Galerie Canesso - Une sélection de tableaux italiens et flamands du XVIe au XVIIIe siècle

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Une sélection de tableaux italiens et flamands du xvie au xviiie siècle

galerie canesso



Une sÊlection de tableaux italiens et flamands du xvie au xviiie siècle

galerie canesso


Nous tenons à remercier chaleureusement celles et ceux qui nous ont aidés : Pascal Aumasson, Daniele Benati, Anne Camuset, Corentin Dury, Marina Gerra, Cecilia Magnani, Gilles Matthieu, Marco Riccòmini, Yohan Rimaud, Marco Tanzi.

Auteurs Véronique Damian (V.D.) Alberto Crispo (A.C.)


sommaire

4

Giovanni Battista Della Cerva

Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean

8

Giovanni Andrea Donducci, dit Il Mastelletta

Fête champêtre sur la rive d’un fleuve

12

Gioacchino ASSERETO

Joas sauvé de la persécution d’Athalie

16

Wallerant Vaillant

Autoportrait au turban

20

Giacomo Liegi (ou Legi)

Le Garde-manger

24

Giuseppe Maria Crespi

Portrait de Domenico Casati dit le bossu, charcutier de la rue Clavature [Bologne]

28

Giovanni Battista Beinaschi

Saint Paul

30

pompeo batoni

Bacchus Cérès

34

Giorgio GIACOBONI

Pêcheur vidant une nacelle


Giovanni Battista Della Cerva novare, c. 1515  milan, 1580

Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean huile sur panneau, 72,5  × 55,5 cm

provenance Londres, collection Lady Lindsay ; exposé aux Leger Galleries vers 1940-1950 ; Christie’s, Londres, 11 décembre 1987, lot 113 (Bernardino Lanino) ; Londres, Helikon Gallery ; collection particulière.

bibliographie Véronique Damian, Deux caravagesques lombards à Rome et quelques récentes acquisitions, Paris, Galerie Canesso, 2001, p. 28-29 (Bernardino Lanino) ; Filippo Maria Ferro, in Il Cinquecento Lombardo. Da Leonardo a Caravaggio, cat. exp., Milan, Palazzo Reale, 4 octobre 2000 - 25 février 2001, p. 422-423, no VIII.15 (Bernardino Lanino).

exposition Il Cinquecento Lombardo. Da Leonardo a Caravaggio, cat. exp., Milan, Palazzo Reale, 4 octobre 2000 - 25 février 2001, p. 422-423, no VIII.15.

du point de vue du style, si le tableau trahit l’influence de Gaudenzio Ferrari, il reflète la culture figurative milanaise de la première moitié du xvie siècle – en premier lieu, l’influence encore perceptible de Léonard – qui appartiennent en propre à Giovanni Battista Della Cerva1. Selon une indication trouvée à la photothèque de la Fondazione Federico Zeri de l’université de Bologne, le panneau avait appartenu à Lady Lindsay à Londres et il est ensuite passé, dans les années 1945, aux Leger Galleries2. Originaire de Novare, Giovanni Battista Della Cerva est l’un des protagonistes de la scène figurative du chef-lieu lombard de la fin des années 1530. Il apparaît documenté pour la première fois (le 12 septembre 1537) en étroite collaboration avec Gaudenzio Ferrari, se signalant « au moins à partir de ce moment, comme le principal assistant et collaborateur de Gaudenzio » (Di Lorenzo) en particulier, lors de ces prestigieuses commandes sacrées qui représentent les plus importantes réalisations artistiques à Milan, après la disparition de Bramantino et de Bernardino Luini. La main de Giovanni Battista Della Cerva a, en effet, été correctement identifiée – sur des bases stylistiques et documentaires, qui représentent les acquisitions les plus récentes et capitales sur l’artiste – dans une série d’œuvres : de la Cène de Santa Maria della Passione à Milan (1544) – pour citer l’exemple le plus spectaculaire et le plus célèbre – au polyptique de l’Assomption de Santa Maria di Piazza à Busto Arsizio, (1541) où Della Cerva exécute les fresques pour la chapelle majeure ; mais aussi, probablement, le Baptême du Christ de l’église de Santa Maria presso San Celso ou le Saint Jérôme avec un donateur de San Giorgio al Palazzo, tous deux à Milan3. Après la mort de Gaudenzio, en 1546, Della Cerva hérite de son atelier dont le principal projet du moment est la décoration à fresque de l’autel de l’oratoire dédié à Sainte Catherine (San Nazaro in Brolo à Milan) exécutée en 1548-1549, cette fois en collaboration avec le peintre de Vercelli, Bernardino Lanino, et représentant les Histoires de la vie de Sainte Catherine d’Alexandrie4. Cette association entre les deux peintres piémontais se révèle aussi d’une très grande utilité pour attribuer correctement notre


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tableau, qui avait eu l’honneur par le passé, d’être donné à Lanino lui-même et qui avait été exposé comme tel lors de l’exposition sur le Cinquecento lombardo au Palazzo Reale de Milan (2000)5. L’avancée des recherches sur Lanino allant de paire avec les progrès critiques sur Della Cerva, permet à présent de préciser la question et de situer de façon vraisemblable – pour ne pas dire certaine – le tableau dans l’œuvre de Giovanni Battista. Comme l’a justement signalé Filippo Maria Ferro, en gardant cependant l’attribution à Lanino, « le sujet ainsi que le modèle semblent présupposer un original de Gaudenzio qui, à son tour, pour l’iconographie, pourrait renvoyer à un prototype de Cesare da Sesto, et atteste une tendance de l’atelier de Gaudenzio à réfléchir sur les suggestions de Léonard ». Ferro cite parmi les élaborations de ce modèle, la Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean (autrefois dans la collection Vittadini de Arcore), un panneau que Giovanni Romano considérait comme fruit de la collaboration entre Gaudenzio Ferrari et Giovanni Battista Della Cerva6. Il nous reste encore à décrypter les inscriptions sur le bord du manteau de la Vierge, qui représentent une série de lettres entrelacées difficilement lisibles. Au delà des références génériques avec une grande partie de la production connue de Della Cerva (qui, ne l’oublions pas, a été aussi le maître de Giovanni Paolo Lomazzo, comme il le rappelle dans ses Grotteschi de 1587), cette Vierge met clairement en évidence des analogies avec les fresques de San Nazaro, évoqués précédemment, ainsi qu’avec deux de ses tableaux sur panneau, l’Adoration de l’Enfant avec saint Jérôme autrefois dans la collection du cardinal Cesare Monti, aujourd’hui à la Pinacoteca di Brera, et le Christ apparaissant à Sainte Dorothée de collection privée7. Notre œuvre partage avec le tableau de Brera en particulier, le type physique de la Vierge, qui présente des signes morphologiques et morelliens incontestables, de même que la description des vêtements et du voile. Alors qu’avec le Christ ressuscité – tableau extrêmement intéressant pour définir plus clairement l’évolution du langage de l’artiste –, les affinités sont encore plus significatives. Pour la chronologie, je crois de même que le panneau en examen ne doit pas s’éloigner beaucoup des deux œuvres dont nous venons de parler et que la critique situe, dans l’activité de Della Cerva, à un moment particulièrement proche de la production de Gaudenzio. Si l’on suit cette hypothèse,

1. Sur ce peintre, voir la notice de R. Sacchi, in Dizionario biografico degli italiani, 36, Rome, 1988, p. 730-733 ; avec les mises à jour de A. Di Lorenzo, « Gaudenzio Ferrari e la sua scuola a Milano », in Pittura a Milano. Rinascimento e Manierismo, M. Gregori (dir.), Cinisello Balsamo, 1998, p. 36-44, 254-258. 2. Fondazione Federico Zeri, Università di Bologna, Photothèque, fiche no 23801. Pour le passage aux Leger Galleries, voir The Connoisseur, janvier 1952, p. 148. 3. Ibidem, pl. 80 ; je renvoie à cette contribution pour le réexamen des autres œuvres exécutées par l’artiste de

Novare en collaboration avec Gaudenzio Ferrari ; voir également P. C. Marani, in Pittura tra Ticino e Olona. Varese e la Lombardia nordoccidentale, M. Gregori (dir.), Cinisello Balsamo, 1992, p. 254-255, pl. 75. 4. Sur cette œuvre, je renvoie à l’analyse de Di Lorenzo, op. cit., p. 256-258, pl. 81. 5. F. M. Ferro, in Il Cinquecento lombardo. Da Leonardo a Caravaggio, F. Caroli (dir.), cat. exp., Milan, 2000, p. 422, no VIII. 15. 6. Ibidem, p. 422 : « Il tema e anche il modello sembrano presupporre un originale di Gaudenzio, a sua volta collegabile forse da un punto di vista iconografico ad un prototipo di Cesare da Sesto,

ed attestano una tendenza ben leggibile all’interno della bottega di Gaudenzio a riflettere sulle indicazioni leonardesche » ; « la tavola rappresenta, in tale ambito di ricerca, un esempio di assoluto rilievo, per la qualità pittorica e l’eccezionale stato di conservazione » ; voir G. Romano, « Gerolamo Giovenone, Gaudenzio Ferrari e gli inizi di Bernardino Lanino. Testimonianze d’archivio e documenti figurativi », in Bernardino Lanino e il Cinquecento a Vercelli, G. Romano (dir.), Turin, 1986, p. 44, note 41 : selon le spécialiste, l’exemplaire de Gaudenzio Ferrari, autrefois à Arcore, s’inspire d’un

prototype perdu de Cesare da Sesto, apparemment connu à Vercelli. 7. Sur le panneau de Brera, il existe différentes fiches récentes : F. M. Ferro, in Pinacoteca di Brera. Scuole lombarda, ligure e piemontese 1525-1796, Milan, 1989, p. 44-45 ; P. C. Marani, in Le stanze del Cardinale Monti 1635-1650. La collezione ricomposta, cat. exp., Milan, 1994, p. 140-141 ; M. Carminati, in Quadreria dell’Arcivescovado, Milan, 1999, p. 155-156, avec bibliographie précédente. Pour le deuxième tableau, voir A. Di Lorenzo, op. cit., p. 255, fig. B.


la datation pourrait se situer avant 1546, année de la mort de son maître. Le dossier Lanino de la photothèque Zeri liste un certain nombre de répliques (Berlin, vente Lepke, 5 mars 1907 ; Stuttgart, collection Lucki, données à Bernardino De Conti ; localisation inconnue ; Paris, collection d’Atri, puis Sotheby’s, Londres, 5 mai 1958, lot 5). En outre, une autre version, avec la variante du saint Jean Baptiste qui se tourne vers le spectateur, est passée dans une vente milanaise de Sotheby’s, du 29 mai 2007, lot 165. En conclusion, soulignons la beauté de cette Vierge – le rendu doux et spirituel des visages, la minutieuse calligraphie utilisée pour dessiner le voile et les cheveux, la maîtrise habile et contrôlée des tons de la palette – qui en font un témoignage important de la culture figurative milanaise des années quarante du xvie siècle.


Giovanni Andrea Donducci, dit Il Mastelletta bologne, 1575  1655

Fête champêtre sur la rive d’un fleuve huile sur toile, 99  × 120,5 cm provenance Vente Cornette de Saint-Cyr, Paris, Drouot, 19 avril 1991, no 9 ; Hazlitt, Gooden & Fox, Londres ; Bologne, collection particulière.

bibliographie Éric Moinet, dans Italies, Peintures des musées de la région Centre, cat. exp., Tours, musée des Beaux-Arts ; Orléans, musée des Beaux-Arts ; Chartres, musée des Beaux-Arts ; 23 novembre 1996 - 3 mars 1997, p. 168, sous le no 43, note 2 et ill. (qui reproduit notre tableau au lieu de celui autrefois dans la collection Zeri à Mentana ; voir note 5) ; Véronique Damian, Deux tableaux de la collection Sannesi, Tableaux des écoles émilienne et lombarde, Paris, Galerie Canesso, 2006, p. 40-45.

exposition Londres, Hazlitt, Gooden & Fox, Italian Paintings, janvier-février 1992, no 2.

bien que mastelletta soit un artiste appartenant déjà au xviie siècle par la période à laquelle il vécut, il est fortement rattaché au xvie par ses sources d’inspiration. Sa peinture a puisé au maniérisme, parmi les peintres au style des plus atypiques de Nicolò dell’Abate (1509 ou 1512-1571) à Jacopo Zanguidi, dit Bertoja (1544-1574). Son œuvre est un des derniers prolongements de ce « maniérisme européen », qu’il revisite pour en exploiter une veine visionnaire qui en fait une personnalité à part, en particulier dans le genre du paysage bolonais au tout début du xviie siècle. Ses grandes fêtes champêtres all’aperto, qui mêlent paysage et silhouettes aux formes allongées, souvent autour d’une table chargée de victuailles, au dessin simplifié dans un but expressionniste, ont fait sa renommée et son originalité. Cette trouvaille artistique a toujours laissé la critique perplexe quant à la véritable signification de ces sujets entourés de mystères. Doit-on voir là un thème tiré de l’Ancien Testament ou, plus simplement, le rattacher au contexte contemporain ? Nous pencherions pour la seconde interprétation, tout particulièrement en ce qui concerne notre tableau. Il nous semble le reflet de la vie des nobles de la seconde moitié du xvie siècle, qui donnaient, dans leurs villas à la campagne, des fêtes somptueuses dont les chroniques bolonaises de l’époque se faisaient l’écho1. À la tombée de la nuit, comme le laisse penser le ciel brun sombre et les fortes zones d’ombre qui parcourent le tableau, de nobles personnages chapeautés, certains juchés sur des chevaux, se retrouvent sur les berges d’un fleuve autour d’une immense partie de pêche. À la surface de l’eau, on distingue très nettement les flotteurs des filets, entre lesquels circulent des barques chargées de personnes qui traversent le cours d’eau pour se rendre sur l’autre rive. On y joue aussi de la musique. Au premier plan, un pêcheur a extrait du seau posé parmi les joncs un long poisson qu’il paraît offrir ou présenter à une jeune élégante. À l’arrière-plan, des silhouettes s’agitent autour d’un chaudron, ustensile apporté à la fête à dos d’âne. Mastelletta a retenu de Nicolò la facture franche et libre qui l’a libéré du côté linéaire des formes maniéristes. L’artiste donne vie à une tout autre conception de la forme, qui, sous son pinceau, devient évanescente, onirique, à peine enrichie de quelques couleurs rouges, jaunes et roses aux effets précieux.


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Notre composition semble avoir eu un pendant en la composition aujourd’hui au musée des Beaux-Arts d’Orléans (fig. 1), comme le laisse penser leur commune apparition en France, en salle des ventes à Drouot, bien que cela se soit produit à des dates très différentes2. De plus, à deux centimètres près, les tableaux ont les mêmes dimensions. Anna Coliva date la version d’Orléans très tôt, vers 1610-1611, datation qu’il convient de prendre en compte aussi pour notre toile, alors même que l’artiste est à Rome et qu’il connaît un réel succès « a far questi suoi paesi con si galanti e spiritose figurine », comme Fig.1 — Il Mastelletta, Festin champêtre, Orléans, musée des Beaux-Arts. en témoigne Malvasia 3. Car c’est bien là que résident le mystère et la force de ces paysages, tellement nouveaux par rapport aux précédents directs des Carrache – songeons à Partie de pêche et Partie de chasse du musée du Louvre, d’Annibal Carrache (1560-1609). Si l’on en croit Malvasia, c’est Annibal lui-même qui l’encouragea à suivre cette voie du paysage, et avec juste raison : en effet, toujours selon le biographe, toutes les grandes familles se concurrençaient alors pour obtenir un tableau de sa main4. Ceci pourrait expliquer pourquoi la version d’Orléans est connue en plusieurs exemplaires, de qualité inégale5. Rappelons que Mastelletta s’est formé à l’école des Carrache, où il avait pour ami Guido Reni (1575-1642), son exact contemporain, mais qu’il choisit de s’exprimer d’une manière toute personnelle en opérant une synthèse dans le domaine du paysage entre Nicolò dell’Abate, Dosso Dossi (v. 1489-1542), Bertoja et le paysage classique bolonais développé par Annibale Carrache, Dominiquin (1581-1641), l’Albane (1578-1660). Malvasia a noté son caractère « bizarre », qui le poussa à finir sa vie dans une réclusion d’origine dépressive, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Cependant, comme l’a souligné Wittkower, il est difficile de voir un lien de cause à effet entre l’état de santé de l’artiste et une composition aussi festive et novatrice que la nôtre par exemple6. v.d.

1. Une collection récente, éditée par la Fondazione del Monte di Bologna e Ravenna, publie ces chroniqueurs bolonais. Citons le vol. 7 qui publie les chroniques de Giovanni Battista Marescalchi, Cronaca 1561-1573, sous la direction de Ilaria Francica, introduction Armando Antonelli et Riccardo Pedrini, Bologne, 2002, p. 33-34 (en particulier la description de la fête du 24 août 1565). 2. Le tableau d’Orléans (98 × 118 cm) est apparu

à Drouot à une date indéterminée et, dans tous les cas, avant 1962, date à laquelle on le retrouve sur le marché de l’art à La Haye. Il a été acheté à Londres en 1964 par le musée d’Orléans. 3. Carlo Cesare Malvasia, Felsina Pittrice. Vite de’ pittori bolognesi (1678), 2 vol., éd. Giampietro Zanotti, Bologne, 1841 (éd. 2004), vol. 2, p. 69. 4. Malvasia, ibidem, p. 69 : « […] cominciarono a fare a gara quei Principi per ottenerne [i suoi paesaggi],

facendosi sin copiare da lui talora gli stessi siti e le precise figure; il perché tanti se ne vedono in quelle Gallerie […] » 5. Anna Coliva, Il Mastelletta. Giovanni Andrea Donducci 1575-1655, Rome, 1980, p. 95-96, nos et figs 12, 13 (Orléans, musée des BeauxArts ; Rome, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Palazzo Barberini). Une autre version, autrefois à Mentana, dans la collection Zeri est apparue plus tardivement (voir Arte Emiliana dalle

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raccolte storiche al nuovo collezionismo, sous la direction de G. Manni, E. Negro, M. Pirondini, F. Zeri, 1989, p. 70-71). La réplique du tableau d’Orléans a un pendant qui réplique notre composition (no 44a); ces deux tableaux ont été mis en vente à la Finarte à Rome le 21 mai 1996, no 135. 6. R. et M. Wittkower, Born under Saturn, Londres, 1963.


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Gioacchino ASSERETO gnes, 1600  1650

Joas sauvé de la persécution d’Athalie huile sur toile, 147,5 × 195,5  sign « axeret » en bas, au centre ₍ ct de la couronne₎ provenance En 1971, Turin, collection particulière ; dans les années 1980, Gênes, collection Aldo Zerbone.

bibliographie Hélène Mazur-Contamine, « A proposito di una cosidetta scena biblica dell’Assereto », in Bollettino dei Musei Civici Genovesi, IV, no 10-12, janvier-décembre 1982, p. 28, note (Scuola dell’Assereto) ; Lilli Ghio Vallarino, in Genova nell’Età Barocca, cat exp., Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola – Galleria di Palazzo Reale, 2 mai - 26 juillet 1992, p. 92-94, no 6 (Assereto); Gian Vittorio Castelnovi, « La pittura nella prima metà del Seicento dall’Ansaldo a Orazio de Ferrari », in La Pittura a Genova e in Liguria, 2 vol., Gênes, 1998, 3e éd., II, p. 134 [1971, 1ère éd., p. 157 ; 1987, 2e éd. rev. et augm. par Franco Boggero et Farida Simonetti, p. 134], (attribué à Assereto) ; Gelsomina Spione, in La Pinacoteca dei Cappuccini di Voltaggio, Fulvio Cervini-Carlenrica Spantigati (dir.), Alessandria, 2001, p. 107 (Assereto) ; Gelsomina Spione, in Le chiavi del Paradiso. I tesori dei Cappuccini della provincia di Genova, cat. exp., Milan, Museo dei Beni Culturali Cappuccini, 28 mars - 28 juillet 2003, p. 106 (Assereto) ; Camillo Manzitti, Valerio Castello, Turin, 2004, p. 103, fig. 481 ; éd. 2008, p. 103, fig. 481 (Assereto) ; Anna Orlando, in Dipinti genovesi dal Cinquecento al Settecento, Collezione Koelliker, Anna Orlando (dir.), Turin, 2006, p. 76, fig. 1 ; Tiziana Zennaro, Gioacchino Assereto e i pittori della sua scuola, 2 vol., Soncino, 2011, I, p. 178, ill. CIII, 445-446, no A141.

exposition Genova nell’Età Barocca, Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola – Galleria di Palazzo Reale, 2 mai - 26 juillet 1992, no 6.

le pinceau fivreux et expressif de Gioac­chino Assereto réussit à faire vibrer cette scène inspirée d’un passage significatif de l’histoire du règne d’Athalie (2nd Livre des rois, 11, 1-3) : « Lorsque la mère d’Ochozias, Athalie, eut appris que son fils était mort, elle entreprit d’exterminer toute la descendance royale. Mais Yehoshéba, fille du roi Joram et sœur d’Ochozias, retira furtivement Joas, son neveu, du groupe des fils du roi qu’on massacrait et elle le mit, avec sa nourrice, dans la chambre des lits ; elle le déroba ainsi à Athalie et il ne fut pas mis à mort. Il resta six ans avec elle, caché dans le temple de Yahvé, pendant qu’Athalie régnait sur le pays. » Le personnage à l’épée dégainée et pointée en direction de l’enfant qui tente de rattraper la couronne tombant devant lui, élément prémonitoire de son destin de futur roi de Jérusalem, sont autant d’indices en faveur de cette iconographie. La gestuelle des mains qui se croisent au centre du tableau marque cette tension entre intention Fig. 1 — Gioacchino Assereto, La Découverte de la coupe dans le sac de mort et salvation du petit Joas, opposition qui de Benjamin, (Voltaggio [Alessandria], Pinacoteca dei Cappuccini).

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


trouve des échos dans les différentes expressions sur les visages des personnages. La composition très dense, avec une présentation en frise, saturée dans les bruns vient s’inscrire selon Tiziana Zennaro, dans la période de l’extrême maturité de l’artiste, vers 1645. La critique a relevé des similitudes, pour l’équilibre général des masses dans les sombres et les clairs, ainsi que pour les têtes quasiment toutes au même niveau et la construction où tous les mouvements convergent vers le centre, avec La découverte de la coupe dans le sac de Benjamin (Voltaggio [Alessandria], PinacoFig. 2 — Gioacchino Assereto, Servius Tullius enfant avec les cheveux en flammes, Gênes, Collezioni d’Arte di Banca Carige. teca dei Cappuccini) légèrement antérieur (fig. 1) et plus encore, pour le style enlevé de ce même moment chronologique, avec Servius Tullius enfant avec les cheveux en flammes (Gênes, Collezioni d’Arte di Banca Carige ; fig. 2)1. Bien que le tableau ait fait une apparition récente à l’exposition génoise de 1992, Tiziana Zennaro a pu, depuis, établir qu’il ne faisait qu’un avec celui précédemment dans une collection turinoise. Le sujet, rarement représenté en peinture, l’a été cependant à deux reprises par l’artiste génois. Une autre version, de mêmes dimensions mais avec un certain nombre de variantes principalement dans le fond, se trouve aujourd’hui dans la collection Guido Angelo Terruzzi à Bordighera (Imperia)2. La proposition iconographique nouvelle apportée par l’artiste eut une réelle influence sur l’art de ses contemporains : on voit ainsi Valerio Castello (1624-1659) en décliner une version dans un bozzetto (collection particulière), très fidèle au modèle assérétien3. Tiziana Zennaro recense encore des dérivations exécutées par des suiveurs, en particulier par le Maestro di Monticelli d’Ongina, en tout point fidèle à la présentation en frise ponctuée par un axe central où se déroule l’action4. L’artiste dont déjà Soprani5 avait souligné que sa célébrité avait largement dépassé les frontières, notamment en direction de l’Espagne, fut revalorisé par la critique moderne. L’article pionnier de Roberto Longhi en 1926-1927 est tout entier dédié à la gloire du « Grande Assereto » et l’historien de l’art n’hésite pas à le comparer à Vélasquez6. D’autres interventions plus récentes, et en particulier, la monographie de Tiziana Zennaro (2011) ont replacé l’artiste parmi les peintres les plus importants du xviie européen tant il est vrai que son naturalisme n’a rien à envier à celui d’un Matthias Stomer (1600 c. - après 1650) ou de Gerrit van Honthorst (1592-1656).  v.d.

1. Tiziana Zennaro, Gioacchino Assereto e i pittori della sua scuola, 2 vol., Soncino, 2011, I, p. 412-414, no A118 ; p. 443445, no A140. 2. Ibid., 2011, I, p. 178, ill. CIII, 446-447, no A142.

3. Camillo Manzitti, Valerio Castello, Turin, 2004, p. 103, fig. 481 ; éd. 2008, p. 103, fig. 481 (Assereto). 4. Tiziana Zennaro, op. cit., 2011, II, p. 650-651, no G24. 5. Raffaele Soprani, Le vite de’

Pittori, Scoltori, e Architetti Genovesi, e de’ forastieri, che in Genova operarono con alcuni Ritratti de gli stessi, 1674, Gênes, 1768, I, p. 167. 6. Roberto Longhi, “L’Assereto”, in Dedalo, VII, 1926,

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p. 355-377 ; rééd. dans Roberto Longhi, Saggi e Ricerche 1925-1928, II, vol. 1, Florence, 1967, p. 35-47.


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Wallerant Vaillant lille, 1623  amsterdam, 1677

Autoportrait au turban huile sur toile, 74  × 59,5 cm provenance Mrs Campbell, Cambridge; vente Christie’s, Londres, 18 juillet 1910, lot 123 (comme « Unknown », 80 gns. à Clark) ; vente Christie’s, Londres, 7 Août 1942, lot 102 (comme « J. E. Liotard – A Moroccan soldier » – mise en vente par Knoedler, invendu) ; vente Christie’s, Londres, 14 décembre 1990, lot 121 (comme Wallerant Vaillant) ; avec Colnaghi, Londres, The Grosvenor House Antiques Fair, 12-22 juin 1991, où il a été acheté par le dernier propriétaire.

bibliographie H.W. Grohn, « Ein neuerworbenes Bildnis der Niedersächsischer Landesgalerie Hannover und die Selbstporträts des Wallerant Vaillant », Niederdeutsche Beiträge zur Kunstgeschichte, 19, 1980, p. 141-142, 144, pl. 5 ; Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677). Graveur à la manière noire, dessinateur à la pierre noire et peintre de portraits », 4 vol., Thèse de doctorat en Histoire de l’art, sous la direction de Alain Mérot, Paris IV-Sorbonne, 1999, I, p. 436, no P13 ; IV, repr. P13.

uvre en rapport Une autre version peinte de ce portrait se trouve à la Gemäldegalerie de Berlin (Inv. 827 ; huile sur toile, 72 × 58 cm).

de cet artiste hollandais n  ille – ville qui n’a été rattachée à la France qu’en 1668 –, l’on connaît mieux l’œuvre gravé, en particulier ses nombreuses manières noires, technique qu’il a tout particulièrement contribué à développer1. Son œuvre peint, plus rare, se décline principalement en portraits, souvent des autoportraits où l’artiste se montre sous un jour pittoresque empruntant tour à tour le costume du soldat (Hanovre, Niedersächsisches Landesmuseum), celui du notable (Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister ; fig. 1), ou encore celui d’un Oriental comme ici2. Il est significatif de constater que, dans ses autoportraits, le peintre ne se représente jamais dans l’exercice de son art, avec la palette et les pinceaux. Il est évident qu’il subit là l’influence des nombreux autoportraits de Rembrandt (1606-1669) dans lesquels ce dernier se plaît à se présenter dans différents costumes, mettant l’accent plus sur l’expression et le statut social que sur celui, pourtant bien réel, de l’artiste. Ils apparaissent comme de véritables exercices, presque des répertoires, sur le genre très prisé du portrait. À Amsterdam, Wallerant Vaillant a eu tout loisir de côtoyer l’art du génie hollandais puisqu’il a dû lui-même, pour des raisons religieuses, s’exiler très tôt dans la capitale du royaume des Pays-Bas où il a habité, hormis ses longs séjours à l’étranger, jusqu’à sa mort. La présentation du buste au travers d’un oculus lui servant de repoussoir permet à l’artiste d’introduire un jeu d’optique qui valorise sa mise en espace. C’est un artifice qu’il a volontiers utilisé dans ses portraits comme pour ceux de Pieter de Graeff et de Jacoba Bicker (The Amsterdam Museum). Ici, la technique picturale, très fine et soignée, utilisée pour dépeindre le visage jouant sur les transparences d’une manière très réaliste, accentue l’effet photographique de l’œuvre. Au contraire, les reflets sur le riche brocard du turban, tissu sans doute en provenance de la Compagnie des Indes, sont rendus au moyen d’un pinceau libre et d’une matière plus généreuse. Nous sommes frappés par les talents de coloriste de ce maître réputé de la manière noire.

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Notre tableau a fait son entrée en 1980 dans la critique – en 1942, il passait encore pour être de Liotard – et de fait, n’est pas cité dans les articles anciens qui répertorient l’autre version de la Gemäldegalerie de Berlin, situé pour son exécution au tout début de la carrière de l’artiste, dans les années 1650-1655. Son œuvre peint ne comporte pas seulement des portraits mais encore des scènes d’atelier, des natures mortes et des trompe-l’œil. À Anvers, Wallerant Vaillant devint élève d’Erasmus Quellinus (1607-1678), un disciple de Rubens (1577-1640) puis à la mort de ce dernier, son remplaçant comme peintre de la ville. Son exil à Amsterdam sera le début d’une série de voyages qui le conduiront, entre 1655 et 1658, en Allemagne : tout d’abord à Middelburg, puis on le retrouve avec son frère Bernard à Francfort et à Heidelberg. En 1658 à Francfort, lors de F i g . 1 — Wallerant Vaillant, Autoportrait, Dresde, Gemäldegalerie la cérémonie de couronnement de Léopold Ier – Alte Meister. élu empereur du Saint-Empire romain –, l’artiste reçoit commande de portraits à la pierre noire du nouveau souverain, mais aussi des électeurs de Bavière, de Cologne, de Brandebourg et de Mayence notamment, ainsi que de Philippe d’Orléans et du maréchal de Gramont, envoyé en délégation par Mazarin. En 1659, l’artiste vient en France, dans le sillage du maréchal de Gramont qui l’introduit à la cour de Louis XIV. Alors que se préparent les fêtes pour le mariage du roi et de Marie-Thérèse, il reçoit une commande importante de la reine mère, Anne d’Autriche, de cinq portraits au pastel représentant Louis XIV, Marie Thérèse d’Autriche, Anne d’Autriche, Marie Anne d’Autriche et Eléonore de Gonzague, venus récemment enrichir les collections du château de Versailles. En 1665, l’artiste est de retour à Amsterdam, qui est alors l’un des centres économiques et culturels les plus importants d’Europe. Plusieurs de ses frères furent peintres et portraitistes : Jacques (v. 1625-1691), Jean (1627-apr. 1668), Bernard (1632-1698) et André (1655-1693). v.d.

1. Friedrich Wilhelm Hollstein, Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts – ca 1450-1700, Ger Luijten (dir.), Amsterdam, 1987, vol. XXXI, p. 59-213 ; Nadine Rogeaux, « Wallerant

Vaillant (1623-1677) : premier spécialiste de la gravure en manière noire », Nouvelles de l’Estampe, juillet-septembre 2001, p. 19-31 ; Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677) : portraitiste à la

pierre noire et au pastel », Gazette des Beaux-Arts, décembre 2001, p. 251-265. 2. Maurice Vandalle, « Les Frères Vaillant, artistes lillois du xviie siècle », Revue belge d’histoire et d’archéologie,

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T. VII, 1937, p. 341-360 ; Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677), portraitiste hollandais », Revue du Nord, 2002/1, no 344, p. 25-49.


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Giacomo Liegi (ou Legi) lige (?), 1605  milan, 1640-1645

Le Garde-manger huile sur toile, 149  × 188 cm provenance Vente Galleria Vitelli, Gênes, Collezione di Arte Antica J.D.B., 20 avril 1933, no 132, pl. I (comme « Benedetto da Castiglione ») ; Gênes, collection Piero Pagano (1929-2007), par descendance jusqu’à aujourd’hui.

bibliographie Ezia Gavazza, « Protagonisti e comprimari. Acquisizioni e interferenze culturali », in La pittura in Liguria. Il secondo Seicento, Gênes, 1990, p. 44, fig. 42 ; Anna Orlando, « Giacomo Liegi », in Genova nell’Età barocca, Ezia Gavazza-Giovanna Rotondi Terminiello (dir.), cat. exp., Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola-Galleria di Palazzo Reale, 2 mai 26 juillet 1992, p. 208-209, no 111 ; Anna Orlando, « Un fiammingo a Genova : documenti figurativi per Giacomo Liegi », Paragone, no 549, novembre 1995, p. 69-70, 72-73, 76, fig. 56 ; Anna Orlando, in Fasto e rigore. La natura morta nell’Italia settentrionale dal XVI al XVIII secolo, Giovanni Godi (dir.), cat. exp., Reggio di Colorno, 20 avril - 25 juin 2000, p. 108, no 14 ; Anna Orlando, in Genova & Anversa. Un sommet dans la peinture baroque, Marzia Cataldi Gallo (dir.), cat. exp., Anvers, musée des Beaux-Arts, 4 octobre 2003 - 1er janvier 2004, p. 106-107, no 30 ; Anna Orlando, in I fiori del Barocco. Dalla scena di genere al gusto rococo nella pittura a Genova dal ’500 al ’700, Anna Orlando (dir.), cat. exp., Gênes, Musei di Strada Nuova, 24 mars - 25 juin 2006, p. 52-53, no 9 ; Anna Orlando, Pittura fiammingo-genovese. Nature morte, ritratti e paesaggi del Seicento e primo Settecento. Ritrovamenti dal collezionismo privato, Turin, 2012, p. 94.

expositions Genova nell’Età barocca, Ezia Gavazza-Giovanna Rotondi Terminiello (dir.), cat. exp., Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola-Galleria di Palazzo Reale, 2 mai - 26 juillet 1992, no 111 ; Fasto e rigore. La Natura Morta nell’Italia settentrionale dal XVI al XVIII secolo, cat. exp., Reggia di Colorno, 20 avril - 25 juin 2000, no 14 ; Genova & Anversa. Un sommet dans la peinture baroque, Marzia Cataldi Gallo (dir.), cat. exp., Anvers, musée des Beaux-Arts, 4 octobre 2003 1er janvier 2004, no 30 ; I fiori del Barocco. Dalla scena di genere al gusto rococo nella pittura a Genova dal ’500 al ’700, Anna Orlando (dir.), cat. exp., Gênes, Musei di Strada Nuova, 24 mars - 25 juin 2006, no 9.

cette personnalit artistique, très probablement originaire de Liège comme semblerait l’indiquer son nom italianisé en « Liegi » ou « Legi », fut active à Gênes, comme en témoigne le biographe Raffaello Soprani (1612-1672)1. Ce dernier nous apprend que l’artiste est flamand, disciple et beau-frère de Giovanni Rosa ou Jan Roos (1591-1638), et qu’il peignait des fleurs, des fruits et des animaux. Soprani nous dit encore qu’il est mort à Milan où il s’était installé à cause de problèmes de santé. Ces quelques phrases du biographe ont permis de garder trace de cet artiste qui, sans cela, serait tombé dans l’oubli. La reconstruction de son corpus revient à Anna Orlando dans son article de Paragone (1995) qui, de façon assez complète, lui donne un groupe de tableaux réunis autour de deux compositions d’institutions françaises attribuées de longue date à Liegi : Le Jeune Homme dans un garde manger du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et Le Cuisinier avec du gibier attribué à Giacomo Liegi (Orléans, musée des Beaux-Arts)2. À ce jour, aucun tableau signé de l’artiste n’est réapparu, même si des témoignages anciens attestent de leur existence3. De toute évidence et tout comme Jan Roos, Liegi collaborait avec des peintres de figure pour exécuter ses personnages. L’artiste a contribué à développer la nature morte dans une esthétique baroque : les différents éléments se déploient tant sur la transversale de la table que sur les verticales des différents oiseaux et du

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veau accroché par une patte visant à occuper tout l’espace du tableau. Dans ce chef-d’œuvre, il explore le large éventail de ses possibilités qui va des fleurs en passant par les fruits et les animaux à poils et à plumes ; la nature vive côtoie la nature morte. Les plats en étain, en céramique ou en cuivre permettent des reflets chatoyants rendus au moyen d’une matière généreuse. La richesse et la complexité de la composition tend à nous faire oublier le fragile vase en cristal d’où sortent quelques fleurs fraîchement coupées, à l’arrière-plan. Le cuisinier, quant à lui, a réuni différents poissons qu’il s’apprête sans doute à cuisiner. Au premier plan, le tiroir ouvert avec un couteau en équilibre nous rappelle la culture flamande du peintre, tout comme le petit chat au premier plan, essayant de sa patte joueuse, d’attraper un oiseau mort dont la tête pend à l’extérieur du rebord de la table. Le tableau qui portait, en 1933, une attribution à Castiglione, a été attribué à Liegi par Piero Pagano, le dernier propriétaire de l’œuvre, et a été publié comme tel par Ezia Gavazza, en 1990, suivie par Anna Orlando. Dans la première moitié du xviie siècle, la présence d’artistes flamands, actifs à Gênes, est bien connue. En premier lieu, on rencontre les frères De Wael, Lucas (1591-1661) et Cornelis (1592-1667), originaires d’Anvers qui accueillirent Antoine van Dyck (1599-1641) en 1621 mais aussi Jan Roos, lui aussi originaire d’Anvers, qui s’était formé dans l’atelier de Frans Snyders (1579-1657). v.d.

1. Raffaello Soprani - Carlo Giuseppe Ratti, Vite de’ Pittori, scultori, ed architetti genovesi di Raffaello Soprani, patrizio genovese…, Gênes,

1768, I, p. 462-463. 2. Anna Orlando, « Un fiammingo a Genova : documenti figurativi per Giacomo Liegi », Paragone,

no 549, novembre 1995, p. 82, note 56. 3. Pour Anna Orlando, le premier à signaler ces signatures fut Louis Lampe,



Signatures et monogrammes des peintres de toutes les écoles, Bruxelles, 1895, p. 477, 837, 1089, 1126.


Giuseppe Maria Crespi bologne, 1665  1747

Portrait de Domenico Casati dit le bossu, charcutier de la rue Clavature [Bologne] huile sur papier coll sur toile, 50 × 38 cm provenance Bologne, collection particulière depuis 1935 et jusqu’à aujourd’hui.

exposition Mostra del Settecento bolognese, Guido Zecchini-Roberto Longhi (dir.), cat. exp., Bologne, Palazzo Comunale, 12 mai 31 juillet 1935, p. 9, no 14 (non reproduit ; selon l’auteur de la fiche, le tableau présentait au dos l’inscription : « Crespi G.M. Domenico Casati detto il Gobbo, lardarolo di via Clavature, 1713 »).

le tableau dpeint une singulire figure d’homme vêtu d’un habit brun, avec un bonnet rouge et un tablier blanc, qui tient un couteau dans la main droite. L’expression narquoise et renfrognée, les grandes mains, le dos bossu et le décor dépouillé, figuré uniquement par un mur décrépi par endroit, mettent l’accent sur le caractère populaire de ce personnage qui, par la force avec laquelle il est esquissé, en fait l’un des témoignages les plus fascinants de la peinture de genre du xviii e siècle. Dans cette œuvre, provenant d’une collection privée, comparaissent tous les éléments stylistiques qui caractérisent la production de Giuseppe Maria Crespi : des tonalités rouges-brunes et des blancs nacrés, aux teintes livides et crues du visage rendues au moyen d’une lumière violente, tombant du haut. La paroi du fond laissant entrevoir la trame des briques sous un voile d’enduit, appartient, elle aussi, au vocabulaire de Crespi. Nous la retrouvons dans L’Autoportrait de la Pinacoteca Nazionale de Bologne, dans Le Coursier de la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe et, en particulier, dans La Scène de cour du musée bolonais toujours. Ce sont ces caractères de style précis et le fait que le sujet soit absent de la fondamentale monographie de Mira Pajes Merriman1 qui nous ont amené à approfondir les recherches dans la direction des œuvres du Spagnolo, citées dans les inventaires anciens, dans les sources du xviiie siècle et dans la littérature artistique le concernant. Cette consultation nous a permis de retrouver une citation dans le catalogue de l’exposition sur le Settecento bolognese (1935, sous la direction de Guido Zecchini et Roberto Longhi), où, sous le numéro 14, nous trouvons – sans reproduction – un Charcutier (Lardarolo) de Crespi, de dimensions identiques qui, d’après la fiche, portait au dos l’inscription suivante : « Crespi G.M. Domenico Casati detto il Gobbo, lardarolo di via Clavature, 1713 »2. Cette inscription – alors déjà plus visible3 puisque le papier avait été collé sur une toile pour pallier à la fragilité de ce support – ne pouvait être autographe, mais elle a probablement été ajoutée par une autre main pour garder le souvenir du nom de l’artiste et du personnage représenté. La précision des informations fournies, qui indiquent aussi la date d’exécution et de plus, l’adresse de l’échoppe du charcutier, est une confirmation implicite de la validité de celle-ci et en conséquence de la paternité à Crespi, dont nous nous étions déjà convaincus d’après les caractères stylistiques. Le personnage représenté était, sans doute, membre

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de l’Arte dei Salaroli, la corporation à laquelle appartenaient aussi les charcutiers, c’est-à-dire ceux qui vendaient des « viandes salées, lard salé, huile, chandelles, et d’autres choses similaires », de fait, sa profession s’apparente plus à celle du charcutier d’aujourd’hui qu’à celle de boucher 4. Le tableau s’inscrit dans la riche production de tableaux de genre de Giuseppe Maria Crespi et, plus généralement, dans ce courant de la culture figurative bolonaise dédié à la représentation de modèles appartenant aux classes inférieures, souvent dépeints dans l’exercice de leurs activités professionnelles. Les références aux toiles satiriques de Bartolomeo Passerotti, à la Boucherie et aux quatre-vingt dessins des Arti di Bologna d’Annibale Carracci ainsi qu’à Le Arti per via de Giuseppe Maria Mitelli sont évidentes et constituent les prémisses indispensables aux exercices plus tardifs de notre artiste. Selon Zanotti, il avait déjà abordé ces thématiques lorsqu’il avait un atelier avec Burrini : « souvent il lui arrivait de peindre des scènes de la vie quotidienne et qui concernent les bas métiers » et peu après 1685, il exécute deux tableaux qui représentaient une cave « avec des portefaix rustres et à moitié nus, et des cavistes pressant dans un grand pressoir des grappes de raisin », et une boucherie « avec des bouchers, qui coupent la viande, et qui écorchent des bœufs et des veaux, et qui font toutes les activités qui s’y rapportent »5. Les tableaux de genre flamands et hollandais conservés dans les collections des Médicis et que Crespi a pu observer lors de ses séjours chez le grand-duc Ferdinando (1708-1709), furent également fondamentaux pour le peintre qui en puise la richesse descriptive et le goût pour le détail. De cette expérience sont nés la Foire de Poggio a Caiano (Florence, Galleria degli Uffizi) et les différentes versions de la Femme à la puce, où la transcription de la réalité devient anecdotique, non sans une pointe d’humour et un ton moralisateur, alors que d’autres tableaux, comme la Femme qui fait la vaisselle (Florence, Galleria degli Uffizi) et la série des Sept Sacrements (Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister), présentent plutôt des représentations objectives de la réalité. La variété kaléidoscopique de la peinture de genre chez notre artiste est attestée aussi par un groupe de tableaux à sujet bucolique et pastoral, où la mise en scène des paysans et de leurs activités s’inspire du goût pour l’Arcadie en vogue à l’époque, en nous donnant une image idéalisée et adoucie de ce monde. Un des plus grands exploits de l’artiste en ce domaine reste l’illustration des histoires de Bertoldo, Bertoldino e Cacasenno, écrites au début du xviie siècle par Giulio Cesare Croce et Adriano Banchieri6, que l’artiste représente sous forme de dessins, d’eaux-fortes et de tableaux sur cuivre. En se reportant à ces textes littéraires, Giuseppe Maria Crespi, à raison, souligne l’aspect narratif des scènes de genre, en évitant soigneusement d’insister sur les côtés négatifs et méprisables du petit peuple. Une telle attitude d’humaine sympathie envers les gens humbles et de profond respect pour leurs métiers caractérise toutes les différentes déclinaisons de sa peinture et, en ce sens, nous sommes un peu surpris par sa façon de dépeindre le personnage de Casati, pas tellement à cause de ses difformités physiques ou de ses grandes mains aptes au travail de charcutier, mais surtout à cause de son expres 1. M. Pajes Merriman, Giuseppe Maria Crespi, Milan, 1980. 2. Mostra del Settecento bolognese, cat. exp., Bologne, Palazzo Comunale, 1935, p. 9 ; dans le catalogue, le tableau était cité de façon erronée comme huile sur toile. 3. Il est possible de voir dans la radiographie de notre tableau les restes de cette inscription, mais elle n’est plus clairement lisible.

4. G. Roversi, Le arti per l’arte. Le sedi e il patrimonio artistico delle antiche corporazioni di mestieri bolognesi, in La Mercanzia di Bologna, Milano, 1995, p. 83-167, en particulier p. 148 : « carnes sallatas, lardum sallatum, olleum, candellas et alia res similes ». 5. G.P. Zanotti, Storia dell’Accademia Clementina di Bologna…, Bologne,

1739, II, p. 36-37 : « spesse volte ancora dipignea cose vulgari, e pertinenti a bassi mestieri », « con alcuni rozzi, e nudati facchini, e cantinieri, sprementi con gran torchio alcune graspe d’uva », « con molti beccai, che macellano, e scorticano bovi, e vitelli, e tutto quello fanno, che a ciò è pertinente ». 6. G.C. Croce, Le Sottilissime Astutie di Bertoldo…,

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Milan, 1606 ; G.C. Croce, Le piacevoli e ridicolose semplicità di Bertoldino figliuolo del già astuto, & accorto Bertoldo, Bologna, 1608 ; Adriano Banchieri (sous le pseudonyme de Camillo Scaligeri della Fratta), Novella di Cacasenno figlio del semplice Bertoldino…, Bologna, 1620.


sion renfrognée, presque menaçante, qui n’est présente dans aucun des tableaux que nous venons de citer. Pour comprendre le réalisme cinglant de Crespi, il convient d’étudier le regard qu’il porte sur le monde qui l’entoure. Citons les paroles de son fils Luigi, selon qui « cette valeur constante de son œuvre picturale doit être attribuée à son observation continue et ininterrompue de la nature, qu’il, quoi qu’il fasse, ne perdait jamais de vue », au point de « forer sa porte, se trouvant en face d’un mur blanc orienté sud, devant lequel s’arrêtaient des femmes pour étendre au soleil, sur des paillassons, les cocons des vers à soie. Et quand les paysans passaient avec des morceaux de viande et des troupeaux, il mettait une loupe devant ce trou, et en face, une toile blanche. Il passait ensuite des journées entières à observer sur la toile tous les objets qui, grâce à la loupe, étaient éclairés en chiaroscuro et reflétés par la lumière du soleil, comme on peut le voir dans les chambres optiques »7. Cet enregistrement direct des données du réel, qui est la première étape du processus créatif de Crespi, est ensuite soumis à des décantations et des élaborations successives qui conduisent, enfin, à ces mises en scène à caractère populaire équilibrées, où les tonalités étaient rendues d’une manière adoucie et chaleureuse. D’ailleurs, le peintre devait avoir bien compris que les excès de réalisme et de déformations grotesques ne pouvaient être bien accueillis par la Bologne « académique » de l’époque, où les codes culturels étaient dictés par Cesare Malvasia, le sénateur Ghislieri et le comte Fava. Il suffit d’évoquer l’épisode bien connu de la caricature que Crespi fait du comte Malvasia lui-même « en chapon mort, et plumé, mais en une position telle et d’une telle manière qu’il n’était pas possible de ne pas reconnaître immédiatement Malvasia »8, et qui causa un fort ressentiment de la part du biographe. Le caractère exceptionnel de notre Charcutier réside dans le fait qu’il s’agit d’un véritable instantané, le protagoniste est surpris par la lumière crue du flash dans une pose presque maladroite. Il est difficile de croire que le peintre ait eu l’intention de proposer l’effigie de Casati sur le marché de l’art, non seulement à cause de la facture très rapide et la matière étonnamment peu travaillée, mais aussi pour l’utilisation du support – le papier – qui supposait que ce soit une étude. Comme nous l’avons déjà évoqué, le sujet était trop réaliste et mordant pour rencontrer le goût des collectionneurs bolonais, ou simplement pour rester indemne face au jugement réactionnaire de la critique artistique locale. Tout en se démarquant de la production connue du peintre, le portrait de Casati, justement, du fait de toutes ses caractéristiques uniques, nous offre une perspective nouvelle et inédite pour analyser la peinture de genre – ou mieux, de la réalité – de Giuseppe Maria Crespi. La paternité à l’artiste bolonais, qui a trouvé une première confirmation dans le catalogue de 1935 sous la direction de Roberto Longhi, a été confirmée, au cours de cette recherche, par Angelo Mazza et Marco Riccomini.  a.c.

7. L. Crespi, Felsina Pittrice. Vite de’ Pittori bolognesi, III, Bologna, 1769, p. 217-218 : « questo continuato valore però del suo pennello si deve sicuramente attribuire alla continua, e non mai interrotta osservazione del naturale, che sempre,

qualunque cosa egli facesse, teneva davanti mentre operava”, “fino a fare un foro nella sua porta di casa, che ha in faccia dalla parte opposta della casa un muro bianco volto a mezzo dì, dinanzi al quale fermavansi alcune donne a stendere al

Sole sulle stuoje i fulicelli; e quando alcuni paesani con carni, e bestiami passavano, a cotal foro applicava una lente, ed in faccia una tela bianca, passando quivi le giornate intiere ad osservare nella tela tutti gli oggetti, per mezzo della lente riportativi

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lumeggiati, macchiati, e riflessati dal Sole, come si vede nelle camere ottiche ». 8. Zanotti, 1739, p. 42, « in figura di un cappone morto, e spennato, ma in tal atto, e in tal maniera, che non vi fu chi il Malvasia subito non ravvisasse ».


Giovanni Battista BEINASCHI fossano, 1634 ca.  naples, 1688

Saint Paul huile sur toile, 125 × 100 cm provenance Ce tableau aurait été donné par le Pape Clément XIII à l’Archevêque de Besançon, Antoine Cleradins de Choiseul Beaupré (1707-1774) qui l’aurait légué à l’abbaye Saint Paul de Besançon. Lorsque l’abbaye fut détruite, le tableau fut transporté à l’église Saint Maurice, et de là vendu avec son probable pendant, Saint Pierre, comme le reporte l’étiquette, anciennement collée au dos du tableau. Vente, Monaco, Christie’s, 15 juin 1990, no 32, repr. (attr. à Beinaschi) ; Paris, collection particulière.

bibliographie Vincenzo Pacelli – Francesco Petrucci, Giovan Battista Beinaschi. Pittore barocco tra Roma e Napoli, Rome, 2011, p. 348, Ad. 7 (comme Dieu le Père).

comme l’indique une tiquette anciennement collée sur le revers de la toile1, notre Saint Paul était accompagné d’un Saint Pierre2, son pendant vraisemblablement, avec lequel il a partagé le même destin jusqu’à leur commune mise en vente publique, en 1990. Francesco Petrucci, a confirmé la paternité à Beinaschi et l’a publié dans l’addenda à la monographie rédigée avec Vincenzo Pacelli. Selon l’historien, le tableau appartient à une phase encore tôt de l’artiste, autour de 1660 ca. En effet, l’on ne dénote pas encore d’influence napolitaine, mais bien au contraire un lien persistant avec l’œuvre de Giovanni Lanfranco (1582-1647) et avec Gian Domenico Cerrini (1609-1681). Le saint est présenté frontalement, un livre ouvert sur les genoux et la main droite levée vers le ciel : on le suppose en train de faire une prédication. La lumière froide opposée aux zones d’ombre dramatise la figure de ce saint. L’absence de décor et les généreuses draperies restent fidèles au style baroque. Beinaschi se forma à Turin, sa région natale, puis à Rome où il copia Annibal Carrache et Giovanni Lanfranco. Il s’établit à Naples en 1664 et y demeura jusqu’à sa mort. De 1677 à 1678, il retourna à Rome pour travailler avec Giacinto Brandi au décor de la basilique des Santi Ambrogio e Carlo al Corso. v.d.

1. Au revers une étiquette du xviiie siècle : « ce tableau avec son pendant St Pierre ont été donné par le ... / au Cardinal de Choiseul Archevêque de Besançon lorsqu’il est allé chercher / la barrette à Rome. Cette tradition est certaine. Un vieillard contemporain / du Cardinal

et qui fut toujours employé dans les églises a certifié que ces deux / tableaux qui ont toujours fait l’admiration des connaisseurs avaient été donnés / en don à l’Abbaye de St Paul à Besançon. Mais lorsque cette abbaye fut / supprimée ont transporta tous les tableaux qui y

étaient à l’église St Maurice. / Le grand nombre de ces tableaux fit qu’on choisit les plus apparens et d’une / plus grande dimension en proportion avec l’étendue et la hauteur du Vaisseau / de l’église ; les autres au nombre desquels se trouvaient St Pierre et St Paul / furent

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relégués dans un coin et vendus pour faire un tableau de / patron. / Mathieu… » 2. Saint Pierre, son pendant vraisemblablement (124 × 98 cm.), vente Monaco, Christie’s, 15 juin 1990, no 31 (attribué à Beinaschi).


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pompeo batoni lucques, 1708  rome, 1787

Bacchus Cérès deux ovales. huile sur toile, 47,5 × 37,5 cm sur le bacchus, en haut  gauche, inscription plus tardive : « battoni » sur la crs, une inscription « battoni » sur la faucille provenance Collection particulière, Philadelphie ; vente Sotheby’s, New York, 6 mars 1975, lot 73 ; Rome, galleria W. Apolloni en 1975 ; Milan, collection particulière.

bibliographie Anthony M. Clark, Pompeo Batoni : A Complete Catalogue of His Works, Edgar Peters Bowron (éd.), Londres, 1985, p. 291, nos 264-265, fig. 243, 244 ; Edgar Peters Bowron, Pompeo Batoni. A Complete Catalogue of His Paintings, 2 vol., New Haven-Londres, 2016, I, p. 329, nos 271-272.

d’une excution raffine, du bout du pinceau, pour décrire aussi bien les détails de la peau de bête qui recouvre les épaules de Bacchus que les épis de blé ou les pampres de vigne qui couronnent leurs têtes, nos deux représentations apportent un aspect moins connu de l’art de Batoni dont la réputation repose principalement sur les portraits. C’est pour cette raison que E. P. Bowron leur donne une interprétation mariale, suggérant qu’ils puissent être des portraits de mariage (« marriage portraits »), l’époux étant personnifié en Bacchus – dieu du vin – et l’épousée en Cérès – déesse de la végétation et des cultures. En effet, la jeunesse et la séduction des deux modèles s’y prêtent. Bowron a, de plus, rattaché cette interprétation à la célèbre phrase latine extraite d’une comédie de Térence (v. 195/185 – v. 159 av. J-C.) : « Sine Cerere et Baccho friget Venus » (L’Eunuque, 732), autrement dit : « Sans le vin et les festins, l’Amour [Vénus] se refroidit. » Les attributs des dieux de la mythologie, le raisin et la coupe, la faucille et les épis de blé, bien mis en évidence, permettent de les identifier facilement. E. P. Bowron souligne encore le côté unique, tant par le sujet que par le format, de ces représentations ovales dans l’œuvre de Batoni. Nos deux portraits allégoriques ne sont pas attestés d’autres fois dans son corpus. Cependant un beau dessin du musée de Besançon représentant une Cérès à mi-corps, avec mise au carreau (fig. 1), laisse à penser que l’artiste aurait réalisé au moins un autre tableau sur ce thème1. Chaque ovale présente sur un quart de F i g . 1 — Pompeo Batoni, Cérès, Besançon, musée des Beaux-Arts la circonférence un léger bord sombre – plus et d’Archéologie

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évident car plus marqué, à gauche sur le Bacchus – qui semble vouloir figurer un œil feint. Sans doute intégrés à un décor en hauteur, soit peint, soit architecturé, ce procédé optique avait vraisemblablement pour but d’accentuer le relief des figures. Quant au format ovale, assez fréquent dans son œuvre pour les portraits, il présente des dimensions quasiment identiques à l’ovale du musée des Beaux-Arts d’Orléans représentant Vulcain à sa forge (ou Allégorie de l’Hiver)2. Bowron propose de situer ces deux œuvres vers 1763 en confrontant leur facture et leur F i g . 2 — Pompeo Batoni, Cléopâtre au chevet de Marc Antoine mouexpression avec celles, particulièrement soignées, rant, © musée des Beaux-Arts de Brest Métropole du tableau d’histoire représentant Cléopâtre au chevet de Marc Antoine mourant exécuté par l’artiste pour Nicolas de La Pinte de Livry (1715-1795), signé et daté 1763 et aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Brest (Fig. 2)3. Le profil de Cléopâtre se découpant sur le fond sombre, le teint de porcelaine aux joues rosées, les drapés virevoltants derrière ses épaules ont beaucoup en commun avec notre figure qui, cependant, est présentée de trois quarts. On y retrouve encore l’élégance de la pose, la main de la déesse ne tenant pas seulement la faucille mais aussi, entre l’index et le majeur, sa longue natte châtain clair. Ce sont donc des œuvres exécutées dans la période de l’extrême maturité de l’artiste. L’artiste s’est formé au dessin dans les académies de Lucques avant de rejoindre Rome (à partir de 1728), où il adhère au classicisme, copiant Raphaël et les sculptures antiques et choisissant comme maîtres Sebastiano Conca (1680-1764) et Agostino Masucci (1691-1758). Peu à peu, il se rallie à la richesse sensuelle du baroque et devient l’un des artistes les plus en vue, courtisé par l’aristocratie locale et les visiteurs étrangers de marque, comme en témoignent les portraits de ces personnages, ainsi ceux du comte Nicholas Yousoupoff, du prince August von Sachsen-Gotha, du grand-duc Paul et de la grande-duchesse Maria Feodorovna de Russie. Il rencontre un tel succès qu’il devient le portraitiste européen le plus recherché au milieu du xviiie siècle et notamment des Anglais qui accomplissaient le Grand Tour en Europe. Son art opère une évolution entre la tradition du classicisme romain et le néoclassicisme naissant. v.d.

1. Besançon, musée des BeauxArts : un dessin représentant Cérès (inv. D.1016 ; pierre noire, rehauts de blanc, avec mise au carreau, 20,9 × 26,2 cm). Voir E. P. Bowron, Pompeo Batoni. A Complete Catalogue of His Paintings, 2 vol., New HavenLondres, 2016, II, p. 658, D28.

Bowron, ibid. note 1, 2016, I, p. 275, no 225 (les dimensions indiquées sont erronées de 10 cm dans la hauteur), vers 1760. Le dieu Vulcain, près des flammes de sa forge, peut tout à fait symboliser l’Hiver, tout comme – à titre d’hypothèse de travail – pour nos deux compositions,

2. Vulcain à sa forge (ou Allégorie de l’hiver), musée des Beaux-Arts d’Orléans (huile sur toile, 45,5 × 37 cm. [inv. 1111], les dimensions sont quasiment similaires à celles de nos tableaux dans la hauteur – à 2 centimètres près – et identiques dans la largeur ; voir Edgar Peters



Cérès peut symboliser l’Été et Bacchus, l’Automne. 3. Edgar Peter Bowron, ibid. note 1, 2016, I, p. 327-329, no 270.





Giorgio GIACOBONI piacenza, 1716  venise, 1777

Pêcheur vidant une nacelle   cuivre, 31 × 26 cm monogramm en bas  gauche : « gg » entrelacs dont un invers, surmonts d’un «  » provenance France, collection particulière.

bibliographie Inédit.

le monogramme, visible dans l’angle inférieur gauche, présentant deux « G » entrelacés surmontés d’un « P », correspond à celui, caractéristique, de Giorgio Giacoboni, un artiste originaire de Piacenza. Peintre et graveur, il s’est formé dans l’atelier de son frère aîné, Carlo (1700-1790). En 1752, il se transfert à Rome où il se dédie à la peinture de genre décrivant des sujets pittoresques de la vie quotidienne avec une évolution vers la pastorale, dans la période de la maturité à Venise. Sans doute introduit auprès des grandes familles romaines par Gian Paolo Panini (1691-1765), l’un de ses concitoyens actifs, comme lui, dans la Ville éternelle, Giacoboni travaille pour les princes Rospigliosi et le cardinal Silvio Valenti Gonzaga. De là, il s’établit à Venise où on le retrouve inscrit, entre 1754 et 1756, à la corporation des peintres vénitiens ; en 1759 il devient membre de l’Accademia di Pittura e Scultura. Notre cuivre appartient à une série sur les métiers et à cet effet, nous proposons ici de rendre à Giacoboni deux autres compositions sur cuivre comme la nôtre, arrondies dans les angles, portant le même monogramme en bas à gauche, Maçon tirant une brouette et Bûcheron coupant du bois conservées au musée des Beaux-Arts de Dijon (fig. 1 et 2)1. Dans un premier temps, Arnauld Brejon de Lavergnée avait identifié le monogramme comme étant celui de l’artiste bolonais Giuseppe Gambarini (1680-1725), suivi par Marguerite Guillaume dans son catalogue des peintures italiennes du musée. La réapparition des tableaux de notre artiste portant ce même monogramme et la confrontation stylistique avec des tableaux documentés ne permettent plus aujourd’hui cette confusion, en grande partie F i g . 1 — Giorgio Giacoboni, Maçon tirant une brouette, Dijon, due à la similarité des initiales. musée des Beaux-Arts.







Cette suite sur les métiers n’a plus la particularité, comme l’avait conçue Annibale Carrache (1580-1609) dans ses Arti di Bologna, ou dans la seconde moitié du xviie siècle, la série sur les Mestieri di Roma d’un maître anonyme2, de représenter des marchands ambulants, mais d’évoquer des activités professionnelles bien réelles et indispensables à la vie de l’homme comme le sont le pêcheur, le maçon, le bûcheron, et certainement d’autres encore à retrouver. Au retour de sa pêche, la barque amarrée à un pilier ressemblant à ceux des gondoles, ce jeune pêcheur, tout en fumant sa pipe, extrait de ses paniers l’eau et les algues rapportées avec ses crustacés ou ses poissons. Son chien, à moitié sur la berge et à moitié sur le bateau, le regarde et l’attend. Le fond, bleu-vert uni, évoque la couleur et la surface de la mer. Quant à situer ce cuivre dans la production de l’artiste, la matière fluide F i g . 2 — Giorgio Giacoboni, Bûcheron coupant du bois, Dijon, et assez libre tend à indiquer une œuvre de la musée des Beaux-Arts. maturité, sans doute de la période vénitienne. Le corpus de Giacoboni, dont très peu de tableaux sont connus, reste en partie à redécouvrir. Outre le tableau de la collection Pallavicini représentant Une rixe à l’auberge3 très inspirée des « bambocciate » des peintres nordiques, deux scènes de genre où l’artiste se met en scène ont été publiées par Dario Succi en 19924. L’attention avait déjà été portée sur ses dessins dès 19305 mais l’on connaît mieux son œuvre gravé. Une série d’estampes d’après ses tableaux exécutée par le Vénitien Pellegrino da Colle (1737-1812) pour être publiée dans une édition préparée par Niccolò Cavalli (1730-1822), reproduit des tableaux avec des Scènes de genre et des Pastorales qui restent, elles aussi, encore à retrouver 6.  v.d.

1. Dijon, musée des Beaux-Arts, Maçon tirant une brouette, Bûcheron coupant du bois, Inv. 5011 et 5012 (huile sur cuivre, 31 × 25,4 cm, monogrammés). Voir Arnauld Brejon de Lavergnée, « Tableaux italiens des xviie et xviiie siècles », La Revue du Louvre et des Musées de France, 1979, nos 5-6, p. 390-391, 398, fig. 11 ; Marguerite Guillaume, Catalogue raisonné du Musée des Beaux-Arts : peintures

italiennes, Dijon, 1980, p. 30, nos 47-48. 2. Francesco Frangi, dans Da Caravaggio a Ceruti. La scena di genere e l’immagine dei pitocchi nella pittura italiana, Francesco Porzio (dir.), cat. exp., Brescia, Museo di Santa Giulia, 28 novembre 1998 28 février 1999, p. 464-465. 3. Une rixe à l’auberge, Rome, Galleria Pallavicini (huile sur toile, 61 × 74,7 cm). Il faisait partie d’une série de quatre tableaux : « quattro quadri...

– Bambocciate – di Giorgio Giacoboni Piacentino » (1783). Voir Federico Zeri, La Galleria Pallavicini in Roma, 1959, p. 139, no et fig. 233. 4. Dario Succi, in Arte nelle antiche case lombarde, cat. exp., Bergame, 1992, p. 72-75 ; Francesco Frangi, in Da Caravaggio a Ceruti, voir note 2 ci-dessus, p. 258-259, 449, nos 126-127, 480. 5. Giovanni Copertini, « Disegni sconosciuti del pittore piacentino Giorgio



Giacoboni », Strenna piacentina, 1930, p. 4-12. 6. Ferdinando Arisi, « Dipinti di Giorgio Giacoboni, bambocciante piacentino », Strenna Piacentina, 1983, p. 5-14 ; Tatiana Bushmina, « Scena di genere. Dipinto di Giorgio Giacoboni nelle collezioni dell’Ermitage », Strenna Piacentina, 2004, p. 89-99.


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GALERIE CANESSO , rue Laffitte.  Paris Tél. : +       Fax : +       e-mail : contact@ canesso.com www.canesso.com © Galerie Canesso SAS, Paris, février 2017 Édition hors commerce.