Et si Valognes était encore une ville aristocratique ?
Comme l’écrit Jules Barbey d’Aurevilly au xixe siècle : « Valognes la ville de ses spectres ! » Il l’a retrouvée en 1868, triste comme un sarcophage abandonné. Barbey d’Aurevilly, conservateur catholique, s’attache délibérément aux fastes du passé. Un lien viscéral entre lui, le fils l’aristocratie terrienne du Cotentin, et ces terres, ces traditions, cette valeur du bien matériel qui donne un certain pouvoir sur le petit peuple. Est-ce vraiment l’homme obsédé par l’esprit de l’Ancien Régime ? Il eut dans sa prime jeunesse quelques idées rebelles, rejetant l’Église et son clergé pour humer un vent de liberté. Mais Jules Barbey d’Aurevilly revient quelques années plus tard à sa condition première. Il renoue avec ses idées monarchistes, devient autoritaire dans ses principes et ses goûts. Valognes, ville aristocratique ? Elle le fut, personne ne peut le nier. Il suffit d’arpenter ses vieilles rues pour se rendre compte de l’éclat qu’elle avait au temps des Lumières. En juin 1944, les terribles bombardements eurent raison d’elle, anéantissant son vénérable passé. Le centre, complètement détruit, ne ressemble en rien à la période d’avant-guerre. Ce n’est pas la vénérable collégiale Saint-Malo qui peut relever le défi, rafistolée par l’architecte Froidevaux, faute de fonds suffisants. Comment approuver ce recollage d’un chœur gothique flamboyant, parfaitement restauré,
à ce bloc de béton sans style à toit plat, qui choque l’œil habitué aux canons de l’esthétique du beau ? La cinquantaine d’hôtels particuliers restant debout est incontestablement un témoignage vivant du passé. L’ombre et la lumière y jouent des effets de contraste saisissants. Plus encore, certaines restaurations ont redonné du goût à la petite ville huppée. Aujourd’hui, Valognes sort de sa période d’après-guerre, les murs de la reconstruction se sont patinés, insérés dans un décor plus moderne avec le mobilier de la ville. Les rues anciennes ont retrouvé un macadam plus étudié, alliant le pavage et les nouveaux revêtements. Cela apporte une poésie mélancolique au Cotentin, que l’on dit souvent voilé à cause de son temps gris, de ses pluies et du vent qui souffle parfois très fort. Mais le Cotentin est presque une île, encerclée de toutes parts par l’eau et la mer. Cette particularité en fait une entité singulière. Les habitants ont une certaine fierté faite d’un attachement insulaire qui donne une force de caractère, de cette indépendance d’esprit apportée par les Vikings. Le charme cotentinais appartient aux contrées de l’Ouest, régions marquées par de splendides paysages vallonnés où les basses prairies côtoient les grosses collines fleuries de bruyères et le damier impressionnant des champs délimités par des haies touffues et verdoyantes. 13