La tamtumt (levain) : usages et valeurs chez les habitants d’Adrar (Béni-Snassen)

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La tamtumt (levain) : usages et valeurs chez les habitants d’Adrar (Béni-Snassen)1

Abdelkader Bezzazi, Université d’Oujda (Maroc)

Il arrive que certaines expressions ne nous interpellent que lorsqu’elles surgissent de manière inattendue pour nous rappeler la force magique de la langue maternelle. Par leurs charges sémantiques, surtout quand celles-ci sont presque perdues de vue, elles contribuent largement, à la reconstitution de certaines représentations culturelles berbères. Les démarches comparatives entre les différents résultats des recherches dans ce domaine, peuvent enrichir le débat. Si ce numéro de la Revue Awal est consacré à l’alimentation, le titre que nous proposons pour ces notes semble tout indiqué pour interroger cette matière qui est le levain (la tamtumt) qui fait immédiatement penser au pain dont les différentes valeurs culturelles n’ont pas besoin d’être soulignées. Il ne s’agira pas de parler de cela ; ces quelques notes ne seront pas consacrées à l’alimentation chez les Béni-Snassen car, bien moins ambitieuses, elles interrogeront, de manière presque naïve, une expérience de recherche de terrain dont le contexte est dû au hasard : que signifie ce mot tamtumt (tamtunt, amtun), lorsqu’il désigne autre chose que ce sens littéral traduisible par « levain » ? Tamtumt (tamtunt), dit aussi amtun dans le Nord du Rif, relève de l’univers des femmes. Sa préparation est toute simple : il faut mettre de côté un peu de pâte et le laisser fermenter dans un récipient ; on peut aussi préparer tamtumt à l’aide d’un peu de petit lait mélangé avec de la farine, qu’on fait bouillir le temps que le tout prenne, on laisse le tout refroidir et on le mélange avec la farine à pétrir pour faire lever la pâte. On dira, dans ce cas, telle femme a élevé le levain (Fadhma trebba tamtumt). Les extensions de tamtumt s’appliquent à des usages comme celui-ci : ad ifiyeD Rebbi tamtumt n-k : Que Dieu fasse déborder ton levain = Que Dieu fasse accroître tes richesses. Il n’est pas étonnant que la richesse soit, ici, liée au pain comme base de la nourriture et, aussi, comme signe de richesse. La richesse désignée par le pain, est liée à la générosité (offrir et partager son pain). On dira ainsi : aryaz u d bab n uGrum (cet homme est généreux, accueillant, hospitalier). L’hospitalité, l’accueil, etc., sont liés à l’abondance du pain. Cette abondance est de l’ordre de la prédisposition à partager le pain. A propos d’une femme, l’on dira tamGart u d lal n uGrum : cette femme sait faire du pain à n’importe quel moment, surtout lorsque quelqu’un arrive à la maison à une heure tardive. Autrefois… Chez les habitants du massif des Béni-Snassen, notamment à Adrar (au nord-ouest d’Oujda, à environ 40 km), la consommation du pain sans levain (aGrum raxSas) était courante, alors 1

Paru, d’abord, dans la Revue Passerelles. Peuples, identités et langues berbères Tamazight face à son avenir, N° 24, cet article a été corrigé et revu.


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