LA CAVERNE DES TROIS-FRÈRES (extrait)

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Conformément aux usages de l’étude préhistorique, nous avons conservé les capitales aux noms communs qui identifient les différentes parties de la caverne.

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Élise Julienne Grosberg Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Sandra Pizzo (français), Natasha Edwards (anglais) Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 © Association Louis Bégouën, 2014 ISBN 978-2-7572-0644-7 Dépôt légal : mai 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)


La caverne des

Tr o i s - F r è r e s A N T H O LO G IE D ’ UN EXCEPTIONNEL SANCTUAIRE PRÉHISTORIQUE

Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors Avec la collaboration de Sébastien Lacombe, Jörg Hansen, Hubert Berke, Thijs van Kolfschoten, Martin Kehl, Anne Eastham, Hugues Plisson, François Bourges, Marie-Pascale Lescat, René David, Éric Bégouën, Marie-Brune Bégouën

Sous la direction de Robert Bégouën

ASSOCIATION LOUIS BÉGOUËN


Les auteurs

Éric Bégouën : Laboratoire de Préhistoire de Pujol, Montesquieu-Avantès, France Marie-Brune Bégouën : Laboratoire de Préhistoire de Pujol, Montesquieu-Avantès, France Robert Bégouën : conservateur des Cavernes du Volp, chercheur associé de l’UMR 5608 TRACES, Laboratoire de Préhistoire de Pujol, Montesquieu-Avantès, France Hubert Berke : archéozoologue, université de Cologne, Allemagne François Bourges : géologue, Géoconseil, Saint-Girons, France Jean Clottes : conservateur général honoraire du patrimoine René David : mouleur d’art, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco Anne Eastham : paléontologue spécialiste de l’avifaune, Fishguard, pays de Galles Valérie Feruglio : chercheuse, équipe d’ethnologie préhistorique, UMR 7041 ArScAn, Nanterre, France Jörg Hansen : géologue, Laboratoire de Préhistoire de Pujol et Saint-Lizier, France Martin Kehl : sédimentologue, université de Cologne, Allemagne Thijs van Kolfschoten : paléontologue spécialiste de la microfaune, faculté d’archéologie, université de Leyde, Pays-Bas Sébastien Lacombe : UMR 5608 TRACES, centre Cartailhac, Research Assistant Professor au département d’anthropologie de l’université de Binghamton, États-Unis Marie-Pascale Lescat : graphologue, expert en écritures près la cour d’appel de Toulouse, membre de la Compagnie nationale des experts en écritures et documents, France Andreas Pastoors : chercheur au Neanderthal Museum et à l’Institut de Préhistoire de l’université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg, Allemagne Hugues Plisson : tracéologue, CNRS, université de Bordeaux, UMR 5199 PACEA, France Une équipe pluridisciplinaire Levés topographiques : Jacques et Marguerite Bégouën : topographie des Trois-Frères (1920) Marcel Henry et Robert Bégouën : topographie des TroisFrères et du Tuc d’Audoubert (1968-1969) Jörg Hansen : compléments et mises à jour de la topographie des Cavernes du Volp, relevé détaillé des galeries des Trois-Frères avec report des traces anthropiques (2005) Conception et réalisation infographique des plans pour la publication : Andreas Pastoors Moulage des parois : René David, Laboratoire du Lazaret (Nice, 1988), avec la collaboration de Catherine Lanoux, Laboratoire de Préhistoire du musée de l’Homme (Paris), sous la direction de Robert Bégouën

Relevés d’art pariétal : Valérie Feruglio, sur moulages et remontages photographiques grandeur nature de Robert Bégouën Conception infographique des relevés, traitement et montage des images pour la publication : Valérie Feruglio Photographies : Sauf mention particulière, Robert Bégouën, avec l’assistance d’Andreas Pastoors et d’Éric Bégouën Fouilles archéologiques : Chapelle de la Lionne Max et Louis Bégouën (1920) Robert Bégouën et Andreas Pastoors (1989) Salle du Grand Éboulis Louis Bégouën (1925-1937) Robert Bégouën et Andreas Pastoors (1989) Couloir du Faisan Robert Bégouën, avec la collaboration de Jean-Pierre et Dominique Pfister et de Sabine de Barmon (1986) Salle du Foyer Robert Bégouën et Andreas Pastoors (Allemagne), avec la collaboration de Jean Clottes, Valérie Feruglio, François Faist, Sabine de Barmon, Marcia-Anne Dobres (États-Unis), Jean-Michel Leuvrey, Jean-Pierre et Dominique Pfister, Christina San Juan (Espagne) (1985-1990) Étude des matériels archéologiques : Robert Bégouën, Andreas Pastoors, Jean Clottes, Sébastien Lacombe Étude de la faune et de la microfaune : Françoise Delpech, CNRS, université de Bordeaux, UMR 5199 PACEA, France, Hubert Berke et Thijs van Kolfschoten Étude tracéologique des silex : Hugues Plisson Dessins de l’industrie lithique : Sylvain Ducasse, CNRS, université de Bordeaux, UMR 5199 PACEA, France Relevés d’art mobilier : Christian Servelle, conservateur du patrimoine, service régional de l’archéologie de Midi-Pyrénées, France Étude géologique et climatologique de la grotte : François Bourges Laboratoires de datation : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (dir. Martine Paterne), laboratoire mixte CEA-CBRS-UVSQ, Gif-sur-Yvette, France Poznan Radiocarbon Laboratory (dir. Tomasz Goslar), Adam Mickiewicz University Foundation, Poznan, Pologne Laboratoire de datation de Cologne (dir. Janet Rethemeyer), université de Cologne, Allemagne Laboratoire d’analyses des pigments, C2RMF, Paris, France


Remerciements

Nous voudrions remercier chaleureusement : Les organismes officiels Le ministère de la Culture et de la Communication, en particulier le service régional de l’archéologie de Midi-Pyrénées, en les personnes de M. Michel Vaginay, conservateur général du patrimoine, et de M. Pierre Chalard-Biberson, conservateur du patrimoine, qui ont soutenu avec une bienveillance constante ce programme de recherches et sa publication Le musée de l’Homme et le professeur Henry de Lumley, M. François Sémah, Mme Odile Romain, qui nous ont facilité l’accès à l’ancienne collection Bégouën, dont ils ont la garde L’équipe allemande Soutenue par le Neanderthal Museum, l’université de Cologne, la Deutsche Forschungsgemeinschaft, le Deutscher Akademischer Austauschdienst et le Forschungsbereich Altsteinzeit des Römisch-Germansichen Zentralmuseums Mayence : Gerd-Christian Weniger, Gerhard Bosinski, Thorsten Uthmeier, Kristin Heller, Jan Kegler, Silke Schamun, Karin Kindermann, Heiko Riemer, Ulrike Wohnhaas et plus particulièrement Ulrike Weyerke, Kathrin Wüst, Elaine Turner et Ursula Tegtmeier Les personnes qui nous ont aidés bénévolement Jeanne Bégouën (accueil à Pujol) Catherine Lanoux, du Laboratoire de Préhistoire du musée de l’Homme (moulage) Loïc Bégouën (assistance photographique) Maximilien Bégouën (assistance) Les fouilleurs de la Salle du Foyer : François Faist, Christina San Juan (Espagne), Jean-Pierre et Dominique Pfister, Sabine de Barmon, Marcia-Anne Dobres (États-Unis), Jean-Michel Leuvrey Les mécènes de la monographie La publication de cet ouvrage, tiré à trois mille exemplaires, a nécessité un important soutien financier d’amis mécènes que nous remercions tout particulièrement. C’est grâce à leur grande générosité, qui montre leur attachement aux actions de notre association pour la conservation et l’étude des Cavernes du Volp, que son prix public reste raisonnable. Son Altesse sérénissime le prince de Liechtenstein, château de Vaduz, Vaduz, Liechtenstein Mme Alice Corning, artiste, Mill Valley, États-Unis Mme Jean M. Auel, écrivain, et M. Ray Auel, Portland, États-Unis Le Stone Age Institute, Mme Cathy Schick et M. Nicolas Toth, codirecteurs, Bloomington, États-Unis La Société des amis de Saint-Lizier et du Couserans et son président M. Robert Seillé, Saint-Lizier, France



Sommaire

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Préface/Foreword Henry de Lumley

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Introduction/Introduction Robert Bégouën

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Historique Robert Bégouën

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La découverte de la caverne des Trois-Frères Les recherches de 1918 à 2011 La gestion et la conservation des Trois-Frères et d’Enlène

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Le Tuc d’Audoubert Enlène et les Trois-Frères Le milieu naturel et la conservation des vestiges François Bourges

Les fréquentations préhistoriques des Trois-Frères Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors, avec les contributions de Sébastien Lacombe, Éric Bégouën et Marie-Brune Bégouën

67 73 77 91 95

La grotte d’Enlène Le Couloir François Camel La Galerie des Mains La Salle du Théâtre La Galerie des Points

La Chapelle de la Lionne La Salle du Grand Éboulis Le Sanctuaire Le Couloir du Faisan La Salle des Gours La Galerie des Chouettes La Galerie de l’Hémione La circulation des Paléolithiques

162 La Salle du Foyer Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors, avec les contributions de Sébastien Lacombe, Hubert Berke, Martin Kehl, Thijs van Kolfschoten, Anne Eastham, Hugues Plisson et René David

Les Cavernes du Volp Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors, avec la collaboration de Jörg Hansen et la contribution de François Bourges

53 55 61

101 111 117 141 151 153 157 160

165 Une salle particulière 169 Archéologie et observations 189 L’art pariétal 220 Autres regards 223 Ce que révèlent les silex sur les fréquentations humaines Sébastien Lacombe

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Observations et analyses graphologiques des gravures de la Salle du Foyer et du Couloir du Faisan Marie-Pascale Lescat

234 Conclusion générale/General Conclusion Robert Bégouën, Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors

246 Bibliographie


Préface PAR HENRY DE LUMLEY

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Robert Bégouën et ses coauteurs livrent ici une synthèse des recherches effectuées dans la célèbre grotte des Trois-Frères, l’un des six géants de la préhistoire selon l’abbé Henri Breuil, depuis sa découverte le mardi 21 juillet 1914 par Max, Jacques et Louis Bégouën, fils du préhistorien le comte Henri Bégouën. Les derniers travaux menés dans cette grotte sous la conduite de Robert Bégouën, avec le concours de nombreux collaborateurs parmi lesquels Jean Clottes, Valérie Feruglio, Andreas Pastoors, sans oublier la nouvelle génération, Éric et Marie-Brune Bégouën, permettent, en parcourant attentivement les galeries profondes de la caverne, d’observer la multitude de gravures et de peintures inscrites sur les parois, d’appréhender le comportement et le mode de vie des chasseurs magdaléniens de rennes et de bisons qui fréquentaient l’immense réseau souterrain des Cavernes du Volp au XVIIe millénaire avant notre ère, non seulement celle des Trois-Frères, mais aussi les grottes d’Enlène et du Tuc d’Audoubert. Cet ouvrage original, qui prend en compte l’ensemble des travaux antérieurs, en particulier les relevés de l’abbé Breuil, et une riche documentation accumulée depuis un siècle, n’est pas limité à une description objective et exhaustive des relevés des gravures et peintures pariétales, mais s’attache à reconstituer les motivations, les codes transmis de génération en génération, la pensée symbolique et spirituelle des peuples magdaléniens. À travers ces pages, Robert Bégouën fait visiter, avec rigueur, objectivité et un sens élevé de la mise en scène, la grotte-sanctuaire des Trois-Frères, son axe principal orné de figures de grande taille et qui servait vraisemblablement de parcours initiatique ainsi que les sanctuaires latéraux des galeries adjacentes ou des salles isolées couvertes de plusieurs centaines de gravures. Le chantier de fouille entrepris dans la Salle du Foyer, la zone la plus profonde de la caverne, dont les parois polies

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par le frottement des fourrures d’ours sont couvertes de gravures très bien figurées, principalement de chevaux et de bisons, a livré environ deux cents pièces d’industrie lithique associées à de nombreux ossements d’espèces diverses, notamment des bisons et des rennes, qui correspondent à des déchets alimentaires. Le bilan de ces fouilles apporte des données nouvelles sur les activités domestiques des Magdaléniens. Ils ont transporté et installé, au milieu de la salle, un grand bloc de plancher stalagmitique qu’ils ont calé avec des pierres. Au pied de ce bloc, trois petites cuvettes ovales ont été creusées dans l’argile. Deux d’entre elles contiennent encore des traces de cendres et de charbons de bois, et ont vraisemblablement servi de foyer. La troisième était remplie d’ossements et de plaquettes de grès. Une quatrième, un peu plus petite, située à environ 2 m du bloc, a été utilisée comme godet pour fabriquer une peinture noire à base d’oxyde de manganèse et de feldspath potassique, analogue à celle qui a été employée pour peindre la célèbre figure dite du « Sorcier » dans la salle du Sanctuaire des Trois-Frères. Au cours de quelques visites dans la grotte des Trois-Frères et dans celles du Tuc d’Audoubert et d’Enlène, dans lesquelles j’ai eu le privilège de me recueillir et de me laisser envahir par l’émotion, invité par Robert Bégouën, j’ai admiré le bon sens, la ténacité et le respect du patrimoine des membres de la famille Bégouën, qui, au cours de quatre générations, a su conserver dans son état de fraîcheur originel l’ensemble des Cavernes du Volp en limitant les visites et en apportant une attention toute particulière à ce que rien ne soit déplacé ou modifié. Aujourd’hui, en parcourant les galeries profondes de la grotte des Trois-Frères, nous suivons les pas des Magdaléniens qui l’ont quittée il y a 170 siècles, c’est-à-dire il y a environ 700 générations.


Foreword

R

Robert Bégouën and his co-authors provide us with a synthesis of the research carried out in the celebrated Trois-Frères Cave, one of Abbé Breuil’s six giants of prehistory, since its discovery on Tuesday July 21, 1914 by Max, Jacques, and Louis Bégouën, sons of the prehistorian Count Henri Bégouën. The recent work in the cave led by Robert Bégouën has been carried out with the aid of numerous collaborators, including Jean Clottes, Valérie Feruglio, and Andreas Pastoors, not forgetting the new generation, Éric and Marie-Brune Bégouën. An attentive examination of the cave’s deep galleries has enabled the observation of the multitude of engravings and paintings on the walls and an understanding of the behavior and lifestyle of the Magdalenian reindeer and bison hunters, who, in the seventeenth millennium before our era, frequented the immense Volp underground system, which comprises not only the Trois-Frères Cave, but also those of Enlène and Tuc d’Audoubert. This original study, which takes into account all previous work, in particular Abbé Breuil’s copies and a century’s rich documentation, is not limited just to an objective and exhaustive description of the parietal engravings and paintings, but is committed to reconstituting the motivations and codes transmitted through the generations and the symbolic and spiritual thinking of the Magdalenians. Through these pages, Robert Bégouën guides us—rigorously, objectively, and with a real stage-manager’s gift—through the Trois-Frères cave-sanctuary, both its major axis decorated with large figures that very probably served as an initiation route, and the lateral sanctuaries of adjacent galleries or isolated halls covered with hundreds of engravings. The excavations in the Salle du Foyer, the deepest zone in the cave, whose walls are polished by the rubbing of bear fur and covered with fine engravings, mainly of horses and bison, have provided around 200 items of lithic stone industries, associated with numerous bone fragments of various species, notably bison and reindeer, corresponding to food remains. These excavations provide new data on Magdalenian domestic activity.

In the middle of the hall, they transported and set up a large block of the stalagmite floor, which was then wedged with stones. At the foot of the block, three small oval basins were hollowed out in the clay. Two of them still contain traces of wood ash and charcoal and were very likely hearths. The third was filled with bones and sandstone plaques. A fourth, slightly smaller one, situated around two meters from the block served as a container for making a black paint with a base of manganese oxide and potassium feldspar, analogous to that used in painting the celebrated “Sorcerer” in the Trois-Frères Sanctuary . Over several visits to the Trois-Frères, Tuc d’Audoubert, and Enlène at the invitation of Robert Bégouën, during which I was privileged to have the chance to meditate and let emotion wash over me in situ, I admired the good sense, tenacity, and respect for heritage of the members of the Bégouën family. Over four generations, the family has managed to preserve the whole of the Volp system in its original state, by limiting visits and carefully ensuring that nothing be moved or modified. Today, while crossing the deep galleries of the Trois-Frères Cave, we are following in the footsteps of the Magdalenians who left it 170 centuries—some 700 generations—ago.

Henry de Lumley Directeur de l’Institut de paléontologie humaineFondation Albert Ier, prince de Monaco Membre correspondant de l’Académie des sciences et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres Director of the Institut de paléontologie humaineFondation Albert Ier, prince de Monaco Corresponding member of the Académie des sciences and the Académie des inscriptions et belles-lettres

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Introduction PAR ROBERT BÉGOUËN

L

Vivitur ingenio, caetera mortis erunt Vésale, Corporis humani fabrica, 1543

Le 10 octobre 2012, les soixante-dix descendants de Max, Jacques et Louis Bégouën ont fêté dans les locaux du Laboratoire de Préhistoire de Pujol, à Montesquieu-Avantès (Ariège), siège de leur association, le centième anniversaire de la découverte des Bisons d’Argile du Tuc d’Audoubert (fig. 1). Celui de la caverne des Trois-Frères, célébré en 2014, coïncide avec la parution de cet ouvrage. L’idée première de ce livre était d’abord de publier les recherches effectuées entre 1985 et 1990 dans la Salle du Foyer des Trois-Frères. Mais faire paraître ces travaux sans parler du magnifique et riche contexte archéologique de cette grotte, que l’abbé Breuil avait classée en 1952 parmi les six géants de l’art pariétal préhistorique (Breuil, 1952), aurait été trop réducteur. Depuis la parution de la première monographie des Cavernes du Volp (Bégouën et Breuil, 1958), qui contenait la quasi-totalité des relevés graphiques des Trois-Frères, il y a cinquante-six ans, un nouveau regard s’imposait. J’ai donc saisi cette belle occasion pour faire connaître de la façon la plus complète possible les innombrables témoins des activités domestiques et spirituelles que les chasseurs de rennes et de bisons y ont laissés. C’est une pierre supplémentaire apportée à la connaissance de la grotte, avec pour la première fois une vue d’ensemble qui complète les travaux et publications antérieurs. Après l’historique, au premier chapitre, des découvertes et des recherches aux Trois-Frères, privilégiant le recours aux documents originaux, le deuxième chapitre présente les grottes d’Enlène, du Tuc d’Audoubert et des Trois-Frères, avec leur topographie complète. Le troisième chapitre est consacré à la visite détaillée de la grotte en suivant les Magdaléniens depuis sa seule entrée certaine jusque dans ses recoins les plus profonds et les plus secrets où ils ont laissé les marques de leur passage et de leur inépuisable imagination créatrice. Il fait un point exhaustif sur l’archéologie des Trois-Frères, tandis que l’essentiel

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de l’art pariétal de chaque salle est présenté avec les relevés de l’abbé Breuil et des photographies récentes, en une sorte d’anthologie. De nombreuses découvertes ou œuvres inédites y ont été ajoutées, comme celles des mains de la Galerie des Mains, des gravures et des traces volontaires sur argile du Couloir du Faisan ou du grand phallus gravé du Sanctuaire. Le lecteur pourra alors aborder en toute connaissance de cause le quatrième chapitre, exclusivement consacré à l’étude de la Salle du Foyer. Enfin, le cinquième chapitre, par des textes signés de leur auteur, ouvre de nouvelles perspectives sur les silex des Trois-Frères et les gravures de la Salle du Foyer. Celle-ci se trouve dans la zone profonde des Trois-Frères appelée Tréfonds, à 520 m de la lumière du jour. Ses parois ont été polies par les ours bien avant le passage des hommes, et c’est sur ce support idéal que les Magdaléniens ont exécuté de nombreuses et fines gravures. Le sol est jonché de débris d’ossements, de silex et de foyers, dispersés autour d’une structure d’habitat formée de grosses concrétions et d’un important fragment de plancher stalagmitique exogènes au milieu. La fouille ne révélant qu’un seul niveau d’occupation, le matériel archéologique a été laissé in situ, afin d’en conserver une vision globale. Seuls les silex ont été provisoirement prélevés pour permettre des analyses spécifiques tant sur leur provenance que sur leur utilisation. Les gravures pariétales sont si fines qu’il n’était pas possible d’envisager leur étude de manière traditionnelle. Un moulage des parois ornées a permis la lecture de ces gravures, rendues en noir sur une patine claire. Leur relevé et leur traitement infographique forment un corpus original qui prend désormais sa place dans le grand puzzle de l’art pariétal des Trois-Frères. La précision du geste du graveur étant parfaitement restituée, une étude graphologique originale a été tentée et apporte un éclairage nouveau sur le nombre probable des artistes. Il n’était pas question ici de reprendre les relevés de l’abbé Breuil, même si certaines erreurs mineures de copiste subsistent. Cependant, après avoir ajouté le phallus sur le panneau du Mammouth du Sanctuaire, nous en avons profité pour remettre à sa place une grande figure animale


Fig. 1 | Célébration du centenaire de la découverte des Bisons d’Argile, le 10 octobre 2012.

qui avait été située ailleurs. C’est peu par rapport aux centaines de gravures figuratives ou schématiques recensées et relevées sur les parois des Trois-Frères. Petites ou grandes, elles ont été gravées dans le calcaire ou la calcite, mais la fine pellicule d’argile qui recouvre certaines parois, d’une extrême fragilité, a elle aussi été mise à profit. En proportion, les peintures sont beaucoup plus rares. La grande majorité des œuvres est attribuable au Magdalénien moyen, comme en témoignent non seulement les datations, mais aussi les caractères stylistiques des animaux et la typologie des signes si fréquents dans leur environnement. Cependant, des hommes d’une culture plus ancienne ont aussi fréquenté la grotte, comme l’attestent les mains négatives rouges de la Galerie des Mains et de nombreux panneaux gravés dans la zone du Tréfonds. Hélas, aucun document archéologique n’a été trouvé dans la grotte même des Trois-Frères concernant cette culture, nous privant ainsi d’indices précieux. Pourtant, la présence d’un habitat gravettien est attestée dans la zone des entrées d’Enlène. De là, ses occupants pouvaient avoir accès aux zones profondes des Trois-Frères par le long boyau qui relie l’une à l’autre, mais l’absence de leurs traces tout au long du parcours est source d’interrogations. La caverne des Trois-Frères est surtout connue pour son fameux Sorcier, dont le relevé, en 1920, a touché le grand public, popularisant l’art paléolithique à travers le monde.

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Aujourd’hui encore, sans aucun aval de notre part et parfois de manière exubérante, sa silhouette orne des vêtements ou même des corps par de savants tatouages ! Le plus souvent, ceux qui les portent ne savent rien de son origine, mais ils démontrent l’attrait pérenne du pouvoir évocateur de ces créatures composites que nous appelons volontiers sorciers. À leurs yeux comme à ceux auxquels ils étaient destinés il y a des centaines de siècles, ils sont des intercesseurs entre la puissance sereine des esprits et le désordre apparent du monde avec toutes ses conséquences. Le besoin de spiritualité propre à l’homme fera que leurs formes aux contours infinis se retrouveront à toutes les époques et sur tous les continents. Enfin, comment ne pas redire combien l’étude de la préhistoire est un grand privilège ? Non seulement elle permet de mesurer le progrès des humains dans l’amélioration continue de leurs outils, mais elle permet d’approcher aussi, dans le silence des grottes, tous ces artistes géniaux que nous ressuscitons à chaque visite dans le faisceau de nos lampes. Aux Trois-Frères, ils ont laissé sur la pierre la preuve de leur savoir-faire longuement appris, de leurs codes transmis de génération en génération, tout en affirmant à chaque fois leur originalité afin que rien d’eux-mêmes ne se perde d’essentiel. Mais, pour les avoir côtoyés de longue date, ma conviction ultime est qu’ils ont aussi aimé leurs œuvres, rendant leur sensibilité plus proche de nous encore…

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Introduction BY ROBERT BÉGOUËN

O

On October 10, 2012, at the seat of their association, the Pujol Prehistory Laboratory, at Montesquieu-Avantes (Ariège), the seventy descendants of Max, Jacques, and Louis Bégouën celebrated the centenary of the discovery of the Clay Bison of Tuc d’Audoubert (fig. 1). The centenary of the cave of Les Trois-Frères, celebrated in 2014, will coincide with the publication of this work. The original idea of this book was to publish the research carried out between 1985 and 1990 in the Salle du Foyer of Les Trois-Frères. However, it would have been too restrictive to publish this work without mentioning the magnificent archaeological context, which, in 1952, led the Abbé Breuil to classify the cave among what he called the Six Giants of prehistoric parietal art (Breuil 1952). As the first monograph on Les Cavernes du Volp (Bégouën & Breuil 1958), containing the quasi-totality of the images copied from Les Trois-Frères, was published fifty-six years ago, it was time to take a new look. I have thus taken this unique opportunity to give as much detail as possible concerning the mountain of evidence of domestic and spiritual activities that the reindeer and bison hunters left behind them. This is another stone laid in the foundations of our knowledge of the cave, only partially replacing previous work and publications. After the history of the discovery and research in Les Trois-Frères in the first chapter, making particular use of original documents, the second chapter presents the caves of Enlène, Tuc d’Audoubert, and Les Trois-Frères, with their complete topography. The third chapter is dedicated to a detailed visit of the cave, following the Magdalenians from the only certain entrance to its deepest and most secret recesses, where

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they left marks both of their passage and of their inexhaustible creative imagination. It exhaustively examines the archaeology of Les Trois-Frères, while the essential of the parietal art in each gallery is presented in a sort of anthology, using the copies made by Abbé Breuil and recent photographs. Numerous finds or unpublished works have been added, such as the hands in the Galerie des Mains, engravings and deliberate markings on clay in the Couloir du Faisan, and the large engraved phallus in the Sanctuaire. Thoroughly briefed, the reader can thus, move on to the fourth chapter, wholly centered on the study of the Salle du Foyer. Finally, the fifth chapter, containing texts written by several authors, opens new perspectives on the flints of Les Trois-Frères and the engravings in the Salle du Foyer. The Salle du Foyer is in the deep zone of Les Trois-Frères called Tréfonds, some 520 meters from daylight. Long before the arrival of humans, its walls were polished by the comings and goings of bears; on this ideal background the Magdalenians executed numerous fine engravings. The floor is littered with bone, flint, and hearth debris, scattered around a habitat structure formed of large concretions and a large fragment of stalagmite floor both brought in from elsewhere. Excavation has revealed only one occupation level, so the archaeological material has been left in situ to preserve an overall view. Only the flints have been provisionally removed to enable specific analysis of both their provenance and utilization. The parietal engravings are so delicate that it was not possible to consider studying them in a traditional manner. Molding the decorated walls enabled the reading of the engravings, brought


out in black against the pale patina of the cast. Their copies and graphic treatment make up an original corpus that will now take its place in the complex puzzle of the parietal art of Les TroisFrères. The precise gestural details of the engravers being perfectly recreated, an original graphological study was tried and has thrown some new light on the probable number of artists. The question here is not to revise Abbé Breuil’s copies, even if there are certain minor errors in them. However, after having added the phallus to the Mammoth panel in the Sanctuaire, we took the opportunity to return to its rightful place a large animal figure, probably a bear, which had previously been situated elsewhere. This is very little compared with the hundreds of figurative or schematic engravings identified and copied on the walls of Les Trois-Frères. Large or small, they were engraved in the limestone or calcite, but the fine, extremely fragile, film of clay covering certain walls was also made use of. Proportionately, the paintings are much rarer. A large majority of the works can be attributed to the Middle Magdalenian, shown not only by dating, but also thanks to the stylistic characteristics of the animals and to the typology of the signs so frequent in their environment. However, people from an earlier culture had also frequented the cave, as the red stencilled hands of the Galerie des Mains and numerous engraved panels in the Tréfonds zone attest. Sadly, no archaeological remains were found in Les Trois-Frères regarding that culture, thus depriving us of precious evidence. Nonetheless, there is evidence of a Gravettian habitat in the entrance zone of Enlène. From there, the occupants could have had access to the deeper zones of

Les Trois-Frères through the long passageway that links the two, but the absence of any trace along the route raises questions. Les Trois-Frères cave is best known for its famous Sorcerer, whose image so impressed the general public in 1920 that it popularized Palaeolithic art across the world. Even today, without any endorsement on our part and sometimes in the most exuberant manner, its image adorns clothing or even the body by means of tattoos! Frequently, those who wear them know nothing of the origin of the motif, but they demonstrate the perennial attraction and the evocative power of these composite creatures we call sorcerers. In their eyes, as in those to whom they were destined hundreds of centuries ago, they seem to be intercessors between the spirit powers and the apparent disorder of the everyday world with all its consequences. Man’s own spiritual needs mean that their countless shapes are found on every continent in every era. Finally, how can I not repeat what a great privilege the study of prehistory is. It not only enables us to measure human progress through the continuous improvement of our tools, but it also allows us, in the silence of the caves, to approach all those extraordinary artists, brought back to life on each visit in the beam of our lamps. In Les Trois-Frères, they left in stone the proof of a longacquired knowledge and the codes transmitted from generation to generation, while each time affirming their originality so that nothing of themselves was lost in the essential. But, after having been so close to them over a long period, my profound conviction is that they also loved the works that they created, thus making their sensitivity and ours even closer.

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Historique PAR ROBERT BÉGOUËN


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En 1914, Max, Jacques et Louis Bégouën ont respectivement vingt et un, dix-neuf et dix-sept ans. Pourtant, ils sont déjà célèbres pour la découverte deux ans auparavant de la caverne du Tuc d’Audoubert et de ses magnifiques Bisons d’Argile. Le 20 juillet de cette année-là, une nouvelle aventure les attend sous la même colline au fond d’un aven qu’ils explorent avec leur ami François Camel. Ils mettent au jour un vaste sanctuaire paléolithique richement décoré de gravures et de peintures : la caverne des Trois-Frères ! Émile Cartailhac et l’abbé Breuil ne pourront la visiter qu’en 1919, après la fin des hostilités et la démobilisation des inventeurs. L’extrême fragilité de son art pariétal va imposer une stricte discipline pour le conserver et l’étudier.


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La découverte de la c a v e r n e d e s Tr o i s - Fr è r e s

S Fig. 2 | Les trois frères dans le bureau de leur père aux Espas en 1913 : de gauche à droite, Max, Jacques et Louis Bégouën (photo Max Bégouën). Double page précédente : Fig. 3 | L’agenda de Louis Bégouën ouvert à la page du jour de la découverte.

Si la grotte des Trois-Frères a bien été découverte le mardi 21 juillet 1914, l’aventure commence dès le jeudi 16 juillet. Ce jour-là, pour marquer le deuxième anniversaire de la découverte du Tuc d’Audoubert, Henri Bégouën, ses trois fils, Max, Jacques et Louis (fig. 2), leur précepteur l’abbé Auguste et François Camel, jeune cocher, décident de repérer en surface le cours souterrain du Volp, afin de tenter de trouver une jonction entre le Tuc d’Audoubert et la grotte d’Enlène. Alors que le petit groupe arpente la colline calcaire entre l’entrée et la sortie du Volp, l’un déchiffrant le cadastre, l’autre le plan du Tuc, l’abbé Auguste concentré sur sa baguette de coudrier, des fermiers qui bêchaient un champ voisin leur signalent l’existence d’un trou qui souffle de l’air frais au pied de trois petits chênes. Sa communication avec des cavités ne faisant dès lors aucun doute, ils se mettent aussitôt à désobstruer ce qui deviendra bientôt « l’Aven François », retirant les pierrailles destinées à empêcher les moutons de tomber dans le trou. Pour relater la suite des événements, nous avons privilégié le recours aux documents originaux, tous inédits, constitués par le journal de Louis Bégouën (fig. 3), âgé de dixsept ans en 1914, et la correspondance échangée par la suite entre les trois frères, leur père et Émile Cartailhac. Ils nous donnent de nombreuses informations non seulement sur la chronologie de la découverte de la grotte elle-même, mais aussi sur l’état d’esprit familial et son contexte. Nous y voyons aussi la guerre qui s’invite alors que les lieux ne sont pas encore totalement explorés : pendant toutes les années extrêmement difficiles qui vont suivre, nul doute que la grotte passe pour eux tous au second plan ; mais les missives, de temps à autre, évoquent cependant tout ce qui les attend à Montesquieu après la victoire… Personnages cités : Marcellin Bermon, François Camel et François P., personnel de maison des Bégouën ; l’abbé Auguste, précepteur des trois frères ; le Rey de Pujol, sobriquet d’un fermier ; Messieurs Villain, Bizot, Passama : des amis.

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Fig. 4 | L’aven de la découverte en 1923 avec Madame Louis Bégouën.

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Jeudi 16 juillet 1914. « […] L’après-midi, nous partons tous pour suivre avec la baguette le cours de la grotte. Nous passons par Montesquieu voir le cadastre. Nous partons, et M. l’abbé suit admirablement la grotte quand le Rey de Pujol nous enseigne un trou où l’air souffle très frais [fig. 4]. On le débouche et, en effet, le courant d’air éteint les allumettes. Nous déblayons un moment et nous nous apercevons en lançant des pierres que c’était un gouffre assez profond. Nous renvoyons la suite du dégagement à demain. » Vendredi 17 juillet. « Nous sommes partis à 9 h des Espas, nous trois, Papa et François C., avec lanterne, corde, aller déblayer le trou, ce qui est très dur [fig. 5]. Nous rentrons déjeuner – (au courrier, une lettre de Cartailhac) – après déjeuner, nous repartons avec François, avec une pioche, une lanterne de plus, de la corde, une tenteabri, etc. Et nous continuons le travail, qui avance peu à peu. Nous allons, Jacques, François et moi, à la grotte d’Enlène avec le clairon pour voir si nous entendons du bruit que faisaient les autres dehors. Nous entrons. Tout allait bien. Arrivés à la faille, nous passons le pont et nous descendons quand nous entendons un corps mou qui descend précipitamment dans la faille avec un bruit mat. C’était Messire [le chien de Jacques]. Jacques reste avec une lanterne pour le consoler. Je reviens avec François, avec lequel j’ai été chercher une corde. Nous descendons dans le trou, nous remontons Messire avec la corde. Nous faisons le tour de la grotte en jouant du clairon. Il nous semble entendre des pierres qui tombent de l’autre côté de la paroi. Nous sortons et revenons au trou que Marcellin avait agrandi. François essaie de descendre, mais ne peut pas. On retravaille et, à 18 h 30, François met une corde et descend en nous criant que c’était immense. Max descend […] où des peintures puis plus rien. 35 minutes après, nous entendons des cris au-dehors – nous ne sommes pas morts – c’étaient Max et François qui étaient ressortis par Enlène. Quant aux peintures, hélas, il n’y a que des taches et des traits noirs, mais Max a ramassé sur la terre une sagaie et un grattoir en silex. Nous rentrons enchantés et nous remettons à demain la suite de l’exploration. » Samedi 18 juillet. « Beau – Marcellin part au marché. M. l’abbé et Passama vont à


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Foix. Je suis allé les accompagner en moto jusqu’aux 4 Chemins. Travail – à 3 h 1/2, nous partons à la grotte [au Tuc] où nous fouillons un moment – nous entendons des coups – Max sort aller laver des os – François trouve une pointe de sagaie qui s’adapte au grand bâton d’ivoire – trouvé d’autres sagaies – nous rentrons dîner. François P. et l’abbé arrivent à 10 h 1/2. » Dimanche 19 juillet. « Beau – orage le soir – messe à 6 h 1/2 avec François P. – tir – François P. part à 10 h après déjeuner. J’arrange des os – étiquette – à 4 h moto au fond de l’allée – Marcellin monte – j’ai failli tamponner Anna qui allait en vélo. M. le curé dîne ici – orage. » Lundi 20 juillet. « Pluie – travail – M. l’abbé reçoit une dépêche de M. Villain pour aller à Saint-Bertrand. » Mardi 21 juillet. « Beau – travail – M. l’abbé part à 9 h pour Saint-Bertrand-deComminges – après déjeuner nous partons nous trois, François et Marcellin, au trou – nous descendons – descente pénible. Nous prenons un couloir où l’on marche à quatre pattes – partout le sol est à fouiller – nous prenons un couloir et j’aperçois des points rouges et noirs sur une longueur de 1,50 m environ. Nous descendons à toute vitesse une cascade de stalagmite et, au fond, François aperçoit des traits sur l’argile, quand tout à coup je crie “des dessins” et en fait de superbes bisons, chevaux etc. qui étaient gravés, et une femme en noir [en fait le Sorcier] était dessinée [fig. 6]. Nous les regardons, puis François, Max et Marcellin s’engagent dans un couloir très dangereux où ils trouvent d’autres dessins et signes merveilleux : P – chouettes etc. Nous rentrons enthousiastes et éreintés. Nous avons trouvé dans un couloir des mains blanches sur rouge. Les salles sont magnifiques comme grandeur – nombreux os et silex – nous rencontrons Papa en chemin qui est stupéfait – écrit (Max) à Cartailhac1 [fig. 7]. » Mercredi 22 juillet. « Pluie – fatigués – M. Bizot arrive avec M. l’abbé – Papa, Max et Bizot causent – je soude les lanternes – l’après-midi, Max, l’abbé et Bizot vont se promener – on tue un bœuf à Bouchet qui s’était cassé la patte et la corne. J’ai reçu une lettre de Cartailhac. »

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Fig. 5 | Croquis de l’aven exécuté le jour même de la découverte par Max Bégouën. Fig. 7 | Portrait dédicacé d’Émile Cartailhac.

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Henri, comte Bégouën (1863-1956), membre correspondant de l’Institut « La première chance du comte Henri Bégouën, ce fut de naître où il naquit, dans un milieu qui ne se croyait pas dispensé par ses privilèges de fortune ni de rang, de tenir pour les biens suprêmes, ceux que seul procure le jeu des idées et de la recherche intellectuelle » (Sendrail, 1959). Tout au long de sa vie, Henri Bégouën exercera son intelligence dans différents domaines et diffusera le fruit de ses travaux au sein d’une œuvre multiple. Ses études de droit et de sciences politiques à Paris, suivies d’une thèse en Allemagne sur le Kulturkampf, lui valent d’entrer au Journal des débats en qualité de journaliste germaniste. Après avoir longtemps parcouru l’Europe et publié de nombreux articles et ouvrages historiques, littéraires ou poétiques, il est nommé en 1896 attaché à la résidence générale de France en Tunisie, où il reste jusqu’en 1898. Il décrit dans des rapports destinés à Émile Cartailhac, chargé du cours de préhistoire à la faculté des lettres de Toulouse, les imposants tombeaux mégalithiques qui jalonnent le sol de ce pays. Puis il rentre à Toulouse pour diriger un grand quotidien d’information, Le Télégramme. À partir de 1912, à quarante-neuf ans, à la suite de la découverte de la grotte du Tuc d’Audoubert, il consacre désormais tout son temps à la recherche préhistorique. Il opte dès le début, de manière à assurer la conservation de ses grottes, pour des mesures décisives et totalement originales pour l’époque (restriction des visites, balisage des sols, etc.). Il publie de très nombreux articles sur les Cavernes du Volp et sur la préhistoire. Très tôt, il s’applique à réunir les preuves de « la mentalité spiritualiste des premiers hommes » – titre d’une de ses études (Bégouën, 1943). Il est l’un

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des premiers à soutenir la réalité des sépultures paléolithiques, que certains grands préhistoriens, à la suite de Gabriel de Mortillet, réfutent encore au début du xxe siècle. Cette quête de l’éminence de la place de l’homme dans la nature ne le quittera jamais, et il accueillera avec joie le développement de la pensée de Pierre Teilhard de Chardin. En 1925, il compte, avec Henri Breuil et Hugo Obermaier, parmi ces penseurs chrétiens qui exercent quelque influence sur le Vatican afin que le principe de l’évolution ne soit pas condamné par l’Église (Hurel, 2007). Pour expliquer l’art préhistorique, il défend l’hypothèse de la magie de la chasse, mais précise plus tard que cette théorie ne saurait expliquer toutes les manifestations artistiques préhistoriques (Bégouën, 1924). En 1921, à la mort d’Émile Cartailhac, Henri Bégouën lui succède aussi bien à son cours de préhistoire à la faculté des lettres de Toulouse qu’auprès du Muséum d’histoire naturelle de la ville. Il souligne dans son enseignement que toute grotte ornée livrée au public est perdue pour la science. Son enthousiasme, son humanisme, sa rigueur scientifique susciteront de brillantes vocations de préhistoriens : parmi eux, Léon Pales, Louis Méroc, Norbert Casteret perpétueront la tradition des pionniers de la préhistoire toulousaine… Dès la défaite de 1940, en homme de conviction, il n’hésite pas à prendre parti pour la France libre malgré les dangers encourus. La leçon d’ouverture de son cours d’archéologie préhistorique du 13 novembre de cette même année est mémorable : il y affirme sa foi dans un idéal futur de fraternité entre les peuples, fondé sur le principe absolu de l’égalité des races – sujet éminemment sensible à cette époque. Sur les conseils de ses amis, qui craignent pour sa sécurité, il quitte Toulouse pour se retirer en Ariège et y poursuivre ses travaux. À sa mort, en 1956, on recensera quelque deux cent cinquante articles et ouvrages divers pour la seule partie ethnographique et préhistorique de son œuvre.


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Jeudi 23 juillet. « Pluie – travail après déjeuner. Jacques, François et moi nous partons au Tuc pour mettre tout en ordre. François trouve une pièce sculptée qu’il a abîmée et qui n’est pas encore bien déterminée – quelques silex et sagaies – nous faisons des tas d’os […] – et nous rentrons à 6 h 1/2. Nous rencontrons Papa en chemin avec Max – M. Bizot est parti. Max reçoit une lettre de Cartailhac [fig. 8]. » Vendredi 24 juillet. « Beau – travail – causé des bains de mer – Max nous prête sa moto – il porte Anna en moto… » Samedi 25 juillet. « Assez couvert – on fait ses préparatifs de départ. Nous partons à 9 h. Max part en moto – nous le voyons sur la route de Muret à Toulouse. » Les trois frères vont, comme d’habitude, partir en vacances dans leur propriété de Thorenc, dans le Var, à la fin du mois. Fait étrange, la découverte du 21 juillet n’est pas mentionnée dans le livre d’or du Tuc d’Audoubert ! En revanche, celui-ci fait état d’une visite du Tuc le 28 juillet, avec Bouyssonie et quatre autres personnes, dont deux Allemands. Le ton ne laisse alors en rien supposer la gravité des événements qui se préparent… Avant de partir vraiment pour Thorenc, Max est donc revenu aux Espas pour un jour ou deux. Le 4 août 1914, la guerre est déclarée : comme pour tous les Français, tout bascule en quelques jours pour ces trois jeunes hommes et le conflit laissera sur eux sa trace indélébile. Leur correspondance, éloquente à ce sujet, change de ton et de thème du jour au lendemain : à de rares exceptions près, pendant quatre ans, il n’y sera plus question de préhistoire mais de guerre, du moral qui est au beau fixe, et enfin de la victoire. En attendant leur mobilisation, l’aménagement des hôpitaux toulousains pour qu’ils puissent recevoir les premiers blessés, qui arrivent très vite par trains entiers, capte leurs bonnes volontés. Durant des mois, le journal de Louis ne va relater que ces actions. En décembre 1914, Max et Jacques, qui n’ont pas encore accompli leur service militaire, sont envoyés dans une caserne de Perpignan puis au camp d’entraînement militaire de Millas.

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Fig. 6 | Croquis du Sorcier des Trois-Frères réalisé le jour de la découverte par Max Bégouën. Le personnage étant interprété comme une femme, la poitrine est soulignée.

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Dans une lettre à son père datée du 12 juillet 1915, Max parle de son projet d’article sur la nouvelle grotte pour la revue L’Anthropologie : « Pour l’article sur les 3 frères, j’aurais bien voulu être là-bas et le faire avec vous !! Enfin d’ici 3 ou 4 jours je vous enverrai une note sur le couloir après la corniche. Outre la salle du foyer, il y a celle aux Chouettes, aux longs lacis, aux Bisons peints, au signe claviforme rouge ! D’après toutes les notes que j’ai prises et que vous avez, les croquis etc., on peut faire un bon petit article, pas trop long ni très précis, mais quelque chose d’intéressant. » Ce « petit article » ne sera jamais publié, emporté sans doute par les aléas de la guerre… Nous l’avons récemment retrouvé, classé avec des manuscrits de conférences d’Henri Bégouën, et le livrons tel quel (voir p. 24). C’est en juin 1915 que Max et Jacques partent pour le front (fig. 9) ; Louis attend son tour car il est de la classe 1916. Les échanges épistolaires vont dès lors s’intensifier, tant entre les frères qu’avec leur père ou Cartailhac. À chaque permission, des photos sont prises pour célébrer le simple fait d’être encore en vie… En septembre 1916, Max est gravement blessé par un éclat d’obus qui lui emporte un important fragment d’humérus. Sa conduite au feu est saluée par la médaille militaire et la croix de guerre ; bien plus tard, à d’autres titres, il refusera plusieurs fois la Légion d’honneur, de peur que celle-ci ne jette comme une ombre, même légère, sur ces premières décorations gagnées avec son sang… Louis est blessé à son tour, ce qui lui vaut à lui aussi la croix de guerre. Jacques, enfin, est aviateur et rejoint, après un passage à Saint-Cyr, l’escadrille des Cygnes avec le grade d’aspirant (fig. 10). Fait d’armes de ce dernier en 1917, qui est volontaire pour aller photographier avec son avion le fort de Vaux, alors pris par les Allemands (fig. 11). Son carnet de notes est cité à plusieurs reprises par l’essayiste Henry Bordeaux, de l’Académie française, dans son ouvrage Les Derniers Jours du fort de Vaux. Ainsi, cet extrait, lorsque Jacques, enfin relevé, décrit l’arrivée au cantonnement : « Nous sommes les premiers arrivés : fantômes de boue, pâles et fragiles, on accourt vers nous. On serre la main, on est heureux de nous revoir et nous, malgré toutes les souffrances, la fatigue, nous ne donnerions rien pour changer notre place… Pleins de joie orgueilleuse, nous serrons la main de tous ces soldats propres et frais qui nous entourent. Nous buvons avec délice quelques quarts de café bouillant. Puis on nous conduit chez nous. Avant de nous quitter pour reparaître propre, je serre la main de tous ceux qui m’ont suivi : je me souviendrai d’eux. » Plus loin, Jacques regrette son appareil photographique tant il s’élève du spectacle du champ de bataille une mystérieuse beauté – et Henry Bordeaux de conclure : « Éternelle race amoureuse de beauté chez qui rien ne peut abolir le goût de voir et de sentir la vie… » Clemenceau inspectera son avion et la scène sera même filmée pour les actualités ! Jacques terminera la guerre au grade de lieutenant, chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre et de la médaille de Verdun, enfin officier de l’ordre de Saint-Sava de Serbie et de l’ordre du roi Léopold de Belgique. À la fin du mois de mai 1918, les trois frères obtiennent enfin une permission qui leur permet de se retrouver tous les trois aux Espas. Cette opportunité ne s’est pas produite depuis 1915 ! Le 23 mai, Max écrit à son père : « Mon cher Papa, j’arriverai à Toulouse soit samedi soir, soit dimanche matin. Après échange de coups de téléphone avec Louis, je suis à peu près sûr que nous serons tous réunis à Toulouse d’abord et puis aux Espas. Il faudra que vous vous procuriez du carbure et des becs pour les lampes à acétylène ! Dans quel état sont-elles, les lampes !!?… Jacques a été pris en cinéma avec Clemenceau qui examine son appareil. Je vais tâcher de le voir aux actualités et c’est ce qui retardera peut-être mon voyage d’un jour. À bientôt, mon cher Papa, je vous embrasse très tendrement, votre fils respectueux, Max. » Le livre d’or du Tuc d’Audoubert a gardé la trace de cette première visite d’après-guerre dont ils ont si souvent rêvé (fig. 12) : « Après quatre ans de guerre, nous sommes revenus, un peu démolis, mais intacts, et nous avons porté aux deux bisons d’argile l’hommage de

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Cher Max, chers Amis, Mon émotion scientifique et satisfaisante est dominée par les angoisses que vous me faites éprouver. Quand il y a autant de périls, on doit renoncer à l’exploration telle que vous l’avez effectuée, telle que vous allez la recommencer. Aucun noble motif ne vous entraîne à risquer la vie de l’un de vous et à risquer l’éternel malheur des autres. Explorez à nouveau, mais armés pour supprimer le danger, et même la grande fatigue. Il est ridicule d’avoir besoin du médecin et des bains de mer et de s’éreinter ainsi ! Cela devient du snobisme, comme celui qui trouble notre société. Je connais assez les trois frères pour tout craindre de leur exagération d’efforts !

Ah, les Tantes seront de bonne humeur si elles sont avisées de ces imprudences. Il n’y a pas d’autres mots ! Ayez au moins des cordes pour retenir celui qui tomberait vers les trous et sachez que rien n’est aussi dangereux que d’avoir un accident même de second ordre à de telles profondeurs et au-delà des mauvais passages inévitables au retour. Je n’ai pas le courage de vous parler d’autres choses ! Tout en comprenant vos sentiments après le succès d’hier. Il y a déjà dans la Lozère l’Aven François. Il est classique et lui aussi inabordable à 100 m de corde raide ! Excusez la franchise et les inquiétudes de l’ami. É. Cartailhac

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Fig. 8 | Réponse d’Émile Cartailhac à la lettre de Max Bégouën qui devait relater l’exploration de la nouvelle grotte.

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La caverne des Trois-Frères (1) À Montesquieu-Avantès (Ariège) Max Bégouën À mon vénéré maître É. Cartailhac, je dédie ce premier article de préhistoire Deux ans presque jour pour jour après la découverte de la caverne du Tuc d’Audoubert, le 21 juillet 1914 nous cherchions à repérer à la surface du sol le parcours souterrain des galeries pour trouver la jonction entre la caverne du Tuc et celle d’Enlène (1). Cette jonction existait sûrement à notre avis, puisque les galeries supérieures du Tuc et le couloir sec de la caverne d’Enlène se trouvent de part et d’autre sur un même plan horizontal (2). Si nos tentatives pour traverser la colline de part en part n’avaient pas abouti jusqu’alors, c’est que des éboulements ont dû partager en plusieurs tronçons le couloir creusé par le cours d’eau. Guidés par l’excellent plan des galeries supérieures de la caverne du Tuc d’Audoubert dressé par le lieutenant Octobon (3), nous étions arrivés, en suivant la crête calcaire dans un bois de chênes malingres, au bord d’une petite doline près de laquelle nous aperçûmes un trou fort étroit que des paysans avaient obstrué avec des pierres. Nous étions devant un aven (4) ; nous l’avons exploré : c’est une sorte de puits de 25 m de profondeur, assez étroit au sommet mais qui va en s’élargissant vers la base. L’aven par lui-même n’offre rien de particulier mais il aboutit à un rond-point d’où divergent trois couloirs : ceux-ci sont assez bas pour qu’on ne puisse y pénétrer qu’à quatre pattes et parfois même à plat ventre.

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Le premier boyau sur la droite nous a conduits à une des salles de la caverne d’Enlène après un sérieux travail de déblayage : pour nous frayer un passage, nous dûmes enlever des pierres, des débris de silex, d’ossements travaillés ou non, des morceaux de crânes et de squelettes humains. Ce sont des déblais où toutes les époques sont mélangées. Ils proviennent des fouilles faites jadis par Regnault, Garrigou, Cau-Durban etc., dans les divers foyers de l’âge du renne et du bronze qui se trouvent à Enlène. Le couloir sur la droite se termine au bout d’une vingtaine de mètres par un cul-desac sur les parois duquel se remarquent des traces de couleur indéchiffrables. Le sol formé d’argile fine gardait deux ou trois empreintes d’ours. Enfin le troisième couloir, celui du milieu, aussi pénible d’accès que les deux autres, aboutit perpendiculairement à une large galerie : c’est la caverne des Trois-Frères proprement dite. La guerre étant venue brusquement interrompre nos recherches, ce n’est pas une étude approfondie que je puis donner ici. Cependant, d’après les notes et relevés pris lors de nos premières visites, je puis donner un aperçu succinct de cette nouvelle caverne, plus importante que le Tuc d’Audoubert par le développement des galeries et par le nombre de dessins préhistoriques. Sauf sur quelques points particulièrement dangereux, la caverne des Trois-Frères est d’un parcours assez facile, bien que fatigant. Sur le sol, en maints endroits, se voient des restes de foyers, et un sondage superficiel nous a donné, outre des silex et quelques os ouvrés, une fine silhouette de salmonidé gravé sur un fragment de canon de renne. Des fouilles méthodiques donneront sûrement des résultats. Vers le milieu de son parcours, la caverne est occupée par la cheminée d’un vaste aven, dont les voûtes très hautes, très accidentées, ne laissent entrevoir aucune ouverture. Le cône d’éboulis se présente en pente raide, il faut le descendre pour aller plus loin. Cette masse d’argile est pleine d’ossements, ce qui s’explique car, lorsque l’aven était ouvert aux époques quaternaires, il devait former comme un piège naturel où des animaux ont dû glisser en grand nombre. Nous avons recueilli des andouillers de renne et vu une moitié de crâne de bison que le ruissellement de l’eau avait dégagé de la masse argileuse. Nous arrivons à l’endroit le plus difficile de la caverne : ce ne sont qu’énormes blocs éboulés, crevasses étroites etc., enfin on parvient à ce que nous avons appelé « la Corniche », étroit et dangereux passage le long de la paroi, à 6 m au-dessus du sol. Au-delà, un précipice nous barre la route : il faut le franchir d’un bond pour entrer dans des salles de vaste superficie, mais basses de plafond. Le sol est criblé ici de gours, profonds parfois de plus de 1 m, larges d’autant, et pleins d’eau : c’est la salle « des Vasques ». Elle se subdivise en deux parties, et au point de séparation, sur la paroi, se trouve un dessin bizarre, profondément incisé et encore incompris. Le couloir de gauche aboutit à des éboulements de terre très anciens et, tout au fond, s’érigent sur le sol des pierres rangées et certainement entassées par la main de l’homme. Tout après, au fond d’un petit gour desséché, sur un entablement rocheux, un foyer est intact : du feu a été allumé là. Une poussière blanc grisâtre, semblable à de la cendre, couvre les pierres du foyer ; à l’entour quelques morceaux d’ocre rouge sont épars parmi les charbons, tandis qu’à côté gît un long et blanc morceau de stalagmite, à en juger par un de ses bouts noircis, il dut servir de tisonnier ou de broyeur. Le couloir de droite va s’amincissant et se termine par d’étroites ramifications bouchées, au bout de quelques mètres, par des dépôts calcaires. Tel est, dans l’ensemble, l’aspect de cette caverne. D’une manière générale, elle offre un aspect imposant : les couloirs sont souvent larges et les portées de voûte bien plus considérables qu’au Tuc. Nous avons des hauteurs que nous n’atteignons jamais dans les autres cavernes de la montagne. Il y a cependant une grande analogie entre

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les Trois-Frères et le Tuc : les stalagmites sont tout à fait semblables, la roche est la même ; on croit, lorsqu’on se trouve dans certains couloirs des Trois-Frères, avoir été transporté dans la galerie des Bisons d’Argile. Au point de vue préhistorique, la nouvelle caverne ne le cède pas à sa voisine. Les dessins s’y trouvent un peu partout. Nous les décrirons en suivant les dispositions naturelles de la caverne, nettement partagée en trois parties séparées par des passages difficiles : 1. De l’aven F. Camel au grand aven (Grand Dôme) 2. La Corniche 3. La salle des gours et ses deux embranchements 1. Dans une petite salle, dont l’entrée surbaissée s’ouvre en face de la galerie d’accès, sont des contours de mains cernées de rouge vermillon. Comme à Gargas, Castillo etc. il y a quelques mutilations de doigts. Un peu partout, des taches et des points rouges ; une seule peinture d’animal : un dos de bison sans tête au trait noir, avec une barre de même couleur perpendiculaire au cou. Plus loin, nous remarquons d’autres silhouettes animales en noir. On a utilisé une fois un accident de la pierre pour esquisser une bête aux oreilles pendantes. Le pointillé le plus important que nous avons remarqué aux Trois-Frères se trouve dans ces parages sur une paroi assez unie ; il affecte une forme géométrique régulière. Long de 1,48 m, il est fait avec de petites taches digitales, de couleur noire, à l’exception de deux qui sont rouges. Ces points placés côte à côte forment trois lignes : la plus longue est horizontale et les deux autres, parallèles entre elles, forment avec la première un angle très aigu. La roche qui porte ces signes est percée au-dessous d’eux de trous très réguliers et cylindriques de la grosseur du doigt ; ces trous, purement accidentels, forment des groupes aux dispositions géométriques. Or les points de couleur ont été placés symétriquement par rapport à ces trous. Un peu plus loin, dans une sorte de petite chapelle, un grand félin (lion ?) se dessine sur une stalagmite irrégulière. Le trait qui le forme, très profond, a parfois plus d’un centimètre de large. L’animal marche, la tête baissée et tournée du côté de l’arrivant. Sa longueur totale est de 0,75 m. Il est rehaussé de taches de couleur rouge ou noire ; des flèches et des blessures sont gravées, d’autres peintes sur ses flancs. Il y a lieu de remarquer que, contrairement à ce qui se passe généralement dans les dessins d’animaux ne présentant qu’un petit nombre de flèches, une ou deux ou trois tout au plus, elles sont très nombreuses sur les flancs de ce félin. 2. L’aven franchi ; après avoir traversé les éboulis qui encombrent le sol inégal de la caverne, et laissant à gauche la corniche dangereuse, nous arrivons au bord d’une fosse où l’on descend par une cascade stalagmitique très glissante. La paroi de rochers, tourmentée, s’élève devant nous et nous entoure sur trois côtés. Dans tous les recoins, sur toutes les surfaces, abondent les dessins d’animaux ; un mammouth, très beau, de 0,50 m de long se montre tout d’abord ; la trompe, parfaitement indiquée, descend entre les pattes, et les défenses, très courtes, s’ébauchent à peine entre les lèvres. Puis de grands bouquetins aux cornes longues et massives, un vague profil de tête humaine présentant cette particularité qu’il semble porter au cou un collier avec un pendentif (dent d’ours ?), etc. Nous avons plusieurs bisons complets, dont la taille varie de 0,20 m à 0,80 m ; certains ont sur leurs flancs une ligne brisée en dent de loup. Il est à remarquer que, tandis que les bouquetins ont la tête haute, les bisons la portent basse et semblent brouter. Les cornes des uns et des autres sont le plus souvent représentées de face. Enfin, et ceci s’applique à la presque totalité des dessins de cette caverne, les animaux portent sur leur corps des indications d’armes ou de blessures.

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Un peu plus vers la gauche, dans un retrait de la pierre se cache un cerf élaphe, au garrot puissant, aux pattes fines et nerveuses, mais dont les sabots ne sont pas indiqués. Au-dessus de lui serpentent deux animaux bizarres qui semblent représenter des anguilles ou des ophidiens. Au-dessus d’une entrée de couloir en gueule de four, un bison a été dessiné avec un soin extrême, sa facture rappelle tout à fait les bisons gravés qui se trouvent au fond de la caverne du Portel. Le couloir lui-même est tout orné de dessins : c’est tout d’abord un rhinocéros R. tichorhinus (trois flèches s’enfoncent dans son épaule) [fig. 13], des bisons, des chevaux, des silhouettes de mammouths et trois petits ours d’une dizaine de centimètres de longueur. Semblables à des croquis d’album, des figures de rennes d’un fini merveilleux ornent un petit panneau au fond de ce couloir. Les animaux ont été dessinés avec une vérité saisissante : ici un renne couché semble ruminer, là un mâle suit sa femelle, là encore comme à Font-de-Gaume deux rennes affrontés semblent lutter. Non loin, un lynx (?) s’approche. Rennes et lynx ont été traités d’une façon toute différente des dessins qui ornent ailleurs la caverne. Ici c’est avec la minutie d’un graveur que les artistes ont buriné ces animaux qui atteignent plus de 25 cm de longueur. La roche oxydée par le temps s’est recouverte d’une croûte blanchâtre, qui, elle-même, est enduite d’une mince pellicule d’argile jaune déposée par l’eau. L’artiste a su utiliser à merveille cette contexture de la roche. Au moyen de raclages, il a su donner à ses figures un léger relief et marquer les différences de coloration de pelage. Lorsque le burin de silex, poussé plus vigoureusement, mordait la roche vive, celle-ci de couleur gris-bleu apparaissait au fond du sillon tracé : tous ces dessins semblent avoir été repassés à la mine de plomb. Ce fin trait noir dans la blancheur du calcaire oxydé délimite les contours de l’animal et l’ensemble est du plus heureux effet. Ces dessins appartiennent à un art plus développé ! Comme technique, dimensions et minutie de factures, ils ressemblent tout à fait aux délicieuses gravures que nous admirons sur les os ou les galets de nos fouilles. Au-dessus de ce panneau, et dominant l’ensemble des gravures animales, une silhouette bizarre et horrible frappe nos regards : c’est un être d’apparence simiesque qui semble marcher ployé en deux. Une escalade de 3 m le long de la paroi à pic nous permettra de le contempler de plus près. Long d’environ 0,50 m, le dessin représente en réalité une femme masquée. La tête, dont le visage sardonique est de profil, est coiffée d’un massacre de renne. Les cornes et les oreilles, de face, se développent dans toute leur ampleur. Sur le dos du personnage se voit une espèce de crinière (chevelure ?) et derrière pend une queue (queue de cheval ?). Tous les détails, gravés avec beaucoup de soin, ont été rehaussés de couleur noire, plus particulièrement aux jambes et aux pieds. Les seins pendent sur la poitrine ; les bras sont légèrement repliés mais les mains ouvertes sont dirigées vers le sol. Le ventre est volumineux, les cuisses fortes, les pieds énormes dessinés avec minutie : pas un doigt ne manque. En admettant, comme je le crois, que nous ayons affaire à une femme, celle-ci ne présenterait pas les caractères exagérés de stéatopygie des dames de Laussel. N’avons-nous pas là une représentation de scène magique ? Ce qu’il y a de plus mystérieux dans cette figure, c’est ce qui a été représenté sous la queue. On voit comme deux grosses boules accolées. Malgré la bizarrerie de la position, nous avions pensé tout d’abord à une scène d’accouchement ; nous inclinons maintenant à croire que ce dessin est scatologique, à moins que ce ne soit autre chose. Il faudra une étude plus approfondie pour se prononcer.

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Fig. 13 | Croquis du rhinocéros du Sanctuaire par Max Bégouën.

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3. Après la corniche, et après avoir sauté le précipice, nous ne trouvons dans la salle des gours proprement dite que le mystérieux dessin signalé plus haut, gravé au point d’intersection des deux couloirs. Dans le couloir de gauche, nous n’avons jusqu’ici remarqué ni dessin ni peinture, seulement le foyer et le tas de pierres rangées. Dans le couloir de droite, deux oiseaux encadrent, semble-t-il, le petit, mais nous n’avons pu reconnaître l’espèce que ces dessins veulent représenter. Un peu partout sur les parois, parfois sur plusieurs mètres carrés de superficie, s’entrecroisent des lacis qui semblent avoir été faits avec un instrument pectiné. Au fond du couloir, face aux visiteurs, se dresse, éclatant, et haut d’environ 40 cm, un grand signe claviforme rouge près duquel un panneau s’orne de deux grands bisons en partie gravés et en partie dessinés au trait noir. Telles sont les grandes lignes de la description de notre nouvelle caverne. Nous n’avons pas encore trouvé la jonction avec le Tuc d’Audoubert mais nous ne pouvons en être loin. Nous avons établi d’une part la communication avec Enlène, nul doute que nous fassions de même pour le Tuc. Il y a dans la caverne des Trois-Frères quantité de recoins et de petits couloirs que nous n’avons pu explorer au cours de nos trop rares visites. S’échelonnant entre l’Aurignacien et le Magdalénien, les gravures et peintures se rattachent au moins à deux grandes époques. Tandis que certains dessins archaïques frustes et profondément incisés sont souvent inachevés, les sabots manquant le plus souvent, les autres sont gravés d’une main légère par traits fins et rehaussés de raclages délicats. Je ne puis donner ici que de vagues indications sur ces gravures puisque nous n’avons pu les examiner que fort rapidement. Mais dès la victoire nous pourrons nous remettre à nos chères études et donner aux lecteurs de L’Anthropologie des renseignements très précis sur ce que nous ne pouvons qu’esquisser aujourd’hui. Nous leur demandons donc de nous accorder toute leur indulgence. (1) Cette caverne était totalement inconnue, elle a reçu le nom de caverne des Trois-Frères en l’honneur des trois fils de M. le comte Bégouën, qui ont les premiers pénétré dans cette grotte (NDLR). (2) Nous avons essayé d’établir le cours souterrain du Volp. D’une part nous l’avons suivi après sa perte sous la falaise d’Enlène. Nous avons dû traverser en barque deux petits lacs. Près d’une faille haute d’une trentaine de mètres qui débouche dans la galerie supérieure d’Enlène, une voûte mouillante nous a arrêtés à environ 200 m de l’entrée. Nous avons voulu alors remonter le ruisseau par le Tuc d’Audoubert. Après avoir suivi les larges galeries inférieures sur un parcours de plusieurs centaines de mètres pendant lesquels le Volp tantôt coule lentement dans un thalweg et tantôt se perd sous de gros galets, nous sommes arrivés à une vaste salle complètement occupée par un lac. Nous étant mis à l’eau, nous sommes passés par d’étroits couloirs parfois très bas et très profonds où notre tête émergeait seule de l’eau. Ce pénible passage nous a fait ressortir au lieu-dit le Touréou, où un petit ruisseau se perd dans une goule à mi-chemin entre Enlène et le Tuc. Il semble donc que ce n’est que par filtration et siphonnage que le Volp d’Enlène ressort au Tuc d’Audoubert. (3) Depuis, capitaine, décoré de la Légion d’honneur et deux fois cité à l’ordre de l’Armée. (4) Nous avons donné à cet aven le nom de François Camel en témoignage de reconnaissance pour celui qui depuis 1911 nous a secondés dans toutes nos explorations souterraines, avec une habileté et un dévouement au-dessus de tout éloge. Qu’il reçoive ici l’expression de notre gratitude.

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notre souvenir… Nous n’avons rien oublié… Nous avons beaucoup appris ! Les Espas, 3 juin 1918. Cte Bégouën, Max Bégouën, Jacques Bégouën, Louis Bégouën. » Durant le mois de juin, Max réalise ses premières photographies de la grotte des TroisFrères avec le même appareil 13 x 18 à plaques de verre avec lequel, six ans plus tôt, il a photographié les Bisons d’Argile. Par un procédé de bains spéciaux dont il a le secret, il parvient à accentuer le contraste de ses tirages, améliorant notablement la lecture des gravures pariétales. Dès la fin des hostilités, le premier soin des Bégouën est d’inviter l’abbé Breuil à venir découvrir les Trois-Frères. La visite – la première par quelqu’un d’autre que les inventeurs – a lieu le 11 août 1919. C’est un coup de foudre pour l’abbé, qui accepte d’emblée la lourde tâche d’effectuer les relevés des innombrables gravures qu’ils publieront en commun. Rentré aux Espas, il écrit dans le livre d’or (fig. 14) : « Vieux pèlerin des sanctuaires du vieil âge de Pierre, je suis venu au Sanctuaire des 3 Frères, conduit par leurs heureux et hospitaliers inventeurs, j’ai violé à mon tour ses arcanes, transgressé les prohibitions des tabous primitifs, bravé les Lions gravés menaçant de dévorer les intrus, j’ai contemplé le “Saint des saints” des chasseurs de Rennes et de Bisons, j’ai affronté la redoutable silhouette du Sorcier à longue queue, au front couronné de ramures de Renne, j’ai soupçonné les mystères des anciennes Races, et revenant au jour, au milieu de l’âge des machines à vapeur, je songe aux rites évanouis, aux existences écoulées au milieu des chasses et des courses nomades, au temps où le rugissement du Lion et du grand Ours le soir, faisait trembler les hommes, sous leurs abris, blottis autour des feux. » Le 26 juin 1920, première visite des Trois-Frères par Émile Cartailhac, qui écrira dans le livre d’or : « J’avais vu et revu deux fois les Bisons d’Argile. Au cours des sept années écoulées, j’avais joui des souvenirs de ces inoubliables visites. L’annonce amicale et empressée de nouvelles découvertes dans leur voisinage immédiat avait souvent fait battre mon cœur. Mille fois j’avais songé à eux, entendu parler d’eux, essayé de répondre aux questions, de dégager la vérité du roman inévitable et d’ailleurs changeant qu’ils inspiraient à notre imagination. D’autre part, le nombre de faits connexes, Breuil aidant, a singulièrement grandi dans notre France méridionale, en Espagne. Nous les

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Fig. 9 | Le comte Bégouën et ses trois fils lors d’une permission commune en 1915. Fig. 10 | Portrait de Louis, Max et Jacques Bégouën en 1915 (photo Nadar).

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Fig. 11 | Jacques Bégouën et son avion Caudron G.4 à deux moteurs rotatifs Rhône 60 CV au Plessis-Belleville (Oise) le 27 septembre 1917 (photo Max Bégouën).

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suivons aujourd’hui jusqu’au seuil du grand continent noir, le pays où s’éteignent les derniers hommes des bois. Ainsi, le domaine de l’art instinctif de l’humanité a pris dans nos études une importance plus considérable et surprenante. J’ai revu hier les pages si lisibles, aujourd’hui classiques du Tuc d’Audoubert, et les Bisons universellement connus. Je dois dire que leur valeur n’a pas fléchi. Cette découverte du comte Henri Bégouën et de ses trois fils demeure un sommet principal de la science française qui profite des matériaux pour l’histoire naturelle et primitive de l’homme pour éclairer les philosophes. Nous avons mieux observé la fragilité de l’œuvre d’art jusqu’ici victorieuse des lents effets des vibrations du sol, des secousses des tremblements de terre dont l’action est nette dans les galeries. Les appuis que le maître imagier a inventés pour la dresser sans paraître et la maintenir indéfiniment ont suffi. Sur ce frêle échafaudage se base sûrement notre claire vision du génie de l’homme s’élevant au-dessus du travail matériel, dans le monde des idées, poursuivant son idéal, affirmant ses espérances suivant les vœux de l’âme contemporaine. La Caverne “des trois frères”, bien qu’elle traverse les mêmes…, change plusieurs fois de niveau. Elle se prolonge dans la colline qui se tasse et par places est effondrée ; dans les voûtes, on voit le fond des avens, on contourne les piles des blocs énormes demeurés instables et menaçants. Nous circulons dans les salles où les pas des anciens hommes et des grands ours sont marqués sur l’argile et, non sans peine, au travers des couloirs étroits et surbaissés. De toute part, les stalagmites et stalactites sont admirables. Nous notons celles qui se formèrent, là comme ailleurs, après la période des éléphants, des bisons et des rennes. Dans les intervalles apparaissent fraîches, en dépit des millénaires écoulés, les gravures et les signes peints. Quand on arrive au point le plus éloigné, qui est aussi le plus grandiose, l’aspect majestueux n’est pas seul à nous impressionner. Les dessins magiques couvrent les parois, si nombreux qu’on en perd le compte, si variés qu’on se demande quel est le gros gibier qui manque, toute la faune y est représentée. En haut, près de la voûte, comme s’il dominait son paradis terrestre, l’homme est peint. Il est nu, mais sa tête est couverte par celle d’un renne dont l’ample ramure s’étend le long de son dos. Il est en effet accroupi, il marche comme un quadrupède ; c’est l’allure qu’il prend au cours de ses ruses de chasse, on ne peut douter que ce ne soit l’action préalable, la cérémonie rituelle, l’invocation magique du pouvoir surnaturel qui favorisera, les jours suivants, durant la saison peut-être, sa poursuite des animaux et ses captures. Je ne pouvais songer à escalader le passage qui conduit dangereusement aux régions où perchent les chouettes. Elles gardent pour moi l’attrait d’un large inconnu. On pourra plus tard en faciliter l’accès. Dans toutes nos cavernes où survivent, en dépit des millénaires écoulés, les séries d’œuvres d’art de quelques phases paléolithiques, on a, sur tous les pas, rencontré des problèmes, et suivant le mot de Victor Hugo : “Tout ce qu’on aperçoit trouble ce qu’on suppose !” L’accueil, dans ce domaine souterrain des châtelains des Espas, fut lui-même bien au-delà des souvenirs de ma longue vie. Dans le dédale aux colonnes blanches, féerique forêt, le long des avenues accidentées en tous sens, dans les fantastiques jeux de lumière des lampes mobiles et exercées, la voix et le geste me maintenaient sur la piste où les pas des anciens hommes sont encore marqués dans l’argile autour des squelettes d’ours étendus sous leur léger linceul de pierre. J’avais près de moi des mains attentives, assurées, qui m’aidaient à franchir les obstacles, à mieux regarder. Que le charme de l’amitié dépassait les attraits de l’archéologie la plus affectionnée ! L’une de ces mains secourables se distinguait par sa douceur, sa patience, sa fine fermeté. C’était celle de


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la nouvelle dame du château, conquise comme dans nos légendes protohistoriques par l’un des trois frères, l’un des héros de Verdun, finissant son vol d’avion pour la prendre dans ses bras. Déjà le sourire de leur enfant anime tous les visages autour d’eux et réjouit tous les cœurs. 24 juillet 1920, Émile Cartailhac, l’Ami des quatre générations. » La période des découvertes « historiques » aux Trois-Frères s’achève ici. D’autres suivront, grandes ou petites. Ce seront surtout de nouvelles gravures, des objets mobiliers cachés ou déposés dans les parois, des traces dans l’argile, des points rouges ici ou là – et ce sera toujours pour celui qui les découvrira un plaisir renouvelé.

1. Nous n’avons pas retrouvé ce document.

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Fig. 12 | Après quatre années de guerre, les trois frères reviennent au Tuc et signent le livre d’or. Fig. 14 | Reproduction de la dédicace de l’abbé Breuil dans le livre d’or après sa première visite aux Trois-Frères.

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Les recherches de 1918 à 2011

B Fig. 19 | Remontage de plusieurs diapositives pour créer un déroulé du Sorcier (photo et montage Jean Vertut).

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Bien que la principale préoccupation des Bégouën soit la bonne conservation de leurs grottes, la recherche aux Trois-Frères va s’exercer selon quatre axes principaux : la topographie, les fouilles, les relevés pariétaux et les photographies. En juillet 1920, Jacques Bégouën et Marguerite, sa jeune épouse, lèvent une topographie très précise des Trois-Frères, en notant l’emplacement des principales aires d’art pariétal et celui des premières fouilles (fig. 15). Celles-ci sont forcément très limitées car la couche archéologique est absente dans la majeure partie de la grotte. Elle n’est décelable que très superficiellement dans la Chapelle de la Lionne, que Max fouille partiellement en 1920, dans le Couloir du Faisan, où l’abbé Breuil effectue un sondage limité en 1936, et dans la Salle du Foyer, qui est conservée intacte. En 1921, pour agrandir le couloir qui mène d’Enlène aux Trois-Frères et faciliter ainsi le passage, Breuil demande aux Bégouën d’en fouiller la partie gauche et, pour aller plus vite, entreprend d’y fouiller lui-même, aidé de M. Estanove, du Muséum de Toulouse. Mais les trois frères s’en inquiètent, et Louis l’exprime clairement à son père dans une lettre datée du 25 août : « À mesure que nous recevons vos lettres et les détails sur les fouilles, nous regrettons tous de plus en plus que ces messieurs n’aient pas attendu le mois de septembre pour venir, époque à laquelle nous aurions été tous ou en partie aux Espas. Ne pouvant vousmême les accompagner tous les jours (et vous faites très bien de ne pas vous éreinter pour les grottes), la grotte devient leur propriété et bientôt le nom de Bégouën disparaîtra devant celui de Breuil-Estanove etc. Ce ne sont que les circonstances qui ont fait que jusqu’à présent nous n’avons pas pu faire cela nous-mêmes. Si trop de monde vient, nous ne pourrons plus rien dire, tout aura été vu et découvert par les autres, et ce serait vraiment dommage d’abandonner une si belle grotte. Que Breuil relève les dessins, très bien, mais pour les fouilles, nous pourrions très bien les faire nous quatre sans que d’autres viennent à leur aise tout remuer sans nous. Mais j’espère que Breuil a trop de travail avec les dessins pour avoir le temps de fouiller et c’est ce qui me console. Qu’il

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Fig. 18 | Le comte Henri Bégouën et son petit-fils Robert à Pujol en 1952 (photo Jean Dieuzaide). Fig. 16 | Le Grand Bouquetin du Sanctuaire en 1918, cliché sur plaque de verre de Max Bégouën. Fig. 15 | Première topographie des Trois-Frères, réalisée par Jacques et Marguerite Bégouën en 1920.

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ne relève que les dessins ne pouvant être photographiés pour ne pas les abîmer. Songez que les visiteurs ne cherchent toujours que la belle pièce, le reste importe peu. » En 1925 et les années suivantes, Louis fouille la base du Grand Éboulis dans la salle du même nom, y mettant au jour de nombreux ossements de faune quaternaire, dont un squelette de bison en connexion anatomique. Mais sa fouille préférée demeure celle qu’il poursuit à Enlène jusqu’en 1937 et qui lui donne un important mobilier magdalénien comportant des centaines de plaquettes gravées et de nombreux objets d’art, dont certains sont aujourd’hui des classiques du genre. Cette année-là, considérant que ses méthodes sont dépassées, il prend la décision d’arrêter ses fouilles pour conserver les gisements et permettre aux générations futures d’y fouiller à leur tour… L’abbé Breuil réalise son œuvre immense de relevés pariétaux entre 1920 et 1922, puis de 1928 à 1938, et devient ainsi un familier de notre maison. Ses séjours durent de quelques jours à plus d’un mois et sont épuisants pour ma mère, qui, avec ses cinq enfants et malgré le personnel présent à Pujol, doit gérer ce visiteur exigeant qui accapare beaucoup mon père durant les grandes vacances. Année après année, il va s’acquitter de sa tâche avec le talent que l’on connaît malgré les difficultés dues à la profondeur de la grotte, au nombre des dessins et à leur situation, la plupart du temps malcommode : boyaux étroits entièrement décorés, surplombs, etc. Un aide lui tient la lampe à acétylène à bout de bras, ce qui occasionne à la longue de terribles crampes qu’il convient d’endurer… Certains relevés sont d’une complexité inouïe, si bien que Breuil accomplit là un authentique exploit technique et artistique dont l’ensemble forme un monument du genre. Il dira lui-même qu’il n’avait jamais rien fait de plus difficile que les relevés du Sanctuaire des Trois-Frères. Après bien des vicissitudes dues principalement à la Seconde Guerre mondiale et à un trouble oculaire qui l’oblige à confier au chanoine Bouyssonie la mise au net de ses précieux relevés, la monographie des Cavernes du Volp paraît enfin en 1958. Elle fait le point sur l’essentiel de ce qui est connu dans les grottes d’Enlène, des TroisFrères et du Tuc d’Audoubert, cependant l’accent est nettement mis sur l’art pariétal des Trois-Frères, qui occupe à lui seul les trois quarts du volume. Tout naturellement, Max est le premier photographe des Trois-Frères. Son objectif nécessitant un certain recul, il lui interdit les étroits boyaux décorés, mais les principales œuvres accessibles sont cependant photographiées et leurs tirages particulièrement travaillés pour en accentuer le contraste (fig. 16). En 1935, une trentaine de clichés sont réalisés par le Field Museum of Natural History de Chicago sous la conduite


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de Louis et de l’abbé Breuil (fig. 17). Le photographe toulousain Jean Dieuzaide fait en 1952 un reportage sur la famille (fig. 18) et quelques images sont prises dans les grottes. Il faut ensuite attendre 1960 pour qu’un nouvel appareil entre aux TroisFrères : en effet, les laboratoires pharmaceutiques Abbott sponsorisent la première photo en couleurs du Sorcier, qui paraîtra la même année dans leur nouvelle revue Abbothérapie ! Le photographe ethnologue Jean-Dominique Lajoux a été choisi pour son expérience et opère sous la direction de Max et du docteur Léon Pales. Toute une expédition est mise en place parce qu’un échafaudage est nécessaire pour atteindre le Sorcier, à 3 m du sol, au-dessus de tous les grands panneaux gravés si fragiles du Sanctuaire. Son montage et son démontage, auxquels je participe avec ma sœur Florence, s’effectuent avec les plus grandes précautions. Le 28 juin 1957, Breuil écrit à mon père, qui vient de subir une longue série d’épreuves (deuils, maladies, problèmes financiers), une lettre très affectueuse, hélas en partie illisible à cause de son écriture de plus en plus défectueuse. Pour l’encourager, il lui recommande de reprendre des fouilles et de s’occuper de ma formation : « Que faitesvous aux 3 Frères et Enlène – J’espère que vous aurez l’énergie de vous remettre à y fouiller encore ; vous n’avez pas épuisé le site, et il vous attend avec ses plaquettes gravées, ses os sculptés et gravés dont la découverte vous donnera un nouvel élan, et peut-être à former votre gentil Robert, qui est intelligent et observateur, et qui peut être le continuateur de la dynastie des Bégouën en préhistoire pour le dernier siècle qui s’achève. » En 1963, je décide de m’installer en Ariège, auprès de mon père, pour l’aider dans sa lourde tâche de propriétaire de grottes. Deux ans de sanatorium m’ont en effet permis de rêver ma vie dans le cas où je retrouverais la santé, et je sais désormais les grandes orientations que je vais lui donner… En préhistoire, mon premier objectif est d’entreprendre le repérage le plus complet possible de tous les vestiges archéologiques des Cavernes du Volp, art pariétal compris. Aux Trois-Frères, cette prospection systématique m’amène dans la Salle du Foyer, que Louis Bégouën avait écarté des visites pour protéger son potentiel archéologique. Il y avait remarqué son important aménagement lithique, des traces de foyers sur le sol et un petit cheval gravé très finement la tête en bas sur un lobe de calcaire poli par les ours. Les saillants calcaires polis proches de celui du petit cheval, tout autour de la salle, attirent alors mon attention. Ils présentent aussi des formes arrondies, mais elles sont recouvertes d’une très fine pellicule d’argile. Avec un doigt humecté de salive, le voile ténu est enlevé sur

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Fig. 17 | Halte dans la Salle du Théâtre, l’abbé Breuil et ses aides (courtesy of Field Museum of Natural History, Chicago).

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quelques centimètres carrés, révélant des traits d’une extrême finesse : à l’évidence, des gravures existent sous l’argile là aussi ! Le lavage délicat de la paroi sera effectué quelque temps après, avec l’eau des gours abondante à proximité. Si les résultats dépassent mes espérances, les difficultés d’une étude future apparaissent aussitôt : l’enchevêtrement, les superpositions, le nombre et la finesse des traits sont tels que le relevé par calque ne peut être envisagé. Les expériences photographiques ultérieures seront décevantes étant donné la superficialité des gravures, qui empêche de jouer avec l’ombre habituelle des sillons. De 1964 à 1976, Jean Vertut, qu’André Leroi-Gourhan nous a envoyé pour l’illustration de son magistral ouvrage Préhistoire de l’art occidental, et moi-même réalisons une couverture photographique des Cavernes du Volp (fig. 19). Jean et Yvonne Vertut viennent chez nous une ou deux fois par an et nous passons des journées entières sous terre, où je bénéficie du talent et de la grande culture de Jean. En 1968, notre ami le professeur Kühn nous recommande le photographe Heinrich Wendel, qui, sous ma conduite, met sa vision d’artiste scénographe au service de l’art pariétal (fig. 20). Enfin, depuis la disparition de Jean, j’ai continué le travail entrepris grâce au savoir-faire qu’il m’avait transmis, souvent aidé de Jeanne, mon épouse, et de mon ami Jörg Hansen. Les années 1968 et 1969 sont consacrées à la topographie avec un géomètre expert minier, Marcel Henry, attaché à la mine de tungstène de Salau (Ariège). Presque bénévolement et par amour pour nos grottes, dont la visite l’a fasciné, il accepte de réaliser le relevé topographique des trois cavernes, à raison d’un week-end sur deux et toujours accompagné de son épouse. Nous commençons nos journées tôt le matin car le matériel, lourd et très fragile, nous est prêté par la Société minière d’Anglade, qui exploite la mine de Salau. Certains points topographiques sont très difficiles à obtenir : je me souviens qu’un samedi soir à 17 h, dans la Cheminée du Tuc, le « point » n’était pas encore saisi alors que nous y travaillions depuis le matin ! Plus personne ne parlait, des gouttes de transpiration perlaient sur le front de Marcel Henry, dont l’œil était rivé au viseur de son théodolite, quand, tout à coup, nous entendîmes un « Je l’ai ! ». Inutile de dire le soulagement de tous, car ce point conditionnait les suivants… C’est une visite d’Henry de Lumley et de son collaborateur René David qui va relancer en 1984 la recherche aux Trois-Frères. Devant les panneaux gravés de la Salle du Foyer, j’évoque la difficulté d’une étude future. C’est alors que mes visiteurs m’informent qu’il est techniquement possible de mouler « aux élastomères » l’ensemble des panneaux, et qu’ils seraient prêts à m’aider pour réaliser le travail. À la demande de Jean Clottes, alors directeur des Antiquités préhistoriques de Midi-Pyrénées, un essai est effectué sur une borne calcaire gravée provenant du Couloir du Faisan et qui fait partie de la collection Bégouën au musée de l’Homme à Paris. L’expérience étant concluante, une autorisation administrative pour le moulage exceptionnel de parois gravées aux Trois-Frères est aussitôt demandée et acceptée. Ces moulages seront réalisés dans la Salle du Foyer et dans le Couloir du Faisan de 1985 à 1987, et rendront possible l’étude minutieuse de leurs nombreuses gravures. Valérie Feruglio en effec-


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tue les premiers relevés dès 1985. Mais, chemin faisant, l’importance de leur contexte archéologique devient évidente. La fouille de la petite salle pourrait même s’effectuer tout en laissant le mobilier trouvé en place, étant donné la minceur de la couche archéologique et la sécurité de la grotte. Je m’ouvre de ce projet à Jean Clottes, avec lequel nous fouillons la grotte d’Enlène et qui regroupe à Pujol, durant trois semaines en été, près de trente jeunes fouilleurs. L’idée est de profiter de toute l’organisation de ce chantier pour lever une équipe dans l’équipe de deux à trois personnes seulement – Andreas Pastoors sera une de celles-là – qui ira fouiller aux Trois-Frères sous ma direction. C’est ainsi que, de 1987 à 1990 inclus, la Salle du Foyer est fouillée et tous les objets mis au jour laissés in situ. Dans le même temps, afin de dresser l’esquisse d’une carte archéologique de l’ensemble de la grotte, des sondages très limités ainsi que plusieurs datations sont effectués dans la Galerie des Mains, la Chapelle de la Lionne, la Salle du Grand Éboulis et le Couloir du Faisan. Ces travaux feront l’objet de rapports adressés année après année à la direction régionale des affaires culturelles. L’année 1990 marque aussi la fin de quatorze ans de recherches en grotte à Enlène. Redoutant alors la dispersion de l’équipe, je réunis autour de moi dès 1991 un petit groupe de chercheurs dont la motivation ne fait aucun doute pour étudier le Tuc. Comment pouvais-je imaginer alors que cette nouvelle recherche ne se terminerait qu’avec la parution de la monographie exhaustive de la grotte, Le Sanctuaire secret des Bisons, en… 2009 ! Je savais pourtant que l’étude d’une grotte paléolithique est un peu comme une pelote de laine : par quelque bout qu’on la prenne, si on tire un fil, c’est l’ensemble qui vient ! Et c’est ainsi que, durant ces presque vingt ans, la publication du présent ouvrage attendra son tour… Entre-temps, il y a quelques années, mon fils Éric décide de parfaire sa connaissance des divers panneaux gravés du Sanctuaire des Trois-Frères. Un dimanche après-midi, alors qu’il étudie le panneau du Mammouth, photocopie des relevés Breuil en main, il découvre une gravure véritablement surprenante : un phallus gravé de 59 cm de long (Bégouën et Bégouën, 2013a ; 2013b) ! Il vient aussitôt me chercher et, d’abord incrédule, je devrai bien vite me rendre à l’évidence. Il s’agit d’une découverte d’importance, et je suis heureux qu’elle soit le fait du regard neuf d’une nouvelle génération.

HISTORIQUE | LES RECHERCHES DE 1918 À 2011

Fig. 20 | Salle des Gours après une période pluvieuse, cliché Kodachrome 25 ASA (photo Heinrich Wendel).

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La gestion et la conservation d e s Tr o i s - F r è r e s et d’Enlène

L Fig. 21 | Retour d’une visite aux Trois-Frères en 1952.

Les Cavernes du Volp bénéficient, dès les premières découvertes en juillet 1912, de facteurs favorables à leur étude et à leur conservation. En effet, et c’est une chance, notre famille s’intéresse depuis longtemps à l’ancienneté de l’homme (Bégouën, 1879), et cette culture humaniste va lui permettre de prendre aussitôt la mesure des événements. De nombreux hommes de science figurent parmi les amis des Bégouën. L’un d’eux, Émile Cartailhac, sera véritablement providentiel. L’aventure commence à Pâques 1911, un an avant la découverte du Tuc d’Audoubert. Au cours d’une excursion à Enlène, les trois fils Bégouën et leur père trouvent un magnifique propulseur. Enthousiasmé, Max s’inscrit au cours de Cartailhac à la rentrée d’octobre. En 1912, de nombreuses grottes ornées ont été reconnues, certaines déjà exploitées et abîmées. En août 1914, alors que la grotte des Trois-Frères vient d’être découverte, les hostilités éclatent. Les trois inventeurs, mobilisés, se promettent alors de ne pas terminer l’exploration avant qu’ils ne soient tous les trois réunis. Mais cette opportunité ne se réalisera que le 3 juin 1918 ! Cette longue parenthèse a permis aux jeunes gens de mûrir, de prendre de la distance par rapport à leurs découvertes et de s’enrichir de nouveaux amis dont certains auront une influence certaine sur eux, comme le père Teilhard de Chardin. Une philosophie de la conservation va très vite s’élaborer devant la qualité et la quantité des vestiges mis au jour. Le sentiment immédiat de leur effroyable vulnérabilité impose l’exigence de leur respect absolu et de toute une stratégie découlant surtout du simple bon sens. C’est ainsi qu’il n’a jamais été envisagé d’ouvrir ces grottes au public, malgré les pressions que Louis repoussera à plusieurs reprises dans la première moitié du XXe siècle, jusqu’à ce que la fermeture très médiatique de Lascaux en 1963 montre à tous les dangers évidents d’une telle ouverture. Les visites sont réservées aux préhistoriens, sous la conduite d’un guide familial : Max et surtout Louis

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Maximilien, comte Bégouën (1826-1885) D’une profonde érudition tant littéraire que scientifique, polyglotte, Maximilien Bégouën est doté d’une curiosité sur tous les problèmes que soulèvent les différentes branches du savoir humain. Non seulement l’origine de l’homme, mais l’origine de la vie constituent l’objet de ses préoccupations et de ses études, comme en témoignent ses correspondances suivies avec les plus réputés des naturalistes, physiciens et archéologues de l’Europe, tels Quatrefages, le marquis de Nadaillac, Crookes… Bien que géologue de formation, il est nommé en 1871 receveur général des finances à Périgueux, où il se lie d’amitié avec le docteur Galy, conservateur du musée du Périgord. Cette année-là, dans les déblais de fouilles de Laugerie-Basse, il trouve sur un fragment d’omoplate un enchevêtrement de gravures magdaléniennes dans lequel se reconnaissent un équidé et trois pattes de cervidé. Le président Adolphe Thiers le nomme en 1872 trésorier payeur général à Toulouse. Cette haute fonction ne l’empêche pas de se rapprocher de ses centres d’intérêt et de rencontrer les préhistoriens locaux tels Noulet, Garrigou, le docteur Joly, Filhol et surtout Cartailhac, qui, malgré sa jeunesse, fait déjà autorité. Maximilien apprécie et soutient ce jeune homme passionné par la science, courageux, téméraire parfois dans ses déductions et ses idées, mais dont la bonne foi lui paraît absolue.

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Leurs études classiques terminées, il emmène ses fils Henri et Marcel visiter l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie. Nulle part on n’oublie de voir dans les musées les collections préhistoriques. Ils rapportent des mines de sel de Hallein, en Autriche, deux manches de hache en bois de l’âge du bronze qui font l’objet d’une publication en 1881 dans Les Matériaux. La lecture des travaux de Charles Darwin, de Claude Bernard et de Louis Pasteur inspire à Maximilien un essai intitulé La Création évolutive (Bégouën, 1879). Il y propose une lecture spiritualiste de la doctrine de l’évolution, si combattue alors, qui ne serait pas incompatible avec la conception chrétienne de la Genèse, devançant en cela de plusieurs décennies Bergson et Teilhard de Chardin. Lorsque le savant britannique William Crookes découvre la radiation, il en pressent aussitôt l’importance et lui consacre plusieurs articles dans La Revue scientifique (par ex. : 1882) et le Bulletin de la Société d’histoire naturelle de Toulouse. Dans un livre publié après sa mort, La Vibration vitale (Bégouën, 1885), il s’étend sur l’importance jusqu’alors insoupçonnée des vibrations et des ondes et semble même annoncer la TSF. Il meurt en 1885, à l’âge de cinquante-neuf ans. Ses fils offrent l’ensemble de ses collections de minéralogie, de paléontologie et de préhistoire aux Muséums de Paris et de Toulouse, où son nom figure sur les tableaux des donateurs.


pour la première génération, moi-même ou mon fils Éric aujourd’hui. Ce principe, qui ne souffre pas d’exception, nous permet d’assumer pleinement notre responsabilité. Les visites dépassent rarement quatre personnes, et seules les stations les plus importantes et les moins délicates sont montrées. Aux Trois-Frères, le boyau prolongeant le Sanctuaire amenant aux « Petits Rennes » est très rarement visité étant donné son extrême vulnérabilité et, lorsqu’il l’est, c’est par une seule personne à la fois. En effet, ce boyau est étroit, entièrement gravé et recouvert par endroits d’une fine pellicule d’argile dont les Magdaléniens ont su tirer profit, mais dont la moindre chaleur ou le moindre effleurement provoquerait la destruction. Depuis 1913, une cérémonie est incontournable après une visite au Tuc ou aux TroisFrères : la signature du livre d’or. Ces deux volumes conservent ainsi la trace de tous leurs visiteurs, dont le décompte jusqu’en 1979 a déjà été publié (Bégouën, 1981). Un nouveau dénombrement donne les chiffres suivants au 31 décembre 2012, soit cent ans après la découverte du Tuc d’Audoubert : – Tuc : 307 visites et 1 178 visiteurs, soit environ 3 visites annuelles de 4 personnes ; – Les Trois-Frères : 431 visites et 1 731 visiteurs, soit 4,3 visites annuelles de 4 personnes. Les aménagements intérieurs sont réduits au strict minimum indispensable (trois échelles pour les Trois-Frères) pour rendre les visites possibles sans dénaturer les galeries par la présence de matériaux exogènes, béton compris (fig. 21). En effet, nous attachons une grande importance à ce que la gestuelle qu’il est nécessaire d’accomplir pour parcourir nos cavernes soit la plus proche possible de celle des Magdaléniens. Des sentiers balisés ont été mis en place au Tuc d’Audoubert d’abord, puis aux Trois-Frères et enfin à Enlène. Ils facilitent les visites tout en permettant aux sols de garder leurs traces préhistoriques s’il y en a, leur aspect et leur équilibre naturels. Les fils sont placés au ras du sol pour que les chauves-souris ne s’y suspendent pas et ne laissent pas tout au long du cheminement des traces de guano : ce petit phénomène vécu montre bien que, à la longue, même un modeste fil peut être un élément perturbateur en milieu souterrain ! Les cordelettes sont fixées aux aspérités de la grotte ou à des concrétions, mais aucun piquet n’a été fiché dans le sol ou en paroi pour les faire tenir. En effet, dès le début, il a paru évident aux inventeurs que, dans une grotte ornée, absolument tout est à protéger – non seulement les endroits gravés ou peints, mais aussi l’ensemble de leur contexte environnemental, même si celui-ci ne semble rien contenir de spécial. C’est d’abord une question d’éthique, mais c’est aussi un impératif scientifique, car c’est bien souvent dans ce contexte que se cachent de petites traces anthropiques que seul le préhistorien averti pourra déceler dans le cadre d’un travail minutieux de recherche. Le premier « relevé » pariétal aux Trois-Frères est réalisé par Max Bégouën le jour même de la découverte, avec le croquis du Sorcier. Plus tard, l’abbé Breuil procède par calque direct, d’usage courant à l’époque, au moyen de feuilles de papier transparent de fleuriste qu’il froisse pour les rendre plus souples et d’un crayon très tendre. Il s’acquitte de cette lourde tâche avec le soin que l’on sait, et l’on peut dire que son crayon, dans la grande majorité des cas, n’a pas modifié l’aspect du trait magdalénien, du moins ce que l’on peut en voir à l’œil nu. Les apports mobiliers, déplacés, déposés, fichés ou abandonnés sur le sol ou dans les anfractuosités des parois par les Magdaléniens, ont été dans leur très grande majorité laissés in situ par leurs découvreurs. Avec Jean Clottes, nous avions pris la décision de prélever provisoirement quelques silex de cette catégorie pour les étudier et les dessiner (Bégouën et Clottes, 1981a). Notre doctrine a évolué sur ce plan-là, si bien que ceux que nous avons découverts depuis n’ont pas été touchés, privilégiant non seulement la valeur émotionnelle que leur confère leur état, mais aussi le fait qu’ils demeurent ainsi rigoureusement dans leur situation originelle, potentiellement porteuse de nouvelles observations.

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Pendant les trois premiers quarts du siècle dernier, le seul éclairage utilisé est la lampe à acétylène. Un endroit spécifique leur est réservé dans le garage familial et c’est généralement au plus jeune qu’il incombe la tâche de « faire les lampes », mais jamais à une tierce personne : un apprentissage est nécessaire car il ne faut surtout pas qu’elles fument, signe d’un bec défectueux. En effet, la fumée produite par une mauvaise combustion pourrait laisser des traces sur les parois. Une fois dans la grotte, il convient de ne pas approcher de trop près la flamme des gravures. Une extrême attention est alors requise pour éclairer certaines figures du Sanctuaire des Trois-Frères, surtout celles qui conservent à leur surface une pellicule d’argile. Les photophores si chers aux spéléologues sont absolument bannis, tout comme les casques, ennemis des voûtes basses et des stalactites. Depuis une trentaine d’années, les visites ne s’effectuent qu’avec des lampes électriques à la lumière froide, et cette qualité doit demeurer la règle incontournable dès que l’on s’approche des parois ornées. Le vieil adage « Pour vivre heureux, vivons cachés » a été, et demeure dans une certaine mesure, mis en pratique pour laisser les Cavernes du Volp à l’écart de la curiosité profane, virtuellement porteuse de dangers de tous ordres. Localement surtout, une grande discrétion a toujours été de rigueur. C’est ainsi que nous nous sommes toujours détournés de la vente de cartes postales, diapositives, moulages et autres produits dérivés, car nous sommes persuadés qu’une trop grande vulgarisation de ces grottes leur serait fatale un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre. Avant que l’expression ne soit à la mode, il s’agissait là d’un principe de précaution. Cependant, afin d’anticiper les interrogations légitimes du public intéressé, nous avons ouvert un site Internet, www.cavernesduvolp.com. Il y trouvera l’essentiel sur ces grottes, les noms de leurs responsables, les recherches et publications réalisées, ainsi que les raisons de leur fermeture. Les parutions du Sanctuaire secret des Bisons, monographie du Tuc, et du présent ouvrage sur les Trois-Frères s’inscrivent dans cette même démarche. De plus, nos visiteurs n’ont jamais été autorisés à réaliser des photographies. D’abord pour garder la maîtrise des images, mais aussi parce qu’une grande connaissance de la morphologie des galeries ornées est nécessaire pour photographier les gravures sans danger pour les parois ornées environnantes. Dans le même esprit, aucune caméra n’a été admise à cause de la chaleur émise par les lampes, des évolutions des opérateurs et de la crainte d’une médiatisation aux effets incertains. Cependant, les techniques modernes de prise de vue et de restitution de l’art pariétal ouvrent de nouvelles perspectives. Nous conservons tous les clichés originaux dans notre photothèque dans le respect des méthodes actuelles, dont le classement est par ailleurs difficile étant donné la diversité des supports et des formats. Mais, du seul point de vue de la conservation, l’intérêt de pouvoir comparer une même œuvre photographiée à plusieurs décennies d’écart est évident, et nous y avons souvent recours.

La recherche Les recherches sont toujours effectuées avec la collaboration effective ou au moins la présence d’un responsable familial (Henri et Louis pour les premières générations, Robert ou Éric aujourd’hui). Outre sa compétence dans tel ou tel domaine en préhistoire, il est la mémoire, le lien et le modérateur entre les différents chercheurs, et fait en sorte que les choses se fassent.

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Nous sommes conscients que, à première vue, cette politique peut être perçue comme un frein à la recherche, qu’elle limite forcément. Mais, en fait, tout dépend de la problématique choisie et du niveau de recherche voulu, en fonction de la conservation, du temps et des moyens techniques disponibles. En tout cas, il nous paraîtrait bien hasardeux de donner libre cours à toutes les recherches possibles dans une grotte, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Chaque discipline ayant ses spécialistes et leurs collaborateurs, cela impliquerait beaucoup d’allées et venues sous terre, entraînant chacune leur potentiel de risques. Les Cavernes du Volp ne sont pas menacées et ont donc le temps pour elles. Cependant, je me dépêche d’ajouter que les travaux déjà effectués ou en cours montrent que, de 1976 à 2013, soit trente-sept ans, pas une seule année ne s’est écoulée sans son programme de recherche autorisé, contrôlé et financé (pour les dépenses de fonctionnement seulement, celles relatives à l’investissement l’étant par l’association Louis Bégouën) par le ministère de la Culture, avec les chercheurs de premier plan qu’elles imposent. Les collections ont également fait l’objet de nombreux diplômes universitaires français et étrangers. Une attention particulière a été portée à la notion d’économie du gisement. Louis Bégouën avait ouvert cette voie en 1937 en arrêtant volontairement ses fouilles à Enlène, me permettant ainsi de les reprendre avec Jean Clottes et toute une équipe quarante ans plus tard. Au bout de quinze campagnes fructueuses, nous avons à notre tour arrêté nos travaux, laissant de vastes secteurs pour les générations futures et non de simples témoins, comme c’est trop souvent le cas. La même philosophie a été appliquée au Tuc d’Audoubert.

L’héritage et la maîtrise du foncier En 1921, Louis hérite du domaine de Pujol, sous lequel se trouvent les grottes. Et c’est tout naturellement qu’il assumera cette lourde responsabilité durant de longues années. Au soir de sa vie, en 1972, il fonde avec ses quatre enfants la Société civile du domaine de Pujol. C’est un premier pas pour éviter un éventuel démantèlement, mais qui comporte encore bien des incertitudes : que fera-t-on si l’un des porteurs de parts, dont le nombre sera appelé à se multiplier avec les générations, décide de vendre les siennes ? Qui pourra ou voudra, dans la famille, racheter des parts ne générant pas de revenus mais de nombreuses obligations ? C’est alors qu’est fondée, en 1989, l’association Louis Bégouën, dont l’objet est la propriété, la conservation et l’étude des Cavernes du Volp. Il lui est apporté l’héritage archéologique familial, c’est-à-dire la propriété foncière sous laquelle passent les galeries, un grand bâtiment des communs du château de Pujol et l’ensemble des collections. Régie par la loi de 1901, une organisation interne originale et stricte a été mise en place permettant d’optimiser la stabilité de son conseil d’administration et par conséquent celle de la philosophie voulue par ses fondateurs. Tout au long du XXe siècle, des échanges de terres – non des achats – ont eu lieu avec nos voisins agriculteurs. La non-valorisation commerciale des grottes les a rendus possibles. Cette maîtrise de l’environnement extérieur nous a permis de gérer cet espace foncier avec beaucoup de précautions. Pour ne pas changer brutalement les équilibres naturels complexes et préexistants, les bois ne sont jamais coupés à blanc et le parcellaire traditionnel a été respecté, avec ses chapelets de dolines et de lapiés si caractéristiques du karst. Aucun chemin n’a été élargi mécaniquement à l’aplomb des grottes et nous veillons à ce que les terres agricoles ne soient fertilisées qu’avec des apports naturels, en limitant au maximum l’utilisation de produits chimiques, aux conséquences souterraines incertaines.

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Les fermetures d’Enlène et des Trois-Frères À Enlène, une muraille barrant le porche d’entrée est élevée dès son acquisition en 1925, avec une porte métallique en son milieu. Cependant, des ouvertures naturelles ne permettant pas le passage d’un homme n’ont pas été obturées pour ne pas « perturber les courants d’air », comme on disait autrefois… Cette porte, aujourd’hui en acier inoxydable, est doublée à l’intérieur d’une forte grille de sécurité. Aux Trois-Frères, les fermetures sont constituées d’une grille et d’une porte en acier inoxydable. La mise en place de la porte, vers 1930, a été effectuée de façon à ce qu’elle ne modifie en rien la ventilation de la grotte à cet endroit. Il en a été de même dans les années 1970 pour l’Aven de la Découverte, qui a été sécurisé par la pose d’une grille (fig. 22).

Classement au titre des sites d’intérêt national

Fig. 22 | L’Aven de la Découverte aujourd’hui, avec Marie-Brune Bégouën.

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Notons tout d’abord que les Cavernes du Volp ne sont pas classées au titre des monuments historiques, les Bégouën ayant courtoisement décliné, tout au long du XXe siècle, les propositions de rejoindre la liste. Il s’agissait surtout d’un signe de protestation discret devant l’état de dégradation dans lequel se trouvaient alors de nombreuses grottes ornées françaises, pourtant classées depuis longtemps. Mais un incident nous alertera sur la nécessité d’une protection juridique du site et surtout de son environnement. Étant maire de la commune de Montesquieu-Avantès


depuis 1965 (après mon père, qui l’était depuis 1946), je reçois en 1998 une demande d’implantation d’un grand élevage de porcs en plein air qui se situerait sur des parcelles de terre juste en amont de la grotte d’Enlène, à la limite de notre propriété. Mes appels au secours auprès des autorités révèlent alors qu’aucun moyen juridique n’existe pour empêcher cet élevage. Heureusement, je réussirai à persuader le demandeur de chercher un autre terrain ! C’est ainsi que la DRAC Midi-Pyrénées, en accord avec la DREAL (ex-DIREN), a l’idée d’un classement au titre des sites d’intérêt national. Les nombreuses études induites par le projet reconnaissent un périmètre prenant en compte non seulement l’ensemble des grottes et le bassin versant du Volp en amont de celles-ci, mais aussi son environnement humain, historique et paysager, soit 1 928 ha. Enfin, après une longue période d’instruction et avis du Conseil d’État, le Journal officiel du 23 juin 2013 publie : « Par décret du 21 juin 2013, est classé parmi les monuments naturels et les sites du département de l’Ariège l’ensemble formé par le bassin hydrogéologique du massif karstique du Volp et les paysages remarquables qui lui sont liés, sur le territoire des communes de Camarade, de Lescure et de Montesquieu-Avantès. »

Bilan d’une philosophie Une heureuse destinée a permis aux grottes des Trois-Frères et du Tuc d’Audoubert de franchir indemnes leur premier siècle d’histoire, celui de tous les dangers. L’approche de leurs inventeurs et de leurs successeurs demeure pragmatique et modeste : puisque la nature a conservé ce monde souterrain, surtout il s’agira de ne rien modifier, de ne rien déranger, de ne rien s’approprier, de se faire tout petit, et d’agir en sorte que le miracle continue. Cette philosophie n’est pas transposable à toutes les grottes car chacune a son histoire et sa problématique, mais, pour les nôtres, nous souhaitons mettre toutes les chances de leur côté afin qu’elles demeurent porteuses d’émotions esthétiques et de connaissances.

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L e s C a v e r n e s d u Vo l p PAR ROBERT BÉGOUËN, JEAN CLOTTES, VALÉRIE FERUGLIO, ANDREAS PASTOORS, AV E C L A C O L L A B O R AT I O N D E J Ö R G H A N S E N E T L A C O N T R I B U T I O N D E F R A N Ç O I S B O U R G E S


A 23

Au pied des Pyrénées, dans la demimontagne ariégeoise, un ruisseau appelé le Volp a creusé un labyrinthe, au cours des âges, sous la colline calcaire qui lui barrait le passage. Le premier occupant, le grand ours des cavernes, allait passer les hivers et faire naître ses petits dans ce refuge idéal. Durant la préhistoire, les hommes ont utilisé ces lieux comme habitats ou sanctuaires. Les traces qu’ils ont laissées montrent qu’ils avaient une connaissance approfondie de ces galeries, et qu’ils ont mis à profit leurs particularités.


Les Cavernes du Volp

E ntrée d u Tu c d ’Audoubert R ésu rge n c e d u Volp Salle Nuptiale Chat ièr e Salle des Lacis

Diver t icule du Siphon

Galerie des Em preintes

Tu c d ' A u d o u b e r t

Double page précédente : Fig. 23 | Vue panoramique aérienne du massif calcaire abritant les Cavernes du Volp, hiver 2014 (photo Éric Bégouën) Fig. 27 | Topographie générale des trois cavernes du Volp, d’après Marcel Henry et Robert Bégouën (1968), François Rouzaud (1976), Andréas Pastoors et Éric Bégouën (1998) et Jörg Hansen (2009).

Siphon


L e s Tr o i s - F r è r e s

Ent r ée des Tr ois- Fr èr es

Galerie des C h ou ettes Salle de s B i s on s d' Arg i l e

Entrée d’Enlène

Galerie des Point s

S alle d u F oyer

Enlène Sanctuaire

Couloir de la Découver t e

vers perte du Volp

Salle du Grand Eboulis

Salle des M orts

Galerie d e l'Hém ione Aven

Salle du Fond

50 m

27


25

Marsoulas Montespan

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Bordeaux

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Toulouse Les Trois-Frères

Le Mas d’Azil Le Portel

Les Trois-Frères Enlène Tuc d’Audoubert

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10 km

Fig. 24 | Carte de situation des Cavernes du Volp. 24

50

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SAINT-G IRONS Fig. 25 | À l’horizon, la chaîne des Pyrénées avec le mont Valier, point culminant des Pyrénées ariégeoises. Au centre, le territoire des grottes vu depuis les collines de Montesquieu-Avantès.

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L

La grotte des Trois-Frères, située sur le territoire de la commune de Montesquieu-Avantès (Ariège), fait partie des trois Cavernes du Volp, avec Enlène et le Tuc d’Audoubert, qui se développent sous un chaînon calcaire où poussent laborieusement quelques chênes entre les dolines et les lapiés (fig. 23). Les Cavernes du Volp sont situées dans le domaine nord-pyrénéen. Il s’agit de formations sédimentaires d’âge secondaire formant des chaînons orientées est-ouest entre la montagne du Plantaurel (Tertiaire) à 5 km au nord et le massif de l’Arize (Primaire) au sud (fig. 24). Le système karstique du Volp se développe dans une écaille de calcaires récifaux urgo-aptiens avancée vers le nord, limitée par des failles et reposant sur le flysch noir de l’Albien essentiellement marneux. C’est ce flysch, largement imperméable, qui constitue le bassin amont du Volp avant sa capture par la barre de calcaire où il a développé un petit massif karstique. En effet, ces calcaires fracturés et solubles ont favorisé des circulations souterraines propices au développement de drains de grande taille (les actuelles grottes). Ces drains se sont étagés en réponse à un enfoncement des

écoulements du fait de l’érosion et de l’évolution des conditions hydrauliques à des époques climatiques différentes. De plus, en surface, entre la perte du Volp avec ses petits affluents et leur résurgence au Tuc d’Audoubert, un paysage karstique typique s’est développé avec des lapiés, des chapelets de dolines et des avens au nord de la petite falaise marquant la limite du calcaire. Ces paysages contrastent avec les formes molles des collines marneuses du sud (fig. 25). Le réseau de cavités souterraines pénétrables se développe sur trois niveaux (fig. 26) : – le Réseau Inférieur actif, où coule le Volp, entrecoupé de deux siphons rendant le passage impossible entre sa perte et sa résurgence au Tuc d’Audoubert, 875 m plus loin ; – le Réseau Médian, qui n’existe que dans la zone aval, à 3 m environ au-dessus de l’eau, inondé par les grandes crues. Les Magdaléniens y ont laissé de nombreuses traces de leurs passages et de leurs activités ; – le Réseau Supérieur, abandonné par l’écoulement, constitue les grottes d’Enlène et des Trois-Frères et les galeries supérieures du Tuc d’Audoubert (fig. 27).

Fig. 26 | Les trois cavernes du Volp et leur localisation dans la colline, d’après une topographie de François Rouzaud.

LES CAVERNES DU VOLP

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L e Tu c d ’ A u d o u b e r t

L Fig. 28 | Les Bisons d’Argile du Tuc d’Audoubert.

Le Tuc d’Audoubert est une caverne indépendante par rapport aux deux autres. Son entrée passe par la résurgence du Volp, qui pouvait s’assécher à certaines périodes du Magdalénien (Bégouën et al., 2009). Longue de 640 m, elle occupe la totalité du Réseau Médian et la partie aval du Réseau Supérieur. Ce dernier n’est accessible que par une cheminée de 15 m de haut depuis la Salle Nuptiale. Il se développe ensuite sur 465 m d’un cheminement difficile jusqu’aux Bisons d’Argile (fig. 28). L’étroit sentier balisé est à peu de choses près celui des Magdaléniens, dont la présence se fait sentir tout au long du trajet, où les traces de leur passage sont nombreuses et variées : empreintes de pieds et de talons d’adultes et d’enfants, dessins au doigt sur l’argile, crânes d’ours brisés pour en extraire les dents, objets mobiliers abandonnés sur le sol, bris de concrétions, productions artistiques. Parmi celles-ci, les thèmes figuratifs (103 unités) sont dominés par les bisons (41 unités), suivis par les chevaux (16 unités) et les créatures irréelles (9 unités), l’une des originalités de la grotte (fig. 29). Parmi les tracés non figuratifs (285 unités), les 146 signes claviformes font du Tuc le site le plus riche de l’espace franco-cantabrique magdalénien. Du point de vue des techniques, la palette est étendue, depuis la gravure fine au silex ou celle, plus large, au doigt jusqu’au modelage en passant par la peinture noire et rouge et par la technique mixte, où interviennent peinture et gravure. Rappelons que le modelage est exceptionnel dans l’art paléolithique, et que les Bisons d’Argile en demeurent l’exemple le mieux conservé.

Fig. 29 | Le détail d’un « monstre » du Tuc d’Audoubert.

LES CAVERNES DU VOLP | LE TUC D’AUDOUBERT

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Enlène et l e s Tr o i s - F r è r e s

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Enlène et les Trois-Frères ne constituent archéologiquement qu’une seule et même grotte dont le fond est à 520 m du jour (fig. 30). L’ensemble développé des seules galeries des Trois-Frères dépasse les 800 m. Les fouilleurs du XIXe siècle ont involontairement séparé ces deux parties en obstruant par les déblais de leurs fouilles, côté Enlène, l’étroit passage qui les reliait l’une à l’autre. C’est l’existence de ce bouchon providentiel qui a évité aux Trois-Frères les intrusions dont Enlène a beaucoup souffert (fouilles incontrôlées, bris généralisés des concrétions, graffitis, feux, etc.). Louis Bégouën achète la grotte en 1925, et son premier soin est de la fermer solidement. L’entrée actuelle de la grotte des Trois-Frères est artificielle (fig. 31 et 32). Son porche s’appelait autrefois le Trou de la Chouette et ne communiquait avec la grotte que par un petit orifice donnant sur deux puits successifs infranchissables sans matériel. Vers les années 1930, ce passage est élargi et des échelles métalliques sont mises en place, toujours en service aujourd’hui. Elles permettent l’accès direct à la Galerie des Mains, évitant ainsi le pénible parcours depuis Enlène. Cependant, la description de la grotte se fera par la seule entrée paléolithique certaine, qui demeure celle d’Enlène (fig. 33).

Enlène

Fig. 31 | Entrée des Trois-Frères en 1952, Louis Bégouën à gauche et Robert au centre.

LES CAVERNES DU VOLP | ENLÈNE ET LES TROIS-FRÈRES

Facile d’accès, Enlène avait à l’origine deux entrées, l’une légèrement au-dessus de l’autre (fig. 34). L’entrée supérieure est aujourd’hui totalement obstruée par des sédiments remués par les animaux fouisseurs. Elle donne directement sur un diverticule (Enlène Diverticule Gauche, dit EDG), lui aussi comblé mais dans lequel une fouille partielle a révélé une importante occupation gravettienne (fig. 35). C’est donc par le porche inférieur que l’accès à la grotte s’effectue aujourd’hui. Au bout de quelques dizaines de mètres, cette galerie rejoint celle en provenance du porche supérieur. La progression vers le fond se fait alors le long d’un couloir horizontal et sinueux dont le sol

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GALERIE DES POINTS

GALERIE DES CHOUETTES

Les Trois-Frères Salle du Grand Éboulis Couloir du Faisan

Sanctuaire

Salle des Gours

Galerie de l‘Hémione

SALLE DU FOYER

SANCTUAIRE


ENTRÉE D‘ENLÈNE 1911 GALERIE DES MAINS

Entrée des Trois-Frères

Diverticule Gauche

Salle du Théâtre

Enlène

Salle des Morts Couloir François Camel

Aven de la Découverte

Salle du Fond SALLE DES MORTS

50 m

CHAPELLE DE LA LIONNE

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semble avoir été entièrement remué par les anciens fouilleurs. Ce couloir est partiellement coupé vers le milieu de son parcours par une faille donnant sur le Volp que l’on entend couler 15 m plus bas et qu’il faut enjamber pour continuer le passage. On atteint alors rapidement, à droite, la Salle des Morts – ainsi nommée au XIXe siècle par Félix Regnault, qui y avait mis au jour des sépultures de l’âge du bronze. Sur la gauche, le couloir aboutit à la Salle du Fond, à 200 m du jour. Ces salles ont été toutes les deux occupées au Magdalénien moyen. C’est à 170 m de l’entrée, à la hauteur de la Salle des Morts, que s’amorce le Couloir de la Découverte, boyau de 65 m de long qui débouche dans les galeries des Trois-Frères. Son plafond est si bas que la station debout n’y est jamais possible. À mi-chemin de ce couloir, un petit corridor mène à l’Aven de la Découverte et au Couloir François Camel. Enfin, une dizaine de mètres avant que ce boyau ne débouche sur les Trois-Frères, la station debout redevient possible. Puis un passage bas et étroit donne accès aux TroisFrères et à ses grandes galeries.

Les Trois-Frères 35

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Double page précédente : Fig. 30 | Topographie générale des Trois-Frères et d’Enlène, d’après François Rouzaud. Le relevé précis des galeries des Trois-Frères a été repris par Jörg Hansen, permettant la localisation des diverses traces laissées par les activités préhistoriques.

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Fig. 35 | Enlène Diverticule Gauche, coupe stratigraphique de la présence gravettienne (essentiellement le niveau noir). Fig. 32 | Entrée actuelle de la grotte des Trois-Frères.

En arrivant dans cette portion du réseau, on aperçoit sur la droite un passage surbaissé agrandi par une tranchée qui donne sur la Galerie des Mains, longue de 65 m, et qui se termine en cul-de-sac. C’est d’abord un couloir étroit et bas de plafond dans sa première partie, tandis que se développe ensuite une galerie plus ample avec de belles concrétions. Au fond, une échelle métallique permet d’atteindre une salle surélevée dans laquelle une seconde échelle mène à la nouvelle entrée. Le premier contact du visiteur moderne avec la grotte, lorsqu’il y pénètre par cette entrée, s’effectue donc depuis ce qui était sans doute, pour les hommes de la préhistoire, le fond de la galerie. En reprenant l’axe principal de la grotte, on rejoint directement la Salle du Théâtre, qui se prolonge sur la droite par une galerie sans issue longue de 130 m appelée la Galerie des Points. À gauche, un couloir sinueux passe devant l’étroite entrée d’une petite salle discrète, la Chapelle de la Lionne. Il débouche quelques dizaines de mètres plus loin dans la Salle du Grand Éboulis, la plus vaste de la grotte avec ses 48 m de long, 21 m de large et 40 m de hauteur. C’était autrefois un grand aven, aujourd’hui colmaté, qui a longtemps joué le rôle de piège à faune, constituant un énorme éboulis rempli d’ossements. Cet éboulis culmine dans la partie ouest de la salle et ne s’éteint qu’à l’autre bout de celle-ci, épargnant heureusement le passage vers le fond. Le cheminement suit la base de l’éboulis et descend vers la droite la pente argileuse pour rejoindre la paroi verticale de l’immense nef, où ont été gravés deux lions. De là, le Sanctuaire n’est plus qu’à 30 m, mais il faut pour l’atteindre franchir plusieurs escarpements et se laisser glisser le long d’une cascade stalagmitique assez impressionnante dans laquelle les Bégouën ont creusé quelques marches. C’est le point le plus bas de la grotte. Bien que haute de plafond, la salle n’est pas grande, 8 m de long pour 5 m de large. Elle se poursuit par un boyau très bas où l’on ne peut s’introduire qu’à plat ventre. Un ensemble de cheminées et de diaclases la prolonge en hauteur vers la voûte ou les galeries supérieures. L’une d’entre elles permet, non sans difficulté, d’atteindre le Sorcier, à 3 m au-dessus du sol. En quittant le Sanctuaire, une échelle facilite l’escalade pour atteindre l’étroite et périlleuse corniche qui longe son flanc gauche, entre 2 m et 10 m du sol, avant de s’interrompre brutalement, coupée en deux par les parties hautes du Sanctuaire. Il ne reste qu’un petit ressaut stalagmitique de 1,50 m de long et de 0,30 m de large pour franchir ce passage délicat au-dessus du vide. C’est « l’Abîme », qu’il faut enjamber pour avoir accès aux salles et galeries du Tréfonds. Elles débutent, sur une vingtaine de mètres, par le Couloir du Faisan, dont les saillants rocheux luisants sont polis par les ours. La Salle des Gours offre ensuite un spectacle toujours renouvelé avec son tapis de


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vasques naturelles scintillantes que les pluies remplissent parfois à ras bord. Véritable carrefour, l’étroit sentier balisé mène à trois galeries : à droite, à la Galerie des Chouettes ; à gauche, à la Salle du Foyer, que l’on atteint en longeant sur sa droite un ancien effondrement karstique ; puis, plus à gauche encore, à la Galerie de l’Hémione. Nous sommes là au plus profond de la grotte, séparés seulement par quelques mètres de calcaire et d’argile de la Salle du Fond du Tuc d’Audoubert, comme le démontre la topographie précise dont nous disposons actuellement. D’ailleurs, une expérience récente menée par Éric Bégouën à l’aide de talkies-walkies a démontré que des cris s’entendent nettement d’une grotte à l’autre à cet endroit. Nous n’avons pas d’argument pour dire si la communication était possible à l’époque des ours, mais l’étude actuelle des sols et des parois de ces deux endroits montre qu’ils étaient séparés au Magdalénien. Côté Tuc, les empreintes humaines dans la Salle des Bisons d’Argile et la Salle des Talons recouvrent une partie importante de leur sol argileux, faisant office de scellés. Un effondrement à l’entrée de la Salle des Bisons d’Argile indique que le remplissage argileux est important à cet endroit et permet d’évoquer la possibilité d’un ancien siphon colmaté en direction des Trois-Frères. Mais la Salle des Talons peut aussi bien avoir tenu ce rôle. Enfin, s’il y avait eu communication, il y aurait eu courant d’air, et les Bisons d’Argile ne se seraient pas conservés. Côté TroisFrères, l’effondrement entre la Galerie de l’Hémione et la Salle du Foyer n’existait pas à l’époque des ours puisque la trace luisante laissée par leur passage s’aperçoit au-dessus de sa cuvette profonde de 6 m. Une gravure au fond de celle-ci atteste qu’elle existait déjà au Magdalénien, à 17 000 calBP. L’effondrement a donc eu lieu entre cette dernière date et celle de 35 000 calBP, qui est celle d’une phalange d’ours située à la base du Grand Éboulis, dans la « couche à ours » sous-jacente à ce dernier, et qui correspond à la fin de la présence de ces animaux tant au Tuc qu’aux Trois-Frères. Du point de vue pétrographique, la roche des parois et des voûtes de la Galerie des Bisons d’Argile et celle de la Salle du Foyer présentent toutes deux une structure bréchique typique qui évite le drainage suivant des diaclases expliquant l’absence de stalactites et d’égouttements localisés. Ces conditions, que l’on retrouve aussi à Enlène, ont été remarquées dès le premier jour par les inventeurs et ont contribué à la conservation des Bisons d’Argile mais aussi des sols de la Salle du Foyer. Les autres structures remarquables sont des veines d’argile rouge qui caractérisent des zones de broyage dont la faible cohésion explique la chute d’éléments rocheux centimétriques et la morphologie en creux de la voûte à cet endroit. Ces structures se poursuivent à l’identique dans les deux cavités.

LES CAVERNES DU VOLP | ENLÈNE ET LES TROIS-FRÈRES

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Fig. 33 | Entrée du Couloir de la Découverte dans la Salle des Morts d’Enlène. Fig. 34 | Entrée d’Enlène en 1911.

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Le milieu naturel et la conservation des vestiges PAR FRANÇOIS BOURGES

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La plupart des grottes ornées paléolithiques sont des cavités karstiques creusées par la circulation d’eau souterraine dans des roches solubles (calcaire ou dolomies en général). Le massif calcaire hébergeant les Cavernes du Volp montre, sur une petite surface, l’essentiel des caractéristiques du karst : pertes, dolines, lapiés, avens, réseau de grottes, drains souterrains (cours du Volp actuel), résurgence. À la charnière entre le XIXe et le XXe siècle, quasiment en même temps que la découverte des grottes ornées, les spécificités morphologiques et hydrologiques du milieu karstique ont été identifiées (Cvijic, 1918). Les grottes ont été reconnues comme un élément d’un milieu naturel complexe modelé par l’écoulement des eaux et la dissolution de la roche. La connaissance de l’organisation des transferts de matière et d’énergie dans le karst s’est développée et permet aujourd’hui de mieux interpréter voire de quantifier les fonctionnements. On peut ainsi relier les microclimats souterrains et les conditions conservatoires de ces vestiges (Bourges et al., 2012). La grotte des Trois-Frères, d’une morphologie complexe, est physiquement connectée à tous les niveaux du karst. D’abord ramifiée, elle se développe ensuite en une galerie unique suivant un axe principal en direction et au même niveau que le Tuc d’Audoubert, laissant supposer une continuité ancienne du réseau souterrain entre ces deux cavités.

Fig. 37 | Galerie des Mains, panneau G4 montrant les développements de calcite en paroi et sur le sol.

L E S C A V E R N E S D U V O L P | L E M I L I E U N AT U R E L E T L A C O N S E R VAT I O N D E S V E S T I G E S

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Les mesures de température et de CO2 fournissent un premier diagnostic des conditions du milieu souterrain dans l’ensemble du site. De l’entrée à la Salle du Théâtre, les concentrations en CO2 restent proches de celle de l’air extérieur (fig. 36). Elles montrent que toute cette zone est ventilée, soit à partir de l’accès, soit par des fissures communiquant avec l’extérieur. Au-delà de la Salle du Théâtre, jusqu’au Sanctuaire et au fond de la grotte, les teneurs en CO2 sont supérieures à 0,60 % avec un maximum de 0,97 % (valeurs au 19 août 1999). Elles montrent un confinement souterrain, où les relations directes avec le milieu extérieur sont réduites. Les zones confinées des grottes sont les plus stables grâce à l’inertie du volume rocheux et du fait de transferts hydriques et gazeux permanents au travers du massif karstique. Ces régulations naturelles expliquent la qualité de conservation exceptionnelle de ces milieux. En contrepartie, ce sont les plus sensibles à des perturbations induites par l’homme ou par des événements naturels. Les zones où l’échange direct avec l’extérieur est plus important subissent quant à elles des évolutions physiques naturelles plus rapides des parois et des sols, et ont en général moins bien conservé les traces archéologiques les plus fragiles. La zone la plus proche de l’entrée de la grotte des Trois-Frères est de ce type, le concrétionnement de calcite blanche y est largement développé (fig. 37). Les états de parois très distincts traduisent probablement des fonctionnements différents sur de longues périodes de temps.

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Fig. 36 | Diagrammes des concentrations de CO2 et des températures dans la grotte des Trois-Frères.

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La Salle du Foyer La Salle du Foyer et l’effondrement latéral sont creusés dans la même formation de calcaire bréchique qui héberge la Salle des Bisons d’Argile. C’est la structure de la roche qui a évité le développement de fissures karstiques et ainsi les arrivées d’eau en voûte, les égouttements et le concrétionnement, laissant les vestiges intacts et en place au sol comme en paroi. L’analyse du microclimat précise les conditions actuelles de la conservation. Les températures dans la Salle des Bisons d’Argile, en juillet 2001, sont de 11,8 °C pour l’air et 11,7 °C pour le sol, l’écart air/sol est de l’ordre du dixième de degré. Dans la Salle du Foyer, en mai et décembre 2010, les températures sont respectivement de 11,84 °C et 11,85 °C pour l’air et de 11,94 °C et 11,91 °C pour le sol. Ces mesures montrent que l’écart thermique air/sol, respectivement de 0,09 °C et 0,07 °C, reste très faible : au maximum 0,1 °C aussi bien aux Bisons d’Argile qu’à la Salle du Foyer. Ainsi, les températures dans ces deux salles peuvent être considérées comme identiques, à la précision de l’appareil près. Les valeurs en CO2 considérées à des saisons semblables près des Bisons d’Argile (0,83 % en juillet 2001) et dans la Salle du Foyer (0,93 % en août 1999) confirment l’identité des conditions microclimatiques entre les deux grottes. En revanche, les concentrations en CO2 évoluent avec la saison et, sur cinq visites réalisées dans la Salle du Foyer, elles varient d’un minimum de 0,19 % (5 avril 2012) à 0,93 % (19 août 1999). Tous ces éléments témoignent, autant au fond du Tuc d’Audoubert que dans la Salle du Foyer des Trois-Frères, de conditions microclimatiques de confinement souterrain correspondant à des fonds de grotte colmatés. Sur une longue période – vingt-cinq ans –, la stabilité thermique est avérée. Cependant, deux premières mesures à 11,5 °C, enregistrées le 21 novembre 1986 par Michel Bakalowicz et Claude Andrieux, se distinguent des dernières à 11,8 °C que j’ai réalisées à partir de 2010. Si le saut de + 0,3 °C semble avéré (incertitude des capteurs Pt100 de ± 0,1 °C), il manque cependant d’éléments pour le relier avec sécurité soit à une évolution du fonctionnement du milieu naturel, soit aux conséquences du réchauffement progressif du climat extérieur.

Conclusion C’est dans la relation entre un milieu naturel et des interventions humaines que se joue le destin des grottes ornées paléolithiques. D’abord aux temps préhistoriques, où la localisation des œuvres pariétales dans tel ou tel secteur de grotte a été déterminante. Ainsi, les conditions de stabilité physique de la Salle du Foyer ou de celle des Bisons d’Argile, associées à une qualité conservatoire exceptionnelle, ont figé les vestiges et leur contexte jusqu’aux détails. À cela s’ajoute, depuis la découverte en 1914, une gestion éclairée qui a empêché les destructions observées partout ailleurs à cette époque par la surexploitation archéologique ou touristique.

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Les fréquentations préhistoriques d e s Tr o i s - F r è r e s PAR ROBERT BÉGOUËN, JEAN CLOTTES, VALÉRIE FERUGLIO, ANDREAS PASTOORS ET LES CONTRIBUTIONS DE SÉBASTIEN LACOMBE, ÉRIC BÉGOUËN ET MARIE-BRUNE BÉGOUËN


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La visite détaillée de la caverne des Trois-Frères débute par la grotte-habitat d’Enlène : son seul accès possible, au moins pour les Magdaléniens, emprunte le long et très bas Couloir de la Découverte, dont l’épaisse couche archéologique témoigne, malgré son inconfort, d’une longue et mystérieuse occupation. Elle se poursuit de galeries ornées en galeries ornées jusqu’à la Salle du Foyer, à 540 m de la lumière du jour.


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Ce chapitre se propose de faire découvrir la totalité de la grotte sur les pas des hommes préhistoriques, à des degrés d’observation différents selon les travaux menés dans ses galeries. Certaines ont en effet fait l’objet de sondages archéologiques, tandis que d’autres n’ont été concernées que par des ramassages de surface. L’art pariétal, lui, est trop important pour être présenté en totalité, comme il l’est dans la monographie de 1958 grâce aux relevés de l’abbé Breuil. À l’exception des figurations de la Galerie des Mains, que nous décrivons en entier, nous nous sommes limités aux œuvres les plus représentatives de chaque galerie. Il s’agit en quelque sorte d’une introduction générale à l’étude exhaustive de l’archéologie et des gravures de la Salle du Foyer, qui fera l’objet du chapitre suivant. Morphologiquement, l’ensemble de la cavité est loin d’être homogène. Les espaces peuvent être amples ou contraints, avec des concrétionnements d’emprise diverse selon les salles. Les parois calcaires sont de nature différente, au grain plus ou moins fin, aux inclusions plus ou moins nombreuses, nues ou revêtues d’argile ou de calcite. Tous ces aspects ont leur importance dans les circulations, les installations, les choix des supports graphiques et la conservation, variable, qui biaise les témoignages. Ces aspects ont pu avoir aussi un rôle évocateur dans la charge symbolique de tel ou tel lieu. Contrairement aux sols des galeries supérieures du Tuc, ceux des Trois-Frères n’ont pas livré de

traces ou d’empreintes préhistoriques, qu’elles soient animales ou humaines. S’il y en avait eu, les inventeurs n’auraient pas manqué de les remarquer lors des premières explorations, forts de leur expérience toute neuve de la découverte du Tuc. Or, il n’en est jamais question dans leurs premiers récits et les nombreux courriers échangés avec Émile Cartailhac. Les plages d’argile où elles auraient pu subsister sont d’ailleurs plutôt rares. Entre les cônes d’éboulis et leurs franges de cailloux, les planchers stalagmitiques, les tapis de gours, les divers rejets des hauts plafonds des galeries entre le Grand Éboulis et le Sanctuaire, les conditions étaient loin d’être réunies pour atteindre la stabilité nécessaire à la conservation fine de la surface des sols. Pourtant, outre le gisement d’Enlène, trois lieux dans les Trois-Frères proprement dits conservent dans leur sol des vestiges d’une occupation magdalénienne : la Chapelle de la Lionne et, au-delà de l’Abîme, le Couloir du Faisan et la Salle du Foyer. Il s’agit d’occupations de courte durée tant la « couche archéologique » est ténue et superficielle. Mais des blocs de calcaire et de calcite ont été aménagés autour de foyers près desquels des silex, des plaquettes de grès et des esquilles d’os sont bien visibles. Le rapport entre ces traces d’occupation et les gravures qui existent sur les parois à leurs alentours immédiats paraît évident. C’est la raison pour laquelle nous avons tenu à présenter pour chaque salle tout à la fois le contexte physique, les contenus archéologiques et l’art pariétal, car tout semble lié.


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La grotte d’Enlène

S Fig. 44 | Quelques objets emblématiques de la grotte d’Enlène : a. tête de propulseur aux bouquetins affrontés, (coll. Bégouën au musée de l’Homme) ; b. rondelle au bison ; c. contour découpé ; d. tête de propulseur au saïga ; e. bâton percé au saumon, (b, c, d, e, coll. Bégouën au musée de Pujol).

Ses facilités d’accès et de circulation ont favorisé les fréquentations anciennes et durables des hommes de la préhistoire. Les diverses traces laissées par les occupations magdaléniennes démontrent qu’Enlène constituait l’entrée paléolithique de la grotte ornée des Trois-Frères. Des fouilles désordonnées ont eu lieu au XIXe siècle, avant que Louis Bégouën n’y travaille entre les deux guerres mondiales jusqu’en 1937, mettant au jour de nombreux objets d’art dont certains sont devenus des classiques du genre. À l’initiative de Robert Bégouën, qui avait effectué en 1970 et 1971 un sondage prometteur dans la Salle du Fond, d’importantes fouilles ont été menées dans l’ensemble de la cavité entre 1976 et 1988 par Jean Clottes, Robert Bégouën, JeanPierre Giraud et François Rouzaud (fig. 38 et 39). Ces travaux ont permis de mettre en évidence différentes occupations, dont nous ne présenterons que celles pouvant apporter un éclairage à l’étude de la grotte des Trois-Frères. Les Gravettiens ont d’abord occupé la zone de son porche supérieur ainsi qu’un petit diverticule adjacent en léger contrebas appelé Enlène Diverticule Gauche. C’est la fouille partielle de ce dernier qui a révélé, sous une couche magdalénienne (EDG couche 4), les témoins matériels abondants de la culture gravettienne (EDG couche 5), avec pointes de la Gravette, pointe des Vachons et burins de Noailles. Il pourrait s’agir de deux périodes du Gravettien, l’une du Gravettien ancien (27 980 ± 480 BP Gif-A97 306 soit 33 512-31 291 calBP1) et l’autre du Gravettien moyen à burins de Noailles (24 600 ± 400 BP Gif-6656 soit 30 296-28 530 calBP). Cependant, l’homogénéité de

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Fig. 38 | Enlène, Salle du Fond, Jean Clottes prenant des notes lors des fouilles. Fig. 39 | Enlène, Salle du Fond, fouilles du début des années 1980, à gauche Robert Bégouën. Fig. 41 | Enlène, Salle du Fond, aspect d’une zone de fouilles où l’on voit l’agencement de plaquettes formant pavage.

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Fig. 40 | Enlène, Salle du Fond, stratigraphie des couches archéologiques. Fig. 42 | Enlène, Salle des Morts, trois foyers sur le premier sol d’occupation. Fig. 43 | Enlène, un os fiché en paroi.

LES FRÉQUENTATIONS PRÉHISTORIQUES DES TROIS-FRÈRES | LA GROTTE D’ENLÈNE

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l’outillage recueilli dans la même couche ne nous permet pas d’affirmer l’existence de deux occupations distantes de plusieurs millénaires. La mise en place de ce niveau est peut-être due à des coulées boueuses provenant du porche supérieur, comme le suggère l’orientation générale du mobilier dans le sens de la pente. D’ailleurs, la fouille n’a pas révélé de structure d’habitat ni de foyers dans ce diverticule, ceux-ci devant se trouver plus haut aux alentours du porche supérieur2. Disons dès à présent que les outils caractéristiques du Gravettien ne se retrouveront plus ni dans les galeries plus profondes d’Enlène ni dans celles des Trois-Frères. Il n’en est pas de même des Magdaléniens, dont l’attitude à l’égard du monde souterrain était toute différente puisqu’ils ont investi les moindres recoins de ces deux cavités. À Enlène, les traces de leur habitat se trouvent dans l’ensemble de la grotte, depuis ses entrées jusqu’au fond de la Salle du Fond et jusqu’au bout du couloir aboutissant aux Trois-Frères. L’occupation a dû s’étager sur environ un millénaire, car des époques différentes du Magdalénien moyen ont été mises en évidence dans la Salle des Morts et la Salle du Fond. Par exemple, dans la première, lors de la fréquentation datée de 13 940 ± 250 BP Gif-4124 soit 17 756-16 566 calBP, la faune consommée dominante est le renne (Delpech, 1981) et l’étude des pollens (LeroiGourhan, 1981) montre un climat froid avec un paysage de steppe. Les chasseurs utilisaient encore la petite sagaie à biseau simple de type Lussac-Angles. Dans la seconde salle, vers 13 400 ± 120 BP Gif-5770 soit 16 879-15 620 calBP, le climat a changé, permettant aux graminées d’envahir la steppe et aux forêts de s’étendre. Les restes fauniques mis au jour montrent la prédominance du bison, qui supplante le renne dans l’alimentation des Magdaléniens. Et la petite sagaie a disparu, victime du progrès… Ces épisodes de la fréquentation magdalénienne sont parfois interrompus dans les couches archéologiques par des planchers stalagmitiques et des argiles stériles qui témoignent d’une absence d’occupation. C’est le cas, dans la Salle du Fond, entre la couche 1 et la couche 3, avec un plancher stalagmitique discontinu et un lit d’argile jaune entre la couche 3 inférieure et la couche 3. Il en est de même dans le Couloir de la Découverte, où un empilement de plaquettes de grès a été trouvé entre deux planchers stalagmitiques (Bégouën et Breuil, 1958). La puissance de la stratigraphie, particulièrement importante en regard de la faible sédimentation en grotte, traduit l’intensité de l’habitat (fig. 40). Cependant, comportements et productions mobilières sont partout et à toutes les époques les mêmes au sein du réseau. Le campement est établi dans l’obscurité totale des profondeurs de la caverne. Cela est rare à cette époque, d’autant que toutes les activités habituelles des Magdaléniens sont attestées (fig. 41). Ils ont fait du feu, parfois à même le sol, parfois dans des cuvettes creusées dans l’argile, utilisant souvent les ossements des animaux consommés comme combustible (fig. 42). Ils ont taillé le silex, confectionné des parures et des outils ou des armes en os ou en bois de cervidé. Ils ont réalisé de véritables pavages au moyen de milliers de plaquettes de grès apportées tout spécialement dans la grotte. Enfin, un comportement mérite d’être signalé, celui de ficher en paroi ou de planter dans le sol des esquilles osseuses, des fragments de sagaies et des silex (fig. 43). Le Couloir de la Découverte pose le problème de l’importante couche archéologique (20 cm en moyenne) qu’il contient, attestant une intense fréquentation magdalénienne avec de nombreuses traces de foyers, contrairement à toute logique d’accessibilité et de confort. Seul le côté gauche du couloir a été fouillé, notamment par Breuil. Il note que les restes fauniques, très fragmentés, y abondent, ainsi que les plaquettes de grès, souvent utilisées pour servir de lampions. Mais, à part quelques dents et coquilles perforées, aucune œuvre d’art notable n’en est sortie.

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45

Au milieu de son parcours, un carrefour donne accès sur sa gauche à une galerie latérale aboutissant à une salle qui n’est autre que l’Aven de la Découverte. En chemin, l’escalade d’une corniche permet d’atteindre, 2 m plus haut, le Couloir François Camel, que nous rattachons archéologiquement aux Trois-Frères et qui sera décrit plus loin. Si l’on reste au niveau du cheminement principal, l’accès à l’aven a été barré par un empilement de gros blocs d’une hauteur de 1 m environ provenant des galeries proches. Cet obstacle n’était guère difficile à franchir et revêt donc un caractère plus symbolique qu’effectif en isolant en quelque sorte l’aven de tout le reste du réseau. Enlène est une grotte exceptionnelle à bien des égards. Il s’agit d’un des plus importants habitats magdaléniens en grotte profonde. Elle se caractérise par l’abondance extraordinaire de son art mobilier sur os ou bois de renne, dont thèmes et techniques s’intègrent parfaitement dans l’ensemble du Magdalénien moyen des Pyrénées, avec en particulier les rondelles en os perforées et les têtes de cheval en contours découpés sur os hyoïdes de cet animal (fig. 44). Les plaquettes gravées abondent, bien que nous soyons loin d’avoir fouillé l’intégralité de la caverne. Pourtant, ce sont déjà 1 160 plaquettes gravées – souvent fragmentées, il est vrai – qui ont été retrouvées par nousmêmes ou par Louis Bégouën (fig. 45 et 46). Enfin, dans la partie profonde, quelques traces d’ocre rouge sont visibles sur les parois. Ce n’est donc pas une simple grotte où les Magdaléniens auraient trouvé un refuge à l’abri des intempéries. Ils s’y livraient, sur des objets, à des activités artistiques que l’on ne peut manquer de rapprocher de celles attestées aux Trois-Frères sur les parois. Les deux grottes avaient chacune un rôle différent mais étaient complémentaires. Nous aurons l’occasion d’en reparler …

1. Calibration à 95,4 %, logiciel OxCal 4.2 © Bronk Ramsey 2013, IntCal09 (Bronk Ramsey, 2009). 2. Au-dessus de la couche gravettienne sont apparues quelques raclettes associées à des burins de Noailles

dominées par des micro-gravettes. Mais il n’a pas été possible d’affirmer l’existence du Badegoulien (dates obtenues : 21 000 ± 250 BP Gif-6655 soit 25 844-24 440 calBP OxCal, qui ne correspondent pas à cette culture). Il pourrait s’agir d’un mélange d’industries lithiques du Gravettien avec du Magdalénien moyen ancien, voire avec du Solutréen (Foucher, 2004).

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Fig. 45 | Enlène, bouquetin gravé sur plaquette de grès, coll. Bégouën au musée de l’Homme (relevé Christian Servelle). Fig. 46 | Enlène, tête d’herbivore gravé sur plaquette de grès, coll. Bégouën au musée de l’Homme (relevé Christian Servelle).

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TRAITS ROUGES

ENLÈNE

CHEVAL PEINT

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Aven

BISON GRAVÉ

points rouges éléments graphiques 5m 47

ENLÈNE


Le Couloir François Camel

V

Vers le milieu du boyau menant d’Enlène aux Trois-Frères, un carrefour à la voûte surbaissée permet, sur la gauche, d’accéder à l’Aven de la Découverte et, après une courte escalade, à une galerie très sèche et sans issue longue de 34 m : le Couloir François Camel (fig. 47). La station debout n’y est jamais possible, mais l’endroit est néanmoins confortable grâce à une atmosphère sèche et dénuée de courants d’air (fig. 48). Il se termine par une dénivellation très humide au sol plastique. À l’autre bout, le couloir s’interrompt brutalement, en surplomb sur l’entrée de la salle de l’Aven de la Découverte. Aucun mobilier archéologique n’a été trouvé dans ce couloir resté inoccupé. Néanmoins, quelques fragments d’ossements existent en surface, parfois soudés par une pellicule discontinue de calcite qui repose sur l’argile à ours. C’est la première galerie ornée en venant d’Enlène, mais elle est tout aussi isolée de cette dernière que des Trois-Frères. Elle semble avoir constitué une entité à part entière avec une organisation particulière du décor. Les parois ont été altérées et nous n’avons certainement pas la vision complète de ce qui a existé. La caractéristique majeure de cette galerie est l’abondance de mouchetures noires. Parois et plafonds en sont constellés sans aucun ordre apparent. Il s’agit de ponctuations, de traits dynamiques et de tracés déliés. Cependant, un doute subsiste quant à leur âge ou à leur nature : à deux endroits, nous avons remarqué leur présence sur des fistuleuses probablement holocènes ; nous savons par ailleurs que des incursions médiévales ont eu lieu et qu’Enlène a été longuement utilisée à l’âge du bronze.

Fig. 47 | Couloir François Camel, topographie et emplacements de l’iconographie principale.

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Au début de la galerie, on distingue deux zones de paroi raclées en vis-à-vis. L’auteur des raclages a dû travailler en équilibre au-dessus du surplomb. Un peu plus loin à gauche, une gravure de bison est la figure la plus lisible de l’ensemble (fig. 49). Après un passage en corniche au-dessus de la galerie sous-jacente, le couloir continue et, vers le milieu de son parcours, un panneau porte des restes de peinture rouge (fig. 50) représentant un assez grand cheval (0,54 m) puis, presque au ras du sol, la crinière d’un bison finement gravée. Après deux points rouges au plafond sur une saillie de la paroi droite, quatre grands traits rouges obliques de plus de 45 cm de long imitent une griffade surdimensionnée (fig. 51). Au-dessous d’eux se trouve une série de fines gravures d’où émergent un profil humain et une très petite main que le dessin de l’abbé Breuil (Bégouën et Breuil, 1958, pl. VI, haut) ne fait qu’esquisser.

49

Fig. 49 | Couloir François Camel, bison gravé. Fig. 50 | Couloir François Camel, cheval dessiné à l’ocre. 50

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48

51

Fig. 48 | Couloir François Camel, vue générale. Fig. 51 | Couloir François Camel, panneau de signes rouges et traces noires.

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MAIN G4-2

Galerie des Mains

MAINS G1-1 ET G1-2

BISON PEINT D6-3

MAIN D1-1

ve

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En

ne éléments graphiques 15 m

52

ENLÈNE


La Galerie des Mains

P

Pour les Magdaléniens, le seul passage qui menait à cette galerie nécessitait une reptation sur une dizaine de mètres depuis le carrefour entre le boyau venant d’Enlène et les galeries des Trois-Frères. Longue de 65 m (fig. 52), la galerie se divise en trois parties : la première est un couloir étroit et bas de plafond, la deuxième est une sorte de coupole commandée par deux passages bas, tandis que, dans la troisième, les espaces se font plus amples avec de belles concrétions (fig. 53). L’ensemble se termine par un éboulis de 2 m de haut résultant probablement d’un aven ou d’une ancienne ouverture colmatée. Quelques objets archéologiques sont épars sur le sol. L’art pariétal est essentiellement représenté par des mains négatives rouges. Il comprend également une gravure de cheval et un dessin noir de bison.

Stratigraphie de la tranchée Afin de faciliter le passage, une tranchée de 50 cm de profondeur a été creusée par Louis Bégouën lors de l’ouverture de la nouvelle entrée de la grotte. Elle nous a permis d’obtenir une stratigraphie de cette zone : la couche inférieure est composée d’argile à ours de couleur jaune, présente d’ailleurs dans toute la grotte. Juste au-dessus, une

Fig. 52 | Galerie des Mains, topographie et répartition des entités graphiques.

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couche en position discordante est faite de fragments de calcaire tombés du plafond par gélifraction (cf. Thibault in Bégouën et Clottes, 1981a, p. 163), ce qui indiquerait une ouverture sur l’extérieur proche, à l’endroit de l’éboulis terminal. Les mains les plus exposées semblent affectées par ce phénomène, indiquant que l’ouverture existait encore après l’exécution de ces peintures. Tout se passe donc comme si la fermeture de l’aven était advenue entre le passage des Gravettiens et celui des Magdaléniens dans les Trois-Frères. Enfin, une couche argileuse légèrement rougeâtre recouvre le cailloutis dû à la gélifraction et contient quelques objets lithiques isolés et des petites esquilles d’os dont certaines, brûlées, sont attribuables au Magdalénien.

53

Fig. 53 | Galerie des Mains, vue à hauteur du panneau GM-G4.

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1

2

Les vestiges archéologiques Le mobilier lithique La Galerie des Mains n’a livré que trois pièces en silex, toutes taillées dans le même matériau d’origine locale (silex provenant des formations calcaires d’âge du Danien). On trouve tout d’abord un gros éclat (fig. 54-1), d’un module (56 x 64 mm) nettement supérieur à celui de la grande majorité des objets retrouvés dans l’ensemble du site. Il ne comporte aucune retouche et ne semble pas non plus avoir été utilisé. Des négatifs d’éclats sur sa face dorsale indiquent un mode de production de type récurrent centripète. On trouve également un fragment proximal de lamelle, lui aussi demeuré brut, ainsi qu’un petit nucléus (fig. 54-2) de type polyédrique et en apparence taillé sur un éclat

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volumineux. L’objectif semble avoir été orienté vers l’obtention de produits allongés, en mettant à profit la plus grande dimension de l’éclat-support.

La faune Les quinze restes fauniques analysés par Françoise Delpech représentent probablement deux groupes distincts : un ancien avec l’ours des cavernes et un autre plus récent avec les rennes, les grands bovidés, les cerfs et les équidés. L’inventaire comprend plusieurs ossements d’ours des cavernes (humérus, phalanges, tibia, omoplate et fémur), une épiphyse d’humérus et un calcanéum de bos/bison, une troisième molaire inférieure de cerf, un os canon d’équidé et l’extrémité distale d’un fémur, enfin un humérus et un radiocubitus de renne (cf. Delpech in ibid., p. 163).

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Fig. 54 | Galerie des Mains, l’industrie lithique : 1. éclat ; 2. nucléus polyédrique (dessins Sylvain Ducasse modifiés).

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Datations Le premier échantillon choisi est un fragment de radius de cheval qui se trouvait à la surface du sol de la galerie. Son analyse 14C donne 17 53716 931 calBP (14 149 ± 57 BP, COL-1569.1.1), soit dans le Magdalénien moyen. Le second est une épiphyse indéterminable mais comportant des impacts de débitage, prélevée dans la coupe de la tranchée Louis Bégouën. Le résultat est surprenant car elle a été datée de 36 51035 237 calBP (31 448 ± 200 BP, COL-1568.1.1), correspondant à la période de la présence des ours dans la grotte, antérieure au Gravettien.

L’art pariétal de la Galerie des Mains

56

En ce qui concerne les mains négatives, éléments majeurs de cette galerie, nous les qualifierons de la manière suivante : lorsque le pouce est à gauche, nous parlerons de main droite et, quand le pouce est à droite, nous parlerons de main gauche. Nous sommes évidemment conscients du fait qu’il est théoriquement possible que ce soit l’inverse dans le cas où le dos de la main aurait été apposé sur la paroi plutôt que la paume. Cependant, les innombrables exemples ethnographiques connus nous font considérer cette dernière hypothèse comme moins probable. La technique de réalisation des mains négatives est celle habituelle du pochoir avec projection de pigment par crachis ou au moyen d’un instrument (tube ou aérographe). Elles sont toutes visibles depuis le cheminement naturel, placées à hauteur d’homme. Bien que leur emplacement ait été soigneusement choisi, aucune n’est cachée.

Panneau D1 Il s’agit du premier panneau sur la paroi droite, à 2,50 m du débouché de la tranchée d’accès à la galerie, en venant d’Enlène (fig. 55). La paroi est assez irrégulière et la main négative occupe le centre d’une niche de 2,50 m de long déterminée par une retombée de voûte sous laquelle l’auteur s’est insinué pour réaliser le pochoir. Fig. 56 | Galerie des Mains, vue générale du panneau GM-G1.

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Fig. 57 | Galerie des Mains, détail du panneau GM-G1. Fig. 55 | Galerie des Mains, main négative rouge du panneau GM-D1. 55

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58

M A I N G A U C H E D 1 - 1 (hauteur du sol : 1,50 m ;

hauteur : 18 cm ; largeur : 12 cm)

Fig. 58 | Galerie des Mains, gravure de tête de cheval, panneau GM-D2.

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Les dimensions sont celles d’une main d’adulte. Tous les doigts sont visibles dans leur extension complète. Le pouce et l’auriculaire sont légèrement écartés. L’absence de colorant dans certaines anfractuosités indique une importante incidence du crachis venant du bas droit, ce qui renforce l’identification d’une main gauche. À gauche de la main, la paroi est largement desquamée, tandis qu’à droite du colorant rouge marque la fin de la niche dans des proportions qui rappellent celles d’une main négative. Sur le rebord de la retombée de voûte se note une trace rouge qui résulte peut-être d’un essuyage.

Panneau G1 La base d’une coupole naturelle de la paroi (fig. 56) a été manifestement choisie pour recevoir trois mains négatives adultes (fig. 57). D’autres traces de colorant pourraient appartenir à deux autres mains, mais sans certitude. M A I N G A U C H E G 1 - 1 (hauteur du sol : 1,50 m ;

hauteur : 19 cm ; largeur : 14 cm)

Les dimensions sont proches de celles de la précédente. Les cinq doigts sont davantage écartés. Le pigment est plus dense. L’image du pouce s’arrête au niveau de l’implantation des autres doigts, le rendant un peu court. Un trait gravé barre entièrement la main en oblique.


M A I N G A U C H E G 1 - 2 (hauteur du sol : 1,50 m ;

hauteur : 22 cm ; largeur : 11 cm)

C’est la main où le pigment est le plus abondant. Les cinq doigts ont été matérialisés, le pouce apparaît court lui aussi. L’observation directe montre que l’auriculaire n’est pas courbe, bien qu’il apparaisse comme tel sur la photographie. Sur le côté gauche, un court faisceau de traits gravés a enlevé du colorant. M A I N G A U C H E G 1 - 3 (hauteur du sol : 1,50 m ;

hauteur : 12 cm ; largeur : 14 cm)

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Pour cette main particulièrement altérée, ce sont surtout les doigts qui se devinent à la lecture sur un cliché retravaillé. Le halo de pigment est beaucoup plus réduit que pour les deux mains précédentes. Pour ces trois mains, un même auteur peut être envisagé car dimensions et formes sont proches. L’intensité différentielle du pigment pourrait indiquer une réalisation en trois phases, la première étant G1-2, puis G1-1 et enfin G1-3.

Coupole du Bison noir Après un passage nécessitant une marche à quatre pattes, la galerie retrouve ses proportions pour former une petite salle en coupole où la station debout est partout possible. C’est ici que les parois ont subi le plus de desquamations. Toutes portent, à hauteur d’homme, des traces rouges, comme si la conformation particulière de ce lieu avait voulu être soulignée. À l’entrée, à l’endroit où l’on se relève, une tête de cheval a été gravée (fig. 58). La paroi droite supporte trois mains assez espacées entre lesquelles apparaissent des traces rouges qui auraient pu être également des pochoirs de mains, portant à six ou sept l’inventaire global de la zone. Les mains qui restent visibles aujourd’hui étant trop éloignées les unes des autres, elles sont décrites chacune en tant que panneau individuel (D3-D4-D5). Il pouvait s’agir d’un seul panneau contenant une frise de mains, mais l’état actuel de la paroi ne permet pas de l’affirmer. C’est 3 m plus loin et à près de 3 m du sol que prend place la composition au bison dans une sorte de conque. À droite du passage de sortie, une retombée de voûte contient des pochoirs de pouces repliés. Au-dessus du passage se devinent deux mains probables et deux petites taches rouges.

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61 Fig. 59 | Galerie des Mains, panneau GM-D3, vestiges d’une main gauche. Fig. 60 | Galerie des Mains, panneau GM-D4, main complète. Fig. 61 | Galerie des Mains, panneau GM-D5, main négative partielle.

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Panneau D2

hauteur : 70 cm)

1,80 m)

Ce trait vertical aux contours irréguliers se superpose à une fissure.

Panneau D3

hauteur : 25 cm ; largeur : 50 cm)

T Ê T E D E C H E V A L G R A V É E D 2 - 1 (hauteur du sol :

M A I N G A U C H E D 3 - 1 (hauteur du sol : 1,20 m ;

hauteur : 19 cm ; largeur : 12 cm)

Peu après le cheval, les vestiges d’une main gauche prennent place dans une légère concavité de la paroi (fig. 59). Le retraitement photographique permet de bien distinguer les trois doigts médians assez rapprochés et l’amorce du pouce.

Panneau D4 M A I N G A U C H E D 4 - 1 (hauteur du sol : 1,70 m ;

hauteur : 19 cm ; largeur : 8 cm)

Cette main complète, largement estompée par le concrétionnement, est cadrée dans une légère concavité de la paroi (fig. 60). La couleur de son pigment est plus violacée que les autres.

Panneau D5

B I S O N I N C O M P L E T D 6 - 3 (hauteur du sol : 2,90 m ;

L’animal, tourné à gauche, se limite à une ligne dorsale et à un arrière-train. On y reconnaît un bison à la queue relevée. Il n’a jamais été complet ni complété par le relief naturel. Le trait est particulièrement large, environ 4 cm, et exécuté de main sûre, très probablement au crayon de manganèse ou au fusain. Les trois éléments de ce panneau, qui rompt avec l’ensemble pictural de la Galerie des Mains, ne nous permettent pas de l’attribuer à une culture précise. Cependant, l’utilisation du pigment noir, par ailleurs exceptionnel, est dans l’ensemble du réseau plutôt le fait des Magdaléniens.

Panneau D7 LES POUCES REPLIÉS

Les éclats de surface rocheuse ont emporté l’essentiel de cette main dont on ne devine plus que deux doigts assez écartés (fig. 61). Néanmoins, cet écartement plaide en faveur de l’auriculaire et de l’annulaire. Nous avons en effet constaté qu’en général les trois doigts médians étaient resserrés, tandis que l’auriculaire était plus ouvert. Il s’agirait alors d’une main gauche.

Sur le bord d’un tombant de voûte à la fin de la salle, un groupement de quatre à cinq pochoirs de pouces repliés a été réalisé (fig. 63), sans rattachement perceptible à des paumes de main, mais néanmoins bien distincts. Pour les plus visibles, ils sont associés deux par deux avec des dimensions semblables (hauteur du sol : 1,50 m ; hauteur : 6 cm ; largeur : 3 cm). À l’arrière du tombant de voûte, dans une cloche, s’aperçoit une grosse et dense ponctuation rouge.

Panneau D6

Panneau P1

Ce panneau prend place dans une conque de la voûte (fig. 62). Un trait noir vertical partage la surface en deux. À gauche, deux points noirs ont été apposés, à droite, un bison incomplet a été dessiné. Leur disposition à la même hauteur et leur nature font penser à une composition d’ensemble. La paroi est constellée de micro-fissures en tous sens, et quelques filonnets de calcite blanche occupent la partie haute.

Au-dessus de la voûte du passage bas qui termine la Coupole, quelques traces rouges et des points sont visibles sur la paroi (fig. 64). Les traces pourraient être les restes de deux mains négatives.

MAIN D5-1

D E U X P O I N T S N O I R S D 6 - 1 (hauteur du sol : 2,90 m)

Ces deux points noirs ont été dessinés sur une même horizontale.

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T R A I T N O I R D 6 - 2 (hauteur du sol : 2,90 m ;

Panneau D8 Sur la paroi droite de la dernière partie de la Galerie des Mains, à 1,60 m du sol, deux couples de bâtonnets rouges ont été tracés, probablement à l’aide des doigts (fig. 65).


62

Fig. 62 | Galerie des Mains, panneau GM-D6, vue générale et vue de détail.

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63

Fig. 63 | Galerie des Mains, panneau GM-D7, dĂŠtail des pochoirs de pouce repliĂŠ. Fig. 64 | Galerie des Mains, panneau GM-P1. 64

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Panneau G2 Le sol vierge à l’aplomb ne permet pas de prendre les mesures de cette main négative, de mêmes proportions que les autres (fig. 66). Il apparaît cependant que ses doigts sont écartés, la distinguant en cela du reste du corpus, pour lequel les doigts médians sont resserrés.

Panneau G3 Sur la paroi gauche, en face de D8, une trentaine de points-traits rouges forment une plage de 1,70 m de long sur 1,20 m de large, à 1 m du sol (fig. 67). Signalons qu’un point rouge existe entre la sortie de la Coupole et ce panneau.

65

Panneau G4 Une ancienne cascade stalagmitique est surmontée d’une niche occupée par une lame rocheuse retombant de la voûte telle une draperie (fig. 68 et 37). À sa gauche, la paroi est couverte de calcite, à l’exception d’une petite fenêtre dans laquelle apparaissent deux doigts d’une main. M A I N G 4 - 1 (hauteur du sol : 0,50 m ; hauteur : 19 cm)

Bien que la calcite ne laisse plus entrevoir que deux doigts cernés de rouge dense, il y a tout lieu de penser que la main était à l’origine complète (fig. 69). Il n’est pas possible de la latéraliser.

66

M A I N G 4 - 2 (hauteur du sol : 1,40 m ; hauteur : 19 cm ;

largeur : 9 cm)

Au centre de la lame rocheuse, cette main est l’une des plus distinctes de l’ensemble (fig. 70). Son emplacement a été manifestement choisi. Il a fallu d’abord escalader la cascade et la réaliser dans une position inconfortable. D’ailleurs, des bris de concrétions révèlent peut-être la volonté d’agrandir l’espace disponible. Les doigts ont un profil courbe, surtout l’auriculaire, en position anatomique improbable. Il faut retenir qu’il s’agit de la silhouette d’une main et non d’un dessin. Il est alors possible de supposer que c’est la position en porte-à-faux et en appui sur la main qui a dévié les doigts, projetant une image quasi de trois quarts de la main. À moins qu’il ne s’agisse d’un code ?

67 Fig. 65 | Galerie des Mains, panneau GM-D8, bâtonnets rouges. Fig. 66 | Galerie des Mains, panneau GM-G2, main négative. Fig. 67 | Galerie des Mains, panneau GM-G3, panneau de points digités rouges.

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Vue d’ensemble sur la Galerie des Mains En définitive, cette galerie comprend dix mains négatives cernées de rouge et huit probables, de nombreux points et taches de même couleur, une ébauche de bison, un trait vertical et deux ponctuations noirs, ainsi qu’une tête de cheval gravée. Les mains sont apparemment toutes des mains gauches, le plus souvent groupées. La position des doigts est en général homogène, avec les trois doigts médians resserrés, les deux autres écartés, et un pouce court. Il en résulte qu’il s’agit peut-être d’un seul et même individu adulte, de sexe indéterminé. Enfin, les Magdaléniens, qui sont allés partout, ont laissé en ces lieux la gravure discrète mais typique d’une petite tête de cheval.

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Fig. 69 | Galerie des Mains, panneau GM-G4, détail de la main G4-1. Fig. 70 | Galerie des Mains, panneau GM-G4, détail de la main G4-2.

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70


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Galerie des Points

Salle du Théâtre

PANNEAU DE GRAVURES

DENT DE RENNE DÉPOSÉE

Galerie des Mains

dépôt d’objet 10 m

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71



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