Les Quatre Saisons. Nicolas Poussin (extrait)

Page 1


COLLECTION SOLO DÉPARTEMENT DES PEINTURES

Nicolas Milovanovic Conservateur en chef au département des Peintures


Préface Parmi l’ensemble exceptionnel de peintures de Nicolas Poussin conservé au Louvre, les Quatre Saisons ont une place à part : elles ont été peintes dans les toutes dernières années de sa vie, entre 1660 et 1664. Elles contiennent sans doute son dernier message. La touche est tremblante, l’artiste étant alors marqué par l’âge, et surtout par la maladie. Il savait qu’il ne lui restait que très peu de temps à vivre, il en témoigne dans chacune de ses lettres. Poussin a traité le thème traditionnel des Quatre Saisons d’une manière nouvelle : il a peint de grands paysages avec quatre sujets tirés de la Bible : Adam et Ève, Ruth et Booz, la Grappe de Canaan et le Déluge. Le choix des épisodes a donné lieu à bien des commentaires. En 1956, Willibald Sauerländer a proposé une interprétation pionnière des Quatre Saisons fondée sur l’exégèse biblique. C’est cette lecture chrétienne que Nicolas Milovanovic poursuit ici, en soulignant l’omniprésence de la figure cachée du Christ, qui constitue le lien secret qui unit les quatre compositions du cycle. La lecture chrétienne de l’histoire, linéaire, ayant toujours le Christ comme point d’aboutissement, se superpose à la vision cyclique du monde, héritée de l’Antiquité. Les Quatre Saisons posent ainsi la question cruciale, et pourtant encore peu explorée, de la spiritualité de l’artiste. Poussin est toujours présenté comme le modèle du peintre philosophe, parfois même libertin, la dimension chrétienne de son art ayant trop souvent été occultée, et même contestée. Pourtant les études récentes, de plus en plus nombreuses, invitent à reconsidérer cette question. Il apparaît aujourd’hui que la méditation sur la nature et le divin, voire la mystique, sont au cœur de la création picturale chez Poussin, ajoutant encore une dimension à son art. Vincent Pomarède Directeur du département des Peintures



Terminées un an avant la mort de Poussin, les Quatre Saisons (fig. 1 à 4) constituent le testament artistique et spirituel de l’artiste et l’un des sommets de la peinture du xviie siècle. C’est un cycle qui demeure pourtant énigmatique : aucun dessin préparatoire n’est connu, le choix des sujets apparaît entièrement neuf, et la signification profonde de l’œuvre est toujours débattue. La sagacité des historiens de l’art n’a pas réussi à en percer le mystère. L’interprétation semble se renouveler constamment, proposant à chaque génération un message différent. En 1931, Pierre du Colombier indiqua que « les ondes qui partent de chacune de ces œuvres mettent en vibration toutes sortes de centres, qu’elles pénètrent jusqu’à la mémoire et contraignent les grands souvenirs bibliques à venir renforcer la délectation de l’amateur des couleurs et des formes1 ». En 1967, Anthony Blunt considéra le cycle de Poussin comme la suprême expression du « paysage panthéiste », la nature étant conçue comme une « manifestation de la raison divine2 ». En 1988, Jacques Thuillier rappela que l’artiste, dont la main tremblait à cause de la maladie, ne pouvant « modeler les formes en lissant la pâte », se mit « à juxtaposer des touches menues où couleur et valeur se trouvent placées du même coup de brosse, avec une justesse, une sensibilité qui évoquent d’emblée Corot, Vuillard ou Bonnard4 ». En 1990, Alain Mérot résuma les leçons du cycle : « La beauté et la puissance de la nature ; l’origine et les fins de l’homme ; la simplicité religieuse des grands moments de la vie ; la force et la faiblesse des sentiments ; l’héroïsme et le dérisoire des actions5 ». En 1994, Pierre Rosenberg souligna l’essentiel, trop souvent négligé : « l’extraordinaire beauté de ces paysages, leur équilibre harmonieux, les observations si justes qu’elles ne nuisent en rien à la vision d’ensemble, leur fraîcheur inventive, leurs couleurs adaptées à chacune des saisons, les blés blonds, les bleus lavande de L’Automne, les gris glaciaux de la pluie interminable du Déluge, les verts tendre du Printemps. En dépit de sa difficulté à tenir les pinceaux, Poussin n’oublie jamais qu’il est peintre et ce qu’est la peinture6 ». Enfin, dans 5


un texte de 2007 qui reprenait une étude pionnière de 1956, Willibald Sauerländer définit les Quatre Saisons comme le « dernier mot de l’artiste sur le grand thème de la nature7 ».

De Richelieu à Louis XIV Les sources factuelles concernant les Quatre Saisons sont bien maigres. À propos du commanditaire et de la datation, André Félibien, historien de l’art et biographe de Poussin, précisa, en 1685 : « Ses infirmités [celles de Poussin] augmentant tous les jours, et deux ans après avoir perdu sa femme, il devint quasi hors d’état de travailler. Il acheva pourtant en 1664, pour le duc de Richelieu, quatre paysages qu’il avait commencés dès l’année 1660. Ils représentent les Quatre Saisons, et dans chacun il y a un sujet tiré de l’Écriture sainte [Adam et Ève, Ruth et Booz, La Grappe de Canaan et Le Déluge]8. » Le duc de Richelieu (1619-1715) était le petit-neveu du cardinal. Grand seigneur passionné de tableaux, il devint une figure centrale du milieu des « curieux » parisiens9. Il constitua une première collection, remarquable par le nombre de peintures de Poussin, dont il vendit les plus belles pièces à Louis XIV en 1665 : vingt-cinq tableaux, dont treize œuvres de Poussin, parmi lesquelles figuraient les Quatre Saisons. Conseillé par Roger de Piles, le duc forma ensuite une nouvelle collection autour de Rubens, pour des raisons bassement financières disaient ses détracteurs, mais qui contribuait ainsi à infléchir l’évolution de la peinture française : au cours de la querelle du coloris, les mérites relatifs de Poussin et de Rubens furent âprement débattus. Louis-Henri de Loménie de Brienne (1636-1698), autre figure majeure et singulière du milieu des curieux parisiens, raconta les circonstances de l’arrivée des Quatre Saisons à Paris : « Nous fîmes une assemblée chez le duc [de Richelieu] où se trouvèrent tous les principaux curieux en peinture qui fussent à Paris. La conférence fut longue et savante. [Sébastien] Bourdon et [Charles] Le Brun y parlèrent et dirent de bonnes choses. Je parlai aussi et je me déclarai pour le Déluge. M. [Michel] Passart fut de mon sentiment. M. Le Brun, qui n’estimait guère le Printemps et l’Automne, donna de grands éloges à l’Été. Mais pour Bourdon, il estimait le Paradis terrestre [le Printemps] et n’en démordit point10. » En décembre 1665, quelques semaines seulement après la mort de Poussin, les Quatre Saisons rejoignirent la collection royale, en même temps que neuf autres tableaux de Poussin, à la suite d’un pari sur l’issue d’une partie de jeu de paume entre le duc et le roi11. Les débats commencés chez le duc se poursuivirent donc au sein de 6


l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 4 août 1668, Nicolas Loir prononça une conférence sur le Déluge12. Il y loua Poussin d’avoir su exprimer son génie dans un sujet « ingrat » et « dans le déclin de sa vie ». Selon Nicolas Loir, le sujet est ingrat car on ne peut y « faire voir aucune beauté et qu’une pluie continuelle et un temps couvert ôtent le moyen de découvrir aucuns objets qui soient agréables ». Pourtant Loir souligna la cohérence, la vraisemblance et l’unité dans l’expression des corps, des lumières et des couleurs. Trois ans plus tard, le 2 mai 1671, Jean-Baptiste de Champaigne consacra une conférence à Ruth et Booz13. Il y insista sur la « gaieté » de la scène, la moisson étant abondante. Il défendit ensuite le tableau contre la critique qui lui avait été faite de n’être pas assez « fini », par comparaison avec les autres œuvres du maître. Champaigne expliqua qu’un tableau risque de perdre son unité et sa force si les détails sont trop présents : « (…) l’on rend souvent moins fini le tout ensemble à force de s’attacher trop aux parties particulières ». Et il concluait, gagnant l’approbation de l’assemblée : « (…) finissant extrêmement les parties, l’on détourne l’esprit par de longs arrêts, l’empêchant un grand temps de s’appliquer au plus essentiel et à ce que la peinture a de plus grand et de plus magnifique en elle ». Les conférences de Nicolas Loir et de Jean-Baptiste de Champaigne furent à plusieurs reprises relues à l’Académie royale, témoignant du succès persistant du cycle à la fin du xviie siècle14. Pourtant les Quatre Saisons ne plurent pas à Louis XIV. Le roi leur réserva le sort des tableaux qu’il appréciait le moins au sein d’un ensemble nouvellement acquis : il les donna à son fils, le Grand Dauphin, pour qu’ils soient présentés dans son château de Meudon ; c’est là qu’ils furent inventoriés en 1706, puis en 170915. Les Quatre Saisons n’eurent donc pas l’honneur d’être exposées dans l’appartement et les cabinets du souverain à Versailles, emplacements qui consacraient la renommée des plus belles peintures de sa collection, honneur que Maratta fut dépité de n’avoir pas obtenu pour son Apollon et Daphné, et que Tessin n’obtint qu’après de laborieuses manœuvres pour le Corrège qu’il avait offert au souverain16. La plupart des autres Poussin acquis du duc de Richelieu furent pourtant présentés dans les pièces les plus prestigieuses : le cabinet du Conseil (Le Jeune Pyrrhus sauvé, Les Aveugles de Jéricho, Bacchanale à la joueuse de guitare [fig. 11 à 13]) ; le cabinet du Billard (Éliézer et Rébecca, Moïse sauvé des eaux [fig. 14 et 15]) et le vestibule (Le Ravissement de saint Paul, La Peste d’Asdod [fig. 17 et 18]). Le dédain des Quatre Saisons n’en est que plus surprenant, d’autant que Louis XIV était habituellement sensible à la cohérence plastique d’un ensemble permettant une insertion plus aisée au sein d’un décor. 7


Représenter les saisons Dans le système de pensée de l’Antiquité tardive, redécouvert à la Renaissance, la suite des saisons représentait le rythme fondamental de la nature, fondé sur le nombre sacré des pythagoriciens, le quatre17. Le quatre génère le monde matériel car il est le premier nombre ayant une extension tridimensionnelle (deux points formant une ligne ; trois, un plan). Le quatre assure également la pérennité de la nature grâce à la transmutation mutuelle et constante des quatre éléments, sujet que Poussin a traité dans le Paysage avec Orion aveugle cherchant le soleil (New York, The Metropolitan Museum of Art [fig. 16])18. Tous les changements suivent un rythme quaternaire, celui du cours cyclique des quatre saisons, ou encore un multiple de celui-ci : les douze mois de l’année ou les douze heures du jour et de la nuit. Chaque élément était ainsi associé à une saison : l’air au printemps (saison chaude et humide) ; le feu à l’été (saison chaude et sèche) ; l’automne à la terre (saison froide et sèche) ; enfin, l’eau à l’hiver (saison froide et humide [fig. 5]). Dans la tradition iconographique, les quatre saisons étaient représentées par des figures allégoriques ayant pour attributs les produits caractéristiques de chacune des saisons : fleurs pour le printemps, blés pour l’été, grappes de raisin pour l’automne et frimas pour l’hiver. Ces attributs permirent d’identifier ces figures à des divinités – Cérès pour l’été, Bacchus pour l’automne, Flore (ou Vénus) pour le printemps, et, généralement, Saturne pour l’hiver (parfois Éole, Vulcain, ou même Adonis) –, de sorte que deux saisons furent représentées par des personnages féminins (printemps et été), et deux par des personnages masculins (automne et hiver). À partir de 1593, cette iconographie fut notamment diffusée dans les éditions successives des manuels d’iconographie de Vincenzo Cartari et de Cesare Ripa19. Poussin avait peint une première fois les saisons dans Apollon accordant la conduite de son char à Phaéton (fig. 6), actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin. Dans cette composition, datée vers 1630, l’artiste s’était directement inspiré des Métamorphoses d’Ovide pour représenter les figures allégoriques des Saisons autour d’Apollon : « (…) le Printemps, la tête ceinte d’une couronne de fleurs ; l’Été nu, portant des guirlandes d’épis ; l’Automne, souillé des raisins qu’il a foulés, et le glacial Hiver, hérissé de cheveux blancs20 ». Mais ce tableau montre aussi que l’artiste connaissait et respectait la tradition iconographique, puisqu’il a représenté l’Hiver et l’Automne par des hommes, l’Été et le Printemps par des femmes, alors qu’Ovide ne précise pas si les allégories sont masculines ou féminines, les genres étant ceux des mots latins qui désignent les saisons : masculin pour l’automne, neutre pour le printemps, féminin pour l’été et l’hiver.

8


Correspondances Lorsque, trente ans plus tard, il décida de représenter une nouvelle fois les saisons en s’inspirant d’épisodes tirés de la Bible, Poussin transposa un thème profane dans le domaine du sacré. Il conserva cependant, et même multiplia, les correspondances. Le choix des sujets bibliques des Quatre Saisons, qui a toujours paru mystérieux, se justifie d’abord, selon nous, par les relations que l’artiste a établies entre saisons et éléments : printemps/air ; été/feu ; automne/terre ; hiver/eau (fig. 1 à 4). Le sujet du Déluge, qui a semblé si étrange pour représenter l’hiver21, s’explique pourtant facilement par l’association de cette saison avec l’élément Eau. De même, la relation est naturelle entre l’automne et l’élément Terre : Poussin peint les espions hébreux rapportant les fruits de la terre promise, prodigieusement fertile (grappe de raisin, mais aussi grenades aux dimensions géantes). Le lien de l’été, Ruth et Booz, avec l’élément Feu est tout aussi facile à établir : Poussin a peint la scène sous une chaleur brûlante, représentant au second plan un personnage qui se désaltère, tandis que des jeunes femmes, tout à fait à gauche de la composition, puisent de l’eau. La relation entre le printemps, dans l’épisode d’Adam et Ève, et l’élément Air est la moins évidente. Il faut cependant relever un « parergue », l’un de ces détails anodins participant au récit, qui concentrent souvent chez Poussin une part importante de la signification : la figure de Dieu portée par les nuages (fig. 1a), en haut et à droite de la composition. Le vent est un symbole de la transcendance de Dieu : omniprésent, invisible et insaisissable ; il peut s’agir de la brise qui règne dans l’Éden, ou bien, dans les Psaumes, la tempête, image de la colère divine22. C’est bien ici cette brise, figurant poétiquement le passage bienfaisant de Dieu dans le paradis, alors que la paix divine est sur le point d’être rompue, qui permet de relier ce détail et la composition entière à l’élément Air d’après un verset de la Genèse : « (…) comme ils eurent entendu la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le paradis après-midi, lorsqu’il se lève un vent doux23 » (Genèse, 3, 8). En représentant Dieu passant dans le paradis, Poussin rend hommage à la poésie aussi bien qu’à la réalité du texte biblique, contestée par un courant important de l’exégèse médiévale qui privilégiait la lecture allégorique au détriment du sens littéral. Ajoutons que Poussin a également pris en compte les attributs traditionnels des Saisons : fleurs et fruits du paradis terrestre pour le Printemps (le paradis étant d’ailleurs décrit comme un printemps éternel par les théologiens24) ; épis de blé dans le sujet de Ruth et Booz pour l’Été ; grappe de raisin de Canaan pour l’Automne ; pluie et éclairs du Déluge pour l’Hiver. Plusieurs auteurs ont relevé que chacune des Quatre Saisons peintes par Poussin correspondait à une partie du jour : le matin pour le Printemps ; le midi pour l’Été ; le soir pour l’Automne, et 9


la nuit pour l’Hiver25. Si les atmosphères des quatre tableaux sont toutes différentes, cette interprétation ne nous semble pas convaincante, l’artiste ayant toujours situé le soleil à l’horizon, remplacé par la lune dans la composition du Déluge. De plus, le souffle du vent qui accompagne le passage de Dieu dans le paradis terrestre ayant lieu dans l’après-midi, et non le matin, la scène décrite dans le Printemps doit avoir lieu au crépuscule, accentuant ainsi le drame humain inhérent au sujet peint par Poussin : la Chute. En préservant les correspondances traditionnelles de la symbolique profane des quatre saisons, bien que représentant des sujets bibliques, Poussin a considérablement enrichi la signification du cycle. Il a cependant utilisé, à son habitude, le « mode énigmatique » décrit par Milovan Stanic26, de sorte que le mystère des Quatre Saisons est demeuré entier. En 1956, Willibald Sauerländer rédigea la première étude approfondie relevant la pertinence d’une lecture des Quatre Saisons fondée sur l’exégèse chrétienne. C’est cette voie, ouverte par l’historien allemand, que nous proposons de poursuivre ici27.

L’exégèse chrétienne Au xviie siècle, l’exégèse chrétienne a une très longue histoire. Elle se fonde sur certains passages du Nouveau Testament qui révèlent le sens caché d’épisodes de l’Ancien. Selon l’Évangile de saint Matthieu (12, 40-41), les trois jours passés par Jonas dans le ventre de la baleine figurent l’ensevelissement puis la Résurrection du Christ : « Car comme Jonas fut trois jours dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre. » D’après l’Évangile de saint Jean (2, 14), le serpent d’airain élevé par Moïse dans le désert figure la crucifixion de Jésus : « Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent d’airain, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé en haut. » L’exégèse se développa dès les premiers siècles du christianisme, notamment au cours de la controverse avec les gnostiques et les manichéens, qui rejetaient l’Ancien Testament : l’interprétation allégorique permettait au contraire d’affirmer l’unité des Écritures28. Elle se structura progressivement en quatre niveaux : littéral, relatif à la narration des faits ; typologique ou allégorique, renvoyant au Christ et à la foi chrétienne ; tropologique, contenant un enseignement moral, et, enfin, anagogique, révélant les mystères de la vie future29. Au xvie siècle, la Réforme constitua une crise majeure pour l’exégèse, les Réformés rejetant la tradition et proposant des interprétations nouvelles du texte sacré. En réaction, le concile de Trente réaffirma cette tradition, rejetant les lectures nouvelles ne figurant pas chez les 10


Pères, et rappelant que l’Église doit demeurer le seul garant du sens véritable de l’Écriture30. La Contre-Réforme favorisa ainsi la lecture allégorique de l’Ancien Testament, qui se diffusa non seulement par de nouveaux commentaires du texte sacré, mais aussi par les sujets des épisodes bibliques représentés par les peintres. Les Quatre Saisons de Poussin évoquent précisément des épisodes dont l’interprétation spirituelle est particulièrement riche. Nous proposons donc d’éclairer leur signification à l’aide des principaux commentaires de la Bible édités au cours du xviie siècle : d’abord le grand commentaire de Cornelius a Lapide, publié à partir de 1614 – qui eut une diffusion européenne31 –, puis le commentaire du livre de Ruth par Nicolas Serarius – paru à Mayence en 1609, dont Sauerländer souligna l’importance32 –, également la Bible de Royaumont, qui parut seulement cinq ans après l’achèvement des Quatre Saisons33 et qui contient des illustrations qu’il est intéressant de mettre en regard des peintures de Poussin (fig. 7, 8 et 9), enfin les explications du sens littéral et spirituel de la Bible données par Louis Isaac Lemaître de Sacy à partir de 1672, qui sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont étroitement fondées sur les écrits des Pères de l’Église, Augustin en premier lieu, mais aussi Ambroise, Jean Chrysostome, Jérôme ou Grégoire le Grand34. Bien entendu, nous ne prétendons pas que Poussin ait lu tous ces textes (dont certains sont d’ailleurs postérieurs aux Quatre Saisons), mais ils témoignent d’une culture biblique commune à l’entourage romain de l’artiste et celui de ses commanditaires français. Ces textes permettent surtout de justifier, mais cette fois sur un plan spirituel, le choix d’épisodes bibliques qui ont tous fait l’objet d’une exégèse très riche, et que Poussin réunit pour la première fois dans un cycle. Une chose semble assurée : l’iconographie des Quatre Saisons est bien éloignée des préoccupations du duc de Richelieu, ce qui permet de supposer qu’elle recèle une signification très personnelle, même si elle a été élaborée à partir d’une tradition très ancienne.

Le vieil Adam et le nouveau La première scène du cycle peint par Poussin, le Printemps (fig. 1), représente Adam et Ève sur le point de goûter le fruit défendu. Le sujet même constitue le point de départ du cycle, qui, dans la tradition augustinienne de l’Europe catholique, est le « fondement de tous les mystères35 ». Le tableau de Poussin peut être mis en relation avec le verset 6 du chapitre 3 de la Genèse : « La femme considéra donc que le fruit de cet arbre était bon à manger, qu’il était beau et agréable à la vue. Et en ayant pris, elle en mangea, et en donna à son mari, qui en 11


1a

1. Nicolas Poussin Adam et Ève ou Le Printemps H. 1,18 ; L. 1,60 m Paris, musée du Louvre, Inv. 7303 26

1b


2a

2. Nicolas Poussin Ruth et Booz ou L’Été H. 1,18 ; L. 1,60 m Paris, musée du Louvre, Inv. 7304 28

2b


3a

3. Nicolas Poussin La Grappe de Canaan ou L’Automne H. 1,17 ; L. 1,60 m Paris, musée du Louvre, Inv. 7304 30

3b


4a

4. Nicolas Poussin Le Déluge ou L’Hiver H. 1,18 ; L. 1,60 m Paris, musée du Louvre, Inv. 7306 32

4b



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.