La quête de l'horizon : reconnecter le port de pêche industriel de Skagen à son centre-ville

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RECONNECTER UN SITE DE

PRODUCTION DE MASSE À SON

ENVIRONNEMENT URBAIN HISTORIQUE

Valoriser le patrimoine industriel et architectural de la ville de Skagen au Danemark

HABITER : ARCHITECTURE, VILLE, NATURE

Jean-Marc Bichat, Étienne Lenack, Ludovic Vion - DE 5 : Territoires de l’Architecture

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier chaleureusement mes professeurs de projet, Jean-Marc Bichat, Étienne Lenack et Ludovic Vion pour leurs remarques pertinentes et complémentaires qui m’ont été essentielles pour mener à bien ce PFE.

Merci également à tous les professeurs et intervenants que j’ai rencontrés au cours de mes études. Une pensée particulière pour Sébastien Blondiot, Jean-Louis Garnier, Laurent Beaudouin, Emma Filipponi et Jean Mas, qui m’ont enseigné les bases de cette discipline et transmis leur passion.

Enfin, un immense merci à Bertille, Constance, Baptiste, Killian, Ève et Henri pour leur soutien et leur amitié qui ont fait de ces six années une expérience inoubliable. Merci à Clément pour son soutien constant et sa présence précieuse, notamment lors des trois voyages au Danemark qui ont nourri et enrichi ce projet de fin d’études.

Figure n°2 Skagen, terre de culture et de lumière
Photographie de l’autrice, 11.02.24

Norvège

KRISTIANSAND

AALBORG

SKAGEN

GÖTEBORG

AARHUS

Danemark

Suède

MALMÖ

COPENHAGUE

ODENSE

FLENSBOURG

Allemagne

HAMBOURG

LE DANEMARK À VÉLO

En septembre 2023, au détour d’un voyage à vélo le long de la côte danoise, j’ai eu la chance de faire halte dans la petite ville côtière de Skagen, nichée à l’extrémité nord du Danemark. Sans préjugés ni connaissances préalables, j’ai été marquée durant ce périple par la découverte inattendue d’une destination bien plus riche et fascinante que prévu.

SKAGEN ODDE

La ville de 7600 habitants est située sur une péninsule de 3 km de large et de 13 km de long, elle évoque une ville du « bout du monde ». À la confluence des courants de la mer Baltique et de la mer du Nord, Skagen est recouverte de vastes étendues de graminées, ponctuées de clochers blancs et de phares se démarquant sur les camaïeux de verts et de bleus de la réserve naturelle de Grenen. Les petites maisons à l’enduit jaune et aux toits rouges vifs tapissent le paysage sauvage des dunes, rappelant que l’homme a su s’adapter à ce climat hostile.

ARCHITECTURE DE CONTEXTE

Mon enthousiasme pour l’architecture danoise et scandinave avait déjà germé bien avant cette aventure, alimenté par un intérêt pour sa singularité et sa fonctionnalité. Des architectes tels qu’Alvar Aalto, Arne Jacobsen, Erik Gunnar Asplund, Jørn Utzon, Kay Fisker ou plus récemment Dorte Mandrup ont influencé cette perception. Les premiers pas effectués sur le territoire m’avaient déjà impressionnée par la simplicité qui se dégageait de son architecture : une alliance entre tradition et innovation, entre esthétique épurée et fonctionnalité. L’exploration lente et approfondie des rues et des paysages par le biais du vélo m’a totalement séduite.

Ces voyages successifs m’ont permis de réaliser que l’architecture danoise, et scandinave en général, était intimement liée à son environnement. Il s’agit d’un urbanisme conscient de son contexte, s’adaptant au climat et s’intégrant harmonieusement dans le paysage naturel et historique. J’ai compris que l’eau était au cœur de cette relation entre l’homme et

son environnement. Elle guidait, contraignait, nourrissait et inspirait les Danois, tissant un lien immuable entre la terre et la mer.

SAISIR LA TEMPORALITÉ

Je suis retournée à Skagen en février 2024, en van cette fois. La petite ville de 7000 habitants m’est apparue bien différente à six mois d’intervalle, les dunes et les graminées s’étant recouvertes d’un manteau blanc et ses phares disparaissant dans un brouillard épais. Il m’a paru essentiel d’explorer ce territoire durant son pic de fréquentation, en été, mais également en hiver où le climat est rude et où la ville n’est habitée que par les locaux et les pêcheurs.

LE RÔLE DE LA PHOTOGRAPHIE

La photographie occupe une place centrale dans ce rapport, servant à capturer et à révéler le génie unique de Skagen. La lumière distinctive de la région est ainsi mise en valeur, montrant comment elle sculpte les paysages et influence les atmosphères. Les photographies illustrent les contrastes et ruptures d’échelles entre les vastes étendues naturelles, le

port industriel et les structures humaines. La lumière, les ambiances et les couleurs apportent une dimension visuelle qui transcende les descriptions textuelles, permettant au lecteur de ressentir pleinement l’essence du charme maritime de Skagen.

UNE DUALITÉ SAISISSANTE

Durant ces deux visites, j’ai été frappée par la dualité entre son port de pêche, influent à l’échelle nationale, et son visage de petite ville de cartes postales. La zone portuaire s’est développée de manière exponentielle durant les 150 dernières années, pour occuper maintenant l’intégralité du front de mer et représenter un quart de la surface de la ville. L’habitat vernaculaire persiste dans la quasi-entièreté de la ville, créant un contraste surprenant entre la zone industrielle et la zone résidentielle.

Grâce à sa position stratégique entre deux mers, le port de pêche de Skagen a acquis cette notoriété nationale, notamment en diversifiant ses services (chantier naval, réfrigération, logistique, transformation du poisson, etc.)

et en investissant dans des usines modernes et l’accueil des croisiéristes en escale. En parallèle, l’attrait culturel et touristique de la ville pour ses paysages naturels, son architecture, et son histoire n’a étonnamment pas décliné. Le centre-ville s’est néanmoins tourné vers l’axe principal de la ville, celui qui mène à la pointe Nord du pays et sa réserve naturelle. Contrairement à la majorité des petites villes côtières, le centre-ville de Skagen ne s’oriente pas vers la mer mais vers la pointe Nord. J’ai été surprise par l’absence d’espace public en lien avec la mer, et plus généralement par l’absence de relation entre l’eau et l’architecture, pourtant un sujet si central au Danemark.

UNE VILLE À TROIS VISAGES

La ville est alors composée de trois mondes très distincts: la réserve naturelle de Grenen à la pointe du Danemark, la ville pittoresque de cartes postales et l’immense port de pêche industrielle. C’est particulièrement la liaison entre le monde du port et celui du centre-ville qui m’intéresse ici. Deux mondes séparés par une

simple route, sans transition ni interpénétration, un centre-ville tournant le dos à son ancrage historique en lien avec l’eau.

ENJEUX DU PROJET

Ce projet de fin d’études explore ainsi la transformation urbaine de Skagen. Du simple émerveillement initial à une critique constructive, j’ai progressivement formulé des hypothèses et des scénarios alternatifs, portant notamment sur la réintégration harmonieuse d’un site de production de masse dans son environnement urbain historique.

Figure n°4 : le paysage unique de côte ouest danoise Photographie de l’autrice, 07.09.23
Figure n°5
Photo de l’autrice (11.02.24)

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION

SOMMAIRE

COMMENT RECONNECTER UN SITE DE PRODUCTION DE MASSE À SON ENVIRONNEMENT URBAIN HISTORIQUE ?

Valoriser le patrimoine industriel de la ville de Skagen, Danemark

1. SKAGEN, ENTRE IDENTITÉ INDUSTRIELLE ET VERNACULAIRE

1.a. La pointe septentrionale du Danemark

VILLE NATURE : Géographie, géologie, paysages

1.b. Le génie d’un lieu entre terre et mer

VILLE CULTURE : Histoire, patrimoine, tourisme

1.c. Le port de pêche de Skagen comme pouls économique national

VILLE PORT : industrie, pilier économique national

2. UN DIALOGUE INTERROMPU : FRACTURE VILLE-PORT

2.a. Enjeux urbains et fractures spatiales

Centre ville linéaire et mono orienté vers la pointe de Grenen

2.b. Révéler l’héritage culturel et industriel

Préservation, modernisation, diffusion culturelle

2.c. Une nouvelle expérience portuaire

Stratégies, nouveaux repères, espaces publics fédérateurs

3. PROJET ARCHITECTURAL : COHABITATION ET MISE EN VALEUR

3.a. Halle de Criée : cœur battant de la pêche durable

INDUSTRIE : valoriser un savoir-faire

3.b. Espaces de vie : Halle polyvalente comme toit fédérateur

HABITANTS : rituels d’appartenance

3.c. Panorama sur le patrimoine : Belvédère et Centre d’Interprétation

TOURISME : retrouver le front de mer, identité du port

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

ENTRE IDENTITÉ INDUSTRIELLE ET VERNACULAIRE

SKAGEN
réserve naturelle de Grenen
mer du Nord
mer Baltique
FREDERIKSHAVN
HIRTSHALS
HJØRRING Figure

Figure n°8 : carte de Skagen et de la réserve naturelle de Grenen. Réalisation de l’autrice

port de pêche (usines, containers, réservoirs, entrepôts, frigos, chantier naval, ateliers, bureaux)

centre-ville mairie, théâtre, piscine, église, gare, musées, brasserie, restaurants, boutiques

extension récente du port (2020) polder de 20 ha déplacement de deux entrepôts du centre-ville pour le projet

route principale axe touristique majeur pour visiter la pointe du Danemark

parking de Grenen point de départ des randonnées

réserve naturelle de Grenen landes, zones humides, dunes et prés salés

mer Baltique
mer du Nord
pointe de Grenen rencontre entre la mer du Nord et la mer Baltique

Figure n°9 dynamique démographique de Skagen en comparaison avec Aarhus, 2ème plus grande ville danoise. Source : citypopulation.de

DYNAMIQUE DÉMOGRAPHIQUE

90+ ans (1 721)

80-89 ans (8 110)

70-79 ans (19 365)

60-69 ans (25 277)

50-59 ans (29 347)

40-49 ans (27 528)

30-39 ans (37 460)

20-29 ans (84 261)

10-19 ans (25 409)

0-9 ans (26 795)

ans (49,2%)

90+ ans (93)

80-89 ans (509)

70-79 ans (1 273)

60-69 ans (1346)

50-59 ans (1 222)

40-49 ans (789)

30-39 ans (678)

20-29 ans (487)

10-19 ans (653)

0-9 ans (521)

0-17 ans (36,4%) 0-17 ans (13,3%)

Skagen a vu sa population décroître constamment depuis les années 1960, passant de 12 000 habitants à environ 7 600 aujourd’hui. Cette diminution est principalement due au vieillissement de la population, constituée d’anciennes familles d’artistes et de pêcheurs, avec près de la moitié des résidents ayant entre 50 et 80 ans. Skagen reste administrativement dépendante de Frederikshavn pour de nombreux services, y compris les transports et l’éducation. Elle dispose néanmoins de trois écoles primaires, d’un hôpital, d’une piscine municipale, de deux maisons de retraite, de plusieurs centres sportifs, de plusieurs musées et d’un centre culturel comprenant un théâtre, un cinéma et une bibliothèque.

TRANSFORMATION ESTIVALE

Pendant la période estivale, de mai à octobre, Skagen se transforme radicalement en accueillant près de 2 millions de touristes, soit en moyenne 11 000 personnes par jour. Une employée de l’office de tourisme m’a confiée que la population triplait durant cette saison.

Ce flux massif de visiteurs est attiré par le charme balnéaire de la ville, qui offre un mélange parfait de pittoresque, de culture, d’architecture, d’histoire et de paysages naturels.

AU QUOTIDIEN

Les résidents permanents travaillent principalement dans les bâtiments publics ainsi que les quelques restaurants et hôtels ouverts toute l’année, mais surtout dans le port de Skagen, qui emploie environ 2 500 personnes quotidiennement. Bien que la ville soit relativement bien équipée en termes d’infrastructures locales, elle reste dépendante de ses villes voisines, notamment Frederikshavn, pour les niveaux d’éducation supérieurs et autres services commerciaux. Avec seulement 30 commerces pour 10 000 habitants, Skagen est classée en bas de l’échelle pour l’accès au commerce, une situation exacerbée par son caractère insulaire.

INSULARITÉ

Cette dépendance sur divers fronts n’a cependant pas empêché Skagen de développer une identité propre et une histoire riche. Le sentiment d’appartenance est fort parmi les résidents et les visiteurs réguliers, renforcé par le caractère unique de la ville. Elle est classée dans une dynamique de classe 3 au Danemark : bien que les opportunités d’emploi, notamment dans le port et le tourisme, soient en augmentation, la population continue de diminuer. Cette situation présente à la fois des défis et des opportunités pour ce projet de fin d’études.

LA POINTE SEPTENTRIONALE DU DANEMARK

FORMATION GÉOLOGIQUE

Skagen, la ville la plus au nord du Danemark, est implantée sur une étroite langue de sable mouvante de trois kilomètres de large et de 13 km de long appelée «Skagen Odde». Cette formation unique résulte de la sédimentation provoquée par la rencontre des courants de la mer du Nord et de la mer Baltique. La géologie de Skagen est dominée par le sable éolien, une caractéristique rare puisque ce type de sable ne couvre que 5% du pays. La pointe de Skagen, où la ville se trouve, ne s’élève qu’à 5 mètres au-dessus du niveau de la mer, avec une topographie variant entre 0 et 15 mètres d’altitude.

UN PAYSAGE EN MOUVEMENT

La péninsule de Skagen Odde, formée il y a environ 15 000 ans, est en mouvement constant. L’érosion de la rive occidentale et l’ajout de matériaux sur l’autre rive déplacent progressivement la péninsule vers l’est. Certaines maisons construites près de l’eau au début du XIXe siècle sont aujourd’hui à 500 mètres du rivage.

DIVERSITÉ DU PAYSAGE NATUREL

Le paysage naturel de Skagen

Odde est constitué de dunes coiffées de graminées, de buttes et de vallées formées par l’accumulation de matériaux suite à des tempêtes. Ces formations naturelles offrent un panorama diversifié, alternant entre zones sèches exposées aux vents extrêmes et vallées humides protégées. Les dunes mouvantes, stabilisées par des plantations de mousses, arbres et buissons, créent un habitat varié et dynamique.

LA LUMIÈRE DE SKAGEN

La lumière distincte de Skagen Odde, surnommée la «Land of Light», est due à la topographie spécifique de la région. Une bande étroite de terre entourée d’eau reflète les rayons du soleil, conférant une qualité lumineuse unique qui a grandement influencé les artistes de Skagen. La lumière rasante du nord est réfléchie sur le sable blanc, diffusée par l’humidité et les particules de sel dans l’air, créant une luminosité particulière qui a attiré de nombreux peintres impressionnistes au XIXe siècle.

Skagen
Figure n°12 : la lumière unique de la péninsule photographie de l’autrice, 11.02.24
Figure n°11 le processus de sédimentation de Skagen Odde source : S. SØLBERG, GEUS. BP = Before Present (1950)

BIODIVERSITÉ EXCEPTIONNELLE

Skagen Odde abrite une biodiversité exceptionnelle, particulièrement riche en espèces d’oiseaux, on peut y observer 367 espèces différentes sur les 471 présentes dans le pays. La rencontre des deux mers crée un écosystème riche et diversifié, offrant un habitat idéal pour de nombreuses espèces d’oiseaux notamment pour les oiseaux migrateurs, ce qui attire des ornithologues du monde entier.

La réserve naturelle de Grenen accueille plus d’un million de visiteurs par an, principalement des Danois, Allemands, Norvégiens, Suédois et Anglais.

La faune marine est également abondante autour de Skagen, avec des populations de phoques, de dauphins et une diversité de poissons et de crustacés. Les eaux riches en nutriments favorisent la prolifération de la vie marine, faisant de la péninsule un lieu prisé pour la pêche et l’observation de la faune aquatique. La présence de marais et zones marécageuses à proximité de la mer crée des écosystèmes complexes où la faune et la flore sont

riches. Ces zones humides sont cruciales pour la reproduction de nombreuses espèces d’oiseaux et d’insectes, contribuant à la biodiversité globale de la région.

PROTECTION ET CONSERVATION

La protection de la réserve naturelle est essentielle pour préserver son paysage et sa faune, tout en soutenant le tourisme, qui est l’une des principales sources de revenus de la région. Skagen Odde est protégée par divers programmes nationaux et européens, comme Natura 2000 et LIFE02. En 2000, le Skagen Odde Nature Centre construit par Jorn Utzon a ouvert pour mettre en valeur les atouts naturels de la région. La réglementation de 2007 a renforcé la protection de cette zone, tout en améliorant les infrastructures touristiques. Il est maintenant impossible d’y construire, et les infrastructures présentes ont fait l’objet d’une meilleure insertion dans le paysage naturel.

Figure n°13 : la promenade populaire sur la côte, jusqu’à la pointe de Grenen photographie de l’autrice, 10.02.24
Figure n°14 : une faune marine riche : phoque gris photographie de l’autrice, 10.02.24
Figure n°15 : un paysage changeant la réserve naturelle de Grenen à 7h15 photographie de l’autrice, 11.02.24
Figure n°16 un paysage changeant : la réserve naturelle de Grenen à 7h30. La tempête de neige n’empêche pas ces trois habitants de faire leur promenade quotidienne. Le phare gris au loin (à gauche) rappelle la proximité avec la ville Photographie de l’autrice 11.02.24

LE GÉNIE D’UN LIEU

ENTRE TERRE ET MER

ORIGINES ET SIGNIFICATION

Le nom « Skagen », qui signifie «la pointe» en vieux norrois, reflète sa position géographique unique. Mentionnée pour la première fois dans des documents historiques au XIIIe siècle, des vestiges archéologiques montrent que la région était habitée bien avant cette période. Au Moyen Âge, Skagen était principalement un village de pêcheurs, bénéficiant de sa proximité avec les eaux poissonneuses des mers du Nord et Baltique. La pêche, notamment celle du hareng, constituait l’activité principale, avec des marchés de poisson attirant des commerçants de toute l’Europe.

SCHÉMA DÉMOGRAPHIQUE

L’évolution démographique de Skagen reflète les changements économiques et sociaux de la région au fil du temps. Initialement, la population était stable et modeste, constituée principalement de pêcheurs et de leurs familles.

Le village de pêcheurs de Skagen a progressivement évolué, atteignant 1400 habitants en 1850.

La construction de la gare en 1890 a marqué une période d’afflux de peintres impressionnistes

attirés par la lumière unique de la région, ce qui a conduit à une croissance rapide de la population, doublant en une décennie pour atteindre 2800 habitants en 1901. La ville a acquis le surnom de «Land of art and Light» grâce à cette communauté artistique. Le pic démographique a été atteint en 1960 avec 11 250 habitants, période marquée par la révolution de l’industrie de la pêche et l’essor du tourisme. Aujourd’hui, Skagen compte 7000 habitants avec une densité de 100 habitants par kilomètre carré.

Les guerres mondiales et l’industrialisation ont conduit à une nouvelle phase de croissance. L’amélioration des infrastructures portuaires et l’introduction de nouvelles technologies de pêche ont attiré des travailleurs qualifiés et leurs familles, contribuant à une croissance démographique stable. Aujourd’hui, bien que la population permanente soit d’environ 7000 habitants, ce nombre quadruple durant la saison touristique (de mai à septembre) soulignant l’importance du tourisme pour l’économie locale.

Figure
Figure

DÉCLIN ET RENAISSANCE

Au début du XVIIe siècle, Skagen a fait face à des temps difficiles avec la diminution des stocks de harengs, des problèmes constants de dérives de sable et d’inondations, et des pillages par les soldats suédois pendant la guerre de Torstenson. Ces événements ont causé le déclin de Skagen comme centre commercial, favorisant Aalborg à la place.

À la fin du XIXe siècle, Skagen a commencé à renaître, attirant des artistes en raison de ses conditions de lumière uniques, ce qui a conduit à la création de la colonie d’art des Peintres de Skagen. Les premiers à arriver en 1871 étaient Holger Drachmann, Fritz Thaulow et Karl Madsen, suivis par Carl Locher, Michael Ancher et Peder Severin Krøyer. Ces artistes, cherchant à s’éloigner des styles fixes de l’historicisme et du néoclassicisme de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, ont été grandement influencés par l’impressionnisme

LES PEINTRES DE SKAGEN

Les Peintres ont transformé la ville en un centre artistique de

renommée internationale. Leur œuvre a capturé la lumière unique de Skagen et la vie quotidienne des pêcheurs, créant une riche archive visuelle de la région. Leurs peintures ont attiré l’attention non seulement des amateurs d’art, mais aussi des touristes, contribuant à la renaissance de Skagen comme destination culturelle. Plus de 2500 œuvres sont aujourd’hui exposées au musée de la peinture impressionniste de Skagen dans le centre-ville.

ARCHITECTURE TRADITIONNELLE

L’architecture traditionnelle de Skagen est caractérisée par ses maisons pittoresques aux toits de tuiles rouges et aux murs jaunis à la chaux. Ces maisons, souvent de petite taille, reflètent l’humilité et la simplicité des pêcheurs qui les ont construites. Elles sont disposées de manière compacte, formant des rues étroites et sinueuses qui créent une atmosphère intime et chaleureuse. Les fenêtres à petits carreaux et les portes colorées ajoutent au charme de ces habitations typiques. Parmi les bâtiments historiques notables, on trouve l’église de Skagen, construite au

Figure n°20 : Michael Ancher, A stroll on the beach,
Figure n°21 : Alfred H. Cooper. Skagen 1926. Wikipedia Commons

début du 19ème siècle, quatre phares dont l’un des plus anciens phares à bascule du Danemark, ou encore l’hôtel de ville construit par Ejnar Borg en 1968. L’architecte Ulrik Plesner a également joué un rôle crucial dans l’évolution esthétique de Skagen ; il a conçu de nombreux bâtiments emblématiques de la ville, tels que l’Hôtel Brøndums et le Musée de Skagen.

REPÈRES ET VERTICALITÉ

Dans un environnement dépourvu de relief marqué, les phares et les clochers se détachent nettement contre l’horizon, devenant des repères visuels essentiels non seulement pour la navigation mais aussi pour les résidents et les visiteurs. Leur présence continue de conférer à Skagen une identité distinctive, marquant l’intersection entre tradition maritime et paysage naturel. Le phare gris (Grå Fyr), construit en 1858, est le plus emblématique car il domine le paysage à 46 mètres de haut. À ce repère s’ajoute le vieux phare à bascule de Skagen (Vippefyr), datant de 1747, et un phare blanc plus récent à l’ouest (Vest Fyr).

ATTRAIT TOURISTIQUE

Le phénomène des dérives de sable a rendu Skagen célèbre dans le monde entier. L’établissement de la voie ferrée en 1890 a également connecté la ville au reste de l’Europe. Skagen est également devenue un lieu important pour la famille royale danoise au XXème siècle, qui y faisait souvent des séjours. Le roi a même construit une résidence pour sa femme, Klitgården, qui sert aujourd’hui de refuge pour les artistes.

La ville est aujourd’hui l’une des destinations touristiques les plus populaires au Danemark ; un mélange parfait de mer, paysages, lumière, histoire et culture. Il est courant de posséder une maison d’été à Skagen, et pour de nombreux Danois, c’est une sorte de rituel annuel. Néanmoins, Skagen reste également une destination populaire pour les courts séjours. Plus d’un million de personnes viennent chaque année simplement pour voir Grenen. La région est principalement visitée par des touristes internationaux venant de Norvège, de Suède, d’Allemagne et d’Angleterre.

Figure n°22 le phare gris de Skagen, 1858 photographie de l’autrice, 11.02.24
Figure n°23 : la rue commerçante principale de Skagen photographie de l’autrice, 11.02.24

LA VILLE DU BOUT DU MONDE

La péninsule est accessible par une route unique ou par train depuis Frederikshavn, au rythme d’un train toutes les heures, ce qui renforce l’aspect isolé de la ville par rapport au reste du pays. Le secteur tertiaire s’est fortement développé depuis les années 1960 et la démocratisation des congés payés. La ville compte un nombre disproportionné d’hôtels, restaurants et maisons de vacances par rapport au nombre de résidents annuels.

SAISONNALITÉ DU TOURISME

Elle est marquée par une affluence impressionnante de visiteurs chaque année, attirés par ses paysages pittoresques et son patrimoine. On considère que la population quadruple pendant la période estivale. Environ 300 000 touristes arrivent à chaque saison haute par bateau de croisière, faisant de Skagen une escale incontournable sur les routes de l’Europe du Nord. En plus des croisiéristes, un grand nombre de visiteurs arrivent par voiture, car Skagen a misé sur une grande capacité d’accueil des touristes avec des parkings surdimensionnés

dans le centre-ville et près de la pointe de Grenen. Néanmoins de nombreux touristes choisissent des modes de transport plus écologiques comme le train ou à vélo; le Danemark étant réputé pour être le premier pays en Europe pour le vélo tourisme.

LES RITUELS D’APPARTENANCE

Les rituels annuels de Skagen renforcent le sentiment d’appartenance ses habitants et l’identité culturelle du lieu. Le Skagen Ice Swimmers Festival a lieu en janvier, c’est une baignade hivernale collective qui célèbre la tradition scandinave. Depuis 1950 le Festival de musique en août et le marathon d’octobre attirent des visiteurs du monde entier. La fête de la Saint-Jean a lieu tous les ans en juin près du phare à bascule, et se termine par un feu de la joie sur les dunes de sable face au coucher de soleil. Le Skagen Fuglefestival en mai attire des passionnés d’ornithologie de l’Europe entière autour de randonnées, séances matinales d’observation et de photographies. Enfin, le Drachmann’s Day en janvier honore le peintre Holger Drachmann, celui qui a initié la résidence des

peintres de Skagen. Il est enterré dans les dunes, et les habitants célèbrent chaque année l’anniversaire de son enterrement qui a marqué l’histoire de la ville. Ces événements cultivent d’une part l’unité et valorisent le patrimoine de Skagen, mais permettent également de transformer les simples touristes en visiteurs habitués qui voient au delà de l’image de ville de carte postale.

LES 3 VITESSES DU TOURISME

Les touristes de courte durée, souvent croisiéristes ou visiteurs d’un jour venant d’Aalborg ou de Frederikshavn, profitent d’une brève escale pour découvrir les principales attractions. Les touristes de moyenne durée prennent le temps de visiter les musées et apprécier la réserve naturelle. Enfin, le tourisme de longue durée implique des séjours de quelques jours à deux mois. Ces visiteurs -souvent allemands ou danoispossèdent ou louent des maisons de vacances, explorent la région en profondeur, et s’immergent dans la culture locale, devenant ainsi des résidents temporaires et revenant généralement pour les grands événements à Skagen.

Skagen Fuglefestival - ornithologie

Le festival d’ornithologie de Skagen est réputé en Europe. Une semaine évènements autour de l’ornithologie randonnées, observation d’oiseaux, photographie, cours et ateliers éducatifs. Skagen se situe sur la route migratoire de près de 500 espèces d’oiseaux. Il a lieu à la mi-mai, les passionnées d’ornithologie viennent de loin et se lèvent tôt pour aller se positionner en haut des dunes de la réserve de Grenen pour espérer observer des espèces rares, comme le Balbuzard Pêcheur par exemple.

Midsummer - Fête de la Saint Jean

Les habitants et les visiteurs habitués se réunissent sur la colline du phare à bascule pour regarder le coucher de soleil puis allument le phare et passent la soirée autour d’un immense feu de la joie sur la plage.

Festival de musique

Le Skagen music festival existe depuis 1950 et est réputé au Danemark. Il rassemble des amateurs de musique sur plusieurs scènes près du phare à bascule, dans le parc de l’église, dans le centre culturel ou encore dans des hangars

Marathon de Skagen

Près de 3000 participent chaque année au marathon de Skagen, qui traverse la ville et la réserve naturelle. Il existe depuis 2010 et rassemble des visiteurs de plusieurs nationalités différentes comme des hollandais, des norvégiens, des allemands et même des américains.

Skagen Ice Swimmers Festival

Ancré dans la tradition danoise et scandinave, le festival du bain d’hiver rassemble des participants variés, venant parfois du sud du Danemark pour effectuer leur premier bain de l’année sur l’une des plus belles plages du pays. Les participants se rassemblent sur la plage qui longe le phare de Skagen.

Drachmann’s Day

Chaque année les habitants de Skagen célèbrent l’anniversaire de l’enterrement d’Holger Drachmann, célèbre peintre et auteur qui a initié la résidence des peintres de Skagen. Sa tombe domine les dunes proches du parking de la pointe de Grenen.

tourisme ponctuel (croisiéristes, visites d’une journée)

tourisme de moyenne durée (résidences de vacances)

tourisme cyclique (tourisme nature, sportifs et habitués)

rituels fédérateurs

LE PORT DE PÊCHE DE SKAGEN COMME POULS ÉCONOMIQUE NATIONAL

UN PORT DE PÊCHE

D’ENVERGURE NATIONALE

Bien que la taille de la ville de Skagen soit comparable à celle de Honfleur en France, son port a été développé pour répondre à des enjeux à l’échelle nationale. Il comprend des quais modernes, des grues de levage, des installations de déchargement et de traitement du poisson, des entrepôts frigorifiques, des bureaux administratifs ainsi que des équipements pour le ravitaillement, l’entretien et la réparation des bateaux de pêche. Au total, plus de 40 entreprises sont présentes sur le port. C’est également est un point de ravitaillement stratégique pour les navires naviguant entre la mer Baltique et la mer du Nord.

UN SECTEUR EN CROISSANCE

Le port couvre toutes les étapes de la pêche, de la capture à la vente, en passant par le traitement et le transport. Mesuré en termes de quantités et de superficie, il se hisse à la première place parmi les ports de pêche danois. Chaque année, environ 200 000 tonnes de poissons sont déchargées à Skagen, correspondant à environ 6 000 débarquements

annuels, soit une moyenne de 16 débarquements par jour. Ces dernières années, plus d’un milliard de couronnes danoises de poisson ont été débarquées (environ 134,4 millions d’euros), faisant de Skagen l’un des dix plus grands ports de pêche d’Europe du Nord. La majeure partie du poisson débarqué à Skagen est destinée à l’industrie pélagique, avec plus de 125 000 tonnes de farine et d’huile de poisson exportées vers plus de 60 pays chaque année.

TECHNIQUES DE PÊCHE ET ESPÈCES CAPTURÉES

Les techniques utilisées sont principalement le chalutage de fond et le chalutage pélagique. Le premier consiste à traîner un filet sur le fond de la mer pour capturer des poissons démersaux comme la morue et le flétan. Le chalutage pélagique cible les poissons vivant dans les couches supérieures de la colonne d’eau, tels que le hareng et le maquereau. Skagen se distingue en tant que principal port de débarquement de hareng en Europe du Nord, avec plus de 100 000 tonnes de cette espèce capturées chaque année. En plus des poissons, les

Figure n°25 vue sur le port de Skagen Google Earth pictures 2024
Figure n°26 vue aérienne

pêcheurs capturent également des crustacés comme des crevettes nordiques et des crabes. Bien que productives, ces méthodes de pêche sont critiquées pour leur impact environnemental, notamment sur les habitats marins et la capture accidentelle de jeunes poissons et d’autres espèces non ciblées.

POUMON ÉCONOMIQUE

La zone portuaire est le pouls économique de la ville et de la région. Plus de 2 500 personnes travaillent continuellement dans le port, dont 250 sur le chantier naval. Les activités sont diverses, allant de la réfrigération des produits de la mer à leur transformation en farine et huile, en passant par la réparation des chaluts et la maintenance des navires. Le port abrite également des réserves de fioul, des entrepôts de tri et de test alimentaires, ainsi que des bureaux administratifs pour la gestion logistique et les opérations d’exportation.

EXPANSION ET DIVERSIFICATION

Le port poursuit son expansion avec la construction en 2020 d’un nouveau polder de 20 hectares, ajoutant 1 km de quais et

augmentant la profondeur de l’eau dans les bassins existants. Ce projet cible les grands navires de pêche et de croisière, leur permettant désormais de décharger leur contenu sur des quais adaptés à leur échelle.

TOURISME DE CROISIÈRE

La ville est également un point d’ancrage important pour les croisières au nord du Danemark. Elle offre trois quais de croisière : le plus grand mesure 500 mètres de long, capable d’accueillir des navires de 400 mètres de longueur avec une profondeur d’eau de 12 mètres. Un second quai de 190 mètres peut accueillir des navires de 220 mètres de longueur avec une profondeur d’eau de 9 mètres. La troisième jetée de croisière, ajoutée en 2020, mesure 295 mètres de long et peut accueillir des navires de 300 mètres de longueur avec une profondeur d’eau de 13 mètres. Des navettes sont mises en place depuis le débarcadère pour permettre aux touristes d’atteindre directement le centre-ville ou le parking de Grenen afin qu’ils puissent voir la plage de la pointe, sans devoir déambuler dans le port, bruyant et peu accueillant.

Figure n°27 : chantier maintenance des paquebots photographie de l’autrice, 11.02.24
Figure n°28 : les grues maritimes du port Photographie de l’autrice, 11.02.24

“Je n’ai rien contre le port, il fait partie du paysage. Je ne suis pas fan des cheminées et des grues qu’on voit partout mais sinon je pense que c’est bien qu’on ait ça, ça fait vivre la ville, quoi.

Traduit de l’anglais. Entretien avec Jens au Kappelborg

LA VILLE FACE À SA

FAÇADE INDUSTRIELLE

Comme on peut le remarquer sur la carte de la ville, l’emprise du port occupe l’entièreté du front de mer urbanisé. En se promenant dans les rues du centre, on s’aperçoit qu’il occulte la quasi totalité des rues perpendiculaires à la mer. La limite entre ville et port est très nette, marquée par une simple route où les chariots élévateurs, les camions de réfrigération et les voitures de touristes cohabitent. Le seul point d’ancrage public en relation à la mer est la marina et ses 8 cabanons-restaurants, représentant un espace minuscule dans l’immensité du port. Bien que les piétons puissent se promener librement dans plus de 70% de la zone industrielle l’impression de déranger est omniprésente. Le port de plaisance, situé à l’extrémité du port, est difficile d’accès car il n’est pas directement connecté au centreville. Ceci illustre la dynamique surprenante entre la petite ville pittoresque et son port de pêche disproportionné.

réservoirs de fioul port de plaisance

entrepôts de stockage et de réfrigération usines de transformation du poisson (huile, farine) extension récente du port (20 ha) cabanons de stockage bureaux et logistique

Figure n°30 vue sur les usines du port photographie de l’autrice, 11.02.24
Figure n°31 : une rue typique du port, bordée par des caisses de poissons, palettes et réservoirs de fioul. Photographie de l’autrice 11.02.24
Figure
Figure

UN DIALOGUE INTERROMPU :

FRACTURE VILLE-PORT

Figure n°34 : photographie d’ambiance du port photographie de l’autrice, 10.02.24

ENJEUX URBAINS ET FRACTURES SPATIALES

Je ne vais presque jamais sur les quais, je n’y vois pas d’intérêt. Pourquoi aller me balader dans les entrepôts alors qu’il y a Grenen ? Et puis quand je veux boire un verre je vais au Kappelborg ou à la brasserie, je trouve ça bien plus convivial.

UN CENTRE-VILLE LINÉAIRE ET MONO-ORIENTÉ

Le centre-ville de Skagen est structuré de manière linéaire, orienté principalement vers la pointe touristique de Grenen. Toutes les places publiques et les infrastructures majeures, telles que l’hôtel de ville, l’église, les rues commerçantes, le centre culturel, la gare et le musée de Skagen, sont alignées le long de cet axe, créant une configuration urbaine fortement dirigée. Cette organisation reflète une focalisation historique et touristique, mais elle néglige le port et le front de mer, pourtant essentiels à l’identité de Skagen. Les visiteurs affluent vers Grenen, attirés par la confluence des deux mers, ignorant ainsi la façade maritime de la ville et le savoir-faire qui contribue au fonctionnement du port de pêche.

PERTE DE CONTACT

AVEC L’HORIZON

La quasi-totalité des rues perpendiculaires à la mer ont leur vue obstruée par des entrepôts et des hangars, bloquant toute perspective sur l’eau. Ces bâtiments, sans qualité architecturale notable, forment une barrière visuelle et

physique entre le centre-ville et le port. Cette configuration va à l’encontre de la genèse historique des villes portuaires, qui se développent généralement en symbiose avec l’eau. Cette absence de connexion crée une fracture spatiale importante, pourtant intrinsèque à la vie côtière et à l’image d’une ville portuaire.

LA QUALITÉ DU VIDE

Lors de ma première visite à Skagen, le manque de places publiques en lien direct avec l’eau m’a frappée. Les places existantes sont des parkings, n’encourageant pas un temps d’arrêt en lien avec la mer. Les quais, qui devraient être des lieux de promenade et de rassemblement, sont en réalité des routes empruntées par les voitures des ouvriers du port et des parkings pour les travailleurs des entrepôts. La place de la mairie, bien que centrale, n’offre pas ces qualités, malgré son envergure. Le même constat s’applique au parking devant l’office de tourisme, qui est en réalité le seul vide en relation avec la mer et les restaurants. Il est minéral, peu appropriable et mal agencé.

Figure n°35 la place «avant» de l’hôtel de ville, à l’échelle humaine. Archives nationales Danoises
Figure n°36 : la place «arrière» de l’hôtel de ville, à l’échelle du parking de 200 places. Archives Nationales Danoises
Traduit de l’anglais. Entretien avec Jens au Kappelborg

L’EAU COMME ANCRAGE OUBLIÉ

Contrairement à d’autres grandes villes portuaires comme Trieste, Copenhague ou Bordeaux, où les places publiques sont en rapport direct avec l’eau, Skagen a privilégié l’accès à la réserve naturelle de Grenen au détriment de l’articulation ville-port. Dans ces villes, la mer met en valeur l’architecture et l’espace urbain, et la ville utilise sa proximité avec l’eau pour proposer des activités en relation avec celle-ci. À Skagen, les places publiques ouvrant sur la Baltique sont occupées par ces parkings disproportionnés destinés à accueillir les touristes durant la période estivale, diminuant l’espace disponible pour les résidents et dégradant la qualité spatiale des lieux proches du port. Cette situation entrave l’intégration du port dans la vie quotidienne des habitants, ne proposant aucun espace propice à la détente et à la convivialité.

centre-ville petit bassin (5m)
port ville
entrepôts usines
Figure n°39 : coupe dans le parking de l’hôtel de ville. Réalisation de l’autrice
moyen bassin (11m) nouveau polder (20 ha)
entrepôts de stockage de poissons
marina (8 cabanons-restaurants)
Figure n°40 un centre-ville mono-orienté : localisation des hauts lieux de la ville qui forment l’axe touristique majeur. Réalisation de l’autrice
Figure n°41 : Skagen Rådhus (hôtel de ville) et ses 2 places
murs : briques jaunes
toiture : tuiles oranges
murs : bois peint (noir)
sol (place et parking) : pavés 2 teintes
Figure n°42 Skagen Station (gare) et son parking
murs brique + enduit jaune
toiture : tuiles oranges
sol (place) pavés 1 teinte
sol (route) : goudron
murs : briques oranges
toiture : tuiles oranges
sol (parking) : pavés 2 teintes
sol (quais) : goudron
Figure n°43 : «Toppen af Danmark», office de tourisme et son parking sur les quais
murs bois peint (rouge)
toiture industrielle
sol (quais) goudron
Figure n°44 : Fiskerestaurant (cabanons-restaurants sur le port)
Figure n°45 : Skagen Vandtårn (château d’eau), son parc et sa placette
murs (château d’eau) : briques oranges
murs (maison) brique + enduit jaune
toiture (maison) : tuiles oranges
sol (place) : pavés 2 teintes
Figure n°46 : Skagen Kirke (église) et ses alentours
murs brique + enduit jaune
murs (soubassement) : brique + enduit rose
toiture : tuiles oranges
sol (place) pavés 3 teintes

murs (ancien) briques oranges

murs (extension) : acier corten

sol (place) : pavés 2 teintes

toiture tuiles oranges
Figure n°47 : le Kappelborg (restaurant, bibliothèque, cinéma, skatepark)
murs (phare) : briques
sol : graviers
murs (maison) : brique + enduit jaune
Figure n°48 : Skagen Fyr (phare) et sa cafétéria

RÉVÉLER L’HÉRITAGE

CULTUREL ET INDUSTRIEL

“Ici tout le monde connait l’histoire de la ville. C’est d’ailleurs à ça que tu vois les locaux, je pourrais te parler pendant une heure des peintres [de Skagen] ou du Badehotellet construit dans les dunes.

Traduit

l’anglais.

UN HÉRITAGE LITTORAL RICHE

Le patrimoine littoral de Skagen est riche et diversifié, englobant le petit patrimoine portuaire, comme les cabanons de pêcheurs et les lieux de mémoire informels, ainsi que des constructions plus conséquentes comme les phares. La ville est imprégnée de la mémoire de ses marins, artistes et habitants, qui ont bravé un territoire hostile pour développer une économie liée à l’eau. La ville conserve des traces de la mémoire de marins perdus en mer, de groupes de pêcheurs qui ont contribué à l’essor de la ville, ainsi que de poètes et de peintres qui ont fait connaître Skagen au-delà de ses frontières.

ANCRAGE HISTORIQUE DU PROJET

La parcelle d’intervention se situe sur le port historique de Skagen, là où les deux premiers quais ont été créés à l’origine de la ville. Ce lieu symbolique est idéal pour matérialiser la relation symbiotique entre la ville et le port. La proximité avec l’architecture remarquable de l’hôtel de ville, construit en 1968 par Ejnar Borg et classé depuis une dizaine d’années

renforce la légitimité du projet. Le projet s’ancre alors dans les racines maritimes et industrielles du territoire pour reconnecter la ville à son pôle économique.

LE PORT, UN MONDE FASCINANT ET MÉCONNU

Bien que mouvement et désordonné, le port est un monde fascinant où la plupart des activités se déroulent entre 3h et 7h du matin. Les chariots élévateurs, les transpalettes et les camions créent une chorégraphie industrielle impressionnante. Il m’a semblé important de rendre ce monde intellectuellement accessible aux habitants et aux touristes en expliquant son histoire, ses flux et son fonctionnement. La zone portuaire fait à mes yeux partie intégrante du patrimoine littoral de Skagen, présent depuis plus d’un millénaire, et mérite d’être valorisée et comprise.

Figure n°49 : la mémoire des marins et des artistes qui ont contribués à l’essor de Skagen imprègne grandement le territoire. Archives nationales, bibliothèque royale danoise
de
Entretien avec Jens au Kappelborg

Patrimoine littoral

Figure n°50 : le patrimoine littoral de Skagen Odde. Réalisation de l’autrice d’après inspiration de la revue «Patrimonial, Le patrimoine portuaire de Bretagne»

restaurants et commerces en lien direct avec les produits de la mer habitat vernaculaire maisons et cabanes de pêcheurs

usines et entrepôts pêcher, transformer, conserver et distribuer le poisson

musées et centres éduquer, informer et analyser

stigmates de la guerre

«le mur de l’Atlantique» WW2 26 bunkers dans Grenen

digues de protection contre l’érosion du trait de côte

phares et repères points de repère orienter, symboliser

lieux de commémoration peintres, poètes, et pêcheurs

écosystème maritime dunes, landes, zones humides

UNE NOUVELLE EXPÉRIENCE PORTUAIRE

PRÉSERVATION ET MODERNISATION

Le projet vise à préserver le patrimoine de la pêche tout en valorisant des pratiques plus durables et respectueuses de l’environnement. Il s’agit de moderniser les infrastructures pour donner une image plus noble et contemporaine du port. L’architecture sert d’instrument pour mettre en valeur le savoir-faire millénaire de la pêche industrielle tout en valorisant des techniques de pêche durables et en améliorant les conditions de travail des ouvriers.

RECONNECTER LA VILLE ET SON PORT

L’objectif premier est de rétablir le lien entre le centre-ville et le port de Skagen, ce dernier étant actuellement perçu comme une nuisance. La parcelle choisie, située à l’interface entre ville et port, est stratégique pour cette reconnexion. La place de la mairie et celle de l’office de tourisme, potentiellement fédératrices, seront mises en relation directe avec la mer et le port de plaisance. En réaménageant cette parcelle, le projet vise à créer un espace public ouvert en lien avec la mer,

où les habitants peuvent se rassembler et profiter de la proximité avec l’eau. Les entrepôts, sans qualité architecturale notable, seront déplacés vers le nouveau polder pour libérer l’espace et la vue vers la mer. Cette nouvelle configuration invite les habitants à redécouvrir le port comme un espace de vie et d’interaction.

REQUALIFICATION DES SOLS Avec la création du nouveau polder de 20 hectares, il est prévisible que les entreprises et les hangars se déplacent sur cette nouvelle étendue, qui sera mieux connectée et mieux aménagée que le centre historique du port. Il est prévu de déplacer la majeure partie des places de parkings présentes devant l’hôtel de ville et devant l’office de tourisme dans les hangars qui seront bientôt vacants. Des places de parking seront ajoutées et réparties dans le centre-ville, dans un rayon de cinq minutes à pied de la zone du projet. Les sols autrefois imperméabilisés et structurés pour le stationnement seront requalifiés en places minérales avec du mobilier urbain ainsi que des sols poreux comme le parc connecté

retourner symboliquement l’hôtel de ville vers le port

transformer le parking en sol fluide et capable

déplacer l’entrepôt de stockage sur le nouveau polder

déplacer l’entrepôt de stockage sur le nouveau polder

transformer le parking espace végétalisé le long des quais

mettre en valeur les anciennes voies ferrées

appuyer le dynamisme des cabanons-restaurants

reconnecter le centre-ville à l’eau : marina et port industriel se greffer à un entrepôt existant pour structurer le projet

aux voies ferrées. Il offre un espace de détente le long des quais, protégé de la route..

Figure n°51 : Intentions du projet : plan masse de l’existant sur le vieux port

COHABITATION ET MISE EN VALEUR

SYMBOLE

ANCRAGE SYMBOLIQUE

La halle aux poissons s’inscrit comme un élément central du projet, s’adossant à la frange industrielle du port pour créer une ouverture visuelle et programmatique vers la mer. Contrairement à l’organisation existante des hangars, la halle est orientée perpendiculairement à la mer pour faciliter la circulation et offrir des vues dégagées sur l’eau. Ce repositionnement spatial permet d’y accrocher un programme culturel et polyvalent accessible aux habitants et aux touristes.

MODERNISER L’INDUSTRIE DE LA PÊCHE

La halle est conçue comme une interface de débarquement, nettoyage, pesée, découpe et emballage du poisson, avec un flux d’activité allant du sud vers le nord.

Elle est rattachée programmatiquement à l’entrepôt sur son flanc ouest, qui sert de plateforme logistique et de réfrigération, essentiel pour la conservation et l’export du poisson. Ce programme est destiné aux pêcheurs d’un plus petit calibre que ceux opérant actuellement sur le port, valorisant une pêche plus raisonnée et

traditionnelle qui met en valeur le savoir faire des ouvriers. Elle matérialise une façade à l’échelle du plus grand port de pêche du Danemark, ouvrant son activité sur la ville. C’est le point de départ d’un circuit court reliant le port à la région du Nord Jutland. Elle axe son export vers une consommation régionale, augmentant ainsi la part de poissons consommés localement. Les grossistes et les restaurateurs de la région du pourront négocier des lots directement à la criée de Skagen. Ce projet vise à donner une image plus moderne et agréable de l’industrie pélagique, tout en offrant un cadre de travail lumineux et architecturalement intéressant pour les travailleurs.

AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL

Les espaces de travail dans la halle sont conçus pour être lumineux, aérés et ergonomiques. L’accent est mis sur la création d’un environnement agréable pour les travailleurs, avec une architecture favorisant l’entrée de la lumière naturelle, surtout celle du matin car les ouvriers sont principalement actifs de 4h (lever du

quai de débarquement du poisson

réinvestissement de l’entrepôt existant (logistique + frigos)

halle aux poissons (Fiskehallen)

restaurant au R+1, en lien avec la Fiskehallen

halle polyvalente : sous-face fédératrice (Borgerhus)

place de l’hôtel de vile sol capable parc des anciennes voies ferrées

centre culturel du port et de la pêche (Havnecenter)

place scénique sur les quais

promenade ascensionnelle qui longe la marina belvédère, le nouveau point de repère du port

soleil en été) à 12h. Son architecture se veut chaleureuse - contrairement aux entrepôts présents sur le port - et emblématique, reflétant l’importance du port de Skagen à l’échelle nationale.

LA CRIÉE COMME INTERFACE DE RENCONTRE

La halle de criée est pensée comme le cœur de la Fiskehallen.

C’est un lieu de rencontre entre les acteurs du port, les touristes et les habitants. Elle comprend la zone de vente quotidienne aux grossistes, une zone de vente ouverte ponctuellement au public, ainsi qu’un restaurant en balcon offrant une vue plongeante sur les activités de la halle. Son fonctionnement est ancré dans la temporalité quotidienne de la pêche : le débarquement des poissons se fait entre 4h et 6h du matin, suivi de la criée de 6h à 8h. Le reste de la journée est consacré au découpage, à l’emballage, au stockage, au nettoyage et à la maintenance des machines. Cette organisation temporelle permet de répartir l’activité du bâtiment tout au long de la journée, et de garantir le calme et la propreté des quais pour le public en fin de journée.

ESPACES DE VIE QUOTIDIENNE

“Oui bien sûr que je me baigne, dès le mois d’avril. Je prends mon vélo pour aller à la Sønderstrand [plage au nord du port].

J’y vais le matin plusieurs fois par semaine, dès que j’ai le temps quoi... Mais en été je vais à Højen [nord de la péninsule] parce qu’il y a trop de touristes ici.

Traduit de l’anglais. Entretien avec Jens au Kappelborg

UN TOIT FÉDÉRATEUR

La halle polyvalente est imaginée comme un espace fédérateur poreux, un toit sous lequel les habitants et les visiteurs peuvent se rassembler pour diverses activités. Cet espace ouvert et modulable accueille des marchés hebdomadaires, des expositions, des événements culturels, des départs de randonnées et d’autres rituels annuels comme le départ de marathon ou des activités ornithologiques. L’architecture de la halle reprend la trame et le rythme de l’hôtel de ville, offrant une réponse contemporaine à l’architecture du centre-ville. Le rythme structurel des poteaux cadre la vue sur les paquebots à quai et les usines emblématiques de Skagen en face, créant un lien visuel entre les deux mondes. Le sol pavé de la place de l’hôtel de ville est prolongé jusqu’à l’eau, créant une liaison symbolique fluide entre le centre-ville et le port.

UNE PLAGE URBAINE

En prolongeant le sol jusqu’à l’eau, la halle polyvalente inclut une plage urbaine, c’est à dire un espace de détente et de loisirs directement en lien avec la mer. Les

bains de soleil sont courants au Danemark dès le mois de mai et ce jusqu’en octobre, et cet espace permet aux habitants de profiter de la proximité avec l’eau en plein centre-ville. Prendront place des gradins et des espaces pour manger, en extension du marché par exemple. La plage urbaine offre des pontons et des échelles pour se baigner, répondant ainsi à une demande locale forte, étant donné que la baignade est interdite à la pointe de Grenen en raison des forts courants. Les deux halles sont orientées pour maximiser l’ensoleillement et offrir des vues dégagées sur la mer. La proximité de la halle de criée est gérée pour garantir l’intimité visuelle et l’hygiène.

Figure n°57 : bain de soleil et baignade dans le port d’Aarhus. Photographie de l’autrice. Aarhus 2023.
Figure n°56 : le bain de soleil sur les quais, une pratique danoise courante dans les grandes villes. Photographie de l’autrice. Copenhague 2023.

PANORAMA SUR LE PATRIMOINE

UN CENTRE D’INTERPRÉTATION

POUR LA MÉMOIRE COLLECTIVE

Le centre d’interprétation est conçu comme un espace éducatif et informatif, expliquant l’histoire, la genèse et le fonctionnement du port de Skagen. Il présente les différentes étapes de transformation des poissons et crustacés, les types de bateaux utilisés et les flux logistiques du port. Ce lieu permet aux visiteurs de comprendre en profondeur le rôle crucial que joue l’industrie dans le développement de la ville et donne envie aux visiteurs d’explorer ce monde industriel.

APPRÉHENDER L’ESPACE

DANS SA GLOBALITÉ

Le centre culturel est en lien direct (programmatique, visuel et physique) avec le belvédère du port, qui offre une vue nouvelle sur la ville et le port. Les programmes sont complémentaires : le centre culturel a une fonction éducative et permet de mieux appréhender la vue qui se présente depuis le belvédère. Cette répartition du programme dans l’espace invite le spectateur à déambuler et à expérimenter le vieux port dans son entièreté. Il invite à prendre de la

hauteur et permet ce comprendre l’ensemble du territoire. Il recrée le lien visuel perdu vers l’horizon, offrant une perspective dégagée sur la mer Baltique. L’ascension graduelle vers le seul point haut ouvert au public dans le centre-ville permet d’appréhender d’une part la ville, le port, mais crée aussi un lien visuel avec le phare Gris au loin, et indique donc la suite de la promenade. Cette structure, plus haute que les bâtiments environnants, sert de repère visuel depuis le centre-ville et la mer et guide les visiteurs vers le port historique.

LA QUÊTE DE L’HORIZON

La double géométrie du projet reprend les axes existants de la frange industrielle et des jetées du port de plaisance, créant des perspectives dynamiques. Le parc créé sur les quais valorise les anciennes voies ferrées, rappelant l’ancien fonctionnement du port. Il s’ancre, à l’aide de ces rails de chemin de fer, à la gare et au reste de la promenade touristique. Cette double géométrie crée une découverte plus dynamique et graduelle du front de mer : l’horizon se dévoile petit à petit, invitant le riverain à explorer l’ensemble du

projet, pourtant divisé en quatre entités. L’eau est d’abord dévoilée grâce à la structure poreuse de la halle polyvalente, mais reste intériorisée par le centre culturel qui apparaît comme un monolithe minéral fermant en partie la perspective. Etant plus haut et mystérieux que les bâtiments alentours, il invite à s’approcher des quais, où l’on découvre la place animée du centre culturel. De cet endroit se dévoile la promenade ascensionnelle du belvédère, avec en son sommet, un plateau d’observation où l’horizon se révèle enfin dans son entièreté.

INTÉGRATION ARCHITECTURALE

Les matériaux utilisés sont le bois, la brique et la terre cuite. Le bois, très répandu au Danemark, offre une empreinte carbone bien plus faible que l’acier et le béton, et des espaces chaleureux et lumineux, rappelant l’utilisation ancestrale du bois dans le pays depuis la période Viking. La brique, utilisée et laissée apparente dans la plupart des bâtiments publics de la ville et de la région, est déclinée en deux teintes : la brique jaune, typique de Scandinavie, utilisée sur l’hôtel de ville, et la brique rouge/orangée,

utilisée pour le théâtre de Skagen, la tour du château d’eau et l’office de tourisme. Enfin, la terre cuite, présente sur la plupart des toits de la ville, assure une continuité visuelle et matérielle avec l’architecture existante.

IMMERSION CONTEXTUELLE

Ce projet de fin d’études a été façonné par une immersion profonde dans le contexte unique de Skagen. Cette ville du bout du monde, avec son riche héritage architectural, industriel et ses paysages naturels dépaysants, m’a offert un terrain fertile pour explorer la réintégration urbaine de sa zone industrielle. Les visites successives à différentes saisons ont été essentielles pour comprendre les multiples visages du territoire, saisir l’héritage architectural scandinave ainsi que les pratiques de ses habitants.

L’HÉRITAGE DU SITE

L’ancrage dans le contexte m’a énormément aidée dans ce projet. Il m’a fallu comprendre, dessiner et m’inspirer du langage architectural déjà présent pour proposer un projet moderne et ergonomique qui puisse s’inscrire dans les pratiques actuelles et futures du port. Répondre à la multiplicité de ces enjeux demande une compréhension de toutes les strates du territoire, de l’histoire géologique aux dynamiques socio-économiques contemporaines en passant par l’histoire de l’art impressionniste.

(RE)DÉCOUVERTE DU FRONT DE MER

Le projet s’articule autour de la redécouverte du front de mer et de l’ancrage historique à l’eau, en reconnaissant et en réunissant les trois visages distincts de Skagen : la réserve naturelle, le centre-ville, et le port de pêche. Comprendre cette multiplicité a été crucial pour proposer une intervention qui respecte et valorise chaque aspect de la ville.

QUESTIONNER LA RELATION À L’EAU

J’ai été guidée par une question initiale, peut-être naïve : pourquoi la ville tourne-t-elle le dos à l’eau, l’élément qui a contribué à sa genèse et son essor ?

J’ai compris que le port, occupé par des infrastructures industrielles denses et peu accueillantes, avait évolué en autarcie, éloignant l’accès public à la mer. Contrairement à des villes comme Barcelone où les vieux ports coexistent avec les ports industriels, Skagen n’a pas réussi cette transition. Face à cette réalité, j’ai choisi d’intervenir à un endroit stratégique pour maximiser l’impact à trois échelles : régionale avec une halle

aux poissons mettant en valeur la pêche durable, urbaine avec un centre touristique et éducatif, et locale avec une place capable et fédératrice qui offre une nouvelle vue vers l’eau et l’horizon. L’intervention reste concentrée sur une parcelle réduite à l’échelle de la ville mais s’accroche à des dynamiques de grande échelle.

DURABILITÉ ET COHABITATION DES DIFFÉRENTS ACTEURS

Le projet est destiné à faire cohabiter les différents acteurs de la ville – ouvriers du port, habitants et touristes – en répondant à leurs besoins respectifs. J’ai veillé à ne pas privilégier uniquement les besoins des touristes, bien que Skagen soit une capitale culturelle au Danemark et un pôle touristique majeur. J’ai compris à travers cette année de recherche qu’un projet durable doit répondre aux besoins de tous les acteurs de la ville pour être considéré comme durable, au-delà des aspects de matériaux et de dispositifs architecturaux.

PROCESSUS ET ENSEIGNEMENT

L’importance de l’emplacement a été un enseignement clé de ce processus long du projet. Même un projet simple peut avoir un impact profond s’il est situé au bon endroit et qu’il améliore les pratiques des habitants. Trouver le bon emplacement du projet a été une immense partie du travail. J’ai compris que même si je proposais un projet très simple, même une simple toiture, mais qu’elle était placée au bon endroit et qu’elle changeait et améliorait la pratique des habitants, alors j’aurais réussi mon pari.

J’aurai également pu déplacer les deux hangars sur la parcelle et proposer une place en lien avec l’eau, mais ce n’aurait pas été suffisant à mes yeux : l’hôtel de ville n’aurait pas eu un contact aussi dynamique avec la mer. Ici, le projet s’ancre dans le parcours du visiteur et de l’habitant. Ce n’est pas un dévoilement immédiat de l’horizon, tout est calculé à partir des yeux du visiteur. La figure du cloître ouvert, placé stratégiquement, ancre le parcours du visiteur et de l’habitant, créant une progression visuelle et spatiale

vers l’eau, intégrant le port dans la vie quotidienne de Skagen et mettant en lumière les savoir-faire de la zone industrielle.

CONCLUSION

En conclusion, ce projet propose une réhabilitation non exhaustive mais globale d’un site littoral. Il œuvre à la cohabitation des différents acteurs et usagers de la ville et de son environnement portuaire ; mais aussi à la reconnexion avec les racines historiques de Skagen. Il a également l’ambition d’offrir un nouveau regard sur la mer, assumant son implantation interface entre terre et mer, faisant résolument face à l’horizon et en renforçant le caractère singulier du port comme un espace de vie et d’interaction.

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ARCHIVES : Collection digitale de la bibliothèque royale du Danemark : [http://www5.kb.dk/ images/billed/2010/okt/billeder/ object1689848/en/]

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[PDF] Dynamiques des villes de petite et moyenne taille au Danemark : [https://archive.espon. eu/sites/default/files/attachments/TOWN%20DK Final%20 report 20220824.pdf]

Page Wikipédia : [https://en.wikipedia.org/wiki/Skagen]

Formation de Skagen Odde: [https://trap.lex.dk/Skagen Odde]

Risques de montées des eaux : [https://www.floodmap.net/]

[PDF] Adaptations au futur climat du Danemark : https://en.klimatilpasning.dk/media/7863/klimatilpasningsh%C3%A6fte%20 uk%20web.pdf

Carte interactive des bateaux dans le port de Skagen : [http:// www.shiptraffic.net/marine-traffic/straits/Denmark Strait]

Trafic en mer Baltique : [https:// maps.helcom.fi/website/aisexplorer/]

Trafic maritime sur la mer du Skagerrak : [http://www. shiptraffic.net/2001/04/Skagerrak-Strait-Ship-Traffic.html]

Site officiel du port de Skagen [https://www.serviceteamskagen. dk/en/]

Arrivées et départs de croisières au port : [https://cruisedig.com/ ports/skagen-denmark]

[PDF] Port of Skagen: Maritime Business Hub of Scandinavia : [https://fr.scribd.com/ document/525997785/Port-ofSkagenWEB]

Le poisson industriel au Danemark : [https://www.persee. fr/doc/noroi 0029-182x 1980 num 106 1 3889]

La pêche au port de Skagen : [http://www.portofskagen.com/ en/business-areas/fishery] Les peintres de Skagen : [https://magazine.artland.com/ skagen-painters/]

Google Arts et Culture «Ambiance du soir dans l’œuvre des peintres de Skagen» [https:// artsandculture.google.com/story/ JwVxQl7YrjNPKQ]

Vidéo de présentation de Skagen : [https://video.visitdenmark. com/video/10419264/skagen]

Guide Touristique de Skagen en 2019 : [https://issuu.com/ skagen-tourist/docs/skagen guide 2019]

[PDF] Dépliant pour les croisiéristes en escale à Skagen : [https://www.cruiseskagen.dk/ fileadmin/user upload/Cruise Skagen Map 2019.pdf]

L’hôtel de ville de Skagen : [https://nordjyske.dk/nyheder/ raadhuset-i-skagen-faar-nyt-liv/ fd4f6f0d-ff7a-4014-8e5f-3cebc762c9ad]

Festival ornithologique [https://eiwawar.wordpress. com/2016/06/03/skagen-fugle-festival/]

Atlas des trajets de migration d’oiseaux en Europe : [https:// migrationatlas.org/node/1807]

The Ice Swimmers Festival : [https://www.toppenafdanmark. dk/en/skagen/what-do/skagen-vinterbaderfestival]

Le Marathon de Skagen : [https://skagennyt.dk/skagen-marathon-slaar-vild-rekord-allerede-inden-startskuddet/]

Festival de musique de Skagen [https://skagenfestival.dk/]

DATA population de Skagen : [https://www.citypopulation.de/ en/denmark/nordjylland/frederikshavn/10983 skagen/]

: récit photographique et parcours

Figure n°58 : (droite) silhouettes de promeneurs dans la tempête de neige matinale. 11.02.24
Figure n°59 : (gauche) Le phare gris sous la brume matinale. 11.02.24
Figure n°61 (droite) Silhouette de paquebot à l’aurore. Grenen.. 11.02.24
Figure n°62 : (gauche) Mouette survolant la plage enneigée de Grenen. 11.02.24
Figure n°64 : (droite) Silhouette du phare sous la tempête de neige. Grenen. 11.02.24
Figure n°65 (gauche) carcasse de poisson mangée par un phoque. Grenen. 11.02.24
Figure n°67 (droite) Paquebot entre deux dunes. 11.02.24
Figure n°68 : (gauche) enfants faisant de la luge sur la butte du phare à bascule. 11.02.24
Figure n°69 : (droite) promenade matinale de deux habitants, le phare au loin. 11.02.24
Figure n°70 (gauche) vue de Skagen depuis la butte du phare à bascule. 11.02.24

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