La légèreté Raoul DUFY (extrait)

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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition La légèreté Raoul Dufy présentée au Musée Angladon – Collection Jacques Doucet d’Avignon du 7 avril au 27 août 2017.

L’exposition est organisée par la Fondation Angladon-Dubrujeaud. Elle bénéficie du généreux soutien du Cercle Angladon et de la Banque Populaire Méditerranée.

COUVERTURE Charles Sorlier d’après Raoul Dufy La Fée Électricité, 1953 (cat. 52, pl. n° 1, détail) QUATRIÈME DE COUVERTURE Chambre à Aix-les-Bains, 1944 (cat. 40)

© Musée Angladon – Collection Jacques Doucet, Avignon, 2017 © Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Adagp, Paris, 2017, pour les œuvres de Raoul Dufy Raoul Dufy © Bianchini Férier pour les œuvres p. 32, 37 à 51, 53

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Clarisse Robert Conception graphique : Nelly Riedel Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-1090-1 Dépôt légal : avril 2017 Imprimé en Union européenne

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La légèreté Raoul Dufy

Sous la direction de Lauren Laz Avec les contributions de Christian Briend, François Chapon, Fanny Guillon-Laffaille, Gilles Genty, Christian Lacroix et Lauren Laz

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Que toutes celles et ceux qui, par leur concours et leur soutien précieux, ont permis la réalisation de cette exposition et de l’ouvrage qui l’accompagne trouvent ici l’expression de notre plus vive gratitude : Le collectionneur La Fondation Angladon-Dubrujeaud Jean-Michel Guiraud, Président Daniel Malingre, Vice-Président Patrice Gonon, Trésorier Sabine Coron, Trésorier adjoint Annie Montagard, Secrétaire Le Préfet de Vaucluse, le Directeur régional des Affaires culturelles de ProvenceAlpes-Côte d’Azur, le Maire d’Avignon, administrateurs de droit Alain Girard, Directeur honoraire des musées du Gard, administrateur Alain Graugnard, administrateur Axel de La Peine, administrateur Philippe Lechat, administrateur Gabriel Ourmières, Président honoraire, administrateur Jean-François de Pins, administrateur Nicole Salinger-Le Cesne, administratrice Pierre de Brion, Président honoraire François Chapon, Directeur honoraire de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, administrateur honoraire Jean-Maurice Rouquette, Conservateur honoraire du Musée de l’Arles antique, administrateur honoraire Le Musée Angladon – Collection Jacques Doucet Alexandra Siffredi, médiatrice Carina Istre, chargée des relations extérieures Romain Panza, office manager Marie Benjamin, Marie Pierron, Henri Lechiguero, Laurent Meynard, Christophe Polizzi et Frantz Roux, agents d’accueil, de sécurité et de maintenance Anne-Marie Peylhard, conservatrice honoraire Ainsi que Igor Boïko, Andrea Bortolus, Gilles Boussion, Dominique Durussel, Marc Kopylov, Sophie Krebs, Yvon Lambert, Julien, Paul et Tom Laz, Pascal Lieutaud, Simone Luecke, Olivier Masson, André, Dan et Deborah Mayer, Éric Mézil, Jean-Philippe Pons, Nicolas Raboud, Raffaella Telese, Géraldine et Salomon Tellène, Romain Victoria Et celles et ceux qui souhaitent garder l’anonymat.

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Sommaire Rechercher le temps perdu

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Jean-Michel Guiraud Président de la Fondation Angladon-Dubrujeaud

Le poids de la légèreté

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Lauren Laz

CATALOGUE DES ŒUVRES La richesse des « images à deux sous » de Dufy

17

Gilles Genty

Mode de guerre

33

Christian Lacroix

Baigneuses

57

Gilles Genty

La gaieté du printemps

65

Raoul Dufy

D’une belle enfant

81

François Chapon

Et d’un chasseur de lion

87

Fanny Guillon-Laffaille

« La musique des jours heureux »

97

Gilles Genty

La vie électrique

109

Gilles Genty

ANNEXES Chronologie

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Christian Briend

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Liste des œuvres

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Bibliographie sélective

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Crédits photographiques

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Rechercher le temps perdu

1. Nick de Morgoli (1916-2000) Dufy peignant, [1950]

Le Musée Angladon – Collection Jacques Doucet a le plaisir de présenter, dans ses nouveaux espaces d’exposition temporaire, la collection d’œuvres de Raoul Dufy généreusement prêtée par un collectionneur, ami de longue date de notre Fondation. Ce collectionneur a fidèlement accompagné par le passé plusieurs expositions importantes du Musée, consacrées notamment à Degas, Signac, Redon et Toulouse-Lautrec. Il tient à remercier la Fondation, sa directrice et son équipe, son Président honoraire, monsieur Gabriel Ourmières, et son épouse, ainsi que sa conservatrice honoraire, madame Anne-Marie Peylhard. Il tient également à exprimer sa gratitude pour leur contribution remarquable à madame Fanny Guillon-Laffaille, à monsieur Gilles Genty, à monsieur Christian Briend, à monsieur François Chapon et à monsieur Christian Lacroix. Que dire de ce collectionneur ami et fidèle ? Heureux d’être d’éducation et de culture françaises, il est reconnaissant envers ses chers parents disparus, qui l’ont toujours encouragé à cultiver son goût pour l’art, et lui ont prodigué amour et soutien tout au long de sa vie. Depuis son plus jeune âge, il s’est passionné pour le monde de la peinture, il a assidûment visité les musées de Paris, Londres, Munich et de la Côte est des ÉtatsUnis. Sa vocation initiale s’est forgée lors des visites, sans cesse répétées, de la Wallace Collection de Londres, où il fut ébloui par la beauté des œuvres, par la diversité étonnante de la collection et des arts présentés. Attiré tout d’abord par l’impressionnisme et ses grands maîtres, il a été subjugué ensuite par le néo-impressionnisme, sa lumière, et l’explosion des couleurs. Sa collection est l’œuvre de trois générations. Elle a été constituée avec l’aide et les conseils d’historiens de l’art experts, avisés et amis, qui par leur grande culture ont enrichi sa vie et son goût pour l’art. Amoureux de la peinture, il a regardé de près les grandes écoles du XIXe et du XXe siècle, notamment les symbolistes, les nabis et les peintres de l’Art nouveau. Aujourd’hui, nous sommes heureux de mettre en lumière sa collection d’œuvres de Raoul Dufy. Depuis bien longtemps, ce peintre l’a séduit : ses couleurs vives, une certaine légèreté, sa liberté, ainsi que les sujets évoqués : la France de l’entre-deuxguerres, les courses hippiques, la lumière, la mer et le grand large. Ce qui le rapproche personnellement de l’œuvre de ce grand peintre, libre de toute école, c’est encore l’amour partagé de la musique classique, les concerts de la salle Colonne, de la salle Pleyel et de l’Opéra. Notons également l’intérêt porté par Raoul Dufy au monde de la mode et son travail en étroite association avec le couturier Paul Poiret. En cela aussi, cette exposition trouve tout naturellement sa place dans la maison abritant les œuvres collectionnées par le pionnier de la haute couture que fut Jacques Doucet. Ce collectionneur est aujourd’hui heureux de revenir à Avignon et à la Fondation Angladon-Dubrujeaud à laquelle il est très attaché. Nous sommes particulièrement sensibles à son envie de transmettre, d’offrir au regard des œuvres choisies à la fois pour leur beauté et leur capacité à éclairer le public sur l’histoire de l’art. Que notre collectionneur et sa famille soient remerciés de leur amitié et fidélité sincère envers notre Musée. Jean-Michel Guiraud

Président de la Fondation Angladon-Dubrujeaud 9

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Le poids de la légèreté Lauren Laz

« Le vrai art est celui qui ne semble être art. » Baldassare Castiglione, Le Livre du courtisan, 1528 [cat. 52, pl. n° 5, détail]

1 Fernande Olivier, Picasso et ses amis, Paris, Stock, 1933, p. 121. 2 Sauf mention contraire, les textes cités ici et leurs références complètes proviennent de l’anthologie critique (1903-1953) rassemblée par Jacqueline Munck dans Raoul Dufy, cat. exp., Lyon, Musée des beaux-arts, et Barcelone, Museo Picasso, 1999 ; Paris, Réunion des musées nationaux, 1999, p. 236-245. 3 Christian Zervos, Raoul Dufy, Paris, Cahiers d’art, 1928, p. XXII. 4 Jean Cassou, Panorama des arts plastiques contemporains, Paris, Gallimard, 1960, p. 317. 5 Brigitte Léal, « Dufy, “grand artiste méconnu” », dans Raoul Dufy. Le plaisir, cat. exp., Paris, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Paris-Musées, 2008, p. 59. 6 Sophie Krebs, « Dufy. Les sources d’un malentendu », dans ibid., p. 107-115. 7 Étienne Jollet, Figures de la pesanteur. Fragonard, Newton et les plaisirs de l’escarpolette, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1998, notamment p. 52 et suiv. 8 Raoul Dufy (en 1948) cité par Pierre Courthion, Raoul Dufy, Genève, Pierre Cailler, 1951, p. 72 : « La nature est une sorte de contrôle auquel j’ai besoin de me référer sans cesse pour demeurer dans la capacité d’une vision jamais fermée. » 9 Carnet no 23, feuillet 13, fonds MNAM de Paris, AM 3666D, cité par Dora Perez-Tibi, « Les écrits de Raoul Dufy », dans Raoul Dufy. Le plaisir, op. cit., p. 280. 10 Manuscrit inédit cité par Perez-Tibi dans ibid, p. 281.

En 1933, Fernande Olivier, d’une plume sensible et volontiers précise, raconte les amis du Picasso dont elle fut la compagne des temps montmartrois. Sur Raoul Dufy (1877-1953), elle écrit : « Dufy, l’air très jeune comme il l’a gardé, blond, frisé, fin, flottant et aimable comme ses peintures actuelles. Il n’avait pas encore l’audace qu’il a montrée depuis. Ses œuvres légères, aérées, sans puissance mais pleines de charme semblaient le désigner pour une place de second plan. Mais son intelligence l’a servi plus que ne l’eussent fait de grands dons1. » Le ton est donné : même si l’opinion de ce témoin de la première heure, plus impressionné par le savoir-être de Dufy que par son art, se révèle globalement teintée de bienveillance, les œuvres de l’artiste sont légères et, comme conséquemment, sans puissance. Le terme légèreté – qualité à la fois de ce qui a peu de poids, de force, de corps, d’importance, de profondeur, de gravité, de densité, de stabilité, de contrainte et de ce qui présente de la facilité, de l’aisance, de la souplesse, de l’agilité, de la liberté… – porte en lui-même ce paradoxe de sens, oscillant entre ses caractères péjoratif et mélioratif. En 1921, à propos de l’œuvre de Raoul Dufy, artiste « bondissant et rebondissant », revenu de l’impressionnisme, du fauvisme, du cubisme et de l’image d’Épinal, qui semble à ses yeux pouvoir « tout peindre », Gustave Coquiot observe : « C’est sûr, étonnamment habile et raffiné, léger, subtil […] On est ravi ; on ne se lasse pas de regarder le joli petit tour de force accompli sans effort 2. » Mais dès 1928, alors qu’il consacre à Dufy le troisième volume de sa collection « Les grands peintres d’aujourd’hui » aux Cahiers d’art, Christian Zervos déplore déjà : « Nombreux sont ceux qui déprisent les dons éblouissants chez l’artiste 3. » Jean Cassou dira plus tard combien Dufy, « figure d’enchanteur », finit par « ne susciter que complaisance et agrément »4. Et lorsqu’en 2008, à l’occasion de la grande rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Brigitte Léal constate le « malentendu » à l’origine du « peu de considération dans l’histoire des avant-gardes du XXe siècle »5 qu’a suscité Raoul Dufy, Sophie Krebs l’explique par l’autonomie de sa création, la qualification nationale de son art, sa contribution importante aux arts décoratifs, son souci de séduction et… sa facilité 6. L’art de Dufy est léger et c’est bien ce qu’on lui reproche. La collection privée exposée ici, parce qu’elle couvre une grande amplitude chronologique, de 1910 à 1953, et accueille tous les registres thématiques et techniques de l’artiste, permet justement d’aborder l’ensemble de l’œuvre de Raoul Dufy à travers ce prisme. Car rien n’est aussi simple et chez Dufy, il semble bien que la légèreté consiste en une vraie dimension : elle est recherchée, travaillée, cultivée et résolument moderne. Derrière Étienne Jollet, on rappellera la convention – inconsciente tout en la tenant pour acquise – selon laquelle les artistes de la mimesis, depuis la Renaissance jusqu’à la diffusion du savoir newtonien au milieu du XVIIIe siècle, ont pratiqué la représentation de son opposé, la pesanteur7. À la suite d’un Fragonard, dont la critique fait de Dufy un héritier, celui-ci, s’il se réfère constamment à la nature8, ne s’encombre plus guère d’une telle recherche de vraisemblance : « Peindre, c’est faire apparaître une image qui n’est pas celle de l’apparence des choses, mais qui a la force de leur réalité9. » ou encore « Puisons dans la nature. Concevons en artiste et exécutons en artisan10. » 11

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Catalogue des Å“uvres

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3. La Chasse, 1910

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Mode de guerre Christian Lacroix

[cat. 17, détail]

Par la volonté et la générosité de Jean et Paulette Angladon-Dubrujeaud, ses héritiers, on a la chance, à Avignon, d’être, au Musée Angladon, « chez Jacques Doucet », l’un des premiers grands couturiers et collectionneur. Chez Jacques Doucet, à Paris, de 1898 à 1901, Paul Poiret fit ses premières armes avant de rejoindre Worth et de fonder sa propre maison de couture en 1903. En 1909 Poiret fait la rencontre de Raoul Dufy : frappé par les gravures sur bois énergiques et innovantes que le peintre a composées pour Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée de Guillaume Apollinaire, il fonde avec lui en 1911 La Petite Usine, atelier d’impression de tissus exclusifs, modernistes et traditionnels à la fois, réalisés à partir de bois gravés selon les techniques les plus artisanales. Sensible également aux inspirations doucement cubistes de ses tableaux et aquarelles, Poiret demande vers 1917 à Dufy d’illustrer ses collections, comme il l’avait fait en 1908 avec Les Robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe puis Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape en 1911. Au début de la Première Guerre mondiale, Dufy a édité, chez Paul Iribe, un précieux petit recueil de dix gravures en forme de dépliant, Les Alliés. Petit panorama des uniformes (cat. 7), dont la technique, celle du pochoir, évoque les images d’Épinal, élégamment archaïques, ou les cartes du tarot de Marseille, auxquelles il emprunte leurs couleurs primaires et la naïveté des reliefs hachurés. Parmi d’autres œuvres, documents et curiosités, ces uniformes, ces esquisses de robes et ces maquettes d’impressions textiles signés Dufy sont montrés aujourd’hui à Angladon, chez Doucet – la boucle est bouclée. L’art n’est pas une mode, la mode n’est pas un art, mais de tout temps ils ont flirté ensemble, ils se sont toisés, croisés et entrecroisés jusqu’à connaître au tournant de notre millénaire des rapports plutôt consanguins. Dangereuses liaisons, loin du bel âge d’or des années 1910 à 1940-1950 où peintres, chorégraphes, couturiers, musiciens et poètes élaborèrent, avec une élégante et très alchimique symbiose, l’esprit le plus léger et le plus poétique qui soit, une sophistication indicible. Ces pièces, ballets, collections et collaborations protéiformes représentent pour moi le summum de ce qu’on a pu appeler « le goût français », puisant son essence aussi bien dans l’histoire que dans l’exotisme, mêlant avec agilité classique et baroque, antique et contemporain, l’ici et l’ailleurs. En total équilibre, totale apesanteur et candeur, entre art et mode. Affinités électives, donc. Comme entre Poiret et Dufy. Sous les auspices, d’abord, des motifs géants, multicolores ou simplement noir et blanc, de ces tissus pour La Petite Usine puis pour Bianchini-Ferrier. Fleurs pomponnées comme des grenades éclatées dans un ciel saturé, fleurs de feux d’artifice en semis denses, graphismes modernistes mêlant post-cubisme et folklore slave, motifs ethniques évoquant l’Afrique. Est-Ouest, Nord-Sud, primitivisme tribal et raffinement hypersophistiqué, c’est la quintessence de cette époque qui s’illustre là, d’autant plus innovante qu’elle frôle les volcans avant d’y danser puis de s’y abîmer. Pour mieux renaître de ses cendres un peu plus tard, dans les années 1920. 33

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9. Robe pour Paul Poiret. Modèle rouge et noir, 1917

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10. Robe pour Paul Poiret. Modèle bleu, blanc, rouge, 1917

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Baigneuses Gilles Genty

[cat. 27, détail]

1 Francis Carco, Le Nu dans la peinture moderne (1863-1920), Paris, G. Crès et Cie, 1924, p. 107-108. 2 Sur la question de la répétition des motifs dans l’œuvre de Dufy, on consultera Didier Schulmann, « Peindre en séries », dans Raoul Dufy. Séries et séries noires, cat. exp., Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 1997, p. 11-13. 3 Carco, op. cit., p. 111.

Héritières des jeunes femmes de Renoir par la plénitude de leurs corps, de celles de Cézanne par la simplification géométrique de leurs formes, les baigneuses de Dufy sont également les cousines de celles de Derain par leurs dimensions décoratives. Elles posent surtout, en ce XXe siècle censé conduire à la disparition du sujet en peinture, la question du nu, à laquelle Francis Carco répondra dans un livre et plus précisément dans un chapitre consacré à Dufy : « Sur une vision marine, sommairement indiquée, créée pour elle, cependant, d’une participation directe à son être, une Baigneuse plus grande que nature s’impose. Elle n’est pas absolument nue : les femmes d’aujourd’hui mettent un bonnet et un maillot pour se baigner. Elle a maillot et bonnet. Elle est assise ; elle est lasse ou indifférente. Son cou, son dos, son torse, ses membres, tout cela est robuste, charnu, d’une sensualité puissante. Les attaches sont fortes ; les mains, les pieds sont établis sans la moindre concession au préjugé de race ou de coquetterie. Nu réaliste, si l’on veut, direct ; cependant la transposition d’art est admirable. Campée et musclée à stries fermes où domine le rouge, la figure est un monument au langage humain dans la peinture. On n’y saurait trouver un indice de mièvrerie. La tête, résignée ou boudeuse, résolument inclinée à gauche, la joue gauche liant son expression à celle du dos voûté, cesse de traduire quoi que ce soit lorsqu’on a fondu par le regard son symbole plastique aux autres. Elle prend cette impassibilité que tant de classiques ont poursuivie pour n’atteindre que la froideur1. » Mélanges entre une contemporanéité vestimentaire revendiquée et une monumentalité classique – référence également chère à Derain et à Picasso –, les baigneuses de Dufy intriguent aussi par leur récurrence2 dans l’œuvre du peintre. Elles en ponctuent les évolutions stylistiques, depuis les versions cuisantes et constructives de 1911 jusqu’aux ultimes interprétations des années 1950. Mais si le maillot de bain souligné de blanc et le bonnet rouge sont présents dès 1914 (Paris retrouvera ces baigneuses en 1924 dans les costumes imaginés par Coco Chanel pour le ballet Le Train bleu monté par Serge de Diaghilev et dont le rideau de scène est peint par Picasso), le paysage urbain à l’arrière-plan change imperceptiblement. Tantôt les couleurs modifient notre perception du volume de l’église, tantôt les contours, traités en un puissant cerne noir, rendent omniprésente une architecture jusqu’ici discrète. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que ce paysage soit celui de Sainte-Adresse, « Nice havrais » cher à Claude Monet, à quelques encablures du Havre, matrice à bien des égards de l’œuvre de Dufy. La ville peinte en 1914 n’est plus en 1950, après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les baigneuses d’après 1945 sont ainsi autant des variations au sens musical du terme – on songe à la manière avec laquelle Ravel reprend inlassablement ses motifs dans le Boléro composé en 1928 – que l’incarnation de souvenirs à jamais disparus. Moderne Vénus, contemporaine Amphitrite, ici en lévitation sur les flots, notre baigneuse peinte réussit la parfaite synthèse de la sensation, de l’émotion et de l’analyse plastique. Synthèse là encore parfaitement vue par le poète Francis Carco : « Aux deux grandes écoles du paysage et du nu, les leçons marquent la différence des tempéraments. Un Raoul Dufy, qui loge au centre de son arabesque une âme purement classique, unifie les deux enseignements 3. » 57

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31. Voiliers et cargos au Havre, [vers 1924]

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32. NaĂŻades et chevaux marins, [vers 1925]

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La gaieté du printemps Raoul Dufy

[cat. 34, détail]

« Je fais maintenant ma théologie, m’a-t-il dit en me tendant la main avec précaution. Vous comprenez, je cherche à mettre dans ce que je fais un peu moins de pinceau. […] Il faudrait peindre comme on dessine. » « D’abord, élimination du ton local, afin de donner, contrairement à la lumière solaire, l’éclairage pictural des objets par le centre. L’ombre ne capte pas, elle est supprimée. Ainsi chaque chose prend sa couleur et son plan, non pas selon l’éclairage de la nature, mais suivant l’ordonnance du tableau. Autrement dit : à la composition par le dessin et la distribution des plans, telle qu’on la comprend habituellement, s’ajoute une composition par la distribution des couleurs et des lumières. Nous avons donc ici le petit bateau. Le soleil au zénith, c’est le noir : on est ébloui ; en face, on ne voit plus rien. […] Alors, pour moi, c’est le noir qui domine, il faut partir du noir, et tenter une autre transposition, une composition qui trouve la luminosité dans les contrastes de la couleur. » « Peindre, c’est voir pour les autres. Voulez-vous, dit Dufy, que nous fassions des aphorismes ? » « On peint donc par un besoin de savoir où l’on en est, par un désir de s’augmenter, d’approcher ce qui nous dépasse. On peint aussi pour quelques amis que l’on estime, dont on sait l’avis franc, mais on peint d’abord pour soi avant de peindre pour les autres. » « Il y a le réel et il y a ce que l’on voit. Ça n’est pas la même chose. Il y a un réel mesurable : plan, coupe, élévation. Ce qui m’appartient, ce n’est pas cela, mais ma propre vision du réel. J’essaie de peindre ce que je vois et ce que je comprends des choses. […] La photographie ne peut que fausser tout cela en immobilisant le galop des chevaux dans l’arrêt factice de l’instantané. » « L’important, ce n’est pas l’arbre ou la maison, mais ce qu’il y a entre les choses, l’espace. Peindre, quand il n’y a rien, voilà le difficile, et, par certains côtés, l’essentiel. » « Le peintre a sa propre vision. Il n’est plus dépendant de la nature, il isole son objet et lui crée sa propre lumière avec sa couleur ; il l’identifie et le désigne comme un objet indépendant et qui ne fait plus partie de la nature, mais de l’art. » « Il est certain, me dit Dufy, que le contact des œuvres prédispose les gens à voir, même en dehors et au-delà de l’œuvre d’art qu’ils ont regardée. Ces gens apprennent ainsi à voir la nature ; elle leur parle tout autrement. L’art peut leur donner une éducation profonde, mieux encore, une intuition. Après tout, ce n’est pas la nature qui peut inciter à connaître l’art, mais bien l’art qui permet de saisir dans la nature ce qu’il y a d’émouvant et d’essentiel. »

Citations recueillies en mai 1948 par Pierre Courthion et extraites de « Mes causeries avec le peintre » dans Pierre Courthion, Raoul Dufy, Genève, Pierre Cailler, 1951, p. 41-75.

« Ce que j’ai voulu montrer en peignant, c’est comment sont les choses et la vie, à mes yeux et dans mon cœur. » 65

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37. Terrasse à Nice, 1940

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D’une belle enfant François Chapon

[cat. 41, détail]

Cette année 1930 voit paraître La Belle-Enfant ou l’Amour à quarante ans (cat. 41). Quatre-vingt-quatorze eaux-fortes de Dufy font de cet ouvrage un hymne à la mer et au port. C’est une impression musicale que dégage le rythme de la gravure. Si grande que soit la fermeté dans l’attaque du métal, la dureté de la planche confère au trait une netteté, un pureté un peu sèche dont l’instinct plastique de Dufy joue à travers toutes sortes de combinaisons : verticalités parallèles des mâts, des cheminées, des façades ; obliques affrontées des vagues, des voiles, des cordages ; incurvations des coquillages, des corps, des ferronneries. Symphonies de lignes où la pureté de chacune concourt à l’harmonie cristalline de l’ensemble. On comprend que Dufy ait aimé Mozart. Cette scansion linéaire, elle s’étoffe au passage de tous les leitmotive que la ville méridionale fournit à l’imagination de l’artiste : répétition des beaux fûts de platane, à l’écorce ocellée, des enseignes, des éventaires, des terrasses dont la similitude dans la diversité compose autant de variations. Ni l’éditeur ni le peintre n’ont ménagé les effets d’une somptuosité orchestrale. Chaque titre de chapitre exige une page entièrement ornée. La page au verso est également décorée, puis le début du texte à la page impaire qui fait suite, outre une lettrine, comporte une composition dans toute la largeur. Les blancs laissés par la fin des chapitres sont encore occupés par une gravure. Le texte finit-il au bas de la page que le verso pair est alors illustré de toute sa surface. Richesse inouïe où l’invention de Dufy marie à la classique élégance du Grandjean la structure d’un palais baroque, la forêt des mâtures, un frisson sur la mer ou les miroirs du salon de Mme Aline. À propos de ce dernier Vollard raconte : « […] l’artiste eut un scrupule. Il lui sembla que son dessin n’en rendait pas l’atmosphère. Cette atmosphère, il avait essayé de la retrouver à Paris dans des maisons de même ordre ; mais il n’y parvenait pas. C’est alors qu’il se décida à prendre de nouveau le chemin de Marseille et, cette fois, il en revint tout à fait en mesure de rendre, à sa satisfaction, le salon si renommé. » Isolées par leur marge blanche, les compositions hors-texte établissent, une par chapitre, comme les étapes d’un périple personnel à travers la profusion anonyme de la ville.

Ce texte a été publié une première fois dans François Chapon, Le Peintre et le livre. L’Âge d’or du livre illustré en France 1870-1970, Paris, Flammarion, 1987, p. 73-74. Sa réédition est en préparation aux Éditions des Cendres.

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41. Eugène Montfort (1877-1936) et Raoul Dufy (1877-1953) La Belle-Enfant ou l’Amour à quarante ans

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Et d’un chasseur de lion Fanny Guillon-Laffaille

[cat. 42, détail]

Raoul Dufy est un artiste accompli, cultivé, curieux de nature. Toutes les formes de l’art l’intéressent (sauf toutefois la sculpture, domaine qu’il n’a peut-être pas eu le temps d’explorer). Sorti de l’École des beaux-arts, Dufy s’adonne à la peinture et après une période imprégnée de l’impressionnisme, il participe aux mouvements fauve et cubiste. Très tôt, il est attiré par l’illustration d’ouvrages. Il en fera un peu plus d’une cinquantaine tout au long de sa carrière, allant de l’illustration complète à quelques bandeaux, lettrines ou « portraits d’artistes ». « J’ai toujours eu d’instinct le goût des livres, mais je dois à la fréquentation et à l’amitié de Fernand Fleuret d’avoir compris les raisons de cet amour et ce qu’il pouvait avoir d’importance dans mon œuvre et pour moi1. » L’aventure commence donc avec Fleuret qui lui propose vers 1907 d’illustrer Friperies. Ce livre ne verra le jour qu’en 1923, trouver un éditeur et l’argent nécessaire n’est pas aisé à cette époque. Et ne l’est toujours pas ! Entretemps, Apollinaire propose à Dufy d’illustrer à l’aide de bois gravés son Bestiaire (ill. 1 et 2). L’ouvrage paraît en 1911, tout n’est pas vendu et le livre est finalement soldé par l’éditeur. Quelques années plus tard, Le Bestiaire est enfin reconnu comme l’un des plus beaux livres illustrés de l’époque. Dufy, dès lors, reçoit d’autres commandes : les Almanachs de Cocagne, les Poèmes légendaires de Flandre et de Brabant en 1916, Les Élégies martiales de Roger Allard en 1917, pour n’en citer que quelques-unes. La curiosité de Dufy et son goût de l’expérience l’amènent à se tourner vers la lithographie pour l’illustration de nouveaux ouvrages. En 1926, les Éditions Au sans pareil lui demandent d’illustrer de lithographies un autre livre de Guillaume Apollinaire, Le Poète assassiné. La technique employée par l’artiste est la lithographie au pinceau en noir et blanc sur pierre. Dufy commence à avoir une idée précise sur la façon dont un artiste et un écrivain doivent collaborer et il en expose ses principes à Florent Fels : « Je considère la décoration d’un livre beaucoup plus suivant son aspect matériel que sur le plan de l’illustration, et j’évite le commentaire littéral des actions et des caractères. L’illustrateur qui interpose sa propre vision gêne le lecteur en lui imposant des attitudes définitives, absolues, en limitant le jeu de son imagination. Ainsi dans La Belle-Enfant, le roman d’Eugène Montfort, je ne propose aucune figure, aucun personnage, mais l’atmosphère de Marseille et je ne tente d’autre portrait que celui du grand port ouvert face au sud2. » En 1930, Ambroise Vollard demande à Dufy d’illustrer le livre d’Eugène Montfort La Belle-Enfant ou l’Amour à quarante ans de quatre-vingt-quatorze eauxfortes (cat. 41). Ce livre, Le Bestiaire et les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon (cat. 42) seront les trois plus beaux ouvrages illustrés par l’artiste, chacun dans une technique différente : gravure sur bois, eau-forte et lithographie en couleurs. En 1931, la société Scripta et Picta contacte Dufy pour l’illustration d’un livre commandé par le docteur Roudinesco et destiné à un groupe de bibliophiles, les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon. Ce texte au départ n’enchante pas Dufy. Tartarin, ce héros caricatural, est fort éloigné du tempérament délicat, cultivé et raffiné de l’artiste. Cependant, nous 87

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« La musique des jours heureux » Gilles Genty

[cat. 43, détail]

La musique rattache en premier lieu Dufy à des souvenirs personnels intenses. L’on se souviendra de l’anecdote concernant le violon de famille : Dufy vendit, non sans mal, dans les difficultés financières des premières années, un Guarnerius que possédait sa mère. Pris de remords, il en racheta un autre quelques semaines plus tard avant que sa mère ne laisse définitivement partir l’instrument : « Raoul, tu sais, le violon ? Un collectionneur qui en avait entendu parler est venu, il m’en a offert vingt mille francs, et je lui ai vendu notre Guarnerius de famille. Tu ne m’en veux pas, au moins1 ? » Il fut en réalité mortifié, secrètement, comme souvent chez lui, et l’exprimera par la récurrence de motifs qui disent aussi son attachement à la clarté des constructions classiques ; apparaîtront ainsi les natures mortes au violon titrées Hommage à Bach ou celles au piano annotées Hommage à Claude Debussy dont les aplats de couleurs et l’ordonnance décorative ne sont pas sans rappeler le meilleur Matisse, lui aussi passionné de musique. Ces motifs musicaux se déclinent aussi chez lui en des harmonies fondées sur les trois couleurs primaires (rouge, jaune, bleu), un peu comme les couleurs émotionnelles dont Chagall revêt successivement un même personnage, en dehors de tout réalisme descriptif et spatial. Cette narration poétique est illustrée par La Console jaune au violon (1949 ; Toronto, Art Gallery of Ontario, ill. 4), monumentale console rococo de l’atelier de la place Arago où l’instrument est posé en un improbable équilibre.

Ill. 4 Raoul Dufy, La Console jaune au violon, 1949 Huile sur toile, 100 × 81 cm Gift of Sam and Ayala Zacks, 1970 Toronto, Art Gallery of Ontario 97

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47. La Véranda, 1944 Projet de décor pour la pièce d’Armand Salacrou Les Fiancés du Havre montée à la Comédie-Française

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La vie électrique Gilles Genty

[cat. 52, pl. n° 2, détail]

La célébrité internationale de La Fée Électricité1 est sans doute, aujourd’hui encore, le fruit d’un malentendu ; l’on a coutume de vanter en priorité son format, celui de « plus grand tableau du monde » (600 mètres carrés mais constitué en fait de l’assemblage de deux cent cinquante panneaux), au détriment du véritable et bien réel mouvement moderne qu’il accompagne, au sein de l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937 à Paris. Il convient en premier lieu de dire combien agité fut le contexte économique et social dans lequel cette exposition s’ouvrit, une série de grandes grèves paralysant alors la France du Front populaire de Léon Blum. La crise de 1929 ayant raréfié les emplois, le gouvernement entreprit une politique de grands travaux dont fait partie l’Exposition. Le Commissariat général des beaux-arts ambitionne d’ailleurs de « […] lutter contre le chômage, pas seulement celui des travailleurs, mais aussi celui des savants, des artistes qui œuvrent dans la pensée2 ». Des forces de l’esprit à la technique au service de tous Contrepoint à la morosité ambiante (accentuée par le face-à-face des pavillons de la Russie et de l’Allemagne), le « Palais de la lumière » (conçu par l’architecte Robert Mallet-Stevens et Henri Pingusson pour la Compagnie parisienne de distribution d’électricité) dans lequel prendra place La Fée Électricité se veut d’abord et avant tout un hymne au savoir, au travail, aux progrès techniques, aux jours meilleurs. Pour composer sa grande décoration, Dufy se documente méticuleusement ; il confie à son frère Jean le soin de rassembler une large documentation sur les savants et leurs inventions, mais visite aussi des usines, des aciéries, des centrales électriques (dont celle de Vitry-sur-Seine), l’arsenal de Brest, sans oublier le Musée des arts et métiers. Loin d’être un inventaire à la Prévert, cette liste témoigne de sa volonté scrupuleuse de connaître au mieux le rôle de chacun des cent dix savants, qu’il distribuera en un ordre chronologique, allant de droite à gauche, d’Aristote et Archimède (cat. 52, pl. no 10) à Edison et Pierre et Marie Curie (pl. no 2). La démarche de Dufy n’est pas anecdotique mais s’inscrit dans un mouvement plus vaste d’affirmation et de glorification de la science, comprise comme un rempart à la barbarie naissante ; ce n’est pas un hasard si le Palais de la découverte naquit au sein de cette même exposition de 1937. Jean Perrin appela d’ailleurs sa pérennisation au nom des idéaux de progrès : « Car ce Peuple manifeste pour la Science une foi confuse mais profonde. Il espère, il attend de cette Science libératrice un affranchissement progressif, déjà commencé, qui rendra accessible à tous, grâce aux loisirs d’une vie saine et harmonieuse, les joies supérieures de l’Art et de la Pensée3. » Si Dufy relit le De rerum natura de Lucrèce, c’est pour y puiser l’idée d’une domination progressive de la nature par l’esprit, non pour l’asservir mais pour la mettre au service de l’homme et de la construction d’un monde meilleur. Tandis que le registre inférieur de La Fée Électricité est consacré aux savants, la partie supérieure est dévolue aux applications techniques des grandes découvertes et au monde du travail. Les machines agricoles qui surplombent Newton (pl. no 9) font écho en esprit à celle que l’on voit à l’arrière-plan de Au temps d’harmonie (1895) de Paul Signac. La machine n’est pas vue comme l’ennemie du travailleur mais

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52. Charles Sorlier (1921-1990) d’après Raoul Dufy (1877-1953) La Fée Électricité

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Annexes

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Chronologie Christian Briend

1877

1900

3 juin, naissance à sept heures du matin au Havre, 46, rue des Pincettes (aujourd’hui rue Voltaire) de Raoul Ernest Joseph Dufy. Il est le deuxième fils de Marie-Eugénie Ida Lemonnier (1850-1931) et de Léon Marius Dufy (18451925), comptable chez Rispal, entreprise de métallurgie du Havre. Son père est également musicien, maître de chapelle de la paroisse Saint-Joseph et fondateur de la société chorale La Lyre havraise. La famille comptera dix enfants, dont le peintre Jean Dufy (1888-1964).

Fait don de quatre de ses aquarelles au Musée du Havre (aujourd’hui Musée d’art moderne André Malraux). Habite avec Friesz à Montmartre, 12, rue Cortot (partant au service militaire, Friesz lui laisse le logement en 1901).

1891 Après avoir obtenu le baccalauréat à l’institution SaintJoseph et pour subvenir aux besoins de sa famille, entre dans une maison d’importation de cafés brésiliens dirigée par les Suisses Luthy & Hauser. Préposé pendant cinq ans au contrôle des denrées des paquebots étrangers.

1893 Inscrit à l’école municipale des beaux-arts du Havre, suit les cours du soir du peintre Charles Lhuillier (1824-1898), élève d’Alexandre Cabanel et de François-Édouard Picot, directeur de l’école depuis 1871 et conservateur du Musée des beaux-arts (de 1884 à sa mort). 4 août, reçoit le deuxième prix du cours élémentaire de dessin et de figures.

1894 Se lie d’amitié avec Othon Friesz (1879-1949), né lui aussi au Havre et de deux ans son cadet.

1895 Au Musée des beaux-arts de Rouen, La Justice de Trajan d’Eugène Delacroix est pour lui « une révélation et certainement une des impressions les plus violentes de [sa] vie » (cité par Perez-Tibi, 1989, p. 16-17).

1898 8 octobre, soutenu par son professeur, sollicite l’inscription à l’École nationale des beaux-arts à Paris.

1899 Commence son service militaire à Rouen, mais son frère Gaston (1879-1959), devançant l’appel, le libère de ses obligations militaires. Octobre, deux ans après Friesz, bénéficiaire de la même faveur depuis 1898, obtient une bourse de la Ville du Havre (600 francs par an) pour suivre à Paris les cours de l’École nationale des beaux-arts. 24 novembre, admis, comme avant lui Friesz, dans l’atelier de Léon Bonnat (1833-1922) à l’École nationale des beaux-arts. Domicilié 9, rue Campagne-Première. À la visite du Louvre, préfère celle des galeries qui présentent les impressionnistes.

1901 Fait la connaissance d’Albert Marquet (1875-1947). Mai, expose pour la première fois une peinture au Salon des artistes français (Fin de journée au Havre, Le Havre, Musée d’art moderne André Malraux). Peint et dessine à Falaise (Calvados).

1902 Novembre, vend un pastel (La Rue Norvins) à Berthe Weill (1865-1951), brocanteuse et galeriste établie 25, rue Victor Massé à Montmartre depuis 1901. C’est le peintre anarchiste Maurice Delcourt (1877-1916) qui la lui a présentée. 2 août-5 octobre, participe à l’exposition de la Société des amis des arts du Havre avec une peinture (Effet du soir – Quai Videcoq au Havre) et un dessin (Vue de la Seine à Paris – Le Pont des Arts).

1903 19 janvier, participe pour la première fois à une exposition collective chez Berthe Weill. Fait de même régulièrement une ou deux fois par an jusqu’en 1909. Réside 15, rue Victor Massé à proximité de la galerie de Berthe Weill avec une jeune femme prénommée Claudine. Le couple accueille Maurice Delcourt qui initie Dufy à la gravure. 20 mars-25 avril, expose pour la première fois au Salon des indépendants, des vues de plages et des paysages de Montmartre. Août-septembre, séjourne pour la première fois dans le midi de la France, à Martigues (Bouches-du-Rhône). Automne, rencontre Georges Braque (1882-1963) dans l’atelier de Bonnat.

1904 21 février-24 mars, expose six peintures au Salon des indépendants, dont trois vues du pont Louis-Philippe et une vue du quai de l’Hôtel-de-Ville, qui se situent à proximité de son nouveau domicile 31, quai de Bourbon. Fin du printemps-été ?, peint à Fécamp en compagnie de Marquet. Mi-juillet-début septembre, Berthe Weill est en vacances au Havre et à Sainte-Adresse. Dufy l’emmène à Trouville. Séjourne à Marseille et à Martigues. Décembre, visite l’exposition Paul Signac (1863-1935) à la galerie Druet.

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