Lumière-Couleur _matériaux de l'architecture, outils de projet

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Lumière - Couleur

Séminaire AFA - Art-Flux-Architecture Audrey AUBERT-Alain DERVIEUX 2013

Matériaux de l’architecture Outils du projet

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Table

d e s m at i è r e s

Introduction ........................................................................................................................................

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Lumière - couleur - préambule généralités ........................................................................................... 11 Spatialité ............................................................................................................................................. Temporalité ......................................................................................................................................... Orientation cardinale .......................................................................................................................... Géologie ............................................................................................................................................. La lumière appelle l’ombre.................................................................................................................... L’espace d’exposition ............................................................................................................................

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Contraste et mouvement: une introduction à la couleur ...................................................................... 29 Expériences plastiques ........................................................................................................................ La couleur dans la peinture ................................................................................................................ La couleur dans l’art cinétique ........................................................................................................... Gammes, Palettes, Nuanciers, la couleur dans l’architecture .............................................................

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Matière : dispositifs - expériences - entretiens ...................................................................................

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Dispositifs architecturaux : la matière comme outil ............................................................................. Dispositifs colorés : la couleur comme outil ....................................................................................... Expérimentations ................................................................................................................................. Entretiens ........................................................................................................................................... Laurent Beaudouin - musée des Beaux-Arts de Nancy .............................................................. Lorenzo Piqueras - Salle des États, musée du Louvre - Studio «l’image» ................................

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Conclusion .......................................................................................................................................... 106 Annexes - trousse de couleurs - bibliographie ......................................................................................109

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L

’architecture est le modelage de l’espace interne que les opacités et les matériaux enveloppent, l’ensemble du vide contenu limité par la matière. Elle intègre l’homme dans son espace tridimensionnel, ce qui la différencie notamment de la sculpture. L’espace est le vide enveloppé par la matière. Il est appréciable par la lumière qui y pénètre et qui rencontre les limites concrètes de l’espace. La lumière les suit, les révèle, glisse, file, illumine, semble percer, s’atténue, sculpte, donne le mouvement, fait tourner, tourne. Là où la lumière s’estompe et s’achève, l’ombre détoure les contours, file sur les objets et dévoile leur forme, marque le contraste et l’opposition, la continuité et la finalité. L’architecture est le moyen de rendre perceptible l’espace par la lumière et l’ombre. L’architecture est l’obstacle de la lumière, nécessaire pour qu’on la voit. Elle devient lumière indirecte. On ne peut considérer la lumière sans la matière qui la dévoile et qui porte ombre. On ne peut non plus parler de lumière sans aborder la couleur. La lumière en elle-même est colorée, l’ombre aussi. Et toutes les deux révèlent la couleur de la matière. La lumière contient des couleurs, la matière aussi. La couleur est une nécessité. Les êtres vivants sont colorés, l’homme perçoit les couleurs. On ne peut envisager un monde incolore. Si tel était le cas, par le contraste noir et blanc, on en distingue déjà deux. La couleur existe par la matière et la lumière. Elle est délimitée par la forme et le contraste. La matière, palpable ou non, révèle les couleurs de la lumière. La lumière dite blanche qui passe au travers d’un prisme ou d’un fluide comme l’eau, est déviée et décomposée en spectre coloré. On peut aussi apprécier la couleur de l’espace au matin différente de celle du soir, différente en tout point de la terre. Parce que la lumière est déterminée par l’espace et les obstacles qu’elle rencontre. Et en tout point de la surface terrestre, l’environnement est différent, la lumière, la couleur, et la perception que l’on en a.

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Les propriétés de la lumière, ses qualités, influencent celles de l’ombre, qui varient au gré de la clarté de l’espace. Le contraste entre ombre et lumière définit le volume, la matérialité. En architecture, il peut être esthétique et poétique lorsqu’il est réfléchi et dessiné, désagréable lorsqu’il est trop intense, essentiel pour la compréhension de l’espace. Par le contraste, on distingue le volume, donc la profondeur. Le contraste existe par l’opposition clair/ obscur; il existe aussi lorsqu’on confronte les couleurs entre elles. Chaude ou froide, saturée ou pastelle, claire ou foncée, brillante ou mate ... La couleur semble plus profonde ou plus proche selon sa teinte, donne une impression de profondeur et de volume. Ainsi, on peut discerner un espace par la couleur. Le domaine des arts plastiques a le même objectif que l’architecture. Il est en quête d’un espace, différent par sa constitution et par les outils qui lui sont donnés. Sur la surface plane qu’offre la toile, on arrive à distinguer des plans de profondeurs différentes. La composition picturale et «l’outil couleur» du peintre offrent une dimension spatiale perceptible. L’expérience artistique montre que le contraste peut amplifier ou restreindre un effet de profondeur ou de volume, générer des couleurs que le cerveau fabrique et que l’oeil semble voir, supprimer des éléments. L’art cinétique regroupe des oeuvres qui paraissent en mouvement, rendent perceptible un espace par la projection de lumière et de couleur, par l’interaction qui s’opère entre l’oeuvre et l’homme ; par le mouvement et la temporalité. En peinture, comme en architecture, on compose de l’espace, en appliquant des éléments qui suggèrent ou fabriquent de la profondeur, par la lumière, la matière et la couleur. La profondeur induit la notion de mouvement.


Pourquoi le projet d’architecture doit-il être pensé en étroite relation avec la lumière et la couleur? Comment fabrique-t-on un espace avec ces «matériaux» naturels et omniprésents? Peut-on faire changer la perception d’un espace par une transformation immatérielle? La lumière fonctionne avec son enveloppe, son environnement. Peut-on induire un parcours par la couleur et la lumière? Peut-on orienter? Est-il possible de faire une analogie entre la théorie de la couleur dans le domaine des arts plastiques, avec l’art de projeter et de faire de l’architecture? Y-at-il une théorie confirmée de la lumière et de la couleur dans l’espace architectural, ou n’existeelle que par des suppositions?

Le sujet se déploie en deux parties. On peut faire l’étude attentive de la lumière naturelle dans un espace, les qualités qu’elle peut avoir au fil du temps, les particularités constatées selon sa provenance et son intensité, la matière qu’elle contient, la couleur qu’elle transporte, l’effet qu’elle engendre sur des surfaces, lorsqu’elle traverse un corps, lorsqu’elle se réfléchit sur la matière. La lumière que dégage la matière, renvoyée, est déterminable, déterminante, existe, peut porter une indication. La lumière se mesure, la couleur aussi, et l’architecture également. L’étude de la lumière naturelle dans la spatialité et la temporalité montrera que les conditions de projet diffèrent selon les lieux, parce que les appréciations du lieu sont différentes selon son rayonnement. Cette partie sera un postulat, un préambule pour développer le sujet de la couleur dans l’espace. La couleur, puisque indissociable de la lumière, sera traitée, par le contraste, la matérialité et le matériau. On parlera de déplacement perceptif. Par le contraste, peut être arrivons nous à mettre en mouvement les éléments. Et par la lumière qui voyage et révèle la matière selon la dimension temporelle, on pourra voir une architecture qui s’anime, selon les interactions entre lumières et ombres, et entre les surfaces colorées. Le sujet nous amènera à la réflexion de l’espace d’exposition qui doit considérer toutes ces généralités pour éclairer au mieux les oeuvres d’art, qui fait intervenir le visiteur dans le parcours, l’accompagne, et où art et architecture sont réunis.

L’ensemble de ces questions interroge sur la notion de l’expérience, l’expérimentation, et amène à un constat, une application, une oeuvre. L’art et la science du projet architectural, au travers de l’expérience, définissent de l’espace. Quel est la place de l’expérience dans le projet architectural et artistique pour faire de l’espace, et quels en sont les outils? Parce que chacun perçoit différemment ce qui l’entoure on se placera comme spectateur qui regarde, qui relève et fait l’expérience. L’approche de ce sujet se fera de manière scientifique et plastique, phénoménologique. Au travers de constats sur les généralités de la lumière, d’expériences qu’elle suscite, on verra s’il est possible de perturber un espace «neutre» en le transposant en couleur, de qualifier des espaces par les dispositifs architecturaux ou colorés ; voir les conséquences de la couleur dans l’espace.

Au travers d’expériences, on pourra analyser les effets de la couleur sur l’architecture. Elles seront picturales. Nous pourrons émettre des suppositions, parce que l’architecture a cette spécificité d’inclure dans son espace l’homme. L’unique façon de ressentir tous ces phénomènes, c’est l’expérience personnelle. Parce qu’une couleur et une lumière ne sont véritables que lorsqu’on est immergé dans leur contexte, à l’instant présent. En effet, tous les moyens sont bons pour montrer un espace, une ambiance : la photographie, la peinture, la vidéo, mais chacun de ces moyens,

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en les comparant, nous révélera un espace différent, dans le ton, la couleur. La couleur doit être pensée habilement mais le résultat n’est approuvé qu’en expérimentant dans l’espace à investir, en relation avec la lumière réelle, et la matérialité présente. Les données concrètes développées dans la première partie en matière de qualification de la lumière par la spatialité, la temporalité, l’expérience de la couleur dans l’espace, sur la matière, nous amènent à considérer les données d’ordre sensible. Ce qu’un espace nous transmet est lié à la perception. La théorie architecturale moderne a montré qu’un espace pouvait devenir différent, selon les dispositifs architecturaux employés. La recherche principale a été de dilater l’espace pour le rendre plus grand. La continuité spatiale, l’interruption d’opacité, le pli, la diagonale, sont autant d’éléments qui permettent de «faire grand», de mettre en évidence une dilatation, une extension, une compression. On essaye ici de transposer ces phénomènes liés à la matière, à la couleur. L’expérience passera par l’intervention de deux architectes qui ont conçu des espaces d’exposition et ont fait l’expérience de la couleur. Ils pourront nous aider à comprendre comment la couleur se communique, et comment procédons nous pour approcher au mieux ce que l’on projète. La couleur peut être un outil pour l’architecte, pour faire de l’espace, pour spatialiser une idée. Peut-on faire voir un espace plus grand qu’il n’y parait par l’ajout de la couleur, et surtout à quel endroit, en quelle quantité, et quelle couleur? Comment accentuer un espace neutre, le bouleverser? Et inversement, comment stabiliser un espace coloré par la matière et la disposition spatiale? Ou encore, comment dilater l’espace? La perspective est le moyen de nous faire sentir la profondeur, de nous positionner dans un lieu. Des peintres tels Cézanne, Bacon ont réussi, par l’apposition de couleurs contiguës ou juxtaposées, à nous faire sentir des espaces par des plans proches ou lointains. Ce n’est plus la représentation de l’espace tel qu’il est

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mais un état représentatif d’un espace. Léger, dans son travail bidimensionnel de disposition compressées de surfaces colorées sur la toile, offre un effet savant de profondeur. L’oeil perçoit des organisations formelles de la peinture qui pourtant est sur un plan unique. Chaque couleur est perçue de manière différente, est dévoilée par la lumière et la matière, est réchauffée, filtrée, accentuée, refroidie. Quelle différence de perception aura-t-on si elle est présentée sur une paroi verticale ou horizontale, au sol ou au plafond ? Puisque notre sujet nous appartient, il sera ici question d’approcher par un des multiples chemins possibles le phénomène de lumière et de couleur, dans l’art et l’architecture, au travers du musée qui les réunit dans sa fonction. Il offre l’opportunité de les contempler ensemble, au travers du parcours. Art et architecture sont liés dès les premières esquisses, et par le programme muséal. L’intérêt est d’expérimenter, tenter d’établir des équivalences entre la perception de l’espace par la matière et son traitement, et par la couleur et sa disposition.


Autant de questions que j’espère, à l’issue de cette démarche, pouvoir en dégager certaines réponses, le plus objectivement possible. La difficulté résidera dans le fait que chaque personne, par son anatomie, sa morphologie, sa physionomie, et sa sensibilité, son histoire, ne percevra pas l’espace de la même manière. De plus, au travers de l’architecture, il construit son propre parcours, fabrique ses cadrages. Alors, on se positionnera comme chercheur qui constate, fait l’expérience, et note. Les lectures sur lesquelles nous nous appuyons pour parler de couleur, ont été écrites par des artistes, des scientifiques, des théoriciens. Goethe dans ses constats, Kandinsky dans ses expériences personnelles de peintre, Léger dans son histoire et ses relations, Albers dans son enseignement et ses théories, Pastoureau pour son travail anthropologique, sont les auteurs auxquels je me suis référée, tous plus ou moins contemporains, avec chacun une idée, une origine différente pour aborder la couleur. Ces livres sont comparés avec la théorie de projet d’architecture, dont l’ouvrage principalement utilisé est de Pierre Von Meiss. Peuvent-ils se compléter les uns les autres?

On ramène ici l’étude sur le projet de musée, cet espace qui doit ménager un parcours et être au service d’une collection. Il ne sera pas question de proposer des exemples de musées qui soient démonstratifs par leur couleur. Il s’agit de monter comment un fond marche avec une collection, comment un espace peut s’adapter à une nouvelle collection par ses dispositifs spatiaux et lumineux, est-ce qu’un parcours peut être révélé par la couleur ou la lumière. L’architecture du musée est une architecture qui implique le mouvement, l’architecture est en mouvement par la lumière. Une ambiance lumineuse peut calmer, faire ralentir, indiquer un moment de pause, un espace de contemplation. Tout ceci passe par l’expérience.

L’application de la couleur en architecture semble-t-il importante. Cela va au delà des courants à la mode, qui posent la couleur «pour faire bien», ou «pour faire neuf». Nous espérons qu’il est possible d’aller au delà d’un «j’aime bien le bleu», ou «je déteste cette couleur». La couleur et ses phénomènes ont fait l’objet de nombreuses recherches : le domaine sensitif excité par la couleur est analysé en médecine avec la chromothérapie depuis le début du XXème en Europe et aux États Unis, depuis bien plus longtemps avec les Grecs et les Egyptiens, les Indiens, les Chinois. Au travers des sociétés, la couleur et la lumière sont définies différemment. Elles ont des significations, des définitions qui varient selon les pays. Elles sont des textures, des goûts, des noms, des objets. Selon les époques, les âges, les sexes, on préfère une couleur plutôt qu’une autre... Les couleurs ont une histoire et des connotations ambivalentes.

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Lumière - couleur Préambule - Généralités 11


Photo page précédente : Ranch San Cristobal Luis Barragán, Mexico DF, Mexique

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our une personne dotée de tous ses sens, l’architecture est avant tout une expérience visuelle dans le mouvement. Le mouvement de l’homme fait qu’en tout point, la perception en sera changée, ainsi que le mouvement de la lumière naturelle, qui suit son chemin au fil du temps et qui fait varier l’espace dans lequel on se trouve. Pour capter un espace dans son intégralité, une ambiance, un lieu, nous faisons intervenir tout notre domaine sensible. En effet, la somesthésie, qui réunit l’ensemble des systèmes sensoriels de l’organisme permet de ressentir la température, la pression, l’humidité etc. Le toucher, l’odorat, l’ouïe, contribuent à la compréhension de l’espace et interviennent dans des perceptions objectives et subjectives. Les sensations tactiles nous informent sur la matière. L’ensemble de nos sens nous permettent de qualifier un espace plus ou moins clair, froid, vide, etc. Et le temps est nécessaire pour que nous puissions parcourir l’architecture. Toute architecture, pour être visible et perceptible, nécessite la présence de la lumière. L’espace architectural existe par la lumière qui éclaire les surfaces. L’architecture peut être considérée comme l’art de dessiner la lumière, dessiner le vide. Le plan, la coupe et même la maquette ne traduisent pas véritablement le phénomène de lumière dans le projet. C’est pourquoi il est nécessaire de faire des constats et référencer les différences de lumière. Dans le projet, il faut pouvoir se servir de l’exploration de ce domaine, de voir les conséquences, pour pouvoir rendre présent ce matériau de manière convenable et créatrice, l’envisager au bénéfice du projet et du visiteur. La lumière blanche est hétérogène. En 1666, Newton met en évidence ce phénomène avec l’expérience du prisme coloré. À chaque composante du spectre correspond une longueur d’onde. La rencontre entre la lumière et la matière donne la couleur, la lumière indirecte.

La lumière est caractéristique d’un lieu.

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La quantité et la qualité de lumière naturelle dépendent de l’endroit ou l’on se trouve, de l’orientation, et des filtres environnants mais aussi du temps qui passe. Certains outils mettent en évidence le temps dans l’espace. C’est le cas des cadrans solaires, qui utilisent l’ombre esthétiquement et fonctionnellement. Certaines architectures ont su utiliser cet outil directement dans le projet, comme au Mexique, avec le cadran solaire négatif, qui utilise les rayons du soleil pour indiquer l’heure, la période de l’année. Le bon usage de la lumière sera effectif si on considère l’espace et l’usage que l’on en a. Ici, il sera utile de présenter le phénomène de la lumière, et d’adapter par la suite, notre propos à l’espace d’exposition. La question de la lumière va nous mener peu à peu, à considérer l’ombre, sans laquelle l’objet ne se dessinerait pas, sans laquelle la texture de la matière ne se verrait pas. Ombres et lumières fonctionnent ensemble. Et si dans le projet, il est important de travailler la lumière à sa juste valeur, on peut aussi faire le projet de l’ombre. Le contraste, qui varie par rapport à la luminance d’un espace doit être équilibré. Le contraste s’établit entre lumière et ombres, couleurs claires et couleurs foncées, entre les couleurs en général. Nous aborderons ce sujet par la suite.


S pat i a l i t é

Pour projeter un espace, il faut prendre en considération l’endroit où on l’implante. Quelque soit le lieu, l’incidence de la lumière solaire varie et ceci a des conséquences sur l’architecture. Au mieux, on prend en considération ce paramètre au moment de projeter. La coupe est un bon outil pour évaluer l’entrée de la lumière, projetée à 45°; une méthode qu’applique Henri Ciriani dans ses projets. Il existe autant d’architectures que de lieux, considérant le rapport qu’il existe entre la lumière naturelle (et tout ce qu’elle induit: la chaleur, l’intensité, l’environnement etc.), et l’objet bâti. On voit apparaître des dispositifs pour se protéger ou pour ramener de la lumière, qui ont une influence sur l’espace intérieur et sur la texture extérieure. On peut classifier ces procédés par région. Ils peuvent être architecturaux et donnent une esthétique, comme les brises soleil, la pergola, les ouvertures varient dans leur dimension et leur orientation, les matériaux utilisés résultent du procédé constructif et de la région, ils portent une couleur et une texture. C’est d’ailleurs un des moyens utilisé pour apaiser un surplus de lumière, parce qu’elle l’absorbe, et la renvoie plus ou moins selon sa clarté. Géographiquement, elle est utilisée différemment, selon l’intensité lumineuse, la culture, l’histoire... Les diagrammes solaires permettent de constater les différences d’inclinaison solaire et les différences de couleur de la lumière solaire. Pourquoi la couleur que nous percevons de la lumière solaire varie? Le ciel a une coloration bleue; pourtant il est constitué de vapeur d’eau et d’air. Il serait transparent, comme l’eau. D’où vient cette coloration bleue? La nature divise finement la matière. Goethe, lorsqu’il s’est intéressé à la coloration de la matière, constatait qu’une matière transparente comme l’eau ou le verre, lorsque l’eau devient glace ou que le verre se brise, se colore en blanc. En effet, si on divise la matière, la couleur apparaît blanche. Si elle divisée plus finement, la couleur bleue apparaît. La lumière blanche est composée de toutes sortes de longueurs d’onde. Les plus courtes correspondent à celle de la couleur bleue, et sont donc mieux adaptées pour pouvoir être diffu-

sées par les particules les plus petites. Le ciel étant constitué de fines particules, il est bleu. Plus ces particules s’épaississent et se densifient, plus il est difficile pour la longueur d’onde du bleu, très courte, de traverser la matière. La longueur d’onde correspondant au rouge prend peu à peu sa place. Plus le trajet de la lumière est incliné, plus la lumière traverse des milieux transparents, des couches atmosphériques, une plus grande épaisseur d’atmosphère, qui font varier la couleur de la lumière. La lumière bleue en traversant ce volume, est filtrée et dispersée. La lumière rouge d’un soleil à l’horizon est ce qu’il reste une fois la lumière bleue dispersée. La matière fluide comme l’air et l’eau, fait varier la perception de la lumière, en agissant de la même façon qu’un prisme qui dévie la lumière et la décompose, et nous la voyons plus ou moins jaune, bleu, rouge. Lorsque l’on se situe dans des régions proches de l’équateur, on constate que le soleil est à l’aplomb, et qu’il est très éblouissant, d’une couleur proche du blanc. Il traverse les différentes couches atmosphériques quasiment perpendiculairement. La lumière dite blanche solaire, se colore peu en pénétrant dans l’atmosphère. L’application de ces données à l’architecture laisse apparaître des différences de traitement de façade et de matériau. L’utilisation de la couleur dans l’architecture est employée fréquemment, notamment en Amérique Latine, elle se détache du ciel. Plus on s’éloigne de l’équateur, plus le ciel est bleu immaculé; l’architecture blanche est un beau contraste. Lorsqu’on remonte vers les pôles, le soleil est très bas, la couche atmosphérique à traverser est épaisse, la lumière se teinte d’une couleur orangée. La lumière directe rentre profondément dans l’espace à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur. La quantité de lumière qui pénètre dans un bâtiment se mesure. En fonction des ouvertures, du traitement de la façade, des matériaux employés, de la quantité de lumière qu’ils renvoient, on peut apaiser une lumière vive, contrôler certains problème de luminosité excessive.

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Diagramme solaire valable généralement dans l’hémisphère nord. La trajectoire solaire varie en fonction de la spatialité, ici est présenté un des schémas possibles.

Schémas des trajectoires du soleil selon la situation géographique; à gauche, une trajectoire plus haute, proche de l’équateur.

La lumière solaire peut être modifiée lorsqu’une paroi est colorée. Lors de la rencontre entre la lumière et la matière, la température renvoyée est amoindrie, et la lumière indirecte est colorée.

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Temporalité

L’architecture nous permet de capter la lumière, et par là, capter le temps, l’enlacer, le retenir. Selon l’ouverture sur l’extérieur, elle nous montrera un espace du matin ou du soir, un espace en mouvement lent, qui file au cours de la journée et finit par disparaître dans l’ombre et l’obscurité. La lumière avance ; elle est en quête de l’obstacle qui la révélera et qui la dessinera.

pouvoir s’apercevoir du rythme des saisons et des intempéries.» Certaines architectures sont pensées de paire avec le déplacement du soleil, qui modifie et explore l’espace.

Par le climat, les saisons et les différentes heures de la journée, la lumière naturelle donne une dynamique au projet. Les variations d’intensité, de direction, et de couleur sont considérables entre le matin, le midi et le soir, par jour ensoleillé ou sous le ciel gris nuageux, avec un soleil bas de janvier ou un soleil d’aplomb de juin. L’architecture se plie aux différents cycles naturels, car elle existe sous la lumière. Architecture et environnement cohabitent, sont en dialogue. Lorsque le soleil disparaît, le paysage perd peu à peu sa lumière, ses couleurs. La lumière du levant est plus froide, aux tons bleutés ; la lumière du soir a des tons plus chauds. L’environnement se réchauffe pendant la journée et perd en température la nuit. La lumière qui traverse un corps chargé en eau, dû à la condensation de l’humidité pendant la nuit, prend des teintes le matin. L’immobilité du bâti s’anime grâce au mouvement perpétuel de la lumière qui change selon sa position. On compose l’architecture par la lumière, selon l’orientation et le moment. Le mouvement nous permet de voir des différences de perception dans un espace. Selon la lumière du levant ou du couchant, une même pièce offrira deux spectacles différents. Et selon l’orientation de chaque pièce, même si elles sont géométriquement identiques, les effets visuels varient au rythme de l’heure et des saisons. Un espace vu de jour ou de nuit est perçu très différemment. Les saisons, et les jours cadencent la végétation. Pierre von Meiss, dans son livre De la forme au lieu, une introduction à l’étude de l’architecture écrit : «Peut-être proposeraije une loi d’urbanisme très simple: de chaque habitation et de chaque local de travail, on doit

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«La nuit, tous les chats sont gris» L’architecture suit le même principe, elle est monochrome, perd ses teintes durant la nuit

La lumière est filtrée. Sa teinte varie en fonction du temps météorologique. Une lumière diffuse qui prive l’architecture d’ombre lorsqu’elle traverse une couche nuageuse.

La lumière diffuse dans l’ombre prend des colorations différentes entre le matin et le soir. Le matin, la lumière de l’ouest est bleue, cela est dû à la condensation de la rosée, il y a plus d’humidité dans l’air ambiant. Le soir, la terre est plus chaude; la terre se réchauffe et dégage de la chaleur qui influe sur l’air ambiant, donc sur la lumière. Elle est plus chaudement colorée (teinte orangée, jaune)

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Lumière colorée, lumière plus «blanche», qui varie en fonction de l’épaisseur de strates atmosphériques que la lumière solaire traverse, de la spatialité et du temps.

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Graphique d’ombres dans le cas de l’hémisphère nord. Courbe A : 22 juin Courbe B : 21 mai, 24 juillet Courbe C : 16 avril, 28 août Courbe D : 21 mars, 21 septembre Courbe E : 23 février, 25 octobre Courbe F : 21 janvier, 22 novembre Courbe G : 22 décembre

Incidence de l’ombre en fonction de l’incidence de la lumière. La lumière directe pénètre plus à l’intérieur lorsque le soleil suit une trajectoire moins haute. Cependant, elle est moins violente, moins chaude, et plus colorée.

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O r i e n tat i o n

cardinale

«La couleur est un second aspect de la lumière; le travail pictural ne consiste pas à mettre de la couleur dans tous les sens. Par exemple, quand vous décidez de prendre la lumière au nord, vous pouvez être sûr d’être dans des nuances de bleus : ce n’est pas une question, c’est une certitude. D’un autre côté, quand vous êtes face au soleil du sud, où la lumière est très forte, vous pouvez tout essayer, vous constaterez que la lumière gomme tout.» Vivre haut, méditations en paroles et dessin, p114. La course du soleil est d’une grande importance pour l’orientation des êtres vivants. C’est un repère notamment pour les flux migratoires animaux. Elle détermine les directions cardinales, et confère des orientations aux lieux et aux relations qu’ils entretiennent entre eux. Elle nous permet de nous situer, facilite nos déplacements, nous guident dans la disposition des espaces intérieurs, dans le logement comme dans tout autre programme, parce qu’elle est en relation avec les différences de lumière et de température. Elle nous renseigne également sur la temporalité d’une journée.

La lumière est plus froide au nord, et se colore de manière plus bleuté. Scientifiquement, ceci s’explique par le fait que l’air se condense plus facilement au nord d’un bâtiment parce qu’il y fait plus froid, et qu’il est dans l’ombre. Par le même principe que l’on a expliqué précédemment, en traversant ce fluide plus froid, dans laquelle la matière est finement divisée, les particules se colorent en bleu. En France, on se trouve dans un milieu tempéré ; on cherche généralement à ouvrir au sud, pour plus de chaleur et de lumière. Le travail de la lumière du sud est complexe, parce que celle-ci est forte et a tendance à effacer les volumes. Lorsque l’apport de lumière et de chaleur est trop important, la façade la façade peut véhiculer l’idée d’une protection et avoir un double usage. Elle peut être apporteur ou limiteur de lumière. L’enjeu est de trouver l’équilibre entre la lumière et la couleur par rapport au climat.

Tenons nous à l’étude de la lumière dans l’hémisphère nord et considérons qu’elle est inversement applicable dans l’hémisphère sud. La lumière solaire directe provient du sud. Elle est plus ou moins inclinée selon le lieu on l’on se trouve et selon le temps. De manière générale, la lumière qui pénètre dans un espace semble «percer» lorsqu’elle provient du sud et plus diffuse lorsqu’elle vient du nord. Le soleil entre et se faufile par le sud, rebondi au nord et se déploie ensuite dans toutes les directions. Une paroi blanche exposée à la lumière du nord ne sera jamais perçue blanche : sa couleur sera d’un gris froid. Pour la percevoir blanche et ré-équilibrer les variations de couleur dans la lumière, il faut modifier la couleur propre de la paroi par une couleur légèrement «chaude», jaune ou oranger. La lumière n’est pas blanche ; lorsqu’elle traverse l’atmosphère qui est une matière, elle se colore de différentes manières. Au soleil levant et au soleil couchant, la teinte varie de l’oranger vers les rouges, parfois de rose, de mauve et de violet.

Lumière directe et lumière diffuse

Variations de la lumière selon sa provenance. D’où des variations de températures, de densité de matière, et donc de couleur.

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Géologie

La qualité de la lumière varie en fonction de l’environnement proche de l’espace à concevoir. Le filtre végétal est une considération essentielle. Il appelle une lumière filtrée ou diffuse, et constitue une zone plus humide qui fait varier la coloration de la lumière. De la même façon, la présence d’eau, qui peut servir de transmetteur de lumière depuis le sol, agir comme un miroir, influe sur la lumière par l’humidité ambiante.

Lumière filtrée, ou indirecte par les éléments environnants. La lumière réfléchie et indirecte se colore de la teinte de l’élément.

Joseph Albers met en évidence le phénomène de couleur «pellicule» et de couleur «volume». Il constate, par exemple, que le reflet de l’herbe «s’étend» au plafond d’un intérieur de maison. La lumière réfléchie porte la couleur verte en elle. Le plafond se colore d’un vert. Il appelle cela la couleur «pellicule». Elle apparaît comme étant une fine couche translucide colorée. Elle est indépendante de la couleur de surface de l’objet qu’elle colore. La couleur «volume», est perçue dans les fluides transparents uniquement, qui se présentent en trois dimensions. La teinte d’un fluide dépend de la profondeur, de la couleur du contenant (réflexion diffuse), et de la quantité de matière. Ici plus l’humidité de l’air s’étend, plus le fluide coloré est perceptible. C’est pourquoi, par exemple, une montagne est toujours perçue uniformément bleue, qu’elle soit recouverte d’arbres verts, ou qu’elle soit faite de terre et de rochers ; ce que constatait Goethe. Le volume d’air est contenu dans le relief donc il est perceptible, et est le facteur de cette coloration. On constate qu’un paysage végétal, un paysage rocheux et sec ou un paysage maritime donnent des différences de couleurs de lumière qui traverse des airs ambiants différents, et qui se réfléchit sur des éléments de couleurs différentes. Dans une ville, la hauteur du bâti, la couleur principale du matériau local, la pollution, l’altitude, sont des éléments influent sur la lumière directe ou réfléchie.

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Air humide, particules diffusées. Coloration de la lumière.

Lumière indirecte qui se reflète et colore le volume architectural. Schéma explicatif de ce qu’Albers appelle la couleur pellicule


La

lumière

a pp e l l e

l’ombre

Les données concrètes que nous venons d’étudier, à savoir la spatialité et la temporalité, pour qualifier une lumière, agissent sur la perception : les variations de lumière font que les appréciations du contexte sont différentes et influent sur les conditions de projet, qui en dépendent et sont variables. On a également mis en évidence que la lumière est colorée et que sa couleur est variable selon de multiples paramètres. Intéressons nous maintenant à son contraire, sans qui elle ne serait visible, l’ombre, indissociable. Le projet d’ombre est nécessairement pensé de paire avec la lumière. Un bon projet de lumière doit être nécessairement accompagné par son contraire : le projet de l’ombre. Un contraste réglé apporte une mise en valeur de l’objet. Si le contraste et atténué ou amplifié, l’objet peut être plus qualitatif, et mieux informer. La pénombre peut éveiller nos sens : l’ouïe, l’odorat, le sens tactile, par la sensation de fraîcheur ou d’humidité de l’espace. On peut définir des sous-espaces par l’ombre et la lumière. Pierre Von Meiss, dans son livre De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude d’architecture, a mis en évidence «l’espace-lumière». Il naît du contraste entre l’obscurité et la lumière perçante, possède des limites fictives. Les impressions diffèrent selon que l’on se situe à l’intérieur de l’espace-lumière, immergé dans la clarté, autour d’un «vide noir», ou si l’on est dans l’obscurité et que l’on voit l’espace-lumière.

Dans les deux cas, les espaces sont là. Il y a bien des ambiances spatiales , voire même des lieux, déterminés uniquement par la lumière, sans matérialité. Il agit comme une architecture en mouvement : il se déplace dans l’espace au fil du temps, et prend un chemin différent au fil des saisons. On distingue deux types d’ombre : l’ombre propre et l’ombre portée. Grâce à la luminance et à l’ombre propre, on saisit la plastique de l’objet. Les parties ombrées et éclairées se valorisent mutuellement. Chaque objet projette de l’obscurité qui varie en fonction de l’incidence de la lumière et sa texture, déformant les caractéristiques de ses contours. L’ombre et le contraste nous informe sur la matière, souligne les formes, donne du relief. Des architectes tels que Le Corbusier, Breuer et d’autres, exploitèrent la texture extérieure de leurs projets. Citons un passage du livre de Bruno Zévy, Apprendre à voir l’architecture, p98 «La morphologie architecturale s’explique par les conditions géographiques et géologiques des lieux où se construisent les monuments. (...) Dans le Midi, les rayons du soleil tombant presque verticalement, l’effet majeur du contraste des ombres doit dériver des corniches et des saillies horizontales, alors que dans les pays nordiques, le soleil étant plus bas et ses rayons plus tangentiels, les lignes verticales sont plus efficaces pour l’usage de la lumière comme instrument architectural.»

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L’ombre portée est en mouvement au même titre que la lumière. Elle grandit à mesure que la lumière est rasante, et change de direction constamment selon le trajet de la lumière. Dans le projet d’architecture, on travaille ce mouvement, parce qu’il peut révéler des directions, des orientations pour diriger le regard, et accentuer les effets de contemplation. L’ombre portée décuple les dimensions, et engendre des effets différents si elle est horizontale, verticale ou oblique. Elle semble plus grave lorsqu’elle est verticale, plus profonde horizontalement. Elle met en scène l’architecture. Une lumière rasante intensifie la présence de la surface, une lumière uniforme aplatit l’objet, une lumière directionnelle réduit les informations sur l’objet. L’éclairage zénithal a tendance à estomper les contrastes parce qu’il augmente considérablement la quantité de lumière. Lorsqu’une lumière zénithale file le long d’une paroi verticale, les contrastes sont atténués par le fait que la paroi renvoie une lumière secondaire forte. Les espaces sont composés par les ombres et les lumières au moyens de filtres, de textures, de matériaux, par les ouvertures et les opacités. La perception de l’espace change si l’on fait varier la luminance, ou l’éclairement de la matière. Le changement d’ambiance implique une mutation qualitative.

angles avec une intensité différente et graduée. Elle nous vient de l’extérieur mais aussi des éléments qui prennent la lumière et la renvoie. Dans un espace, nous ne pouvons distinguer la lumière qui provient d’une source ou celle reflétée par les éléments opaques parce que nous percevons l’ensemble des sources et des réflecteurs qui compose spatialement un lieu. La matière des éléments architecturaux absorbe la lumière plus ou moins selon ses couleurs, et la réfléchit de manière plus ou moins affirmée. La luminance se transmet de récepteur en récepteur, avec moins de puissance chaque fois, jusqu’à la pénombre et l’obscurité. Un intérieur sombre renvoie peu de lumière, un intérieur blanc renvoie intensément la lumière et peut paraître éblouissant. Le matériau, par sa brillance, joue un rôle dans sa faculté à renvoyer la lumière. C’est l’ombre et la lumière, le contraste entre les deux, qui donne la profondeur de l’espace. Pour chaque contexte, chaque programme et chaque fonction, il existe un équilibre à trouver dans la composition architecturale, dans le contraste entre les horizontales et les verticales, les vides et les pleins, les formes aiguës et les formes souples, entre les volumes, les masses, les grains de matériaux, et par le contraste de couleur.

La lumière solaire pénètre sous tous les

Page de gauche : Exposition Marcel Breuer, Cité de l’architecture .Whitney Museum of American Art, New York, 1964-1966, Élévation, fenêtres trapèzes, lumière diffuse filante intérieur, ombres portés, esthétique de façade. .Coupes schématiques, profondeur de façade par l’ombre Ci-contre : Exposition Marcel Breuer, cité de l’architecture Élévations ombrées, éléments architecturaux de façade, contraste ombre et lumière

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Double-page précédante de haut en bas : image 1 : Brises-soleil, Rio de Janeiro, Brésil image 2: Volumes pleins en béton coulés sur une toiture-façade sous la lumière, Théâtre Claudio Santoro, Oscar Niemeyer, Brasilia, Brésil image 3 : Texture et couleur de façade en brique, Centre municipal de santé, Ivry-sur-Seine, France image 4 : Texture de façade en terre cuite, San Cristobal de las Casas, Mexique

Ci-dessous : intensité de lumière indirecte en fonction de la nature du matériau. schéma 1 : réflexion de la lumière contre un miroir, la lumière indirecte et de même intensité, de même nature schéma 2 : paroi blanche, lumière réfléchie intense, teinte de l’espace inchangée schéma 3 : texture de surface, lumière réfléchie, ombres et variations d’intensité schéma 4 : paroi colorée, absorption d’une partie de la lumière, lumière réfléchie de moindre intensité, de nature différente. Coloration de l’espace

Croquis : Exposition Marcel Breuer, Cité de l’architecture Grand magasin de Bijenkorf (la ruche), Rotterdam, 19531957. Élévation`. Volume cubique unifié. Texture par les fenêtres en fente verticales, animation de la façade de nuit par l’éclairage intérieur

lumière décroissante qui perd en intensité à mesure qu’elle rencontre des obstacles, jusqu’à l’obscurité

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L’ e s pa c e

d’exposition

«Si les architectes sont à la recherche d’un peintre qui puisse leur fournir l’image dont ils ont besoin, le peintre moderne n’en est pas moins à la recherche d’un architecte capable de créer les conditions pour qu’ils puissent ensemble réaliser l’unité essentielle de l’expression plastique.» Bart Van Der Leck, La place de la peinture moderne dans l’architecture, De Stilj, 1917. L’architecte place des volumes sous la lumière que le soleil apporte. La question est de savoir ce que l’on éclaire, comment et pourquoi? Ici nous nous concentrons sur le lieu d’exposition, le musée. L’utilisation d’un espace est déterminé par ses surfaces et sa forme autant que par la lumière et l’ombre. Les effets de contre-jour sont à éviter. Ils sont dûs à une entrée de lumière forte par une ouverture, entraînant automatiquement un contraste très affirmé autour de celle-ci. Ce clair-obscur est désagréable pour l’oeil, peut être douloureux et le met en difficulté dans la perception de l’espace. Le contraste est accentué par l’éclairage latéral, tamisé par l’éclairage zénithal. Selon le type de collection, il est nécessaire de savoir que l’éclairage d’une sculpture peut être fait latéralement, à la lumière naturelle, compensé par des éclairages secondaires. La lumière latérale doit être réglée, régulée, afin d’éviter le phénomène d’aplatissement du volume. Parce qu’une lumière forte et directe, avec l’adjonction d’autres lumière secondaires, a tendance à effacer et écraser la profondeur. La peinture doit être éclairée avec une lumière diffuse. Elle se règle selon l’oeuvre à éclairer. Historiquement, les conditions d’éclairage ont beaucoup influencées la perception de la couleur dans la peinture : la lumière électrique ne rend pas les clair-obscur d’un tableau que révélait la bougie ou la lampe à huile à l’époque. De ce fait, l’artiste règle ses dosages par rapport à ce type de lumière et la peinture et ses couleurs se dévoilent de manière plus harmonieuse et radicale, plus puissante et plus contrastée. On pourrait peut-être filtrer la lumière par du verre coloré pour éclairer certaines collections de tableaux. On retrouverait une lumière qui soit

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proche de la lumière d’origine de composition du avec une lumière tamisée et chaude. De manière générale, on cherche à s’approcher le plus possible d’une lumière «neutre», et contrebalancer tous les effets de lumière colorés vus précédemment. La lumière étant un matériau fondamental de l’architecture, il existe de nombreux dispositifs qui recueillent, reflètent et diffusent la lumière sur les oeuvres, en fonction de leur nature. On distinguera la lumière haute, provenant des verrières, des toitures à sheds, et des fenêtres hautes (sans compter les plafonds diffusant la lumière artificielle, et les appliques), et la lumière latérale, distribuée par les baies vitrées, les failles ou les fentes. L’ensemble de ces dispositifs doivent permettre d’orienter le visiteur, et de valoriser les oeuvres, sans les altérer. La préservation des oeuvres a incité pendant un moment les musées à obturer les ouvertures ; de nos jours, on arrive à trouver le bon éclairage, par le «contrôle» de la lumière naturelle. La couleur n’est pas toujours admise dans les musées parce que colore l’espace. Cependant les entretiens nous montrerons que la couleur peut être spécifique à une oeuvre ou correspondre à une matière.


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Contraste

et

mouvement

:

une

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introduction

Ă

la

couleur


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« Pour qu’un édifice soit «vivant», il est nécessaire que sa vitalité soit exprimée par un contraste entre les horizontales et les verticales, entre les vides et les pleins, entre les formes aiguës et les formes souples, entre les volumes et les masses. (...) La vitalité s’exprime du reste aussi par les contrastes entre les grains des matériaux, ici polis, là bruts, et par les contrastes de couleurs.» Bruno Zévy, Apprendre à voir l’architecture, p.113 «Le contraste sert à donner une identité immédiate et sans ambiguïté à deux systèmes formels. Il aboutit à une mise en valeur mutuelle, sans recourir nécessairement à la hiérarchie explicite. L’interdépendance des éléments est réalisée par une tension résultant de leur nature contraire.» Pierre Von Meiss, De la forme au lieu + De la tectonique, Une introduction à l’étude de l’architecture, p.47 Évoquons la définition du contraste. C’est l’opposition entre deux choses proches, ou mises en comparaison, mise en évidence et soulignée par la relation qu’elles entretiennent. Plein/vide, convexe/concave, courbe/ droite, positif/négatif, clair/sombre, lumière/ombre, réfléchissant/absorbant, transparent/opaque, grand/petit, large/étroit, horizontal/vertical, naturel/artificiel, lisse/rugueux, minéral/végétal... Voilà quelques termes opposés qui dialoguent, se confrontent, et se superposent, certains que nous avons déjà constaté, d’autres que nous verrons ici et par la suite dans la partie concernant la matière, l’architecture.

Le contraste de couleur s’effectue dès lors qu’il y a une source lumineuse. Il varie en fonction de la lumière et de ses attributs. Comme nous l’avons vu, le contraste clair-obscur est changeant, tournant, fluide ou brutal mais il est néanmoins limité par la forme et la contour. Il existe par la juxtaposition d’éléments. Il provoque des bouleversements perceptifs, nous donne à voir des éléments trompeurs, qui paraissent mais ne sont pas. Il peut obstruer ou montrer des éléments. Il peut être utilisé pour rendre un plan ou un espace visiblement différent de ce qu’il est matériellement. Physiquement, les rétines de nos yeux sont dans un état différent s’ils regardent la lumière ou l’obscurité. L’oeil est dans un état de relâchement et d’entière réceptivité lorsqu’il se trouve dans la pénombre, et dans un état de tension et d’insensibilité dans la lumière. La même réaction se produit lorsque l’oeil est en face d’une couleur claire et d’une couleur obscure. Le noir laisse l’oeil à l’état de repos, tandis que le blanc l’incite à l’activité. Scientifiquement, les neurones de la voie visuelle sont des détecteurs de contraste. Lorsque l’on regarde deux gris différents par leur clarté, l’un à coté de l’autre, on constate que le contraste est accentué : à la frontière le clair parait plus clair que celui uniforme de l’aplat, et le foncé parait plus foncé que le foncé uniforme du deuxième gris. (Phénomène des bandes de Mach). Cela met en évidence le fait que les neurones du système visuel détectent les contrastes, et les amplifient localement.

Chaque terme n’est valable que s’il est en confrontation sensorielle (principalement visuelle parfois de l’ordre du toucher) avec son contraire, si une comparaison entre deux termes est possible, si l’on peut définir leur différence. Le sens d’une forme est mis en valeur par son contraire. On peut composer par contraste : contrebalancer une forme sous l’action de l’autre, ou l’accentuer par la dichotomie. Dans le domaine artistique, on évoque le contraste de formes, de lignes, de couleurs, de rythmes.

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Bandes de Mach


Le contraste des couleurs est le phénomène d’optique qui se produit lorsque l’oeil considère en même temps deux, ou plusieurs couleurs juxtaposées, qui consiste en un renforcement de leur opposition. Chaque couleur reçoit un supplément de coloration correspondant à la couleur complémentaire de l’autre. Le bouleversement visuel est effectif. On appelle contraste successif le phénomène d’optique qui se produit lorsque l’oeil, ayant considéré quelques temps une couleur, en regarde une deuxième qui lui apparaît alors teintée de la couleur complémentaire de la première. C’est l’image rémanente de la couleur initiale. La couleur est indissociable de la forme. Les contours des couleurs prédominent, ils sont visuellement pour forts que la couleur en ellemême, et sont remarqués en premier. La couleur apparaît comme un accompagnement de la forme. Pour adoucir ou durcir les frontières de la couleur, on utilise les moyens tels que les contrastes plus ou moins importants de teinte ou de luminosité, les formes élémentaires ou complexes. L’utilisation de couleurs très différentes, juxtaposées, permet que les intensités, lumineuses et de couleur, puissent s’équilibrer ou se concurrencer.

Dans le domaine artistique, beaucoup de peintres se sont penchés sur les effets que peuvent produire le contraste, par le clair obscur d’abord, puis par le contraste par couleur. Par intensité, par quantité, par ton, on peut jouer sur la perception, et donner une profondeur à une surface. La couleur nuançant la profondeur, la masse, et le plan, ils se sont penchés sur la question de comment représenter la profondeur, autrement que par la perspective, sinon par la couleur. On se rend compte que l’on arrive à donner une géométrie de l’espace par la couleur mais aussi donner du mouvement, du calme et de la profondeur. L’approche artistique a parfois été de nature scientifique. Le mélange optique est rendu possible lorsque deux couleurs ou plus, sont perçues simultanément. Elles sont d’abord annulées, rendues «invisibles» par le fait que l’oeil fusionne les couleurs et les remplace par une nouvelle, générale. Ce principe a été appliqué par les peintres impressionnistes, et particulièrement par les pointillistes, qui part le biais de taches de couleurs juxtaposées, nous font percevoir une nouvelle couleur, un mélange des deux couleurs d’origine. Ce mélange optique est appelé l’effet Bezold, nom de son inventeur (1837-1907).

Les terminaisons nerveuses dans la rétine de l’oeil humain sont réglées pour voir l’ensemble des couleurs composées de rouge, jaune et bleu. En fixant une couleur, on fatigue les parties sensibles à celle-ci. Notre cerveau qui a cherché à contrebalancer la couleur vue, nous fait voir la complémentaire sur la surface blanche. C’est un phénomène psycho-physiologique ; tout le monde y est sensible. Joseph Albers, dans son étude approfondie et son enseignement L’interaction des couleurs, nous indique qu’aucun homme n’est à l’abri du phénomène de contraste et d’illusion optique, de perception d’image rémanente. Il serait alors peut être possible de jouer avec les contrastes et les espaces, pour mettre en lumière l’évidence et rendre au visiteur la logique d’un parcours.

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La couleur se définit selon plusieurs attributs. La teinte est la qualité caractéristique d’une couleur, qui fait qu’elle se distingue des autres. Les teintes élémentaires sont définies par le spectre lumineux. Toutes les autres couleurs sont jugées similaires à l’une de ces teintes : rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet. Le blanc, le gris et le noir, sont perçus comme des absences de couleur, comme achromatiques. La saturation est le second attribut qui distingue la couleur. On parle aussi d’intensité de couleur, ou de force, qui désigne la pureté de la teinte d’une couleur. Deux couleurs peuvent avoir la même teinte, on les différenciera par le fait que l’une est plus sombre que l’autre, par l’apport de blanc ou de noir. La nuance décrit l’intensité de la teinte. La luminosité différencient les couleurs claires des couleurs foncées. La luminosité se mesure à la quantité de lumière qu’elle absorbe et celle qu’elle renvoie. Une couleur perçue sur la matière opaque résulte de l’absorption de certaines couleurs contenues dans la lumière. Si une paroi opaque est rouge, et que nous la voyons rouge lorsqu’elle est éclairée par la lumière blanche, c’est qu’elle absorbe toutes les radiations sauf celles correspondant au rouge, qui sont réfléchies. Si l’objet n’absorbe aucune radiation, et qu’il les renvoie toutes, sa couleur est proche de celle de la lumière incidente : l’objet apparaît blanc en lumière blanche. Pour une paroi opaque noir, c’est l’inverse ; l’objet absorbe toutes les radiations. Quoiqu’il en soit, comme nous l’avons déjà envisagé pour le phénomène de contraste, la couleur d’une surface perçue dépend des caractéristiques des couleurs avoisinantes. Il faut ici encore, un comparatif, un élément initial qui permette de faire la différenciation. On n’imagine guère une couleur unique partout. La couleur se limite, par la forme, par le volume, par la lumière et l’ombre. La couleur d’un objet dépend de la couleur aux abords de l’objet, de la couleur de la lumière qui l’éclaire, et de notre système visuel. L’aspect coloré que l’on attribut à une surface subit l’influence du cadre dans lequel la surface est placée.

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«Dans sa perception visuelle, une couleur n’est presque jamais vue telle qu’elle est réellement - telle qu’elle est physiquement. Cette constatation fait de la couleur le moyen d’expression le plus relatif.» Joseph Albers, L’interaction des couleurs, p.7 Plaçons nous en spectateur et décrivons les effets optiques qu’apportent le contraste des couleurs dans notre perception visuelle. L’intérêt sera par la suite de voir ce qui peut être apporter dans le projet d’architecture et de l’espace. Les couleurs trompent. D’abord dans un rapport de relativité qui diffère selon les personnes, et selon l’environnement, une même couleur peut être perçue différemment. La couleur est relative, instable, les perceptions peuvent être trompeuses. Il existe une interdépendance entre couleur, forme et emplacement. La couleur et la quantité (l’étendue, la récurrence), la couleur et la qualité (intensité, nuance), la couleur et l’articulation (absence de frontière qui sépare ou connecte) sont des données variables qui influent sur la perception que l’on a de ce qui nous entoure. On notera par ailleurs que la distinction entre les couleurs est plus facile sur une grande surface que sur une petite. On s’appuiera dans ce chapitre, sur les enseignements de Joseph Albers et de Kandinsky pour aborder le phénomène de contraste de couleur. Joseph Albers nous livre un enseignement. Alors qu’étaient utilisés des papiers de couleur pour exécuter les exercices, nous nous amuserons ici à en reproduire quelqu’uns, effectués avec le logiciel Photoshop. Pour entrer un peu plus dans le langage de la couleur, nous noterons les «ingrédients» de chaque couleur, les quantité de rouge, vert et bleu utilisées.


En haut : Deux couleurs proches paraissent plus dissemblables lorsqu’elles sont placées l’une à coté de l’autre, plutôt que lorsqu’elles sont séparées. En bas : Deux couleurs différentes peuvent avoir l’air identiques par la manière dont elles sont disposées et par l’intervention éventuelle d’une tierce couleur.

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R : 140 V : 170 B : 200 R : 190 V : 170 B : 155

R : 240 V : 170 B : 110 R : 240 V : 90 B : 30 R : 240 V : 115 B : 30

R : 240 V : 140 B : 30

R : 220 V : 220 B : 220 R : 210 V : 190 B : 165

R : 170 V : 140 B : 110

R : 55 V : 85 B : 165

Il est possible de faire voir deux (ou trois) couleurs lorsqu’on en utilise en réalité trois (ou quatre): la couleur médiane doit être topologiquement au milieu des couleurs des deux fonds. Il est intéressant de constater qu’il est possible de travailler ce phénomène sur deux fonds de même teinte, mais aussi de trouver la couleur médiane entre deux fonds de couleurs opposées (complémentaires).

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R : 230 V : 35 B : 35 R : 80 V : 130 B : 85

R : 235 V : 110 B : 30

R : 50 V : 100 B : 100

R : 50 V : 110 B : 75

R : 100 V : 175 B : 35

R : 230 V : 30 B : 40

En haut : Le contraste nous trompe sur la luminosité d’une couleur (l’intensité de lumière). On utilise par exemple un fond rouge pour le constater. Au centre, on place un objet vert, qui est en réalité plus foncé que le rouge. Sur l’autre fond, on place un objet orange. L’objet vert ressort plus et parait le plus clair, mais en réalité, c’est la couleur la plus foncée. En bas : On peut rendre pratiquement invisible la frontière qui sépare deux couleurs. Ce phénomène se limite avec l’utilisation de couleurs adjacentes, voisines, et d’une intensité lumineuse égale. Inversement, a vibration des frontières, entre deux couleurs contrastées par leur tons mais proches par leur intensité lumineuse, apparaît souvent comme une ombre d’un coté de la frontière et comme une lumière réfléchie de l’autre. On parle aussi de contours forcés. C’est un effet excitant pour l’oeil mais parfois ressenti comme agressif, voire désagréable. Il est souvent utilisé dans la publicité pour produire un effet de choc.

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Illusion

d ’ e s pa c e e t d e t r a n s -

pa r e n c e pa r l a c o u l e u r

L’illusion d’espace est mis en valeur lorsque deux couleurs semblent se mélanger : deux couleurs semblent se chevaucher lorsqu’on place une troisième couleur qui serait le mélange des deux première à l’endroit où elles «se chevauchent». On pourra lire une transparence, par cette couleur, et ainsi lire une couleur au-dessus ou au dessous de l’autre. Nous pouvons alors parler d’éloignement d’une couleur. Si la couleur médiane se rapproche d’une des deux couleurs «parents», elle s’éloigne de l’autre. Le mélange médian est le plus difficile à trouver. Il exige un positionnement précis et des moyens de mesure pour le trouver. Il présuppose l’équidistance des couleurs. L’éloignement, l’équidistance, et la proximité en matière de couleur peuvent être identifiés et on peut lire l’action plastique de la couleur en organisation spatiale. La frontière douce révèle la proximité entre deux couleurs, une frontière dure indique l’éloignement, la séparation. On distingue une couleurs placée en-dessus de l’autre, ou en-dessous, plus haute, plus basse ; on fait une lecture telle que «ici», «là», «là-dessus», «là-dessous», donc dans l’espace. Albers remarquait que Cézanne avait entrepris une étude de ce type, et pris en considération ce phénomène dans son travail. En effet, il développait «des zones de couleurs qui produisaient à la fois des terminaisons distinctes et indistinctes (...) en tant que moyen d’organisation plastique. Et pour empêcher des zones peintes uniment d’avoir l’air plat et frontal, il employa modérément des bordures accentuées, essentiellement là où il avait besoin d’une séparation spatiale entre zones colorées adjacentes.» La juxtaposition de plusieurs nuances d’une même couleur nous conduit à l’illusion de volume. La profondeur apparaît lorsqu’on considère la couleur la plus foncée comme étant le plan le plus lointain. On pense à la lumière qui glisse, file, jusqu’à s’épuiser et qui révèle le contraste du clair/obscur.

R : 60 V : 75 B : 150

R : 60 V : 75 B : 150

R : 75 V : 90 B : 160

R : 225 V : 225 B : 225 R : 190 V : 190 B : 190

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R : 90 V : 110 B : 170

R : 90 V : 90 B : 90 R : 140 V : 140 B : 140

R : 80 V : 80 B : 80


Taille

et mouvement

Un objet sombre nous paraît plus petit qu’un objet clair pour la même taille. Mais encore une fois, tout dépend du cadre dans lequel l’objet se trouve. Un objet blanc semble plus grand sur un fond noir, qu’un objet en noir de même dimension sur un fond blanc. Le noir est plus lointain, Le jaune et le bleu sont les couleurs équivalentes au noir et au blanc en terme d’impression et de taille. Le l’objet jaune parait plus grand que le bleu. Le jaune semble s’avancer, contrairement

au bleu qui recule. Kandinsky remarquait que sur le blanc, presque toutes les couleurs perdent de leur résonance. Et sur le noir, toute couleur sonne plus forte, plus précise. Le jaune au contact du blanc s’affaiblit, alors que sur le noir, il se détache littéralement, plane et saute aux yeux.

Effectivement, le carré noir apparaît plus petit que le carré blanc. L’effet est équivalent en couleur, le carré bleu sur fond noir apparaît moins grand que le carré jaune sur fond noir. Les couleurs claires semblent plus proches que les couleurs foncées.

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Ré-équilibre de la taille : sur fond blanc, le carré jaune semble de même dimension que le carré bleu sur fond noir. Sur la deuxième image, il existe toujours une différence de taille dans la perception.

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T e m p é r at u r e

et humidité de la

couleur

La tradition occidentale veut que le chaud soit représenté par les couleurs telles que le rouge, l’orange et le jaune, et le froid par la couleur bleue. Mais ceci est relatif puisqu’on peut parler de bleus chauds et de rouges froids à l’intérieur de leur teinte. Les relations chaud/froid et clair/foncé sont étroitement liées. En peinture le domaine du chaud/froid est exploité pour représenter des directions spatiales : l’organisation spatiale se vérifie lorsque la représentation semble montrer le dessus, le dessous, le dedans ou le dehors. De nos jours cela se vérifie moins, malgré le fait que le chaud soit considéré comme plus proche du spectateur que le froid, le premier ayant une longueur d’onde supérieur au second, optiquement nous les enregistrons différemment. La relativité, est une instabilité, elle est très représentative de la couleur. Un phénomène peut avoir plusieurs lectures selon les personnes, et comporte des significations différentes. L’influence réciproque des couleurs, (l’interaction et l’interdépendance), nous montre que la couleur est le moyen d’expression artistique le plus relatif. Lorsqu’on parle de relativité de couleur, on définit néanmoins des qualificatifs qui restent inchangés, sa longueur d’onde par exemple. Mais on peut lui définir des attributs qui dépendent de l’instant, de la réception optique qui se transforme en quelque chose de différent, une image construite par le contraste, qui fabrique une translucidité, un dédoublement, une vibration etc... Et cette image qui risque d’être modifiée avec le temps, est liée à des conditions momentanées.

Lumière

directe

/

indirecte

Il faut distinguer la couleur qui provient de la lumière projetée, de celle qui provient d’une lumière réfléchie. Le mélange direct en lumière projetée correspond à la lumière colorée. La lumière blanche étant en réalité composée de couleurs (mis en évidence par le spectre), on sait que lorsqu’il y a mélange et chevauchement, la couleur médiane apparaît plus claire que les couleurs «parents». On parlera de mélange additif. Les mélanges gagnent de la luminosité en lumière directe. Le mélange indirect en lumière réfléchie correspond à la couleur due aux pigments vus par l’oeil. C’est une couleur qui est réfléchie. La somme des couleurs mélangées est plus foncée que la couleur «parent». Le mélange est soustractif car il perd en luminosité. Les contrastes vus précédemment peuvent être composés en lumière projetée colorée. La matière porte en elle la couleur, mais l’éclairage joue un rôle dans la manière dont on la perçoit. Dans le reportage Le monde des couleurs, on s’aperçoit que la façon d’éclairer un objet avec de la lumière colorée influe sur la coloration de l’objet. Si l’objet est blanc, il prendra la couleur de la lumière qui l’éclaire. Si on éclaire un objet rouge avec de la lumière rouge, la teinte de l’objet est perçue de la même façon. En revanche, l’objet vert éclairé par de la lumière rouge semble noir. La lumière contient toute une palette de longueurs d’onde. La matière, par sa couleur en absorbe certaines, et en renvoie d’autres.

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R : 225 V : 35 B : 30 R : 200 V:0 B : 110

R : 255 V : 235 B:0

R : 255 V : 255 B : 255

R : 105 V : 175 B : 35 R:0 V : 160 B : 225

R : 50 V : 75 B : 150

Mélange additif, Lumière directe

R : 225 V : 35 B : 30 R : 100 V : 30 B : 100

R : 240 V : 130 B : 30

R:0 V:0 B:0

R : 255 V : 235 B:0 R : 105 V : 175 B : 35

R : 50 V : 75 B : 150

Mélange soustractif, Lumière indirecte

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La

couleur

dans

la

peinture

La pratique des peintres a été influencée au cours du XIXème siècle, par les traités qui abordent la couleur scientifiquement. Les peintres mettent en application une série de théories fondées par Newton, Chevreul, Goethe, et bien d’autres. Il y a une science du projet pictural. La mise en évidence de la complémentarité des couleurs est un champ d’expérimentation que l’on retrouve régulièrement. Chevreul, met en évidence le phénomène de contraste successif. Cette expérience optique laisse supposer l’idée que l’oeil «exige» un rétablissement des couleurs lorsqu’il est sollicité par une couleur dominante, mais aussi l’existence d’une harmonie de couleur. La couleur peut classer, organiser, et construire une composition. Les contrastes complémentaires sont dits harmonieux. Les artistes appliquent volontairement les théories scientifiques de la couleur, et attribuent à celle-ci un rôle d’élément constitutif du tableau. Lorsque Goethe remarque que les ombres sont colorées, les peintres, pour s’af-

franchir du contraste clair-obscur et du noir trop brutal dans la représentation, utilisent la couleur complémentaire pour représenter l’ombre d’un sujet. Les impressionnistes voient dans le contraste des couleurs complémentaires un moyen efficace, scientifique et objectif, de rehausser les couleurs afin d’en augmenter la luminosité, et de se d’approcher au mieux la représentation de la lumière naturelle. La technique picturale est accompagnée de l’expérience visuelle. Les néo-impressionistes et particulièrement les pointillistes, explorent une approche scientifique de la perception visuelle, en appliquant les théories physiques et optiques : l’oeil réalise lui même les mélanges. Il est capable de percevoir une texture de surface, si les entités qui constituent la «surface» sont suffisamment rapprochées, semblables et nombreuses, pour ne pas être considérées comme élément individuel. Von Meiss écrit : «La structure la plus élémentaire est créée simplement par la proximité, la répétition, la similitude, et parfois l’orientation des éléments». Les théories sur le pouvoir psychologique d’une

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couleur se dévoilent à la fin du siècle. Gauguin accorde une valeur émotionnelle aux contrastes chromatiques : selon lui, deux couleurs différentes et contrastées sépareraient l’espace du rêve de celui de la réalité. Puis la couleur devient une notion plus abstraite. C’est un langage non figuratif. Cézanne possède un vocabulaire pictural fondé sur la perception. Il applique des applats de fonds vifs sans rapport avec la réalité qui lui confèrent une liberté visuelle, et une autonomie de la couleur. Gilles Deleuze, dans son ouvrage Francis Bacon, Logique de la sensation, met en relation Bacon avec Cézanne, moins contemporain. Tous les deux tentent de représenter la sensation par la couleur. Ils dépassent la figuration, c’est-à-dire l’objet représenté, et peignent la Figure, la sensation de l’objet. Ils ne racontent plus, ni n’illustrent. Ils font l’expérience de la couleur pour représenter la figuration de la sensation, qu’ils appellent Figure. «La couleur est dans le corps, la sensation est dans le corps, et non dans les airs. La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau, c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation». «L’être pommesque de la pomme.» p.40

tionnent ensemble, communiquent, et donnent ensemble la profondeur de l’espace. Les variations d’intensité et de saturation, dans leur rapport de voisinage, créent une profondeur. À la fin du XIXème siècle, la couleur s’affranchit de la réalité et les artistes entreprennent des expériences chromatiques au XXème siècle. L’utilisation de la couleur est un langage, la couleur devient une matrice. Le XXème siècle est un triomphe pour la couleur. Le groupe De Stilj est à la recherche d’un nouveau langage non figuratif dirigé par l’utilisation des formes et des couleurs pures. Il a une influence sur les arts plastiques et l’architecture moderniste, notamment l’école du Bauhaus, où Kandinsky enseigne ses théories sur la couleur. Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, l’écrit théorique que Kandinsky expose, explique la dimension spirituelle de la couleur et sa relation avec la forme : à chaque couleur correspondrait une forme.

Bacon dans ses tableaux, utilisent les tons purs, couleurs lumineuses et vives et les tons rompus, les couleurs désaturées. Ils fonc-

Dans l’art abstrait, une prise de distance par rapport à l’objet est effectuée ; on exclut la représentation de la troisième dimension. L’espace tridimensionnel est exploité par l’épaisseur d’une ligne, ou sa minceur, par l’application de la forme sur la surface, par la superposition ; l’extension picturale de l’espace s’opère. La couleur offre des possibilités analogues. Selon sa teinte, elle semble s’avancer, se reculer, tendre vers l’avant ou l’arrière, faire de l’image une essence flottant en l’air. Là encore, il y a une

Page de gauche : Cours de peinture J.B. Sécheret . Nature morte, Ombres par la couleur complémentaire (pourpre) . Reproduction nature morte - Cézanne Profondeur par le contraste clair-obscur, contraste de couleur chaud-froid, «Figure» du fruit

La montagne Sainte-Victoire vue de Bellevue, Paul Cézanne, 1892-1895, peinture à l’huile

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extension de l’espace par le dessin. Delaunay est un précurseur de la peinture optique. Par la couleur, il crée le mouvement et la lumière. L’intérêt est de montrer que l’on peut libérer la couleur de la forme, et produire des effets optiques par la couleur. Peu à peu, l’attention est porté aux matériaux, à la texture des surfaces et aux pigments : le champs d’expérimentation chromatique est large, on décortique la couleur maintenant considérée comme une matière. Les conditions d’éclairage, les matériaux, la texture, les effets de contraste changent la perception que l’on a d’une couleur. Le travail de Cézanne est très intéressant à analyser, parce que par la couleur, il réussit à donner une réelle impression de profondeur. Transparence réelle et virtuelle, est un essai écrit par Colin Rowe, architecte enseignant et Slutzky, peintre et élève de Joseph Albers. En analysant les oeuvres de Fernand Léger, Cézanne, et Le Corbusier, ils trouvent un point commun qui font de ces oeuvres des représentations de profondeur, par la composition ou par la couleur. Chez Cézanne, on retrouve une vision frontale de la représentation, une composition comprimée, dont les sources lumineuses, de natures différentes, rendent compte d’une spatialité. Les couleurs contrastées semblent basculer au premier plan. L’espace se tient par une trame d’horizontales et de verticales. La frontalité, la compression de l’espace, la détermination des sources lumineuses, la palette limitée de couleurs, et la trame sont les caractéristiques du cubisme analytique.

Le processus s’applique aussi bien en peinture, chez Léger, Picasso ou Ozenfant qu’en architecture. Dans le domaine architectural, Le Corbusier utilise la frontalité de sa façade comme cadre de toile, puis intègre dans sa composition architecturale et picturale des plans primaires qui s’interpénètrent sans se détruire. Une série de tranches spatiales sont développées successivement dans la composition. C’est la virtualité d’un espace sans profondeur qui pourtant est profond. Les éléments qui définissent l’espace sont le cadre, qui est une limite, une enveloppe et les plans successifs. L’espace devient volumétrique. Ceci se vérifie en peinture et en architecture. Peintres et architectes recherchent à faire de l’espace. À partir d’un cadre, d’une limite, le peintre opère avec la composition et la couleur. On perçoit l’espace. Ici Le Corbusier propose un point focal pour la lecture de son architecture. Avant le déplacement dans l’espace et le temps, il propose une lecture de l’espace par la composition de la profondeur ramenée à un premier plan. On pourrait penser qu’il fait de l’espace à la manière du peintre, faire un espace virtuel en deux dimensions, lorsqu’en réalité, il est profond. Leurs outils diffèrent mais la recherche est identique.

Dans la lecture de tableaux cubistes, les lignes obliques et courbes provoquent un recul diagonal de l’espace, tandis que les lignes verticales et horizontales accentuent la frontalité. L’opposition entre les surfaces vives et d’autres plans plus sombres et denses évoque la spatialité et la profondeur. Fernand Léger effectue un travail bidimensionnel, par la disposition compressée des surfaces contrastées, ce qui créé un effet de profondeur. L’oeil perçoit une organisation spatiale par l’usage des couleurs posées en proximité et en superposition. Les volumes sont suggérés.

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Couleur

cinétique

et lumière dans l’art

Au cours du XXème siècle, l’art est en changement. Il change de nature, de forme, trouve de nouveaux moyens, et se fixe d’autres objectifs. L’art abstrait est un des facteurs principaux de ce changement. Il contribue à la conquête de l’espace, incite à «sortir» du cadre, et à considérer l’espace en lui-même. Plutôt que de le représenter, on pense à l’utiliser pour devenir le sujet de la création. Il s’agit de le structurer, de faire disparaître ses limites, de l’éclairer de manière fine, précise, en recherchant le moyen de l’habiter par la lumière et la couleur, ou de le rendre impraticable. L’art cinétique propose une mise en mouvement de l’oeuvre, induit par un élément interne (moteur), ou un élément externe (vent ou spectateur). Le mouvement futuriste avec Marcel Duchamp, Alexander Calder dans les années 1910, sont les premières manifestations de l’art cinétique. Vasarely et Bridget Riley, dans les années 1951, expriment un art d’oeuvres optiques fondées sur le contraste. La perception donne naissance à l’illusion d’optique et au mouvement. Ce nouveau moyen d’exprimer l’art cinétique est fondé sur la vibration rétinienne et sur l’impossibilité de notre œil à accommoder simultanément le regard à deux surfaces colorées, violemment contrastées. Dans ce cas de cinétisme virtuel, on parle de Op Art. L’art cinétique a mis en évidence la notion de vision, d’espace et de mouvement, et la présence du spectateur est nécessaire pour faire «fonctionner» l’oeuvre. Dans chaque oeuvre priment la perception de la lumière, des couleurs et des formes, ainsi que l’ensemble des mécanismes grâce auxquels les radiations lumineuses déterminent les impressions. Les oeuvres ont un lien avec la dynamique visuelle. L’oeil subit des illusions d’optiques, au moyen d’assauts lumineux et hypnotiques. Cela démontre que tout champs de vision n’est pas un tableau mais un phénomène instable, en mouvement constant. De nombreux moyens sont mis en oeuvre pour avoir recours à ces phénomènes : le claire voie par exemple, joue sur la transparence et l’immatérialité. Les oeuvres ajourées

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laissent voir l’espace au travers mais le modifie considérablement par les effets de miroirs. La lumière et le regard circule librement. La réalité est filtrée, fragmentée, démultipliée. Le travail sur la forme permet d’amplifier les effets de la couleur. L’animation de la surface passe aussi par la texture, la répétition d’une forme dont l’orientation est modifiée, ce qui fabrique ce qui semble être une ombre, un relief, ou un mouvement. L’espace ou l’architecture, est parfois détourné de son caractère fonctionnel. La lumière colorée constitue un véritable milieu dans lequel le spectateur se retrouve. On définit des sous-espaces par des ambiances colorées, principe identique à «l’espace-lumière» de Pierre Von Meiss. La propagation de la lumière est parfois exploitée pour établir une continuité entre l’objet et l’espace. La lumière peut dématérialiser la matière, supprimer des opacités (les cimaises par exemple). La lumière peut aussi tenir le spectateur à distance de l’oeuvre. L’espace architectural est utilisé comme support. L’art cinétique consiste à travailler sur les images que fabrique le cerveau en fonction des images que voient les yeux, pour tromper et apporter une nouvelle perception, et «faire participer» le spectateur.


Gammes,

pa l e tt e s e t n u a n c i e r s

«La polychromie, aussi puissant moyen de l’architecture que le plan et la coupe. Mieux que cela : la polychromie, élément même du plan et de la coupe.» Le Corbusier La théorie de la couleur basée sur des effets psychologiques (une couleur exprimerait une partie de l’être par exemple) et physiologiques (le bleu serait calmant, le rouge excitant, le jaune irritant) est partagée par plusieurs artistes, comme Kandinsky ou Le Corbusier. Le Corbusier prend conscience de ce phénomène ; pour lui, la couleur est un moyen de sensation physique. Les «constellations harmoniques» de couleurs, nuanciers, palettes, dérivent de systèmes reconnus qui ont l’air agréables, beaux, donc convaincants. Mais la présentation de ces constellations est théorique et non pratique. Tous les éléments qui constituent cette harmonie apparaissent en même quantité, sous la même forme, et avec la même fréquence, parfois avec une intensité lumineuse analogue. Lorsqu’on les utilise concrètement, les perceptions que l’on a d’une couleur issue d’un nuancier semblent modifiées. En plus de la quantité, de la forme et de la récurrence, d’autres aspects exercent une influence qui les modifient, à savoir : la luminosité (variable et multiple) par la réflexion des lumières et des couleurs, la direction, l’ordre de lecture, la présentation sur des supports variés... Les «constellations harmoniques» ont fait l’objet d’une recherche approfondie chez Le Corbusier, lorsqu’il a composé les claviers de couleurs. On parlera plutôt de palette, outil de cet architecte-peintre. Comment les a-t-il composées? Et pour quels espaces? En regardant son architecture, on rend également compte d’un «nuancier de texture». Dans son livre Vers une architecture, Le Corbusier met en évidence le rôle de la surface, conductrice de la lumière. En effet, les matières lisses, rugueuses, translucides, sculptent la lumière différemment, la renvoient autrement.

Selon Le Corbusier, tout projet peut être initialement pensé en couleur. La couleur est liée à la surface et à la lumière, et devient un ingrédient majeur dans la conception architectonique. En 1931, l’entreprise de papiers peints SALUBRA de Bâle, en Suisse, propose une collection de couleurs puristes que Le Corbusier projette, selon son développement des «claviers de couleurs». C’est un instrument utile pour une application harmonieuse des couleurs, «producteur» d’ambiance. Quarante-trois couleurs unies, essentiellement des pastels, déviées de la «grande gamme». Dans une série, chaque couleur possède la même valeur. Les couleurs sont interchangeables. On est dans la recherche d’équation harmonieuse, d’équilibre chromatique. La couleur gagne en autonomie. Après la seconde guerre mondiale, Le Corbusier, qui est architecte et peintre, trouve de l’intérêt dans les colorations vives (le rouge, le vert, le jaune et le bleu). La couleur gagne en autonomie dans l’architecture : elle est appliquée indépendamment de la dimension des surfaces, déchargée de sa tâche évocatrice d’ambiances. En 1959 sort une deuxième collection, constituée de couleurs unies, plus puissantes. Cette gamme de couleurs engendre de vifs contrastes dans une architecture caractérisée par des matériaux laissés bruts. Les projets chromatiques de Le Corbusier reposent sur l’utilisation d’une gamme de couleurs standardisées, qui peuvent être nommées «couleurs architecturales». Le Corbusier et Ozenfant définissent des couleurs de gammes différentes : les puristes distinguent trois gammes. . La grande gamme, stable, elle donne de l’unité car les couleurs se tiennent naturellement entre elles. C’est une gamme forte, les couleurs sont constructives. Elle définit des tons liés à l’expérience visuelle de la nature, des couleurs se tiennent naturellement entre elles. : ocres jaunes, rouges, terre, blanc et noir, bleu outremer, et leurs mélanges.

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. La gamme dynamique, dans laquelle sont rassemblées les couleurs qui provoquent un changement perpétuel de la surface peinte. . La gamme de transition. Ils définiront également une palette de matériaux. La texture des matériaux joue un rôle important dès 1930. Un large panel de matériaux peut être utilisé pour composer l’architecture. L’opposition entre matériaux bruts et opaques, la transparence du verre, coloré ou non, peut apporter à l’espace architectural un langage éclectique, permettant de qualifier les espaces. La polychromie architecturale s’adapte sur les surfaces lisses ou rugueuses, la sensation est différente. Les surfaces rugueuses ou mates apportent de l’ombre, de la texture et modifient la couleur en soi, alors qu’une paroi lisse ou brillante renvoie sa couleur dans l’espace ainsi que les reflets de la lumière blanche. La lumière est rayonnée, transformée et ricoche. Le blanc devient un trait de lumière. Toute surface communique sa couleur à la lumière, y compris le sol. La couleur absorbe la lumière et laisse rayonner la teinte de l’opacité, qui colore la lumière. Celle-ci colore l’espace à son tour. La lumière, la couleur et le lieu où elle est posée s’accompagnent, se complètent et se révèlent les uns pour les autres. Il travaillent ensemble. Les sensations et les effets sont différents selon leur disposition et leur nature. Certaines couleurs réclament une lumière directe, le rouge par exemple, lorsque d’autres s’adaptent mieux au clair/obscur (le bleu). Certaines couleurs semblent s’altérer dans l’ombre, ou sont moins actives, lorsque d’autres se révèlent et subliment l’espace. La couleur se définit par sa teinte, et le ton d’une couleur, par sa faculté à être une couleur chaude ou froide. Ainsi, on peut parler de couleurs de la lumière, les couleurs chaudes, comme les rouges, les oranges et les jaunes, comme nous l’avons dans l’analyse de la lumière. Les couleurs de l’ombre sont les couleurs froides, les bleus, certains verts, qui elles aussi, ont été définies dans la coloration naturelle de la lumière dans l’ombre, et dans les espaces plus humides et frais.

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Les jeux de volumes d’une architecture prennent vie par les ombres, sous la lumière, dépendant de la temporalité et de la trajectoire du soleil, et logiquement par les couleurs de l’ombre, de la lumière ou de la demi teinte. On peut dissocier les couleurs qui accentuent la profondeur, les couleurs froides, notamment le bleu. Cette idée est partagée depuis longtemps par Kandinsky qui suggère l’aspect centripète de cette couleur, jusqu’à aujourd’hui lorsque l’on dit que peindre en bleu un espace intérieur le rend visuellement plus grand. C’est une propriété du cerveau et de l’oeil. La manière dont la lumière bleue se réfracte dans la rétine la rend visuellement plus éloignée la couleur bleu. Les couleurs froides sont des couleurs fuyantes, donnent de la distance, éloignent la paroi, la rend presque insaisissable. De plus elles sont reconnues comme étant apaisantes, calmantes. À l’inverse, les couleurs chaudes, (les rouges, les bruns, et les oranges) sont des couleurs saillantes, qui fixent et affirment la situation du mur, sa dimension. Elles sont excitantes. Par un travail de contraste chaud/froid ou clair/ obscur, on a la sensation de rapprochement ou d’éloignement, on raccourcit ou accroît la profondeur d’un espace, la longueur, la largeur et la hauteur d’une pièce. Le rapprochement entre les recherches en peinture et en architecture sont évidentes, lorsque les uns travaillent sur une surface et donnent la profondeur par la couleur, d’autres recherchent l’altération du volume, la destruction de la forme, le recul ou l’avancée d’une opacité, par la polychromie. Elle permet de définir et de classer quand la monochromie produit l’exacte évaluation des volumes. L’idée de volume et de tridimensionnalité de la couleur est une recherche qui atteint plusieurs langages, plusieurs disciplines.


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M at i è r e : D i s p o s i t i f s - E x p Ê r i e n c e s - E n t r e t i e n s 49


Photos page précédente, de gauche à droite et de haut en bas : photos 1 et 2: terre et roches en bord de route Chiapas, Mexique, photo 3: enduit à la chaux, texture de façade, Vaux-sur-mer, France, photo 4 : détail constructif, mur dans la cité Toniná, Mexique.

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M

ise en avant précédemment, la lumière, qui englobe la couleur en elle-même et la révèle, nous a orienté vers la matière et la matérialité. Le projet d’architecture est le dessin du plein et du vide ; le vide est traversé par la lumière, nous donne le recul nécessaire pour lire le plein, obstacle de la lumière et moyen de continuité. Une opacité mise en lumière nous renvoie de sa lumière, selon sa disposition, sa texture, et sa couleur. La lumière permet de définir les espaces et les qualifient. Les ambiances lumineuses contribuent à leur bonne lecture, à la compréhension du parcours. Elles rythment et permettent des articulations entre chaque espace. Il existe une communication entre matière et lumière, pour s’exposer au visiteur. Les interprétations sont multiples mais le message passe; dès lors, l’architecture fonctionne. On parle d’architecture émotionnelle lorsque celle-ci nous transporte. Par quels moyens? L’espace architectural est l’immatériel limité par la matière. Il naît de la relation entre les objets, ou entre éléments qui définissent des limites. Les limites sont plus ou moins explicites, constituées par des surfaces continues ou par des repères. Si elles sont fictives, c’est l’observateur qui établit les relations entre les éléments et «dessine» les limites, les interprète. On distingue un «dehors» d’un «dedans» même si les repères d’un espace sont réduits en points. Deux points sous-entendent une ligne, trois points, une surface. En trois dimensions, trois éléments verticaux suffisent à matérialiser un volume, visible et définissable. La lumière définit de la même façon un espace, si elle est orientée vers le sol ou si elle est dirigée vers quelque chose ; «l’espace-lumière» mis en évidence par Pierre Von Meiss. La profondeur de l’espace est perceptible par l’effet de perspective qui induit notamment le gradient de texture et la lumière, et la perception qu’un objet semble être devant l’autre. L’étude des contrastes faite précédemment nous indique qu’il est possible de troubler cette perception. En peinture, on produit l’illusion de l’espace plus ou moins profond. En architecture, la recherche

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pour une nouvelle composition de l’espace s’est également servie de ces moyens. Les théories d’architecture moderne se sont intéressées au ressenti de l’espace par des dispositifs précis, qui fonctionnent et mettent en avant une direction, une profondeur, qualifient un espace. Il sera ici question de montrer les outils de l’architecte, qui pose, mesure et construit un espace avec des éléments tridimensionnels, comment il parvient à qualifier des espaces par une disposition mesurée. Les perceptions que l’on peut avoir face à des éléments architecturaux sont réelles, ils ont été expérimentés. Ensuite, au travers d’une expérience plastique, par des perspectives colorées, on montrera peut-être que l’on peut donner des attributs à un espace par la couleur. Nous nous sommes principalement appuyés sur l’ouvrage de Joseph Albers pour aborder la notion de contraste et de couleur dans la première partie de ce travail. Ici, nous nous appuierons sur le livre de Pierre Von Meiss, pour décrire les dispositifs spatiaux qui nous permettent de qualifier un espace. Après quoi, nous pourrons peut-être établir une relation entre les moyens offerts à l’artiste et à l’architecte pour fabriquer de l’espace.


Dispositifs

architecturaux

l a m at i è r e c o m m e o u t i l

:

L’ouvrage de Francis Ching, Architecture : Form, Space and Order, nous montre comment un élément mis en relation avec d’autres, selon leur forme et leur position dans l’espace, implique une limite spatiale, un mouvement, une connexion, un plan virtuel. Il démontre qu’à partir d’un même plan carré, et selon les dispositions spatiales d’éléments verticaux, on peut obtenir des champs spatiaux très différents. «Une des oppositions fondamentales qui permet de distinguer des types d’espaces architecturaux est qu’ils peuvent être soit fermés, introvertis, concentrés sur eux-mêmes, soit ouverts, extravertis, centrifuges.» Pierre Von Meiss, De la forme au lieu + De la tectonique, Une introduction à l’étude de l’architecture p.137. Le degré d’ouverture ou de fermeture d’un espace dépend de la manière dont on place les éléments qui constituent cet espace (un mur par exemple), et non de la quantité ou du dimensionnement de l’opacité. On a vu précédemment qu’un espace pouvait être perçu même lorsque ses limites sont supposées, implicitées à l’extrême. Ainsi, pour qu’un espace s’ouvre, il faut le rendre moins explicite. Il existe une relation étroite entre la notion d’espace implicite ou explicite, et le degré d’ouverture et de fermeture d’un espace. Pour ouvrir un espace, il faut envisager la suppression de l’angle. L’angle est supposé par la continuité spatiale que l’oeil effectue pour se situer dans un intérieur. Le prolongement d’un élément de l’espace intérieur à l’extérieur est également un moyen d’ouvrir l’espace, de l’étendre, d’établir une continuité naturelle et douce entre intérieur et extérieur, voire de faire rentrer l’extérieur à l’intérieur et vice versa. L’ouverture dans une opacité nous renseigne sur l’épaisseur de la matière, sa nature et sa fonction. Avec le percement on ouvre l’espace. L’architecture moderne a exploité le percement et supprimé la dépendance entre structure et ouverture par le plan libre. La façade n’a plus le rôle de structure et peut être ouverte selon les effets souhaités. La baie vitrée, la fenêtre en bande, la fenêtre d’angle et la verrière sont quelques éléments utilisés par les architectes modernes pour apporter de nouvelles dimensions spatiales.

Perception d’un volume par l’unique matérialité des éléments verticaux. Il définissent les limites et la hauteur du volume.

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Lorsque ses angles sont explicites, on a la faculté immédiate de définir de nouveaux sous-espaces, induits par chaque angle. L’espace se replie sur lui même, il est centripète.

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Lorsqu’on casse les angles, qui deviennent implicites, l’espace s’étend vers l’extérieur, l’espace est explosé, élargi, puisque la plus grande dimension du carré, sa diagonale, n’est plus limitée. L’espace est centrifuge. Selon la quantité de matière utilisée pour les opacités, on arrive à donner des caractéristiques différentes à l’espace de base, mais ces deux phénomènes sont toujours valides.


Les relations qu’entretiennent les espaces peuvent induire une continuité douce. Pour ce faire, les espaces de transitions deviennent des juxtapositions de deux espaces, des intersections, des interpénétrations. La continuité d’un élément significatif d’un espace peut être le moyen de façonner l’espace de transition : le mur, le sol, le plafond, la texture, et peut être la lumière ou la couleur.

nante... Parallèlement, la couleur peut être qualifiée par le clair/obscur, le chaud/froid, les tons purs/ tons rompus (saturés/dé-saturés), la couleur profonde/superficielle, proche/lointaine.

Les architectes ou les groupements tels que Frank Lloyd Wright, Mies von der Rohe, de Stilj, ou encore Le Corbusier, sont les inventeurs de l’espace architectural dynamique et asymétrique. La destruction de la boite par la dissolution de l’angle, les plans indépendants définissant une portion d’espace, une recherche de compression, de superposition, de transparence, sont autant de moyens pour apporter à l’espace de nouvelles perceptions. Dispositif architectural : Espace profond

Étudions maintenant les caractéristiques spatiales qu’offre la figure géométrique la plus évidente en architecture : le carré. Henri Ciriani, dans son entretien avec Laurent Beaudoin, aborde le carré de cette manière : «Si vous choisissez de commencer par dessiner un carré, vous avez la capacité d’ajouter de la surface au carré de base pour qu’il accueille ce qui n’était pas prévu. Le carré avec lequel vous avez démarré, et qui vous semblait évident au départ, ne le sera plus du tout à la fin, pourtant il restera toujours un carré de base qui s’agrandit pour accueillir autre chose.» Le carré contient de nombreux champs de force : par ses angles, sa périphérie, ses diagonales, ses médianes et son centre. On peut ainsi savoir où intervenir pour renforcer ou infirmer ses caractéristiques intrinsèques. L’application de ces principes est valable en volume, pour le cube. Mais s’ajoutent des perceptions visibles dans l’espace. Un cube, lorsqu’on est à l’intérieur, parait toujours plus haut que large. (schéma ci-contre)

Espace qui «tourne», nous fait tourner

Selon les dispositifs architecturaux employés, on est capable de transformer un espace, de lui donner des qualités telles que espace large/profond, fuyant/frontal, petit/grand, vertical/horizontal, on peut déterminer une architecture lente ou rapide, étouffante ou réson-

Perception intérieure cube

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Dispositifs

colorés

comme outil

:

la couleur

«Bien peindre, bien colorer, est comparable à bien cuisiner. Même une bonne recette de cuisine exige qu’on goûte et qu’on re-goûte tout au long du processus. Et la meilleure garantie de succès est encore le goût du cuisinier.» Joseph Albers, L’interaction des couleurs, p.46 On comprendra dans cette phrase que le résultat est meilleur, idoine, après avoir fait l’expérience. Il y a complicité entre la lumière et matière, matière et couleur, couleur et lumière. Elles sont interdépendantes les unes aux autres. La lumière et la matière se révèlent réciproquement. Il existe des correspondances entre la matière et la quantité de lumière nécessaire pour l’éclairer correctement. Par exemple, la brique, en terre crue ou cuite absorbe considérablement la lumière. La matière peut être le producteur d’ombre. On peut déterminer la réverbération de la lumière sur la matière en mesurant le «poids», la quantité de lumière que les surfaces réfléchissent. Les caractéristiques lumineuses d’un espace peuvent aider à donner l’unité au projet. L’espace communique avec l’extérieur autant qu’entre chaque pièce intérieure. La lumière provient de l’intérieur du bâti, parce que chaque paroi est une source de lumière ; l’architecture est une boite à lumière. Ce qui est vide devient source de lumière pour ce qui est plein. Ce que nous distinguons n’est pas la lumière dans le vide, c’est la lumière que les opacités se renvoient les unes aux autres. Par ailleurs, il est amusant de remarquer, lorsqu’on est à l’intérieur d’un espace éclairé, l’extérieur est toujours plus sombre que l’intérieur. C’est biensûr variable selon la quantité de lumière que le matériau renvoie.

sa texture. Cela permet une grande variation de perceptions. L’utilisation des couleurs primaires en architecture est difficile parce que leur contraste est très marqué. Selon Henri Ciriani, il faut savoir réserver une paroi blanche lorsque l’on utilise la couleur, sinon les couleurs «se tuent» entre elles. Elles ont la faculté de contredire la dépendance gravitaire ou l’amplifier. Visuellement, elles apportent une autonomie picturale du bâtiment. La couleur, claire ou foncée, modifie la qualité de la lumière qui frappe, celle renvoyée modifie la lumière, la déplace, la freine, l’éteint. Lorsque la lumière blanche se confronte à une paroi colorée, l’ensemble des couleurs de la lumière blanche est absorbé, la couleur de la matière prend une dimension, elle absorbe, aspire un bout de vide, d’espace, et transmet autre chose de différent, de puissant, d’équivalent. On perd de la lumière que l’on gagne en couleur. L’alternance de clair-obscur rythme le parcours, et nous donne à lire l’espace que l’on investit. Des orientations, des directions, sont lues par le regard ou emprunter par le corps. Lorsque la lumière glisse sur la matière, elle la révèle doucement, la réchauffe. Cette dernière s’exprime et offre sa lecture de texture. La lumière violente, qui vient du sud peut écraser jusqu’à effacer la particularité d’une surface. La couleur a le rôle d’assouvir la brutalité de la lumière et de redistribuer à l’espace une ambiance douce. On parle d’harmonie de la couleur. L’équilibre de l’harmonie peut être comparable à la symétrie. On peut faire exister un équilibre par la tension entre les couleurs, une asymétrie dynamique. Par la quantité, on peut accentuer, équilibrer, ou souligner un effet.

On a vu, dans les expériences à l’aquarelle, que le noir ou les couleurs foncées semblent s’éloigner. En architecture, l’utilisation du noir permet de repousser un plan. Le volume part, s’étend. Pour le retenir, on peut avoir recours à l’utilisation d’une texture rugueuse qui fonce la matière par l’ombre qu’elle produit. Le plan est «retenu» parce qu’il agit comme un poids, il est plus lourd. (figure ci-contre) La couleur est dépendante de la matière et de

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L a matière , luminaire de l ’ espace

La matière renvoie la lumière en moindre intensité. Selon l’orientation, elle subit l’influence de la lumière solaire variable. Si la matière est blanche, elle renverra une lumière diffuse, blanche. Nous avons également abordé la texture de la matière, si elle est lisse ou granuleuse, la lumière est réfléchie avec plus ou moins d’intensité. Enfin, nous avons vus certains dispositifs mis au point pour une esthétique de façade, des jeux d’ombres et de lumières. «La forme et l’espace de l’architecture se qualifient par le caractère des matériaux et des traces de leur mise en oeuvre. La lumière en est la complice. Le résultat est une «ambiance». Dans la définition d’un lieu, les formes jouent un rôle par l’intermédiaire de la matière.» écrit Pierre Von Meiss. Les matériaux pour la mise en oeuvre de l’architecture sont multiples et chacun possède des caractéristiques qui lui sont propres. Un matériau est tendre ou fragile, froid «tempéré» ou chaud. Sa surface est lisse ou rugueuse, mate, satinée, brillante ou réfléchissante. Il peut être plus ou moins opaque, selon sa constitution, son épaisseur, sa coloration. L’homme est sensible à ces qualités, et éprouve un sentiment différent selon l’architecture qui l’entoure. D’abord parce que le matériau en luimême peut avoir une symbolique forte, et accentuer la fonction symbolique de l’espace. Ensuite parce que selon le matériau, l’ambiance change, la température et la lumière. La pierre, qui renvoie à la sensation de durabilité, de pérennité, est un matériau qui peut changer avec le temps. Sa couleur peut être très claire, voire blanche, ou foncée. Elle peut être lisse, brillante, refléter beaucoup de luminosité, peut changer avec le temps, et devenir rugueuse, mate, et d’une couleur différente. C’est un matériau assez froid, qui appelle à une symbolique d’éternité, et de force, de stabilité. Le bois est son contraire par le contraste minéral/végétal. Il renvoie plus à une symbolique d’architecture éphémère. C’est un matériau qui peut être dur ou tendre, selon l’espèce. Il rappelle la nature, et est chaleureux, par sa matière et sa texture, mais aussi par ses couleurs chaudes, allant du jaune pâle, aux bruns les

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plus obscurs. Le béton est très utilisé dans la construction, pour sa résistance et la flexibilité que l’on peut lui donner. Sa texture dépend de sa mise en oeuvre, peut être quasiment réfléchissante, ou extrêmement granuleuse. Sa couleur varie du blanc au gris à l’origine, et peut être modifiée, par oxydation du fer par exemple qui change avec le temps et finalement donne une coloration orange. Jacques Ripault, architecte, a utilisé ce procédé au collège Pablo Neruda à Gagny (photo ci-dessous). Le verre est avec le temps et la technique, utilisé structurellement, pour de larges ouvertures. C’est un matériau parfaitement lisse, et très réfléchissant. On a tendance à l’assimiler à une surface transparente, pourtant selon l’éclairage employé, il peut apparaître comme parfaitement opaque. Si la lumière est reflétée trop directement, on se trouve face à un miroir réfléchissant. Mais on peut jouer également sur sa granulosité, et sa couleur, pour révéler les couleurs de la matière de l’espace intérieur, pour en cacher d’autres, selon le principe de la couleur réfléchie et de la lumière directe. L’architecte joue alors sur la temporalité qui agit visiblement sur la couleur des matériaux.


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Figures 1 et 2 : De la même manière que l’étude des «mouvements» de la couleur, on remarque ici que le carré noir apparaît plus petit que le carré blanc. On peut dire que le mur du fond du fond (FIG.1), vu frontalement s’est éloigné. L’espace noir de la figure 2 semble, en revanche, comprimer le volume, ce qui expliquerait que le mur blanc frontal apparaît plus grand Figure 3 : L’angle est accentué par la couleur. Encore une fois, la couleur les fait s’éloigner, le mur de gauche parait de moindre dimension, comme reculé. L’angle marqué donne une direction, le coin est fermé, on veut aller à droite. Et comme la couleur fait reculer le mur, on donne à croire que le mur frontal file à droite. On imagine que le mur de droite ne touche pas le mur du fond, qu’il y a une séparation. (Schéma D p.64) Figure 4 : l’espace prend de la hauteur. Il s’est allongé. Il donne une direction, parce que les éléments noirs fuient, mais ils montrent aussi un sous-espace définit dans un espace. Si on image cet espace coloré à un endroit particulier, on considérerait qu’il veut montrer quelque chose ici. Un peu comme lorsqu’il y a un changement de matériau, dans un musée par exemple, qui sert d’accrochage, ou qui met une distanciation. Figure 5 : L’espace semble large. Le carré du fond s’est d’ailleurs «élargi» également. C’est un espace directionnel également. Alors que dans la figure 4, on a ce sentiment de «cul-de-sac», dans la figure 5, on pourrait imaginer que les éléments fuyants colorés vont au delà du mur frontal. Figure 6 : Ici aussi, il y a une affirmation de la verticalité par une compression des murs latéraux vers le centre. On peut imaginer deux murs blancs opaques qui marquent un sous espace dans un espace étendu «infini» Figure 7 : L’abstraction des éléments verticaux est totale. L’espace s’étend horizontalement. D’un autre point de vue, on semble se trouver dans un espace clos, plus large que haut. Les parois fuyantes semblent donc être repoussées.

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Figure 8 : L’espace est ouvert à gauche, orienté, il nous fait tourner. Figure 9 : Définition d’un sous-espace par la coloration du sol. Figure 10 : Ouverture de l’espace au plafond, espace clos orienté, ouvert sur le ciel Figure 11 : C’est un espace orienté également, le sentiment de clôture est inférieur par rapport à la figure 8. L’espace semble plus grand. Si on considère que chaque fuyante est opaque, on aura envie de s’appuyer sur la fuyante blanche, s’adosser. L’espace s’oriente dans l’autre sens. Figure 12 : Abstraction des murs colorés qui donnent l’impression d’un plan horizontal unique. On s’arrête, on est confronté à une limite spatiale. Figure 13 : Compression de l’espace, le plafond semble être abaissé, en suspension. Dématérialisation des éléments verticaux. Figure 14 : Espace directionnel orienté en diagonale. On cherche l’adossement pour regarder vers l’angle. L’espace est peut être centrifuge. Néanmoins, il semble être limité par le sol blanc Figure 15 : Une possible autre forme d’un espace centrifuge. Cette fois, le sol étant coloré, on a le sentiment que l’espace se prolonge au-delà de la matière blanche. L’espace est profond parce qu’on peut peut-être contourner la paroi. Figure 16 : qualification d’un sous-espace par la continuité entre le mur et le sol.

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Figures 1, 2 et 3 : Les appréciations sont similaires à celles vus précédemment lorsque la couleur était noire. La couleur bleu, comme le remarquait Kandinsky, a une dimension centrifuge, elle s’éloigne. Figures 4 et 5 : Le jaune est visuellement plus présent que le bleu, parce que c’est une couleur claire. Les opacités blanches sont stables. De la même façon que pour le noir, l’espace tourne sur la droite, «au-delà» du mur blanc. Le bleu plus foncé, s’approchant de la couleur noir, donne une dimension plus profonde encore à l’espace. (Schéma A) Figures 6 et 7 : La couleur rouge «fixe» le mur, il a la même valeur spatiale que le blanc. Les murs frontaux paraissent plus éloignés, lointains. Figures 8 et 9 : L’angle est éloigné, on obtient une dimension centrifuge de l’espace parce que la diagonale semble plus grande. Cependant, on a une configuration de l’espace différente dans les deux figures parce que les «reculs» des parois colorés sont d’importance différentes et leur position est inverse. (Schémas B et C) Figure 10 : La paroi latérale colorée se détache de l’espace mais en moindre mesure que le mur frontal. L’espace semble se prolonger de part et d’autre des murs latéraux, si on longe le mur frontal Figure 11 : La teinte du vert étant assez foncée, on aurait tendance à croire que l’angle qui unit des murs coloré est fermé. L’espace tourne à droite.

Schéma A

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Schéma C

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Entretiens Laurent Beaudouin, Musée des beaux-arts L o r e n z o P i q u e r a s , s a l l e d e s E tat s , M u s é e S t u d i o «U n o - L’ i m a g e » 67

de du

Nancy Louvre Paris


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P

renons pour acquis les thèmes abordés dans la première partie de notre recherche. Pour compléter cette vision d’ensemble, il nous faut maintenant la confronter avec le point de vue de l’architecte. Par la suite, leur analyse sera faite. Nous allons voir la mise en pratique de la couleur à l’échelle 1, les visions différentes de deux architectes, pour deux programmes de musée. Nous nous orientons sur le musée des BeauxArts de Nancy de Laurent Beaudouin, et le projet d’aménagement de la Salle des États au musée du Louvre, à Paris, de Lorenzo Piqueras. L’architecte se trouve dans la responsabilité de régler de nombreux paramètres pour faire déplacer le visiteur, dans un espace en lumière, au travers d’une collection. Face aux limites du dessin à rendre l’image du mouvement, l’architecte mettra en place les dispositifs architecturaux et lumineux pour accompagner le visiteur, rythmer l’espace et le parcours. La quatrième dimension est une notion induite par le parcours. La profondeur de l’espace est accompagnée de la profondeur des oeuvres d’art.

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Musée des Beaux-Arts de Nancy (étude 1989réalisation 1999) La partie réalisée par l’équipe est une extension d’un pavillon de la place Stanislas, datant du XVIIIème siècle, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Le bâtiment est en retrait par rapport à l’existant, et de moindre hauteur. Il s’articule en équerre par rapport au pavillon. Il est constitué d’un rezde-chaussée ouvert sur lequel est posé un volume en pierre plus opaque, et d’un sous-sol. L’extension s’ouvre latéralement sur le jardin. Le parcours suit un cheminement en boucle. L’espace principal est composé de sous espaces perceptibles par les différences de gestion de lumière naturelle et sa mise en scène. La dilatation spatiale est gérée par le cadrage de vues en diagonale. Les couleurs des différentes matérialités du sol participent à l’identification du parcours principal.


Ci-contre : Composition picturale, vue vers la jardin depuis le haut de l’escalier principal Ci-dessous : Ombres et lumières, contrastes marqués. Vue de la rampe, niveau 1

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Ce travail de couleur vous vient-il de souvenirs rapportés de voyages, de projets particuliers, de personnalités qui vous aient marqué? Il n’y a jamais une seule origine, ou chose. On peut dire, évidemment, qu’il y a un intérêt pour la peinture. Un intérêt pour la peinture et pour les peintres qui manipulent la couleur, pas seulement d’une manière spatiale, mais d’une manière presque physique, au sens de l’impression physique que donne la couleur. Ce qui m’intéresse le plus chez certains peintres, c’est le fait que le tableau donne une impression qui va au delà des effets visuels. Il donne une impression forte sur l’ensemble des dimensions sensorielles, sur le corps en entier ; d’une certaine manière, le rapport entre la couleur et le corps, plus que la couleur et la vision. J’aime ces peintres qui donnent cette sensation là, une sensation de couleur physique. Et il y en a quelques uns, par exemple Matisse, un de mes peintres favoris. C’est quelqu’un qui donne l’impression d’être physiquement pris par la couleur quand on regarde le tableau. Par exemple, dans l’atelier rouge, on a le sentiment d’être dedans. Ou alors le papier découpé dans ses oeuvres, où il découpe directement de la couleur. Cet acte de découper la couleur comme si c’était une épaisseur dans laquelle on était noyé, c’est une chose qui fait que l’oeuvre finale vous absorbe. L’autre peintre chez qui on a cet effet vraiment très frappant, cette façon de prendre la couleur comme quelque chose qui absorbe l’espace, c’est Marc Rothko. Chez Marc Rothko, on a cette sensation que face à une oeuvre, à un moment donné, et à une certaine distance de l’oeuvre, c’est comme si on basculait à l’intérieur, on est absorbé par la couleur. Ça, ce sont des choses qui m’intéressent. Après, ce que vous dites entre le rapport entre la couleur et la lumière, c’est une chose importante parce que c’est pas du tout pareil. La couleur a cette capacité de vous faire basculer, la couleur vous absorbe... certaines couleurs, ou certaines façons de la manipuler. La lumière, elle a l’effet inverse. La lumière, elle vient vers vous. Tandis que la couleur vous attire, elle vous noie. La lumière, elle ricoche sur une surface, elle vient vers vous, indirectement disons. Directement ou indirectement, le plus souvent indirectement. Donc ce sont des choses qui vont dans des ses opposés, et il y a certaines oeuvres, si on parle de peinture, qui donnent le sentiment que l’espace se creuse vers l’intérieur et que la lumière vous absorbe, comme pour Rothko. Il y a d’autres oeuvres où la lumière semble sortir de l’oeuvre. Il y a des tableaux qui semblent avoir une lumière intérieure, qui est capable d’éclairer la pièce dans laquelle vous êtes. Par exemple le peintre hollandais Pieter Jansz Saenredam. Certaines de ses oeuvres, même si elles sont dans une salle sombre, apparaissent comme des oeuvres pleines de lumière. C’est pour ça d’ailleurs, que la façon d’éclairer les tableaux est très importante. Je déteste, comme on le voit très souvent aujourd’hui dans les musées, quand on éclaire un tableau avec un projecteur carré, qui donne l’impression que c’est une image de télévision. Parce que ça supprime cette capacité de l’oeuvre à avoir sa propre lumière. Je trouve qu’on éclaire très mal en ce moment. Ça c’est un de mes intérêt pour la couleur. Après ce sont des leçons indirectes pour l’architecture. C’est vrai qu’il ne suffit pas de réfléchir à des peintures pour savoir comment utiliser la couleur en architecture. C’est encore autre chose. Les autres raisons c’est évidemment le fait d’avoir côtoyé de gens qui s’intéressaient à ces questions très directement et qui savaient employer la couleur d’une manière non hasardeuse, qui était vraiment réfléchie. Par exemple Henri Ciriani, avec qui j’ai enseigné à Belleville pendant des années, est un des rares architectes à avoir une vraie pensée de la couleur. Pas seulement de la couleur picturale mais de la couleur comme architecture. C’est très rare, parce que parmi tous les architectes que j’ai côtoyé, très peu ont une connaissance et un intérêt pour la couleur, comme peut l’avoir Henri Ciriani.

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Par exemple Alvaro Sizza que je connais bien et à qui j’ai parlé souvent de ça, prétend ne pas savoir utilisé la couleur. Et puis évidemment depuis très longtemps, quand j’étais étudiant, j’avais beaucoup d’intérêt pour Luis Barragán, à qui j’ai écrit pour travailler chez lui . Ça ne s’est pas fait, du fait de sa maladie mais c’était très fascinant de voir cet architecte, lui aussi travailler la couleur comme le font les peintres ; comme le fait d’une certaine manière Rothko. Et quand on voit ses bâtiment, quand on est dans ses bâtiments, quand on voit à quel point il a passé du temps à régler, à ajuster les couleurs dans ses projets, en restant des heures au même endroit, voir la lumière bouger, en faisant des tests, en changeant d’avis, en faisant réagir des cartons de couleur les uns avec les autres. On voit que ça nécessitait chez lui un travail et pas du tout une improvisation. Un vrai travail de recherche qui est aujourd’hui presque impossible en architecture parce que personne ne vous laisse repeindre trois fois un mur pour finalement dire «oh, au fond c’est mieux blanc!». On refuse de changer la couleur du mur. Lui, avait des clients qui acceptaient ça, ce qui est de plus en plus rare. Parce qu’au fond, c’est très difficile de maîtriser correctement la couleur à l’avance. C’est vraiment sur place qu’on peut le mieux imaginer la couleur réellement. Les gens que j’ai côtoyés, que j’ai bien aimés et qui ne m’ont pas vraiment appris, parce que je n’ai aucune prétention de savoir manipuler la couleur, mais disons qui m’ont intéressé en tout cas, c’était soit ceux qui travaillaient la couleur, soit ceux qui travaillaient la lumière. Par exemple Ando, pour qui j’ai beaucoup d’admiration, c’est plutôt un architecte de la lumière qu’un architecte de la couleur, même si la couleur chez lui est très importante dans certaines façons dont il a de manipuler les reflets de la couleur sur certaines choses, qui rejaillissent à l’intérieur d’un bâtiment. Par exemple, une fenêtre placée très bas qui renvoie une couleur verte à l’intérieur d’une maison. C’est ce qu’on voit dans la maison Koshino. Lui sait très bien distinguer cette question qu’on évoquait tout à l’heure, de la différence entre la couleur et la lumière. C’est vrai que les architectes contemporains utilisent la couleur, beaucoup, mais ce sont des bâtiments colorés. Ce n’est pas pareil. Ce n’est pas une utilisation de la couleur pour elle-même. C’est la couleur pour être un bâtiment en couleur, en vert, en orange, violet, des couleurs qui sont des choses un peu à la mode actuellement, mais qui ne sont pas un travail de polychromie, qui sont simplement la différence entre une télévision noir et blanc, et une télévision en couleur. L’utilisation de la couleur d’un point de vue vraiment architectural nécessite évidemment une grande culture, et c’est de plus en plus rare chez les architectes. C’est ce que j’admirais beaucoup chez Ciriani. Le travail pictural qu’il a fait à la fin, dans ses bâtiments était souvent appuyé sur un modèle d’un tableau particulier. Par exemple, telle oeuvre de Picasso lui suggérait une sorte de correspondance des couleurs, d’harmonie des couleurs. Ce n’est pas directement les couleurs du tableau qui sont utilisées, mais simplement les rapports des couleurs entre elles. Par exemple la maison de la petite enfance à Paris. Chez Ciriani, on voit une vraie capacité à créer des rapports picturaux qui tiennent compte des plans de la profondeur et aussi des ombres. Ça c’est une chose très importante, c’est à dire que la couleur n’est pas la même quand elle est à la lumière ou à l’ombre, donc il est capable de faire miroiter des couleurs sombres ou des couleurs bleues froides et de les mettre à l’ombre, ce qui donne une profondeur dans certaines de ses oeuvres, une profondeur extrêmement étonnante, très riche en vibrations spatiales. Même dans l’utilisation du noir, dans certains pans de mur, en contraste avec des couleurs au contraire très douces «coquille d’oeuf» ou des bleus pâles. Je suis très admiratif de ces gens capables de faire ça, parce qu’au fond, il n’y a pas de recette, il n’y a pas de règle. Je n’ai jamais lu un texte théorique qui nous mettent ça noir sur blanc «si vous voulez faire plus profond, utilisez telle couleur», au fond ça ne marche jamais vraiment, même en peinture il n’y a pas de texte théorique qui permettent de donner les règles du jeu. C’est toujours une espèce de recherche.

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L’utilisation de la couleur c’est forcément une recherche. On le voit très bien chez Joseph Albers, qui est certainement parmi les professeurs du Bauhaus celui qui a le plus cette capacité de faire du travail pictural un laboratoire. Et lui aussi, ses relations avec Luis Barragán sont très fortes, et très connues. Et cette méthode de travail, de regarder des carrés de couleur, ou des morceaux de couleur, de les comparer, de les juxtaposer, de les décaler, de les changer, c’est vraiment une expérimentation directe de l’usage de la couleur. Dans mon travail, il n’y a rien de comparable avec ces gens là. On met en couleur certains éléments, c’est tout ce dont on est capable de faire. C’est de temps en temps une petite touche, mais ça n’a pas du tout cette qualité que ces gens là ont. Après il y a d’autres thèmes : dans le musée des Beaux Arts de Nancy, c’est tout à fait autre chose parce que ce sont des couleurs qui sont utilisées à la demande des conservateurs, pour être en rapport avec certaines époques de la peinture ou de choses comme ça, mais ça n’est pas du tout un travail sur la couleur.

Le choix des couleurs est-il effectué en relation avec une collection particulière? Oui c’est ça, ce n’est pas du tout une question d’architecture. C’est en relation avec les préjugés qu’ont les conservateurs sur les rapports de couleur, soit des oeuvres, soit des périodes historiques. Je préfère la façon dont Carlo Scarpa dit «on choisit une oeuvre, et on cherche une couleur qui soit en rapport à cette oeuvre précise» Les conservateurs ont des préjugés sur la couleur qui sont rapportés à des époques ou à des périodes, à des écoles, et pour certains les écoles du Nord doivent être avec du vert, les autres avec du rouge, etc. Ce qui me semble vraiment ridicule. Maintenant, on n’est pas totalement maître du projet. Parfois, il arrive qu’un conservateur exige une couleur dans une salle. C’est toujours une négociation difficile.

Ça a été le cas à Nancy? Oui, ça a été le cas, essentiellement à Nancy, même si le résultat n’était pas désagréable. Le travail avait été fait en association et en relation avec Martine Duris, qui est coloriste, qui est très bien, mais c’était un état d’esprit où il y avait eu un musée tout rouge à Lille, à l’époque de ce chantier, fait par Ibos Vitart, qui avait lancé cette mode de faire des grandes salles très colorées, et c’est un point de vue que je ne partageais pas du tout, mais ça avait impressionné le conservateur du musée. Après chaque conservateur a repeint d’une manière différente. Maintenant, je ne sais même plus s’il reste quoi que ce soit des couleurs d’origine, et ça ne me dérange pas à vrai dire, parce qu’au fond, ma vision du bâtiment n’était pas du tout celle-ci. Elle était plutôt proche de ce que fait Carlo Scarpa, pour qui j’ai une vraie admiration, en ce qui concerne la muséographie. C’est celui dont je me sens le plus proche. Bien que je n’ai rarement pu réalisé quelque chose qui soit proche de ça, sauf pour (le musée) Matisse évidemment. Pour Matisse, la conservatrice avait eu la claire voyance de penser que le musée devait être blanc. Matisse n’a besoin d’aucune couleur comme fond, c’était parfait. Dans mon point de vue, je serai plus intéressé pour faire un travail en rapport à une oeuvre, choisir le fond pour une oeuvre, et pas pour une série d’oeuvres ou une école. Ce que je ne trouve pas très efficace, c’est de faire des couleurs pour une école particulière. Après il y a une vraie demande des conservateurs, on ne fait jamais un projet tout seul. On le fait avec une équipe de gens qui ont des points de vue tout à fait respectables mais différents.

C’est donc le conservateur qui choisi la relation entre chaque oeuvre. Oui bien sûr, c’est le conservateur qui choisit, ou avec qui on discute, mais le point de vue du conservateur est majeur. Évidemment, il fait l’accrochage, c’est lui en général, qui choisit la position, les rapports

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des oeuvres les unes avec les autres. Au fond, la difficulté pour l’architecte, c’est de penser qu’on fait un travail pour un conservateur donné, et que dans cinq ans, il sera parti, et que le nouveau conservateur va faire autre chose. Le musée de Nancy a changé à chaque conservateur qui a changé. Donc, c’est là où l’architecture doit avoir une certaine discrétion, un certain recul. Après, il y a des changements très malheureux, comme ce qui a été fait récemment à Nancy, pas partout, mais il y a des salles qui sont complètement détruites. Au fond, on n’y peut plus rien parce que cela ne nous appartient plus. On n’a plus de maîtrise de quoi que ce soit. C’est pour ça que la couleur, finalement, c’est plus facile à utiliser dans la bibliothèque. Dans la bibliothèque, la couleur est moins un enjeu sur lequel se crispent les velléités des uns et des autres. Et puis, il faut reconnaître que la couleur dans un musée c’est très dangereux. Les oeuvres doivent être respectées dans leur couleur propre, et comme la couleur a toujours des effets de réflexion, - la lumière d’une salle bleue, forcément devient bleue -, et d’une certaine manière avec ces effets de couleur des murs, on peut modifier gravement, et d’une manière injuste la couleur des oeuvres elle-même. Donc c’est pour cela que je ne suis pas fanatique de faire des salles entièrement colorées parce que ça change complètement la couleur de la lumière elle-même, et donc des oeuvres. Tandis que si vous faite par exemple une école ou une bibliothèque, ou un projet autre, lire dans une lumière colorée ça n’est pas du tout une gène, lire dans une atmosphère rose, ou rouge ou jaune, ça créé une atmosphère, bien sûr, mais ça ne perturbe pas à priori la lecture elle-même; et encore, ça se discute, parce qu’on peut toujours qualifier certaines couleurs d’un point de vue psychologique, d’influence psychologique. Mais ça ne perturbe pas la lecture, ça ne modifie pas les oeuvres, qu’on lit. Ça modifie l’atmosphère dans laquelle vous êtes, mais pas les oeuvres. Tandis que dans un musée, ça modifie les oeuvres. C’est une autre responsabilité.

À quel moment rentre en considération la couleur dans le projet ? Ça dépend des architectes. Il y a des architectes qui sont capables de l’intégrer quasiment comme un élément de construction, c’est-à-dire, la couleur qui construit l’espace. Pour arriver à faire cela, il faut être vraiment très sûr de soi et savoir le faire. En ce qui me concerne, les éléments colorés que j’ai pu intégrer dans certains bâtiments, je crois que c’était assez rarement conçu, perçu à l’avance. Je crois que je l’ai plutôt fait quand le bâtiment était en cours de chantier. Par exemple dans la bibliothèque de la ville de Poitiers, on a quelques salles, quelques éléments colorés, et c’était des éléments qui étaient choisis en fonction de l’orientation du bâtiment. Il y avait du coté Est, qui est la façade d’entrée, l’idée de faire une lumière très neutre et très blanche. Donc on avait fait des pare-soleil blancs, ce qui créait une atmosphère un peu épaisse, une lumière un peu laiteuse. Tandis que la façade Ouest, de l’autre coté, où il y a le soir, une lumière rasante, on a capté la lumière dans des sortes de petits volumes qui sortaient de la façade, et qui faisaient venir la lumière à l’intérieur de formes courbes. Là je pense que c’est ce qu’il y a de plus réussi dans ce qu’on a fait sur la couleur. C’était une manière, comme je le disait à propos de Matisse qui imaginait comment découper la couleur par la lumière, de faire cette découpe en architecture. La lumière, pénétrant dans un volume, au travers d’une fenêtre circulaire, et se réfléchissant sur une forme courbe, prenait une forme, et pas juste un trait, mais prenait vraiment une forme, évidemment changeante mais très dessinée, qui devient un dessin dans la salle. Et ce dessin bouge à l’intérieur du volume dans l’après midi. Il bouge assez vite parce qu’avec la courbe du bâtiment, (ce sont des petites salles où on est sensé regarder des vidéos, donc on y reste un certain temps) on peut voir le soleil bouger, ou du moins se rendre compte que le soleil bouge. La lumière devient un dessin dans la salle. Il y a deux salles colorées, une en bleu pâle et une rose, et une troisième salle, noire. Les trois salles créaient une sorte de lien entre elles. Le reste était, en façade Sud, des couleurs très différentes, ou au contraire des couleurs primaires, rouge et jaune. On avait traité les trois façades, la quatrième façade étant un mitoyen, par rapport à la couleur, comme un jeu sur l’orientation, le fait de dire que suivant l’orientation du bâtiment, les couleurs sont différentes. C’est plutôt un jeu qu’un travail qu’on pourrait appeler pictural.

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Vous est-il arrivé de revenir sur vos choix architecturaux après avoir constaté la couleur à l’échelle 1 ? Non, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, peut être que Barragán a réussi à faire casser certains murs parce que ça ne lui plaisait pas, il voulait changer. Mais dans notre système à la française, c’est très difficile, surtout que nous faisons surtout des bâtiments publics. Les rapports sont beaucoup moins libres.

Lorsque vous parlez de lumière neutre, dans un espace d’exposition, vous parlez de lumière blanche? Oui, alors neutre n’est pas forcément le mot juste et blanc non plus d’ailleurs. Ce qui est important dans un espace d’exposition, c’est que la lumière ne vienne pas directement sur l’oeuvre. La lumière doit aller quelque part dans l’espace, pour que ce soit l’espace qui éclaire et pas la lumière elle-même. Ce qu’on cherche toujours à faire, c’est faire en sorte qu’elle ait un parcours assez long avant d’éclairer. Quelques fois plusieurs réflexions ou plusieurs épaisseurs de diffusion avant d’éclairer la salle. Il faut donner le sentiment que c’est l’espace qui éclaire et pas la lumière au sens direct. Cela me semble important pour un musée ; qu’on ait l’impression qu’on rentre dans un volume de lumière et pas dans un volume où il y a de la lumière, ça n’est pas pareil.

Comment parvient-on à faire cette lumière neutre? Il faut lui laisser du temps. Lui laisser le temps de parcourir une certaine distance, d’un espace à un autre, de s’y réfléchir, d’avoir cette capacité de parcourir plusieurs directions. Il y a aussi un jeu, à ce sujet là, sur lequel je travaille beaucoup avec mes étudiants : comment donner l’impression, quand on est dans un bâtiment, qu’il y a plusieurs soleils ? C’est un thème. On peut se donner ça comme une espèce de challenge. Quand on rentre dans un bâtiment, on va changer d’univers. Comment imaginer passer d’un univers où il n’y a qu’un seul soleil, à un univers à plusieurs soleils?Ce sont des choses qui m’amusent beaucoup ! C’est intéressant à faire parce que par exemple, on peut donner l’impression que la lumière vient du Nord. Ce n’est pas si difficile à faire. On donne deux entrées de jour, qui arrivent dans des directions opposées, ou orthogonales, ce qui fait que la lumière semble pénétrer par la gauche dans le mur d’en face et venir aussi de l’arrière. On l’a fait, par exemple, dans le hall de la bibliothèque du Mans. On a fait un hall avec une sorte de trilogie de puits de lumière : il y a trois puits de lumière, qui sont dans l’axe Nord-Sud et qui sont inclinés comme un éventail. Quand le soleil rentre, on a au sol, les trois ellipses de lumière. On donne le sentiment que le soleil arrive de différentes directions, et qu’il y en a trois ! C’est un jeu un peu enfantin, mais ça m’amuse, qu’il y ait trois soleils plutôt qu’un seul !

Météorologie, temps, saisons font varier la lumière selon un gradient et une incidence. La lumière est transformée par l’environnement changeant (construit par l’homme, croissance de la végétation). Comment contrôler les variations, les effets de la lumière naturelle? C’est certainement ça, la chose qu’on essaye de faire le plus, plus que la couleur. C’est vraiment un travail ; faire en sorte que la lumière donne le sentiment de la durée. C’est à dire utiliser la lumière comme moyen de construire avec le temps, ralentir le temps, ou de rendre sensible l’évolution du temps. C’est une autre manière de le ralentir. Ça c’est vraiment quelque chose que Tadao Ando m’a beaucoup appris dans ses oeuvres, et en écoutant ce qu’il dit, en voyant comment il travaille. Rendre visible le temps par la lumière. C’est une chose qui m’a beaucoup intéressé. On trouve des petits bouts de ces choses là dans nos bâtiments.

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Peut-on trouver un équilibre entre lumière et couleur par rapport à la temporalité (le temps qui passe)? À mon sens, les couleur et lumière sont des choses qui vont dans des directions opposées. Au fond la raison de cette différence de direction, c’est qu’on ne voit de la couleur que ce qui n’a pas disparu. La couleur c’est une disparition. Si vous voyez du bleu, ce pourquoi vous voyez du bleu, c’est parce que toutes les couleurs qui ne sont pas bleu ont disparu. Elles sont absorbées, elles sont rentrées dans l’épaisseur de cette couleur bleue et ce qui reste, c’est ce qui ne veut pas rentrer. C’est pour ça que la couleur absorbe l’espace. Je ne sais pas si on peut parler d’équilibre, en tout cas, on peut jouer de l’un et de l’autre de façon différente. C’est parmi les outils de l’architecte, les moyens à disposition.

Certains de vos croquis présentent l’ombre, la texture. Représentent-ils aussi des couleurs? Non aucun. Ce sont vraiment des croquis de recherche, au tout début du projet. Ça, c’est un croquis maladroit de l’escalier, où l’on voit le grand pan de lumière qui arrive sur ce mur et ce mur était évidemment blanc pour ne pas colorer l’espace, pour respecter les oeuvres. Et après évidemment, l’idée dans ce dessin, c’est que la lumière bouge et accompagne le lieu du mouvement qui est l’escalier. Il y a un autre endroit où il y a cette lumière qui arrive ici, qui arrive dans un espace où on est en mouvement, où le corps est en mouvement. C’est vrai qu’il y a des moments où la lumière est assez statique, il y a des moments où elle est dynamique. Et c’est lié aux articulations dans le parcours du bâtiment. Après il y a des lieux pensés avec un puit de lumière, comme celui-ci, qui n’a pas été réalisé parce que la conservatrice trouvait ça bizarre. On a eu l’autorisation d’avoir simplement quelque chose au plafond, ce qui est vraiment dommage. Mais l’idée, c’était d’entourer cette sculpture de Jacques Lipchitz l’envelopper dans un mur qui descendrait la lumière jusque derrière la sculpture, et qui ferait une sorte d’ombre, qui mettrait l’ombre du mur en valeur par contraste. Je regrette beaucoup que ça n’ait pas été fait.

Croquis de recherche, escalier central, Laurent Beaudouin

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Après ce sont plus des éléments de recherche d’espace que de lumière. Dans ces dessins, ce que l’on voulait montrer, c’est que la lumière a une certaine épaisseur, d’où le fait que c’est un peu tremblant dans les traits qui marquent les ombres. J’aime bien l’idée que la lumière, c’est une matière qui est dans l’espace, que l’on traverse. L’espace n’est pas juste du vide. On traverse la lumière quand on est dans un bâtiment. J’ai une amie qui m’a fait remarquer que les architectes cherchaient beaucoup la lumière, mais que certains architectes cherchaient aussi comment faire le minimum de lumière. Comment faire un espace où il y a, au contraire, presque pas de lumière, mais que cet espace reste absolument magnifique. Elle me donnait comme exemple - c’est absolument frappant évidemment, la banque nationale de Copenhague, de Arne Jacobsen, où quand on est dans l’espace d’entrée, il y a effectivement une lumière qui est raréfiée par l’architecte, volontairement raréfiée. Ça créé aussi une sorte de volonté d’épaisseur. C’est intéressant de voir que cet architecte, qui pendant une très grande partie de sa vie a été à la recherche de la lumière, à la fin, fasse cette oeuvre qui soit la recherche inverse, la recherche du maximum d’ombre, disons prendre le sombre comme qualité.

A-t-il utilisé un matériau sombre? Non, c’est une question de dispositif de lumière par rapport au volume global de l’espace. Ce n’est pas sombre au fond, c’est ça le paradoxe, c’est que vous n’en gardez pas un souvenir de bâtiment sombre, de cet espace sombre. C’est ça qui est assez magique.

Croquis de recherche, puits de lumière pour les sculptures de Jacques Lipchitz, Laurent Beaudouin

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Peut-on fabriquer un parcours par la lumière et par la couleur? Comment? Oui, bien sûr. Au musée des Beaux-Arts de Nancy, j’ai attaché plus d’importance à la lumière qu’à la couleur. On a fait en sorte que le parcours soit accompagné par la lumière. C’était la chose la plus importante. Par exemple, le rez-de-chaussée du bâtiment étant très profond, il était important pour nous que la lumière du jardin, qui vient de l’extérieur, soit affaiblie. C’est pour cela que le bâtiment est en avant de trois mètre et quelques par rapport à la façade, pour qu’il y ait moins de lumière. Ce moins de lumière permettait à la lumière intérieure qui vient du haut dans la faille centrale, d’être plus présente. Ça permettait d’équilibrer. Si on avait eu beaucoup de lumière depuis la façade, on aurait eu cette impression de déséquilibre. L’atmosphère du bâtiment aurait eu un effet de contre jour très désagréable. La troisième strate, c’est les puits de lumière qui longent le mur mitoyen, et qui sont les troisièmes arrivées de lumière dans la profondeur du bâtiment. Donc il y a de la lumière partout, et ces lumières sont différentes : d’une lumière horizontale quand vous êtes dans le jardin, d’autant plus horizontale que la façade est en avant, (elle pénètre donc vraiment à l’horizontal), on arrive à une lumière qui croise cette lumière horizontale, qui vient de la faille centrale, verticale. Elle est captée essentiellement par l’Ouest, bien que la lumière soit directe en haut (verrière). Et puis ces «touches», ces points de lumière arrivent par les éléments qui étaient destinés à éclairer les sculptures. On a cet objectif d’équilibrer la lumière pour que ce soit l’espace qui soit lumineux et qu’on n’est pas le sentiment que la lumière arrive de quelque part, ou d’une direction privilégiée. Mais par contre il y a des nuances. À chaque fois, la lumière accompagne le mouvement. C’est très important parce qu’il y a deux choses à distinguer : l’arrivée de la lumière et la direction du regard. Dans le parcours de la salle du rez-de-chaussée (mais cela a été détruit), il y avait une organisation de la direction du regard, orientée par la muséographie, dans un jeu de diagonale. Tout le bâtiment est orthogonal, mais le mouvement intérieur est diagonal, parce que le regard est diagonal. Les cloisons créent des diagonales visuelles depuis le mur mitoyen jusqu’au jardin. Ces diagonales vous invitaient à parcourir le bâtiment non pas tout droit, mais un peu dans une espèce de dérive à travers les structures des cimaises. Après, l’espace change au droit de l’escalier. Il est accompagné par la lumière du plafond, par cette direction qui vous invite à monter, et ensuite à nouveau on tourne. La lumière est utilisée pour faire pivoter le visiteur. C’est très clair - en tout cas je l’espère ! - quand on arrive au droit de cette salle qui fait une petite chapelle courbe, la courbe fait tourner l’espace. La lumière qui surmonte le dessus de la courbe, pivote également parce qu’il y a un puit de lumière, situé au dessus du départ de la rampe dans la diagonale. À chaque fois, vous allez d’une lumière à une autre lumière, la direction de cette lumière vous accompagne dans le parcours. Ensuite, quand vous êtes dans la rampe, qui est très directionnelle, vous voyez, au bout, à nouveau une lumière qui vient de la salle dans laquelle vous allez. Tout cela, c’est pour nous la chose la plus importante. Quand vous faites un bâtiment, c’est exactement la même chose que quand vous faites une chorégraphie. C’est à dire que l’architecture donne un sens au parcours du corps. Dans un bâtiment de ce genre là, qui est finalement une promenade, on donne simplement des directions, pour guider le visiteur, et l’accompagner. On le tient pas par la main, ou plutôt, on le tient par la lumière. Il est accompagné par la lumière d’une façon qu’on souhaite la plus naturelle possible, sans forcément que cela devienne une signalétique. C’est quelque chose qui devrait vous faire danser dans l’espace d’une manière assez naturelle. C’est pour cela que j’ai toujours pensé que l’architecture était l’art le plus proche de la danse. Du moins que la danse était l’art le plus proche de l’architecture !

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Croquis de recherche pour faire pivoter le visiteur vers la rampe, Laurent Beaudouin

Vue vers l’escalier central, lumière zénithale filante, orientation du visiteur vers l’étage

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C’est une manière de rendre très physique l’espace. C’est pour ça que je m’intéresse à la couleur : c’est dans ce rapport physique, cette sensation physique que l’on a avec la couleur. Et la lumière c’est la même chose, c’est ce qui vous prend. Quand Le Corbusier parle d’émotions, ça n’existe que par la lumière. L’émotion n’est apportée que par la lumière. L’espace lui même sans lumière, ça ne vous dit rien.

Jouez-vous avec les contrastes de matériau, et par matériau j’entend la lumière, la couleur et la matière. Oui bien sûr, on a utilisé deux matériaux essentiellement. Le béton blanc et la pierre blanche qui étaient pour nous une matière continue, travaillée comme si c’était la même matière, et puis le béton vert et la pierre verte, vert sombre, le béton qui sert pour ces petites cabines, ces alcôves qui sont au rez-dechaussée. Évidemment il y a, dans ces rapports entre ces deux couleurs un contraste assez fort, malgré le fait qu’on ne voulait pas faire noir et blanc. Donc c’est un peu ocre clair et vert sombre, et c’était obtenu par la pierre, ce granit qui vient du Brésil, qu’on a utilisé pour certains éléments du bâtiment, et qui sont les plus importants, puisque ce sont des éléments qui créent les trois rectangles qui définissent la configuration du projet. Le point de départ du projet, c’est trois rectangles, un rectangle sombre au sol, dans une direction horizontale. Le deuxième est vertical, c’est la façade et lui est en pierre, c’est à dire d’une couleur moyenne. Le troisième rectangle, c’est le rectangle blanc qui est à nouveau horizontal mais suspendu dans l’espace de la salle du haut. C’est ce rectangle blanc qui a été détruit récemment. Ce sont les trois éléments qui constituent l’ensemble du bâtiment. Ils sont dans trois couleurs différentes et dans une situation de spirale ; ils remontent vers le haut. Le sombre étant au sol, et le blanc étant suspendu, c’est une manière d’utiliser la matière et la couleur dans la constitution d’un espace tridimensionnel. C’est vraiment l’esquisse de départ de ce projet.

Quel fond coloré pour quelle oeuvre (peintures)? Quelle lumière pour quel type d’oeuvre (peinture sculpture-photo...)? Ça, il n’y a pas de réponse, parce que ça dépend des oeuvres.

«un gabarit de couleur», «nuancier», «piano de couleurs», «constellations harmoniques». Avez-vous une palette de couleurs personnelle? Ce sont des mots que je n’emploie jamais. Je ne suis pas un théoricien de la couleur. C’est vrai qu’on peut reconnaître certains bâtiments de Bruno Taut par les couleurs qu’il utilise. Mais même Le Corbusier a eu des claviers de couleurs très différents, dans celui des années 20, ou dans celui des années 50.

Comment travaille-t-on la couleur sans faire une architecture trop bavarde? Pour moi, la couleur, c’est plutôt des touches qui accompagnent l’espace. À priori, c’est un peu comme ça qu’on voit les choses. C’est difficile à dire. En ce moment par exemple, on fait des logements dont toutes les façades sont en briques brunes sombres et certaines façades sont en enduit bleu pâle. C’est effectivement un bâtiment entièrement coloré, mais après c’est un mixte entre une couleur-matière, qui est celle de la brique, et une couleur plus abstraite, celle de l’enduit, entre du sombre et du clair, une sorte de jeu de contraste. C’est aussi indirectement un souvenir de Jacobsen qui utilisait aussi ces couleurs là. Très souvent, la couleur est utilisée aussi comme hommage à des gens qu’on aime bien. Je me souviens de Sizza qui avait utilisé dans certains bâtiments de logements des bruns que l’on trouve chez Taut. Je lui ai posé la question, il m’avait dit «c’est un hommage à Taut», ni plus ni moins !

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L’architecture du musée met en bonne condition la collection. Elle est humble, s’efface presque au service de l’art. C’est une boite à lumière idéale qui ne doit pas prendre la place de l’art qu’elle abrite. Si on vide le musée, pensez vous que l’architecture du musée est plus expressive? Non, elle devient autre chose ! Je vous ai montré quelques photos du bâtiment avant qu’il y ait les oeuvres, il n’était pas mal non plus, mais c’était un bâtiment qui n’était pas un musée. Il avait des qualités de lumière qui étaient correctes. C’est comme faire une bibliothèque sans les livres. Ça n’a pas au fond, vraiment d’intérêt. Ça fait plaisir de voir que l’espace est équilibré ou que les choses sont à leur place, mais quand il y a les livres, ça prend sa force, son épaisseur, son sens. Je vous assure que quand on met un tableau de Matisse dans une salle, l’architecture passe en second plan !

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Plan Niveau 0

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Plan Niveau 1

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Aménagement de la Salle des États, musée du Louvre (étude 1999 - livraison 2005)

La salle des États est un vaste espace de 840m2, qui possède deux accès ; l’un depuis la Grande Galerie, l’autre depuis l’aile Denon. Le plan en enfilade du Palais du Louvre obligeait un accrochage périphérique des oeuvres et engendrait une circulation encombrée dans le parcours. Le projet est de réhabiliter la salle, pour la Joconde, les Noces de Cana, ainsi que des tableaux vénitiens. Rendre le parcours fluide était un des objectifs important. La salle est scindée en deux sous-espaces, la Joconde est disposée au centre de la salle, sur une paroi-cimaise de forme quasiment carrée. La Joconde et les Noces de Cana sont en vis-àvis, ce qui permet de ne pas les mettre visuellement en concurrence. Les ouvertures aux angles de la salle permettent de qualifier l’espace comme étant centrifuge. La Joconde est visible depuis la Grande Galerie, le mouvement du visiteur est étendu et commence visuellement par le cadrage depuis la Grande Galerie. Studio «L’image» Licence2, École Nationale Supérieure de Paris-Belleville, encadré par Lorenzo Piqueras À partir d’une photographie en noir et blanc d’auteur, l’analyse de l’image par le dessin au trait, en positif/négatif, en nuances, en polychromie permet d’élaborer un document graphique, «l’image de synthèse», support formel du projet architectural. L’exercice montre l’importance du domaine pictural au sein d’un enseignement architectural.

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Le studio l’image Les différents stades de réécriture de dessin, le choix de la photo, les passages entre la photo, le dessin, le noir et blanc, le négatif, en couleur saturée désaturée, mise en relation avec un tableau signé... Chaque retranscription picturale de l’image a-t-elle un rôle différent et précis à jouer ? On a changé l’exercice! On a rajouté une hypothèse, et une musique. Vous vous êtes rendu compte que votre cerveau, vos yeux perçoivent ce qui est en mouvement. Je bouge ma main et vous la voyez. C’est un moyen pédagogique très efficace. Il faut constamment déplacer les choses pour que les étudiants puissent voir. Le fait de prendre une photographie d’un auteur connu parce qu’ils ont un bon oeil, de l’expérience, on est sûr à 80% que tout est dans la photo, on est la pour les 20% derniers, pour être sûr que ça va marcher. Vous utilisez le mot «réécriture», c’est pas mal comme mot. C’est surtout apprendre à regarder. Le plus dur, c’est regarder, la façon dont on s’habille etc. C’est très important que le regard soit exercé, qu’il enregistre, parce que de toute façon il enregistre, mais savoir l’interroger après. Je faisais un jeu avec ma fille. Il consistait à regarder une scène trois secondes, se retourner, et je posais une question «combien y a t il de ...». Au début, elle disait qu’elle n’y arriverait jamais. «Ferme les yeux et pense». Et elle ne s’est jamais trompé. Je me suis aperçu avec cette petite expérience que les yeux voient tout. Mais nous ne sommes pas capables d’en être conscient. Les deux studios que je fais consistent à rendre l’étudiant conscient. Cette «réécriture» comme vous dites, à travers les différentes peintures de l’image permet de rendre l’étudiant conscient de ce qu’il se passe dans l’image. Le fait de faire en noir et blanc, en blanc et noir, ajouter un gris, le faire au trait, en faire une copie, faire une couleur, trouver un tableau qui est en relation avec cette photo, parce que forcément, le photographe a une culture parce que la photo est bonne, donc il connaît des peintres, il a vu des peintures, a été éduqué avec des peintures, donc dans son cadrage se trouve quelque chose qu’il a vu inconsciemment ou consciemment et qui réapparaît. Et à 90% le tableau marche toujours. Ce qu’on a changé c’est que il peut y avoir plusieurs tableaux et non plus un seul. Un tableau les aide a faire un bout de chemin pendant ce déplacement, puis après un autre tableau qui les fait continuer. Et le résultat est à se rouler par terre. En plus l’étudiant apprend à peintre, prend du plaisir dans la peinture. L’objectif est qu’il devienne comme architecte l’ami des artistes.

On essaye de retrouver le regard du photographe dans un tableau? Oui, ce qu’il aurait pu voir peut-être mais c’est surtout ce que vous vous voyez. L’important c’est de faire, de regarder et à la fin, de produire un bâtiment. Mais le bâtiment c’est juste pour faire plaisir à l’étudiant. C’est le rendre conscient. Si vous êtes conscient, vous pouvez répondre à n’importe quelle question. Si vous êtes consciente, vous êtes capable de différencier de l’inconscient que vous avez héritez, vous pouvez travailler beaucoup mieux. Quand un étudiant est en difficulté, ces déplacements permettent qu’il fasse la part des choses . Il faut toujours, lorsqu’on aborde un projet, faire la part des choses. Qu’est ce qui est projet? Qu’est ce qui est soi? Donc il faut rester conscient.

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Qu’apporte la désaturation des couleurs? Je reviens un peu en arrière. Si vous aviez fait le logis, l’une des questions les plus difficiles dans le métier, c’est la question du choix. Celui qui travaille se retrouve à un moment avec beaucoup de solutions, et ne sais plus quoi prendre. On a introduit la figure dans le studio l’image, de telle manière que l’étudiant ne se retrouve pas avec trop de choix, car le choix se fait au niveau de la figure. Les couleurs saturées sont imposantes. Vous n’avez qu’à décider de l’emplacement. Les couleurs désaturées non! Vous devez décidez de la quantité et de la qualité de la saturation donc là pour le coup vous avez des milliers de choix possibles. Quand vous avez fait la saturée, et que vous passez à la désaturée, vous vous apercevez que si simplement vous éclaircissez les couleurs en les laissant dans la même position, la saturée n’était pas terrible. Il faut faire, de toute façon pour voir que ça ne marche pas, et après ça vous permet de commencer à peindre, de décider. Et c’est pareil pour le gris, on ne disait pas c’est tel gris, c’est un gris. Déjà le fait de le prendre chaud ou froid change complètement les choses. Donc c’est pour amener l’étudiant à commencer à choisir. Et l’étudiant se rend compte de ces choix. Et puis l’autre étape, à la manière du peintre, c’est-à-dire, manière de peindre et les couleurs du peintre. C’est arrivé quelque fois que la partie formelle du tableau atterrisse sur l’image. Là ça ne marche pas. C’est une culture.

Moi-même ayant suivi ce studio, je ne sais pas si j’avais tout compris. L’objectif, c’est que ça reste en vous. Ceux qui ont fait le logis, courent toute leur vie pour essayer de faire aussi bien, parce que c’est très difficile de faire tout. Il faut que ça reste en vous parce que c’est ça qui va vous permettre de faire. La désaturée est une manière d’affiner la saturée. On sait qu’en éclaircissant seulement ça ne marche pas. Il faut rechanger les surfaces, les répartitions. Par exemple, dé-saturer un rouge sur une petite surface ne change rien du tout. Pour que ce rouge soit présent, il va falloir l’étendre. Le sens de la photo diminue, l’objectif étant d‘arriver à des aplats. Une peinture est en 2D et non en 3D. Puisqu’il faut le remettre en 3D, il faut complètement le mettre à plat. Sinon c’est une mise en volume de l’image et ça n’a pas d’intérêt. Les noirs et blancs, c’est deux choix : qu’est ce qui est noir, qu’est ce qui est blanc. C’est déjà casse tête. C’est pas le même son, donc il faut en faire plusieurs. Vous prenez des décisions, vous passez sous silence certaines informations, vous en révélez d’autres. Après le fait d’inverser, de faire le négatif et le positif, _ généralement un étudiant commence par dire tout ce qui est clair c’est blanc, tout ce qui est sombre c’est noir _ c’est de bonne guerre ça va, donc on lui demande d’inverser juste pour qu’il se rende compte de ce qu’il se passe.

Et les images sont différentes. Oui les poids ne sont pas situés aux mêmes endroits. C’est toute une question de déplacement, et pendant ce déplacement, l’étudiant apprend à regarder d’une autre manière de ce qu’il a sous les yeux, et ça il faut le faire constamment.

Est-ce à ce moment là que l’on perçoit des profondeurs? Entre les couleurs, ou entre le noir et le blanc? Tout ce processus d’analyse pour arriver à un dessin géométrique compris. Les étudiants tiennent un journal de bord. Chaque jour une image de synthèse est faite. On commence par trois traits, puis cinq, puis sept, puis onze traits. Cette image est obligatoire tous les jours, et on voit dans les cahiers qu’elle bouge, au fur et à mesure qu’une peinture est arrivée, puis une autre peinture arrive, ou un décès dans

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la famille. Elle bouge, et c’est ce mouvement là qui vous rend conscient. C’est à dire que vous ne serez jamais désespéré devant un projet difficile. C’est un exercice difficile mais progressif.

Tous les étudiants comprennent-ils l’exercice à la fin? Si ça n’est pas compris à la fin de l’exercice, ce sera compris plus tard. Mais je pense que sur les 30 étudiants que j’ai, il y en a 20 qui ont compris. Dans les nouveautés que j’ai introduites, l’étude de la forme complexe, comme dans l’architecture naval, avec un usage; un bateau, il faut qu’il navigue, il faut qu’il marche et il ne faut pas qu’il coule, et en plus, il a toute l’architecture ainsi que le cinquième point en permanence, le toit terrasse. Et la chose en plus par rapport au bâtiment, c’est que la ligne d’horizon n’est pas droite. À travers cette expérience là, je me suis aperçu que l’usage du logiciel «Rhino» permet la double courbure, ce que ne permet pas le papier. On a donné des cours de logiciel, certains ont accroché, d’autres pas. Il permet de fabriquer des surfaces développées, à partir d’un papier on peut fabriquer des formes libres complexes.

Le passage au projet, le déclic qui correspond à une expérimentation particulière? Le déclic a lieu soit en logis, soit en l’image, mais il a lieu. C’est rare que les étudiants en aient deux. C’est très étrange; la moitié est plus à l’aise dans «le logis» que dans l’image, et ceux qui traînaient la patte dans le logis sont mieux dans l’image. C’est vraiment des personnalités opposées. L’un n’est absolument pas libre et fabrique à partir d’éléments séparés un tout, dont ils n’ont absolument pas idée de comment ça va être; et l’autre ont a tout sous les yeux, il faut le démonter pour le remonter.

Dans le studio du studio l’image, à quel moment a lieu ce déclic ? C’est variable. Ça dépend beaucoup du choix de l’image. Si c’était un choix fort, incontournable, indispensable, ça marche. Si c’est un choix un peu plus à la légère, le déclic est bien plus tard.

Y-a-t-il un passage plus marqué qu’un autre? Peut-on mettre en évidence de la primauté d’un outil? Je vais faire une comparaison avec un musicien. Si le musicien ne connaît pas la musique, c’est-à-dire le solfège, au bout d’un moment il arrive à un pallier, il n’avance plus. Il a une oreille, une mémoire etc, mais il n’avance plus, il ne peut pas être dans un orchestre. Pour l’étudiant de l’image c’est pareil. Si au bout d’un moment, cette image de synthèse dont il a fait le développement chaque jour pendant un semestre, et qu’il n’arrive pas à en faire la partition, ça s’arrête là. Notre attention se porte à ce que cette image de synthèse soit le support du dessin parce que nous dessinons. C’est cette image de synthèse qui devient le dessin qui sera soit une élévation, soit une coupe, soit un plan, soit autre chose. Mais tout partira avec l’aide de tous les autres documents. Les documents sont complémentaires. Ils permettent de lire, de comprendre.

Y-a-t-il des étapes qui perdent l’étudiant? Ça il faut lui demander à lui ! Mais on essaye qu’il y en ait le moins possible. Mais la surprise est très importante. On les amène là où on est sûr qu’ils ne pensaient pas aller. Maintenant, l’exercice est un petit peu connu, mais comme on fait des variantes, on a introduit une hypothèse, un mot, et on interroge le mot quand ça ne va pas. Le mot est lié à l’image puisque c’est l’étudiant qui l’a choisi. On a des choix à faire. Et puis on a introduit le terrain. Chaque étudiant choisit son terrain, avant c’était 20x30 mètres, il y a quelques étudiants qui ont gardé ça parce qu’ils n’ont pas envie de chercher un terrain. Mais tout

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ceux qui ont cherché un terrain, l’effet est formidable parce que le terrain leur permet de relire l’image autrement, pour en prendre ce dont ils ont besoin sur le terrain. Ensuite nous voulons que la figure traduise la structure. Il y a même deux figures : une avec le programme issu de l’image, et issu de l’image une figure qui pourrait être la structure du bâtiment, qui le tient. La structure constructive, l’armature qui fait que le bâtiment tient. Il n’y a pas de petits machins qui viennent se mettre parce que ça ne tient pas. C’est dans l’image que ça tient. C’était suggéré jusqu’à il y a deux ans, maintenant on le verbalise et c’est une obligation. Ça marche. Dans le passage en 3D, le programme intervient tard, et la mise en volume de l’image également. Le logis est un exercice très contraint. C’est tout l’apprentissage de l’architecture et le vocabulaire de l’architecture basique, 45 éléments pratiqués pour savoir ce qu’ils veulent dire. Une fois que ce langage est acquis, et que nous parlons la même langue, il reste à prouver que nous parlons bien la même langue. Et comme toutes les choses qu’on comprime, elles se détendent. Le moment où ça se détend, c’est l’arrivée de l’image, qui a l’air apparemment libre, mais pas vraiment puisque tout est dans l’image choisie. On peut évidemment interroger une image de différentes manières. La même image donnée à 30 étudiants ne donnera absolument pas le même bâtiment. Il y a des règles qui s’emboîtent les unes dans les autres en fonction des premiers choix.

Je me souviens, le jour du jury, après avoir exposé nos panneaux dans la salle, en regardant le mien, j’ai vu une volumétrie complètement différente de celle que j’avais faite. Je me suis dit que je n’avais pas compris mon image, pourtant le jury s’est bien passé donc je suppose ça a marché; mais j’ai vu autre chose de très différent ! Je me demande donc si cette solution aurait marché. Votre cerveau a appris à regarder, et comme toute chose il a mûri. Vous vous êtes dit «tu crois avoir fini? Pas du tout, regarde !...» c’est l’objectif de l’exercice. Et vous le refaites dans quelques années, vous regardez l’image et vous ferez autre chose. C’est vraiment l’objectif, c’est donc positif ! Vous auriez dû faire un dessin de ce que vous avez vu, pour le mémoriser. Mais c’est absolument ça ! Dans tous les projets, c’est rare, enfin je n’en ai jamais vu en muséographie, où il n’y ait pas un changement de programme en plein milieu du projet. Soit parce que l’oeuvre est trop fragile, soit parce que ce n’est pas la bonne taille, soit parce que le conservateur a changé d’avis, etc, il faut relire le projet vite parce que les entreprises sont là, et faire un meilleur projet que celui que vous avez fait. Ça arrive tout le temps. Avec l’entraînement de l’image, vous êtes absolument en mesure de le faire puisque vous avez fait le projet, vous dites il faut faire mieux, c’est possible. C’est le cas de la salle des États. IL faut rester très alerte, c’est l’objectif. Et puis toujours avec plaisir, des étudiants désespérés, il n’y en a pratiquement plus. On ne fait pas ce métier pour galérer, ça n’en vaut pas la peine. On fait ce métier pour avoir du plaisir du matin jusqu’au soir. Et si vous transmettez ce plaisir, vos collaborateurs seront heureux et vous avec. À travers ces deux exercices, vous avez appris que plus vous avez de règles, plus vous travaillez. C’est vraiment épouvantable d’avoir un champs de betterave sans rien, plat, sans programme, où on vous dit il faut faire un bâtiment là. Vous devez vous racontez vous une histoire pour arriver à quelque chose. L’image c’est l’apprentissage de tout cela.

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La salle des États au Louvre Utilisez-vous la couleur comme procédé de projet? Non. Beaucoup d’entre nous, architectes, sommes un tout petit peu en retard, parce que justement notre cerveau nous a servi. Le matin, j’ai rendu un autre projet bien meilleur. Il nous faut un peu de temps pour le retranscrire parce qu’il est toujours meilleur. Pendant les réunions, on met le débat de la couleur sur la table. Pas de problème; sur toute la séance c’est une empoignade. Et vous avez le temps de finir votre projet ! Tout le monde a quelque chose à dire sur la couleur, notamment dans les musées, c’est un cauchemar. Donc j’ai viré la couleur et je n’utilise plus que les matières, parce qu’elles ont une couleur. Le nombre de couleur issu de la matière est quand même réduit par rapport aux couleurs peintures qui sont généralement plates. Or si la couleur est plate sur un mur elle ne reçoit pas bien les oeuvres. Il faut que la couleur soit profonde. Ça veut dire que chaque micro particules reflète la lumière, produit de la lumière de réflexion. La salle des États, comme la salle des Sept Mètres qui est la parallèle un peu plus loin, sont faites comme ça. Les pigments sont naturels et le choix est limité. En revanche, si vous regardez la salle des États de près, la matière de près, elle a une texture et un étalement très beau. De loin, par certaines lumières, elle se met à vibrer. C’est un peu comme les pixels sur les affiches, de près vous voyez les points et de loin vous voyez une image. Là c’est le contraire qui se produit. La couleur est un peu dorée, et les cadres s’enfouissent dans la matière, ce qui fait que les peintures ressortent. Si vous allez dans la grande galerie où la couleur est morte et plate, ce sont les cadres qui montrent et très peu la peinture. Vous vous mettez dans la salle des États, vous regardez à travers les passages, vous cadrez un tableau de la grande galerie, vous voyez immédiatement la différence de lecture de la peinture.

La couleur-peinture n’est donc pas au service de l’oeuvre selon vous. Non, à moins de passer une couleur avec un mélange de plâtre avec une couleur profonde, ça devient un enduit, ça va. Mais une couleur peinte au rouleau, ça ne marche pas, à mon avis. Et je trouve que le matériau donne, porte sa couleur. Sinon c’est blanc, ou blanc plâtre. Et lorsque je faisais de l’architecture pour les expositions, je n’utilisais jamais la couleur. J’ai fait l’erreur une fois, et je ne l’ai plus jamais refaite. Ce ne sont que des enduits, l’enduit étant de la matière. De la matière qui, par ses grains, reflète de la lumière, et la lumière émane de la paroi. C’est un long travail et c’est très important de comprendre ça. On ne rattrape pas une architecture en mettant du bleu, parce que c’est que ce jour là, on avait envie de mettre du bleu.

La couleur remet-elle en cause le projet d’architecture? En le disant autrement, si quelqu’un d’autre après vous remet une couleur sur votre bâtiment, il vous pète le bâtiment. La couleur n’est pas appliquée une fois que la volumétrie est faite puisque c’est de la matière. Tout se passe en même temps. Et en plus vous ne voyez rien parce que c’est mouillé pendant des mois, ça sèche peu à peu. Donc non. Il y a un artiste dont j’ai oublié le nom, qui a fait un travail très important sur la couleur : il a pris la même définition orale d’une couleur chez différents fabricants, et il a peint des tableaux, des bandes côte à côte. C’est assez explicite. Il n’y a pas une couleur pareille. Choisir une couleur sur échantillon est la plus grosse erreur qu’on peut faire. Je pense que la couleur doit être une matière, et pas une peinture, définitivement. Donc je n’ai pas ce problème. Une fois fini, je ne me pose pas la question de quelle couleur pour quel mur. La couleur va avec la matière, et l’architecture a un usage. Les matières sont choisies en fonction des usages. La salle des États ne marcherait pas avec des peintures modernes, ça n’est pas fait pour. La salle des États dans ses couleurs, existe à cause des cadres. Les cadres disparaissent, et on ne voit que

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le tableau. Ils sont «calmés», ils restent mais ils appartiennent plus au mur qu’au tableau. C’est cette distanciation qui intervient et tout d’un coup vous voyez la peinture. À propos de la Salle des États, on parlait tout à l’heure de certaines contraintes de projet, il faut être prêt à modifier un projet pour pouvoir construire et c’est arrivé dans la salle des États. Le programme disait : une salle pour la Joconde et une autre salle pour tous les vénitiens dont les Noces de Cana qui est la plus grande peinture, et qui elle, a besoin d’une bonne vingtaine de mètres de recul pour être sur le point focal de la perspective. Ne serait-ce qu’en suivant cela, ça obligeait à faire une partition dans la grande salle et à mettre dos à dos la Joconde d’un coté et les Noces de Cana de telle manière qu’il y ait les 17 mètres en venant de la Grande Galerie, et la Joconde seule qui est toute petite dans un espace plus restreint, avec un cheminement non direct, c’est à dire qu’on ne rentrait pas devant la Joconde, il y avait un filtre, on était obligé de tourner son corps aller vers la reine, parce que c’est une reine sans le dire mais c’était un peu ça, donc il pouvait y avoir 200 personnes maximum dans la salle, tout le monde était content, nous avons gagné le concours. Le projet a été fait, tout a été mis en oeuvre, les plans ont été faits, dessinés au détail, chaque lame de parquet parce qu’il y a un rattrapage géométrique à faire. Le chantier est prêt, la Joconde est déménagée, changement de président ! Tout le monde a quelque chose à dire sur la couleur, mais aussi sur la place de la Joconde. Le nouveau président dit non, la Joconde tout seul, ça n’est pas possible, il y a d’autres Léonard de Vinci, les gardiens du Louvre s’y sont mis aussi, les conservateurs des département français aussi, tout cela est né parce que lorsqu’on a déplacé la Joconde, ont l’a mise dans la salle Van Dyck au bout de la grande galerie, et il y avait un queue de la longueur de la grande galerie. Donc ça paralysait le musée. Mais pourquoi il y a eu la queue tout d’un coup? C’est parce qu’on a bougé la Joconde, sinon ça ne faisait pas de queue. C’est le fait de l’avoir bougée, la question du déplacement ! Et donc avec tout cela, on est passé de trois millions de visiteurs à six millions ! Le projet ne marchait plus ! Et comme c’était le nouveau président, il voulait peut-être annuler le concours, le refaire etcetera, jusqu’au jour où je me suis dit, il faut que j’applique ce que j’enseigne ! Je suis allé le voir je lui ai demandé quel était le problème, il m’explique ce que je viens de vous expliquer et je fais devant lui le projet. Et c’était tout simple, mais gonflé, parce qu’il fallait ouvrir deux ouvertures dans la grande galerie, et comme je travaillais sur le projet depuis longtemps, je savais qu’il y avait deux anciennes fenêtres, et fermer le centre. Au lieu de les mettre dos à dos, les mettre face à face, c’est donc impossible de les voir en même temps. En typologie ça marche. On donnait une très longue perspective à la Joconde, de loin, donc elle apparaissait comme très petite. La partition du mur qui est très structurée est en proportion des Noces de Cana, le vitrage est la proportion maximum pour tenir la Joconde. La partition et le vitrage amènent peu à peu au tableau, ce qui fait que c’est à l’échelle. Et en plus, vous la voyez de loin. Ce qui fait que tout les visiteurs qui arrivent, ils la voient, arrivent, la photographient, et repartent. Après ils ont mis des barrières parce qu’on ne peux pas imaginer ce que c’est que 5000 personnes à l’heure devant la Joconde. Ils y a eu plusieurs personnes qui se sont fait écrasées contre la barrière par la pression du public. J’ai pu dessiner ce projet en quelques minutes parce que j’avais la connaissance. Là où je voulais en venir pédagogiquement et dans la vie, c’est que si vous avez pleins de brouillons et que vous ne dessinez pas vos projets, vous êtes dans la merde pour faire la modification, parce que votre cerveau n’aura pas la connaissance. C’est ce qui arrive avec les projets de Nouvel. La muséographie du musée du quai Branly, c’est une catastrophe. C’est le contraire de ce qu’il faut faire pour voir de si belles oeuvres.

Un grand espace est accordé devant la Joconde à partir des deux entrées latérales. Que se passe-t-il derrière la cimaise de la Joconde? Derrière la Joconde, c’est le devant à partir du pavillon Molière. Il y a d’autres italiens, Tintoret, Véronèse... Normalement, c’était destiné à d’autres Léonard de Vinci, mais après l’accrochage dépend des conservateurs. Deux tableaux sont fixés, les Noces et la Joconde. Après, ils changent, ça n’a aucune importance. Mais il fallait cette partition donc c’est l’îlot de la Joconde.

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Plan Salle des États

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On pourrait dire qu’il y a une polémique sur la couleur en architecture. En utilisant une matière colorée pour la salle des États, vous avez pratiquement combattu un dogme. Comment convainc-t-on d’une couleur qui marche? Je fais des échantillons de très grand format, ça a convaincu très bien dans la salle des Sept Mètres, dans la salle des États, tout le monde est très content. L’ouverture de la salle c’était le 5 avril 2005, le 2 avril 2005 sont passés les anciens présidents de l’îlot. Ils ont critiqué la couleur-matière, j’ai failli avoir un procès, la salle était bloquée. J’ai dit «voilà l’échantillon, nous étions d’accord, je trouve que le travail de l’entreprise est absolument formidable. Avoir une matière comme cela dans les murs...» J’ai donc du défendre l’entreprise qui avait fait ce travail, par écrit. Le président m’a dit on se retrouve devant les juges. Après j’ai reçu plus que des compliments, beaucoup de directeurs de musée sont passés en disant «on voudrait la même chose chez nous, c’est formidable». C’est simplement que il y a toujours des pas contents, il faut franchir le cap. Maintenant tout le monde est content. Je n’ai jamais vu autant de monde dans une salle et je ne sais pas si vous avez vu mais la salle des États est devenu le lieu des pickpockets. Vous n’imaginez même pas, il y a la police planquée avec des jumelles, les gardiens sont menacés par des groupes de maffieux. Donc ils sont contre le mur de la Joconde pour plus de protection, on voit les traces de leur cheveux sur le mur. Ça c’est imprévisible, mais comme c’est de la couleur matière, on peut la nettoyer et la gommer le jour où ils se décideront. Mais ils ont mis deux grands panneaux «attention aux pickpockets». Le musée n’a pas les moyen de faire autrement. C’est un marché ! La salle des États avec 300 ou 400 personnes, ça marche, on comprend mieux, mais avec 1000 personnes non. Rien ne marche en surpopulation.

Utilisez-vous la même couleur-matière pour plusieurs oeuvres? Non c’est en fonction du projet, c’est le portrait d’un programme. Ça ne peut pas être la même chose. Je voudrais parler de la question du déplacement dans les musées parce qu’il y a quelque chose qui marche très bien, c’est lorsqu’un bâtiment qui a un autre usage, reçoit les oeuvres; c’est formidable comme ça marche bien. Vous avez différents exemples d’usines ou de gares, je ne parle pas de la gare d’Orsay, je parle notamment de la gare de Hambourg à Berlin, je parle de l’usine de Schaffhausen au nord de Zürich, et de plusieurs autres bâtiments, le CAPC à Bordeaux, et des choses que j’ai faites aussi. Il y a une sorte de magie qui se produit, par rapport au fait de montrer des oeuvres. Ça marche presque mieux que dans un musée qui est fait pour. C’est un constat. Parce que les traces de l’histoire de l’autre existent, il a un invité qu’il montre, cet invité montre les traces, il y a une sorte de dialogue qui se créé entre le bâtiment existant et c’est formidable. Par exemple ça, ça n’arrive jamais dans un musée de Meier. C’est Meier, il y a peine de la place pour les oeuvres.

Le musée est au service de l’art, travaille pour montrer l’art, il ne doit pas occuper l’espace de l’art qu’il abrite. Selon vous, le musée vidé devient-il plus expressif? Moi je dis toujours qu’un bâtiment doit être en manque de son usage. Ça veut dire que s’il est fait pour recevoir du public, une salle de concert par exemple, elle doit être belle pleine, et pas que vide. Je pense à l’opéra de Sidney, si un musée est en manque d’oeuvre, c’est formidable. S’il ne marche que lorsqu’il y a des oeuvres, c’est ça qu’il faut. S’il marche tout seul, vous aurez un mal fou à mettre les oeuvres. Il faut savoir qui vient, ce qu’il faut mettre.

Vous travaillez avec la collection?

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Oui je travaille toujours avec la collection, que ce soit le musée de Grenoble, ou tous les autres projets que j’ai fait. ASN en Allemagne, j’ai travaillé avec la collection.

Vous travaillez avec le catalogue ?

Non j’ai les oeuvres dans la main ! La Joconde comprise ! Je l’ai prise au moins deux fois dans mes bras et ça n’est pas la même chose ! J’ai un contact direct avec les oeuvres. Vous commencez avec le catalogue pour faire les dimensionnements mais sinon, dès que vous avez l’occasion, vous ne la ratez pas. Vous êtes là pour l’accrochage, vous faites l’accrochage très souvent. Vous dessinez tout se qui sert à tenir la Joconde. La vitrine de la Joconde c’est plus d’un an de travail. Tout est dessiné au millimètre. C’est un ouvrant qui pèse une tonne et demie ! On pourrait très bien faire une petite porte de placard que l’on ouvre comme ça, comme une armoire à pharmacie mais c’est pas comme la Joconde. Le mouvement de la vitrine de la Joconde c’est l’ensemble de la table qui s’ouvre avec un mouvement parallèle à l’opacité, de telle manière que si on entre dans la salle et que la vitrine est ouverte, c’est une épaisseur qui vient devant la paroi, et ça reste très élégant. La charnière, nous l’avons inventée avec un parallélogramme et je l’ai faite peindre en rouge Ferrari, pour que, quand vous l’ouvrez, même celui qui travaille, qui ouvre et qui fait l’entretien, il ait du plaisir. Chaque pièce est dessinée, tout ce que vous touchez et qui ne se voit pas est aussi dessiné. C’est le privilège de travailler dans un musée. On peut aussi faire de très belles choses sans argent. À l’opposé, je vient de terminer un projet à Bâle, à la frontière de Bâle, à la «Fabrik Culture», c’est décroché maintenant. Ce lieu n’a pas de moyen financier, mais il a un espace à se rouler par terre tellement c’est beau. Donc on a vu avec l’artiste, je travaille avec Cathy Josefowitz depuis des années, on est très complices, on a une influence mutuelle. Elle sur la manière de mettre les tableaux, et moi sur les tableaux même, parce que j’aime sa peinture et donc on en discute. En voyant ce lieu, il fallait des murs parce que sinon on ne pouvait pas accrocher. C’est une ancienne filerie, il y avait des taches d’huile. Il y avait une espèce de correspondance avec les peintures de Cathy. Je lui ai dit, tu sais on peut faire une exposition, il y a une correspondance avec les structures métalliques qui rythmait l’espace, un espace très long, très horizontal, et lorsqu’on rentrait dans l’espace on tombait en avant. Les sheds qui étaient dans le sens, la lumière ne se voyait pas mais on a l‘impression qu’on tombait en avant, et le mur du fond montait, sans profondeur. Je me suis dis, on va faire un projet, on va accrocher les tableaux à la structure métallique. La directrice qui a entendu ça m’a demandé si on allait faire des trous. Non, on a accroché les tableaux avec des aimants et puis ils ont travaillé toute la question de la profondeur. L’exposition s’appelait «Moving walls». Ils sont évidemment immobiles mais comme il y en a plusieurs couches, dans la perspective et en marchant, ils se déplacent et on fabrique ses propres cadrages tout au long de l’exposition. Et personne ne voit la même exposition! Ça a coûté deux francs six sous, mais beaucoup de peinture, parce qu’elle a du peindre en trois mois 50 tableaux.

Ses tableaux sont comme le mur? C’est plutôt des paysages mais on s’aperçoit que, contrairement à ce que j’ai pu dire dans d’autres interviews dans des revues, on peut tenir un espace, qualifier un espace avec la peinture seule, sans paroi, pour ces peintures là. Je pense qu’accrocher des tableaux anciens ne marcheraient pas, mais ça oui. On en a fait la démonstration. C’est une belle expérience qui m’a beaucoup intéressé, parce que c’était toute la partie théorique du mur, qu’on ne peux pas faire dans un musée parce que c’est salle par salle, et là ayant un grand espace et ne pouvant pas faire de salle, on a fait travailler les peintures.

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Comment la peinture tient-elle un espace? Ça tient, ça construit la profondeur. Un espace profond est un des critères que nous apprenons, on a travaillé sur la question du profond, de la dilatation, et surtout les cadrages.

Comment contrôle-t-on les variations de lumière? On les contrôle pas. Il ne faut pas les contrôler. Une expérience a été faite à la Tate de Londres. C’est un projet de Sterling, à l’endroit des Turner. C’était les premiers éléments, extrêmement sophistiqués en contrôle de la lumière, des capteurs, etc. Sauf qu’ils avaient complètement oublié que les nuages anglais, très opaques et le vent fait une alternances d’ombre et de lumière dans la salle, c’était un cauchemar. Donc ils ont mis des retardateurs, d’une demie heure à peu près, ce qui permet aux nuages de passer donc la lumière ne saute pas. Et puis d’autres font des réglages deux fois par an, c’est à dire lorsque le soleil passe de l’est à l’ouest, et qui peut rentrer au nord. Il y a des volets qui font qu’on empêche le soleil de passer. Tout ça a duré une bonne vingtaine d’années. Et puis on a commencé à être précis: une oeuvre, c’est 250 lux par an, donc on peut très bien avoir une pointe de soleil pendant quelques minutes ou le soleil dans la pièce pendant quelques heure mais qui ne touche pas les tableaux et si les tableaux sont à 600 lux au lieu de 250 lux pendant trois quart d’heure par jour au moment de l’été, ça le Louvre l’a compris. Dans la salle des États, il y a des ombres très serrées, très belle, si vous y allez le matin il y a des entrées de soleil. La lumière doit être changeante, sinon c’est d’une tristesse absolue. Ce qu’on fait lorsqu’on n’a pas d’argent, c’est qu’on contrôle le plus défavorable et après on est un peu en déficit de lumière Mais quand les nuages passent ou qu’il pleut, il faut le sentir. Avant on compensait tout de suite, on allumait la lumière. La salle des États et la salle des Sept Mètres sont réglées comme ça. C’est un cas différent parce que la salle des Sept Mètres a des rideaux qui montent et qui descendent en fonction de la luminosité. Le résultat c’est qu’ils montent et descendent pendant quelques mois, ils restent en bas et après ils allument la lumière et au mois de juillet c’est plein pot lumière, et zéro lumière naturelle. La salle des États, j’ai évité le piège donc j’ai dit il y aura des sauts de lumière de tant, il y a des jours, il y a 1000 lux et personne ne dit rien. Le toit de la salle extérieure est en verre. À l‘intérieur il y a des canons lumineux, parce que la salle des États, on a conservé la verrière, je l’ai allongé mais je l’ai conservé et j’en ai fait comme une lampe. Il y a une lumière naturelle qui descend le long des murs, le long des opacité parce que l’angle de la salle des États était fermé et c’était sombre, ce qui conférait un poids extrême et c’était toujours sinistre. Vous savez comme moi que la lumière doit glisser sur la paroi. Si vous ne faites pas ça toute architecture meurt. Ça c’était vraiment le plus grand trou que je n’avait jamais vu, il fallait absolument faire glisser la lumière donc il y a des canons de lumière périphériques plus le centre. Et puis dans l’évolution du projet, il y a quatre fenêtres, et les angles se fabriquent avec la perspective, c’est à dire que lorsque vous regardez la salle des États, vous vous penchez vous regardez l’arrière du mur de la Joconde, vous voyez un angle. Et lorsque vous vous approchez, c’est comme la rue de Rivoli, c’est plus un mur, il y a un passage, un espace de repos, avec de la lumière, et souvent le soleil passe quand il est là. C’est très important les variations de lumière, qu’on les ressente.

Quel rapport entretenez-vous avec le domaine pictural, la peinture? Je suis tombé dedans quand j’étais petit, j’ai un avantage. Tout ce qui a avoir avec les oeuvres d’art, je suis dedans depuis que je suis né.

Des personnalités qui vous ont marqué?

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Marcel Duchamps qui joué aux échecs. Je le regardais et c’est comme ça que j’ai appris. Étant enfant, je voyais Dali marcher dans la rue avec son petit léopard. Ce n’est pas exceptionnel, ça développe un esprit critique, c’est à dire, est-ce que c’est mauvais, mal, bon, ça plait... Dans les travaux des étudiants que je vois depuis des années, il y a de très belles peintures. Et ce que j’espère, c’est que justement ça leur a donné de l’envie, de temps en temps, de s’asseoir à une table et de faire une peinture.

Est-ce que l’enseignement vous donne des réponses sur vos pratiques personnelles? C’est un binôme. Je ne peux pas travailler si je n’enseigne pas, parce que j’enseigne depuis toujours, même depuis le lycée, des cours de mathématiques et autres. C’est une nécessité de transmettre, de verbaliser les choses, ça oblige à être explicite. Alors est ce que ça a une influence dans le travail ? Certainement. Et en même temps, quand vous avez un maître d’ouvrage qui est un peu nul, c’est dur. Alors comme on a de la pratique, il faut commencer par lui avant de s’occuper du bâtiment. Parler avec lui, l’amener sur le terrain, lui donner les outils pour qu’il apprécie, c’est un vrai boulot. C’est pour ça que je demande toujours, dans le cas des musées, de rester avec la même personne. Ils ne me le changent pas en cours de route. Quelque fois, c’est l’envers. Même la plupart du temps c’est moi qui apprend, parce qu’on tombe sur des gens absolument formidables. On apprend de ce que l’on voit, après avoir transmis quelque chose à quelqu’un. L’histoire d’un tableau, soit vous la lisez, soit on vous la raconte. Et c’est passionnant !

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n est à présent convaincu que la lumière et la couleur sont deux phénomènes indissociables, qui se complètent par leur direction aux sens opposés. L’une est imperceptible, elle avance jusqu’au moment où elle rencontre un obstacle, et elle comprend l’ensemble des couleurs du spectre lumineux. L’autre est une lumière réfléchie, que l’on perçoit une fois qu’elle a absorbé de la lumière blanche pour ne la redistribuer qu’en partie. C’est bel et bien la matière qui est capable de les révéler, les rassembler, et les exalter. La lumière comme la couleur perturbe les sensations physiques du corps, au delà même de la vision. Dans la logique du développement du préambule, on pourra ici énumérer les «principes» qui interviennent dans le processus de projet. Le projeteur les pense et les dessine, au service des oeuvres et du parcours, et le visiteur en bénéficie. Le premier constat que nous pouvons faire de ces entretiens est que l’art pictural et l’architecture sont deux disciplines étroitement liées. Lorsque l’on parle de couleur avec les deux architectes, le domaine artistique pictural est abordé naturellement. Laurent Beaudouin est admiratif du travail de Matisse ou de Rothko, Luis Barragán côtoyait Chucho Reyes, artiste peintre qui l’a largement sensibilisé à l’outil-couleur, Lorenzo Piqueras, dans son enseignement conserve un apprentissage par la peinture, le regard et la composition. À chaque discipline, art et architecture, ses outils propres pour fabriquer de l’espace. L’espace que conçoit l’architecte invite l’homme, qui le parcourt grâce à la dimension temporelle. L’espace et le temps sont les facteurs du mouvement. - L’espace-mouvement : L’espace-mouvement est propre à l’architecture. L’espace est déterminé par l’ensemble des éléments qui l’entourent, la matière qui englobe un volume vide. L’espace-mouvement fait intervenir le temps. Le temps pour l’observateur de se déplacer. L’homme se situe, circule, construit sa propre image de l’espace. L’espace-mouvement est le parcours. La qualité de l’espace est détermi-

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née par l’ensemble des phénomènes que nous avons étudiés jusqu’ici, c’est à dire la lumière, la couleur et la matière. La lumière elle-même bouge, elle donne un certain mouvement à l’architecture, et peut accompagner le visiteur dans son déplacement. La lumière et la couleur peuvent appuyer le parcours, le montrent comme étant dynamique ou statique, favorisent l’orientation du regard et du corps. - La lumière-mouvement : Les différents facteurs tels que la situation géographique, l’orientation, les saisons, l’environnement, le temps météorologique, apportent des variations de lumière dans ses inclinaisons, ses couleurs propres, son intensité, sa provenance. La lumière est changeante. Faire de l’espace en tenant compte de la lumière-mouvement apporte une richesse dans le projet. Elle participe à fabriquer des ambiances lumineuses, colorer l’espace, accompagner le parcours, et ainsi créer de l’espace en mouvement. Elle est source de jeux de couleurs par l’orientation des ouvertures de la matière sur l’extérieur. Elle dialogue avec l’opacité de la matière, la fait rayonner ou glisse et révèle sa texture. Ombre et lumière donnent la profondeur, et varient avec le temps. Le mouvement de la lumière est perceptible par l’ensemble de nos sens. La lumière donne la compréhension du lieu dans lequel on se trouve, nous permet de nous situer. La lumière en mouvement doit être visible, elle anime l’architecture. - La couleur-mouvement : celle dont parle les artistes, qu’utilisent entre autres Matisse, Rothko, ou Cézanne. Elle détermine les différents plans, apporte de la profondeur, renverse les distances, nuance la masse. La couleur-mouvement est l’outil commun aux artistes peintres et aux architectes. L’ouvrage Transparence réelle et virtuelle de Colin Rowe et Robert Slutsky, est une référence utile pour illustrer ce propos. Le peintre fait de l’espace sur un plan unique, celui de la toile. Il évoque une profondeur par la composition, la juxtaposition des surfaces de couleurs et de valeurs. Les sources lumineuses qui sont de natures différentes provoquent un basculement vers l’avant ou l’arrière, une troi-


sième dimension. Les éléments frontaux compressent la profondeur, les éléments obliques ou courbes donne un recul diagonal de l’espace. Les couleurs vives ou denses accompagnent l’effet de profondeur. On retrouve aussi ces principes dans les oeuvres de Fernand Léger, qui suggère des effets de volume et de profondeur par l’usage des couleurs contiguës ou superposées, et dont l’oeil perçoit des organisations spatiales. En architecture, la couleur-mouvement est une manière de contrebalancer les volumes d’une architecture. Une couleur peut alléger un volume lourd, accentuer un plan qui s’avance. Selon Henri Ciriani, la couleur fonctionne avec le pliage, et le pliage permet à la matière d’être en mouvement. Les jeux de volumes sont établis par l’effet d’ombre, de demi-teinte, et de lumière sur différents plans. Les effets optiques de la couleur, par le contraste chaud/froid et clair/ obscur créent ou accentue la volumétrie. Elle semble être plus proche ou plus lointaine, celle qui fabrique un espace léger, profond, central. Elle est aussi en mouvement par la lumière qui lui donne une teinte variable selon l’inclinaison et la provenance, la couleur peut absorber la lumière ou se laisser rayonner. - La couleur-projet : On peut découper la couleur comme procède Matisse. Il dessine avec ses ciseaux, directement dans la couleur du papier. On a pu aussi cité Joseph Albers, ses expériences chromatiques dans le papier également. On est à la recherche d’une harmonie, une composition de couleurs calculée de manière logique. L’harmonie s’établit lorsque les couleurs s’équilibrent par leur position les unes par rapport aux autres, leur qualité lumineuse, et leur quantité de surface. On compose par la couleur. En architecture, l’idée du projet peut s’inspirer d’une composition picturale. L’enseignement du studio UNO «l’image» en est une approche, à partir d’une photographie signée. Les ré-écritures de l’image en peinture facilitent le dessin d’une «image de synthèse» dans laquelle les lignes de force sont révélées. C’est l’image constructive de la photographie qui peut être adaptée pour un projet architectural. On est en dehors de toute figuration, «l’image» n’a plus d’échelle. L’analyse d’une composition picturale, les correspondances, les rapports et les harmonies

de couleurs, les rapports de proportion ou de contraste, aident au projet d’architecture, une méthode qu’Henri Ciriani applique. Ici, c’est le rapport entre chaque couleur, sa teinte, sa force, sa dimension, qui est retranscrit en projet architectural. - La couleur-matière : elle se pense pendant le projet, si on la considère comme matière. Le dessin architectural représente de l’opacité qui porte une couleur. Elle est l’enduit ou la matière même, contient de la lumière par sa composition. À chaque matière sa couleur, sa texture, donc son éblouissement, la qualité qu’elle a de transmettre la lumière indirecte, de l’absorber, de faire du volume par l’ombre de sa texture. Toute surface communique sa couleur à l’espace. Une paroi colorée, lisse ou brillante sera plus propice aux reflets blancs de la lumière qu’une paroi mate. Le blanc de la lumière réfléchie devient à son tour une source de lumière. La lumière qui traverse un matériau nous fait percevoir une couleur ; les vitraux sont les couleurs les plus anciennes que l’on trouve en architecture, après la couleur de la matière opaque. S’il n’y a pas d’opacité, il n’y a pas de lumière. En introduction d’entretien, Lorenzo Piqueras nous dit «Le cosmos est rempli de lumière, mais on ne la voit pas parce qu’il n’y a pas de surface de réflexion. La plus proche, c’est la Lune.» La matière peut être pensée source lumineuse, ou comme esthétique de la disparition. La disparition de la matière, ou comme l’utilise Lorenzo Piqueras dans la salle des États, la disparition de certains éléments, les cadres, pour ne faire apparaître que les oeuvres. Dans le cas où la couleur n’est pas considérée comme une matière, il devient très difficile de la maîtriser à l’avance.

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L’architecte, comme le peintre, est en quête d’un espace dit pictural. Dans leur recherche de composition harmonieuse et avec des moyens différents, ils conçoivent de l’espace. Le peintre est à la recherche d’une fabrication de profondeur par une composition savante de plans de couleurs juxtaposés. L’architecte organise et pose des éléments volumétriques sur un plan. Il élabore une profondeur réelle, par la succession de plans, différentes couches qui définissent un espace compris dans des limites marquées. La profondeur est décomposée. Le cadre est construit par le visiteur en architecture lorsqu’il est concret pour le peintre. L’ensemble des points de vue de l’homme existe par le parcours et la succession de cadrages que le visiteur produit. On a pu constater au travers de cette recherche, que leurs outils diffèrent. Le peintre se procure une toile, des pinceaux et crayons, de la couleur-peinture ou la couleurmatière, du papier, et la toile, le cadre ; c’est à dire, la limite, l’enveloppe du projet pictural. L’architecte se tourne vers les éléments nécessaires pour construire l’espace. Dans sa boite à outils se trouveront des phénomènes tels que la lumière et la couleur qui lui est rattachée, des opacités pour la capter et la retransmettre ; la matière, et la profondeur dans laquelle l’homme se déplace. Il fait également intervenir la dimension temporelle (4ème dimension), le mouvement du visiteur et de la lumière dans le projet. Le projet architectural prend toute sa force avec le mouvement, parce qu’il mêle à l’espace la quatrième dimension. L’architecture est comprise avec le temps, le temps du parcours. La variations des points de vue donnent toute la richesse au projet, chaque visiteur construisant sa propre approche. Le parcours peut être qualifié comme étant la succession d’événements visuels et sensoriels donnés dans un temps imparti, celui nécessaire pour parcourir l’architecture. Le visiteur est livré à son propre mouvement et à celui de l’architecture. Le rapport entre art et architecture est très étroit, ces deux disciplines dialoguent ensemble. Par les analyses et les entretiens, on découvre que l’art pictural peut être utilisé pour faire du projet d’architecture, construit ou purement théorique. Citons Laurent Beaudouin «Le

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travail pictural qu’il (Henri Ciriani) a fait à la fin, dans ses bâtiments était souvent appuyé sur un modèle d’un tableau particulier. Par exemple, telle oeuvre de Picasso lui suggérait une sorte de correspondance des couleurs, d’harmonie des couleurs. Ce n’est pas directement les couleurs du tableau qui sont utilisées, mais simplement les rapports des couleurs entre elles» et Lorenzo Piqueras «on peut tenir un espace, qualifier un espace avec la peinture seule, sans paroi. (...) Ça tient, ça construit la profondeur. Un espace profond est un des critères que nous apprenons, on a travaillé sur la question du profond, de la dilatation, et surtout les cadrages.» « Dans la perspective et en marchant, ils (les tableaux) se déplacent et on fabrique ses propres cadrages tout au long de l’exposition. Et personne ne voit la même exposition!» Inversement, l’architecture est au service de la toile, se plie, donne le mouvement nécessaire au visiteur pour qu’il regarde. «Si un musée est en manque d’oeuvre, c’est formidable. S’il ne marche que lorsqu’il y a des oeuvres, c’est ce qu’il faut», Lorenzo Piqueras. Et parfois, l’architecte se sert de l’outil-couleur du peintre dans le bâtiment. Il Peint à la manière de l’artiste l’espace comme sur une toile qui aurait de la profondeur : «Voir cet architecte (Luis Barragán), lui aussi travailler la couleur comme le font les peintres (...) quand on est dans ses bâtiments, quand on voit à quel point il a passé du temps à régler, à ajuster les couleurs dans ses projets, (...) voir la lumière bouger, (...), en faisant réagir des cartons de couleur les uns avec les autres. On voit que ça nécessitait chez lui un travail et pas du tout une improvisation.»

Ce rapport semble d’autant plus étroit lorsque l’on s’intéresse au programme de musée, riche de sens, de dispositifs architecturaux, et de plastique. De nombreux acteurs, architectes, scénographes, muséographes, artistes, conservateurs de musée interviennent. L’ensemble des espaces est dessiné à toutes les échelles, du parcours à l’accrochage, au service de la collection, révélant l’architecture par endroit. L’art est parfois un moyen de la mettre en exergue. Ils se montrent réciproquement ; l’art est au service du programme et inversement. Le dialogue s’effectue entre chaque partie qui s’améliore mutuellement. Le programme de musée les réunit plus que ja-


mais, comme le constate Lorenzo Piqueras «il y a quelque chose qui marche très bien, c’est lorsqu’un bâtiment qui a un autre usage, reçoit les oeuvres; c’est formidable comme ça marche bien.» Art et architecture révèlent les traces et l’histoire de l’autre. L’architecture du musée fonctionne lorsqu’elle est en manque de son usage. Cette remarque apparaît comme évidente auprès de Laurent Beaudouin ou de Lorenzo Piqueras. Le programme correspond à une quantité de lumière calculée, et une quantité de matière dessinée.

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ans un premier temps, il a été question de s’intéresser à la lumière naturelle et ce qu’elle traduit. Elle a été abordée sous plusieurs aspects ; la manière dont elle se qualifie, ce qu’elle induit par son contraire _l’ombre_ et ce qu’elle contient, la couleur. La couleur est contenue dans la lumière. Nombreux sont les écrits de scientifiques, poètes, artistes, sur la lumière qui prend des colorations selon l’air ambiant, le contexte géographique, l’inclinaison... On s’est ensuite tourné vers l’approche de la couleur expérimentale chez les artistes. Le domaine artistique a parfois joué un rôle scientifique, ou s’est laissé porter par des observations rationnelles. C’est ce que nous avons pu dire à propos des peintres pointillistes, ou de l’approche purement expérimentale de Joseph Albers, qui a contribué au savoir pictural dans la peinture et l’art cinétique. Finalement, on a vu en quoi la matière était un élément primordial pour révéler la lumière. Nous nous sommes alors tournés vers l’architecture. Cette discipline étant orientée tantôt vers l’art, tantôt vers la science, révélatrice et à la fois porteuse de la lumière, on l’a considérée comme une science picturale. L’architecture est une organisation d’éléments volumétriques matériels, qui révèlent la lumière et la couleur. L’espace est là, différent de celui de l’espace pictural. Le mouvement _des formes et des couleurs_ est à l’origine du «développement» de l’espace en art, et inéluctable dans le discernement de l’espace architectural. Le mémoire est une expérience personnelle. La première idée de ce projet fut de travailler sur la couleur. On s’est pris d’intérêt pour la question de l’Expérience de la couleur. Par l’expérience, chercheurs et artistes ont questionné et théorisé. Au travers des expérimentations, on a vu que le domaine scientifique et le domaine des arts suivent un cheminement sinueux, qui se croisent parfois, se suivent, mais n’approchent pas le même résultat. Le domaine artistique expérimente, emploie parfois les constats et les applications scientifiques pour illustrer, oeuvrer. La science du projet architectural, considérée parfois comme un art, applique et fabrique un ouvrage «idéal» ou construit. Divers sont les

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moyens pour expérimenter, par le dessin, la maquette, l’échelle 1. Avec l’ «outil-couleur», on peut donner une autre dimension à l’espace, si l’on considère que les artistes sont parvenus à donner du mouvement dans leur oeuvre picturale. Le programme de musée réunit étroitement art et architecture. Mais en plus d’être la réunion de l’art avec l’architecture, il est aussi le projet du parcours. Chaque partie oeuvre l’une pour l’autre. La science et l’art dialoguent, le travail est mutuel, le rapport est égalitaire. C’est l’expérience du partage. Le parcours encourage le partage ; il réunit, dessert l’art aux moyens de procédés architecturaux qui accompagnent le visiteur. L’orientation du regard varie, se tourne parfois vers l’art, parfois vers l’architecture, en fonction des éléments qui interpellent l’oeil. Le parcours du corps est accompagné par le mouvement de l’espace et de la lumière. La peinture, et la matière _la couleur-matière_ peuvent tenir un espace, construire une profondeur, dilater l’espace, le parcours tient également ce rôle, et se laisse installer dans ces inflexions spatiales. L’oeuvre picturale et l’application architecturale sont les produits d’une expérience artistique ou scientifique, dont l’outil commun est «lumière-couleur», et dont le but est de faire espace. L’expérimentation de la couleur peut être développée dans plusieurs directions, et part différents cheminements. L’analyse physique, par des relevés, par des outils, par la photographie, le dessin, peut être la continuation de cette recherche. Comment une couleur fait basculer l’espace physiquement? Comme tient-elle un espace? L’approche de ce sujet peut aussi être faite historiquement, ou sous l’angle des cultures. La lumière est à l’origine de la perception de la couleur, et elle est lourde de significations, se qualifie et se définit de multiples manières. Arrêter ce mémoire sur des ouvertures et des interrogations encore difficiles à combler semble intéressant dans la mesure où il montre qu’il

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n’est pas une fin en soit. Ce travail est une introduction à la recherche de ce que peuvent signifier lumière et couleur comme outils de projet pour l’architecte ou le peintre. La couleur est aussi un sujet extrêmement large, phénomènes perçus, ressentis ou réels étant variés, étudiés dans de nombreux domaines. Il s’est agit dans ce travail, de n’en traiter que l’aspect projectuel. On a considéré ici la couleur comme faculté du «projeteur» de confirmer des directions et dimensions spatiales. Un moyen trop souvent délaissé d’affirmer plus que jamais dans le projet du musée, des hypothèses audelà des considérations formelles. La couleur s’invite alors dans l’espace de l’oeuvre pour offrir la richesse et la complexité nécessaire au parcours, à la promenade muséale.


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Annexes :

trousse de couleurs

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bibliographie


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Trousse de couleur : Kandinsky, Goethe, Pastoureau, ont émis des suppositions, des hypothèses à propos de la perception des couleurs. Les impressions que l’on a face à une couleur, ce qu’elle apporte, ce qu’elle traduit, le code qu’elle transmet, sont autant d’éléments qui peuvent être pris en compte avant d’entreprendre un travail en couleur de l’espace. Autrefois, la distinction entre les couleur était plus de l’ordre du mat/brillant, clair/sombre, lisse/rugueux, dense/peu saturé. Ces qualificatifs étaient plus important que les différentes colorations. Généralement, l’oeil est plus attiré par les couleurs claires que par les couleurs foncées, et plus encore par les couleurs claires chaudes. Goethe classifie les couleurs sur une base scientifique. Les couleurs sont positives et négatives. Les couleurs de la zone Plus sont les couleurs chaudes : le jaune, le «jaune-rouge» (orange), le «rouge-jaune» (cinabre minium) nous inclinent vers l’animation, la vivacité, et l’effort. Les couleurs de la zone Moins sont les couleurs froides : le bleu, le «bleu-rouge» (violet), «rouge-bleu» (mauve), font naître un sentiment d’inquiétude, de douceur et de nostalgie. Selon Kandinsky, le blanc est souvent qualifié de non-couleur. Il semble tellement lointain qu’il n’aurait aucune sonorité. Il semble infini, infranchissable, indestructible. Il agit sur notre âme comme un grand silence. En musique, on parle de croche blanche, qui représente un silence qui n’est pas mort, une interruption, le commencement d’un «après». Pastoureau confirme l’idée que la société actuelle considère le blanc comme une non-couleur. Le support papier blanc a joué un rôle dans cette pensée, du fait qu’une page blanche est vide. L’ imprimerie introduit une équivalence entre incolore et blanc, degré zéro de la couleur. L’approche de Goethe est différente. Le blanc est la couleur première de la lumière. Il met en évidence le fait qu’un milieu incolore, lorsqu’il est troublé, devient blanc. Ceci est valable pour l’eau, lorsqu’elle se condense, ou lorsqu’elle gèle, le verre lorsqu’il est brisé. Le blanc est le contenu le plus neutre, le plus clair qui occupe l’espace, le premier degré de l’opacité. Inversement, la transparence est le premier degré du trouble. Le blanc est l’opaque du transparent. Du point de vue de Pastoureau, le blanc est couleur la plus ancienne, il représente la vie, la mort, l’innocence, la pureté, l’uniformité, la propreté, la sagesse, la paix. C’est une couleur qui a une symbolique forte. Dans notre vocabulaire, le blanc est associé à un manque, à l’absence. Le noir, pour Goethe, est éteint, c’est la représentation du silence avant un recommencement, une nouveauté. Il est immobile et sur lui tout glisse et se fond. C’est la couleur qui manque le plus totalement de sonorité. Elle représente le désespoir. Dans la nature, le noir n’apparaît pas aussi souvent que l’on pense. On le trouve dans le charbon, sur le bois privé de sa combustibilité par la lumière, l’air et l’humidité, et lorsque les métaux sont oxydés. Le noir est ce qui précède la lumière. C’est la couleur du deuil, de l’austérité, parfois de l’autorité. Mais cette couleur sert aussi l’élégance, dans le code vestimentaire. La couleur, selon les cultures, se définit différemment. Si en Occident, nous définissons par sa teinte, elle peut être brillante ou mate, lisse ou rugueuse, sourde ou sonore, tendre ou dure, sèche ou humide en Afrique ou en Asie. Ainsi, en Afrique, il y a un bon noir différencié d’un mauvais noir, le noir brillant s’opposant au noir inquiétant. Les peintres ont été les premiers à le réhabiliter, mais la fabrication du noir est coûteuse. Il est d’ailleurs plus profond que celui trouvé dans la nature. Un blanc qui s’obscurcit et qui se trouble, devient jaune (une surface blanche jaunit au contact de la lumière) et le noir devient bleu. L’espace infiniment grand est d’un bleu nuit ; les profondeurs sous-marines et l’infini ciel. De plus, la couleur jaune est proche du blanc puisqu’on on ne peut pas l’assombrir. Il existe une parenté entre ces deux couleurs, au sens physique du terme, également entre le bleu et le noir.

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Goethe définit le jaune comme étant la couleur la plus proche de la lumière. Il naît lorsque la lumière est adoucie par des milieux troubles ou par le reflet discret renvoyé par les surfaces blanches. Il porte en lui la nature du clair, a un caractère serein, un enjouement et une douce stimulation. Il est agréable dans le cadre ambiant. Il porte en lui un effet de haute dignité, prestigieux, puissant (or). Il donne une impression de chaleur et de bien être. Il a un effet réchauffant notamment lorsqu’on regarde un paysage au travers d’un verre coloré de cette teinte. À la vue du jaune, l’oeil se réjouit, l’âme s’égaie. C’est une couleur sensible qui donne une impression de désagréable lorsqu’elle se «salit», lorsque le jaune est transmis à des surfaces non lisses, non pures, ou lorsqu’il s’incline vers le vert. Kandinsky considère que le jaune agresse l’oeil, le pique, et l’excite. C’est une couleur qui ne sait devenir très profonde, et dont le ton est «criard». S’il devait être associé à une sonorité, il se rapprocherait de celle de la trompette. Le jaune a un caractère centrifuge, il irradie, son mouvement est excentrique et se rapproche presque visiblement. Le bleu est, depuis 1890, la couleur préférée en Occident, en Europe, aux États Unis, chez les hommes comme chez les femmes, dans tous les milieux socio-professionnels, mais pas dans toutes les cultures. Dans certaines traditions, il est rejeté ou méprisé, parfois la couleur du deuil. Il éclate dans les vitraux gothiques, fait son entrée en politique avec les rois de France et la réforme. C’est une couleur honnête. Le bleu à la faculté «d’agrandir» l’espace. Il développe un mouvement concentrique, a un caractère centripète. Il semble s’éloigner de l’homme en se concentrant vers son centre. Plus il est profond, plus il attire l’homme vers l’infini. Il éveille en lui la nostalgie, et apporte le calme, il est apaisant. Lorsqu’il glisse vers le noir, il semble être infini, sans fin. Lorsqu’il s’éclaircit, il prend un aspect indifférent, et paraît lointain. Plus il s’éclaircit, plus il perd de sa résonance, jusqu’à devenir un calme muet. Musicalement, le mot bleu est calme, atténué, liquide, doux : le bleu clair s’apparente à la flûte, le bleu foncé au violoncelle, le bleu encore plus foncé à la contrebasse, et dans ses tons les plus foncés, il comparable aux sons graves d’un orgue. Goethe constate que le jaune apporte une lumière lorsque le bleu apporte l’ombre. Devant le bleu, une impression étrange apparaît à l’oeil. En tant que couleur, elle est énergie, mais se trouve du coté négatif. Elle représente la pureté, le néant attirant. Il y a une quelque chose de contradictoire qui règne entre excitation et repos. Le bleu correspond au ciel ou aux montagnes, il semble lointain, semble reculer devant nous. On suit un objet agréable qui nous fuit, le bleu nous attire. Il porte une impression de fraîcheur, nous rappelle l’ombre parce qu’il est dérivé du noir. Une pièce tapissée de bleu nous paraîtra grande, mais froide et vide. Un paysage au travers d’un verre bleu nous paraîtra triste. Un bleu qui vire vers les couleurs chaudes, au jaune, est agréable, aimable (vert de mer). Pastoureau dirait que le bleu ne se fait pas remarquer, se fond dans le paysage. Le vert est apaisant. C’est l’équilibre idéal entre le bleu et le jaune. Les mouvements excentriques du jaune, et concentriques du bleu, s’annulent et produisent l’immobilité et le calme du vert. C’est une couleur calme. Le vert absolu est la couleur la plus reposante, il n’oriente vers aucune direction, n’a aucune consonance de sentiment. La passivité est la propriété la plus caractéristique du vert absolu. Un vert qui tend vers le jaune devient vivant, jeune et gai ; un vert tend vers le bleu devient sérieux. Malgré tout, il conserve son caractère d’indifférence. Musicalement, le vert absolu est comparé aux sons calmes et amples du violon. L’oeil, face au vert, trouve une satisfaction réelle. Lorsqu’il y a parfait équilibre du jaune et du bleu, l’oeil et l’âme se reposent. Cette couleur peut être utilisée dans les intérieurs. Il évoque la nature et la propreté. C’est une couleur instable, médiane, non violente, paisible, qui a des vertus apaisantes. Le gris représente l’immobilité, il n’a pas de mouvement. Plus le gris devient foncé, plus les qualités du noir l’emporte, plus l’étouffement gagne en importance. Quand on ajoute du blanc, il s’aère,

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donne une possibilité de respirer dans la couleur. C’est une couleur voisine du vert, en valeur morale. Le vert contient des forces paralysées qui peuvent redevenir actives, la possibilité «vivante» du vert manque au gris (le blanc et le noir ne possède aucune force purement active). Le rouge est une couleur sans frontière, typiquement chaude, vivante, vive, agitée, qui a la différence du jaune excentrique, donne l’effet d’une force immense. Malgré tous les modifications, altercations, transformations qu’elle peut subir, cette couleur a la propriété de conserver à peu près son ton fondamental bien qu’elle puisse paraître en même temps chaude et froide. Le rouge clair (saturne) a une certaine analogie avec le jaune moyen, donne une impression de force d’énergie, de fougue, de joie, de triomphe. Musicalement, cette couleur serait comparable au son des fanfares, des tubas, dont le son est fort et obstiné. Le rouge moyen (cinabre) gagne en sensibilité et en permanence. C’est une couleur forte et sûre d’elle même, qui n’est pas aisée de recouvrir, mais qui se laisse éteindre par le bleu. Elle ne supporte pas de couleur froide, ou plutôt si elle est refroidie, elle produit un ton que les peintres qualifient de sale. Comparés au jaune, ces deux rouges ont un caractère analogue, avec une bien moindre tendance à aller vers l’homme. Le rouge brûle en soi-même, manquant de caractère extravagant du jaune. Il est plus apprécié que le jaune. Il est actif, bien qu’il ne tende pas non plus vers la profondeur. Pour obtenir un rouge chaud, on lui ajoute du jaune. Sa couleur tend vers l’oranger. Le mouvement du rouge originel devient un mouvement d’irradiation et d’expansion sur l’entourage (par le jaune), et le rouge ajoute une note de sérieux. Le orange donne une impression de santé. C’est un rapprochement du rouge vers l’homme, par le jaune. Le rouge attire et irrite le regard, il est excitant et peut avoir un effet tonifiant, excitant sur le cœur. Selon Pastoureau, c’est une couleur orgueilleuse, assoiffée de pouvoir, qui veut se faire voir, qui est imposante. Elle porte en elle les symboliques de violence, fureur, couleur de crime et pêché. Mais surtout, elle porte en elle le mot couleur (dans le système chromatique de l’antiquité, le blanc était l’équivalent de l’incolore, le noir représentait le sale, et le rouge, la couleur) peut être par le fait qu’elle est peu présente dans l’environnement. Le rouge renvoie au feu et au sang. Ce sont les attributs de pouvoir, de religion et de guerre. C’est la vie (feu) et la mort (sang). C’est aussi la faute et l’interdit, la puissance et l’amour. Pour Goethe, c’est une couleur qui contient toutes les autres. C’est l’intensification du jaune et du bleu qui, poussée à l’extrême, devient rouge. C’est l’union des pôles intensifiés, qui apparaît par la fusion de deux pôles opposés préparés à se réunir, et qui provoque une satisfaction idéale. C’est le phénomène coloré le plus élevé de tous. Il donne une impression de gravité et de dignité lorsqu’elle est concentrée et sombre ; une impression de bienveillance et de grâce., lorsqu’elle est claire et diluée. Le brun est un approfondissement du rouge par le noir, une couleur dure, peu mobile, dans laquelle le rouge sonne comme un bouillonnement à peine audible. De son extérieur faible, il engendre un intérieur puissant. Il représente la modération, par sa beauté intérieure indescriptible. Goethe distingue deux couleurs orange : le «jaune-rouge»; en épaississant et assombrissant le jaune, intensifiant et l’élevant vers le rouge, elle augmente en énergie, il apparaît plus puissant et plus magnifique. Le degré supérieur du rouge vers le jaune donne un sentiment de chaleur et de délice, semblable au reflet doux du soleil couchant. Il est agréable dans le décor. Le «rouge-jaune» est une intensification du rouge par le jaune, qui s’aiguise jusqu’à une impression insupportable de violence. C’est une couleur qu’utilise les personnes «vigoureuses» notamment les enfants. Une surface «rouge-jaune» provoque un ébranlement, même dans un milieu obscur. Elle inquiète et irrite les animaux, parfois même l’homme. Le violet est un recul du rouge par le bleu, un rouge refroidi au sens physique et psychique, qui a quelque chose de maladif et d’éteint. Musicalement, il a une vibration sourde semblable au cor

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anglais. Le «bleu-rouge» correspond à un bleu intensifié par le rouge, c’est un charme de toute autre nature que le «jaune-rouge», il anime moins qu’il n’inquiète. La couleur très diluée sera le mauve, qui a quelque chose de vif sans être gai. Le «rouge-bleu» provoque inquiétude qui augmente quand l’intensification progresse, il parait insupportable dans un espace intérieur. Il peut être utilisé avec parcimonie, lorsqu’il est très dilué et clair, il produit une irritation particulière. Le orange et le violet sont d’un équilibre précaire, qui ont tendance à perdre leur équilibre au cours du mélange. Ils veulent tendre respectivement vers le jaune ou le rouge, et vers le bleu ou le rouge. Ce sont des couleurs instables, comme le vert. D’un point de vue physique, elles entretiennent un rapport de couleurs complémentaires, et forment un contraste efficace. Chaque couleur peut être approfondie lorsqu’elle est en contact avec une autre. Son caractère s’en trouve sensiblement modifié. Face à une couleur isolée, l’oeil distingue la chaleur et la froideur du ton coloré, la clarté et l’obscurité. Il y a donc quatre sonorités pour chaque couleur. La chaleur et la froideur sont les tendances de la couleur à aller vers le jaune ou le bleu. Le mouvement est plutôt horizontal, le chaud (le jaune) se rapprochant vers le spectateur, le froid (le bleu) s’en éloignant. L’homme est transpercé dans le premier cas, et s’enfonce et plonge dans le deuxième. La clarté ou l’obscurité d’une couleur est due à la quantité de blanc ou de noir qu’elle possède. C’est la tendance de la couleur à être claire ou foncée. On distingue également un mouvement qui va vers le spectateur ou s’en éloigne, mais il y a moins de dynamique que dans le premier cas. L’impression est plus statique. L’effet concentrique du bleu, et excentrique du jaune, est accentué par la variation du clair/foncé : l’effet du jaune augmente lorsqu’on l’éclaircit, de même pour le bleu, par l’adjonction de noir. Lorsque l’oeil aperçoit la couleur isolée, il entre en activité, et tend à reconstituer la totalité du cercle chromatique. Pour se satisfaire lui même, il cherche à coté de l’espace coloré, un espace incolore afin de produire sur celui-ci la couleur exigée. En effet, les couleurs s’appellent l’une à l autre : jaune appelle sa couleur complémentaire, le violet, le bleu appelle l’orange, le rouge appelle le vert. Le besoin de totalité des couleurs visible est un sentiment inné de notre organe oeil. L’oeil cherche à recomposer l’opposé de la couleur qui l’avait contraint, et récréé une totalité qui le satisfait. Lorsque la totalité des couleurs est offerte à l’oeil, il s’en réjouit.

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Bibliographie Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Kandinsky Folio Essais 2012 Fonctions de la peinture, F. Léger Éditions Gonthier 1965 Traité de la couleur, J.W. Goethe Éditions Triades Le petit livre des couleurs, Pastoureau Éditions du Panama 2005 Le Corbusier Polychromie architecturale, Arthur Rüegg Éditions Birkhauser 1997 De la forme au lieu + de la tectonique, une introduction à l’étude d’architecture, Pierre Von Meiss Presses polytechiques et universitaires romandes 3ème édition 2012 L’interaction des couleurs, Joseph Albers Bibliothèque Hazan 2013 Apprendre à voir l’architecture, Bruno Zevi Les éditions de minuit Vivre haut, Henri Ciriani, Laurent Beaudoin Archibooks + Sautereau Éditeur 2011 Transparence réelle et virtuelle, Colin Rowe, Robert Slutzky Les éditions du demi-cercle 1992 Architecture : form, space, and order, Francis Ching Van Nostrand Reinhold New York 1979 Filmographie : Le monde des couleurs, la vision des couleurs, Olivier Lassu, Arte France GEDEON PROGRAMMES, Electric pictures, Film finance corporation Australia 2008 N.B : L’ensemble des documents graphiques présenté est personnel, exceptés p.43, Cézanne, La montagne Sainte-Victoire vue depuis Bellevue p.59, www.jacquesripault.com p. 78, 79, 81, www.beaudouin-architectes.fr

Remerciements Le directeur de mémoire : Alain Dervieux Les enseignants du séminaire AFA : Jean-Paul Midant, Dominique Hernandez, Philippe Villien Monsieur Laurent Beaudouin, Architecte D.P.L.G et professeur à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy Monsieur Lorenzo Piqueras, Architecte D.P.L.G et professeur à l’École Nationale Spérieure d’Architecture de ParisBelleville Monsieur Étienne Malpart

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