l'ombre blanche | saneh sangsuk

Page 58

58 l’approche de leur bec, elle l’avalent goulûment et ce n’est que quand elles se rendent compte qu’elles sont en train de se dévorer vives qu’elles s’arrêtent. Ce sont des insectes féroces et beaux. Mais je n’attrape plus de libellules. Et je ne pêche plus non plus. Je n’ai même pas envie d’enlever les toiles d’araignées des plafonds, pas parce que j’ai la flemme mais parce que j’ai pitié des araignées. Sitôt que j’ai balayé ou presque, elles se remettent à tisser et bientôt l’endroit est aussi fouillis qu’avant. Laisser leur chance aux vies inférieures — c’est un principe que j’ai tiré de je ne sais plus quel bouquin. Que tous les bouquins tombent en enfer ! À vrai dire, je n’aime pas ces araignées. Elles sont grosses et répugnantes. En plus, elles sont venimeuses. Elles ont presque la taille de crabes de mangrove. Et leur chair est presque la même, sauf qu’elle est plus répugnante. Leurs toiles sont très belles, aussi belles qu’elles-mêmes sont répugnantes, et conçues comme un rêve d’architecte de première bourre, mais on dirait qu’elles sont toutes sur le même modèle. C’est là leur limite. On dit qu’araignée qui se bat les flancs est mauvais présage. Ça fait quel bruit, une araignée qui se bat les flancs ? Ici dans le calme de la nuit il y a des bruits étranges en permanence, mais pas celui d’une araignée qui se bat les flancs, laisse-moi te dire. En revanche, le cri du gecko te glace les sangs. Dans l’obscurité dans le calme dans la solitude le cri réitéré du gecko te glace les sangs comme le vagissement d’un enfant mort. Certaines nuits il retentit du creux SANEH SANGSUK | L’OMBRE BLANCHE


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.