Menteurs!

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Zoom : Menteurs ! ************************************************************************************************

Les grands groupes, financiers et industriels, se sont trouvés une conscience. Désormais responsables et vertueux, ils œuvrent au salut du monde. Ce n’est donc plus la peine que nous-mêmes, personnes morales ( ?) bêtement mortelles, nous nous fassions du souci. Suivons donc leurs judicieux conseils et leur leadership en bon consomm’acteurs avisés et le monde sera sauvé. N’en doutons pas.

La sornette d’alarme Après avoir nié ou minimisé pendant des décennies les effets délétères de l’industrie sur la nature et sur les hommes, les grandes entreprises se sont aujourd’hui autoproclamées championnes du ‘développement durable’ (DD), de la croissance verte, des futures générations et des petites fleurs. Le retournement s’est fait progressivement mais on trouve désormais peu d’entreprises qui ne se vantent pas de faire leur petit plus pour la planète. Pour donner des points de repère à ce mouvement, on peut selon nous remonter au sommet sur la planète de Rio en 1992, où les entreprises se sont rendues compte du potentiel du DD – notamment en terme de communication. Puis 2002, et le sommet sur la planète de Johannesburg, où les entreprises prêtent

massivement concept.

allégeance

au

Il existe dorénavant d’innombrables pactes, labels, associations, etc., qui visent à ‘sauver la Terre’ – finalement moins menacée que l’humanité (admirons au passage le World business council for sustainable development [WBCSD] ou Conseil mondial des affaires pour un développement durable. C’est beau et irréel comme Rhône Poulenc & TF1 qui sponsoriseraient une émission écologique).

Cette scène rappelle parfois de vieilles comédies grinçantes où l’on voit un aréopage de médecins aussi cupides qu’incapables tuer à petit feu un malade qui aurait surtout besoin d’un peu d’air frais.

« Les grands pollueurs ont tout intérêt à ce que le ‘développement durable’ soit avant tout un problème de responsabilisation du consommateur-citoyen, faisant ainsi de la pollution un manque de civisme et de la consommation une solution : la meilleur façon de protéger la nature, c’est encore de consommer… Et le consommateur n’a plus que l’embarras du choix : entre Leclerc et Carrefour, lequel soutenir de son acte d’achat ‘écologique’ et ‘éthique’ ? Quelle enseigne oligopolistique vouée à la consommation de masse, poussant au productivisme, au dumping social et aux délocalisations, jetant sur les routes un flux exponentiel de camions, est la plus engagée sur la voie du ‘développement durable’ ? » Benoît Eugène La revue Agone n°34


Développement durable : on lave plus vert Alors on a inventé le développement durable, « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». C’est donc un développement réellement ‘durable’ puisque il se donne à lui-même les moyens de sa perpétuation, notamment en organisant la solidarité entre les générations. Mais ce concept n’oublie pas le social, qui en est un des piliers, à travers « le concept de ‘besoins’, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il

convient d’accorder la plus grande priorité ». Tout est pour le mieux donc : on se soucie enfin des générations futures, des plus pauvres et de la nature, le monde est sauvé. Sauf que… Si c’est à ses fruits qu’on reconnaît un arbre, il est désormais patent que celui du développement durable est pourri de la racine à la cime. A part pour le développement fulgurant de nouveaux marchés (des nouvelles technologies, de la communication, de la certification), les résultats sont pour le moins ambigus : si certaines des nouvelles technologies sont utiles, la

Un bio gâchis Il était une fois des légumes que l’on faisait pousser dans la terre (dans la terre – quelle drôle d’idée !) et au soleil. Mais il s’agit là d’une époque reculée, archaïque. Trop cher, trop sale, trop de personnes qui travaillaient la terre plutôt que de s’épanouir à faire la queue au Pôle emploi ou devant la télé. On fit donc pousser des tomates sous serres, sur roches, qui grossissent au liquide nutritif (dans des pays qui manquent d’eau) – c’est beaucoup plus rationnel. Mais l’on s’est rendu compte au bout d’un moment (je ne vous dit pas combien d’ingénieurs ont travaillé d’arrache-pied) que c’était moins nutritif, et qu’en plus, c’était moins bon pour le

sol, les écosystèmes alentours, le corps humain… Pour finalement recommencer à cultiver des légumes dans la terre, au soleil, et sans arsenal chimique digne d’un ‘rogue state’. Mais comme on sait plus trop faire, et que ça coûte plus cher (cela rapporte donc moins – sauf si une demande solvable est prête à passer outre), on décide de conserver la filière qui produit des denrées médiocres – et souvent nocives, afin de permettre aux pauvres de continuer à se gaver de mauvais produits (on sait que leur cœur les y porte).

pollution (de l’air, de la terre, de l’eau) continue d’exploser, suivant en cela la courbe de la demande. Les inégalités idem et le sort des générations futures ne paraît pas particulièrement enviable. Les solutions ‘soutenables’ sont plus loin que jamais, tandis que les catastrophes annoncées sont déjà là et s’aggravent à chaque instant. Les écotartuffes Le tartuffe est un personnage classique de comédie que le Petit Larousse (2005) qualifie de « faux dévot ». Une fois le sens initial rappelé, le néologisme formé par les objecteurs de croissance devient limpide. Un néologisme dont ils ne sont pas avares et qu’ils ont attribué à quantité de personnes. Les plus connus de ces écotartuffes sont bien sûr Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand, les hélicologistes fous qui vous conseillent de ‘fermer le robinet quand vous vous brossez les dents’ pour sauver la planète (oh, et accessoirement de verser de l’argent à des fondations, comme, par exemple, la Fondation pour la nature et l’homme ou Good Planet.). Mais on en trouve partout ! En politique avec Chirac, son productivisme et sa « maison » qui « brûle » ; Borloo & Sarkozy, les avocats d’affaires, et leur ‘Grenelle’… Dans le milieu associatif, avec entre autres Serge Orru, le serial signeur… Chez les stars du show-biz on ne peut plus les compter… Le vert, c’est le nouveau noir ?


Plus label la vie Les nouvelles indulgences Toute la communication autour des produits écologiques et/ou équitables est à la fois fascinante et dérangeante. Mais ce qui me scandalise peut-être le plus, ce sont les nouvelles ‘indulgences’ que représentent ces produits. « La planète brûle », mais certains ne regardent pas ailleurs, consomm’acteurs éco-responsables et éthiques, ils font leur petit plus pour la planète ou le petit producteur : Du panneau solaire sur la villa au café équitable, de la voiture hybride à la compensation carbone, en passant, bien sûr, par le tee-shirt en coton bioéquitable… L’attitude que ces héros des temps modernes ont envers la foule du commun varie : de l’indignation à la condescendance, du dégoût à la volonté d’évangéliser… Que l’on puisse s’acheter des produits de qualité supérieure et même une bonne conscience lorsque l'on a de l'argent, rien de nouveau sous le soleil… Mais quand on pousse cette logique à fond, c’est à la guerre civile qu’elle conduit.

Le ‘commerce équitable’, voilà une idée formidable, bien que l’intitulé soit un peu de mauvais goût. En effet, prendre le soin de préciser que ce commerce-ci est équitable, c’est impliquer que le reste du commerce – l’immense majorité – ne l’est pas. C’est d’autant plus fâcheux que le commerce équitable s’adapte avec une facilité déconcertante aux circuits commerciaux existants, ce qui laisse penser que la différence est peut-être marginale. Le petit producteur touche quelques centimes de plus : génial ! Certains esprits chagrins se demanderons peut être si le petit producteur ne préférerait pas s’occuper de cultures vivrières pour nourrir les siens… Et puis, d’autres questions viennent à l’esprit : qu’en est-il du magasinier qui a trié ces produits, des dockers et camionneurs qui les ont chargés/déchargés, de la caissière qui les vend ? Pas de

pitié : on ne peut pas mettre tout le monde sur l’affiche, et le sourire d’un producteur africain ou d’une petite indienne est tellement plus vendeur… Qui profite le plus de cette imposture intellectuelle ? Les distributeurs et les publicitaires (pardon, dans ce milieu on dit ‘communicants’) sont les premiers bénéficiaires de ce secteur en plein essor. Mais les industriels n’ont pas trop à se plaindre non plus : non seulement ils disposent là d’un nouveau marché (et vivent les petits producteurs – sur les affiches !), mais même les consommateurs raisonnables (voire éclairés) continuent de faire leurs courses dans les supermarchés et à acheter tout un tas de gadgets – du moment que ceux-ci sont labellisés – en toute bonne conscience.

Kyoto, Nagoya et cie… De sommets mondiaux de la planète en sommet pour le CO2 ou contre la biodiversité, les grands de ce monde n’en finissent plus de le courir pour le sauver (la plupart des déplacements se faisant en avion, il est permis de ricaner doucement). Que peut-on espérer de ces gesticulations ? L’étude de ces pingouins-là ne nous apprendra pas grand-chose, sinon que derrière les beaux discours le poing du marché n’est jamais vraiment loin. Et pourtant, la nécessité d’une coopération internationale est évidente. Est-elle possible dans les conditions actuelles ? On peut en douter. Mais alors quoi, faudra-t-il encore attendre une catastrophe – ou plusieurs ? Ou la bonne volonté de nos maîtres ?

Rio + 10, une OPA sur les Nations Unies « L’incongruité frappante entre la rhétorique clinquante du ‘développement durable’ adoptée par les gouvernements du Nord et leur absence de volonté politique d’entreprendre des actions concrètes fit de ce sommet une farce. Les négociations avaient en effet pour but de redéfinir le ‘développement durable’ en fonctions des intérêts commerciaux et industriels des gouvernements du Nord et de ‘leurs’ entreprises. La globalisation néolibérale sous l’égide des intérêts industriels et le cycle de négociations de l’OMC à Doha furent entérinées et présentés comme des facteurs clés du ‘développement durable’. La commercialisation du ‘développement durable’ atteint un tel point que Mark Malloch-Brown du Programme des Nations unies pour le développement [PNUD] put décrire le sommet, et c’était pour lui tout à fait positif, comme ‘la plus grande foire commerciale du monde’. » La revue Agone, N°34, 2005


Les deux écologies Petite comparaison ludique : Etes-vous capable d’identifier le camp de chacune de ces personnes ? « Europe écologie exprime, d’une certaine façon, la fin des abus, des excès, et marque l’attention que nous voulons tous porter à la question des ressources, à la question d’un monde fini dans des ressources limitées. Je voudrais dire par là que c’est quelque chose que nous, les entreprises, nous intégrons et il me semble que la société française aujourd’hui a totalement compris cet enjeu. (…) Le projet que beaucoup de chefs d’entreprises veulent porter, c’est le projet du développement durable » Laurence Parisot, présidente du Médéf Le grand jury RTL-LCI-Le Figaro (11/04/10)

« Le label et la réglementation européenne ont permis de développer un marché international facilitant la libre circulation des produits, le commerce et la concurrence. Nous ne nous reconnaissons pas là-dedans. » Jordy Van den Akker, Ancien président de l’association Nature et Progrès

« Près de 20 ans que Carrefour s’engage en faveur du développement durable ! Carrefour agit depuis près de 20 ans pour préserver la biodiversité et les ressources naturelles. »

« La prise en compte des exigences écologiques conserve beaucoup d’adversaires dans le patronat. Mais elle a déjà assez de partisans capitalistes pour que son acceptation par les puissances d’argent devienne une probabilité sérieuse. Alors mieux vaut, dès à présent, ne pas jouer à cache-cache : la lutte écologique n’est pas une fin en soi, c’est une étape. Elle peut créer des difficultés au capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, il cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres. (…) La prise en compte des coûts écologiques aura, en somme, les mêmes effets sociaux et économiques que la crise pétrolière. Et le capitalisme, loin de succomber à la crise, la gérera comme il l’a toujours fait : des groupes financiers bien placés profiteront des difficultés des groupes rivaux pour les absorber à bas prix et étendre leur mainmise sur l’économie. Le pouvoir central renforcera son contrôle sur la société : des technocrates calculeront des normes ‘optimales’ de dépollution et de production, édicteront des réglementations, étendront les domaines de ‘vie programmée’ et le champ d’activité des appareils de répression. (…) Direz-vous que rien de tout cela n’est inévitable ? Sans doute. Mais c’est bien ainsi que les choses risquent de se passer si le capitalisme est contraint de prendre en compte les coûts écologiques sans qu’une attaque politique, lancée à tous les niveaux, lui arrache la maîtrise des opérations et lui oppose un tout autre projet de société et de civilisation. Car les partisans de la croissance ont raison sur un point au moins : dans le cadre de l’actuelle société et de l’actuel modèle de consommation, fondés sur l’inégalité, le privilège et la recherche du profit, la non-croissance ou la croissance négative peuvent seulement signifier stagnation, chômage, accroissement de l’écart qui sépare riches et pauvres. Dans le cadre de l’actuel mode de production, il n’est pas possible de limiter ou de bloquer la croissance tout en répartissant plus équitablement les biens disponibles. » André Gorz Leur écologie et la notre (1974)

« Ce que nous avons su faire il y a plusieurs décennies pour le nucléaire, nous allons le faire pour le développement durable. (…) Le développement durable, c’est pas moins de croissance, c’est plus de croissance » Nicolas Sarkozy Le 20 mai 2008 à Orléans

« En effet, à quoi rimerait de nous battre pour garder ‘propres’ notre air, notre eau, nos énergies et tout notre environnement, si c’était pour accepter de garder, individuellement et collectivement, une âme ‘sale’ et intoxiquée, c’est-à-dire continuer à cultiver et à transmettre à nos descendants les mêmes mentalités barbares qui, depuis pratiquement la sortie des cavernes, ont fait de notre espèce une engeance de prédateurs insatiables, à la fois un Prométhée et son propre vautour. » Alain Accardo, Ecologie (Toutes les citations sont tirées de la Décroissance et du Monde diplomatique)


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