Polysémie du vandalisme

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souvenirs ? Sans doute qu’un usage véritable de ces objets serait préférable à leur assignation muséale. Cela signifierait alors de les incorporer dans une pratique contemporaine qui, éventuellement, les transformerait. Cela voudrait dire profaner l’appropriation coloniale : profaner cette nouvelle sacralité muséale (profanation qui peut elle-même s'inscrire dans un rite...sacré). Et accepter la potentielle perte de leur état actuel, formel et sémantique, puisque l’œuvre rentrerait dans un nouveau processus créatif, libérée de ses signifiés successifs, qui n'auraient pas totalement disparus, mais seraient plutôt placés en retrait, et sur lesquels une nouvelle couche sémantique et formelle viendrait se superposer. Enfin, c'est idéalement ce qu'on peut souhaiter. Laisser ces objets revivre reviendrait à accepter à l’avance leur possible disparition, transmutation. Comme dans la vie. Sinon, c’est les condamner à l’errance dans un demi-état de revenant, ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant... — Plutôt une sépulture que le formol ! D’ailleurs, pourquoi, alors que la finitude est au cœur de la vie (et que l’on doive faire des deuils pour continuer à vivre, au risque d’être détruit par le chagrin), pourquoi est-ce que penser la disparition d’une œuvre d’art est-il presque de l’ordre du tabou ? Est-ce une conséquence du musée ou s’agitil d’un signe de ce défi anthropologique ultime : tuer la mort, ou du moins l’ajourner ?

« Quand je serai libre, nous irons boire un grand verre de sky, en terasse d'un bar », écrit dans une lettre d'amour, un prisonnier . MAIS Cette valeur économique acquise et produite ne disparaîtra pas avec le retour des œuvres. Il faudra investir de l'argent, salarier des personnes, pour protéger les œuvres du braconnage « dans la forêt sacrée »3, du vandalisme cupide. Cette valeur économique rend quasi impossible leur réutilisation dans l'espace public, sans une surveillance particulière, à moins que ces dernières soient méconnaissables, sinon le risque d'une nouvelle capture est grand. On peut imaginer que, pour des raisons de sécurité, et de pragmatisme, ce


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