Albert Besnard (1848-1934). Modernités Belle Époque (extrait)

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Le décorateur

A

près la défaite de 1870, la nécessité d’une réforme, politique, morale, culturelle et artistique, s’imposa. Héritière de la philosophie des Lumières, la Troisième République récemment proclamée eut à cœur de défendre hautement ses convictions, inscrites, à des fins didactiques, sur les murs et les plafonds des nouvelles constructions élevées à sa gloire. Ainsi les commandes de décors peints contribuèrent non seulement à embellir les édifices publics, mais encore à affermir le régime en diffusant plus lisiblement ses valeurs éthiques et politiques. Très tôt, Albert Besnard rêva de s’adonner à la « grande peinture », digne héritière de la peinture d’histoire. Il avoua à Jules Huret que, dès l’âge de douze ans, il se levait à quatre heures du matin pour décorer le plafond de sa chambre parisienne, rue de l’Abbaye (J. Huret, ms inédit). Il faut dire que, conjuguée à l’air ambiant, l’autorité de l’unique maître que le peintre ait jamais reconnue, celle de Jean-François Brémond (1807-1868), s’avéra décisive, bien avant son admission à l’École impériale et spéciale des Beaux-Arts en 1866 et les influences italiennes des années 1875-1878. Décorateur lui-même, Brémond enseigna à son jeune protégé ce qu’était un véritable artiste. Il le poussa à « démêler » ce qu’il fallait faire pour le devenir, sans jamais nuire à ses propres penchants. Ces temps de gésine préparaient lentement son entrée dans le monde des décorateurs. Les commandes des décors étaient soit publiques, soit privées. Elles relevaient de commanditaires variés : État, ville de Paris, collectionneurs particuliers, amis. Pour obtenir des travaux officiels, Besnard se présenta à des concours qui ne lui furent pas toujours favorables dans les mairies de la capitale et de la banlieue parisienne. Il sut cependant très vite prouver son savoir-faire dans le genre décoratif et, de ce fait, profita de son renom dans ce domaine. Il eut encore la possibilité de tirer avantage d’appuis politiques ou amicaux. Le plus souvent, il fut recruté par commande directe. Lorsque, dans les prémices de sa carrière, il sollicitait l’honneur de réaliser un travail, le peintre rappelait son prix de Rome. Au xixe siècle, l’État privilégiait les lauréats de cette récompense, garantie de maîtrise de la technique picturale. Les emblèmes civiques en vogue et leurs fondements éthiques (le mariage, la famille, le travail, le respect des parents, les concepts de liberté, d’égalité, de charité-fraternité, l’apologie de la science, du savoir, du progrès, la défense de la patrie) ont imprégné l’œuvre décoratif de Besnard, qui ne déroge pas à l’iconographie de son temps, et sait répondre aux attentes des instances de la République. Toutefois, peu propagandiste de nature, individualiste par tempérament, absorbé par ses propres recherches intellectuelles et stylistiques, le décorateur a interprété, à sa manière, le « catéchisme républicain ». Le présent historique, collectif, se nourrissait nécessairement pour lui d’un présent existentiel, personnel, qu’il n’omit pas de traduire dans ses décors. Avant d’exécuter ses grandes décorations, il se réfugiait dans une solitude indispensable à son inspiration et s’abîmait dans ses mondes imaginaires. Il les pensait ensuite avec rigueur et cherchait en des dessins à la plume, voire en des formules écrites, une idée en rapport avec le lieu qu’il avait à orner car il eut toujours le souci

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