à l’architecte de définir une architecture « ouverte ». La plasticienne Nadine Lambedade explique que la maison est dessinée « selon un processus où la main, tel un sismographe, enregistre et transcrit des sentiments et émotions forts que le bâtiment, à son tour, devra éveiller ». (7)

Formes architecturales, espaces sensibles Puisqu’elle est le résultat du mélange entre un état mental inconscient et d’une culture qui s’inscrit dans un temps donné, l’architecture de Coop Himmelblau se veut en évolution perpétuelle. (8) En effet depuis sa création Coop Him9

[Fig. 9] Dessin d’un psychogramme pour le projet de l’Open house par Coop Himmelblau, Malibu 1983

[Fig. 10] Maquette de l’Open house, symbole de l’architecture ouverte par Coop Himmelblau, Malibu 1983

10

(9) KIPNIS, Jeffrey. «A question of qualities.

Essays in architecture», The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 2013

melblau a conservé une continuité morphologique qui en dit long sur la vision de l’architecture qu’il souhaite diffuser. L’évolution des projets de l’agence n’est donc qu’un fil conducteur pour diffuser l’idée de l’agence et peut être analysée comme Jeffrey Kipnis le fait, au travers de quatre « périodes stylistiques ». (9) Cloud (1968-1980) : Le nuage Caractérisé par Wolke ou encore la Villa Rosa [Fig.11], le Nuage constitue la première philosophie de l’agence, celle des revendications sociales, du repli de l’architecture sur l’homme. Ses dimensions restreintes permettent l’insertion urbaine des réalisations sous forme d’happening appuyant leur côté revendicateur.

Wings (1980-1990) : Les ailes C’est l’architecture ouverte, avec l’Open House [Fig.12] Coop Himmelblau expose au grand jour une architecture au contact de l’usager ; comme une formalisation architecturale des idées de 1968.

Wrecks (1990-1997) : Les accidents En 1994 s’ouvre le Groningen Museum aux Pays-Bas. [Fig.13] Avec ce bâtiment, Coop Himmelblau complexifie sa conception architecturale. Autrefois ouverte et transparente, se faisant volatile par moment, elle devient opaque et change de dimension. Les volumes se construisent, s’imposent pour générer une forme déconstruite. La place de la ville à partir de ces projets devient de plus en plus cruciale et l’architecture entre en connexion avec elle.

Fog Banks (1997 – présent) : Les bancs de brume Caractérisé par le musée des Confluences, à Lyon. [Fig.14] Mais la continuité morphologique qui caractérise Coop Himmelblau ne se trouve pas seulement dans la définition globale du projet.

En comparant l’architecture pensée en 1968 pour le projet Wolke et le Musée des Confluences, il est possible de repérer des similitudes dans la façon de concevoir l’espace. Wolf Prix déclare « forever young doesn’t exist in architecture », exprimant donc clairement la relation entre chaque projet, l’un proposant « d’autres réponses, plus élaborées que les idées rudimentaires » du début. Wolke est le deuxième projet construit par l’agence en 1968. Encore développé sous le signe d’une architecture proche de l’homme, le coupant 11

[Fig 11] Photographie du prototype de la Villa Rosa de Coop Himmelblau 1967

[Fig 12] Maquette de l’Open House par Coop Himmelblau, Malibu 1983

[Fig 13] Photographie du Groningen Museum de Coop Himmellblau.

Prise par Urban Capture en 2013

[Fig 14] Photographie du MusĂŠe des Confluences de Coop Himmellblau.

Prise par Huffington Post en 2014

12

de son environnement en décroissance, l’architecture tente de l’élever vers les nuages, loin du sol. Pour cela, les architectes utilisent la structure gonflable, médium omniprésent dans leurs projets et happenings de 1968 à 1970. Dans la continuité des idées du groupe Archigram avec « A Walking City », le projet de Coop Himmelblau prend attache au sol grâce à un camion, capable de contenir dans sa remorque l’intégralité de la structure. L’architecture se fait mobile et transportable. Installé dans une cabine, l’usager qui quitte le sol terrestre pour rejoindre sa structure d’habitation dans les nuages empruntant un bras de circulation incliné selon un angle d’environ 30 °. Par ce moyen de circulation, les architectes entendent dissocier le module habitable de la ville existante et ainsi rompre le lien entre l’habitation et le paysage urbain. L’espace d’habitation semble même dissocié de l’enveloppe protectrice et semble donc flotter dans cet espace, laissant le déplacement de l’homme libre, loin des attaques extérieures.

Ce mode de conception de l’architecture réapparaît quarante-sept ans après lors de la réalisation du Musée des Confluences à Lyon. En effet, le projet semble puiser son essence dans Wolke. Basé sur un socle épais, dont les fonctions semblent prévaloir sur l’aspect esthétique de l’architecture, le bâtiment se compose de deux autres entités, le « Crystal », espace de transition entre la ville et le musée, mais aussi espace de circulation grâce à sa rampe qui semble flottante, et le Nuage, commençant son développement un niveau au-dessus du sol, c’est un volume de grandes dimensions dont les niveaux qui le constituent semblent flotter au sein d’une enveloppe à la forme déconstruite et fluctuante. On observe donc bien le même processus d’élaboration du projet où le bâtiment ne repose pas directement sur le sol terrestre, mais tente de s’élever voire de s’envoler par moment par le biais de circulations ascendantes et de volumes abstraits contenus dans une enveloppe flottante.

Malgré bientôt cinq décennies les séparant, le Wolke et le Musée des Confluences sont donc les manifestations qu’il existe une continuité morphologique dans le travail de Coop Himmelblau. Qu’elles passent par des périodes de recherche de forme, les idées énoncées en réponse à un climat social pesant et instable sont parvenues à trouver leur place au sein des architectures urbaines et des 13

[Fig 15] Coupe technique du Wolke de Coop Himmelblau, 1968

[Fig 16] Coupe technique du musĂŠe des Confluences de Coop Himmelblau, 2013

14

réalisations qui comptent parmi les œuvres majeures d’aujourd’hui.

Il existe néanmoins quelques différences qui peuvent être autant d’indices de discontinuité entre la pensée de Coop Himmelblau de 1968 et celle d’aujourd’hui.

La plus évidente semble être celle de la technique. Les moyens, industriels et simples, mis en œuvre pour le Wolke semblent bien loin de la complexité structurelle qui régit le projet du Musée des Confluences ; l’avancée du numérique a donc permit à l’agence autrichienne de s’exprimer autrement dans les formes qu’elle utilise. De plus, il est nécessaire de comprendre les différences d’ambiances générées dans chacun de ces espaces ; le Crystal du Musée des Confluences est ouvert sur la ville, l’acier et le verre se marient dans des formes en tensions pour créer un intérieur qui semble réagir à son environnement, dans le projet de 1968, la circulation se faisant par cet élévateur incliné se veut plus radicale dans la montée vers l’architecture. En effet, elle quitte le sol pour s’en éloigner, sans chercher une quelconque ambiance, ce n’est pas un espace où l’on reste à l’inverse du musée où ce forum connecte les hommes, la ville et le musée. Ce musée d’ailleurs est englobé par une enveloppe opaque en acier contrairement à la structure gonflable et transparente du Wolke, l’architecture s’efface donc d’une manière différente pour recentrer l’usager sur ce qu’il doit voir, le monde en déclin social d’un côté, les œuvres de l’humanité de l’autre.

De l’échelle humaine à l’échelle urbaine : évolution de l’idée Partie de l’idée que l’architecture doit se recentrer sur l’homme pour correspondre à ses besoins, l’agence Coop Himmelblau a très clairement cherché au fil du temps à générer une architecture qui s’insère en ville en provoquant des émotions.

En 1968, le climat social mondial sert de ressource au développement des idées radicales de Coop Himmelblau.

Inspirés par le travail de Pichler ou encore par Hollein, les architectes conçoivent des espaces minimaux en connexion permanente avec le corps de l’homme, source de déplacement, de lumière ou de sensation.

15

Alors que la ville semble en déclin et que des architectes comme Yona Friedman pensent à comment la requalifier par des mégastructures, Coop Himmelblau choisit la voix de la revendication, souhaitant un repli sur soi qui naît du besoin de se protéger de ce monde extérieur qui semble sur le point d’exploser. Avec Restless Sphere [Fig.17], l’homme enfermé dans une bulle gonflée la fait avancer par les mouvements de son corps en marche, ainsi l’architecture mobile atteint son minimalisme le plus absolu et cette idée donnera par la suite naissance au projet du Wolke.

La ville devient un paramètre important dans la conception des projets architecturaux. Les nouveaux enjeux des espaces urbains semblent avoir guidé les architectes autrichiens vers une recherche de connexion entre leur création et la ville qui l’entoure.

Nadine Labedade explique que l’architecture contemporaine de Coop Himmelblau a pour vocation « d’amplifier les tensions urbaines par une autonomie affirmée » du bâtiment. (10) L’architecture de la ville est donc générée selon son contexte et notamment selon sa position à la fois géographique et critique par rapport à d’autres constructions.

Elle entre donc en interaction avec le paysage urbain pour trouver sa forme et s’imposer dans contexte.

Les courbes et angles aigus sont dès lors rendus possibles et l’architecture peut se profiler au plus près d’une contrainte sonore ou environnementale, d’un flux ou d’une ambiance.

Cette liberté morphologique acquise grâce à l’outil informatique place alors le bâtiment de manière particulière dans la ville. Si nous prenons l’exemple du Musée des Confluences, on se rend compte, et cela selon notre position géographique d’aborder le bâtiment, que cette architecture qui ne répond plus au principe de façades définies par les points cardinaux se dote d’une multiplicité de visage. Tantôt vaisseau spatial, tantôt nuage, l’architecture semble en mouvement perpétuel. Elle n’est plus définissable dans le paysage urbain que part la position de celui qui le regarde.

LABEDADE, Nadine.

«Open house, 19831992», Frac-Centre. http://www.frac-centre. fr/index-des-auteurs/ rub/rubprojets-64.html?authID=46&ensembleID=1&oeuvreID=583 [consulté le 02.11.2015].

(10)

Une continuité évolutive au cours du temps 16

tion ou bien est-ce le moyen de voir toujours plus grand ?

[Fig.17]Happening pour Restless Sphere, 1971, http://www.coop-himmelblau.at/architecture/ projects/restless-sphere/

[Fig.18]Vue aĂŠrienne du Pavilion 21 Mini Opera House par Coop Himmelblau, 2013, Munich, http://www.coop-himmelblau.at/architecture/projects/pavilion-21-mini-opera-space

17

L’agence Coop Himmelblau reste l’une des rares agences à avoir émis une critique sociétale de la ville tout en parvenant aujourd’hui à trouver sa place parmi les architectures remarquées du monde. Ainsi l’agence s’est forgé une image et un positionnement dans la société par plusieurs paramètres qui caractérisent leur travail et donc sa continuité au cours du temps. L’identité de l’agence passe en effet par un mode de représentation cherchant constamment à exprimer un concept naissant d’un processus de fabrication du projet basé à la fois sur l’expression formelle d’un positionnement architectural et sur la production d’espaces sensibles générateurs d’émotions. Par conséquent, les formes utilisées par Coop Himmelblau pour concrétiser leurs idées initiales ont fait l’objet d’une recherche constante de la définition la plus stable pour exprimer une idée continue : Coop Himmelblau produit une architecture de sensations en interaction avec l’homme et son environnement où la forme et la matérialité poussent l’usager à se recentrer sur ce qu’il ressent.

Néanmoins, fournir une réponse architecturale durable dans le temps en fonction d’idées sociales relatives à une époque s’avère être un exercice difficile à mettre en œuvre.

En presque cinquante ans, l’agence a traversé de grands bouleversements qu’elle s’est efforcée de prendre en compte pour produire son architecture. L’image que revoit l’agence aujourd’hui, par le biais de W. Prix, peut parfois l’éloigner de son positionnement fort et revendicateur de 1968. D’ambitieux projets alliés à une communication forte sur leur aspect final ne semblent plus correspondre avec la volonté de faire réfléchir par l’architecture. Pourtant il existe bien un processus qui est resté présent pour l’élaboration du projet et de son concept s’exprimant principalement par un travail en maquette et en croquis abstraits et schématiques. À l’heure où la société connaît de nouveau de grands changements dans les domaines sociaux, économiques, financiers, technologiques et politiques, l’architecture doit pouvoir répondre, comme le disait Yona Friedman, au désordre à venir et donc provoquer les populations par sa présence. Si la perception de l’architecture Coop Himmelb (l) au a changé au point de ne plus être lue par ses usagers, il est important de nous interroger sur la place que prend l’outil informatique dans l’élaboration du projet, estce un nouveau moyen de changer le moment de la concep18

Bibliographie

Livre : KIPNIS, Jeffrey, A question of qualities. Essays in architecture, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2013.

ROUILLARD, Dominique, Superarchitecture. Une autre histoire de l’architecture, Paris,Ed. La Vilette, 2004.

SITTE, Camilio, L’art de bâtir les villes, Paris, points essais,1996.

Catalogue d’exposition : Coop Himmelblau, Beyond the Blue, Vienne, Autriche, 2008, MAK. Article de périodique, revue : BRIDOUX-MICHEL, Séverine, L’oeuvre ouverte en question, de l’architecture au projet urbain, Les cahiers thématiques, n°10, Lille, Ed. de la maison des sciences, 2010.

Revue numérique : COOP HIMMELBLAU, Architecture must blaze, Vienne, 1980, http://www.coop-himmelblau.at/architecture/philosophy/architecture-must-blaze

15