Ibeji. Jumeaux divins / Divine Twins (extrait)

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Ouvrage publié avec le soutien de F«A«D S This book is published with the support of F«A«D«S«

Les notices des Ibeji ont été rédigées par Xavier Richer et saisies par Françoise Liotet The captions on the ibeji figures were wri en by Xavier Richer and typed by Françoise Liotet

Couverture : Statue e féminine ere ibeji, Nigeria, Oke Odan, A 4e de couverture : Paire de jumeaux ere ibeji, Nigeria, Oke Iho, O

Cover: Female Statue e (Ere Ibeji), Nigeria, Oke Odan, A Backcover: Pair of Twin Figures (Ere Ibeji), Nigeria, Oke Iho, O

© Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Xavier Richer, Paris 2016

© Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Xavier Richer, Paris 2016

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Anna Bertaccini Tadini Conception graphique : Nelly Riedel Contribution éditoriale pour le français : Renaud Bezombes Traduction du français vers l’anglais : David et Jonathan Michaelson Traduction de l’anglais vers le français : Élisabeth Agius d’Yvoire Contribution éditoriale anglais : Katharine Turvey Cartographie : Thierry Renard Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

Produced under the direction of Somogy Éditions d’Art Director: Nicolas Neumann Managing Editor: Stéphanie Méséguer Editorial Coordination: Anna Bertaccini Tadini Graphic Design: Nelly Riedel French Editorial Contributione: Renaud Bezombes Translation from French to English: David et Jonathan Michaelson Translation from English to French: Élisabeth Agius d’Yvoire English Editorial Contribution: Katharine Turvey Cartographer: Thierry Renard Technical Production: Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-1072-7 Dépôt légal : juillet 2016 Imprimé en Union européenne

ISBN Somogy éditions d’art: 978-2-7572-1072-7 Registration of copyright: July 2016 Printed in European Union


Ibeji DIVINS JUMEAUX DIVINE TWINS

Xavier RICHER Texte d’Hélène JOUBERT



Beaux et majestueux jumeaux, natifs d’Ishokun, Laissez-moi trouver les moyens de manger, laissez-moi trouver les moyens de boire. Beaux et majestueux jumeaux, venez me donner la bénédiction d’un enfant. Majestic and beautiful looking twins, natives of Ishokun, Let me find means of eating, let me find means of drinking. Majestic and beautiful looking twins, come and give me the blessing of a child In F. Leroy, T. Oluaye Oruene, G. Koeppen-Schomerus, E. Bryan, “Yoruba customs and beliefs pertaining to twins”, Twin Res, avril 2002

Paire de jumeaux ere ibeji Nigeria, Egbado Pair of Twin Figures (Ere Ibeji) Nigeria, Egbado



Sommaire / Content Voyages en terres yoruba

8

Travels in Yorubaland

9

XAVIER½RICHER½

Carte du territoire Yoruba / Map of Yorubaland

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Comment les jumeaux sont arrivés chez les Yoruba

12

How Twins Came Among the Yoruba

14

Les ere ibeji yoruba, jumeaux d’éternité

19

The Yoruba Ere Ibeji: Eternal Twins

25

HÉLÈNE½JOUBERT

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Statue e féminine ere ibeji Nigeria, Omu Aran, Igbomina Female Statue e (Ere Ibeji) Nigeria, Omu Aran, Igbomina

32

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102

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144

Réflexions / Personal Reflections

198

Biographies / Biographies

201

Bibliographies / Bibliographies

204

Remerciements / Acknowledgments

206


Voyages en terres yoruba Après mes nombreux voyages en terres dahoméennes, le premier à l’âge de vingttrois ans, je me sens aujourd’hui chargé d’une belle mission, comme le gardien responsable d’un collège de village, de ses habitants et surtout de ses enfants, les ibeji du Bénin et du Nigeria aux multiples ethnies. Ils sont mon premier contact avec l’art africain. Les adopter en les collectionnant, c’est ma façon de continuer d’en prendre grand soin tout comme, dans la tradition, naturellement leurs mères l’ont toujours fait. À force de les dévorer du regard, je crois bien que mes yeux ont un peu contribué à les patiner. Je me sens agréablement possédé par ces effigies sacrées au point même d’organiser leur vie à la maison sur la console en wengé du salon. Je veille à ce qu’aucun ne s’ennuie. Je les fais communiquer en les plaçant par groupes de deux, voire de trois, pour organiser des bavardages chaleureux comme dans tout village d’Afrique. C’est agréable de les saisir et de sentir dans ses mains ces bois chauds d’iroko ou d’hévéa aux tons tantôt brun clair ou foncé, tantôt rouge aux reflets noir laqué. Taillé, incisé de profondes cicatrices, scarifications qui marquent le rang de sa noblesse, l’ibeji est parfois aussi mutilé avec les yeux percés de clous de fer-blanc. On dit que c’est pour le tenir éveillé. Certains bois sont si lisses que les traits de leurs beaux visages sévères ou souriants ont disparu sous les maints fro ements des mères nourricières chargées de pâte d’igname, de maïs mélangé au beurre de karité, à l’huile de palme ou d’arachide. Quotidiennement ils sont choyés, ces enfants des dieux, lavés, habillés des plus beaux atours faits de cuir, de bronze, de cauris et de perles de verre aux couleurs organisées selon des rituels bien établis : le rouge pour le dieu Shango, le bleu pour Eshu. Rien n’est trop précieux pour eux. Malgré leur disparition, ils restent des êtres vivants pour les parents. Et puis, c’est le rôle du sculpteur de les faire renaître évidemment beaux et de les rendre gracieux, élégants, raffinés. Et cela depuis plus de cent cinquante ans pour certains, aujourd’hui figés à jamais dans l’usure du temps. C’est étonnant, ce e façon qu’ont ces artistes de les représenter souvent comme des adultes : des jeunes filles aux seins lourds et généreux, des garçons puissants aux sexes toujours proéminents et mis en avant. Apparemment le rituel veut que leurs formes imposent et ainsi affirment d’autant plus leur présence. Ces archétypes représentatifs de la virtuosité des sculpteurs yoruba figurent dans les collections des plus grands musées du monde mais aussi en Afrique : le musée de Lagos possède une impressionnante collection d’ibeji qui répondent à leurs frères adoptés de par le monde. L’intérêt pour les nombreuses variations stylistiques de cet art statuaire, l’amour pour la beauté de ces merveilles de petite taille, l’exclusivité passionnée dont ils font l’objet de la part des rares collectionneurs qui s’y sont consacrés, leur profondeur culturelle tout aussi fascinante, ont assuré leur présence depuis le e siècle dans un Occident de plus en plus réceptif aux cultures des autres. Au terme de longues années passées à les aimer, les regarder, les étudier pour comprendre et apprécier toute leur subtilité, je me réjouis, à travers ce livre patiemment élaboré, de partager avec le plus grand nombre ce e expérience exaltante. XAVIER RICHER ×½


Travels in Yorubaland AÙer travelling extensively in the area that was once called Dahomey—I first travelled there at the age of twenty-three—I now feel that I have been charged with an important mission, like a caretaker who is responsible for a village school, its habitants, and particularly its children, the ibeji sculptures of Benin and Nigeria, countries composed of numerous ethnic groups. They were my first experience of African art. Adopting them by collecting them is my way of continuing to take great care of them, just as their mothers have always instinctively done in accordance with tradition. They are such a feast to behold that I think my eyes have contributed somewhat to creating their patinas. I feel possessed—in a pleasant sort of way—by these sacred figures, so much so that I even organise them into groups on the wenge console in the living room in my house. I ensure that none of them become bored. I make them relate to one another by placing them in groups of two, or even three, in order to create a convivial environment in which they are all communicating with one another, as in any African village. It is very satisfying to handle them and feel the warm iroko wood and that of the rubber tree with their light and dark brown and reddish-brown colours, and their lacquered black hues. Carved and incised with deep scars—scarifications that are a mark of their nobility—the ibeji figures are also sometimes mutilated and their eyes pierced with tin nails. It is said that this keeps them awake. Although this may seem like a cruel practice, it is in fact a very fine and appealing one. Some of the wood is so smooth that the features on the fine smiling or frowning faces have disappeared aÙer being rubbed on numerous occasions by the mothers, who feed them with yam and corn mixed with shea bu er, and palm or peanut oil. These sacred children are pampered every day—they are washed and dressed in the finest finery made from leather, bronze, cowrie shells, and glass beads in colours organised in accordance with well-established rituals: red in honour of Shango, the god of thunder and lightning, and blue for Eshu, the god of chance. Nothing is too precious for them. Despite the fact that they have passed away, they remain living beings for the parents. And the sculptor’s job is to revive them and, of course, make them beautiful, graceful, elegant, and refined. The ibeji statue es have been carved for over one hundred and fiÙy years, as a ested by certain figures that have withstood the test of time. The way these artists oÙen represent them as adults is quite remarkable: young girls with large, heavy breasts, and strong boys with protruding and accentuated genitalia. Apparently, tradition dictates that they should have imposing forms and thereby have a more powerful presence.

These archetypal examples of the virtuosity of the Yoruba sculptors figure in the collections of the world’s foremost museums, including those in Africa: the Lagos Museum holds an impressive collection of ibeji figures as great as those adopted by institutions around the world. Interest in the many stylistic variations of this statuary art, love for the beauty of these small wonders, the passionate exclusivity of the few collectors devoted to them, and their fascinating cultural depth have all ensured their presence, since the nineteenth century, in a Western world more and more receptive to other cultures. AÙer all these years spent loving them, gazing at them, and studying them to understand and appreciate their subtleties, I am proud, through this patiently compiled book, to share this exciting experience with many more people. XAVIER RICHER ؽ


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N Réservoir de Kainji

MAP OF YORUBALAND

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Comment les jumeaux sont arrivés chez les Yoruba Le récit ici transcrit est issu de la tradition orale yoruba. Se transme ant de génération en génération, il n’a pas d’auteur et on ne peut le dater. Le corpus de la tradition orale yoruba est très varié : mythes, contes, proverbes, chants de chasseur, oriki (poèmes de louange), textes sacrés d’Ifa classés au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2008. Il s’agit d’un fonds très riche d’explication du monde et de ses composantes qui a été transcrit progressivement en yoruba standard et traduit en anglais au e siècle.

Il y a longtemps de cela, dans le royaume d’Ishokun, vivait un fermier qui était connu de tous pour être un chasseur de singes. Les singes avaient l’habitude de venir des environs pour se nourrir dans ses champs tant ses cultures étaient bonnes. Mais ils devinrent un tel problème que le fermier dut se relayer avec ses fils pour surveiller les champs jour et nuit. Malgré tout, les singes continuaient à aller et venir à leur guise. En proie au désespoir et à la colère, le fermier partit dans les forêts pour tuer tous les singes qu’il pouvait. Il alla les tuer dans les champs et dans la brousse, mais les singes venaient encore manger ses cultures. Ils conçurent même des ruses pour tromper ses fils. Lorsque ceux-ci montaient la garde, quelques singes les distrayaient pendant que les autres couraient au champ pour manger du maïs. Quand il pleuvait, les fils du fermier pensaient que les cultures étaient en sécurité mais les singes venaient quand même. Quelque temps plus tard, la femme du fermier se trouva enceinte. Un sage du village vint avertir le fermier. Il dit : « tu es en danger et de grands malheurs sont à venir parce que tu n’as cessé de tuer les singes. Les singes sont sages et possèdent de grands pouvoirs. Au lieu d’un enfant, ta femme porte un abiku (un enfant qui meurt peu après sa naissance), il naîtra, vivra quelque temps, puis mourra. Chaque fois qu’elle sera enceinte, il naîtra à nouveau, puis mourra. De ce e manière, tu seras tourmenté jusqu’à la fin. Pour ce e raison, cesse de les faire fuir et de les chasser. Laisse-les venir manger dans tes champs ». Entre-temps, les singes discutaient de ce qu’ils feraient au fermier pour le punir. Ils décidèrent que deux singes se transformeraient en abiku et entreraient dans le ventre de la femme du fermier. Là, ils a endirent le moment opportun. Puis ils sortirent chacun leur tour. C’étaient les jumeaux originels envoyés aux Yoruba. Les villageois vinrent de partout pour voir ce grand miracle. Certains disaient : « quelle chance ». D’autres disaient : « c’est un mauvais présage ». Seuls les singes donnent naissance à des jumeaux.

Þß½


How Twins Came Among the Yoruba The account transcribed here originates from the Yoruba oral tradition. Transmi ed from generation to generation, it has no author and cannot be dated. The corpus of the Yoruba oral tradition is extremely varied, comprising myths, tales, proverbs, hunting songs, oriki (poems of praise), and sacred Ifa texts classified on the List of the Intangible Cultural Heritage by Unesco in 2008. It is a very rich source of information about the world and its components, which was gradually transcribed into standard Yoruba and translated into the English language in the twentieth century.

A long time ago in the kingdom of Ishokun, there was a farmer who was known by all as a hunter of monkeys. Monkeys used to come from all over to feed in his fields because his crops were so good. The monkeys came to be such a problem that he and his sons had to take turns guarding the fields day and night, but still, the monkeys came and went as they pleased. The farmer became desperate and angry and went into the forests to kill all the monkeys he could. He went to kill in the fields and the bush but still the monkeys came to eat his crops. They even devised ways of tricking the farmer’s sons. A few monkeys would distract them as they kept watch while the rest of the monkeys would run to the field to eat the corn. When it rained the farmer’s sons thought the crops would be safe, but the monkeys still came. AÙer a while the farmer’s wife became pregnant. A wise man from the village came to warn the farmer. He said, ‘You are in danger and much misfortune lies ahead because of your continual killing of the monkeys. The monkeys are wise and possess great powers. Instead of a child your wife carries an abiku (a child that dies shortly aÙer birth); he will be born, live for a while and then die. Each time she becomes pregnant he will be born again and then die. In this way you will be tormented to the end. Therefore do not drive them away; you must stop hunting them. Let them come and eat in your fields.’ Meanwhile the monkeys discussed amongst themselves what they should do to the farmer to make him pay. They decided that two monkeys would transform themselves into abiku and enter the womb of the farmer’s wife. There they waited until the proper time. Then they emerged one at a time. They were the original twins sent to the Yoruba. The villagers came from all around to see this great wonder. Some people said, ‘What good fortune’. Others said ‘It’s a bad omen’. Only monkeys give birth to twins.

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Les ere ibeji yoruba, jumeaux d’éternité L’a ention portée aux jumeaux n’est pas exclusive au territoire yoruba (sud-ouest du Nigeria et sud-est du Bénin). Elle est présente notamment en Afrique de l’Ouest entre la Côte d’Ivoire1, le Togo chez les Ewe, le Cameroun chez les Bamiléké, et bien d’autres régions du continent africain. Le statut accordé aux jumeaux est en général élevé, voire sacré. Le culte dont ils font l’objet rejaillit sur leurs parents, qui bénéficient en partie des bénédictions accordées à de tels enfants et gagnent eux-mêmes en importance. Il existe des régions proches du Yorubaland où les jumeaux sont au contraire mal perçus : les Jekri du Niger et les Idoma du confluent Niger-Bénoué ne les voyaient pas d’un bon œil et s’en débarrassaient, tout comme les Yoruba avant que ne s’opère un renversement de situation. Les naissances gémellaires étaient en pays yoruba associées aux singes colobes et au monde dangereux de la brousse : les jumeaux étaient considérés comme imprévisibles et inquiétants du fait de ce e proximité. La pratique de sculpter des images de jumeaux en pays yoruba remonte au moins à la fin du e siècle. Richard Lander, explorateur britannique qui accompagna le capitaine Clapperton en 1826 et rendit visite notamment à l’alaafin2 Majotu dans l’ancienne Oyo avant qu’elle ne tombe sous les coups des Peuls-Fulani et des chefs d’Ilorin (1830), mentionne ces sculptures le premier3 . À ce e époque, de nombreux ere ibeji étaient en circulation. C’est sous l’influence hégémonique du royaume d’Oyo, dont un alaafin à une période incertaine4 aurait réclamé l’abandon de la mise à mort des jumeaux, sous l’influence aussi du culte de Sango prépondérant à Oyo, mais également par les routes de commerce du sud du Bénin actuel (Porto-Novo) vers le nord que ce culte aux jumeaux présent du Ghana au Bénin s’est répandu et popularisé.

Festival d’Ilobu, région d’Oyo Ilobu Festival, Oyo Region Photo : Ulli Beier, 1954

Un monde de statue es d’enfants-adultes semi-divins Les ere ibeji, bien que fortement individualisés par les accessoires (marques identitaires ou du lignage, parures de perles, anneaux de métal), ne sont pas exactement des portraits5 . Des statue es se ressemblant peuvent ainsi relever de familles différentes. La première paire d’ibeji provenant d’Abeokuta est entrée dans les collections du British Museum en 1854, date de la fameuse expédition britannique sur le Niger, dont un membre était d’origine yoruba, le révérend Samuel Crowther6. Elle figure deux jeunes garçons vêtus de pantalons courts ceinturés représentés par la sculpture, portant trois scarifications en amande horizontales sur les joues et trois verticales sur le front, fréquentes en pays egba, egbado et awori : on peut noter que le critère des scarifications n’est pas déterminant7. Les ere (statue) ibeji tirent leur nom des notions de double (meji = deux) et de naissance (bi = naître) suivant une dérivation verbo-nominale (né deux) qui, en yoruba, désigne couramment les jumeaux. Ceux-ci auraient été fort nombreux (avoisinant un taux de 50 pour 10008), d’où le nombre relativement élevé d’images de jumeaux en bois sculptés, tous de petite taille (20 à 30 cm de haut), associés au culte qui s’est développé dans tout le Yorubaland depuis Oyo à partir de Þ× / Þؽ


The Yoruba Ere Ibeji: Eternal Twins The importance given to twins is not exclusive to Yoruba territory (essentially south-western Nigeria and south-eastern Benin). The phenomenon is present, in particular, in West Africa in Côte d’Ivoire,1 Togo (the Ewe people), Cameroon (the Bamileke), and in many other regions on the African continent. The status given to twins is generally high, and even sacred. The cult of twin veneration raises the status of their parents, who themselves gain importance and benefit in part from the blessings bestowed on these children. There are regions near Yorubaland where twins are viewed negatively: the Jekri people in Niger and the Idoma in the Niger-Benue did not view them favourably and promptly rid themselves of the infants, as did the Yoruba before the reversal of the practice of twin infanticide. In Yorubaland, twin births were associated with the Colobus monkey and the dangerous world of the jungle: twins were considered unpredictable and disturbing because of these associations. The practice of carving images of twins in Yorubaland dates back to around the end of the eighteenth century. Richard Lander, a British explorer who accompanied Captain Clapperton on his journey in 1826 and visited the alaafin (King)2 Majotu in the former kingdom of Oyo before it fell to the Peuls (Fulani) and the rulers of Ilorin (1830), was the first to mention these sculptures.3 Many ere ibeji were in circulation at the time. The cult of twin veneration that existed in an area extending from Ghana to Benin spread and became popular under the hegemonic influence of the kingdom of Oyo—where an alaafin (though it is not known exactly when this occurred)4 called for an end to twin infanticide—and that of the cult of Sango, which was prevalent in Oyo; the trade routes leading northwards from the south of contemporary Benin (PortoNovo) also helped disseminate the practice. The world of semi-divine statue es of children in adult form Although they are clearly distinguished by their accessories (identity or lineage marks, decorative beads, metal rings, etc.), the ere ibeji are not exactly portraits.5 Hence, statue es with a similar appearance may originate from different families. The first pair of ibeji originating from Abeokuta entered the British Museum collections in 1854, the year of the famous British expedition to Niger, one of whose members—Reverend Samuel Crowther—was of Yoruba origin.6 It comprises two young boys dressed in carved belted short trousers, each of whom bears three horizontal almond-shaped scarification marks on the cheeks and three vertical marks on the forehead, a common practice in the Egba, Egbado, and Awori territories: it may be noted that the criterion of scarification marks is not determinant.7 The ere (statue e) ibeji derive their name from the notions of pair (meji = two) and birth (bi = born), a verbal and nominal derivation (‘born two’) which, in Yoruba, commonly means twins. There seems to have been a significant number of twins (a rate close to 50‰8), which explains the relatively high number of carved wooden images of twins, all of which are small (20 to 30 cm in height) and are associated ßè½


8/31



Oyo

Shaki, Oyo Oshogbo, Oyo Igbuke, Oyo Ilobu, Oyo Oke Iho, Oyo Kishi, Oyo Ilorin, Oyo


×ß /×é

Statuette féminine ere ibeji

Female Statuette (Ere Ibeji)

NIGERIA Oshogbo, OYO

NIGERIA Oshogbo, OYO

Bois, tissu, cauris Hauteur 30,5 cm

Wood, fabric, and cowrie shells Height: 30.5 cm

Provenance Collection Michel Huguenin Collection Bernard Fraissine Collection Pierre Terrier Collection Xavier Richer

Provenance: The Michel Huguenin Collection; the Bernard Fraissine Collection; the Pierre Terrier Collection; the Xavier Richer Collection

Ce e figurine féminine présentée nue debout sur sa base est d’une belle ancienneté. La coiffe est montée en na es tressées fermées en chignon. La patine du visage très effacé est superbe. Les yeux sont cloutés. Traces de poudre de camwood, osun, solidifiée sur l’ensemble du corps. Une ceinture en perles de verre tubulaires est incrustée dans le bois. La statue e est vêtue d’un très ancien manteau de cauris cousus sur une toile tissée.

This female figurine standing on a base is extremely old. The coiffure is composed of braids that are gathered up in a chignon. The patina on the highly abraded face is superb. It has nail eyes. There are traces of solidified camwood powder (osun) all over the body. A belt made of tubular glass beads is inset in the wood. The statue e is clothed in a very old coat of cowrie shells sewn onto a woven fabric.



Paire de jumeaux masculin et féminin ere ibeji NIGERIA Ilobu, Oshogbo, OYO

NIGERIA Ilobu, Oshogbo, OYO

Bois, perles, cauris Hauteur 27,5 et 29 cm

Wood, beads, and cowrie shells Height: 27.5 and 29 cm

Provenance Collection Pierre Loos, Bruxelles Collection Xavier Richer

Provenance: The Pierre Loos Collection, Brussels; the Xavier Richer Collection

Ce e paire de figurines masculine et féminine présentées nues debout sur leur base est d’une belle ancienneté. La patine brun miel est exceptionnelle. Les coiffes aux traces de couleur indigo sont montées en na es tressées fermées en chignon. Les yeux et les oreilles sont percés. Les traits des visages ont disparu suite aux rituels réguliers de lavage, d’alimentation et d’application d’onctions au quotidien par les mères. Colliers, ceintures et bracelet en perles de verre rondes et tubulaires. Des scarifications apparaissent sur l’abdomen. Traces de poudre de camwood, osun, solidifiée sur l’ensemble des corps. Ces œuvres remarquables sont assurément le travail d’un maître sculpteur. ×ê /×ë

Pair of Male and Female Twin Figures (Ere Ibeji)

This pair of unclothed male and female figurines standing on their bases is extremely old. The brown, honey-coloured patina is exceptional. There are traces of indigo pigment on the coiffures, which are composed of braids that are gathered up in a chignon. The eyes and ears are pierced. The features of the faces have disappeared as a result of the many regular washing, feeding and anointment rituals practised by the mothers. The necklaces, belts, and wristlet are made of round and tubular glass beads. There are scarification marks on the abdomen. There are traces of solidified camwood powder (osun) all over the bodies. These remarkable works are clearly the work of a master sculptor.




Egba Owu Egbado Awori Ketu Anago Abeokuta, Egba Ogun, Egba Ibarapa, Egba Ibadan, Egba, Owu Ilogbo, Egbado Awori Ota, Awori Ketu Oke Odan, Anago Pobe, Anago


Statuettes masculine et féminine ere ibeji NIGERIA Abeokuta, EGBA

NIGERIA Abeokuta, EGBA

Bois, perles, cauris Hauteur 22,5 et 24 cm

Wood, beads, and cowrie shells Height: 22.5 and 24 cm

Provenance À gauche, Collection Alain Dufour Collection Xavier Richer À droite, Collection Tristan Tzara Galerie Zlotowski, Paris Collection Xavier Richer

Provenance: Figure on the leÙ: the Alain Dufour Collection; the Xavier Richer Collection Figure on the right: the Tristan Tzara Collection; the Galerie Zlotowski, Paris; the Xavier Richer Collection

Publication Statue e de droite publiée en page 58 de l’ouvrage Ibedji, le culte des jumeaux, Galerie Flak, 2001

ÞÞì / ÞÞÞ

Male and Female Statuettes (Ere Ibeji)

Literature: The statue e on the right was published on page 58 of the book Ibedji, le culte des jumeaux (‘Ibeji: the cult of twins’), Galerie Flak, 2001

À gauche, ce e figurine féminine présentée nue debout sur sa base, signée d’une croix, est l’œuvre du maître sculpteur Oniyide Adugbologe décédé en 1949. La coiffe avec traces d’indigo est montée en na es tressées. Nombreuses scarifications sur le visage. Les yeux et les oreilles sont percés. Collier, ceinture et bracelets de cheville en perles de verres rondes et tubulaires.

On the leÙ, the unclothed female figurine standing on a base incised with a cross on its underside, is the work of the master sculptor Oniyide Adugbologe, who died in 1949. There are traces of indigo on the coiffure, which comprises braids that are gathered up. There are many scarification marks on the face. The eyes and ears are pierced. The necklace, belt, and anklets are made of round and tubular glass beads.

À droite, ce e figurine masculine debout sur sa base est présentée vêtue d’un tablier noué dans le dos. Très belle patine brun sombre laqué. La coiffure, très élaborée, est montée en na es tressées dessinant comme des éventails. Les yeux et les oreilles sont percés. Nombreuses scarifications sur le visage. Cauris liés à un poignet. Ce e œuvre signée d’un triangle sous sa base est de la main du maître sculpteur Ayo Adugbologe, fils cadet d’Oniyide. Ce e famille fait partie de la célèbre école des sculpteurs d’Itoko.

On the right, the male figurine standing on a base is wearing an apron, which is fastened at the back. It has a very fine lacquered dark brown patina. The very elaborate coiffure is composed of braids that are gathered up, forming fan shapes. The eyes and ears are pierced. There are many scarification marks on the face. Cowrie shells are fastened to the wrist. This work is marked with a triangle on the underside of the base and is the work of the master sculptor Ayo Adugbologe, Oniyide’s youngest son. The Adugbologe family belongs to the famous Itoko School of sculptors.



Paire de jumeaux ere ibeji RÉPUBLIQUE DU BÉNIN K ETU Bois, tissu, cauris, perles, métal Hauteur 21 et 21,5 cm Largeur de la base du manteau 31 cm Provenance Collection Marceau Rivière Collection Xavier Richer

Ces figurines féminines sont présentées vêtues d’un manteau de cauris. De par son ancienneté il s’est rigidifié, rendant impossible la sortie des statue es. Les cauris sont curieusement cousus sur le tissu les pointes en l’air. Le style de ces ibeji est très proche des statue es EWE du Togo, du Bénin et du Ghana, à la différence que ces dernières ne portent jamais de manteaux de cauris, pas plus que des colliers en perles de verre. Les coiffes aux traces de couleur indigo sont courtes et crépues. Les traits des visages sont en partie effacés suite aux rituels réguliers de lavage, d’alimentation et d’application d’onctions par les mères. Les poitrines sont lourdes et généreuses. L’ibeji à gauche sur l’image porte un bracelet en métal ainsi que des ceintures en perles de verre tubulaires.

Þßâ / Þßè


Pair of Twin Figures (Ere Ibeji) REPUBLIC OF BENIN K ETU Wood, fabric, and cowrie shells, beads, and metal Height: 21 and 21.5 cm Width of the base of the mantle: 31 cm Provenance: The Marceau Rivière Collection; the Xavier Richer Collection

These female figurines are clothed in a mantle of cowrie shells. Over time, the mantle has become rigid, making it impossible to remove the statue es. Curiously, the cowrie shells have been sewn onto the fabric with their pointed ends facing outwards. The style of these ibeji is very similar to that of statue es EWE from Togo, Benin, and Ghana, the only difference being that the la er are never clothed in cowrie shell mantles, nor do they wear necklaces made of glass beads. There are traces of indigo pigment on the low, frizzy coiffures. The features of the faces have been partially abraded as a result of the many regular washing, feeding and anointment rituals practised by the mothers. The breasts are heavy and generous. The leÙ-hand ibeji is wearing a metal wristlet, as well as belts made of tubular glass beads.



Igbomina Yagba Ekiti Ife Oke Onigbin, Igbomina Baba Magba, Igbomina Offa, Igbomina Omu Aran, Igbomina Ila Orangun, Igbomina Iludun, Igbomina Egbe, Yagba Efon Alaiye, Ekiti Gbongan, Ife


Þë× / ÞëØ

Paire de jumeaux ere ibeji

Pair of Twin Figures (Ere Ibeji)

NIGERIA Oke Onigbin, IGBOMINA

NIGERIA Oke Onigbin, IGBOMINA

Bois, perles, corail, métal, bois de coco Hauteur 27 cm

Wood, beads, coral, metal, and coconut shell Height: 27 cm

Provenance Collection Yann Ferrandin Collection Xavier Richer Collection particulière, France

Provenance: The Yann Ferrandin Collection; the Xavier Richer Collection; in a private collection, France

Publication Publiée en page 27 de l’ouvrage Ibedji, le culte des jumeaux, Galerie Flak, 2001

Literature: Published on page 27 of the book Ibedji, le culte des jumeaux (‘Ibeji: the cult of twins’), Galerie Flak, 2001

Ces figurines exceptionnelles masculine et féminine sont présentées nues debout sur leur base en position très tendue vers l’avant. Il s’agit là de deux œuvres exécutées par la main d’un maître sculpteur. La patine au ton brun clair laqué est superbe. Les coiffes aux traces de couleur indigo évoquent probablement les bonnets portés par les anciens dignitaires. Les seins, les mains et les pieds surdimensionnés ajoutent à la qualité et à l’originalité des statue es. Les yeux sont cloutés. Des scarifications apparaissent sur les visages. Colliers, ceintures et bracelets en perles de verre rondes et tubulaires, en corail, en bois de coco et en métal. Ce style d’ibeji est très rare dans les collections. Il s’agit là d’œuvres majeures des arts du Nigeria.

These exceptional unclothed male and female figurines are standing on their bases in a stance that is inclined forward. These two pieces were clearly executed by a master sculptor. The lacquered light brown-coloured patina is superb. There are traces of indigo pigment on the coiffures, which probably resemble the hats worn by the dignitaries of the past. The oversized breasts, hands, and feet highlight the mastery and originality of the statue es. The figures have nail eyes. There are scarification marks on the faces. The necklaces, belts, and wristlets are made of round and tubular glass beads, coral, coconut shell, and metal. This style of ibeji is very rarely found in collections. These are particularly fine examples of the arts of Nigeria.



ÞØì / ÞØÞ

Statuette féminine ere ibeji

Female Statuette (Ere Ibeji)

NIGERIA IGBOMINA

NIGERIA IGBOMINA

Bois, perles, tissu, cauris Hauteur 27 cm

Wood, beads, and fabric, and cowrie shells Height: 27 cm

Provenance Vente Drouot, Étude Pierre Corne e de Saint-Cyr, 2001 Collection Xavier Richer

Provenance: Acquired at auction, Hôtel Drouot, Étude Pierre Corne e de Saint-Cyr, 2001; the Xavier Richer Collection

Ce e figurine féminine est vêtue d’un manteau de cauris. Très belle patine au ton brun-rouge laqué. Haute coiffe montée en na es tressées. Des scarifications apparaissent sur le visage effacé par les rituels réguliers de lavage, d’alimentation et d’application d’onctions par les mères. Les yeux et les oreilles sont percés. Ceinture en perles de verre. Un cache-sexe a aché par une ceinture est sculpté dans le bois. La sculpture des mains et des pieds est très soignée.

This female figurine is dressed in a mantle of cowrie shells. It has a very fine lacquered reddish-brown patina. The high coiffure consists of braids that are gathered up. There are scarification marks on the face, which has been abraded as a result of the many regular washing, feeding and anointment rituals practised by the mothers. The eyes and ears are pierced. The belt is made of glass beads. A cache-sexe fastened with a belt is carved directly in the wood. The carving of the hands and feet is very masterful.



Réflexions Je connais Xavier Richer depuis plus de vingt ans. Ses « jumeaux » arrivent à l’atelier seuls, parfois par paire voire par triplés… Lorsque Xavier entre arborant un large sourire, je sais qu’il va me présenter sa dernière découverte. Chaque nouvel arrivant fait l’objet d’un rituel immuable. Il me présente son acquisition avec un enthousiasme communicatif, m’expliquant point par point, avec une précision chirurgicale, les raisons pour lesquelles cet objet lui procure autant d’émotion : détails stylistiques, ancienneté, qualité de la sculpture, rareté iconographique, usure et patine. Puis, après le partage, vient la discussion sur la manière d’envisager et de réaliser le socle ; avec ce e volonté de magnifier l’objet tout en concevant un support qui doit toujours s’effacer devant l’œuvre. Il nous arrive d’intervenir a minima pour la stabilité de l’objet ou simplement pour rectifier sa position dans l’espace. Nous reconstituons également, à sa demande, de manière schématique, les parties endommagées à la base de certaines figurines. Année après année, mon regard a évolué. Grâce à Xavier j’ai pu appréhender le monde si fascinant des ibeji et découvrir l’étonnante diversité de ces petits personnages a achants. Je lui suis infiniment reconnaissant de m’ouvrir, grâce à cet ouvrage, l’accès à sa remarquable collection. Ce e armée d’ibeji va être aujourd’hui confrontée au regard des autres. JACQUES LEBRATï monteur d’objets d’art Se voir confier un objet à restaurer crée une double rencontre. L’une avec l’œuvre, l’autre avec son propriétaire. Ensemble, nous étudions et décidons de l’intervention la plus légère possible à réaliser sur la pièce pour ne pas nuire à son aspect d’origine. J’ai découvert les ibeji, ces véritables chefs-d’œuvre de petite taille, manipulés, choyés au quotidien selon la coutume, créant ainsi ces patines aux nuances variées d’une grande beauté. C’est exceptionnel et rare lorsque certains traversent, pratiquement intacts, plus d’un siècle alors que la majorité ont subi des ÞØ×

dommages irréversibles dus aux a aques des xylophages. Reconstruire une oreille disparue, reboucher une fente disgracieuse, c’est redonner à la sculpture tout son équilibre et l’élégance qu’elle mérite. Les ibeji présentés dans cet ouvrage ont beaucoup vécu. Ils ont intégré au plus profond de leur chair les marques du temps, les caresses des mains nourricières enduites d’onguents, de beurre de karité mélangé à ce e poudre rouge de bois solidifiée appelée « camwood ». Je suis heureux de participer avec grand soin à la conservation de ce patrimoine des arts premiers. SERGE DUBUC

restaurateur d’objets d’art Ma profession m’amène régulièrement à photographier des objets d’art africain. Je connaissais peu les ibeji quand Xavier Richer m’a contacté pour illustrer l’ouvrage. Au premier contact avec ces statue es en bois, disposées en groupe à la manière d’enfants sur une photo de classe, toutes me semblaient identiques. Quelques explications concernant la rareté de l’une, l’exception de l’autre, m’ont familiarisé avec ces œuvres. Face à l’objectif, en léger contre-jour, elles livrent leurs secrets. Sous l’effet des boîtes à lumière, des couleurs profondément imprégnées dans le bois apparaissent, des patines aux tons brun-rouge, noir laqué luisent et dessinent les corps. Les perles de verre multicolores des colliers, des ceintures et des bracelets, les coiffes sculptées en na es tressées embellissent l’image. Des scarifications géométriques se détachent des visages, des torses et des dos. Les mains sagement posées sur le haut des cuisses, les ibeji sourient ou arborent une moue dubitative, parfois même goguenarde. Enveloppé par les lumières du studio, chaque visage s’anime de sa propre expression, souvent impénétrable, plongé dans une profonde intériorité. Devenu portraitiste, je tente alors d’immortaliser la beauté de ces personnages sacrés magnifiquement sculptés par des artistes virtuoses. CHRISTOPHE DI PASCALE

photographe


Personal Reflections I have known Xavier Richer for over twenty years. When his ‘twin figures’ are brought to the workshop, they are sometimes alone, in pairs, or in sets of three. When Xavier enters the workshop wearing a broad smile, I know that he is going to show me his latest discovery. Each new arrival goes through a well-established ritual. He shows me his acquisition and tells me all about it with great enthusiasm, giving me a step-by-step explanation— with almost surgical precision—of the reasons why he is so excited about the object: statistical details, its age, the quality of the sculpture, its iconographic rarity, and the wear and patina. And then, aÙer telling me this, we discuss how and what sort of base can be made; in any case, the base is designed in such a way that it enhances the figure but does not distract the viewer’s a ention from the beauty of the object. Sometimes the intervention is minimal, designed solely to increase the figure’s stability or rectify its balance and posture. We also repair—on his request and in a schematic way—damaged areas on the lower parts of certain figures. Over the years, my appreciation of these works has grown. Thanks to Xavier, I have gained an understanding of the fascinating world of the ibeji and discovered these endearing figures in all their incredible diversity. I am extremely grateful to him for giving me the opportunity—thanks to this book—to view his remarkable collection; and others will now also be able to view this army of ibeji figures. JACQUES LEBRAT

mounter of objets d’art Receiving an object that requires restoration involves a dual encounter—with the work and its owner. We look at the piece together and decide on the least disruptive form of intervention in order to preserve the figure’s true nature. I have learned to appreciate these ibeji figures: veritable miniature masterpieces, which are regularly handled and pampered according to custom, thereby creating varied and extremely beautiful shades of patina. It is exceptionally rare to see ibeji figures that have remained virtually undamaged for over a century, as most of them have suffered irreversible damage

due to a acks by wood-eating insects. Reconstructing a missing ear or filling an unsightly split restores the sculpture’s whole balance and innate elegance. The ibeji figures presented in this book have been heavily used. Every part of them bears the marks of time: those leÙ by the caresses of the hands that nourished them during the feeding rituals and which were coated with ointments, consisting of shea bu er mixed with a solidified red powder known as camwood. I am delighted to be able to participate in the delicate operation of conserving this heritage of African art. SERGE DUBUC

restorer of objets d’art I regularly photograph African objets d’art as part of my work. I knew li le about the ibeji when Xavier Richer contacted me about illustrating the book. When I first saw the wooden statue es, which were arranged in a group like children in a class photo, they all seemed to be identical. Some explanatory information about the rarity of some of the figures and the uniqueness of others enabled me to become acquainted with these works. When they were placed in front of the camera, with a slight amount of backlight, every detail was highlighted. Placed inside light boxes, the light has brought out the rich colours of the wood; lacquered reddish-brown and black patinas highlight the figures and give them a glossy appearance. The multicoloured glass beads on the necklaces, belts, and wristlets, and the carved braided coiffures enhance the images. Geometric scarifications are visible on the faces, torsos, and backs of the figures. With their hands resting discreetly on their upper thighs, the ibeji smile or wear a dubious frown, which sometimes even has a mocking appearance. Enveloped in the light of the studio, each face wears its own expression, which is oÙen impenetrable and reveals a profound interiority. As a portrait photographer, I have endeavoured to immortalise the beauty of these sacred figures, which have been very skilfully carved by virtuoso artists. CHRISTOPHE DI PASCALE

photographer ÞØØ



Xavier Richer. Expédition en 1973 sur le fleuve Ouémé au Dahomey (République du Bénin depuis 1975) Xavier Richer. Expedition in 1973 on the Ouémé River. Dahomey (Republic of Benin since 1975)

Xavier Richer Embarqué à seize ans sur un cargo à destination de l’Afrique de l’Ouest, Xavier Richer tente une carrière dans la marine marchande. Le mal de mer en décidera autrement. De retour à Paris, il se passionne déjà pour les arts premiers en visitant les galeries de Saint-Germain-des-Prés. Sa rencontre avec Jacques Kerchache sera déterminante. Il confie à Xavier Richer une véritable carte aux trésors du Dahomey (République du Benin depuis 1975) sur laquelle figurent tous les repérages qu’il y avait effectués. Deux mois de remontée du fleuve Ouémé en pirogue lui perme ront d’acquérir auprès des villageois de nombreux objets dont la première paire d’ibeji présentée en page 117 de cet ouvrage. Ce sera le point de départ de la constitution de sa collection d’art africain, avec une préférence pour les pièces du Nigeria et de la Côte d’Ivoire. Xavier Richer, photographe depuis les années 1980, a réalisé de nombreux reportages sur l’Afrique, le Moyen-Orient et Paris pour les grands magazines. Il a publié plus de trente-sept ouvrages notamment au Chêne, chez Flammarion, Hache e, Bower, Atlas, la Bibliothèque des Arts et, très récemment, chez Glénat, Maroc, émotions couleurs.

Extrait de la carte, annotée par Jacques Kerchache, de l’expédition sur le fleuve Ouémé. Dahomey, 1973 . (République du Benin depuis 1975). Collection Xavier Richer. Detail of the map, annotated by Jacques Kerchache, of the expedition on the Ouémé River. Dahomey, 1973 (present day Republic of Benin). The Xavier Richer Collection.

Xavier Richer signed on as a seaman in the French merchant navy and sailed on a cargo ship bound for West Africa at the age of sixteen, but his naval career was curtailed by seasickness. Upon his return to Paris, he visited the galleries in Saint-Germain-des-Prés and developed a fascination with non-Western art. His meeting with Jacques Kerchache was decisive: he handed Xavier Richer a veritable treasure map of Dahomey (present day Benin), on which all his research was indicated. Xavier spent two months travelling up the Ouémé River by pirogue, enabling him to acquire numerous objects from the villagers, including the first pair of ibeji presented on page 117 of this book. This was the starting point for his collection of African art, with a focus on works from Nigeria and Côte d’Ivoire. Xavier Richer has been a photographer since the 1980s and has produced many reports about Africa, the Middle East, and Paris for famous magazines. He has had more than thirty-seven photography books published by Éditions du Chêne, Flammarion, Hache e, Bower, Atlas, and the Bibliothèque des Arts—, the most recent of which is entitled Maroc, émotions couleurs (‘The sensual colours of Morocco), published by Éditions Glénat. ßìì / ßìÞ


Hélène Joubert Diplômée de l’École du Louvre, de l’université de Paris I, de l’Institut national des langues et civilisations orientales et de l’École nationale du patrimoine, Hélène Joubert a fait des arts africains, du Nigeria et de l’art yoruba en particulier, le centre de son intérêt et de ses études. Conservateur en chef et responsable de l’unité patrimoniale Afrique au musée du quai Branly depuis 2005, elle a été commissaire de plusieurs expositions, en France et à l’étranger, dont Ubuntu, arts et cultures d’Afrique du Sud (musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie, Paris, 2002), Visions d’Afrique (musée national d’Histoire de Taipei, Taïwan, 2003-2004) et Central Nigeria Unmasked, Arts of the Benue River Valley (Fowler Museum, Los Angeles, 2011 – musée du quai Branly, Paris, 2012). Auteur d’articles et d’essais – dont « Messages noués, paroles cousues : l’art des adire du Nigeria », in Chemins de couleur, musée du quai Branly, 2008 ; « Connaître hier pour expliquer aujourd’hui : l’art divinatoire chez les Yoruba », in Voir l’invisible, musée d’Aquitaine, 2011 ; « Objets de pouvoir et de désir, une exploration des arts du Nigeria dans les collections privées françaises », in Les Arts du Nigeria dans les collections privées françaises, éditions 5 Continents, 2012 –, elle a également contribué à des tournages de documentaires, notamment, en 2007, Les ibeji yoruba, de la série « Enquête d’art », et en 2008, Osun Osogbo, la forêt et l’art sacré des Yoruba, interviews sous la direction de Pierre Guicheney. A graduate of the École du Louvre, Université de Paris I, the Institut National des Langues et Civilisations Orientales (National Institute of Oriental Civilisations and Languages), and the École Nationale du Patrimoine (National Heritage School), Hélène Joubert has made African arts—particularly those of Nigeria and Yoruba—the focus of her research work. Chief curator and Head of the African Heritage Department at the Musée du Quai Branly since 2005, she has curated several exhibitions in France and abroad: ‘Ubuntu, arts et cultures d’Afrique du Sud’ (‘Ubuntu: the arts and cultures of South Africa’, Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie, Paris, 2002), ‘Visions d’Afrique’ (‘Visions of Africa’, National Museum of History Taipei, Taiwan, 2003–2004), and ‘Central Nigeria Unmasked: Arts of the Benue River Valley’ (Fowler Museum, Los Angeles, 2011, and the Musée du Quai Branly, Paris, 2012). She is also the author of various articles and essays: ‘Messages noués, paroles cousues : l’art des adire du Nigeria’ (‘Kno ed messages and sewn words: the adire art of Nigeria’, in Chemins de couleur, Musée du Quai Branly, 2008; ‘Connaître hier pour expliquer aujourd’hui : l’art divinatoire chez les Yoruba’ (‘Knowing the past in order to understand the present: the divinatory art of the Yoruba’), in Voir l’invisible, Musée d’Aquitaine, 2011; and ‘Objets de pouvoir et de désir, une exploration des arts du Nigeria dans les collections privées françaises’ (‘Objects of power and desire: a study of the arts of Nigeria in French private collections’), in Les Arts du Nigeria dans les collections privées françaises, Éditions 5 Continents, 2012. She has also contributed to the making of various documentaries, in particular Les ibeji yoruba (‘The Yoruba ibeji’), in the ‘Enquête d’art’ series (2007), and Osun Osogbo, la forêt et l’art sacré des Yoruba (‘The Osun Sacred Forest and the sacred art of the Yoruba’), in which the interviews were conducted under the direction of Pierre Guicheney. ßìß / ßìé

Statue e masculine ere ibeji Nigeria, Abeokuta, Egba Male Statue e (Ere Ibeji) Nigeria, Abeokuta, Egba




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