Temps et espace : chronologie d’une vie, ordonnance d’une œuvre COURS 2 (7/10) Choix de l’édition Saba : Première Partie (1621) dans l’édition recomposée par Théophile, (1623), Seconde composée par lui au seuil de la tourmente (1623) et Troisième forgée pendant l’emprisonnement et à partir des pièces pour l’essentiel publiées en plaquette depuis cet emprisonnement. Ce choix suppose une double optique : — celle, historique, de la chronologie biographique recomposée et ordonnée par une intention esthétique ; — celle, pratique, de l’expurgation des recueils, n’y laissant subsister que les pièces en vers tenues seules et toutes pour « poésies ». Choix sans anachronisme, car l’assimilation entre vers et poésie constitue un postulat contemporain de l’époque de la création de ces pièces ; mais l’exclusion des pièces volantes non recueillies reflète un désir ici encore de sélection et d’ordonnancement par le créateur lui-même en fonction de critères de nécessité ou de goût. —> Le mode d’appréhension de l’œuvre de Théophile choisi pour le concours est celui qui la constitue en reflet jalonné mais recomposé d’une expérience et d’une carrière, tout comme la création poétique de Théophile, constitue un exercice de (re)composition de son intelligence des choses et de ses visées personnelles et sociales. Non que l’écriture « reflète » naïvement la vie, mais elle porte témoignage, comme une archive historique, de la courbe d’une existence pour la part en tout cas qui en est à la fois rapportée et construite (à égale proportion) au compas de cette formulation normée qu’on nomme « écriture poétique ». Cette prise détermine une superposition de temporalités et un jeu de réciprocité et d’interconnexion entre une écriture de la destinée et une destinée de l’écriture que précipite le phénomène du recueil, avant que ne le cristallise celui des « œuvres complètes », lançant le processus évolutif de la réception (fortune et infortune littéraire de Théophile), jusqu’au seuil de ce programme de concours même. Les recueils en vagues objectivent ainsi un entremêlement impur de la biographie anecdotique et de l’invention littéraire qui travaillent l’un à l’égard de l’autre en réciprocité. C’est sur ce fond que se dessine la courbe évolutive vers un investissement progressif de la singularité événementielle de la « personne-Théophile » à partir de l’ostentation originelle d’un « personnage-Théophile » de convention, badin, lugubre ou paré : les enjeux vitaux liés à l’effet attendu de la production écrite des dernières années et réverbérés par l’écriture circonstancielle des mois de procédure et d’emprisonnement métamorphosent ainsi progressivement et intrinsèquement le métier poétique du premier et du second recueil en outil d’expression et d’impression forgé dans l’urgence et par la nécessité de l’effet social et moral de ces textes : le chant paré se transforme alors en plainte, aux deux sens du terme (judiciaire et affectif). Sans que bien sûr ni la facture des œuvres ni leur valeur esthétique soit surdéterminée par ces origines soupçonnables ou ostensiblement objectives. Il y a là modification, peut-être évolution, mais cela n’engage pas l’idée d’un progrès ni d’une valeur, non plus que les critères d’une évaluation. Il y a là des faits nécessaires à l’appréhension de l’œuvre, mais insuffisants à son analyse.