Brochure la tribu 02 - 2002-2003

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Parlez-nous de vous

Michèle Clotilde nseigner dans le

E Nord-Pas-de-

Calais, pour moi, est une longue histoire que je pourrais écrire. Je me revois en Guyane « jouer à la maîtresse à l’âge de 4 ans, me faire des sous pendant les vacances à occuper les enfants du quartier en dictée et calcul à l’adolescence et décider de faire des études de psychologie pour former les enseignants à organiser leurs enseignements en respectant la personnalité des élèves ». Je n’ai jamais pensé que j’enseignerais en France, ayant fait mes études pour servir dans les pays où la demande est forte (élèves et étudiants de pays sous – développes avec lesquels j’ai des similitudes de couleur, d’histoire, de culture). C’est vrai que c’est plus facile d’enseigner à qui on ressemble. Mais ce n’est pas l’enseignant qui décide à qui il ressemble, ce sont les autres qui le regardent et qui décident pour lui. J’aurais pu quitter cette région et cette population dont la majorité à l’époque, n’était guère accueillante. Non, du moins, les gens de ma référence socio-professionnelle n’étaient pas ceux qui me faisaient le meilleur accueil. Je me souviens avoir écrit, alors, à un haut responsable de mon administration, vu tous les problèmes que je vivais dans l’établissement où j’exerçais : « Mettez – moi là où on a l’habitude de voir les gens comme moi : femme de ménage à un étage, ou dans une guérite à l’entrée d’un parking ». Quinze jours après, j’ai eu la visite d’un inspecteur. Je suis restée dans la région par entêtement ! J’ai essayé de comprendre ! De toute façon, seule et mère de 8 enfants, je ne devais pas baisser les bras. La seule référence africaine, noire, culturelle de mes enfants, c’était moi. Et être faible, subir, fuir, c’était leur faire intérioriser l’incompétence du noir par rapport au blanc décideur, les éduquer à accepter l’infériorité.

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Eduquée dans la lutte et le respect des droits de tout homme quelle que soit sa couleur et sa condition sociale, j’ai toujours su classer mes interlocuteurs européens entre Humain et Animal à quatre pattes. Aujourd’hui, j’enseigne avec ma philosophie afro-caribéenne et africaine la philosophie occidentale que j’apprends en même temps que mes élèves. Et j’enseigne à l’Université la psychologie que je connais en vue de l’appliquer à des réalités locales qui sont bien proches des réalités des pays sous-développés. Les problèmes que je vis sont partagés par beaucoup d’autres. Je sais qu’en éliminant certains de mes principes, je gagnerais vite et beaucoup, mais je sais que je perdrais beaucoup de ma liberté de paroles et d’actions. Les difficultés que je ressens dans mon travail ont trait à des questions de gestion du temps et des activités. J’aurais aimé bénéficier de temps pour faire bien, pour faire mieux. Autre difficulté à signaler aux jeunes, en France, on ne considère que l’activité visible du travail et de la renommée sociale, le pouvoir de l’image. C’est ce qui expliquerait qu’une personne en présence de ses supérieurs parle beaucoup, bouge beaucoup pour être jugée positivement en fonction de ses « mostrations ». Si vous avez été éduqué dans la modestie et l’humilité, vous avez intérêt à travailler aux USA, sinon à laisser faire le temps comme en Afrique, en gardant les principes qui garantissent votre intégrité morale et surtout votre dignité. Michèle Clotilde est l’heureuse maman d’une jeune femme, pleine de talent, Mariocta Dengbana Clotilde, une grande voix du blues et du gospel, à Lille, que « LA TRIBU » vous a présentée, dans son premier numéro de 2001-2002.


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