PeopleKonsian #00

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PHOTOGRAPHIE : RODRIGO

AVELLANEDA • NOUVELLE : SKALPEL • focus : ASSATA SHAKUR «FEMMES EN PRISON» • un pro j et w w w . b b oy kon s ian . c o m •


texte de

SKALPEL

NOUVELLES

VERSUS

Extrait du livre «Le cri des blocs» à venir...

PENDANT QU’IL LUI ASSÉNAIT DES COUPS SUR LA GUEULE, IL REVOYAIT L’IMAGE DE CE FILS DE PUTE SE MATÉRIALISER DANS UN RECOIN DE SA TÊTE. UNE GAUCHE, PUIS UNE DROITE, PUIS UNE GAUCHE, ET AINSI DE SUITE. IL N’AVAIT PAS FAIT COMME SALIM. IL N’AVAIT PAS JOUÉ AU GOLDORAK QUI LÂCHE UN FUL­GUROPOING. IL FAILLIT RIGOLER TOUT SEUL EN Y REPENSANT, MAIS IL SE DIT QUE CE SERAIT TROP MÉPRISANT POUR CE FILS DE PUTE, IL FALLAIT LE NIQUER AVEC DU STYLE. Tout en continuant à lui foutre sur la gueule, il se souvenait. Ils avaient 15 ans. Un grand du quartier leur hurlait aux oreilles de frapper dans le sac accroché au milieu de la cave du bâtiment E. « Allez ! Bande de p’tits cons, frappez ! Vas-y Salim, Gauche, droite maintenant, allez gauche-droite ! », Salim avait balancé ses deux poings en même temps, et là, tout le monde avait éclaté de rire. Il se souvenait aussi que ce fils de pute l’avait dépouillé lorsqu’il n’avait que 12 ans. Cet enculé en avait seize à l’époque, quatre ans de plus, à cet âge-là ça faisait la différence, mais plus main­tenant. Là, c’est lui qui le boxait, à un rythme régulier et soutenu. Le fils de pute pissait le sang mais tenait encore debout. Il décida d’en finir rapidement. Il l’attrapa par le col de sa veste blanche Tachini pleine de taches rouges que la daronne aurait du mal à faire partir au lavage, et le tira vers lui pour

lui mettre un coup de genou et une dernière balayette qui le ferait tomber, ensuite il n’aurait plus qu’à lui faire un petit écrasement de tête et tout serait fini, salement. Ce qu’il avait planifié en deux petites secondes se produisit. C’était fou à quel point le cerveau pouvait fonctionner à toute vitesse en plein exercice physique, sauf que les mecs autour l’arrêtèrent avant qu’il n’ait eu le temps de lui écraser la gueule contre le trottoir. « Enculé !!! » cria Mehdi, « maintenant tu vas arrêter de te la raconter avec moi, j’suis plus ton petit, bâtard ! ». Comme d’habitude, ça se chambrait, ça rigolait et ça vannait, mais la mayonnaise était montée trop vite. La haine et les vieilles rancunes avaient pris le dessus sur les blagues foireuses et les sous-entendus. Peut-être que le bedo n’était pas bon et rendait parano, ou peut-être que la bière

rendait fou, ou alors c’était juste ces putains de blocs gris qui avec le temps déteignaient sur les comportements. On devenait dur, rigide, susceptible, à fleur de peau. Des fleurs pour apai­ser, il n’y en avait plus beaucoup dans le quartier. Juste celle peinte en rouge et noir avec une grosse tête de mort et un 93 en fond sur la façade gris métallisé du centre commercial situé en plein milieu du quartier. Un graff ’de Serge le Z, mort depuis quelques années déjà. Un ancien que le Sida et la drogue dure, comme d’autres de sa génération, avaient emporté rapidement fin des années 80. Le graff ’était comme une sorte de stèle en hommage à toute une génération qui semblait désormais bien lointaine pour les ex-cailleras devenus darons et employés de la nouvelle mairie de gauche. Youssouf avait frappé le premier, il pensait que ça suffirait, mais cette fois-ci Mehdi en avait décidé autrement. Je vais lui


niquer sa mère, avait-il pensé très fort. Et c’est ce qui s’était produit. L’embrouille était réglée, tout le monde avait été témoin de la scène, ça avait été réglo. Maintenant il fallait tourner la page, pas besoin d’humiliations supplé­ mentaires, pas besoin d’en rajouter. Hicham et Tonio rac­compagnèrent Youssouf chez lui après lui avoir filé des mouchoirs, tandis que Mehdi partit seul en direction du grec. Les autres lui avaient dit de rester pour se calmer un peu, mais la bagarre lui avait creusé l’estomac. Il se sentait fort, fier de lui. Il avait fait ce qu’il fallait. - Frère tu peux me mettre un kefta, salade, tomates, sans oignon avec sauce algérienne et supplément fro­mage s’te plait ? - Pas de souci avait répondu le frère derrière le comptoir. Mehdi s’était assis seul à une table près de la façade vitrée. A cette heure-ci le grec n’était pas encore rempli. Il s’asseyait toujours à la même place lorsqu’il venait pour bouffer seul. Il contemplait les immeubles situés de l’autre côté de la rue et s’amusait du manège qu’il observait, assis au premier rang. Les mecs étaient grillés, les va-et-vient incessants, les voitures garées avec des plaques d’immatriculation d’autres départements, pas beaucoup de plaques immatriculées 93 dans cette rue pensa-t-il, ça tourne bien on dirait, les petits en vélo qui faisaient les guetteurs en haut de la rue et tout le tralala. Les têtes de céfran pas très à l’aise. La routine. Ca bicra­vait sévère. Une question de temps avant que le Four ne s’éteigne. Trop grillé. Il avala le grec en quelques bouchées. Putain j’avais la dalle, un truc de ouf. Il se leva, posa son plateau sur la poubelle, mit une pièce dans la petite boite destinée aux oeuvres caritatives de la mosquée du quartier, remercia le frère qui l’avait servi et sorti du grec en finissant de s’es­suyer la bouche avec une serviette. L’image de Chafik, le fils du recteur de la mosquée lui revint en tête. Plus jeune, celui-ci n’hésitait pas à taper dans les caisses de son daron, et ça vannait grave en lui disant qu’il brûlerait en enfer parce qu’il tapait l’argent que les fidèles laissaient après avoir prié, surtout le vendredi. Des sous destinés à la construction d’une nouvelle mosquée plus grande et plus belle, dans le nord du quartier. Les démons ils vont te pendre par les cils enfoiré, tu vas boire du pus à fond, gros ! C’était un vrai sheitan sans scrupule, comme on peut l’être à 14 piges. Il s’alluma une clope, tira une taffe et pensa, c’est bon, ça fait du bien sa race, surtout après une embrouille, ce fils de pute, je lui ai bien niqué sa mère, plus jamais il me cassera les couilles ou fera le malin devant les autres. Malgré la lourdeur du grec qui lui pesait sur l’estomac, il avait une impression de légè­reté, le sentiment du devoir accompli. Faut que je fasse gaffe quand même, on sait jamais, il peut revenir jouer le fou en mode équipé ce bâtard. Une angoisse le traversa comme un éclair. Il se dit que ça valait peut-être le coup de passer chez Stanley pour lui gratter du matos au cas où cet enfoiré déciderait de se venger.

C’était la bonne chose à faire, en quelques secondes les prémisses d’un doute s’effacèrent instantanément. Mieux valait céder à un excès de parano que risquer de se faire trouer la peau. Il frappa à la porte. Derrière on entendait du Dancehall que Stanley écoutait super fort. Un coup à faire débarquer les flics bêtement, enfin c’est son délire pensa Mehdi. Il refrappa de plus belle et cette fois-ci un grand renoi avec de longues locks lui ouvrit la porte. Une odeur de beuh se fit sentir. - Wesh timal, demanda le grand renoi. - Salam, il est là Stanley s’te plait ? - T’es qui ? - Et toi ? - Comment ça ? - Bah ouais, moi j’suis un mec du quartier et toi ? - J’suis le cousin de Stan’répondit le grand renoi avec un fort accent antillais. - Ok, il est là sinon ? - Ouais. - Bah vas-y frère laisse-moi rentrer, j’dois le check, j’le connais c’est mon pote. - Ok, attends deux secondes. - Attends quoi ? Rétorqua Mehdi, il commençait à s’impatienter. Le grand renoi ne devait pas savoir à qui il avait à faire. S’il savait combien de fois Mehdi avait sauvé le cul de son cousin. Bref… Le grand renoi referma la porte et Mehdi l’entendit appeler Stanley en lui disant qu’il y avait un mec chelou à la porte qui voulait le voir. C’est bien, bonne impres­sion enfoiré, méfie toi pensa Mehdi, je suis pire que che­lou même. Stanley apparut. - Aiiiieeee mon sauce bien ou quoi ? Putain désolé, mon cous’est méfiant grave, il savait pas que je te connais­sais bien, rentre rentre, j’ai de la bonne weed, viens. - Si si, frais. Bien sinon ? Ils s’installèrent sur le canapé foireux du salon et Stanley fit tourner un spliff à Mehdi. - Ca va gros, merci, on est là quoi, comme d’hab’, et toi qu’est-ce qui t’amène. - J’ai besoin d’un calibre dit Mehdi. - Et ben mon gros, on peut dire que t’es direct toi. J’ai failli m’étouffer. - Tu me connais, j’aime pas trop m’étaler, j’ai l’argent et tout, et j’t’avoue que je suis un peu speed. - Une embrouille ? - Rien de grave, mais on sait jamais, je préfère assurer mes arrières. - Avec qui ? - Youssouf Diakite. - Celui de la tour 16 ? - Ouais, on s’est tapé y a 2h, je l’ai massé comme il faut. - J’avoue, c’est un teigneux lui, une fois il a schlassé un gars des cités vertes pour une embrouille à la con. Un gars sans histoire, cool, qui fait des études et tout. Un gros lâche ce mec. - Bon bah tu vois, je me la joue pas parano

pour rien. - Non, t’as raison, je peux t’avoir ça pour demain en fin d’aprem’, pas avant. - Ok ça me va, combien ? - 300e je te trouve un beau petit gun. Mehdi n’avait aucun doute quant à la capacité de Stanley de trouver un calibre. Il trafiquait avec des haï­tiens de la Courneuve, des gars des 4000, et d’après ce qu’il avait entendu ils étaient aussi bien équipés que les mecs des pays de l’est. - Ca roule, c’est ok pour moi. Tiens. Stanley prit le fric sans vérifier si le compte y était. Un geste de confiance. Même si Mehdi se dit qu’il allait surement compter les liasses, une fois que celui-ci serait parti. Normal, j’en aurais fait autant. Le cousin de Stanley était resté planté sur une chaise au milieu du salon, à fumer son énorme spliff et à bou­ger la tête sur le rythme speed et nerveux d’un morceau ragga de Daddy Mory. Mehdi tira une dernière taffe et se leva pour partir. - Tu veux pas rester encore un peu mon frère ? - Non, merci gros, envoie moi un texto quand t’as le truc, toi-même tu sais, pas besoin de préciser, juste un coucou et je comprendrai, on se rejoindra où tu sais, ça te va ? Mehdi avait envie de rentrer se poser chez lui, dans sa piaule. - No soucy timal, à demain ! Mehdi s’approcha du cousin de Stanley et lui tendit sa main. - A plus frère. Le cousin brandit sa longue paluche. - Yes I, la famille, à bientôt. Il faisait nuit. Mehdi était allongé sur son lit. Il avait fermé sa chambre à clef, mis un coussin contre la porte pour que la fumée ne passe pas, et fumait un spleef de weed que lui avait filé Stanley. Il contemplait son plafond. La fenêtre était ouverte malgré le froid. Le bruit des voi­tures filant à 100 km/h et plus, le berçait. Il connaissait cette musique par coeur. Dans quelques minutes, il venait de regarder sa montre, un pote viendrait le chercher et il sortirait faire un tour. Il refumerait quelques joints, boi­rait quelques bières et s’ils étaient chauds avec les autres, ils s’ambianceraient avec une teteille de sky’. La routine. La galère du quartier. Vingt-deux piges, pas de taf, chez la daronne, et des petites affaires pour faire rentrer le gent-ar. Le souvenir récent de sa bagarre avec Youssouf refit surface. Il n’était pas tranquille. Il avait un mauvais pres­sentiment. Un mauvais présage flottait dans l’air et se mélangeait à la fumée. Il entendit siffler. Il se dirigea vers la fenêtre et reconnu la silhouette encapuchonnée de Bubull. Mourad, qu’on surnommait Bubull à cause de sa face qui ressemblait à un bullterrier. Bizarre se dit Mehdi. Il s’attendait plutôt à voir Moha ou Hakim, ses deux bons potes. Qu’est-ce qu’il me veut ? Il ne voulut pas reproduire la fameuse scène du sketch des inconnus ou l’un des comiques demande à son pote Manu, posté à la fenêtre d’un immeuble :


Tu descends ? Et ou l’autre répond :Et pourquoi faire ? Il se pencha par la fenêtre et sans hésiter lui dit : J’arrive ! Une fois en bas, il lui serra la main et lui demanda : - Wesh y a quoi ? - Bien gros ? - Ouais et toi ? Tu veux quoi ? lui demanda Mehdi un peu sèchement. Il le connaissait, ils squattaient le même square, mais n’étaient pas spécialement proches. De bonnes connais­sances, sans plus. - Je bicrave des vestes Redskins, ça t’intéresse ? Mehdi hésita un instant. Il se méfiait. Le froid lui fit accepter la proposition. - Ouais pourquoi pas, tu les bicraves à combien ? - 100 e, elles sont en cuir. - T’en as là ? - Dans ma caisse derrière, sur le parking de la rue Blanqui. - Vas-y montre, dit Mehdi. Ils prirent la direction de la caisse de Bubull. Arrivé sur le parking il s’aperçut que les lampadaires étaient éteints. Comme les soirs d’émeute. On distinguait des silhouettes qui fumaient. Le bout incandescent des clopes permettait de deviner combien de types étaient réunis devant les entrées d’immeubles. Des sortes de phares dans la nuit froide et très peu étoilée du 93. Une fois arrivé à la caisse, Bubull ouvrit le coffre. Celui-ci était vide. - A quoi tu joues ? demanda Mehdi. - Moi à rien, enfoiré, mais lui derrière si, il joue à te coffrer. Mehdi se retourna et eut à peine le temps de voir la tête de Youssouf. En un éclair, le fils de pute, lui explosa une bouteille de Label 5 sur la gueule. Allez savoir com­ment, il eut le temps de la distinguer nettement. Mehdi tomba par terre. Il s’évanouit. Le coup avait été puissant. La bouteille s’était brisée sur sa face. Il s’éveilla lorsqu’on le tira violemment du coffre. Incapable d’estimer combien de temps après s’être fait assommer. Il avait du sang sur la face et ses habits, des balafres, le goût de fer de l’hémoglobine manqua de peu de le faire gerber. Son nez lui faisait un mal de chien, surement cassé. Ou alors c’était le traumatisme crânien ou un truc dans le genre. Sa tête le lançait comme jamais. Il ne voyait pas très distinctement. Il reconnut la sil­ houette de Youssouf et celle de Bubull, plus celle d’un autre type qu’il ne reconnut pas immédiatement. Il était dans une sorte de box. Ca puait l’essence et sur le sol il y avait des tâches d’huile de moteur. Cela lui rappela le parking de son bloc. - Wesh bâtard, t’es réveillé ? Il reconnut la voix de Youssouf. Tu fais toujours ton malin sale chien ? J’vais te niquer ta race bien comme il faut. Mehdi était à genou. Il n’était pas attaché. Sa vision devenait de plus en plus claire au fur et à mesure les secondes défilaient et qu’il prenait conscience de son enlèvement et de sa séquestration. Il leva la tête. Devant lui ses 3 kidnappeurs. Youssouf, Bubull ce sale chien

galeux et Pedro le toss, cet espèce de bolos qui se faisait martyriser par tout le monde quand ils étaient petits, et qui maintenant jouait les durs parce qu’un caïd du quartier qui avait épousé sa soeur, une espèce de grosse salope mal baisée, le protégeait. Une équipe de mecs foi­reux pensa Mehdi, ça serait con de canner sous les balles de ces voyous à la petite semaine. Mehdi ne parlait pas. Drôle de combinaison. - Alors tu dis rien, demanda Youssouf, t’as pas envie d’implorer ma pitié enculé. Une caricature. - T’as vu trop de films répondit Mehdi. - En plus tu joues le malin enfoiré, rétorqua Pedro. Mehdi le regarda avec une expression de haine intense. Le toss baissa son regard. Il comprenait ce qui se cachait derrière ce regard. C’était comme un miroir du passé. Pedro se voyait en train de chialer dans l’Allée des Cerises, en face du parc, parce qu’il s’était fait dépouiller, il voyait Mehdi passer et le réconforter. C’était il y a très longtemps, aujourd’hui ils se disaient à peine bonjour. Mais ce regard exprimait la haine et l’envie de meurtre, une vraie, pas une mise en scène stupide comme celle qu’il vivait actuellement. Au même instant Youssouf lui décrocha une droite dans la gueule. Le fils de pute frap­pait fort. Sa défaite de l’après-midi avait vraiment heurté sa sensibilité. Le corps agenouillé de Mehdi vibra mais ne tomba pas. Il avait décidé d’encaisser le plus possible. Il ne croyait pas vraiment que ces merdes le flingue­raient. Bubull tenait un flingue à sa main droite pointé sur Mehdi, mais pas à bonne distance. Avec un peu de vitesse il pourrait se mettre sur ses genoux et lui sau­ter dessus. Pourquoi pas ? Il fallait un événement qui viendrait troubler leur tranquillité quelque peu nerveuse. Youssouf s’avança vers le coffre et en sortit une barre de fer. Merde pensa Mehdi, elle doit faire mal celle-là. Il n’avait pas beaucoup de temps s’il voulait tenter quelque chose. Sa tête le lançait toujours, mais moins. L’adrénaline anesthésiait sa gueule. Un miracle se produisit. Le dieu des voyous était avec lui. Le téléphone de Bubull sonna. Il n’en demandait pas tant. Le soupir d’une femme en train de jouir et de gueu­ler retentit. Putain mais quel espèce de con pathétique se dit Mehdi. Etant donné qu’il tenait son flingue de la main droite et que le téléphone se trouvait dans sa poche du même côté, Bubull changea le flingue de main pour pouvoir répondre. Ce fut à cet instant que Mehdi se mit sur ses genoux, avec une agilité de gymnaste, et lui sauta dessus. Les trois kidnappeurs d’un soir ne comprirent rien à ce qui se passait, en 3 secondes Mehdi s’empara du flingue après avoir droité Bubull. Youssouf voulu sauter sur Mehdi mais celui-ci lui tira une balle dans la

jambe. Raté, il avait visé le bide ; tant mieux pensa-t-il, être accusé de meurtre ça le fait pas, même de ce fils de pute. Pedro resta figé sur place. Mehdi était debout, Youssouf gisait à terre en hurlant de douleur et en se tenant la jambe, Bubull essuyait le sang qui coulait de son nez et Pedro reculait doucement vers le rideau métallique du box. - Bouge pas enculé de ta race cria Mehdi. Pedro s’arrêta net. Une tache de pisse apparût sur son jean bleu Diesel à 240 euros. Quel bolos ! Mehdi ne chercha pas à comprendre ni à tout analyser, il tira une balle dans le genou droit de Bubull et une dans le genou gauche de Pedro. Comme ça s’était réglé. Équitable. - Maintenant enfoirés de merde vous ne formez plus qu’un. Et toi sale fils de pute tu veux que j’te canne maintenant ? Youssouf pleurait et suppliait. Mehdi se mit à rire nerveusement. - Je vais vous laisser comme ça bande de cons. Et je vais m’empresser de raconter à toute la tèce ce qui s’est passé. Vous allez mourir de honte plutôt que sous les balles de votre calibre foireux. En même temps qu’il disait cela, Mehdi ouvrit le rideau de fer du box. Il faisait nuit et froid. Il se dit qu’il devait bouger vite avant que les flics n’arrivent. - J’vous conseille de vous remettre sur pied et de filer les bolos. Les keufs ne vont pas tarder. Mehdi sortit du box et reconnut la Cité des Merisiers à Aulnay. L’allée presque déserte était toute noire. Un miracle que personne ne soit passé à ce moment-là. Il faut dire qu’il était un peu tard. La cité était à 20 minutes de chez lui. Il mit le flingue dans son froc, sortit un mou­choir de sa poche et s’essuya le visage ; il était dans un sale état. D’après ce qu’il sentait en le touchant, son pif devait ressembler à une patate. Il décida de passer par la zone industrielle pour rentrer chez lui, ça serait plus discret. Quelle journée de merde pensa-t-il. Il avait de nou­veau faim, bizarre. Il s’en était bien sorti. Il cramerait ces trois fils de pute de la plus belle des façons. Quand ils reviendraient au quartier, si les keufs ne les serraient pas avant, certains voudraient vraiment leur faire la peau. Il avait de la famille lui aussi. Ses cousins seraient prévenus. On verrait pour la suite. La douleur sur son visage se fit de plus en plus intense. Au fur et à mesure qu’il marchait il sentait ses forces le quitter. Il n’était pas bien du tout. Il sentit ses jambes le lâcher peu à peu, puis il tomba. Juste avant que son corps ne vienne s’écraser sur le trottoir et qu’il se fasse kidnapper à nouveau, mais cette fois-ci, par la nuit éternelle, il pensa, putain les 300e que j’ai filés à Stanley pour rien, et ce fut tout… enfin… presque. La nuit ne fut pas si longue que ça, il se réveilla menotté à son lit d’hôpital deux jours plus tard… •


texte de

ASSATA SHAKUR

FOCUS

FEMMES en PRISON

LA MILITANTE NOIRE AMÉRICAINE ASSATA SHAKUR EST MAL CONNUE, VOIRE INCONNUE EN FRANCE. LA TRADUCTION DE CE TÉMOIGNAGE ÉCRIT DEPUIS LA PRISON POUR FEMMES DE RIKER’S ISLAND1 VISE À FAIRE CONNAÎTRE ASSATA SHAKUR EN FRANCE, ET À TRAVERS ELLE UN PAN OCCULTÉ DU MOUVEMENT DE LIBÉRATION NOIR, EN RENDANT ACCESSIBLES EN FRANÇAIS DES TEXTES COURTS : ENTRETIENS, LETTRES OUVERTES, TÉMOIGNAGES. LE NOMBRE DE FEMMES DANS LES PRISONS AMÉRICAINES A EXPLOSÉ AU COURS DES 30 DERNIÈRES ANNÉES, NOTAMMENT DU FAIT DE LA « GUERRE CONTRE LA DROGUE » DONT LES VICTIMES SONT EN GRANDE MAJORITÉ ISSUES DES COMMUNAUTÉS NOIRES ET LATINOS. IL Y A ACTUELLEMENT AUX ÉTATS-UNIS PLUS DE 200 000 FEMMES DERRIÈRE LES BARREAUX ET PLUS D’UN MILLION EN LIBERTÉ CONDITIONNELLE OU EN MISE À L’ÉPREUVE. 1. Publié en anglais en 1978 dans le numéro 9 de la revue The Black Scholar. Le texte original est disponible à l’adresse suivante : http://www.assatashakur.org/womeninprison.htm

Texte reproduit dans All power to the people. Textes et déclarations des Black Panthers, Syllepse, 2016


Joanne Deborah Byron, devenue Joanne Chesimard après son mariage, est plus connue sous son nom africain : Assata Olugbala Shakur. Née le 16 juillet 1947 à New York aux ÉtatsUnis, celle qui deviendra la marraine du rappeur Tupac Shakur fut une membre active de la section de Harlem du Black Panther Party (BPP) puis de la Black Liberation Army (BLA). Cette dernière, passée du modèle d’auto-défense armée du BPP à la lutte armée, émerge après l’hécatombe dans les rangs des radicaux noirs due à la répression d’État, et notamment au COINTELPRO, un programme d’infiltration, de répression et d’assassinats ciblés dirigé contre les mouvements radicaux noirs, latinos et amérindiens. Formée en 1970, la BLA devient véritablement active à partir de la scission au sein du BPP en 1971. Elle se présente comme un groupe anti-capitaliste, anti-impérialiste, anti-raciste et anti-sexiste, luttant pour « l’institution de relations socialistes dans lesquelles le peuple noir aurait un contrôle total et absolu sur son propre destin en tant que peuple ». La BLA mènera entre autres une campagne défensive et offensive contre les violences policières comme l’avaient fait les Black Panthers et procédera à des exécutions ciblées de policiers pour protester contre des crimes policiers ou des morts en détention. Assata Shakur rejoint le BPP lorsqu’elle a 23 ans, avant de s’engager dans la BLA la même année, en 1970. Son militantisme au sein des Black Panthers n’était pas dénué de critiques, sur la réponse armée à opposer à la répression et aux assassinats ciblés ou encore sur la faible importance accordée à l’histoire noire : « Ils lisaient le petit livre rouge mais ne savaient pas qui étaient Harriet Tubman, Marcus Garvey et Nat Turner. Ils parlaient d’intercommunalisme mais continuaient à croire que

la Guerre Civile avait été menée pour libérer les esclaves ». En 1971, elle est arrêtée une première fois, à la suite d’une altercation avec un client d’un hôtel de Manhattan, altercation au cours de laquelle elle reçoit une balle dans le ventre. Elle est arrêtée et inculpée de tentative de vol, de violences et de port d’arme prohibée, avant d’être libérée sous caution. Elle est ensuite soupçonnée d’avoir participé à une série de braquages (des « expropriations révolutionnaires » comme préférait les appeler la BLA) et d’avoir blessé un policier. En 1972, le FBI lance une traque à travers tout le territoire afin de capturer celle qu’il présente comme la dirigeante d’une organisation ayant commis « une série de meurtres de sang-froid contre des officiers de la police de New York ». On découvrira par la suite qu’Assata Shakur avait été prise pour cible par un programme de répression du FBI nommé CHESROB, destiné à « attribuer à l’ancienne Panther new-yorkaise Joanne Chesimard presque la totalité des braquages de banque et des crimes violents impliquant une femme sur la côte est. » Assata Shakur est condamnée à la prison à perpétuité en 1973 pour le meurtre présumé d’un agent de la police d’État du New Jersey. Le 2 novembre 1979, elle réussit à s’évader de prison. En cavale et en clandestinité pendant plusieurs années, elle finit par demander le statut de réfugié politique auprès de Fidel Castro, qu’elle obtient en 1984, et s’installe officiellement à Cuba. La traque d’Assata Shakur par le FBI se poursuit. Qualifiée en 2005 de « terroriste intérieure » (« domestic terrorist »), elle devient la première femme à entrer dans la liste des terroristes les plus recherchés par le FBI au mois de mai 2013. 2 millions d’euros sont promis pour sa capture.

Nous sommes en cage, assises. Nous sommes toutes noires. Toutes anxieuses. Et nous sommes toutes congelées. Quand nous posons la question, la matonne affirme que le chauffage ne peut être réglé. À l’exception d’une femme, grande et émaciée, qui a l’air béate et sans défense, nous avons toutes refusé les sandwichs. Nous autres sommes assises et buvons du thé amer et sirupeux. La grande femme quarantenaire aux épaules tombantes hoche la tête d’avant en arrière au rythme d’une chanson qu’elle seule entend, tout en mangeant un sandwich par petites bouchées hésitantes. Quelqu’un lui demande pourquoi elle est là. Désinvolte, elle répond : « Ils m’accusent d’avoir tué un négro. Mais comment j’aurais pu alors que je suis enterrée en Caroline du Sud ? ». Le reste des détenues échange des regards. Une jeune femme, petite et corpulente, portant un pantalon et des chaussures d’homme, demande: « Enterrée en Caroline du Sud ? ». « Ouais » répond la grande. « En Caroline du Sud, c’est là que je suis enterrée. T’es pas au courant ? Tu sais que dalle, hein ? C’est pas moi. C’est pas moi. » Elle a continué à répéter « C’est pas moi » jusqu’à que celle ait terminé tous les sandwichs. Elle s’est ensuite essuyée, faisant tomber les miettes, avant de se remettre à hocher la tête et se retrancher dans son monde où résonne une mélodie qu’elle seule peut entendre.

mais n’arrive pas à lui dire. Je lui dis que je vais me renseigner et que je lui apporterai le document listant les peines encourues pour qu’elle puisse vérifier. Je sais qu’elle vient d’être inculpée pour meurtre. Je sais aussi qu’elle peut être condamnée à quinze ans de prison. Et je savais, d’après ce qu’elle m’avait déjà dit, que le procureur était prêt à lui proposer un arrangement : cinq ans de sursis avec mise à l’épreuve si elle plaidait coupable. Son avocat pensait qu’elle avait une chance : des expertises médicales attestaient des blessures répétées occasionnées par les coups de l’homme qu’on l’accusait d’avoir tué. La nuit de son arrestation, elle avait un bras grièvement atteint (un bras qu’elle doit porter en écharpe encore aujourd’hui) et une de ses oreilles partiellement coupée, parmi d’autres blessures graves. Son avocat estimait que son témoignage, lorsqu’elle viendrait à la barre pour se défendre, établirait que non seulement elle avait été régulièrement battue par le défunt, mais que cette nuit-là, il l’avait frappée brutalement et tailladée avec un couteau et lui avait dit qu’il la tuerait. Mais dans l’État de New York la légitime défense n’existe pas.

Lucille vient jusqu’à mon étage pour me demander combien elle risque pour un crime de catégorie « C »1. Je connais la réponse

Dans l’État de New York, les crimes sont classés par lettres, allant de « E », pour les crimes considérés les moins graves, à « A » pour les plus graves. 2. « Law and order », « La loi et l’ordre », est une formule qui devient courante à partir des années 1960 dans le système politique et médiatique américain pour prôner une répression policière, judiciaire et pénale accrue.

1. Dans le système pénal américain, certains États classifient les crimes (« felonies ») suivant leur nature et leur degré de gravité.

Le procureur fit grand cas du fait qu’elle buvait. Et le jury, imprégné par le racisme de la télévision, et la rengaine du « Law and Order »2,

COLLECTIF ANGLES MORTS :

anglesmorts@gmail.com

pétrifié par le crime et loin d’être convaincu que Lucille était une « citoyenne responsable », la déclara coupable. Et c’était à moi de lui dire qu’elle devait se faire à l’idée qu’elle allait passer quinze ans enfermée, pendant que nous nous demandions toutes deux silencieusement ce qui adviendrait de ses quatre enfants adolescents qu’elle avait élevés presque seule. Spikey purge une courte peine, et la veille de sa libération, il est évident qu’elle ne veut pas rentrer chez elle. Elle est envoyée à l’isolement (une mesure de ségrégation administrative) car elle a été sanctionnée pour une bagarre. Assise en face de sa cage, je parle avec elle et réalise que cette bagarre était une ultime tentative désespérée guidée par l’espoir que la prison la priverait de ses « belles années ». Elle va sur ses quarante ans. Ses mains sont enflées. Énormes. Ses jambes sont couvertes d’immenses plaies ouvertes. Il ne lui reste qu’une dizaine de dents. Son corps tout entier est balafré et couleur de cendre. Elle se drogue depuis environ vingt ans. Ses veines sont rongées. Elle est atteinte de fibrose, d’épilepsie et d’œdème. Elle n’a pas vu ses trois enfants depuis huit ans. Elle a honte d’appeler chez elle car elle a volé et trompé sa mère trop de fois. Lorsque nous avons cette discussion, les vacances de Noël approchent et elle me parle de sa malchance. Elle me raconte qu’elle a passé les quatre derniers Noël enfermée et combien elle est heureuse de rentrer à la maison. Mais je sais qu’elle n’a nulle part où aller et que les seuls « amis » qu’elle a au monde se trouvent en prison. Elle me confie que son seul regret en partant est qu’elle ne pourra pas chanter avec la


chorale pour Noël. Tandis que je lui parle, je me demande si elle reviendra. Je lui dis au revoir et lui souhaite bonne chance. Six jours plus tard, par le bouche-à-oreille de la prison, j’apprends qu’elle est de retour. Juste à temps pour le spectacle de Noël. Nous attendons notre tour pour voir le médecin sur des bancs en bois, dans une salle beige et orange. Deux jeunes femmes qui n’ont pas l’air tant marquées par la vie sont assises. Elles portent des robes pastel et des chaussures à bout pointu fournies par l’État (ce qui signifie souvent que celle qui les porte n’a pas les moyens de s’acheter des baskets auprès de l’intendance de la prison). Elles parlent de comment elles se débrouillaient dehors. En tendant l’oreille, je découvre que toutes deux ont de « vieux messieurs » de premier choix qui aiment être bien entourés. J’apprends que les deux hommes s’habillent à la mode, avec des vêtements branchés, tout comme elles. L’une possède quarante paires de chaussures, l’autre cent jupes. L’une a deux manteaux en daim et cinq en cuir. L’autre en a sept en daim et trois en cuir. La première a un manteau en vison, un en renard argenté et un autre en léopard. L’autre a deux visons, une veste en renard, un manteau long en renard et un en chinchilla. L’une a quatre bagues en diamant, l’autre cinq. L’une vit dans un duplex doté d’un jacuzzi, d’un salon en contrebas et d’une fontaine. L’autre décrit une demeure pourvue d’un salon rotatif. Je suis soulagée d’entendre mon nom appelé. Assise là, je me sentais triste, très triste. Il n’y a pas de criminelles ici, à la prison new-yorkaise pour femmes de Riker’s Island, seulement des victimes. La plupart des femmes, près de 95 %, sont Noires et Portoricaines. Nombre d’entre elles ont été maltraitées pendant leur enfance. La plupart ont été maltraitées par des hommes et toutes l’ont été par « le système ». Ici, pas de gangster célèbre, pas de meurtrière en série, pas de « marraine » du crime. Pas non plus de grandes trafiquantes, de kidnappeuses ou de femmes du Watergate. On ne trouve presque aucune femme condamnée pour des délits de cols blancs tels que le détournement de fonds ou la fraude. La plupart des femmes ici sont impliquées dans des affaires de drogue. Elles sont nombreuses à être inculpées de complicité dans des délits commis par des hommes. Les délits les plus communs qui sont reprochés aux femmes ici sont la prostitution, le vol à la tire ou à l’étalage, le cambriolage ou les drogues. Les femmes impliquées dans des affaires de prostitution ou qui sont « hôtesses » forment une grande part de la population des courtes peines. Les femmes considèrent le vol ou l’arnaque comme une nécessité pour leur survie ou celle de leurs enfants car les emplois sont rares et les aides sociales trop peu élevées pour s’en sortir. Une chose est claire : le capitalisme amérikain n’est en aucune façon menacé par les femmes détenues à Riker’s Island.

La première fois que l’on vient à Riker’s Island, on a l’impression que l’architecte a conçu cette prison en prenant pour modèle une maison de correction. Dans les endroits par lesquels passent habituellement les visiteurs on trouve de nombreux miroirs ainsi que des plantes et des fleurs en abondance. Les blocs cellulaires sont composés de deux longs couloirs avec des cellules de part et d’autre, reliés par un poste de surveillance pour les gardiennes appelé la « bulle ». Chaque couloir a une salle de jour dotée d’un téléviseur, de tables, de chaises multicolores, d’une cuisinière qui ne fonctionne pas et d’un réfrigérateur. On trouve également une buanderie avec un évier, un lave-linge et un séchoir hors d’usage. À la place des barreaux, les cellules ont des portes peintes dans des couleurs brillantes, optimistes et dotées de fines ouvertures vitrées destinées à nous observer. Les portes sont contrôlées électroniquement par les gardes dans la bulle. Tout le monde appelle les cellules des « chambres ». Celles-ci sont équipées d’un petit lit, d’un placard, d’un bureau et d’une chaise, d’une tête de lit recouverte de plastique qui s’ouvre pour servir de rangement, d’une petite étagère, d’un miroir, d’un lavabo et de toilettes. L’administration distribue des draps aux couleurs criardes et dispose des tapis en espérant rendre les lieux accueillants. La prison compte également un espace scolaire, un gymnase, un auditorium tapissé, deux réfectoires et des aires de loisir situées à l’extérieur qui ne sont utilisées que durant l’été. Les gardiennes sont parvenues à convaincre la plupart des femmes que Riker’s Island est une maison de repos. Elles affirment qu’en comparaison avec d’autres prisons (en particulier les prisons pour hommes), celle-ci est un club de vacances. Cette affirmation, en partie vraie, n’est pas imputable à l’« humanité » de l’administration de Riker’s Island mais bien plutôt, par contraste, aux conditions de détention d’une invraisemblable barbarie qui caractérisent d’autres prisons. Nombreuses sont les femmes convaincues qu’elles sont, d’une certaine manière, en train de « tourner la page ». Certaines vont jusqu’à penser que puisque leurs conditions de détention ne sont pas si mauvaises, elles ne sont pas vraiment en prison. Cette idée est renforcée par le comportement pseudo-maternel de nombreuses surveillantes. Une supercherie qui parvient trop souvent à transformer les femmes en enfants. Les gardes appellent les prisonnières par leurs prénoms, tandis que ces dernières leur donnent du « Officer », du « Miss » ou les appellent par des surnoms (Teddy Bear, Spanky, Aunt Louise, Squeez, Sarge, Black Beauty, Nutty Mahogany, etc.). Souvent, quand une femme revient à Riker’s elle fait la tournée, et embrasse gaiement sa garde favorite : le retour de la fille prodigue.

Quand deux prisonnières débattent d’un sujet quelconque, la discussion finit souvent par un « demandons à la surveillante ». Les gardiennes ne cessent de dire aux femmes de « grandir », de se « conduire comme des dames », de « bien se tenir » et d’être de « gentilles filles ». Lorsqu’une prisonnière enfreint un point insignifiant du règlement, en disant « salut » à une amie située à un autre étage ou en regagnant sa cellule avec quelques minutes de retard, une gardienne lui dira, sur le ton de la plaisanterie : « ne m’oblige pas à descendre pour te botter le cul ». Il n’est pas inhabituel d’entendre une surveillante dire à une femme « ce qu’il te faut c’est une bonne fessée ». Le ton est souvent maternel : « Ne vous avais-je pas dit, jeune fille, de… » ou « vous savez très bien que… » ou encore « Voilà une gentille fille ». Et les femmes répondent en conséquence. Certaines surveillantes et détenues « jouent » ensemble. Le « jeu » favori de l’une des gardiennes consiste à sortir sa ceinture et à poursuivre « ses filles » à travers le couloir et à leur donner des coups sur les fesses. Mais sous le vernis maternel, les réalités de la vie de surveillante sont écrasantes. La plupart des gardiennes sont noires, issues de la classe ouvrière, en cours d’ascension sociale, avec déjà une expérience au service de l’État. Elles s’identifient à la classe moyenne, ont des valeurs de classe moyenne et sont extrêmement matérialistes. Ce ne sont pas les femmes les plus intelligentes au monde, beaucoup sont extrêmement limitées. Elles sont dans l’ensemble conscientes qu’il n’y a pas de justice dans le système judiciaire amérikain et que les Noirs et les Portoricains sont discriminés dans toutes les domaines de la société amérikaine. Mais en même temps, elles sont convaincues que d’une certaine manière le système est « clément ». À leurs yeux, les femmes détenues sont des « perdantes » incapables de survivre à l’extérieur de la prison. La plupart croient au mythe de la méritocratie qui veut que celui qui travaille suffisamment dur doit « réussir ». Elles se félicitent ellesmêmes de leur réussite. Par contraste, elles voient les détenues comme des êtres ignorants, incultes, aux tendances autodestructrices, faibles d’esprit et stupides. Elles ignorent le fait que leur réussite douteuse n’est pas due à une intelligence supérieure ou à leurs efforts mais uniquement à la chance et à une liste d’attente. De nombreuses gardiennes haïssent leur travail et se sentent prises au piège. Elles sont exposées à de nombreux abus de la part de leurs collègues, de la part de leurs supérieurs et des détenues. Elles doivent lécher des bottes, agir comme des robots et faire des heures supplémentaires obligatoires. (Il est courant que les gardiennes enchaînent deux services d’affilée au moins une fois par semaine). Mais peu importe combien elles détestent la hiérarchie militaire, les luttes intestines, leur mission hideuse, elles sont parfaitement


conscientes que la file d’attente pour toucher les aides sociales n’est jamais très loin. Si elles n’étaient pas gardiennes la plupart toucheraient un salaire de misère ou seraient au chômage. Leur sentiment de supériorité et de pouvoir leur manqueraient alors autant que leur salaire, en particulier pour les plus cruelles et sadiques d’entre elles. Les gardiennes sont bien souvent sur la défensive quand elles parlent de leur travail et leur comportement montre qu’elles ne sont pas exemptes de culpabilité. « C’est un travail comme un autre » répètent-elles de manière compulsive, comme si elles devaient s’en persuader. Plus elles le répètent, plus cela semble grotesque. Ici, le principal sujet de conversation est la drogue. 80 % des détenues ont déjà consommé des drogues quand elles étaient dehors. En général, la première chose qu’une femme dit qu’elle va faire une fois à l’extérieur c’est se défoncer. En prison comme dans la rue, prévaut une culture de l’évasion par les drogues. Au moins 50 % de la population carcérale prend des psychotropes. Trouver des combines pour se fournir de la drogue est un travail de tous les jours. Les journées se consument en activités distrayantes : séries télévisées, intrigues amoureuses entre les murs, jeux de cartes et autres jeux. Une petite minorité fait des études ou apprend un métier. Une minorité plus réduite encore tente d’étudier les livres de droit disponibles. Aucune des détenues n’a de bonnes connaissances en droit et la plupart ne maîtrisent même pas les procédures légales les plus rudimentaires. Quand on leur demande ce qu’il s’est passé au tribunal ou ce que leur avocat leur a dit, elle ne savent pas ou ne s’en rappellent plus. Se sentant totalement désemparée et sous pression, une femme enverra paître son avocat ou le juge avec seulement une vague idée de ce qui est en train de se passer ou de ce qui devrait être fait. La plupart plaident coupable, qu’elles le soient ou non. Les rares qui se rendent à leur procès ont en général des avocats commis d’office et sont condamnées. Ici le mot lesbienne est rarement, voire jamais, prononcé. La plupart des relations homosexuelles, si ce n’est toutes, impliquent de jouer un rôle. La majorité des relations sont asexuelles ou semi-sexuelles. L’absence d’activité sexuelle ne s’explique qu’en partie par la prohibition de la sexualité qui règne en prison. Fondamentalement, les femmes ne sont pas en quête de sexe. Elles recherchent de l’amour, des attentions et de la camaraderie. Et ce afin de soulager le sentiment écrasant d’isolement et de solitude qui envahit chacune d’entre nous. Les femmes qui sont « agressives » ou qui jouent des rôles masculins sont appelées

« butches », « bulldaggers » ou encore « stud broads ». Elles sont très demandées car elles sont toujours minoritaires. Les femmes qui sont « passives » ou jouent des rôles féminins sont appelés « fems ». Les relations entre « butches » et « fems » sont souvent des relations de domination, reproduisant les aspects les plus sexistes et oppressifs d’une société sexiste. Il est courant d’entendre des « butches » menacer des « fems » de violence physique, et il n’est pas rare qu’elles mettent ces menaces à exécution contre « leurs femmes ». Certaines « butches » se considèrent comme des maquereaux et recherchent les femmes qui ont les plus gros mandats pour cantiner, le plus de produits de contrebande ou les meilleures connexions à l’extérieur. Elles estiment qu’elles sont au-dessus des femmes ordinaires et qu’à ce titre elles doivent être « respectées ». Elles ordonnent aux « fems » ce qu’elles doivent faire et nombreuses sont celles qui insistent pour que celles-ci lavent, repassent, cousent et nettoient leur cellule à leur place. Entre elles, les « butches » s’appellent « mec ». D’une « butch » appréciée, ses pairs diront : il est « un des gars ». Une fois en prison, les changements de rôle sont monnaie courante. Bien des femmes qui sont strictement hétérosexuelles à l’extérieur deviennent des « butches » à l’intérieur. Les « fems » fabriquent souvent des « butches » en persuadant une codétenue qu’elle ferait une « belle butch ». Près de 80 % de la population de la prison est engagée dans une forme ou une autre de relation homosexuelle. Presque toutes suivent des modèles négatifs et stéréotypés de rôles masculins/féminins. Aucun lien n’existe entre ce lesbianisme et le mouvement des femmes. À Riker’s Island, la plupart des femmes n’ont aucune idée de ce qu’est le féminisme, et encore moins le lesbianisme. Le féminisme, le mouvement de libération des femmes et le mouvement de libération gay sont à des années-lumière des femmes de Riker’s. La lutte de libération noire est tout aussi absente de la vie des femmes de Riker’s. Elles ont beau exprimer une conscience aiguë du fait que l’Amérike est un pays raciste où les pauvres sont traités comme des chiens, elles se sentent néanmoins responsables de la vie abjecte qu’elles mènent. L’atmosphère de Riker’s Island est chargée de haine de soi. Nombreuses sont les femmes dont les bras, les jambes et les poignets présentent des marques laissées par des tentatives de suicide ou par l’automutilation. Elles parlent d’ellesmêmes dans des termes dévalorisants. Elles considèrent leurs vies comme autant d’échecs. Beaucoup de femmes soutiennent que les Blancs sont responsables de leur oppression mais elles n’examinent pas la cause ou la source de cette oppression. Nulle trace d’un sens de la lutte des classes. Elles n’ont aucun sens du communisme,

aucune définition de ce dernier, mais considèrent pourtant qu’il est une mauvaise chose. Elles ne veulent pas détruire Rockefeller mais lui ressembler. On parle avec admiration de Nicky Barnes, un gros trafiquant de drogue. Lorsque ce dernier a été condamné, presque tout le monde était triste. Elles sont nombreuses à tenir des discours sur sa gentillesse, son intelligence et sa générosité, mais aucune ne mentionne le fait qu’il vend de la drogue à nos enfants. Les politiciens sont considérés comme des menteurs et des escrocs. On hait la police. Pourtant, quand on projette des films mettant en scène des flics et des voyous, certaines acclament les flics à grands cris. Une femme avait recouvert sa cellule de photos de Farrah Fawcett-Majors3, « a baad police bitch » selon elle. Kojak et Barretta ont eux aussi droit à leur lot d’admiratrices. Une différence frappante entre prisonnières et prisonniers à Riker’s Island consiste dans l’absence de rhétorique révolutionnaire parmi les femmes. Nous n’avons pas de groupe d’études. Nous n’avons pas de littérature révolutionnaire à disposition. Il n’y a pas de groupes de militants s’efforçant de se « s’organiser ensemble ». Les femmes de Riker’s semblent avoir une vague idée de ce qu’est la révolution mais y voient généralement un rêve impossible, totalement irréalisable. Tandis que les hommes luttent pour préserver leur humanité, on ne trouve pas de lutte équivalente chez les femmes. On entend fréquemment des femmes dire : « mettez une bande de salopes ensemble et tout ce que vous aurez c’est des ennuis », ou encore « Les femmes ne se serrent pas les coudes, voilà pourquoi on n’a rien ». Entre eux, les prisonniers s’appellent « frère ». Les prisonnières quant à elles s’appellent rarement « sœur ». Les termes habituels sont bien plutôt « salope » (« bitch ») ou « pute » (« whore »). Cependant les femmes sont plus aimables les unes envers les autres que les hommes, et les formes de violence au-delà des coups de poings sont inconnues. Le viol, le meurtre et les coups de couteau sont inexistants. Pour beaucoup, la prison ne diffère pas énormément de la rue. Certaines y voient même un endroit pour se reposer et se rétablir. Pour les prostituées, la prison marque une trêve dans une vie faite de passes sous la pluie et la neige. Une façon d’échapper aux macs brutaux. Pour les droguées la prison est un endroit pour se sevrer, recevoir des soins médicaux et prendre du poids. Bien souvent quand l’addiction commence à coûter trop cher, la droguée provoque son arrestation (la plupart du temps inconsciemment) afin de pouvoir reprendre des forces et repartir avec un organisme sevré pour tout recommencer à zéro. Une autre femme 3. Actrice américaine, rendue célèbre par son rôle de Jill Munroe dans la série télévisée Drôles de dames.


prétend que chaque année elle va un ou deux mois en prison ou à l’asile pour échapper à son mari. Pour beaucoup, les cellules ne sont pas très différentes des immeubles, des salles de shoot et des résidences sociales qu’elles connaissent à l’extérieur. La salle d’attente pour recevoir des soins médicaux ne diffère pas des urgences d’un hôpital ou d’une clinique. Les bagarres sont les mêmes, mêmes si elles sont ici moins dangereuses. La police est la même. La pauvreté est la même. L’aliénation est la même. Le racisme est le même. Le sexisme est le même. Les drogues et le système sont les mêmes. Riker’s n’est qu’une institution de plus. Durant leur enfance, l’école était leur prison, tout comme les foyers et les maisons de correction, les orphelinats et les familles d’accueil, les asiles et les cures de désintoxication. Et elles considèrent que toutes ces institutions sont incapables de satisfaire leur besoins mais sont nécessaires à leur survie. Les femmes de Riker’s Island viennent de quartiers comme Harlem, Brownsville, BedfordStuyvesant, South Bronx ou South Jamaica. Elles viennent d’endroits où les rêves, comme les immeubles, ont été abandonnés. Des endroits où le sens de la communauté a disparu. Où les habitants ne sont que de passage. Où des gens isolés fuient d’un taudis à un autre. Les villes nous ont spolié nos forces, nos racines, nos traditions. Elles nous ont enlevé nos jardins et nos tartes à la patate douce et nous ont donné du McDonald’s. Elles sont devenues nos prisons, en nous enfermant dans la futilité et la décrépitude de halls d’immeubles qui sentent la pisse et ne mènent nulle part. Elles nous ont isolés et ont instillé la peur de l’autre. Elles nous ont offert de la drogue et la télévision en guise de culture. Il n’y a aucun politicien en qui croire. Aucune route à suivre. Aucune culture populaire progressiste à laquelle se référer. Il n’y a pas de nouvelle donne, plus de promesses d’avenir radieux et nulle part où émigrer. Mes sœurs dans la rue, tout comme mes sœurs à Riker’s Island, ne voient aucune issue. « Où est-ce que je peux aller ? », disait une femme le jour de sa sortie. « Si je ne peux croire en rien, ajoutait-elle, il ne me reste plus qu’à chercher à atteindre le septième ciel. »

Qu’en est-il de notre passé, de notre histoire, de notre futur ? Je peux imaginer la douleur et la force de mes aïeules qui étaient esclaves et de mes aïeules qui étaient des Indiennes Cherokee parquées dans des réserves. Je me rappelle de mon arrière grand-mère qui préférait se rendre partout à pied plutôt que de s’asseoir à l’arrière d’un bus. Je songe à la Caroline du Nord et à ma ville natale et je me rappelle des femmes de la génération de ma grand-mère : des femmes

fortes, acharnées qui pouvaient vous figer d’un regard du coin de l’œil. Des femmes qui marchaient d’un pas majestueux ; qui savaient briser le cou à un poulet et écailler un poisson. Qui pouvaient cueillir du coton, semer et coudre sans patron. Des femmes qui blanchissaient du linge dans de grands chaudrons noirs en fredonnant des chants de travail ou des berceuses. Des femmes qui rendaient visite aux aînés, préparaient de la soupe pour les malades et des biscuits pour les nourrissons. Des femmes qui mettaient des enfants au monde, cherchaient des racines et des plantes médicinales dont elles faisaient des infusions. Des femmes qui reprisaient des chaussettes, coupaient du bois et construisaient des murs. Des femmes qui pouvaient nager dans une rivière et tirer en plein dans la tête d’un serpent. Des femmes qui percevaient avec passion leur responsabilité envers leurs enfants et ceux de leurs voisins. Les femmes de la génération de ma grandmère avaient fait du don tout un art. « Hé ma fille prend donc ces choux pour Sœur Sue »; « Emmène ce sac de noix de pécans à l’école pour l’instituteur »; « Reste ici pendant que je vais m’occuper de la jambe de M. Johnson ». Tous les enfants du voisinage mangeaient dans leur cuisine. Elles s’appelaient « Sœur » entre elles comme l’expression de ce qu’elles ressentaient et non comme le résultat d’un mouvement. Elles se soutenaient mutuellement pendant les périodes difficiles, partageant le peu qu’elles avaient. Dans ma ville natale, les femmes de la génération de ma grand-mère apprenaient à leurs filles comment devenir des femmes. Elles leur enseignaient qu’il fallait se montrer respectueuses et exiger d’être respectées. Elles apprenaient à leurs filles comment battre le beurre et leur inculquaient le sens de l’effort. Elles enseignaient à leurs filles le respect de la force de leur corps, leur montraient comment soulever un rocher ou tuer un cochon. Leur disaient ce qu’il fallait faire contre la colique, comment faire tomber la fièvre, préparer un cataplasme, confectionner un dessus-de-lit, faire des tresses, fredonner et chanter. Elles apprenaient à leurs filles à prendre soin des autres, à prendre les choses en main, à prendre leurs responsabilités. Elles ne toléreraient pas une « paresseuse » ou une « rêveuse ». Leurs filles devaient apprendre à retenir leurs leçons, à survivre, à se montrer fortes. Les femmes de la génération de ma grand-mère étaient le ciment qui faisaient tenir la famille et la communauté. Elles étaient les piliers de l’église. Et de l’école. Elles considéraient avec méfiance et dégoût les institutions de l’extérieur. Elles étaient déterminées à voir leurs enfants survivre et bien décidées à connaître un avenir meilleur. Je songe à mes sœurs dans le mouvement. Je me rappelle le temps où, drapées dans des tenues africaines, nous accusions nos aïeules et nous-

mêmes d’être des castratrices et les rejetions. Nous faisions pénitence pour avoir dépouillé nos frères de leur masculinité, comme si nous étions celles qui les avaient oppressés... Je me rappelle l’époque du Black Panther Party quand nous étions « modérément libérées ». Quand nous étions autorisées à porter des pantalons et qu’on nous demandait de porter les armes. L’époque où nous devions faire les yeux doux à nos dirigeants. L’époque où nous travaillions comme des chiens et luttions avec acharnement pour un respect que de leur côté ils s’obstinaient à nous refuser. Je me rappelle des cours d’histoire noire où les femmes n’apparaissaient pas et des posters de nos « dirigeants » où les femmes brillaient par leur absence. Nous rendions visite à nos soeurs qui devaient assumer la charge des enfants pendant que le Frère vaquait à ses occupations ou partait, appelé par des choses plus grandes et plus importantes. Nous étions nombreuses à rejeter le mouvement des femmes blanches. Miss Ann4 restait Miss Ann même si elle brûlait son soutien-gorge. Nous ne pouvions pas éprouver de compassion pour le fait qu’elle était recluse dans sa maison et opprimée par son mari. Nous étions, et nous sommes toujours, enfermées dans une prison bien plus terrible. Nous savions que notre expérience de femmes noires était complètement différente de celle de nos sœurs du mouvement des femmes blanches. Et nous n’avions aucune envie de nous rendre dans quelque groupe de conscientisation avec des blanches et mettre notre âme à nu. Les femmes ne peuvent être libres dans un pays qui ne l’est pas. Nous ne pouvons être libérées dans un pays où les institutions qui contrôlent nos vies sont oppressives. Nous ne pouvons pas être libres tant que nos hommes sont opprimés. Ou tant que le gouvernement amérikain et le capitalisme amérikain demeurent intacts. Mais il est impératif pour notre lutte de construire un mouvement des femmes noires puissant. Il est impératif que nous, femmes noires, parlions des expériences qui nous ont façonnées. Que nous évaluions nos forces et nos faiblesses et définissions notre propre histoire. Il est impératif que nous discutions des manières positives d’instruire et de socialiser nos enfants. L’empoisonnement et la pollution des villes capitalistes sont en train de nous faire suffoquer. Nous avons besoin de nous réapproprier la puissante médecine de nos aïeules afin de nous rétablir. Nous avons besoin de leurs remèdes afin de nous donner la force de lutter et l’élan pour nous mener à la victoire. Sous l’égide d’Harriet Tubman, de Fannie Lou Hammer et de toutes nos aïeules, reconstruisons un sens de la communauté. Reconstruisons la culture du don et faisons vivre la tradition de féroce détermination afin d’avancer en direction de la liberté. • 4. « Miss Ann » est une expression utilisée dans les communautés noires américaines pour désigner les femmes blanches, tout comme « Mister Charlie » pour les hommes blancs.


CRISIS

photographies de

RODRIGO AVELLANEDA

PHOTOGRAPHIE

Une embarcation de fortune arrive sur l’ile de Lesbos en Grèce où se trouvent majoritairement des migrants syriens, irakiens et afghans. Les migrants paient côté turc aux passeurs entre 1000 et 1300 euros par personne afin d’effectuer ce dangereux passage où plusieurs personnes ont déjà perdu la vie.

Une embarcation de fortune arrive sur l’île de Lesbos en Grèce où une mère tend son enfant en premier afin de le mettre rapidement en sécurité. Plusieurs milliers de migrants sont morts en tentant de traverser la mer Egée entre la Turquie et la Grèce en cherchant à fuir la guerre.


Plusieurs milliers de migrants traversent une rivière afin de rejoindre la frontière entre la Grèce et la Macédoine cherchant à continuer leur route vers l’Allemagne où la plupart des migrants veulent se rendre. Plusieurs milliers de migrants marchent à travers les montagnes grecques afin de rejoindre la frontière avec la Macédoine pour continuer leur route vers l’Europe de l’Ouest.


Camp de réfugiés d’Idomeni en Grèce. Plus de 10 000 personnes se trouvent bloquées dans des conditions inhumaines certains ont trouvé abri dans des trains abandonnés et d’autres dans des teintes fournies par des ONG

Une famille kurde provenant de Syrie, brûle une couverture ainsi que du plastique, le bois étant trempé par les pluies constantes, c’est le meilleur moyen de démarrer un feu pour se réchauffer. Depuis plus d’un mois ils vivent dans la boue et sous la pluie en attendant que la frontière qui se trouve derrière eux ouvre enfin afin de leur permettre de rejoindre leur famille qui se trouve en Allemagne.


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