La grande utopie de KIJNO (extrait)

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D’ o lyr rigi n i Ap que e p o en rès est lon d a u Me tière es é ne ise, fi m t int ttan en ude gur Lad i so erna t en t à l’ s de e att slas en n am tion avan art a phi acha Kijn l pa 198 pleu ale p t le u co osop nte o (19 0 r g n o r es tac hie et o 21 Éc la p . Ki lor ur – t r a j r s e et t de aupr igin 201 so itur oés no f de voi 2 a r i fo n en es b e, le açon sa p dév la vi Germ ès d le d ) po n t l g co t de age anch voy ne u rése elop esse ain e Je e l’É rte-d a a n m p m n e œ tat é l d’e e Ric n G cole rap œu me lui u en es, ge e a i e r B x o à l f sy le p n pa t au alis t l’e uvr n d tec écu hier enie de P au d p e , ’al m h a u n lur bo ère s sseu rès es – gag exp Th niq tion Son r, Ki ris d e l’a C j u é bs d i i e d liqu pi n é e r l a è e â h e g e, ritu hors ’Ang ocs men rime tre du est Del o dé s le trac sa re de fr au ,S ci el t. ti n ale bo el f Re n t r ule ran orm a Da pél Sa m tale Ne oiss conn nay de d nné on His naud e é ste sph ça e. P vis olo is aux rud age u s et e s es La torie Far gra n d ou à j ériq is du ar s com gie e en mu a à l . Ell ur l Han e co 195 x nd ’ am 0 a e s a n s e u art, c l o p u top om ais e si Stre n ut me s men lace tiple Bie pren scè Har sacr . ie mi tu sa ch et A ilis a d tal de s fo s fa nna dra ne ng er è Kij saire a r l e é c m e r m r t t . s c t no de arq e à . L ion ou , s ell ette de out l’e a o C v e V e s ue n xp e éz for de e d os . an me la v rte d trav es S insp nise itio ne i n , c ron apo e la ail a igne rée ett de ris Ch vec s pr e n ca ati in ou rac on, e ou Rob emi e e ve K t lle éris ijno de l rt Co rs, ’O po e s m mm on s’im céa ba tra po nie s, e … va se il :

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sous la direction de Renaud Faroux

978-2-7572-1223-3 35 €

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« L’homme naît et meurt froissé ; la peinture d’une manière ou d’une autre il faut y laisser sa peau ! » Ladislas Kijno


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L’éclipse

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1978

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acrylique sur papier froissé

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105 x 87 cm

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collection Henry Distler


L’île de Pâques J’ai rencontré Lad Kijno, une première fois, alors que nous fêtions la sortie de prison d’un jeune homme, fils d’un de ses amis, que ses opinions politiques avaient conduit là. C’était à Antibes, derrière le château, il faisait un soleil éclatant. Il y avait la mer et nous avons parlé de voyages. Lad, durant sa vie, accompagné de Malou, n’a cessé de voyager mais le second voyage où il m’emmena, si l’on en croit les apparences eut lieu dans un café, au pied de l’ancienne gare Montparnasse. J’étais avec mon ami l’ethnologue Jean-Marie Gibbal, avec lequel j’avais fondé la revue EXIT. Il y avait, haut dans le ciel, en équilibre, sur la crête des toits, des ouvriers qui proposaient une enseigne lumineuse. Lad commença à parler de tableaux de Fernand Léger, en comparant la réalité que nous observions, les corps d’hommes, les échafaudages et ce que l’art en avait fait grâce aux couleurs, aux traits, aux compositions de Léger qu’il admirait pour son œuvre et sa pensée. Très vite, je compris qu’en suivant l’explorateur qu’était Lad, je n’étais plus là où j’étais censé être, sur ma chaise, mais que le voyage mental avait commencé. Je compris que ce que je voyais n’étais pas ce que je voyais. Il ne s’agissait plus d’images et d’objets mais d’espaces et de formes. Il y avait une autre dimension, dimension intérieure qui éclairait tout. La matière concrète était essentielle mais elle recelait tant de virtualités qu’il fallait se défier de tout « homme unidimensionnel », par exemple celui de la révolution sociale était indispensable mais il ne fallait pas oublier « la révolution des muqueuses », celle des corps sur lesquels l’impasse était impossible, au risque de voir l’ange finir par engendrer une bête destructrice et puritaine. L’art était, pour Lad, une aventure qui permettait de vivre la manifestation des idées et des formes, la complexité de l’univers. L’art, disait-il, est ce mouvement permanent du réel entre nous et l’autre qu’il faut rendre visible. Plus Lad parlait, plus il posait la question de la matière mais comme Jack London, il rajoutait : « Et puis [il y a] les choses de l’esprit, la pureté et la noblesse de la pensée, l’éclat de la vie intellectuelle 1 ». La vie intellectuelle, en acte, passionnait Lad : d’abord la philosophie et il avait été un grand lecteur de Lanza del Vasto, des présocratiques, de Marx mais aussi la poésie, celle de Francis Ponge, d’Aragon, de Bernard Noël, de Pablo Neruda dont il fit des tableaux avec certains de ses textes grâce à d’étonnants graphes sur toile, sans oublier la musique et la science. Cette rencontre, pour moi, fut une porte ouverte sur les enjeux de la création. Elle m’a permis de choisir l’art, comme voie et outil, pour projeter et inventer le monde, tache si nécessaire, aujourd’hui, afin de « ré-ouvrir » l’espace, devant nous. L’art était pour lui une esthétique mais aussi une éthique. Lad était d’origine modeste et les ouvriers, au-dessus de nous ce jour-là, lui étaient proches. Ils occupaient sans cesse sa pensée. Lad peignait pour tous mais particulièrement pour eux. L’art mettait en jeu l’expérience de l’altérité. L’art est une autre manière d’être. En un mot, l’art est « un autre » pour l’autre. Il n’est pas déjà écrit, c’est pour cela qu’il n’est possible que grâce à l’exercice de la liberté. L’art est une affaire d’hommes libres qui se reconnaissent et, peut-être, se comprennent. Libre, Kijno le fut. Il était l’incarnation de ce choix existentiel mais il était aussi l’acteur d’une utopie libertaire qu’il imaginait chaque jour. Je pense parfois à Cervantes et Don Quichotte ou, plus encore, au Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand qui dit « Non merci ! Non merci ! Non merci ! » à un certain monde de l’art et du pouvoir pour préférer : « …chanter, rêver, rire, passer, être seul, être libre, avoir l’œil qui regarde bien… 2 » Ce jour-là dans un café de Montparnasse, Lad Kijno, avec sa passion, sa culture vive, la mobilité de son esprit, sa générosité avait décidé, comme il le fit avec d’autres tel Robert Combas, de me faire un très beau cadeau : m’emporter au cœur de l’expérience de l’art et me permettre d’« avoir l’œil qui regarde bien ». « Oui ! Merci ! » Olivier Kaeppelin Directeur de la Fondation Maeght

1

Jack London, Ce que la vie signifie pour moi, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2015 [1906], p. 16. 2

Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, 1897, acte II, scène 8.

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L’Île de Paques / Olivier Kaeppelin 9 Voyages dans la « Kijnosphère » / Renaud Faroux 12 Et si créer... / Ladislas Kijno 19

La grande utopie Les galaxies de Kijno / Renaud Faroux 22 Rencontres avec Lad Kijno / Jean-Pierre Mohen 28 Lettre de Bernard Dorival à Ladislas Kijno 31 L’art est initiatique / entretien avec Gilles Plazy 32

Nord / Sud

40 Renaud Faroux / Jean Grenier / Arnauld Brejon de Lavergnée

Sommaire

Antibes : galets et figuiers

56

Raoul-Jean Moulin / Jean Grenier

Spéléologies mentales

68

Henri Cachin / Ladislas Kijno

Écritures blanches

78

Ladislas Kijno

Guerre et jazz

86 Jean-Jacques Levêque / Gérard Xuriguera

Signes premiers

94 René de Solier / Dominique Widemann

Froissages 104 Gilbert Lascaux / Gérard Farasse / Gilles Plazy Vaporisation

120 Ladislas Kijno / Lucien Curzi

Balises

128

Sylvie Acheré

Révolutions dans la révolution

146

Hélène Parmelin

Les Bouddhas de Vascœuil

152

Gilles Plazy

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Retour de Chine 156 Ladislas Kijno / Jean Grenier / Gilbert Érouart Tahiti : Le rêve de Gauguin

168

Ladislas Kijno

Carnet de l’île de Pâques Carnet de l’Indonésie

170

174

Chemin de croix

180 Numa Hambursin / Robert Combas / Michel Onfray

Kijno et la poèsie Kijno et les poètes / Bernard Vasseur 186 Kijno, voleur de lumière / Lucien Wasselin 191

Jean Grenier — Nikos Kazantzákis — Ovide Louis Aragon — Francis Ponge — Le Théâtre de Neruda Vladimir Maïakovski — Antonin Artaud — Tristan Tzara Salah Stétié — Arthur Rimbaud 196 Carnets de dessins : auteurs et musiciens 226 Biographie 234 Kijno, flibustier cosmique / Gilles Plazy 246 Repères bibliographiques 250 Remerciements 252

p. 2 – 3 : Kijno au travail | mars 1988 photo : Alkis Voliotis p. 4 – 5 : Atelier Kijno à Saint-Germain-en-Laye photo : Alkis Voliotis p. 6 – 7 : Kijnosphère 2000, Le Monde, le tiers-monde et le quart-monde et ses métamorphoses sous le soleil du cavalier de la paix et de la poésie 1999 | dessin crayon marqueur sur papier 150 x 100 cm | collection Annabel-Lee Faroux

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Voyages dans la « Kijnosphère » La peinture a vite fait de retourner à la fadeur si elle ne repasse de temps en temps par son âge de pierre.

Voyages dans la « Kijnosphère » 12

Jean Paulhan

Ladislas Kijno (1921 – 2012) est un ouvreur de portes qui stimule la curiosité et le désir de partir en quête de nouvelles aventures. Inspiré par ses rencontres humaines, par ses trouvailles formelles et picturales, il trace dans sa carrière artistique des itinéraires imprévisibles et surprenants. L’exposition présentée à Saint-Germain-en-Laye se veut une lecture complète à travers ses œuvres et ses pensées, un jeu permanent de renvois entre peinture et histoire. Elle se développe sur quatre satellites : à l’espace Paul-et-AndréVera, à la médiathèque et à la salle de spectacle de La Clef en complément du parcours au Manège royal où l’artiste fit son magistral accrochage à son « Retour de Chine » en 1985.

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Ladislas Kijno | Autoportrait | projection sur visage d’une diapositive peinte, grattée, perforée 1965 | Centre Noroit Arras

Sa peinture incarne une véritable invitation au voyage et à la découverte. Elle relate sa vie passée à rechercher, à connaître, à bourlinguer, une existence faite de confrontations déterminantes avec des personnages réels ou avec des livres dont les protagonistes ont peuplé son imagination. Kijno a eu la possibilité et la chance de côtoyer des êtres extraordinaires et en particulier des artistes avec qui il a fait un bout de ce que Kipling appelait « la grande route ». Même s’ils n’allaient pas tous dans la même direction, chaque rencontre, sur cette route-là, a été un rendez-vous important. Autant de fils ténus, en apparence invisibles, sans corrélations, mais qui l’ont conduit à mêler souverainement formes et couleurs. L’idée de poursuivre une quête, un parcours, la possibilité de trouver d’autres clés de lecture, une autre vérité, ont toujours poussé Kijno, atteint par le virus de la curiosité, à se documenter auprès de sources différentes. Toujours au plus près, aller voir ce qui se passe sur le terrain ! Ses amitiés, ses passions, ses engagements il a su les transformer, les matérialiser, les transcrire dans des aphorismes percutants et des œuvres qui nous incitent toujours à la contemplation et la réflexion. Ladislas Kijno | Portrait de Robert Louis Stevenson carnet d’Océanie | 1994 | feutre sur papier 10 x 15 cm | collection Malou Kijno

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Balises pour Kijno Afin d’approfondir la connaissance de l’œuvre du peintre, à l’Espace Vera sont présentées les différentes séries que l’artiste a produites autour d’œuvres des auteurs qu’il aimait : Rimbaud, Claudel, Valery, Maïakovski, Aragon, Arthaud, Michaux, Ponge, Neruda, Salah Stétié jusqu’à Bernard Noël et François – Xavier… Une section particulière est consacrée à son travail autour de Jean Grenier avec pour la première fois la présentation de sa série de papiers froissés sur Les Îles, la nouvelle philosophique de son maître qui a eu sur une génération le même retentissement que Les nourritures terrestres en leur temps. La médiathèque met l’accent sur ses estampes et ses affiches et sur une sélection de livres qui l’ont inspiré. Enfin, à La Clef, différents instruments de musique qu’il a customisés sont réunis. En même temps y a lieu l’événement « Balises pour Kijno » où des artistes du collectif du 9e Concept rendent hommage à celui qu’ils appellent « le père spirituel du Street Art en France » en prenant pour prétexte à leurs créations son travail historique sur Angela Davis.

Un concert d’hommage par Robert Combas est aussi programmé ! Pour parfaire cette précieuse plongée dans les productions de Kijno, sa dernière toile est présentée au public à l’Espace Vera. Ce triptyque émouvant met en scène Arthur Rimbaud, « L’homme aux semelles de vent », portraituré à 17 ans, les cheveux en bataille, puis grimé en bédouin lors de son séjour à Harrar et enfin mourant amputé à la Vieille Charité de Marseille. Dans cette œuvre ultime qu’il a réalisée à près de 90 ans, pleine de fougue et de jeunesse comme c’est le cas souvent des dernières toiles de grands maîtres, de Titien à Picasso, Kijno se recentre et se concentre sur l’essentiel. Cette pièce testamentaire est une sorte d’autoportrait qui signe de façon indéfectible sa croyance dans une humanité généreuse et un art salvateur. Dans ce tableau suprême, Kijno manifeste le triomphe foudroyant de la vie sur la mort, et comme pour une nouvelle réponse victorieuse d’Œdipe sur le Sphinx, il exalte ici, en plus du poète et du rebelle, l’homme tout simplement. Renaud Faroux Commissaire de l’exposition

Ladislas Kijno | La femme qui marche (Hommage à Angela Davis) | 1975 acrylique et glycero-spray | 204 x 73 cm | collection Malou Kijno

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Et si créer... Et si la peinture était une fonction organique, sexuelle, corticale, à laquelle je ne puis échapper, une nourriture aussi indispensable que le pain que je mange, le vin et l’eau que je bois, l’air que je respire, le soleil qui me chauffe, l’ombre qui me protège, la terre où je marche. Et si Malraux n’avait pas eu tout à fait raison en disant que l’art était un supplément d’âme. Et si l’art était l’âme elle-même.

Détail d’un mur dans l’atelier Kijno à Saint-Germain-en-Laye

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photo : Uli Meisenheimer

Et si, dans notre société où la volonté de puissance et les forces de destruction nous mènent à notre perte, créer était notre seule chance de survie. Et si, pour moi, aujourd’hui, créer c’était créer comme le faisaient les hommes de Lascaux. Par une sorte de magie, de démiurgie à laquelle je suis incapable de me soustraire, médium entre l’infiniment petit des choses qui m’entourent et l’infiniment grand de cet espace-mystère dans lequel il faut que je les replace. Et si, créer, c’était ne pas se contenter de la création qui nous a créés, et d’en proposer une autre. Si, créer, c’était de ne pas devenir adulte, rester désespérément un enfant, si c’était transformer les lettres, en couleurs, comme Rimbaud. Provoquer le fantastique, sous le soleil de René de Solier. Et si c’était un accouchement avec douleur, sans possibilité de jamais mettre au monde. Si, créer, c’était métisser, si c’était, toujours avec Rimbaud, un long dérèglement de tous les sens. Si c’était passer à la vitesse de la lumière, si c’était une dernière secousse du big-bang, si c’était la matière interstellaire qui, d’un seul coup, prenait conscience de sa réalité. Si créer, c’était devenir vide avec le vide, si c’était, au travers des trous noirs, passer de l’autre côté de la paroi. Si c’était l’antimatière. Si c’était enlever son scaphandre, sa cuirasse, et se présenter nu, sans aucune protection, face aux radiations cosmiques. Si c’était, avec Pablo, faire tout du rien. Si c’était, ainsi que Teilhard de Chardin l’avait imaginé, la naissance de l’esprit, à partir d’un certain degré de complexité de la matière. Si c’était le point oméga ou, de façon plus intime, ce fameux point G qui nous excite tant. Si c’était le chant du cygne avec toute l’ambiguïté lacanienne. Si c’était l’instinct de métamorphose, de transsubstantiation. Et si créer était un défi à Dieu, un défi du « dieu inconnu » de l’Agora au Dieu connu de Paul, comme l’a peut-être tenté Fra Angelico dans les cellules de San Marco, Van Gogh aux grands soleils d’Arles. Si c’était la face cachée du diable, que nous essayerions de faire disparaître, de gommer, de gratter, d’arracher. Et si créer, c’était quelque chose de très très dangereux, un métier qui tue où, d’une façon ou d’une autre, il faut y laisser sa peau. Et si moi, Kijno, je créais comme poussent les champignons, avec un certain degré de chaleur et d’humidité. Si c’était une manipulation subtile, comme celle des illusionnistes aux doigts d’or; et si, tout à fait à l’opposé, il s’agissait d’un acte métaphysique, d’un « miracle », comme le laissait pressentir Jankélévitch, miracle, instantané, soudain, pas de processus, pas d’étapes. Abstraction, figuration, faux problèmes et si, créer, c’était une forme d’autobiographie, d’autopsychanalyse, une quête d’identité. Ladislas Kijno in Rémanences, 2 août 1994

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Les galaxies de Kijno Prenez ces livres de mon âme, ouvrez-les partout, n’importe où, Brisez-les pour mieux en comprendre Et le parfum et le secret Coupez d’un doigt brutal les pages Froissez-les et déchirez-les …

Les galaxies de Kijno 22

Louis Aragon

Pour mieux appréhender l’œuvre de Ladislas Kijno, à qui les premières expérimentations sur papiers froissés, dans les années 1940, ont apporté une reconnaissance internationale, il est bon de se laisser envahir par sa peinture en quelque sorte in-situ en s’imprégnant de l’atmosphère véritablement spirituelle de l’endroit qu’il avait choisi pour vivre son destin d’homme et d’artiste. Dans sa maison-atelier de Saint-Germain-en-Laye, sans y être, il y est, toujours là, omniprésent. Malou, sa merveilleuse compagne vous accueille en évoquant avec une passion toujours intacte quelques jolis souvenirs de la vie de l’artiste. Ce lieu, reflet de leurs choix partagés, dégage une harmonie magique, un charme envoûtant, un calme paradoxal, contrepoint souriant à la fougue démesurée de l’artiste. Dès le vestibule quelques pièces de leur collection s’offrent aux regards, présentées à la manière d’un cabinet d’amateur : ici, une plaque de bronze de Germaine Richier rappelle l’amitié et le travail avec la sculptrice à l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy en Haute-Savoie où Kijno a peint La Cène de la crypte ; là, une petite gouache de Sonia Delaunay, un combat de coqs d’Édouard Pignon, des griffures d’Hans Hartung, des aciers d’Albert Féraud, une compression de César, des fétiches et des pièces archéologiques de tous les coins du monde, un couple ubuesque et coloré de son frère d’élection, Robert Combas. Les deux compères, comme Jésus et Jean-Baptiste en foire, ont peint à quatre mains l’histoire du Christ, de sa condamnation à sa mise au tombeau. Pour ce grandiose Chemin de croix, Kijno retranscrit le cosmos que Combas complète de ses écritures. Les quatorze stations attestent, une fois encore, du réel sens du sacré de Lad mais sont aussi la marque de son engagement pour témoigner de la souffrance de tous les opprimés.

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Dans le salon, sous le regard hypnotique d’un grand Rambaramp, un de ces terrifiants mannequins funéraires océaniens, l’émerveillement continue devant une toile monumentale du maître, Les premiers pas de l’homme : les fameuses formes ovoïdes monolithiques, caractéristiques de son art, reçoivent comme un halo lumineux grâce à une belle traînée blanche à l’aérosol simulant la troisième dimension. Les masses sont ici écrasées, foulées comme du raisin par des empreintes de pieds nus colorées. Le vert alchimique qui irradie de cette toile sur le mur du salon plonge le spectateur dans une sorte d’état second et on croit réentendre la voix de Kijno : « Pourquoi la marque de pieds ? Parce que ce tableau-là a été fait au sol. Je marche sur ma toile et ce sont mes pieds qui servent d’impressions et de moulages. Ici les éclaboussures ne viennent pas d’une quelconque influence de Jackson Pollock, mais sont les réminiscences du film de Tarkovski Andreï Roublev dans lequel l’Empereur commande un tableau qui n’est pas terminé quand il arrive à l’atelier. Le moine-artiste prend alors de la peinture noire et balance la couleur sur le mur. Moi, dans ma gestuelle artistique, je continue de montrer mon admiration pour Andreï Roublev, je ne fais pas du « dripping » ! J’aime la monumentalité,les grands formats. La rosace de la Cathédrale Notre-Dame- de-la-Treille dans le Vieux-Lille réalisée avec l’architecte Carlier et l’ingénieur Peter Rice sur le thème de la Résurrection m’a permis d’exprimer cette vision d’un art total. Comme avec Le Théâtre de Neruda que j’ai exposé à la biennale de Venise de 1980 où on pénétrait dans le labyrinthe de ma grande utopie. Ma mise en scène avait envahi complètement le pavillon français : trente toiles gigantesques semblaient jaillir du plafond. » Aujourd’hui, c’est sous les lumières du Grand Palais de Lille qu’éclate cette frappante installation où se dessine le Chant général du grand poète chilien, avec son engagement civil, sa lutte contre toutes sortes d’abus de pouvoir. Peinture, sculpture et poésie sont là en étroite osmose. Homme de gauche, ami des poètes et des patriotes, Kijno a conservé toute sa vie la vigueur étonnante de sa gouaille légendaire. Il avait, pour citer Maïakovski, les « yeux comme le portail ouvert d’une cathédrale » ! Avec son beau visage, son sourire majestueux, ses lèvres fines et son nez placé haut, son allure était celle d’un bouddha serein et malicieux comme ceux qu’il a peints

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Rencontres avec Lad Kijno

Rencontres avec Lad Kijno 28

Jean-Pierre Mohen témoigne d’un certain nombre de rencontres avec Kijno et des réflexions qu’ils ont été amenés à conduire ensemble. Ainsi, il se souvient qu’en 1996, ils ont visité ensemble la grotte originale de Lascaux : « En quittant le sanctuaire préhistorique, intact depuis 18 000 ans, la porte du sas refermée, nous nous sommes assis sur deux bornes pour faire le point sur quelques interrogations : Comment exprimer cette forte impression de grandeur monumentale avec des mots ? Comment comprendre une évidente complexité de styles et une unité de conception si simple et déroutante ? Et encore y a-t-il une enfance de l’art ? Comment se situe l’art contemporain par rapport à ce chef-d’œuvre ? En quoi, ces messages de chasseurs concernent-ils les citadins que nous sommes ? Quels types de génies initiés de quels savoirs ont exécuté ces peintures et ces gravures ? Quelles fonctions avaient ces images et ces signes fabriqués, à la lueur de lumières vacillantes de torches ou de lampes à huile en pierre ? Ce n’est pas Lascaux que nous voulions réinventer mais chercher quelles sortes d’intentions pouvaient rapprocher les hommes de Lascaux et Kijno peintre témoin du XXe siècle si ému de cette rencontre. Ladislas Kijno | Mécanique mentale | 1979 acrylique et glycéro-spray sur toile froissée marouflée sur toile écrue | 157 x 205 cm collection Malou Kijno

Quelques idées simples et significatives sont apparues : — La recherche du support non lisse, vivant d’ombres et de lumières, « froissé », provocateur d’imagination, enduit de couleur ou entamé par la gravure, se présente d’emblée comme le miroir matériel d’une activité visuelle et cérébrale que la main amènera jusqu’à la phase d’existence. — Cette phase d’existence est sans doute un concept de chasseur, ancré en nous. L’existence naît de l’empreinte de l’animal ou de la main colorée appliquée sur la paroi, appelant la présence de cet animal ou de l’homme seulement évoqué. La présence de vie ajoute une dimension ontologique à l’espace mis en scène. On vérifie cette dynamique dans les nombreux hommages de Lad Kijno qui exorcise ainsi l’oubli de personnages majeurs ou qui rend hommage aux « premiers pas de l’homme ». — Le discours sur la vie, omniprésente dans les figures animalières ou humaines seulement évoquées de Lascaux ou de Kijno, repose donc sur un principe que l’empreinte réelle ou dessinée, réduite à un signe figuratif ou abstrait évoque à la fois le visible et l’invisible. Le visuel plastique devient le langage d’une métaphysique, d’une mythologie peut-être à Lascaux comme André Leroi-Gourhan le pensait, d’icônes et de liturgies chez Kijno. La rencontre de Lascaux mettait en valeur non une influence des peintres de Lascaux sur Kijno car il n’y a aucun lien culturel direct entre eux et l’époque contemporaine mais révélait bien une attitude religieuse et plastique face aux formes de la vie. Cette attitude s’est manifestée de manière généreuse comme une passion pour l’Homme, telle que Lad Kijno l’a toujours vécue intensément dans sa correspondance avec Paul Claudel, comme dans son amitié avec Nikos Kazantzákis, René de Solier ou Angela Davis. Un autre choc devait aussi nous rapprocher, celui de l’île de Pâques… à propos de laquelle Kijno écrit dans son journal en 1989 « Si j’étais conséquent avec moi-même, je ne devrais plus quitter cette île ». Cette attraction s’explique par l’approche des «portes des secrets ». Quelques années plus tôt, j’étais allé pour étudier les Moai, ces grandes têtes tournées vers les tribus qu’elles protégeaient, avant d’avoir été abattues vers le XVIIe siècle et j’avais été soumis au même

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Autoportrait

1954 | huile sur toile collection Malou Kijno

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92 x 73 cm

Nord / Sud 44

Quatuor

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1947 | huile sur toile | 32 x 50 cm collection Malou Kijno


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Les violoncelles

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1948

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huile et fusain sur papier collĂŠ sur bois

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59 x 46 cm

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collection Malou Kijno


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Étude de figuiers

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1956

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huile sur carton marouflĂŠ sur toile

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80,5 x 53,5 cm

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collection Malou Kijno

Antibes : galets et figuiers


De 1956 à 1958 le séjour à Antibes, pour la proximité du milieu artistique et intellectuel particulier de la région, rompt avec l’isolement du peintre. Il rencontre fréquemment Atlan, Magnelli, et presque quotidiennement Kazantzaki, qui l’aide à se ressaisir spirituellement. Parmi d’autres connaissances, il retrouve des amis fidèles et, toujours attentifs et vigilants, Germaine Richier et René de Solier. La première lui conseille, pour mieux assurer sa construction picturale, de dessiner chaque jour son autoportrait ou sa main – son « automain » – dira-t-il- et le plus rapidement possible, règle qui perdurera et qui sera relayée plus tard par les nombreux et impulsifs dessins tracés alors qu’il téléphone. Tandis qu’avec le second il se passionne pour un essai de classification typologique des galets. Il se lie également avec un vieux sage épris de l’Antiquité et d’archéologie, Romuald Dor de la Souchère, le conservateur du château Grimaldi. Kijno y exposera en 1957. Raoul-Jean Moulin, critique d’art in Kijno, Cercle d’Art, Paris, 1994

Finalement, les figuiers et les galets, ce qui se dessine sur le ciel, ce qui se dessine sur le fond de la mer, présentent des analogies comme on découvre dans les familles des nombres et des figures qu’étudient les mathématiciens. Cette recherche passionnante a amené un esprit avide comme celui de Kijno à descendre jusqu’à ce que Cézanne appelait « les assises du monde » ... Jean Grenier, philosophe et écrivain in L’Œil, octobre 1958

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Série des Écritures blanches | 1962 | huile sur toile 100 x 81 cm | collection Malou Kijno

Série des Écritures blanches | 1962 | huile et glycéro-spray sur toile 92 x 73 cm | collection Malou Kijno

Spéléologies mentales 72

Série des Flèches | 1959 | huile sur toile marouflée sur toile 100 x 80 cm | collection Malou Kijno

Signes | 1959 | huile sur toile 73 x 60 cm | collection Malou Kijno


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Jam Session

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1961

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huile sur toile marouflĂŠe sur toile

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198 x 157 cm

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collection Malou Kijno


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Série des Flèches

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1966

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huile et glycéro-spray sur toile marouflée sur toile

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130 x 97 cm

Signes premiers

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collection Malou Kijno


« En guerre continuelle pour les belles couleurs » (Paul Gauguin) Nous devons nous garder de tout optimisme, béat ou idéaliste. La peinture n’est pas forcément le monde le meilleur. Être d’inquiétude, l’artiste poursuit et s’interroge. Il y a, dans l’art de Kijno, depuis l’avènement des signes-formes, une longue réflexion sur les outils (moyens, instruments), et la certitude – mais elle ne peut être signifiée par d’autres moyens d’un « arrêt » dans l’histoire. La leçon que l’on peut tirer de l’aventure cubiste, abstraite, est nette, le recul qui intervient, la distance prise mettent en évidence l’impossibilité de réaliser l’intention « cartésienne » (il y a une certaine vue courte dans la peinture méthodique) de fonder un savoir absolu sur un retour à des « données » absolument données. René de Solier, historien et critique d’art in Kijno, Le Musée de Poche, Paris, 1972

L’icône semble toujours proche de la rétine du peintre qui en retient la puissance et de la peau de sa main voudrait en dérober la lumière. Les toiles de Kijno ont la sensibilité d’une pellicule photographique. Non pas une représentation du monde mais ce que l’on pourrait y lire, visible et invisible si un « miracle » de la perception nous rendait voyant, au sens de Rimbaud. Mais toute vision, fût-elle magique, ne peut-être que fugace. Alors Kijno explore, comme un musicien de jazz ou un scientifique, sans présumer ce qu’il va trouver mais avec l’assurance que la maîtrise des moyens est une condition indispensable pour terrasser le hasard. À la vitesse de la lumière pour faire la nique au temps. Dominique Widemann, journaliste « Les voyelles de Kijno » in L’Humanité, 2000

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Signes premiers 96 Kijno_pages1-99.indd 96

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Variation sur un thème

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1963 | huile et glycéro-spray sur papier froissé marouflé sur toile 153 x 193 cm | collection Malou Kijno


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Cléôpatre (portrait de la peintre hongroise Agathe Vaïto, épouse de Pierre Loeb) | 1956 huile, encres, frottis à la gouache et au vinyle sur papier kraft froissé | 128 x 100 cm | collection Malou Kijno

Froissages


« Toujours soucieux de faire coexister les contraires, Kijno fait se rencontrer (parfois dans la même œuvre, souvent dans des œuvres contemporaines) le lisse des globes et la toile ou le papier froissé. Lui-même voit dans sa présence du lisse et du froissé des allusions au corps humain. Selon lui, l’enfant d’homme naît froissé, fripé. Puis il se défroisse en courbes pleines et lisses. Il se refroisse en sa vieillesse. Si le papier et la toile sont ainsi des métaphores de la peau humaine, ils indiquent par là-même que la peinture a une peau et qu’entre cette peau et celle du peintre il existe, en quelque sorte, des rapports amoureux. » Gilbert Lascaux, romancier, essayiste, critique d’art, in Cimaise, 1989

La technique du papier froissé donne à la surface de l’œuvre l’aspect vivant d’une peau. La complication enchevêtrée de ses nervures et de ses plis appelle la main à venir la toucher, à suivre de la pulpe du doigt la cartographie accidentée de ses légers reliefs et de ses dépressions. Les froissures, qui n’épargnent pas les figures sous lesquelles elles transparaissent, dessinent, dans le tourbillon imprévisible des aléas, l’image pulvérulente et insaisissable du monde, son fond ou son substrat monotone [ ... ] Le peintre, impatient de la distance que le pinceau maintient entre lui et son œuvre, l’abandonne pour mettre à celle-ci la dernière main. À la touche, toujours trop savante, il préfère le toucher. La peinture est affaire de tact. Elle relève d’une science, l’haptologie, qui est encore à inventer. Friction, frottement, froissement, caresse, effleurement, le peintre explore toutes les modalités du contact, la façon dont le monde que nous touchons vient nous toucher. Pas d’intervalle entre lui et nous, qui y sommes logés, comme le pêne dans sa gâche. Le titre générique que Kijno donne aux œuvres où cette opération intervient – papier froissé – ne désigne pas un contenu mais une technique. Son propos n’est plus d’évoquer tel ou tel thème mais d’attirer notre attention sur une action, celle qu’accomplit la main froissant et défroissant, annulant l’image et la ressuscitant. Entre ces deux gestes, cette dernière a changé : elle s’est involuée pour retourner à son imperfection. Cette opération, qui parachève en effet le travail, ne consiste pas à la parfaire mais à la défaire, à lui ôter son poli en lui restituant ses aspérités. Tout se passe comme si un écrivain, parvenu à un texte qu’il jugerait définitif, préférait en publier une version antérieure, encore à l’état instable de brouillon. Seul le froissement donne à l’image, autrement fantôme ou phantasme, son frémissement. Elle ne s’incarne vraiment qu’alors, dans ce moment qui révèle son impureté. Gérard Farasse, professeur des universités et écrivain in catalogue pour la rétrospective Kijno au palais des Beaux-Arts de Lille, 2000

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Froissages 116 Kijno_pages100-256.indd 116

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Hommage à Matisse

1977 | acrylique, encre et glycero-spray sur toile froissée 152 x 322 cm | collection particulière

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OAS Assassin

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1er état | 1961 | huile et glycéro-spray sur toile marouflée sur toile 81 x 100 cm | collection Malou Kijno

Vaporisation


« C’était la guerre d’Algérie. C’est en couvrant les murs d’inscriptions que j’ai réalisé ce que je pouvais tirer de la bombe à peinture. D’abord, j’ai conjugué la vaporisation au dripping. Je l’utilisais seulement en milieu humide : par exemple, pour altérer le blanc par le noir, obtenir un dégradé impersonnel, retrouver l’action d’un phénomène naturel. C’est en dirigeant, en orientant de plus en plus ma vaporisation, qu’elle devait à partir de 1963 se substituer peu à peu au geste pour n’en révéler que l’impact, le signe de sa résonance sur la toile. Aujourd’hui, j’utilise toujours de larges brosses, mais la vaporisation contrôlée par le déplacement des caches détermine seule l’espace où je travaille, comme la morphologie sphéroïdale de mon vocabulaire. » Ladislas Kijno Propos recueillis par Raoul-Jean Moulin, 1975

Le monde sphéroïde de Kijno « Sans doute la peinture est pour Kijno un moyen de communiquer avec les autres hommes. Mais aussi, ajoute-t-il une manière d’agir avec les hommes. Ce besoin qu’il a, par exemple, d’exprimer par le langage des formes la gamme variée des passions, il ne le fait pas au niveau des apparences, c’est-à-dire à l’aide d’une écriture empruntée aux sentiments. Tout évènement le concerne et il se plait à vivre la mêlée quotidienne de la communauté du travail. La peinture, que serait-elle d’ailleurs pour lui si elle était destinée à ne suivre que de loin le cours des choses, à dire et à redire ce qui paraît d’ores et déjà évident à tous. » Lucien Curzi « Le monde sphéroïde de Kijno » in L’Humanité, 1971

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Hommage à Mermoz

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1962 | huile et glycéro-spray sur contreplaqué marouflé sur toile 152,5 x 223,5 cm | collection Malou Kijno


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Barricade

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1963

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huile et glycéro-spray sur carton

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40 x 40 cm

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collection Malou Kijno

Révolutions dans la révolution


Kijno dans sa bienheureuse folie... « [...] En regardant des toiles de Kijno, quelqu’un disait récemment : “Pourquoi souffre-t-il si fort de ce qui se passe partout à propos du sempiternel art moderne d’époque et d’environnement, puisque lui, moderne, il l’est naturellement ?” C’est la raison pour laquelle, entre autres, je suis entrée en Kijno par la porte béante des peintures générales. Souffrir, Kijno ? Étrange d’approcher, par le biais de la souffrance, l’âme d’un homme dont la vitalité explose, tonne, diffuse, se répand, s’exprime, enchante, accable, illumine les assemblées, excite et effondre les tempéraments les plus solides, draine le bonheur de vivre et la plaisanterie jusqu’au gavage, vient à bout des plus revêches, comme des plus infatigables, balaye les morosités et met sur les genoux les esprits les plus invincibles dans l’art de la répercussion. La Pologne et le Pas-de-Calais, la musique et la mine ont fabriqué ensemble le mélange à peintre le plus explosif et le plus généreusement tonitruant de l’univers. Kijno vit en éruption et secoue les populations de son voisinage. Pourtant, et sans le moindre romantisme, sa souffrance toujours en blessure semble le secret de ses ébullitions extérieures, comme de ses extrêmes gravités. En entrant dans cette peinture, dont l’être, par sa force statique, par sa présence, par son mystère semble contredire le comportement de l’homme qui la sécrète, on mesure l’importance de la liaison de Kijno avec son monde et le monde. Toujours indigné, toujours concerné, toujours en protestation, en fureur et en indignation. Toujours en souffrance pour la peinture et les peintres, ses frères. Son combat amer, passionné, ininterrompu avec le monde habite son atelier et marque sa peinture, noire et multicolore, douce et dure, en perpétuel affrontement. Une peinture maîtrisée, architecturée, une peinture à la peau lisse comme celle des galets de la mer, que Kijno aime habiller de couleur. Une peinture du froid et du chaud, où colère permanente et médiation crayon en main s’épousent dans des convulsions de papier froissé. » Héléne Parmelin, écrivain préface in catalogue d’exposition Kijno au Centre Noroit, Arras, 1983

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Bouddha Tag

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2001 – 2003 | acrylique et glycéro-spray sur papier froissé marouflé sur toile 146 x 114 cm | collection Malou Kijno

Retour de Chine


« Trois ans de Chine : Trois Chines. Lorsque Kijno est entré en Chine, il a changé de peau. Depuis il se sent mieux, sa peau qui a fait son chemin dans la peinture, dans la vie, dans la pensée. Dans la gnose, comme il dit. Contrairement à ce qu’il affirmait, Pascal c’est souvent loin de sa chambre qu’il faut aller le chercher, c’est souvent loin de soi-même qu’on se trouve. Car cette vérité profonde qui en chacun de nous, tant de chose la trouble, la trompe, l’étouffe, qu’il faut aller vers un soleil qui brille les paupières, vers le vent qui lave l’esprit. Le vrai temps est un autre temps. L’espace vrai est un autre espace. Cela qu’il avait bien-sûr, déjà en lui-même, Kijno l’a trouvé en Chine. Il s’est mis en face de bouddha et avec la franchise que nous lui connaissons lui a dit : “Toi, là-bas, qui semble dormir, dis-moi ce que tu as dans le ventre”. Oui c’est cela qui a été donné à Kijno, c’est cela peut-être le don que bouddha lui fit : le pouvoir de nous montrer ce qu’il y a dans le ventre de ce bouddha, dans notre ventre, dans le ventre de l’univers. Le peintre ne saurait être qu’un sourcier, un révélateur. Le peintre est un magicien, non pas un malin qui séduit mais un être capable de se faire lien entre l’homme et le monde, d’ouvrir aux hommes les portes de ce monde qui n’est pas un autre monde, qui est le monde profond, le monde vrai, monde infini dans lequel tous les êtres de l’atome à la galaxie, vivent d’un même souffle. » Ladislas Kijno Propos recueillis par Gilles Plazy dans l’atelier de Kijno, 1987

« On vous demande pourquoi vous voyagez. Le voyage peut être, pour les esprits qui manquent d’une force toujours intacte, le stimulant nécessaire pour réveiller des sentiments qui dans la vie quotidienne sommeillaient. On voyage alors pour recueillir en un mois, en un an, une douzaine de sensations rares, j’entends celles qui peuvent susciter en vous ce chant intérieur faute duquel rien de ce qu’on ressent ne vaut. » Jean Grenier in Les Îles, Collection L’imaginaire, Éditions Gallimard, 1959

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Manuscrit à papiers froissés, Les Îles de Jean Grenier | première et dernière page (environ 120 pièces) 1959 – 1960 | 20 x 15 cm | collection Alain Grenier

Jean Grenier / Les Îles


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Le Théâtre de Neruda Kijno_pages100-256.indd 202

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Maquette du Théâtre de Neruda feutres, aquarelle, acrylique, encres | 20 x 50 cm

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collection Malou Kijno

Luigi Lambertini, critique d’art « Une vague jusqu’aux assises du monde » in Corriere della sera, 1980

1979

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Le Théâtre de Neruda

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1979 – 1980

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pavillon français, Biennale de Venise, 1980

« Venise 1980 – Kijno présente à la Biennale le Théâtre de Neruda. C’est une mise en scène qui envahit complètement le pavillon français. Trente toiles monumentales jaillissent du plafond nous frappant et nous fascinant dans un impressionnant labyrinthe. Le Chant général du grand poète chilien, avec son engagement civil, sa lutte contre toute sorte de prévarication et d’abus de pouvoir, est devenu peinture et sculpture mises en osmose. Dans son immobilité chaque image vibre par une sonorité intérieure, par une force explosive. Voire tectonique. Kijno est une vague qui nous a toujours apporté les algues des mémoires du passé et du présent. C’est une vague qui part au loin et revient. Ou, plutôt, c’est un drapeau qui gifle l’air au nom de la vie et de la liberté. »

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Le Théâtre de Neruda | installation à Lille, Grand Palais | série de trente stèles | 1979 – 1980 acrylique, encres et glycero-spray sur toiles, froissées | chacune 600 x170 cm environ | collection Ville de Lille

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Biographie Kijno_pages100-256.indd 234

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Ladislas Kijno (Varsovie 1921 – Saint-Germain-en-Laye 2012)

1921 Ladislas Kijno est né à Varsovie en 1921. Sa mère est française (née à Barlin près de Béthune) et son père est polonais. Le père de Kijno, violoniste au conservatoire de Varsovie, est arrêté pendant l’insurrection de 1905. Déporté en Sibérie, il s’évade.

Double page précédente et page gauche : vues d’atelier de Kijno à Sant-Germain-en-Laye | photo : Alkis Voliotis

1925 Après une longue émigration qui passe par le Canada, il s’installe définitivement en 1925 à Nœux-les-Mines dans le Nord de la France.

1946 Dans sa peinture, il aborde ses premières recherches sur le froissage, sur les interférences entre le lisse et le froissé. « L’enfant, dit-il, naît froissé, l’adolescent devient lisse, le vieil homme meurt froissé ». Cette expérience le fera connaître internationalement. Il achève sa licence de philosophie, fréquente le Centre Noroit créé à Arras par Léonce Petitot où il rencontre Bernard Dorival et Gabriel Marcel. 1947 Visite de l’atelier de Germaine Richier, par l’intermédiaire de l’une de ses élèves sculpteur, Claude Mary. Germaine Richier et René de Solier l’incitent peu à peu à se consacrer totalement à la peinture. René de Solier, Germaine Richier et Ladislas Kijno chez le Dr. Degeorges | Sancellemoz, Haute-Savoie devant une toile d’Atlan

1936 Dès son enfance, Kijno dessine et peint tout ce qui l’entoure. À l’âge de quinze ans, il est impressionné par une tête de mineur d’Édouard Pignon avec qui, il se liera d’amitié, trente ans plus tard. 1938 L’artiste poursuit des études littéraires et philosophiques à Arras et à Lille, à la faculté catholique dans la classe de l’abbé Vancourt qui lui fait connaître Jean Grenier, maître d’Albert Camus. 1942 Après une douloureuse crise mystique et métaphysique, Kijno tombe gravement malade et se verra dans l’obligation de faire de nombreux séjours en sanatorium, au plateau d’Assy en Haute-Savoie, jusqu’en 1954. Il y rencontrera l’écrivain Pierre Marois qui le fait pénétrer dans l’univers de Van Gogh, Cézanne et Bonnard. Ses médecins le docteur Tobé et le docteur Degeorges l’encouragent dans ses premières recherches picturales.

1949 Expose au Salon des Indépendants à Paris. À la demande du chanoine Devémy et du Père Couturier, Kijno réalise une Cène destinée à la crypte de l’église d’Assy. À partir de cette expérience, sa peinture va basculer dans le sens de la démiurgie, du sacré et de la résonance magique. Il compare son travail à Assy à une « île flottante dans ma vie (1949-1950). Assy a détruit pour moi le phénomène figural ». Kijno à Assy | 1958 | photo : Malou Kijno

1943 Première exposition à la clinique de Sancellemoz sur le thème des « jeux d’échec » où le rapport des lignes et des courbes s’impose à lui de façon structurée. Il débute une correspondance avec Paul Claudel et découvre Brocéliande d’Aragon et le Parti pris des choses de Francis Ponge. Kijno se pose alors le problème de l’illustration de ces textes sur lesquels il travaillera plus de vingt ans. 1945 Milite dans un groupe pacifiste proche des idées de Gandhi et de Lanza del Vasto.

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D’ o lyr rigi n i Ap que e p o en rès est lon d a u Me tière es é ne ise, fi m t int ttan en ude gur Lad i so erna t en t à l’ s de e att slas en n am tion avan art a phi acha Kijn l pa 198 pleu ale p t le u co osop nte o (19 0 r g n o r es tac hie et o 21 Éc la p . Ki lor ur – t r a j r s e et t de aupr igin 201 so itur oés no f de voi 2 a r i fo n en es b e, le açon sa p dév la vi Germ ès d le d ) po n t l g co t de age anch voy ne u rése elop esse ain e Je e l’É rte-d a a n m p m n e œ tat é l d’e e Ric n G cole rap œu me lui u en es, ge e a i e r B x o à l f sy le p n pa t au alis t l’e uvr n d tec écu hier enie de P au d p e , ’al m h a u n lur bo ère s sseu rès es – gag exp Th niq tion Son r, Ki ris d e l’a C j u é bs d i i e d liqu pi n é e r l a è e â h e g e, ritu hors ’Ang ocs men rime tre du est Del o dé s le trac sa re de fr au ,S ci el t. ti n ale bo el f Re n t r ule ran orm a Da pél Sa m tale Ne oiss conn nay de d nné on His naud e é ste sph ça e. P vis olo is aux rud age u s et e s es La torie Far gra n d ou à j ériq is du ar s com gie e en mu a à l . Ell ur l Han e co 195 x nd ’ am 0 a e s a n s e u art, c l o p u top om ais e si Stre n ut me s men lace tiple Bie pren scè Har sacr . ie mi tu sa ch et A ilis a d tal de s fo s fa nna dra ne ng er è Kij saire a r l e é c m e r m r t t . s c t no de arq e à . L ion ou , s ell ette de out l’e a o C v e V e s ue n xp e éz for de e d os . an me la v rte d trav es S insp nise itio ne i n , c ron apo e la ail a igne rée ett de ris Ch vec s pr e n ca ati in ou rac on, e ou Rob emi e e ve K t lle éris ijno de l rt Co rs, ’O po e s m mm on s’im céa ba tra po nie s, e … va se il :

grande utopie de Kijno

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ut gr op an i e de K de

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sous la direction de Renaud Faroux

978-2-7572-1223-3 35 €

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