044/MUSIQUE
MARRAKECH UNDERMOON Philippe Lauro-Baranès (d.) et Khalid Içame, alias Z.Tröz (g.)
Ils flirtent avec le succès. Parce qu’ils ont inventé un nouveau style musical qui fait un carton. Parce qu’ils ont su relire la tradition gnawa et la traduire en langage moderne. Parce qu’ils ont du talent ces deux-là, tout simplement.
C’est depuis un petit riad au cœur de la Médina que s’élève dans les cieux marrakchis une drôle de musique, quelque chose d’inattendu, d’inédit. Mais personne ne sait qu’il s’agit là d’un véritable laboratoire musical où Philippe Lauro-Baranès et Khalid Içame, alias Z.Tröz, réinventent les rythmes gnawa. Réinventent ? Pas tout à fait… “En réalité, j’ai découvert les gnawa quand j’ai débarqué au Maroc pour la première fois, il y a longtemps, raconte Philippe. Ils m’ont intrigué parce que leur musique, accompagnée de la transe, restait un mystère. Il fallait que j’aille explorer cette énigme.” Philippe s’intéresse alors de plus près aux fameuses lilah, ces nuits entières de transe qui ont fait la réputation des gnawa. “Ce qui m’a fasciné, outre les messages que les gnawa colportent -la pulsion africaine, un certain retour à la source-, ça a surtout été la poésie de la chose, poursuit Philippe. C’est alors que mon projet est né après un travail de titan qui a nécessité des années : traduire ce mélange inextricable d’arabe dialectal et classique ponctué du rüs, une langue amazigh inconnue, le tout en arabe, français et anglais... Enfin, il a fallu archiver cette musique et ces textes, les revisiter et créer un son nouveau, le son de Marrakech, entre ce qui est le plus traditionnel des gnawa et le plus contemporain. Comme je ne sais rien faire en musique, c’est Khalid qui a tout inventé.” Le projet prend forme : les deux compères
enregistrent des heures de transe gnawa, ce qui n’avait jamais été fait jusque là, et Khalid métamorphose le tout, mixe les sons avec de la musique électro, aidé de toute une bande de jeunes Marrakchis qui désormais hantent cette nouvelle “école” improvisée. L’opéra gnawa est né ! Cette œuvre colossale est saluée par tous, connaisseurs et profanes. L’écrivain Abdelwahab Meddeb n’hésitera pas à la qualifier de “cohérente et rigoureuse”, allant jusqu’à comparer la fastidieuse traduction avec celle d’Henri Mischonic, le plus célèbre linguiste du monde qui s’est attaqué, lui, à celle de la Bible. “Au début j’étais un peu sceptique, raconte à son tour Khalid. Pour moi, les gnawa, c’était quelque chose de trop agressif, trop noir, comme une sorte de sombre folie qui me faisait peur. Mais quand on a fait la traduction des textes, j’ai commencé à comprendre. Les gnawa ont une histoire et ils chantent des histoires. C’est passionnant, et tout notre travail a été de restaurer un répertoire, dans un désir de nouveauté et de liberté. Un voyage, en somme, qui restitue musicalement notre monde à la vie de Marrakech.” De Kamarstudios vont sortir deux albums : “Khalaa”, une sympathique première expérience de compositeur, et surtout “The black album, Marrakech Undermoon”, distribué chez Virgin, qui fait un carton dans toutes les soirées les plus branchées du monde et du Maroc en particulier. L’ingénieur du son du groupe U2, Alex Haas, est si interloqué par ce nouveau style -il a mixé 2 tracks de l’album et les a accompagné pendant toutes ces années- qu’il le fait écouter au grand producteur Bill Laswell qui lui dit “God, they have created the 4th world music !” (traduisez “Oh mon Dieu, il ont inventé la 4ème musique du monde”). Quant à Philippe et Khalid, si d’aventure vous les voulez pour mettre en scène votre prochaine soirée, sachez qu’il faut s’y prendre très, mais très longtemps à l’avance, parce que leur musique est au top, et que question ambiance, ils sont imbattables (Il ont crée le Sound Design de la soirée d’ouverture de La Mamounia et celui du Costes Shanghai) ! Parce qu’ils ont, au bon moment, décrypter la “folie” gnaouia dans des mix qui interpellent la jeune génération. Loin de s’enfermer dans la seule culture gnawa, ils continuent à inventer ce lien magique qui unit la musique contemporaine de Z.Tröz à la grande culture classique marocaine, celle des Hayat Boukhriss, Françoise Atlan, ou encore celle de la star Oum, la meilleure ambassadrice de la jeune scène marocaine. Inventer, inventer toujours et encore, oui, c’est ça leur talent ! www.kamarstudios.com