La Victoire de Samothrace - Redécouvrir un chef-d'oeuvre (extrait)

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second Empire a en effet connu plusieurs états. Le monument de la Victoire, à l’initiative de Félix Ravaisson-Mollien, y est installé sur le palier supérieur dès 1883 : la Victoire accueille ainsi les visiteurs qui entrent dans le musée par un vestibule situé non loin du pied de l’escalier. Edmond Guillaume, architecte du Louvre et des Tuileries, conçoit alors un décor pour le monument de Samothrace, qu’il met en œuvre à partir de 1892. Les mosaïques des voûtes et le décor des murs peints de couleurs vives selon les codes d’un goût « beaux-arts » cher au XIXe siècle ne sont cependant pas achevés tant ils défrayent la chronique à la fin du siècle, à tort ou à raison. Dans les années 1930, lorsque Henri Verne entreprend un vaste plan de réaménagement du musée du Louvre, l’architecte Albert Ferran reprend le chantier de l’escalier Daru. Ce dernier modifie considérablement le parti d’Edmond Guillaume : en 1932-1933, les volées de marches sont élargies, les rambardes à croisillons sont remplacées par d’autres, de style Art déco (voir p. 82-83, fig. 60-61). Surtout, les mosaïques sont masquées par un papier peint façon pierre. La grammaire ornementale toute historiciste du XIXe siècle disparaît, on lui préfère alors une esthétique beaucoup plus épurée. Plus sobre diront beaucoup, plus ennuyeuse diraient certains… Aujourd’hui que choisir ? Le décor de Guillaume est toujours là : les mosaïques multicolores décorées de Victoires tenant des palmes et de portraits de grands hommes sont intactes sous le papier peint défraîchi. La tentation est grande de révéler ce passé, mais ce serait faire cohabiter deux états de l’escalier difficilement conciliables : les volées de marches et les rambardes Art déco et le décor chatoyant du siècle précédent. Ce dernier est d’ailleurs impossible à rétablir dans son ensemble. Il a donc été décidé de restaurer l’escalier dans son état des années 1930. Deux modifications sont néanmoins envisagées : Ferran avait fait avancer tout le monument de 1 mètre sur le palier pour en améliorer la vue au pied des marches de l’escalier. Aujourd’hui, la place manque autour du monument, il est donc décidé de le reculer vers le mur du fond. En outre, la base en forme de navire de la Victoire a besoin d’être protégée : elle est souvent touchée par les visiteurs. Ceux-ci ne remarquent pas que les dalles de son socle sont aussi antiques et, de bonne foi, s’assoient dessus (voir p. 155). Une barrière de mise à distance est envisagée, dix fois dessinée, mais le public pourrait s’y prendre les jambes les jours de grande affluence. Pour protéger le monument, il est possible de le rehausser sur un socle moderne d’une soixantaine de centimètres. Une autre idée fait alors son chemin : le bloc moderne installé entre la Victoire et son bateau, affecté par une petite fissure, pourrait être retiré pour redonner au monument toute sa cohérence antique, nous y reviendrons. Le nouveau socle servirait non seulement à protéger le bateau, mais aussi à compenser le retrait du bloc moderne : à l’issue du chantier la statue régnerait en effet dans l’escalier à la même hauteur. De multiples simulations sont alors comparées : l’effet d’ensemble paraît satisfaisant, face à la Victoire comme du bas de l’escalier. Le socle conçu par Michel Goutal est paré de marbre de Carrare, comme les marches et le sol des paliers de l’escalier, pour préserver la cohérence de l’écrin architectural du monument. Une autre question est à juste titre soulevée. Durant l’Antiquité, dans le sanctuaire de Samothrace, le monument était présenté de trois quarts : faut-il tenter de le placer de la même manière dans l’escalier ? Des simulations avaient déjà été commandées dès 1985 par Alain Pasquier, alors directeur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Elles n’avaient pas été concluantes. Au-delà se pose une question fondamentale : comment restituer le contexte d’une œuvre déplacée dans un musée, jusqu’où cela a-til un sens de le faire, matériellement tout du moins ? Doit-on évoquer l’environnement architectural du monument dans le sanctuaire ? L’élévation de celui-ci est d’ailleurs difficile

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