TEMPUS EDENDI

MORCEAUX DE DOMESTICITÉ

Tempus Edendi

Magma & Principes

by MANSLAB

EPFL Architecture

Morceaux de domesticité

À la recherche d'une réinterprétation du terme domesticité, dont sa première signification en français parle de « l'ensemble des personnes servant une maison », la série Morceaux de domesticité essaie de faire preuve qu'à travers le temps, les « gens de maisons » se pétrifient en morceaux d'architecture au profit de la vie domestique.

Tempus Edendi - le temps du repas - s'inscrit dans une série de quatre archétypes explorant cette nouvelle définition : la cuisine, la salle de bain, la chambre à coucher et le balcon.

JEAN-PAUL JACCAUD &

TEMPUS EDENDI p. 6-7

TENIR FEU ET LIEU

TANYA ZEIN

IRINA DAVIDOVICI & p. 32-39

p. 56-65

LA CUISINE DES JARDINS DE COCAGNE

WERKBUNDSIEDLUNG NEUBÜHL

Chemin des Plantée 66, Sézegnin

Max Ernst Haefli, Carl Hubacher, Rudolf Steiger, Werner Max Moser, Emil Roth, Paul Artaria, Hans Schmidt, Gustav Amman

L'HEURE BLEUE

PHANTOM THREAD

Eric Rohmer

Paul Thomas Anderson

LUCA ORTELLI

MARIA & BERNARD p. 40-47

p. 8-29

ZURBUCHEN

RESTAURANT ZUM KOPF

MARTINES

Im Gassen 16, Zürich

Maria & Bernard Zurbuchen

PERFETTI SCONOSCIUTI

L'INVITATION

Paolo Genovese

Claude Goretta

KARSTEN FÖDINGER

MARIA CONEN & p. 48-55

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JONATHAN SERGISON

RAOUL SIGL

FOUR BANAL DE VERBIER

CO-OP : INTERIEUR

Verbier

Hannes Meyer

NOSFERATU, PHANTOM DER NACHT

FOOD

Werner Herzog

Gordon Matta-Clark

p. 66-73

p. 74-81

CATHERINE GAY MENZEL &

PHILIPPE BÉBOUX &

GÖTZ MENZEL

STÉPHANIE BENDER

p. 82-89

JEAN BAPTISTE BRUDERER p. 110-117

p. 134-139

LA CUISINE DU FORT DE ST-MAURICE

LA BORNE

LE TRIGON

St-Maurice

Cuisine-cheminée ouverte

Heidi et Peter Wenger

GOSFORD PARK

THE COOK, THE THIEF, HIS WIFE AND HER LOVER

LAST REQUESTS

Robert Altman

Peter Greenaway

Courtenay Johnson

JO TAILLEU

ERIC LAPIERRE

ADRIEN VERSCHUERE

p. 90-99

p. 118-125

p. 144-151

STUDIO HOUSE

LA MAISON BLANCHE

CANTINE DES BAINS DES PAQUIS

Peter Märkli

Le Corbusier

Genève

THE OLD MAN IN THE COTTAGE

A WOMAN UNDER THE INFLUENCE

2001 : A SPACE ODYSSEY

Nina Hedenius

John Cassavetes

Stanley Kubrick

PHILIPP ESCH

DIOGO FONSESCA LOPES p. 100-109

p. 126-133

DER TURM AM SEE

VILLA LE LAC

Carl Gustav Jung

Le Corbusier

AMARCORD

LATE SPRING

Federico Fellini

Yasujirô Ozu

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Tempus Edendi Le temps du repas

L’architecture met en scène la vie quotidienne : elle produit un mouvement, un espace, un temps.

Tempus Edendi, dans ce théâtre de la vie quotidienne, observe, décrypte ce moment du repas.

Comment un repas se prépare, se cuisine, se dresse, se mange ou se digère-t-il ? Comment vit-on intimement ou collectivement ce besoin de se nourrir ?

Quel espace pour quel genre de cuisine ? Dans quel contexte et avec quel détail architectural se nourrit-on ?

La cuisine est souvent considérée comme l’espace premier des espaces domestiques. Elle concentre des aspects sociaux, fait appel à des rituels précis, tant personnels que culturels. Plus tard, la cuisine parle aussi du chez-soi, de la représentation sociétale, de la modernité. La cuisine se définit autant par sa dimension architecturale que son rôle social. Avant même d’être qualifiée d’espace, la cuisine abrite déjà tout un pan de l’histoire de

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notre civilisation. Elle évolue fortement au travers des évolutions techniques et sera profondément impactée par les changements sociétaux.

L’acte de se nourrir négocie le plaisir et la nécessité qui par-delà des exigences biologiques, offre une forme de détente. La notion de restauration exprime en elle-même cette dualité de sens : restauration de soi-même, mais également communion avec les autres. Se nourrir est ainsi à la fois un des actes les plus primitifs et la trame de fond de la socialisation à l’autre. Autour d’une table se lie et se délie des alliances, on y négocie, on y comprend la notion d’appartenance à un groupe ou à une structure familiale. C’est le lieu des comptesrendus quotidiens.

Si la série initiée par ce livre parle de morceaux de domesticité, nos recherches sont également des morceaux de curiosité découverts au fil de nos

recherches et de nos lectures. Tempus Edendi n’entend ainsi pas faire une anthologie exhaustive de la cuisine, mais effleure des moments exceptionnels tant spatiaux que temporels. À ces recherches, s’ajoute le travail des étudiants fait en étroite collaboration avec des professeurs, des enseignants actuellement dans les murs de l’EPFL ou ayant participé par le passé à l’enseignement de l’architecture dans notre école. Les professeurs étaient invités à allier deux cuisines de leur choix, issues de deux formes d’architecture : celle construite, appartenant au monde du bâti, celle représentée dans le cinéma. C’est ainsi une valse de deux cuisines que vous retrouverez au fil des pages du livre. Elles se raconteront à travers une série de plans, de photos de maquettes, de textes, mais également dans des films à visionner sur vimeo au moyen d’un QR code.

Jean Cocteau dans la cuisine de son appartement au Palais-Royal

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Vitruve également nous parle, dans son traité d’architecture, de ce moment fondateur de la société humaine où la capacité de contrôler le feu va engendrer la question sociétale, mais aussi spatiale : tenir feu et lieu sont donc intrinsèquement liés. « Ce fut donc la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. »2

La cuisinière, Félix Vallotton, (1892)

Tenir feu et lieu « [...] On s’aperçoit dans le déroulement du mythe que la cuisine est bien autre chose qu’une simple invention technique, c’est le symbole du passage de la nature à la culture. [...]

Puisque les animaux ne font pas cuire leurs aliments, il n’existe aucune civilisation, aucune société humaine, aussi humble soit-elle, qui pour partie ou pour totalité, d’une façon ou de l’autre, ne soumette pas sa nourriture à une préparation culinaire. Il y a donc ce premier niveau, le niveau ostensible du mythe qui est ce passage de la nature à la culture. »1 Dans son mythe sur l’origine de la cuisine, portant le titre culinaire Le Cru et le Cuit, Claude LéviStrauss oppose par ces deux termes la question de la nature et de la culture. Le cuit est selon lui l’expression de la culture, la trace de ce que l’homme a appris, une des premières présences de la sociabilité.

Cette maîtrise du feu passe forcément par sa mise à l’abri de toute condition menaçante à sa survie.

Nait alors le Foyer. L’origine étymologique du mot vient de l’adjectif latin focarius, signifiant « de feu »3, alors que sa définition première introduit cette notion spatiale et nous dit que c’est « le lieu où l’on fait le feu »4. Plus tard, l’histoire nous enseigne que la cuisine a succédé à la partie de l’habitat où se trouvait le foyer, le lieu du feu.

Autrefois, le feu était au centre de la vie. On se rassemblait autour du feu non seulement pour préparer les repas, mais aussi pour se réchauffer, pour des activités artisanales et parce qu’il offrait de la lumière. La fumée, quant à elle, permettait de conserver des aliments. Le foyer est ainsi la pièce, où la famille se tient le jour et y dort la nuit.

Cette utilisation polyvalente de l’espace du foyer est une nécessité dans l’habitat primitif. Dans les maisons médiévales, le foyer était placé de plainpied ou légèrement surélevé, dans un coin ou contre un mur ; sa présence suffisait à distinguer les habitations des granges, écuries et autres dépendances. En Suisse, le foyer avait également un rôle symbolique : avoir un foyer induisait des droits et des devoirs envers la communauté villageoise.

2

1 Claude Lévi-Strauss à propos du livre, Le Cru et le Cuit, Lectures pour tous, 14 octobre 1964, Office national de radiodiffusion télévision française

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L’impôt par feu, le fouage, était dû indépendamment au nombre d’habitants de la maison. Et lors d’un changement de propriétaire d’une maison, le feu était symboliquement éteint avant d’être rallumé, comme signe de passation des lieux5.

Cette « cuisine polyvalente » était courante dans une grande partie de la Suisse jusqu’au XIXe siècle. La cuisine séparée de la pièce à vivre, que l’on utilisait spécialement pour préparer les repas, a longtemps été un privilège des couches sociales supérieures.

En France, la naissance et l’évolution de la salle à manger sont plus précoces et font écho à un mouvement général de spécialisation des pièces aux XVIIes et XVIIIes siècles. Jusqu’alors, les pièces d’habitation revêtent plusieurs fonctions, où seul le mobilier induit l’usage, et ce dans tous les milieux sociaux. Dans la classe bourgeoise, les repas étaient autant servis dans la chambre, la salle ou l’antichambre, avant que s’impose une pièce spécifique, appelée « salle à manger ». Si le mot lui-même figure pour la première fois dans des manuscrits au début du XVIIe siècle, il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que la pratique se généralise dans les milieux bourgeois et le XIXe siècle pour sa mise en place et son utilisation systématique dans toutes les couches de la société. La salle à manger ne cessera de se nourrir des évolutions architecturales et sociales très riches pour se transformer et se redéfinir.

Le foyer, cuisine du Moyen-âge En Europe, durant le Moyen-âge, le régime alimentaire est principalement constitué de potages de légumes, de céréales et plus rarement

Vitruve, De l’architecture, livre II, trad. Ch.-L. Maufras, Paris, 1847

3 Wiktionnaire, https://fr.wiktionary.org/wiki/foyer (consulté le 5 novembre 2021) 4 Larousse, Dictionnnaire de Français en ligne, https://www.larousse. fr/dictionnaires/francais/foyer/34920 (consulté le 5 novembre 2021)

5 Anna Bähler Lüthi, Cuisine, Dictionnaire Historique de la Suisse,Traduction de Pierre-G. Martin, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016235/2008-11-04/ (consulté le 5 novembre 2021)

de viandes. Les potages sont cuits dans une grande marmite suspendue au-dessus du foyer qui brûle en continu. Comme le témoigne la peinture de Pieter Bruegel, le feu occupe le centre de la pièce et toute la vie se rassemble autour. Les habitations étaient constituées de salles qui n’étaient pas liées à un usage en particulier, mais leurs fonctions dépendaient du mobilier et leurs affectations pouvaient évoluer selon les saisons. Il n'y avait donc pas de cuisine ou de salle à manger à proprement parler, mais on cuisait, ainsi que consommait la nourriture dans une pièce que l’on nommait la « salle commune », où se déroulaient toutes les activités domestiques de la vie quotidienne6. On mangeait tous ensemble autour d’une grande table proche du foyer et le plus souvent des lits occupaient un coin de la pièce. Le foyer occupe le cœur de la maison et en plus de servir à cuire les potages et les viandes, il sert à réchauffer les habitants.

Au départ, la fumée n’est pas directement évacuée à travers un conduit, mais par une ouverture pratiquée dans la toiture et se répand dans le toit.

des niches dans les murs en pierre. Ici, toute la toiture devient la hotte. En effet, la multiplication des foyers nécessite une prise d’air sur la partie supérieure et la lanterne devient un élément très perfectionné qui permet l’évacuation et l’arrivée d’air tout en étant le plus souvent l'unique source de lumière.

Borne d'un chalet dans la Vallée de Joux (1905) La borne (ou le tuyé en Franche-Comté) est une cheminée que l'on peut trouver dans les chalets d'alpage qui sert à la fabrication du fromage et du fumage de la viande. Elle est assimilable au modèle médiéval de foyer central couronné d'une forme archaïque de la hotte.

La cuisine est isolée du réfectoire pour éviter que la fumée des foyers (qui brûlent en continu), ainsi que le bruit et les odeurs qui en émanent, n’incommodent les espaces dédiés à la vie monastique.

Une certaine ségrégation entre l’espace dédié à la

Cette solution permet de repousser les insectes et prévient la détérioration de la charpente, cependant présente un important risque d’incendie et enfume continuellement l'atmosphère de la pièce. L'invention de la hotte, construite en bois ou en brique, débouchant sur un lanterneau va permettre de mieux contrôler l'évacuation de la fumée7. Cette évolution va transformer le rapport entre l'architecture et le foyer.

La cuisine monastique

Le foyer, au-dessus duquel une grosse marmite est suspendue, occupe le centre de la salle commune.

Un des grands archétypes de la cuisine qui naît au Moyen-âge est la cuisine monastique. Elle répond à une nécessité d’alimenter toute l’année un grand nombre de religieux et de convers (parfois plusieurs centaines de personnes). L’usage d’un foyer « traditionnel » pour cuire les aliments ne suffit plus et la cuisine va prendre la forme d’un bâtiment autonome doté d’un système de cheminée très élaboré qui en devient l’unique construction de la pièce.

Le foyer est soit central soit multiplié et occupe

6 Monique Eleb avec Anne Debarre, Architecture de la Vie Privée, XVIIe-XIXe, Editions Archives d'Architecture Moderne, Bruxelles, 1989, p.22-23

7 Christian Dupavillon, Eléments d'une architecture gourmande, Société nouvelle Adam Biro, Paris, 2002, p.18

La visite chez Mündel, Pieter Bruegel le Jeune, (1616)

Coupe axonométrique de la cuisine de l'Abbaye de Glastonburry, August Choisy, (1841-1909) Les foyers occupent les angles de la pièce et la fumée s'échappe par l'espace résultant de la rencontre entre la coupole octogonale et le plan carré de la pièce. Le lanterneau permet un double flux d'air.

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Alexander Pope qui séjourna dans le manoir de Stanton Harcourt en 1718 : « The kitchen is built in form of the Rotonda, being one vast vault to the top of the house, where one aperture serves to let out the smoke and let in the light.

By the blackness of the walls, the circular fires, vast cauldrons, yawning mouths of ovens and furnaces, you would think it either the forge of Vulcan, the cave of Polyphene, or the temple of Moloch. The horror of this place has made such an impression on the country people that they believe the witches keep their Sabbath here, and that once a year the Devils treats them with infernal venison, a roasted tiger stuffed with tenpenny nails. » 9

Abbot's Kitchen Glastonburry, photographie historique, (1903) La cuisine est un bâtiment autonome éloigné des autres bâtiments dédiés à la vie monastique.

préparation du repas et l’espace de consommation en résulte.

En Angleterre, plusieurs exemples de cuisines monastiques subsistent8 : la « Monk’s Kitchen » de Stanton Harcourt (1380) et la cuisine de l’abbaye de Glastonbury (1342). Ces deux « cuisine-maisons » (Kitchen-House) sont, dans la tradition des cuisines monastiques, isolées des autres constructions, de plan central et surmontées d’une coupole et couronné d’un lanterneau. La coupe en forme de bâtiment-cheminée, comme en témoigne l'axonométrie d’Auguste Choisy, s’apparente à des fournaises lorsqu’elles sont en usage. Leur présence et leur atmosphère mystique sont décrites par

8 Tony Rivers, Dan Cruickshank, Gillian Darley, Martin Pawley, The Name of the Room: A History of the British House & Home, BBC Books, 1993, p.108

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Le labeur dans ces cuisines, comparées par Pope à des forges mythologiques ou au temple de Moloch, divinité qui sacrifiait des enfants par le feu, était réputé extrêmement éprouvant et réservé exclusivement à des hommes.

Ce type de constellation spatiale entre une grande cuisine et le lieu du repas peut être observé dans certaines constructions anglaises du XIXe siècle.

En 1815, John Nash est mandaté par Georges IV pour la reconstruction du Royal Pavilion à Brighton. La cuisine que John Nash construit est immense. Le style architectural est éclectique, mais il reprend l’organisation des cuisines monastique sous la forme d’une « Kitchen-House » attenante au bâtiment principal. Les convers sont ici remplacés par des cuisiniers. Les nécessités liées à l’arrivée d’air pour le fonctionnement des foyers ont disparu, car d’immenses fourneaux incrustés dans les murs remplacent les foyers ouverts. Cependant,

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Ibidem note 8, p.109

Royal Pavillion, John Nash, (1823) Georges IV faisait visiter la cuisine à ses invités avant de les faire passer à table.

la cuisine garde un plan central et est illuminée par un grand lanterneau. Le plan n’est plus circulaire ou octogonal, mais carré pour faciliter le placement des imposants fourneaux. La monumentalité de l’espace de la cuisine devient ici un élément de représentation. En effet, Georges IV était très fier de sa cuisine et la faisait visiter à ses invités. Il s’agit d'un des premiers exemples de cuisine « à visiter ».

La cuisine du château de Hatherop construit par l'architecte Henry Clutton reprend également l'organisation en plan central surmonté d'une coupole

Hathetrop Castle, Henry Clutton, (1856) Organe complexe formé par la cuisine et la salle à manger ainsi que de multiples espaces qui les lient. Le couloir aboutit dans la « serving room » qui forme une antichambre avant la salle à manger.

et d'un lanterneau. Elle occupe aussi une position en marge du bâtiment principal et éloignée des pièces de vie des maîtres de maison. Cette particularité héritée de l’organisation très hiérarchisée des monastères est une constante dans les logements construits pour des classes sociales qui avaient recours à de nombreux servants.

Le lanterneau renvoie à l’image médiévale du foyer et la mémoire de la présence du feu (bien qu’ici maîtrisée dans les fourneaux) est ainsi exacerbée.

Lutyens dira lui-même qu’il s’est également inspiré d’un lanterneau de la banque d’Angleterre de John Soane. Il est d’ailleurs étonnant des noter une certaine similitude entre la configuration spatiale de la cuisine du Castle Drogo et la Breakfast Room de la maison de Soane. Chez ce dernier, la spatialité et la mise en scène de la lumière sont réservées à l’espace dédié à la prise du petit-déjeuner du maître de maison. La cuisine, relativement petite et basse de plafond, est située en sous-sol et ne bénéficie pas d’une attention particulière de la part de l’architecte.12

La cuisine Arts and Crafts La référence aux cuisines monastiques est plus évidente chez certains architectes du mouvement Arts and Crafts comme par exemple la cuisine du Castle Drogo, construite par Edwin Lutyens. En 1910, Julius Drewe, directeur des magasins Home and Colonial Stores, mandate Edwin Lutyens pour lui construire un château, au sud-ouest du village de Drewsteignton. « The ultimate justification of Drogo is that it does not pretend to be a castle. It is a castle, as a castle is built, of granite, on a mountain, in the twentieth century. »10 Lutyens entreprend l’élaboration de ce château du XXe siècle, en y intégrant tout le confort domestique et la technologie moderne disponible.

Une des demandes de la cliente, Mrs Drewe, a été de placer la cuisine au rez-de-chaussée afin d’offrir à son cuisinier le maximum d’ouverture et de lumière naturelle. Cependant, les plans finaux d’Edwin Lutyens comportent une cuisine en sous-sol, solution répandue en Angleterre, et en lien avec les autres pièces de service. Les plats étaient acheminés à la salle à manger située à l’étage supérieur grâce à un système de monte-plat. Un jeu de rond et de carré organise l’espace ; le lanterneau fait écho à la table centrale en chêne massif

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Description du Castle Drogo par Christopher Hussey

Les habitations anglaises plus modestes de la Castle Drogo's Kitchen, Edwin Lutyens, (1928) La spatialité de la cuisine de Lutyens renvoie aux cuisines monastiques du Moyen-âge.

qui sert de plan de travail et en est la seule source de lumière. La coupole rencontre les épais murs de granit du plan carré en formant quatre arches qui définissent l’emplacement des deux fourneaux en fonte alimentés de charbon ainsi que les armoires en chêne et les portes donnant accès à la « sculery » (espace dédié au nettoyage de la vaisselle). Edwin Lutyens décrit la cuisine du Castle Drogo avec romantisme : « The pots and range glisten in the light, where a cheery cook turns mountains into molehills and frugal fare into a feast. »11

11 Description de la cuisine du Castle Drogo par Edwin Lutyens, Ibidem note 8, p.131

The Breakfast Room, Sir John Soane, (1823) Le verre coloré du lanterneau illumine la pièce d'une teinte jaune pour que la prise du petit-déjeuner soit tous les jours ensoleillée.

12 Photographies du sous-terrain de la maison de John Soane www.soane.org/langlands-bell-degrees-truth/basement

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même époque continuaient à entretenir le modèle hérité des maisons rurales médiévales ou l’unique pièce de vie du logement regroupait la cuisine, la salle à manger, le salon et un lit. Dans son livre Das Englische Haus paru aux alentours de 1900, Hermann Muthesius observa les caractéristiques spécifiquement anglaises qui diffèrent de celles du continent dans l’organisation des espaces liés à la préparation de la nourriture. Il observa que de manière systématique les fourneaux en fonte, qui ont remplacé les foyers dans les habitations au XIXe siècle, étaient encastrés dans des alcôves. Fait qu’il décrit comme étant l’attachement des Anglais à la présence du feu :

Fourneau intégré, Pembrokeshire, (1949) L'habitante profite de la chaleur du foyer dont le surplus est utilisé pour faire fumer de la viande suspendue au plafond.

« So inseparably bound up with the English notion of an interior is it that they still want to create the impression of a fire-place in their Kitchen. Muthesius admet également : Every French chef who comes to England declares that he cannot possibly prepare even the simplest sauce on such a medieval contraption. »13 La survie de ce type de foyer, presque inchangé depuis l’époque médiévale, Muthesis l’explique par les habitudes culinaires anglaises traditionnelles que sont le pain toasté pour le petit-déjeuner et les viandes cuites à la broche.

Un an après la fin des travaux pour la construction du Castle Drogo, Lutyens commença la construction de l’ensemble d’habitations de Grosvenor Estate à Page Street dans le quartier londonien de Westminster. Cet ensemble de bâtiments de six étages, regroupant 600 logements sociaux, remplace un quartier dense devenu insalubre à la suite de crues répétées de la Tamise. En forme de « U », chaque bloc est positionné perpendiculairement à la rue sur laquelle s’ouvrent une succession d’espaces paysagers publics et de cours ouvertes autour desquelles s’organisent les logements ainsi que les circulations en galeries.

Ce projet de Lutyens nous intéresse particulièrement, car les cuisines occupent une importante place dans la réflexion typologique. Chaque appartement bénéficie d'une cuisine (à l’inverse des salles de bain et des toilettes qui étaient communes) de dimension similaire aux autres pièces de l’appartement. Elles sont toutes orientées vers la coursive, s'ouvrent grâce à une fenêtre à guillotine et leurs regards se croisent à travers les colonnes en briques

13 Hermann Muthesius, Das Englische Haus - Band 3, Der Innenraum des Englischen Hauses, Fachbuchverlag-Dresden, 2015

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Grosvenor Estate, Edwin Lutyens, (1929) La boîte de « beans » anglais attend patiemment sur le bord de la fenêtre à guillotine.

qui reposent sur les balustrades en ciment Portland peint en blanc. La présence des cuisines intensifie les relations de voisinage au sein de l’espace de la cour. Durant les heures de repas, les odeurs et les bruits de cuisines, tant redoutées par les habitants des manoirs bourgeois, remplissent l’espace d’une atmosphère pleine de vie et de domesticité.

La cuisine des habitations bourgeoises À partir de la Renaissance, les aristocrates et grands bourgeois français vont organiser la cuisine et la salle à manger en accord avec leurs façons de vivre : « le lieu sacré de la gastronomie est la salle à manger comme salle de spectacle ; l’office n’en est que la coulisse. Le travail, la technique sont oubliés au profit de l’art et de ses effets magiques. »14 Recevoir à table est devenu un rite et la cuisine tient lieu de coulisse de la salle à manger dont l’usage se codifie et devient le théâtre d’un certain art de vivre. Le personnel de bouche dérange et doit se faire invisible pour que la magie opère. De plus, les odeurs de la nourriture en préparation étaient jugées vulgaires. Les cuisines sont donc cachées et placées le plus souvent aux sous-sols des hôtels d’habitations. Dans certaines demeures les plus luxueuses, pour accentuer l’effet théâtral, il y a eu des tentatives d’inventer des dispositifs mécaniques faisant disparaître la table posée sur une plate-forme mobile dans les sous-sols pour la faire ensuite réapparaître dressée et chargée de victuailles.

Au XIXe siècle, ce modèle va connaître une évolution due à la prise de conscience de l’insalubrité de

14 Bonze J.-C, Grimod de La Reynière, Écrits gastronomiques, 10/18, Paris, 1978, p.59

ces espaces souterrains et également à l’apparition des appartements bourgeois en ville : « Ainsi entrerons nous dans cette salle à manger, non dans l'axe, mais latéralement, ce qui est plus commode ; car vous savez que, lorsqu'on se dirige vers la table ou qu'on sort de dîner, les messieurs offrent les bras aux dames. Il est donc bon qu'en sortant ou en entrant, on n'ait pas un obstacle qui puisse entraver la marche de ces couples. La porte donnant du salon sur la salle à manger ne sera plus dans l'axe de l'ouverture donnant du salon dans la salle de billard ; mais cela m'est égal. Cette porte sera en pendant avec la fenêtre s'ouvrant de ce côté sur le dehors, et au milieu nous placerons la cheminée. (...) Il est tout simple de mettre la cuisine à proximité de la salle à manger. Mais la cuisine est un service incommode. Quand on est pas à table, il ne faut ni sentir l'odeur des mets, ni entendre le bruit des personnes affectées à ce service.

La cuisine doit donc être, d'une part, non loin de la salle à manger, d'autre part assez éloignée de l'habitation pour qu'on ait point à en soupçonner existence.

De plus, il faut à proximité de la cuisine, la cour de

Le coin de la table, Paul Chabas, (1904) Dans les habitations bourgeoises, le temps du repas est un spectacle.

Coupe d'un hôtel d' habitation, Jean Charles Krafft, (1798) La cuisine occupe les espaces voûtés du sous-sol. Elle est invisible.

service, les communs, le poulailler, un petit potager, des laveries, etc. Il importe aussi que la cuisine ne soit pas placée à l'exposition du midi. N'oublions pas que madame votre soeur, qui s'entend à diriger une maison, a eu la précaution de dire dans le programme laconique qu'elle envoie : "Cuisine, pas sous-sol !"

Elle a raison, les cuisines en sous-sol sont malsaines pour ceux qui s'y tiennent, difficilement surveillées et répandent leur odeur dans le rez-de-chaussée. Nous la placerons donc de plain-pied avec la salle à manger, mais sans communication directe avec celle-ci pour éviter l'odeur et le bruit. »15 Dans Histoire d’une maison publiée en 1873, Eugène Viollet-le-Duc livre le témoignage d’un processus projectuel pour une maison bourgeoise à travers le personnage de Paul, jeune homme qui décide de construire une maison pour sa sœur et sa future famille. Bien que la maison réponde aux codes bourgeois du XIXe siècle, nous pouvons voir que la cuisine va connaître une migration.

En effet, la sœur de Paul et Eugène Viollet-le-Duc

15 Eugène Viollet-le-Duc, Histoire de l'habitation humaine,Pierre Mardaga, Bruxelles, 1978

13

avec ce mode de vie.

L’essor de la petite bourgeoisie entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle implique pour cette nouvelle classe sociale un changement de pratiques, et l’adoption à de nouveaux lieux. Ces modes de vie, basés sur l’hégémonie du modèle de la grande bourgeoisie, doivent s’adapter aux appartements de taille plus

Intérieur, Table de salle à manger avec bouquet, Félix Vallotton, (1904) La double porte accentue l'effet de l'enfi lade avec le salon et permet à deux personnes de marcher côte à côte en pénétrant dans la pièce.

refuse le modèle des cuisines en sous-sol jugées malsaines et difficilement contrôlables. Mais ils considèrent encore que les gênes occasionnées par les odeurs et les bruits des domestiques nécessitent qu’elle ne soit pas en relation directe avec la salle à manger. La recherche de la distance adéquate entre la cuisine et la salle à manger sera une des préoccupations des architectes de cette période. La salle à manger des logements bourgeois est un espace de réception important et forme une constellation avec le salon et le vestibule. La cuisine, coulisse du

modeste et séparés par des étages partageant une cage d’escalier. La cuisine est toujours écartée des espaces d’habitation et de réception et fait partie d’un dispositif complet qui englobe l’escalier de service, le couloir de service et l’office qui la relie à la salle à manger. Comme Julien Guadet le précise : « Je veux seulement bien vous montrer que dans la grande habitation, le mot cuisine est un terme général qui exprime tout un ensemble ; c’est en ce sens qu’on disait autrefois « les cuisines ». Et lors même que votre programme vous dit simplement « une cuisine », vous ne lui donnez pas satisfaction par une pièce unique, si grande soit-elle, il vous faut penser

Maison de rapport, avenue Daumesnil, Alexandre Borgeaud (1906) Le buffet comme espace de transition d'où apparaissent et disparaissent les domestiques. Les ornementations riches des plafonds de la salle à manger et du buffet sont dessinés dans le pan et accentuent le contraste avec les espaces de service.

qu’on désigne par là tout le service de la bouche qui dans les maisons riches, est très compliqué. »16 Les traités de savoir-vivre élaborés durant cette période tentent également d’établir des règles concernant l’ameublement, le dimensionnement et l’éclairage de salle à manger qui devient la plus grande pièce de l’appartement17. Elle doit être plus longue que large, basée sur les dimensions de la table qui en est la mesure, mais aussi prendre en compte la place de la cheminée (libérée de la fonction de cuisson, elle doit dorénavant assurer à

théâtre de la vie bourgeoise, doit en être le plus éloignée possible. Les nuisances sensorielles liées

Maison de rapport, rue de Messine, Louis Chesnay, (1906)

la pièce une température de minimum 15 degrés) ainsi que du buffet-dressoir servant à ranger la

à l’odeur et au bruit, renvoyant directement à la notion de domesticité, ne sont pas compatibles

L'escalier de service, la cuisine et l'office s'enroulent autour de la chambre des domestiques pour former un organe qui alimente la salle à manger.

vaisselle et dresser les mets dans les assiettes avant le service à table. Comme mentionné plus tôt, le

16 Julien Guadet, Éléments et théorie de l'architecture, Paris, Libraire de la construction moderne, 1902, tome II, p. 118.

17 Monique Eleb avec Anne Debarre, L'invention de l'habotation moderne, Paris 1880-1914, Editions Hazan, 1995, p. 112.

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rapprochement des cuisines et de la salle à manger va nécessiter l’invention de l’office, espace de seuil servant de transition entre les espaces « sales » de la cuisine et les espaces « propres » de réception.

Comme le dit Guadet : « l’office est en quelque sorte les coulisses de la salle à manger. Dans la disposition générale de l’habitation, sa place sera en communication directe avec la salle à manger et autant que possible sur le parcours entre elle et la cuisine. Dans tous les cas, il ne faut jamais qu’il y ait communica-

sur les biens immobiliers qui deviennent chers et insalubres. Les populations modestes louent et habitent de petits appartements dans des « taudis » vétustes et mal entretenus par leurs propriétaires.

En 1850, à la suite de graves épidémies, apparaît pour la première fois en France une loi de salubrité publique et un changement de mœurs et de rapport à l’hygiène.19 La démolition de nombreux « taudis » débute et des logements populaires font

tion ou simplement voisinage immédiat entre la salle

progressivement leurs apparitions. Contrairement au logement bourgeois, la cuisine-salle à manger

à manger et la cuisine. »18

de ce nouveau type appartements plus modeste

Quelques exemples montrent la richesse spatiale que des architectes ont développée pour intensifier la relation spatiale entre la cuisine et la salle à manger. Dans la maison de rapport de l’avenue Daumesnil, de l’architecte Alexandre Borgeaud, le buffet devient un élément spatial, une sorte d’alcôve ouverte sur la salle à manger. Deux petites portes latérales de part et d’autre de cette alcôve mènent directement, d’un côté à l’office, de l’autre à la cuisine, et permettent aux domestiques d’apparaître des coulisses pour dresser la table et effectuer le service. Cet usage du buffet comme espace de transition permet une mise en scène et

est la seule pièce commune et devient un élément majeur des typologies comme espace principal du logement. Toutes les activités des occupants se déroulent dans la cuisine et les architectes commencent à expérimenter sur l'idée de cuisine habitable. À partir de 1860, le riche industriel Jean-Baptiste

Cuisine intégrée dans la salle à manger, avenue Daumesnil, Auguste Labussière, (1908) Ce modèle de cuisine, identique aux habitations paysannes, reste une des solutions employées par les architectes des « Habitations à bon marché ».

André Gaudin entreprend la construction du Familistère de Guise afin de loger dignement les ouvriers qui travaillent dans son usine. Lui-même a été ouvrier et a expérimenté ces conditions de vie difficiles. Il prône le modèle social de l'habitation en communauté et construit le « palais social » formé de trois blocs d'habitations de quatre niveaux connectés dans les angles et chacune des ailes possède une circulation en coursive occupant la cour centrale couverte. Au départ, Gaudin avait prévu une grande salle à manger commune, mais

une scénographie du service de la bouche et réussit de manière compacte d'intensifier la « théâtralisation » de la relation spatiale entre la cuisine et la salle à manger.

La cuisine des logements ouvriers L’arrivée massive au XIXe siècle de population

Cuisine-salle à manger d'un logement du Familistère de Guise, Jean-Baptiste André Gaudin, (1900)

cette idée fût abandonnée, les habitants préférant continuer à partager en famille le moment du repas. Les logements du familistère sont des

rurale en ville, ainsi que l'augmentation du nombre d'ouvriers va augmenter la pression économique

Un poêle sert de chauffage et de fourneau pour cuisiner. La photographie témoigne que les habitants, bien que modestes, jouissent d'un certain confort.

appartements traversants de 2 ou 4 pièces et les cuisines-salle à manger se situent du côté de la

18

19 Jacques Lucan, Eau et gaz à tous les étages : Paris, 100 ans de logement, Edition du Pavillon de l'Arsenal, 1992, p.76

Ibidem note 16, p. 108.

15

cuisine ouverte d’aujourd’hui.

Traumatisées par les épidémies passées, ces cuisines intègrent les notions hygiènistes. Les locaux doivent pouvoir s'aérer suffisamment et les matériaux utilisés doivent pouvoir être nettoyés et entretenus facilement. Ces tâches ménagères incombent généralement aux femmes, dont les Plan d'un logement HBM rue Émile-Zola, projet lauréat, (1913).

La cuisine-niche équipée possède une fenêtre donnant sur la rue et s'ouvre sur la salle commune qui sert également de distribution.

cour. Une grande fenêtre illumine la pièce dotée d'un simple poêle qui sert à chauffer la pièce et à cuisiner. Les pièces sont généreuses et permettent d'y disposer une table qui accueille l'ensemble de la famille.

En 1913, le premier concours pour la construction d’habitations à bon marché est organisé par la ville de Paris et laisse aux architectes une certaine liberté de proposer un dispositif regroupant une cuisine équipée et la salle à manger. Deux types de dispositifs se généralisent : la cuisine intégrée à la salle commune et la cuisine-niche située dans une alcôve. Dans l'exemple de la cuisine des HBM rue Émile-Zola, la salle commune sert également de distribution du logement et nous pouvons constater que les cuisines commencent à s'ouvrir sur la façade principale côté rue20. En effet, en tant qu’espace majeur du logement, elle n’est plus systématiquement reléguée à l’arrière du logement et condamnée à s’ouvrir sur la courette de service.

maris partent travailler quotidiennement à l'usine.

XIXe siècle. L’espace de la maison est jusque-là plutôt ouvert et polyvalent, accueillant aussi bien les activités professionnelles dans un espace de travail faisant partie de la maison, que l’espace du logement. La maison n’était alors pas dissociée du travail, ni associée au genre féminin. C’est la révolution industrielle qui conduit les hommes à travailler hors de chez eux, à l’usine. Ce déplacement de l’activité professionnelle met en place une ségrégation du lieu du travail et de la maison,

L’émancipation de la femme par la réforme de

et, avec cela, progressivement la séparation des

la cuisine

sphères masculines et féminines.22

« La femme sera heureuse si son mari est heureux.

Le sourire des femmes est un don des dieux. Et une cuisine bien faite vaut la paix au foyer. Alors, faites donc de la cuisine le lieu du sourire féminin, et que ce sourire rayonne sur l’homme et les enfants présents autour de ce sourire. » 21 Si un siècle plus tard, cette citation du Corbusier à propos de la cuisine développée pour la cité d’habitation de Marseille fait sourire les femmes, les hommes aussi, l’Histoire nous permet certainement de mesurer le chemin parcouru et celui encore à parcourir, lorsque l’on s’intéresse au rôle des femmes dans la sphère domestique. Cette phrase, presque injonctive, reflète fortement le rôle de la femme déterminé au sein des structures familiales du début du XXe siècle.

Les cuisines de ces projets philanthropiques seront précurseurs de la question des logements modernes et peuvent être vues comme les ancêtres de la

Bien que le XXe siècle, et plus particulièrement la période d’entre-deux-guerres, transforme profondément le rapport au foyer et à l’espace de la cuisine, les réflexions sur l’organisation du travail domestique ont déjà été initiées à la fin du

Affiche du Salon des Art Ménagers, (1931)

20

21 Le Corbusier, à propos de sa cité radieuse de Marseille, Fondation Le Corbusier, dans les archives sur le C.I.A.M. [1] de 1953

22 Mounit Kodo, Cuisines, domesticité et condition féminine au début du XXème siècle, 2017

16

Ibidem note 17, p.133

« La théorie des « deux sphères », qui avait dominé la

sein d’un immeuble d’habitation pour plusieurs

société bourgeoise depuis le XIXe siècle, était fondée sur une stricte division genrée : elle définissait l’espace

familles ou d’un complexe de maisons, entraînant la suppression de cuisines privées dans les appar-

public extérieur et politique comme un champ de

tements. La cuisine centrale se situe généralement

bataille propre à la masculinité et faisant de l’espace domestique, intérieur et privé, un lieu naturellement

au sous-sol ou au rez-de-chaussée, en lien avec l’arrière-cour, comme il en était encore souvent

féminin. En réalité, le capitalisme industriel avait

coutume au début du XXe siècle. Le partage

érodé la fonction productive de l’espace domestique qui, une fois privé de pouvoir économique, s’était vu

d’équipements centralisés ne se limite souvent pas uniquement à la cuisine, mais associe des garde-

qualifié de féminin et reproductif. » 23

manger, une laverie à machine automatique ou

Christopher Alexander, dans son livre Pattern of Language, aborde également ce glissement des

encore un chauffage central. Une salle à manger commune, commutable en salle de jeu pour les enfants, permet selon la volonté de chacun

rôles, en particulier dans les milieux bourgeois, et nous apporte un autre éclairage sur le rôle attribué à la femme : celui de la bonne ménagère.

de partager collectivement le repas. La cuisine

« The isolated kitchen, separate from the family and considered as an efficient but unpleasant factory for

Maison à cuisine unique de Copenhague, système de monte-plat, (1903)

food is a hangover from the days of servants; and from the more recent days when women willingly took over the servants’ role. »24

l’efficacité et de la collectivisation des tâches ménagères un enjeu public. L’aile progressiste du mouvement des femmes exigeait essentiellement

Néanmoins, l’Histoire, et en particulier le début du XXe siècle, nous enseigne des tentatives

une « libération des tâches ménagères ». En cheffe de file, nous retrouvons notamment la juriste des droits des femmes et démocrate sociale, d’origine

remarquables, souvent initiées par des femmes visionnaires dans leurs contextes sociaux historiques, de bouleverser l’ordre des choses, de

allemande, Lily Braun. C’est sur la base de ses idées développées dans Travail des femmes et économie domestique25 que Lily Braun entend opposer un

questionner l’architecture de l’espace de la cuisine, tout comme le rôle des femmes dans la sphère domestique.

contre-projet aux immeubles d’habitation de masse planifiée pour les familles de type nucléaire.

Lily Braun et la maison à cuisine unique Au début du XXe siècle, une série de femmes politiquement actives ont commencé à faire de

Une des initiatives proposées des plus radicales consistait en la dissolution des ménages privés au profit de ménages collectifs, les maisons à cuisine unique. Ce modèle réformiste de logement urbain consiste en l’installation d’une cuisine centrale au

Heimhof, Vienne, (1921)

23 Beatriz Preciado, Pornotopie : Playboy et l'invention de la sexualité multimédia, Paris, Climats, 2011 24 Christopher Alexander, Pattern of Language, Pattern 139 Farmhouse kitchen, Oxford University Press, 1977

25 Lily Braun, Frauenarbeit und Hauswirtschaft, Berlin, Expedition der Buchhandlung Vorwärts, 1901

17

centrale est reliée aux appartements au moyen d’un téléphone interne et d’un monte-charge, démontrant un équipement moderne pour l’époque. La

« La maison à cuisine unique et sa réalisation, voie d’une nouvelle culture de l’habitat »26

réalisation des repas et des menus est faite par un personnel de maison, payé par l’ensemble des logements.

Entre 1908 et 1909, pas moins de trois projets

Cette proposition innovante fait écho à d’autres concepts questionnant les modes de vie de la fin

Wilhelmshöher 17-20. Cet ensemble se compose

du XIXe siècle et début du XXe siècle, telle que

d’une cour sur rue avec jardin ouvert. Les logements mesurent chacun 21 mètres de large et 29

la cité-jardin, à la différence prête que la cohésion sociale entre les résidents ne passe pas par un espace vital, mais par un échange social avec l’environnement urbain alentour. Si dans ce modèle

entrent en fonction à Berlin, dont le complexe conçu par l’architecture Albert Gessner, à la rue de trois bâtiments de 4 étages, organisés autour

mètres de profondeur. Un hall d’entrée profond mène à un escalier qui est éclairé par un atrium intérieur et bifurque en deux entrées vers les deux

de maison à cuisine unique la typologie de l’architecture domestique se voit profondément changée, Lily Braun y voit également des effets politiques

cages d’escalier séparées qui ouvrent le « bâtiment

et sociaux. Pour elle, c’est la fin des problèmes de logements prolétaires, mais permet surtout l’émancipation de la femme et l’expression de son droit

pouvoir éclairer et ventiler naturellement les plan-

au travail par sa libération du travail domestique.

Cette gestion collective de l’économie domestique engendre, selon elle, une réforme de la famille qui se voit être libérée des contraintes domestiques au profit de temps dédié la vie familiale.

avant » et le « bâtiment arrière ». Albert Gessner a séparé les cages d’escalier par un atrium afin de chers intérieurs, les couloirs et les salles de bains des appartements, aspect fondamental pour lui dans son approche de réforme des appartements berlinois. Les trois unités d’habitation totalisent 58 appartements, allant d’appartements de 2 à 5 pièces.

Au-delà de la cuisine centrale située en sous-sol et

Dès le début du XXe siècle, divers projets privés voient le jour, à Copenhague, à Stockholm, à Vienne ou encore à Berlin. C’est d’ailleurs dans cette dernière que seront construits plusieurs projets, encouragés par des sociétés privées qui promeuvent et scandent leur concept sous le titre de :

Maison à cuisine unique, Albert Gessner, Wilhelmhöher Strasse 17-20, Berlin, (1909-1912)

« Das Einküchenhaus und seine Verwicklung als Weg zu einer neuen Heimkultur »26

26 Brochure de promotion pour la Einküchenhaus-Gesellschaft der berliner Vororte m.b.H

18

reliée aux appartements par neuf monte-charges, un équipement collectif important est à disposition des habitants : salle de gymnastique, chambre noire pour des travaux photographiques, buanderie commune et séchoirs, salles à repasser, aspirateur central, garages à bicyclettes, garde-meubles.

Ce complexe encore visible aujourd’hui est désormais sous protection du patrimoine culturel. Son fonctionnement initial est abandonné en 1918

Diagramme de la cuisine de Francfort en rapport avec un cuisine traditionnnelle, (1926)

tout comme la plupart des projets de maison à cuisine unique, ceux-ci n’ayant pas vraiment réussi à prouver leur pertinence. Le mouvement de réforme de la maison à une cuisine unique s’est ainsi éteint au milieu des années vingt.

Margarete Schütte-Lihotzky et la cuisine de Francfort « Nachdem wir erkennen, dass das Einküchenhaus für einen sehr großen Teil der Bevölkerung gar nicht in Frage kommt, müssen wir alles tun, den Einzelhaushalt zu reformieren und der Frau jede unnötige Arbeit abzunehmen. »27

possibilités promises par la technologisation accrue de la maison. Un objectif spécifique était d’améliorer l’agencement spatial de la cuisine grâce à une réorganisation rentable du plan.

Dans un contexte de pénurie de logements et de contexte politique instable d’entre-deux guerre, Ernst May, alors devenu urbaniste municipal de la ville de Francfort, entreprend un nouveau programme de logements sociaux, le « Nouveau Francfort ». Afin de réduire les coûts de construction au minimum, Ernst May expérimente avec un mode de construction industriel, en utilisant des éléments constructifs préfabriqués et standardisés. « Le but », selon May, « doit être un appartement que l’on peut monter en quelques jours à partir d’éléments préfabriqués en usine et livrés prêts à être montés »28. En 1926, il fait appel à Margarete Schütte-Lihotzky pour l’aménagement intérieur des appartements.

La cuisine conçue par Margarete SchütteLihotzky, communément appelée « cuisine de

« Après avoir reconnu qu’il ne peut pas être question de la maison à cuisine unique pour une très grande partie de la population, il faut tout faire pour réformer le ménage individuel et retirer à la femme tout travail inutile. »27 À la place d’une économie centralisée des ménages, la rationalisation du petit ménage privé devient désormais l’objectif. Les gens voulaient épuiser les

Chronocyclegraph, Frank & Lilian Gilbreth, (1913)

27 Margarete Schütte-Lihotzky, « Wie kann durch richtigen Wohnungsbau die Hausfrauenarbeit erleichtert werden? », Technik und Haushalt, Vienne, no 9, 1927, p.87

28 Selon https://www.modulart.ch/fr/neues-frankfurt-undabteilung-t/#:~:text=%C2%ABLe%20but%C2%BB%2C%20 selon%20May,en%20oeuvre%20de%20ces%20projets.

Francfort », devait résoudre le problème d’un nombre important de cuisines dans un rapport d’économie d’espace par rapport à la totalité de la surface des appartements. Au début du XXe siècle, le logement typique ouvrier comprenait généralement deux pièces, la cuisine servant alors à plusieurs fonctions : en plus de faire le repas, on y dînait, on y vivait, on s’y lavait, et parfois même, on y dormait, tandis que la seconde pièce servait de « pièce de réception » pour les occasions spéciales comme les rares repas du dimanche. Margarete Schütte-Lihotzky propose une typologie radicalement différente en concevant la cuisine comme une petite pièce séparée, connectée au séjour par une porte coulissante. Ainsi, les fonctions spécifiquement liées au travail (faire la cuisine, etc.) étaient séparées de celles liées à la vie et au repos.

Le développement de la cuisine de Margarete Schütte-Lihotzky se base sur deux influences très fortes, l’une résultant d’une organisation spatiale spécifique, l’autre issue de la perception idéologique de l’espace de la cuisine.

Sa première source d’inspiration découle de l’observation des cuisines des voitures-restaurants dont l’espace était extrêmement contraint, permettant néanmoins la préparation et le service de près de cent couverts. D’autre part, le dessin de la cuisine de Francfort est profondément influencé par les idées tayloristes très discutées au début du XXe siècle. La rationalisation des ménages est née aux États-Unis en conjonction avec la question de l’emploi de domestiques dans la sphère privée. Ces réflexions sont initiées par l’assistante sociale et enseignante américaine, Catherine Beecher, pour

19

Cuisine de Francfort, Margarete Schütte-Lihotzky (1926)

qui la réinvention du cadre de travail quotidien de la femme est étroitement liée avec la question de l’emploi de domestiques inconciliable avec le principe démocratique d’égalité. Comme réponse à ce constat, Catherine Beecher encourage à une entreaide entre tous les membres de la famille, ainsi qu’à une meilleure organisation des conditions et de l’espace de travail.

Pour expliciter ces principes, Christine Frederick et Lilian Gilbert ont toutes deux tenté de transposer cette logique aux tâches ménagères, au moyen de diagrammes et schémas. Elles ont divisé les processus de travail en trois étapes fondamentales, « la préparation, la cuisson et le nettoyage », et les ont attribués aux postes de travail appropriés : « armoire de stockage, cuisinière et évier », toujours dans un esprit de rationalisation afin de rendre le travail plus facile et plus efficace. Lilian & Frank Gilbreth vont jusqu'à figer les mouvements, sous forme de sculptures dans un premier temps, puis au moyen de photographies, afin de les analyser, les rationaliser et ainsi améliorer le rendement.

Concrètement, la cuisine de Francfort type était une cuisine laboratoire étroite mesurant 1,9 X 3,4 mètres. L’entrée se faisait par une porte dans le sens de la largeur, avec en face la fenêtre. Le long du côté gauche (par rapport à l’entrée) se trouvait la cuisinière, suivie d’une porte coulissante permettant d’amener les plats vers la salle à manger et le salon. Sur le mur droit, il y avait des placards et l’évier, et devant la fenêtre était réservé un espace de travail. Il n’y avait pas de réfrigérateur, mais une table à repasser pliante pouvant se rabattre le long du mur.

Christine Frederik, tout comme Catherine Beecher, considère le travail domestique comme une vraie profession, ayant pour conséquence de voir l’optimisation industrielle poussée par le taylorisme se répandre dans la sphère domestique.

On parle alors de « cuisine de travail ».

Siedlung Niederrad, Zickzackhausen, Francfort, (1925-1933)

20

Hans Leistikow, Affiche du congrè CIAM (1929)

La disposition en longueur de la cuisine n’était pas seulement due aux contraintes d’espace, c’était aussi une disposition voulue dans une tentative de taylorisation et de rationalisation pour minimiser le nombre de pas à faire lorsque l’on s’affairait dans la cuisine. La porte coulissante cherchait aussi à minimiser les distances entre la cuisine et la table dans la pièce adjacente.

Plus de 10 000 unités de la cuisine de Francfort seront installées dans les nouveaux logements ouvriers initiés par Ernst May, et en particulier dans la Römerstadt ou les Zickzachhausen. Si la cuisine et les petits éléments de construction normalisés ont été largement utilisés, le mode de

construction préfabriqué à l’échelle des bâtiments a moins bien fonctionné. Ce procédé n’a pu être mis en œuvre uniquement pour environ 1 000 à 1 600 appartements, celui-ci étant plus coûteux que la méthode de construction classique en maçonnerie. Par ailleurs, la cuisine de Francfort a introduit dans les ménages ouvriers des principes spatiaux qui étaient auparavant réservés à la classe bourgeoise : la séparation de la cuisine des espaces de vie et un espace aménagé de meubles intégrés.

Le travail de Ernst May à Francfort fut un succès critique et social. Dans un laps de temps de près de 5 ans, May a produit plus de 15 000 logements sociaux. En parallèle, il publie son propre journal, Das Neue Frankfurt. Il obtint en 1929 une large attention à travers l’organisation du 2e congrès des CIAM, Congrès Internationaux d’Architec-

permet une grande lisibilité de l’ensemble des propositions. La conférence de 1929 représente ainsi une étape décisive de l’urbanisme moderne et pose les jalons de la Charte d’Athènes (1933), socle international de tout l’urbanisme d’après-guerre.

Adolf Loos et la cuisine à vivre En parallèle de cette conception de cuisines de travail, prônant une cuisine fonctionnelle avec une surface minimum, plusieurs autres types de cuisines sont débattus. Adolf Loos se définit comme adepte de la solution pragmatique de la cuisine à vivre. Dans son texte « Wohnen lernen! », de 1921, il se positionne contre la rationalisation ergonomique et partage ses observations sur les habitants des lotissements ouvriers aux Etats-Unis :

ture Moderne, notamment initié par Hélène de Mandrot, Le Corbusier et Sigfried Gidieon dans le but de créer un réseau international de personnes acquises aux idées nouvelles, à une approche d’une architecture et d’un urbanisme fonctionnel. Cette deuxième édition retient le thème de « l’habitat à loyer modéré » et porte son analyse sur les éléments fondamentaux du problème de « la Maison Minimale ».

Lors du CIAM II, chaque pays participant propose une recherche typologique de plan d’habitation orientée vers la nouvelle conception de l’« Existenzminimum » (logement minimal).

Les expérimentations s’attardent sur un modèle de famille de type nucléaire, un couple et deux enfants. Une présentation uniforme de l’exposition, avec les mêmes échelles et codes graphiques,

28 Klaus Spechtenhauser, The Kitchen: Life World, Usage, Perspectives, Birkhäuseur, p.32

Cuisine de la Villa Müller, Adolf Loos, (1930) Contrairement aux cuisines des logements que Loos décrit dans son texte «Wohnen lernen !», la cuisine de la Villa Müller est une pièce fermée. Cependant, elle est de dimensions généreuses et privilégie un certain confort d'utilisation.

« Dans chaque famille, il y a une table, autour de laquelle toute la famille se rassemble pour les repas, comme chez les paysans. Vingt pour cent seulement des Viennois connaissent ce genre de réunion autour d'une table. (...) Il faut à présent que chaque famille qui reçoit sa propre maison possède aussi une table ; celle-ci sera placée dans un coin de la salle de séjour, à l'instar de la table paysanne. »29 Au-delà de l’expérience spatiale qui en découle, pour Loos, cela présente aussi l’avantage de mieux intégrer la femme au foyer à la vie familiale : Salle à manger de la Rufer House, Adolf Loos, (1922) Vue depuis le salon, la table occupe un espace surélevé de quelques marches. Elle est mise en évidence et profite d'une spatialité plus intime que celle du séjour.

« Le déjeuner (en Amérique) est très simple. Le père n'est pas à la maison, la mère doit consacrer toute la matinée à l'entretien du foyer. Car elle n'a pas de

29 Adolf Loos, Wohnen lernen!, traduit de l'allemand par Cornelius Heim, Éditions Ivrea, Paris, 1994, p.279

21

domestique, d'où il résulte que les repas sont préparés dans la salle de séjour. La maîtresse de maison en effet, a le droit de ne pas passer son temps à la cuisine. Un tel principe exige que la préparation des repas se divise en deux étapes strictement séparées. La première comprend le travail au feu, auprès du fourneau. La seconde comprend tout ce qu'il faut faire pour dresser la table et laver la vaisselle. La première étape se déroule dans la salle de séjour, ou se trouve le fourneau. Il est donc nécessaire que le fourneau soit autant que possible soustrait aux regards. Que n'a-t-on pas inventé en Amérique pour résoudre ce problème ! J'ai vu récemment dans un journal une photographie, ou plutôt deux. L'une montrait un fourneau incorporé dans une niche, la seconde un secrétaire. Il s'agissait de la même niche : on presse sur un bouton, et le fourneau-secrétaire pivote sous l'effet du courant électrique, pour présenter la face que l'on veut voir apparaître. Mais une telle conception de l'activité culinaire réclame plus que ce que la technique peut apporter. Elle réclame des individus qui n'aient pas peur de cuisiner. (...) L'habitant des lotissements ouvriers les appellera cuisines-salles à manger, et s'y sentira aussi aristocrate qu'un lord anglais - ou aussi roturier qu'un paysan autrichien »29 Adolf Loos témoigne d'un changement de mode de vie qui va atteindre l'Europe quelques décennies plus tard et qui va répandre la notion de cuisine ouverte dans le séjour. Nous pouvons également y voir le début du développement des machines qui intègrent l'espace domestique.

29 Adolf Loos, Wohnen lernen!, traduit de l'allemand par Cornelius Heim, Éditions Ivrea, Paris, 1994, p.281

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qu’elle questionne et bouleverse. Emprunte d’une forte liberté de penser, le bar sous le toit de Charlotte Perriand parle d’une nouvelle manière de se retrouver qu’elle décrit elle-même comme « recevoir et vivre librement ».

Le Bar sous le toit, Charlotte Perriand, photographié par Rep, (1927)

Charlotte Perriand et la cuisine ouverte « Cette nouvelle manière d’habiter comportait deux innovations importantes. La “cuisine-bar” totalement intégrée au séjour, qui mettait en communication la maîtresse de maison avec sa famille et ses amis pour dialoguer, participer ; elle n’était plus reléguée au fond d’un couloir, au nord, comme une esclave au temps des “bonnes à tout faire”... Elle profitait pleinement de l’harmonie des lieux. » 30 Cette question de la femme en lien avec l’espace de vie de la famille est une préoccupation majeure et récurrente dans les nombreuses propositions de cuisine de Charlotte Perriand. Déjà, son Bar sous le toit, toute première réalisation de Charlotte Perriand qui lancera sa carrière, innove en concevant un bar-salle à manger dans son appartement. Exposé au Salon d’Automne de Paris, sa proposition contraste largement avec les intérieurs classiques du début du XXe siècle, tant par sa matérialité mise en œuvre s’inspirant de l’univers industriel, que par les rapports spatiaux

30 Charlotte Perriand , Une vie de création, Edition Odile Jacob, 1998, p.239

Suite à cette exposition, Le Corbusier est séduit par la folle inventivité de Charlotte Perriand ; il lui propose de rejoindre l’atelier qu’il dirige avec son cousin Pierre Jeanneret. Commence alors une collaboration qui durera 10 ans et qui va être décisive pour Charlotte. Elle sera à la fois l’associée de Le Corbusier, responsable de l’aménagement intérieur des projets et son élève, en étudiant à ses côtés, l’architecture et l’urbanisme.

Souvent définie comme la pionnière de la notion de l’Art de vivre, elle va par ailleurs renommer son exposition au musée des Arts décoratifs, en 1985, portant alors le nom « Art décoratif », par « Art d’Habiter » pour enfin devenir plus tard « Art de vivre ». Dans son livre, elle donne d’ailleurs une définition très claire de cette question de « l’Art d’habiter »31 : « L’harmonie de l’habitat ne peut être résolue indépendamment de l’architecture et de l’urbanisme. Il serait vain de prétendre la réaliser par l’équipement seul, car elle résulte d’une ambiance influencée également par les éléments extérieurs tels que le site, l’orientation, le dosage de la lumière. Non seulement l’habitat doit réaliser les données matérielles, mais créer les conditions de l’équilibre humain et de la libération de l’esprit. » 32 Charlotte est une femme de conviction. Comme

31 Charlotte Perriand , "Une vie de création", Edition Odile Jacob, 1998, p.248 32

Ibidem

le dit Laure Adler dans son livre, « elle est devenue architecte par et pour le peuple. Elle veut exercer un métier pour le bien de tous et être l’une parmi d’autres qui se met au service du plus grand nombre »33. Ainsi, elle s’engage dans le combat pour l’habitat populaire. Les architectes d’Avantgarde doivent concevoir des logements tout confort et bon marché. En 1933, elle participe au 4e CIAM, qui réunit sur le bateau Patrice 2, entre Marseille et Athènes, architectes, poètes, peintres.

Ils ont comme ambition de dessiner l’urbanisme de demain. C’est par ce cadre-là que Le Corbusier présente son projet de ville fonctionnelle : il veut remplacer les îlots insalubres par des unités d’habitation. Ces cités radieuses seront entourées

d’espaces verts, occupant 80 % de la surface.

Charlotte a été chargée d’étudier l’unité de base de ce projet, la cellule individuelle de 14m2 par habitant. Cette « maison minimum » est faite de cloisons mobiles, de lits escamotables, du polymorphisme des meubles. « Partant de cette tension, je me suis demandé que pouvions-nous bien faire dans 14 m2. Que pouvait bien être le programme de ces cellules qui devaient sauvegarder l’harmonie familiale ? Je posais l’hypothèse que les enfants devaient jouer entre eux et non pas dans les pattes des parents, dans la salle de séjour. Pour ce faire, les cellules des enfants devaient être reliées entre elles par des cloisons coulissantes.

Ouvertes, elles permettaient un grand espace de jeu. Fermées, elles garantissaient l’intimité. …

Visuellement, on peut créer l’espace, sans qu’il y ait beaucoup de m2 pour autant. Vous devez créer du vide, pour commencer. La meilleure manière de créer du vide, c’est de concentrer dans des murs de rangement tous les objets dont vous avez besoin tous les meubles de rangement. Par contre, c’est absolument nécessaire de trouver au bout de nos doigts précisément tout ce dont nous avons besoin. C’est ce que j’appelle la fonction : la fonction d’une part, la création d’espace d’autre part. » 34

Cuisine de l'Unité d' habitation, Charlotte Perriand & Le Corbusier, (1949)

Durant cette même décennie, elle sera responsable de l’aménagement intérieur de plusieurs projets architecturaux dont le prototype de la cuisine pour la Cité radieuse de Marseille, développée par Le Corbusier, la cuisine de l’unité d’habitation de Marseille est considérée comme le cœur du foyer familial. Le plan de la cuisine est un carré de 4,80 m, permettant à chacun d’avoir à portée de

33

34 Retrsancription du dialogue de Charlotte Perriand pour le film " Charlotte Perriand, pionière de l'art de vivre ", Stephane Ghez

Laure Adler, Charlotte Perriand, Editions Gallimard, Paris, 2019

Dessin de la cuisine de la Cité Radieuse de Marseille, Charlotte Perriand, (1949)

main tous les équipements en pivotant simplement sur soi-même. Charlotte Perriand ouvre la cuisine sur l’espace de vie, amenant un confort pour celui qui cuisine, mais aussi un spectacle pour celui qui regarde. Elle introduit cette communication aussi au niveau de la fonctionnalité de l’objet qui devient un meuble-bar : cela facilite le passage de la vaisselle, ou des plats, au moyen des portes coulissantes permettant de cacher le désordre éventuel des tables de travail, afin de préserver l’harmonie de l’appartement.

Charlotte Perriand avait des contraintes de coût, mais également des contraintes d’espace qui ont forcément amené des questions d’économie de moyen et de place. Elle s’enrichit de ces contraintes, ce qui l’amène à réfléchir à l’essentiel.

Ses explorations se nourriront systématiquement de son attention pour les gestes du quotidien, développant une esthétique de l’économie du geste. Au final, tout est en relation avec la personne qui occupe l’espace, tout à un rapport avec le corps. Cette approche précurseure a donné les premiers contours d’un mode de vie qui est encore aujourd’hui largement plébiscité.

23

à la notion de confort et le développement des méthodes industrielles de la préfabrication va induire une certaine uniformité en terme de forme et de surface de la cuisine35. Le dispositif spatial de la constellation cuisine/salle à manger entre les différentes classes sociales va ainsi tendre à s’uniformiser.

Le baby-boom va entraîner une augmentation du nombre de femmes au foyer et marquera l’hégémonie du modèle de la famille « standard », soit un couple avec deux enfants et conduit à une mondialisation des modes de vie. C’est également à ce moment que l’« american way of life » s’exporte dans le reste du monde à travers les magazines, les publicités ou les expositions comme le Salon des Arts Ménagers. La mode des cuisines américaines s’accompagne de l’importation des produits

Cuisine de la « maison industrialisée », Jean Prouvé, (1953) La maison est entièrement préfabriquée industriellement. La cuisine est compacte et s'ouvre sur le séjour où se trouve la table à manger.

La standardisation et la préfabrication

alimentaires et des appareils ménagers américains.

Ce mode de vie représente l’expression parfaite du confort de la famille et de la figure de la ménagère.

La cuisine américaine est ouverte, colorée, efficace et construite avec des matériaux modernes. Ainsi, les techniques de préfabrications vont généraliser la notion de cuisine équipée et c’est à cette époque que l’on trouve les premiers fours, plaques chauffantes, frigos et lavabo intégrés dans des modules de cuisine standardisés.

La variété de plans et de solutions développées durant le début du XXe siècle, notamment grâce aux expériences conduites durant le CIAM, et aux exemples développés par Margarete SchütteLihotzky ou Charlotte Perriand, mènera à une certaine standardisation du plan des cuisines à partir des années 50. Après la Seconde Guerre mondiale, l’urgence de la reconstruction a pour conséquence le développement et la construction massive de logements. Une aspiration grandissante

La cuisine communique avec le séjour à travers une ouverture qui peut être fermée par un panneau coulissant.

La cuisine américaine des années 50 est compacte, sur le modèle de la cuisine de Francfort, avec une volonté de rendre le travail de la femme au foyer efficace et de permettre ainsi un gain de temps.

Elle s'ouvre cependant sur le séjour grâce à un meuble-bar qui permet à la mère de famille d’avoir un contact visuel avec le reste de la famille et l’espace de séjour dans le but de surveiller ses enfants et contribuer à la stabilité des valeurs familiales.

Elle est basée sur une morale conservatrice36.

35 Klaus Spechtenhauser, The Kitchen: Life World, Usage, Perspectives, Birkhäuseur, p.46

36 Emmanuel Collet, La cuisine. Mode de vie, Archives d'Architecture Moderne, Bruxelles, 2007, p.37

Photographie d'un logement des années 50, (1956) Grâce à l'ouverture vers le séjour, la cuisine américaine permet de cuisiner en surveillant les enfants qui jouent.

24

Cuisine d'une logement à la Siedlung Halen, Atelier 5, (1961)

Comme nous avons pu le voir dans la citation

américaine décrite plus tôt. Elle en reprend l’or-

d’Adolf Loos, les machines commencent à occuper

ganisation et l’ouverture vers le séjour à travers un meuble servant de buffet, mais la surface est

les cuisines américaines déjà à partir des années 20, mais c’est seulement à partir des années 50 que la production de masse et la préfabrication va rendre les équipements électroménagers portables, plus efficaces et abordables pour la majorité de la population.

Dans les années 60, l’invention du congélateur va provoquer un changement dans la manière d’acheter, de stocker et de consommer la nourriture. La démocratisation de la voiture et des super-marchés installés en périphérie des villes vont contribuer au déclin des magasins d’alimentation spécialisés et transforment l’organisation des villes et des cuisines.37

plus généreuse et peut accueillir une petite table pour 4 personnes. Une porte donne accès à un espace utilisé comme bureau. Une grande fenêtre apporte de la lumière sur l’évier et le plan de travail regroupant les appareils électroménagers laissés apparents. Des carreaux en céramique blanche recouvrent les parties du mur en briques, vulnérables à l'utilisation de la cuisinière et du lavabo.

Réalisée entre 1959 et 1962 par Alison et Peter Smithson la cuisine du Upper Lawn Pavillion est remarquable par sa compacité. Construite en panneau de bois contreplaqué, elle forme un L

Bloc cuisine les Arcs 1800, Charlotte Perriand, (1975)

La cuisine As Found

Les éléctroménagers sont laissés apparents et sont fixés à la coque en polyester rouge préfabriquée.

La production en masse des électroménagers et des matériaux industriels durant les années 50 aura comme résultat de les banaliser dans les foyers européens. Alison et Peter Smithson poseront un nouveau regard sur ces éléments de la vie quotidienne et se serviront de leur potentiel : « As Found was a new seeing of the ordinary, an openness as to

avec un meuble de rangement et organise l’entrée, l’espace de repas et la salle de bain. La qualité « as found » des matériaux fait écho à la face de l’appareil électroménager laissé apparent. La réduction des fonctions liées à la préparation du repas est liée à l'utilisation du pavillon comme lieu intime dédié à la relaxation et à la réflexion. Sorte de cabane primitive, ce pavillon servait de logement de vacances, lorsque les Smithson voulaient échapper à leur vie citadine.

how prosaic "things" could re-energise our inventive activity »38 . L'idée d'économie de moyen est au centre de leurs préoccupations et apporte un nouveau regard sur l'omniprésence des objets et matériaux industriels dans notre habitat résultat de la consommation de masse des années 50 et 60.

Cuisine Upper Lawn Pavilion, Alison & Peter Smithson, (1959)

La cuisine de la Sudgen house construite en 1955 est une version légèrement évoluée de la cuisine

37

Tous les éléments de la cuisine sont réunis dans un meuble en panneau de bois contreplaqué. La face de la machine à laver est laissée apparente et participe à la composition de l'ensemble.

En 1970, Charlotte Perriand développe un modèle de cuisines préfabriquées pour le projet d'appartements de vacances, dans la station de ski française des Arcs. Avec la démocratisation

Ibidem note 35, p.48

38 A.& P. Smithson, "The "AS Found" and the "Found" in David Robbins, ed., The Independent Group: Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, MIT Press, 1990.

25

des sports d’hiver, liée à l’avènement des congés payés, la demande de petits logements bon marché à la montagne explose. Pour répondre à cette forte demande, Charlotte Perriand développe un bloc de cuisine préfabriqué avec une coque en polyester armée de fibres de verre et un plan de travail en inox. Ensemble avec l’élément de salle de bain, ces éléments étaient entièrement préfabriqués en usine et livrés sur le site prêt à être accordé aux réseaux techniques. Dans la logique « as found », les appareils électroménagers participent à la qualité esthétique de l’ensemble. Ici aussi, la miniaturisation de la cuisine répond aux besoins d'une famille

pendant la durée de leurs vacances.

La cuisine de Christopher Alexander Les cuisines des plans types élaborés durant les années 50 sont devenues une sorte de modèle encore en vigueur aujourd’hui. En 1977, l’architecte Christopher Alexander publie le livre A Pattern Language, dans lequel il émet une critique de cette standardisation et fonctionnalisation de la cuisine. Il critique le mouvement moderne et les expérimentations menées lors du CIAM qui ont réduit la cuisine à un espace petit et rationnel qui appauvrit l’expérience de la préparation culinaire : « Efficiency kitchens never live up to their name. They are based on the notion that the best arrangement is one that saves the most steps ; and this had led to tiny, compact kitchens. These compact layouts do save steps, but they usually don't have enough counter space. Preparing dinner for a family is a complex operation ; several things must go at once and this calls the simultaneous use of counter space for different projects. If their isn't enough counter space, then the ingredients and ustensils for one thing must be moved, washed, or put away before the next thing can be prepared; or else things become so jumbled that extra time and effort must be taken to find what's needed at the proper moment. On the other hand, if the counter is too long or too spread out the various points along its length are too far apart-and cooking is again unconfortable, because your movements as you cook are so inefficient and slow. »39

Cuisine de la maison Gehry, Frank Gehry, (1978) Conforme aux recommandations de Christopher Alexander, la cuisine de la maison de Frank Gehry est généreuse et en relation directe avec la table familiale.

Alexander remarque également que ces cuisines, qui privilégient la technique, sont incapables de

39 Christopher Alexander, Pattern of Language, Oxford University Press, 1977, pattern 184 Cooking Layout

26

Cuisine-salle à manger d'une maison à Berkley, Christopher Alexander, (1984) Dans cette cuisine-salle à manger construite par Christopher Alexander à Berkley, un four à bois «kiva» occupe un angle de la pièce et son ouverture est orientée vers la table à manger. La cuisine se fait dans toute la pièce.

générer de la vie et de la convivialité. La cuisine « américaine », démocratisée dans les années 50 et développée dans le chapitre précédent, tentait d’ouvrir la cuisine sur le salon pour permettre un contact entre les personnes qui cuisinent et le reste de la famille. Cette solution n’est cependant pas suffisante selon Alexander : « Modern American houses, with the so-call open plan, have gone some way toward resolving this conflict. The very often have a kitchen that is half-separated from the family room: not isolated and not entirely in the family room. This does create a circumstance where the people who are cooking are in touch with the rest of the family, while they are working. And it does not have the obvious stigma and unpleasantness of separated sculleries and kitchens.

But it does not go far enough. If we look beneath the surface, there is in this kind of plan still the hidden supposition that cooking is a chore and that eating is a pleasure. So long as this mentality rules over the

arrangement of the house, the conflict which existed

être convertible :

in the isolated kitchen is still present. The difficulties which surround the situation will only disappear,

« Traditional families are tending to give way to

finally, when all the member of the family are able

small groups created on the basis of affinity. We will

to accept, fully, the fact that taking care of themselves by cooking is as much a part of life as taking care of

have, in short, the natural tribal society… These groups living and working in common will require a

themselves by eating. »40

new type of habitat: spaces that can be transformed, spaces conducive to meditation and experimentation, to intimacy and to interpersonal exchanges. »44

Alexander préconise comme solution de s’inspirer à nouveau des cuisines d’anciennes fermes rurales, où les activités liées à la cuisine et à la vie commune sont intégrées dans un seul espace : « The family activity centered around a big table in the middle: here they ate, talked, played cards, and did work of all kinds including some of the food preparation. The kitchen work was done communally both on the table, and on counters round the walls.

And there might have been a confortable old chair in the corner where someone could sleep through the

Le noyau mécanique transportable, Buckminster Fuller, (1943)

basically autonomous, that are independent of their architectonic housing and so interchangeable and programmable that they can be adapted to every present and future spatial situation. »42

activities. » 41

« Things have to be flexible. » 43 En 1963, Joe Colombo réalise une mini-cuisine sur roulettes

À travers ces observations, Alexander porte un certain regard nostalgique sur les cuisines et les

qui peut être déplacée à travers différents espaces et être refermée après usage comme une boite.

Elle inclut deux plaques chauffantes, une planche

méthodes de cuisines traditionnelles. Cependant, il repose la question de la générosité de l’espace de la cuisine et de ses possibilités d’être un lieu convi-

à découper, un frigo, des prises électriques et des espaces de rangements. Son oeuvre est fondée sur l'idée de l'autonomie du mobilier qui se détache

vial, poétique et inspirant, permettant à nouveau d’être un lieu de vie, et non uniquement d’efficacité fonctionnelle, où d’autres activités telles que les discussions, le jeu, le travail ou tout simplement passer du temps devraient être à nouveau possibles.

« The problem today is to offer furnishings that are

des contraintes d'un plan fixe et de la hiérarchie mise en place par l'architecture. Le mobilier doit s'adapter au mode de vie de la société devenant de plus en plus mobile, autant physiquement que culturellement, et selon lui, le nouveau type d'habitat moderne doit être constitué d'espaces qui peuvent être transformés, flexibles. Sa vision questionne le modèle familial conservateur des années 60 : l'espace architectural selon Joe Colombo doit

40 Christopher Alexander, Pattern of Language, Oxford University Press, 1977, pattern 139 Farmhouse Kitchen

42 Joe Colombo, description of the Mini Kitchen, MoMA, www. moma.org/collection/works/89891

41

43

La cuisine en mouvement

Ibidem note 40

Ibidem note 42

Dans une idée similaire, Ronan et Erwan Bouroullec réalisent en 1997, la « cuisine désintégrée ». Première réalisation des designers, il s'agit également d'un meuble nomade, constitué d'un évier, d'une table, de rangements en plastiques et de quatre pieds en aluminium. Elle peut être repliée et transportée facilement pour être à nouveau montée. Il suffit simplement de la

Mini Kitchen, Joe Colombo, (1963) Après utilisation, la cuisine se referme et devient une boite qui peut être déplacée.

44

Ibidem note 42

27

brancher à une arrivée d'électricité et d'eau :

Tous ces exemples de cuisines sont autosuffisants et possèdent leur propre gestion de l'espace.

Elles requestionnent leur dépendance aux gaines techniques et la cuisine comme lieu n'est plus une question d'architecture, mais de mobilier, d'objet.

Elles veulent s'affranchir de l'architecture. Que devient le temps du repas ? Combien de temps passons-nous à préparer un repas ? Quel type de repas préparons-nous ? Pour les consommer où, de quelle manière et avec qui ?

« Nous voulions traiter la cuisine comme un simple meuble, lui donner une dynamique dans une pièce, loin de la lourdeur des équipements sur mesure. Cette cuisine très simple était moulée en une seule fois, avec quatre pieds, elle pouvait être mobile, il fallait juste ajouter des éléments de cuisson, l'eau. Elle était blanche, elle aussi. Car le blanc pour nous était à ce moment-là un langage qui gommait les codes: ni riches ni pauvres, ni jeunes ni vieux. Universelle. »45 La cuisine Attityd, dessinée par Mikael Warnhammar pour IKEA, permet aux idées de Colombo et des Bouroullec d'être finalement produites en masse et disponibles pour tous. Elle comporte un robinet avec un évier, deux plaques de cuisson et un frigo. Définitivement universelle, facile d'entretien et d'utilisation, elle a pour vocation de s'adapter à n'importe quel espace et individu : « Description: Cadre : acier, revêtement de phosphate anticorrosif, peinture époxy/polyester en poudre

La cuisine désintégrée, Ronan et Erwan Bouroullec, (1997) Première réalisation des frères Bouroullec, cette cuisine autonome témoigne de leur intérêt pour la « micro architecture ».

45 Cuisine désintégrée, Ronan et Erwan Bouroullec, 1997, https:// espacedesignmodulaire.wordpress.com/2014/03/24/la-cuisine-desintegree/

28

Attityd, mini cuisine IKEA, Mikael Warnhammar Comme les autres meubles de la marque suédoise, la cuisine est vendue en pièces détachées à monter soi-même.

Structure : Panneau de particules, Feuille de mélamine Porte : Panneau de particules, Stratifié, plastique ABS Éviers : acier inoxydable Mitigeurs/mélangeurs : laiton, Chromé Siphon : polypropylène Couleur : blanc, gris clair Dimensions : Largeur: 120 cm Profondeur: 67 cm Hauteur : 97 cm Bon à Savoir : Poignée et charnières incluses.

Charnières réglables en hauteur, en largeur et en profondeur. Bonde et siphon incl.

Conseils d'Entretien : Nettoyer à l'aide d'un chiffon doux mouillé, avec si besoin du liquide vaisselle ou du savon. Terminer en essuyant avec un chiffon sec.

Toujours essuyer et nettoyer l'évier dans le sens de la longueur. Ne pas utiliser de poudre à récurer, de laine d'acier ou d'outils pointus qui pourraient rayer la surface en acier inoxydable. »46

46 Description de la cuisine IKEA Attityd, Ikeapedia, www.ikeaddict. com/ikeapedia/fr/Product/80204791/fr-fr/attityd-mini-cuisine-blancgris-clair/Entry/

Aujourd'hui, la cuisine ou plus précisément le temps du repas vit une sorte de paradoxe. Nous tendons à passer de moins en moins de temps à cuisiner. De nombreux produits alimentaires sont conditionnés pour faciliter leur préparation et, plus récemment, le recours aux services de livraisons à domicile est en augmentation. Si les exemples de cuisines mobiles requestionnent la nécessité des lieux spécifiques de la cuisine et de la salle à manger, dans l'idéal collectif, nous sommes toujours attachés à l'idée d'un jour posséder une grande et « belle » cuisine. Elle est devenue un objet de luxe et de spectacle, dont la pièce maîtresse est le plan de travail. Parallèlement, le repas comme moment de partage social tient encore une grande part de la vie en communauté.

L'acte de cuisiner n'est plus tant lié à une nécessité de se nourrir, mais tient plus à la question de l'occupation. Et contrairement aux années 20, la cuisine n'est plus un lieu où l’efficacité et l’organisation des fonctions priment. Elles ont laissé place à des préoccupations d’une autre nature.

La cuisine au cinéma Comme dans les extraits de films sélectionnés par Luc Lagier pour l'épisode de Blow Up La cuisine au cinéma 47 diffusé sur Arte, nous avons voulu étudier la notion de domesticité liée au temps du repas à travers l'idée du corps en mouvement dans l'espace. Cette question nous semble centrale, intrinsèque à la question de l'espace domestique : elle traverse l'évolution de la spatialité de la cuisine et plus largement de la constellation spatiale entre cuisine et salle à manger. La démarche pédagogique recherche à confronter ces questions à travers le médium de la vidéo. Les étudiants ont dû visiter, filmer et relever les exemples architecturaux choisis par les protagonistes, afin de les comparer aux cuisines tirées d'extraits de films proposés par ces derniers. Ainsi, le travail de chaque groupe d'étudiants se présente sous la forme d'un petit film, un texte, des dessins axonométriques et des photos de maquettes afin de mettre en parallèle les deux exemples. L'ensemble du livre se présente comme une exploration de morceaux de domesticité.

À table !

Le festin de Babette, Gabriel Axel, (1987)

47

Luc Lagier, "La cuisine au cinéma", Blow-up, Arte Editions, 2014

29

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES

PUBLICATION ÉLECTRONIQUE

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30

au début du XXème siècle, Mémoire, 2017

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FILMOGRAPHIE

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Claude Lévi-Strauss à propos du livre "Le Cru et le Cuit", Lectures pour tous, Office national de radiodiffusion télévision française, 14 octobre1964

P.11 Sir John Soane Archives

Stephane Ghez, " Charlotte Perriand, pionière de l'art de vivre ", Fondation Louis Vuitton, Arte Editions, 2019 Luc Lagier, "La cuisine au cinéma", Blow-up, Arte Editions, 2014

P.15 Archives du Familistère de Guise P.17 J. Margöld, Geschmackvolle Architektur, p.62 P.19 Arbeitsgemeinschaft Die Moderne Küche e.V. (AMK) DPA / Institut für Stadtgeschichte Ffm. P.21 Archives Charlotte Perriand(AChP) P.25 Ibidem p.21 P.27 MoMA Collection

31

JEAN-PAUL JACCAUD & TANYA ZEIN

Clara Demuynck, Bruno Känel, Diana Nabky, Cléa Quillet, José Reyes Osorio, Ronan Schubnel, Eda Senn, Nathan Voyame, Viviane Vu

LA CUISINE DES JARDINS DE COCAGNE Chemin des Plantée 66, 1285 Sézegnin

L'HEURE BLEUE

Le choix de cuisines extérieures

Quatre aventures de Reinette et Mirabelle

et insolites ont fait émerger aux yeux des

Eric Rohmer

intervenants comme aux nôtres la dimension

Compagnie Eric Rohmer, Les Films du Losange,95 min, 1987

immatérielle de la cuisine. Nous avons donc décidé de l’interpréter comme un moment plus qu’un espace. Le repas devient alors le point d’orgue d’un spectacle narrant le cheminement de l’ingrédient, de sa sortie de terre jusqu’à l’assiette.

Scène 1: La cuisine émergente Naissance. Prétexte à la rencontre. Spontanéité.

Inconnues. Surprises. Lâcher prise. Partage.

Température. Évolution.

- Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?

- Bon, ben bon appétit.

- Comment dit- on « Santé » d’où tu viens ?

- Eh ben j’aurai appris quelque chose ce soir !

L’Esprit de la Cuisine La cuisine est vivante.

Son corps, fait de poêles, de fourchettes et de plaques chauffantes, se réveille.

Le cuisinier la sort peu à peu de son sommeil, en vue du rôle qu’elle s’apprête à jouer.

Le four s’échauffe, le frigo tente de garder la tête froide et la table se maquille.

Le repas est prêt, les rideaux s’ouvrent.

32

- J’suis bien content d’avoir fait ta connaissance en tout cas.

- La prochaine fois c’est moi qui t’invite.

Scène 2:

Scène 3:

Scène 4:

La cuisine vitale

La cuisine domestique

La cuisine cachée

Relation à la terre. Cycles. Besoins. Énergies.

Le cœur de la vie de famille. Foyer. Rituel.

Vaisselle. Espace. Four. Coulisses. Frigo.

Revitalisation. Sans gluten. Ce qui pousse.

Habitudes. Raconter sa journée. Organisation de

Préparation. Rangement. Chaises. Nettoyage.

Semer. Prendre soin. Récolter. Essentiel.

la base vie. Cocon. Routine.

Table. Plaques chauffantes. Evier. Nappe.

- Faudrait qu’on aille plus souvent faire les courses

- Jérôme, A TABLE !!

- Allumer la lumière. 2’’

au marché.

- Je remercie le Seigneur pour le pain de ce jour.

- Se laver les mains. 10’’

- Je meurs de faim.

- Comment s’est passée ta journée ?

- Sortir les ustensiles. 30’’

- T’as pensé à arroser les tomates ?

- T’as même pas vu que je suis allé chez le coiffeur ?!

- Éplucher. 10’

- Ça m’inquiète, Gyslène a pas pondu ce matin.

- On mange à pas d’heure.

- Couper. 5’

-Le bio, je prends que quand c’est en action.

- Privé de dessert !

- Émincer. 5’

- Tu penses que ça met combien de temps à pousser

- Joyeux anniversaire !

- Laisser rôtir. 1h

un big mac ?

- Tu peux débarrasser la table s’il te plaît ?

- Mettre la table. 3’ REPAS 1h - Digérer. 4h - Faire la vaisselle. 20’ - Sécher. 10’ - Aérer. 5’ - Éteindre la lumière. 2’’ TEMPS DE PRÉPARATION : 7h

33

En haut : L' heure bleue, Eric Rohmer, 1987 En bas: La Cuisine des Jardins de Cocagne, Sézegnin, GE, Suisse

34

35

Page 16: Axonometrie Ci-dessus: Maquette 1:20 L' heure bleue, Eric Rohmer, 1987

38

Page 17: Axonometie Ci-dessus: Maquette 1:20 La Cuisine des Jardins de Cocagne, Sézegnin, GE, Suisse

39

LUCA ORTELLI

George-Etienne Adam, Joseph Desruelle, Léane Fichant, Gilles Gasser, Olivier Lalancette, Loan Laurent, Sébastien Lendi, Sacha Nicolas, Tiffanie Paré, Marie Walliser

RESTAURANT ZUM KOPF Im Gassen 16, 8001 Zürich

Convivialité 1. (XIXe siècle) dérivé de convivial avec le suffixe -ité, mot forgé par Jean Anthelme Brillat-Savarin avec convivial, du latin convivialis

PERFETTI SCONOSCIUTI Paolo Genovese Lortus production, Italie, 2016.

(« relatif au repas pris en commun »). définition (subst. fém.)

1. Goût des réunions et des festins : « La gourmandise est un des principaux liens de la société ; c'est elle qui étend graduellement cet esprit de convivialité qui réunit chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime la conversation, et adoucit les angles de l'inégalité conventionnelle ».

Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 147.

2. Qualité de ce qui est convivial.

Un esprit général de convivialité s'est répandu dans toutes les classes de la société.1 Des banquets des sociétés antiques et de l’ancien régime, aux repas paysans représentés par les peintres flamands, en passant par la Cène décrite dans la Bible, le thème du « repas pris en commun » autour de longues tables partagées, du repas « convivial », inonde l’histoire de la peinture et s’impose comme un thème central autour de la question du repas. Au-delà de sa dimension

40

cérémoniale ou exceptionnelle, ce qui intéresse ici est le côté partagé, pris en commun, qui se retrouve également dans une dimension plus quotidienne.

Omniprésent à travers l’histoire et les civilisations, le thème de la convivialité est resté d’actualité aujourd’hui comme le montre le succès du film Perfetti sconosciuti (2018). Avec dix-huit remakes allant de la Corée du Sud au Mexique jusqu’à la version arabe actuellement en production, le film s’est emparé en moins de cinq ans du record de remakes dans l’histoire du cinéma. Ainsi, que ce soit à travers le temps (l’histoire) ou l’espace (les cultures), l’idée banale de se retrouver autour d’un repas commun comme lieu de partage, témoignerait d’un certain degré d’universalité à travers l’humanité. Mais, de quoi s’agit-il au juste ? Qu’est-ce que la convivialité dans son lien au repas ?

D’après le dictionnaire de la langue française2, le terme dérive de convivial avec le suffixe -ité, qui dérive du latin convivialis et est « relatif au repas pris en commun ». Dans la même ligne, convive, comprit dans son sens antérieur au XVIe siècle, dérive de convivium, qui signifie « repas ». Le lien entre la signification d’origine du

terme et le repas est direct.

séquence spatiale, la disposition du mobilier

celle d'annoncer au monde la qualité et le rang

Que ce soit dans sa dimension plus

ou la décoration dans l’intérieur bourgeois du

du propriétaire. Dans le vocabulaire de l'archi-

positive, «La convivialité renvoie à une sympathie

film Perfetti sconosciuti (e.g. grande table qui

tecture classique, cette mission renvoyait à l'idéal

mutuelle proche de la communion. On se sent bien

réunit les convives), ou à travers l’ornement

de convenance, c’est-à-dire à la juste proportion

ensemble, souvent sans avoir besoin de se parler, ou

omniprésent dans le restaurant Zum Kropf

entre les effets de l'architecture et la gradation

en n’échangeant que des propos sans importance,

(e.g. boiseries, fresques, ordres, colonnes).

des conditions sociales. Palais, châteaux, hôtels

légers »3 (i.e. Luca Ortelli au restaurant Zum

Deux éléments ressortent ici et contribuent

particuliers, simples maisons : ces différents

Kropf), ou plus critique « […] le problème de

à créer l’ambiance conviviale : la table et le

genres d'édifices doivent tous, du moins en

la convivialité : quand on en est à l’invoquer,

décor.

théorie, respecter le principe de convenance, et

c’est qu’il n’y en a pas. Et quand on en vient à

La grande tablée rassemble et réunit

désirer une société conviviale, ce n’est pas seule-

dans l'atmosphère quotidienne de l’appar-

En définitive, la mise en relation des

ment qu’elle n’existe pas mais qu’on n’est pas très

tement du film. Par contraste, au restaurant

deux lieux illustre comment l’architecture

convaincu qu’elle existe un jour » , ce qui est

Zum Kropf, la grande table présente dans les

peut participer à la définition d’espaces

clair est que la convivialité souligne la nature

années 80, comme se souvient Luca Ortelli,

de convivialité, et incite à repositionner la

sociale du repas.

a disparu. Seuls des petits îlots pour quatre

Convivialità au sein de la réflexion architectu-

C’est sous ce prisme, lorsque le repas

personnes subsistent aujourd’hui. Les possibi-

rale autour du repas.

est vu comme un moment de lien social défini

lités de partage sont réduites, la conception de

dans l’espace, que la convivialité invoque

l’espace est devenue plus individualiste.

l’architecture. Elle incite le projeteur à mettre

Le décor, les ornements jouent également

en oeuvre une architecture favorisant le lien

un rôle prépondérant. Dans le restaurant

social autour du repas et pose la question

Zum Kropf, les ornements de la grande

des moyens dont il dispose pour y arriver.

salle renvoient à l’emploi traditionnel de

L’architecture peut-elle construire un espace

l’ornement qui, en plus de participer à créer

convivial ?

l'atmosphère du lieu, informe sur l’appar-

4

Les deux lieux étudiés illustrent

tenance sociale du lieu : « Parmi les fonctions

des pistes possibles, que ce soit à travers la

traditionnelles de l'ornement figurait autrefois

cela au moyen d'ornements appropriés ».

1 Dictionnaire de la langue française - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0 2

Ibidem

3 Philippe Breton (2003), La convivialité : variante de la désincarnation contemporaine ? Quaderni 53, pp.61-66 4 Géraldine Mosna-Savoye (2021), RIP la convivialité, Carnet de philo, France Culture 5 Antoine Picon (2011), Ornement et Subjectivité, de la Tradition Vitruvienne à L’âge Numérique, Le Visiteur 17: 65-75, 176-18

41

En haut: Perfetti Sconosciuti, Paolo Genovese, 2016 En bas: Restaurant Zum Kopf, Zürich,

42

43

Axonométrie Perfetti Sconosciuti, Paolo Genovese, Italie, 2016

44

Axonométrie Restaurant Zum Kopf, Zürich

45

Maquette 1:33 Perfetti Sconosciuti, Paolo Genovese, 2016

46

Maquette 1:33 Restaurant Zum Kopf, Zürich En raison de la COVID-19, les salles du restaurant demeurent vides, sans vie, sans public. Les chaises sont sur les tables. Les fresques deviennent alors prédominantes et leurs personnages habitent l’espace.

47

KARSTEN FÖDINGER

Stéphanie Deliyski, Marie-Ange Farrell, Pablo Fillit, Selen Karakoc, Kyra Michel, Valérie Ovadia, Ncuti Paris, Manuel Rossi, Romane Terrien, Beate Zavadska

FOUR BANAL DE VERBIER Verbier, VS, Suisse

NOSFERATU, PHANTOM DER NACHT Werner Herzog Werner Herzog Filmproduktion, Gaumont France, Allemagne, 1979.

48

Le terrain de rencontre entre les

voyageur prend son repas sous le regard affamé

actions du film de Werner Herzog et le rôle

du vampire - dont il est lui-même le “repas”.

du Four banal de Verbier au sein du village

Sans le savoir, il est en train de performer une

est empreint de subtilités. Un élément se met

domesticité dans le foyer du vampire qui boira

cependant rapidement en évidence: le feu,

son sang.

qui est alimenté par les familles de Verbier

Le four a été construit au début du

durant une nuit entière et qui doit atteindre la

XXème siècle. Les familles se relayaient le

température idéale au moment où le pain a fini

rôle d’allumer le feu: afin de chauffer le four

de lever - et qui éclaire la scène de rencontre

et sécher la pierre, il faut une quantité plus

nocturne entre Johnathan Harker et le Comte

importante de bois de chauffage pour les

Dracula, entre mangeur et proie. Le feu

premiers à enfourner. Les familles se suivaient

comme foyer prend alors deux significations

ensuite et n’avaient qu’à maintenir la chaleur

particulières. A Verbier, il rend l’espace public

du four.

domestique durant quelques heures. Marquée

Attenant au four banal se trouve une

par une temporalité longue, un échange social

ancienne salle de réunions des scouts, qui a

important et un partage des tâches physiques

été reprise et rénovée dans un style ancien,

entre les habitants.es, la cuisson du pain est

lorsque l’association des Amis du Four banal

cloturée par un repas commun et la distribu-

est fondée en 2009. Après avoir été inutilisé

tion des miches sortant du four. A l’inverse,

durant une trentaine d’années, le four est

la scène du repas offert par le comte Dracula

devenu le lieu de rencontre et de partage

au voyageur arrivé en pleine nuit est empli de

des membres de cette association qui se

tensions. A la seule lumière de la cheminée, le

retrouvent trois fois par année pour cuire une

centaine de pains, qu’ils se partagent entre eux

la distribution des pains entre les personnes

et distribuent à leurs voisins.es. La cuisson du

présentes, qui repartent avec un sac en papier

pain commence en réalité la veille: en général

de plusieurs kilogrammes rempli de miches.

le vendredi soir, vers dix-huit heures, deux

Les personnes de contact de Karsten

ou trois personnes se retrouvent au four pour

Födinger à Verbier se sont montrées très

allumer le feu, qui est ensuite entretenu durant

accueillantes et bienveillantes à l’égard de

la soirée et le repas traditionnel. Le lendemain

notre projet. S’il a été craint au début que le

matin, vers six heures, on vient rallumer le feu

contexte sanitaire rendrait compliqué la tenue

ainsi que la cheminée de la salle de réunion et

d’un événement caractérisé par le nombre et le

de pétrissage ; afin que la levure s’active, il doit

rapprochement des membres d’une commu-

y régner une température ambiante.

nauté, nous avons finalement pu assister en

Les personnes présentes se séparent

petit comité à la reprise des activités de l’asso-

alors en petits groupes: ceux qui entretiennent

ciation des Amis du Four Banal depuis 2019.

le feu, ceux qui pétrissent la pâte et forment

Nous sommes satisfaits.es aussi d'avoir

les boules, et ceux qui boivent le café. Durant

réussi à obtenir un entretien avec le prota-

toute la matinée, des voisins et voisines passent

goniste en extérieur à Lausanne, malgré les

pour prendre des nouvelles, puis repartent.

restrictions liées au voyage.

Lorsque les boules de pain lèvent une dernière fois, on commence à préparer l’apéritif rituel: des personnes se chargent d’aller chercher fromage de Bagnes et saucisson sec à la fromagerie la plus proche. La cuisson se termine par 49

En haut: Nosferatu, Phantom der Nacht, Werner Herzog, 1979 En bas: Four Banal de Verbier

50

51

Axonométrie Four Banal de Verbier

52

Axonométrie Nosferatu, Phantom der Nacht, Werner Herzog, 1979

53

Maquette 1:33 Four Banal de Verbier

54

Maquette 1:33 Nosferatu, Phantom der Nacht, Werner Herzog, 1979

55

IRINA DAVIDOVICI & JONATHAN SERGISON

Lara Baumgartner, Léo Benjamin, Alexandre Bron, Tom Gaillard, Michael Göhring, Simon Jeckelmann, Emma Larcelet, Jérôme Lauper, Christian Meier, Antoine Prat, Basile Sordet

WERKBUNDSIEDLUNG NEUBÜHL Max Ernst Haefli, Carl Hubacher, Rudolf Stei-

Le choix de nos protagonistes mets en relation

en question est conçu dans le contexte d’un

ger, Werner Max Moser, Emil Roth, Paul Artaria,

le film L’invitation et une cuisine qu’ils ont

projet de densification d’une parcelle pour créer

Hans Schmidt, Gustav Amman

construit dans un petit immeuble locatif au

des immeuble locatif au Mont-sur-Lausanne.

Zürich, Wollishofen, 1932

Mont-sur-Lausanne. Le film, L’invitation

Il s’agit de deux espace à plan ouvert y compris

(1972) de Claude Goretta, raconte l’histoire

la cuisine. Il a été conçu avec des grandes

d’un employé invitant son patron et ses

limitations budgétaires. Pour atteindre cet

collègues à une fête à la maison. Aidés par

objectif, le projet d’extension a tenté de trouver

l’alcool, les convives perdent peu à peu toutes

un équilibre de finition entre un projet en cours

leurs inhibitions et révèlent des traits de

de construction et ce qui est traditionnellement

personnalité et des frustrations qu’ils gardent

considéré comme terminé. Des murs de briques

habituellement cachés. Le film fonctionne

au bois brut de la cuisine, il fallait trouver les

comme une étude comportementale des

éléments essentiels minimaux qui gardent la

personnages. Il dessine leurs portraits hors du

définition de l’espace.

PHANTOM THREAD Paul Thomas Anderson Annapurna, Ghoulardi fi lm company Royaume-Uni, Etats-unis, 2017.

contexte de l’espace de travail en montrant leurs nuances lors de ce moment privilégié de partage d’un repas. A travers ce cadre le film explore l’idée de la cuisine même si on ne la voit jamais pendant le film. Il met en évidence à quel point un repas est un moment social qui nous amène à partager plus que de la nourriture. Il montre également un exemple où nous ne mangeons pas nécessairement dans une salle à manger. Le projet de cuisine 56

La cuisine a un plan ouvert avec le reste de

partageons. La cuisine est un espace où on

l’appartement qui permet à l’utilisateur

prépare à manger mais le

d’avoir

repas est l’objectif. Il peut prendre place n’im-

une toile vierge à habiter comme il le souhaite.

porte où dans un jardin ou la salle à manger,

En même temps, les armoires sont fabriquées

dans un espace luxueux et détaillé comme le

à partir de bois contreplaqué marine teinté en

salon du film, ou un simple studio comme

vert. Dans cet espace le choix des matériaux

dans le projet. C’est un concept qui rayonne

est important car ils étaient laissés bruts, ils

dans toute la maison mais l’important, c’est

devaient se compléter tandis que l’utilisation

l’aspect du partage, qu’il s’agisse de nourriture,

de la polychromie leur permettait d’habiller

d’espace ou d’un moment social.

l’espace de manière simple mais sophistiquée.

Tout cet effort a permis au plan ouvert de la cuisine de rayonner dans tout l’espace en imaginant la cuisine comme un poste de préparation et ensuite le repas peut prendre place partout dans l’appartement. La coursive qui relie les logements renforcent cette intention puisqu’on peut imaginer les voisins sortir pour partager un repas ou des moments sociaux. Le contraste entre les deux choix des protagonistes montre que l’essence de l’idée de la cuisine est le repas et les moments que nous 57

En haut: Phantom Thread, Paul Thomas Anderson, 2017.

En bas: Werkbundsiedlung Neubühl, Zürich

58

59

Axonométrie de situation Owlpen Church and Manor (Phantom Thread film location) Old Postcard

60

MAGMA & PRINCIPES 2021 CUISINE DE PHANTOM THREAD

GROUPE 04 AXONOMÉTRIE DE SITE, 1:333

Axonométrie de situation Werkbundsiedlung Neubühl Old Postcard

MAGMA & PRINCIPES 2021 CUISINE DE NEUBÜHL

GROUPE 04 AXONOMÉTRIE DE SITE, 1:333

61

CUISINE DE PHANTOM THREAD

Perspective Phantom Thread, Annapurna, Paul Thomas Anderson, 2017.

62

PERSPECTIVE

CUISINE DE NEUBÜHL

PERSPECTIVE

Perspective Werkbundsiedlung Neubühl, Zürich

63

Model 1:33 Phantom Thread, Annapurna, Paul Thomas Anderson, 2017.

64

Model 1:33 Werkbundsiedlung Neubühl, Zürich

65

MARIA & BERNARD ZURBUCHEN

Audrey Billy, Giovanni Abdalla, Grégory Kramer, Jennifer Tribolet, Kevin Pereira, Kevin Rodriguer, Laura Primiceri, Micky Gerardi, Marie-Aude Bardyn, Rida Perret, Yekan Deli

MARTINES Maria & Bernard Zurbuchen architectes Le Mont-sur-Lausanne, 2020

L'INVITATION

Le choix de nos protagonistes met en

Il montre également un exemple où nous ne

Groupe 5, Télévision Suisse Romande, Citel fi lms, Planfi lm

relation le film L’invitation de Claude Goretta

mangeons pas nécessairement dans une salle à

Suisse, 1973.

et une cuisine qu’ils ont construit dans un

manger.

petit immeuble locatif au Mont-sur-Lausanne.

Le projet de cuisine en question est conçu

L’invitation raconte l’histoire d’un

dans le contexte d’un projet de densification

employé invitant son patron et ses collègues

d’une parcelle pour créer des immeuble locatif

à une fête à la maison. Aidés par l’alcool, les

au Mont-sur-Lausanne. Il s’agit de deux

convives perdent peu à peu toutes leurs inhi-

espaces à plan ouvert y compris la cuisine. Il a

bitions et révèlent des traits de personnalité et

été conçu avec des grandes limitations budgé-

des frustrations qu’ils gardent habituellement

taires. Pour atteindre cet objectif, le projet

cachés. Le film fonctionne comme une étude

d’extension a tenté de trouver un équilibre de

comportementale des personnages. Il dessine

finition entre un projet en cours de construc-

leurs portraits hors du contexte de l’espace

tion et ce qui est traditionnellement considéré

de travail en montrant leurs nuances lors de

comme terminé. Des murs de briques au bois

ce moment privilégié de partage d’un repas.

brut de la cuisine, il fallait trouver les éléments

A travers ce cadre, le film explore l’idée de

essentiels minimaux qui gardent la définition

la cuisine, bien qu'elle ne soit jamais visible

de l’espace. La cuisine a un plan ouvert avec le

durant le film. Il met en évidence à quel

reste de l’appartement, permettant à l’utilisa-

point un repas est un moment social qui nous

teur d’avoir une toile vierge à habiter comme

amène à partager plus que de la nourriture.

il le souhaite.

Claude Goretta

66

En même temps, les armoires sont

à manger mais le repas est l’objectif. Il peut

fabriquées à partir de bois contreplaqué

prendre place n’importe où dans un jardin

marine teinté en vert. Dans cet espace, le

ou dans la salle à manger, dans un espace

choix des matériaux est important. Laissés

luxueux et détaillé comme le salon du film, ou

bruts, ils doivent se compléter tandis que

dans un simple studio comme dans le projet.

l’utilisation de la polychromie leur permettait

C’est un concept qui rayonne dans toute la

d’habiller l’espace de manière simple, mais

maison où l’important est l’aspect du partage,

sophistiquée. Tout cet effort a permis au plan

qu’il s’agisse de nourriture, d’espace ou d’un

ouvert de la cuisine de rayonner dans tout

moment social.

l’espace, en imaginant la cuisine comme un poste de préparation; le repas peut ensuite prendre place partout dans l’appartement.

La coursive qui relie les logements renforce cette intention, puisque l'on peut imaginer les voisins sortir pour partager un repas ou des moments sociaux.

Ce qui lie les deux choix des protagonistes est que l’essence de l’idée de la cuisine est le repas et les moments que nous partageons. La cuisine est un espace où on prépare

The colored Studio, Bruno Taut House, Les travaux de Maria et Bernard Zuchbuchen inclus la polychromie et la théorie des couleurs leur permettant d'influencer l'espace et en stimuler l'atmosphère.

67

En haut: L' invitation, Claude Goretta, 1973.

En bas : Martines, Le Mont-sur-Lausanne

68

69

Axonométrie L' invitation, Claude Goretta, Groupe 5, 1973

70

Axonométrie Martines, Le Mont-Sur-Lausanne

71

Maquette 1:33 L' invitation, Claude Goretta, 1973

72

Maquette 1:33 Martines, Le Mont-Sur-Lausanne

73

MARIA CONEN & RAOUL SIGL

Alice Biber, Paul Castella, Maria Loizou, Antonin Mack, Jeremy Morris, Carina Pannatier, Anais Pestalozzi, Ophélie Pinto,

Le film que nous proposons se

Le Co-op intérieur de Hannes Meyer

veut une réflexion sur les thèmes de l’espace

s’inscrit dans une recherche sur les coopéra-

minimum, du vivre ensemble et de la spon-

tives de logements en Suisse dans les années

tanéité. Ces thèmes sont directement issus du

1920. Plus qu’une recherche pour elle-même,

couple de références dont nous avons hérité.

les questionnements, que Hannes Meyer

CO-OP: INTERIEUR

Il s’agit du Co-op Intérieur, proposé par

adresse, se veulent critique du matérialisme

Hannes Meyer

Hannes Meyer en 1926 et du film FOOD,

bourgeois, du mode de vie de la famille

1926

tourné en 1973 dans le restaurant du même

nucléaire et des espaces induits par la vie

nom tenu par Gordon Matta-Clark et ses

domestique de la classe-moyenne.

Louis Stahelin, Dana Wolf

FOOD Gordon Matta-Clark b&w, sound, 16mm fi lm on HD video, 43min, 1972.

camarades. La voix principale entendue dans

FOOD, d’autre part, est créé par

le film est celle de Raoul Sigl qui a choisi

Gordon Matta Clark dans les années 1970

cette paire de références et avec qui nous nous

à Manhattan. Cette période a vu se libérer

sommes entretenu.e.s à plusieurs reprises. Les

une effervescence artistique sans précédent.

questions soulevées dans son propos semblent

Dans ce contexte, FOOD questionne

cristalliser les réflexions qui nous ont accom-

l’événement culturel en tant que tel et plus

pagnées durant cette recherche :

précisément l’activité de manger, les espaces qui en découlent et l’interconnexion ambiguë

How can communal living function ?

entre espace domestique et restaurant. Le

How can things be shared, more than owned ?

film tente de capturer l’énergie qui émerge de

It is (those questions) current because we have to

l'acte de cuisiner et de la formalisation de ce

change things.

moment.

(…)

Aussi radicale qu’ait pu être la

It's really (the research) about the FOOD movie,

critique formulée par Hannes Meyer, il nous

the joy of being together, of eating, of sharing a

semble pertinent de relever qu’elle se situe

meal

dans le champ institutionnel, puisqu’elle est

and of preparing food as a cultural act. It’s

présentée au public par le biais d'articles et de

about the act of cooking, about the process, the

photos publiées dans des journaux ou revues

kitchen, the

d’architecture. De la même manière, FOOD

formalisation of how to prepare food”

est borné conceptuellement par le milieu dans lequel cette expérience apparaît.

74

Les discussions avec Raoul Sigl nous

prise par notre propos qui, car il est élaboré

ont permis d’affiner notre compréhension

par un groupe de dix individualités diffé-

des références et de préciser le but de notre

rentes, ne peut être monolithique. Ensuite,

recherche qui constitue le sujet du film, à

ce secret permet l'émergence d'idées, d’in-

savoir produire un espace collectif minimum

tentions et de sensibilités qui n'auraient pas

dans lequel pourrait émerger un moment

survécues à l’épreuve du collège et permet de

convivial autour d’un repas. Pour ce faire, il a

se garder d’un raisonnement trop utilitariste

été nécessaire d’élaborer un protocole. Il nous

dans le choix des objets.

a semblé pertinent d’intégrer un caractère

Finalement, le choix même des objets

spontané dans la préparation de l’évènement,

de chacun.e peut ainsi faire l’objet de discus-

afin de contrebalancer la précision logistique

sions pendant le repas. Ces discussions étant

qu’un tournage impose. Ainsi, nous avons

enregistrées, elles auraient pu constituer du

admis comme première règle que, le jour de

matériel pour la conduite de cette recherche.

l’évènement, chacun.e amène un ou plusieurs

La tentative de création d’un évènement

objets semblant indispensables à l'émergence

collectif est la concrétisation de la rencontre

d’un moment convivial autour d’un repas.

de nos deux références. Le fait de mener une

Par objet, nous entendons: ustensiles, assises,

recherche sur l’espace minimum dans une

nourriture, éléments d’ambiance, etc.

infrastructure si avancée technologiquement

La question s’est posée de savoir

peut paraître contradictoire. Le repas, ayant

si la liste d’objets devait être établie collec-

pris place sur un plateau de tournage, produit

tivement et, pour plusieurs raisons, il a été

l'aperçu d’une scénographie. Il était impor-

décidé que le groupe découvrirait les objets de

tant pour nous de trouver une scène, non

chacun.e le jour J, au moment du tournage.

pas pour traduire littéralement la proposition

Premièrement, ceci permet aux mêmes objets

de Hannes Meyer, mais pour retrouver une

d’être apportés par plusieurs personnes. La

neutralité sur laquelle élaborer notre propo-

récurrence de certains objets peut ainsi être

sition. Les liens de famille d’un des membres

vu comme une indication statistique que ledit

de notre groupe nous permettant d’avoir accès

objet est plus ou moins indispensable pour

à ce plateau de tournage, nous avons saisi

un repas. Secondement, cette surprise permet

l’opportunité.

d’éviter une direction absolue ou trop lisse,

Le caractère nomade de notre

proposition est plus le fait d’une facilité logistique que d’une volonté de généalogie esthétique avec Hannes Meyer. Nous pourrions d’ailleurs nous demander si le fait que l'installation de 1926 ait été éphémère ait pu influencer Hannes Meyer dans le choix de certains objets.

En outre, il existe certainement une part de naïveté dans l'idée de touxtes arriver avec ce qui est indispensable et de faire émerger une spontanéité à travers cela. Tout comme le fait de rassembler dix personnes pour un repas convenu comme essentiel pourrait même faire rire, dans notre mode de vie de plus en plus individualisé.

De la même manière que nos références sont culturellement situées, nous nous sommes trouvé.e.s incapables de délaisser nos origines socio-économiques. Cela est perceptible dans la frugalité toute relative identifiable dans les objets amenés. Aussi, effectuer un repas sur une scène en fait un acte performatif et nous pousse à choisir ce que nous amenons avec une attention particulière.

Non seulement la nourriture et les objets, mais également les vêtements que nous choisissons et surtout la posture vis-à-vis de l’exercice. Ce caractère performatif serait-il le même qui a poussé Hannes Meyer a placer le gramophone dans son installation?

75

En haut: Food, Gordon Matta Clark, 1972.

En bas: Tournage au studio Appia, Genève, 2021

76

77

Axonométrie Food, Gordon Matta Clark, 1972.

78

!"#$"%&'())(*+,(#-.&/""$ 01"%"23)#45&6437

Axonométrie Co-op Interieur, Hannes Meyer, 1926

79

!"##$%&'$($)*&+,-,.

How do we live? Is it for example how

almost like a theatre piece. Also the cloth back-

(the research) really about the FOOD movie,

communal living can function? How things

ground, you feel the stage, it’s not perfect, it’s a

the joy of being together, of eating, of sharing

can be shared more than owned. That’s very

stage. It’s about this duality of the individual

a meal and of preparing food as a cultural

current because we have to change things.

and the collective.

act. It’s about the act of cooking, about the

We start to slowly understand that we have to change. Some things don't work anymore.

When we are talking about Hannes Meyer manifesto, it is more of a spaciale manifesto, the minimalism, almost nomadic way of life is of course in a way a counter-manifesto to the domestic (way of life of) the classical family.

Also, the bourgeois way of collecting things, stacking up stuff, (is attacked) in Hannes Meyer it is about losing this individuality, giving up, and starting to share. Furnished with pieces ready-made, found, bought. It is 80

In FOOD, there is something that tries to be open. For example Gordon Matta Clark, and how he does this restaurant in the end, more like a living-room where friends

process, the kitchen, the formalisation of how to prepare food, what it does to us in a more general way. It is about places where so many different things come together.

come together but at the same time open to strangers. It's a super nice way of opening and still having kind of a radius, a group of people that do something together and eat.

Eating is a cultural event, so many things and people come together. It’s also interesting how we nourish ourselves. On the other hand, it's

Raoul Sigl, 2021 Discussion with the students Transcripted by Alice Biber, Paul Castella, Maria Loizou , Antonin Mack, Jeremy Morris , Carina Pannatier, Anais Pestalozzi, Ophélie Pinto, Louis Stahelin, Dana Wolf

Model 1:20 Co-op Interieur, Hannes Meyer, 1926

81

CATHERINE GAY MENZEL & GÖTZ MENZEL “Réfléchir à une cuisine à visiter.

creusé dans la profondeur d’une falaise. Les mili-

Lisa Baseggio, Alison Blank, Kilian Cossali,

Réfléchir à une autre cuisine à découvrir à

taires y sont isolés. La cuisine de Gosford Park

Liliana Da Cunha, Leonita Gjocaj, Iliana

travers un film. Qu’est-ce qui les lie ? un lieu

occupe une partie du sous-sol du manoir. Les

Goetschy, Andrea Marmolejo, Chloé Schindler,

de domesticité. Questions de petite échelle, de

domestiques sont à l’écart des espaces lumineux

Ahmed Soliman, Ziad Wahida

matérialité et de la nature de ceux qui l’uti-

réservés à leurs maître-sse-s. Ce sont des mondes

lisent. Nous nous intéressons à des cuisines qui

à part.

LA CUISINE DU FORT DE ST-MAURICE St-Maurice, Valais, 1892.

détournent la notion du domestique - et à ce qui

Les deux cuisines adoptent une

en reste. Des cuisines qui ne sont pas des lieux

architecture de catacombe. On ressent le poids

chaleureux. Des cuisines qui mettent en avant

physique situé au-dessus. Le plafond de l'espace

la production. Est-ce que l’humain s’y retrouve

du Fort est une tôle cintrée. L’évocation d’une

quand-même ? Qui sont les personnes qui y sont ?

voûte. Non porteuse, mais dédiée à l’évacuation

Ce n’est pas une famille. C’est un groupe.

de l’eau et à la protection contre les débris de

Le groupe est constitué par quelque

roche. A Gosford Park, les arches de la cuisine ne

Robert Altman

chose que ses membres partagent. Il peut s’agir

transmettent pas seulement les charges statiques

Capitol fi lms, Chicagofi lms, Film Council, Meduza Produ-

d’une affinité (la musique), d’un destin (le

des étages supérieurs, mais tout le poids d’une

zione, Sandcastle 5, Etats-unis, Royaume-uni, Italie, 2001.

naufrage), d’une profession (le bureau) ou

société écrasante.

GOSFORD PARK

d’autres. Les relations humaines à l’intérieur

Les deux cuisines sont revêtues de

du groupe sont plus ou moins harmonieuses ou

carrelage blanc. Produit céramique ayant subi

conflictuelles. L’individuel a plus ou moins la

un traitement de frittage à des hautes tempéra-

possibilité de quitter le groupe. Le groupe doit

tures, sa surface vitrifiée nous rappelle le monde

aboutir, sinon il perd son sens.

cristallin du souterrain.

Nous mettons en relation la cuisine

La superposition de ces deux mondes

du Fort du Scex à St-Maurice en Valais avec

nourrit ce que nous appelons l'imaginaire

la cuisine du manoir anglais du film Gosford

contextuel, issu du lieu, référant à un autre

Park de Robert Altman. Dans les deux instances,

monde, et ouvrant un espace de possibles. "

les cuisines sont occupées par un groupe : des militaires au Fort et des domestiques du manoir.

Les militaires forment un groupe qui se met au service de la population en situation de guerre.

Les domestiques du manoir se mettent au service de leurs maître-sse-s contre une rémunération.

Dans les deux cas, les groupes cuisinent dans un monde souterrain. Le Fort du Scex est 82

Catherine Gay Menzel & Götz Menzel, 2021 Discussion with the students Transcripted by Lisa Baseggio, Alison Blank, Kilian Cossali, Liliana Da Cunha, Leonita Gjocaj, Iliana Goetschy, Andrea Marmolejo, Chloé Schindler, Ahmed Soliman, Ziad Wahida

L’idée de ce film ainsi que du lieu

Dans le Fort, la hiérarchie est aussi de mise,

instant de récréation après l’effort en cuisine.

d’étude vient donc de l’attachement des

mais tout le monde est logé à la même

La quantité d’ustensiles illustre la fébrilité qui

protagonistes pour ces deux sujets. Le fort

enseigne. Le groupe d’hommes s’enterre afin

y règne lors de l’élaboration des repas.

de Saint-Maurice est inspirant de par son

de servir le pays, tout comme le groupe de

Dans le fort, le manque de repères

histoire, sa place dans la ville et a séduit M.

domestiques pour leurs maîtres. Le rythme

est caractéristique du milieu souterrain. La

et Mme. Gay-Menzel d’après le livre d’images

de vie du Fort est départagé en trois équipes.

lumière naturelle étant inexistante, les repas

en leur possession. Un détail a de plus attiré

Tandis que deux s’activent, la troisième dort ;

donnent aux soldats un goût de vie “à la

leur attention : le carrelage blanc qui se

la cuisine n’est jamais longtemps à l’abandon.

surface” en ponctuant les moments de la

détache du mur de l’évier de la cuisine. Ce

La préparation des repas est confiée à peu de

journée dans cet espace sans soleil. Lors de

carrelage leur rappelle leurs jeunes années

gens, la cuisine n’est pas grande. Leur mission

son service militaire, un soldat suisse sera mêlé

dans leurs bureaux New Yorkais. Il fait écho

doit être achevée de manière rapide et efficace

à des centaines d’hommes issus de milieux

aux carreaux cirés du métro et leurs premiers

au vu de la quantité d’hommes à nourrir en

très hétérogènes, toutes ces identités vont se

projets ensemble. On retrouve également ce

un temps limité.

retrouver dans la simple cuisine du Fort. Ce

carrelage dans la cuisine de Gosford Park.

Dans le film, on comprend très vite

tournus rend le lieu riche et vivant, on sent

Le film de Robert Altman est un drame sur

la façon dont la vie des aristocrates vient

cette trace en le visitant. Le carrelage fatigué

le modèle du Cluedo qui dépeint avant tout

rythmer la vie de leurs domestiques. Les

et les dimensions des appareils de cuisine

la société anglaise des années 30. Tandis que

tâches à accomplir opèrent le ballet incessant

témoignent de la quantité de gens ayant défilé

les maîtres logent et se rencontrent dans les

des allées et venues au sous-sol de la demeure

dans les lieux au cours des dizaines d’années

espaces somptueux de la demeure, quantité

et permettent le déroulement paisible de

d'existence du Fort. En s'attardant sur la

de domestiques, de la maison ainsi que des

la partie de chasse. Le repas représente un

quantité et la dimensions des ustensiles et

invités, sont concentrés dans les cuisines et les

rituel complet, de la préparation de la salle

machines, cette cuisine industrielle devient

couloirs du rez-de-chaussée semi-enterré.

en parallèle de l’accueil des personnalités,

imposante. Des grandes cuves de cuisson, aux

Les domestiques se déplacent silen-

à la fin de soirée détendue autour du piano

cuillères géantes pour mélanger, tous les outils

cieusement dans toute la demeure, ils savent

pour tous, y compris les domestiques cachés

ménagers racontent la vie agitée de la cuisine

tout du “monde d’en haut”. Les interactions

derrière les portes. La vie commune entre

militaire.

entre les deux mondes restent ponctuelles,

les domestiques de la demeure et ceux des

Au final, dans le Fort tout comme

sèches et discrètes. On sent la vive séparation

invités se trouve donc imposée par les amitiés

dans le manoir, tout le monde mangera le

entre les étages de la maison. Leur travail en

et relations des aristocrates. Les relations se

même repas. Peu importe le rang social ou

sous-sol rythme la vie des étages, le groupe

lisent lors des rencontres dans la cuisine ou

hiérarchique. La cuisine permet aux domes-

s’active et grouille afin de satisfaire au mieux

dans les couloirs attenants. La cuisine est donc

tiques et aux aristocrates de communier

les besoins de la haute société, tandis que

le lien social du “monde d’en bas”. Le repas

ensemble, bien qu’à distance, et il en est de

l’on sent la douceur et la lenteur de vivre des

des domestiques est, lui, à contrario du dîner

même pour les soldats.

aristocrates en partie de chasse.

épinglé et tendu des maîtres de maison, un 83

En haut: Gosford park, Robert Altman, 2001.

En bas: La cuisine du fort de St-Maurice, VS, Suisse

84

85

Axonométrie Gosford park, Robert Altman, 2001.

86

Plan La cuisine du fort de St-Maurice, VS, Suisse

87

Maquette 1:20 Gosford park, Robert Altman, d2001.

88

Maquette 1:20 La cuisine du fort de St-Maurice, VS, Suisse

89

JO TAILLEU

Clea Balestra, Raphaël Boscarato, Albane De Vaulx, Céline Carrière, Téo Golay, Eleonore Gueyffier, Mikail Gün, Charlotte Jianoux, Maylis Pillet, Clara Seffacene, Arnaud Zbinden

Le sujet de ce travail se dessina comme

projectuelle théorique : ici, l’espace est considéré

étant à propos de la place des habitants dans l’ar-

comme étant le fruit de l’utilisation faite par les

chitecture. Le repas, plus spécifiquement, est une

habitants de celui-ci. En fragmentant les actions

étape cyclique dans la vie de tous les êtres vivants

de l’habitant de la Cottage house en une série de

dans une maison. Dû à sa vocation comme rite,

plan rapprochés lents, calmes et contemplatifs,

il est le moment de partage et de réunion dans la

Nina Hedenius, nous offre la dissection de ce

pièce centrale, ou du moins celle qui agit comme

qu’est habité, un simple conglomérat d’actions

THE OLD MAN IN THE COTTAGE

noyau unificateur du toute l’unité bâtie. Les

mis bout à bout, dont la finalité est de vivre dans

Gubben I Stugan

deux architectures étudiées possèdent chacunes

un espace. La Studio House, quant à elle, par

Nina Hedenius

des contextes, des aspects formels ainsi que des

sa flexibilité, non seulement dans la modularité

Sweden, 1996.

habitudes distinctes en leur sein.

des cloisons et l’usage rationaliste de matériaux

STUDIO HOUSE Peter Märkli Rumisberg, BE, 2014

90

L’utilisation de l’architecture par les

économiques, mais aussi par la mise au point

habitants selon leurs besoins y définie l’architec-

de meubles mobiles (de cuisine) permettent à

ture, dans le film documentaire comme dans la

l’espace de vie (studio, salon, cuisine, bureau)

Studio house. L’architecte n’est que l’interprète

d’évoluer en symbiose avec ses habitants.

temporaire d’une volonté de l’humain dans

Peter Märkli a construit le Rumisberg

la manière d’habiter. L’architecture y propose

Studio en 2013 pour deux artistes. Il

un lieu où les actions forment des moments

commença par dessiner un plan avec l’orienta-

qui habitent l’espace. Nés d’une réflexion

tion de la maison et l’arrangement des pièces.

sur l’habiter et tout particulièrement sur la

Il écrit à son sujet : “ le centre de la maison n’est

cuisine, les dessins, maquettes, textes et le film

pas le salon ou la cuisine, mais l’atelier, et les

produit jouent avec les deux oeuvres utilisées,

autres pièces s’enroulent autour comme la croûte

l’expérience lors de la visite du lieu et notre

autour d’une miche de pain. C’était ça l’essence

discussion avec Jo Taillieu. Nous exposons un

du projet ”. Cette citation de l’architecte

parti pris architectural clairement explicité par

peut nous rappeler les paroles de Jo Tailleu

Jo Taillieu lors de nos discussions: l’architecture

à son sujet : “ La cuisine n’a pas besoin d’être

est à propos de vivre, living, en son sein, non pas

la plus grande pièce ou la pièce centrale, mais

comme oeuvre sculpturale visuelle ou excuse

elle fonctionnera comme la pièce centrale ”. La

cuisine de cette maison est indépendante des

du scénario, la prise de son et d’image, la

par la succession de long plan fixe à l’intérieur

sols et des murs ce qui permet de la déplacer.

réalisation et le montage. Néanmoins, elle se

du monde de cet homme préservant un lien

La dernière fois que Peter Märkli est allé voir

concentre principalement sur la photographie

fort avec la nature et son environnement. Ce

les habitants pour la pendaison de crémaillère,

par laquelle elle transmet une grande richesse

film a été une grande source d’inspiration

la cuisine avait été temporairement déplacée

de détails, d’ambiances, et de lumières. En

pour notre réalisation, notamment dans

dans le garage pour nourrir les nombreux

1996, elle réalise The Old Man in the Cottage.

la décomposition des actions en différents

invités. C’est à travers ses moments de rassem-

Dans ce documentaire, elle suit pendant un

fragments. Nous avons intégré aux enregis-

blement et du quotidien que la cuisine prend

an Ragnar, qui vit seul dans une petite ferme

trements faits dans la maison de Peter Marklï,

vie. En observant ces habitants lors de notre

des forêts finlandaises de Dalarna. À l’inté-

des scènes importantes se déroulant dans

visite, nous avons compris comment l’oeuvre

rieur de sa maison cachée profondément dans

la cuisine de The Old Man in the Cottage,

de l’architecte lui échappe une fois habitée. Jo

les bois, les seuls sons qui viennent le relier à

comme celle de la préparation du café. De

Tailleu nous a dit à ce sujet : “ Il peut arriver

la civilisation sont de brefs extraits de radio ou

plus, Nina Hedenius filme le quotidien sur

que l’architecture devienne seulement le contexte

d’échanges téléphoniques.

un an, en marquant le temps qui passe par

de possibles actions. Des actions qui ne sont pas

À travers une focalisation sur les

le changement de saisons et, avec celles-ci,

guidées par l’architecte, mais par son usage,

interactions de cet homme avec son envi-

les habitudes de vie du personnage principal.

guider par les toutes ses potentielles utilisations.”

ronnement, nous découvrons sa maison. La

Nous avons intégré une chronologie similaire

Le film documentaire étudié est

cuisine est la pièce principale, on y trouve un

dans notre film. En effet la vidéo se déroule

nommé The Old Man in the Cottage. Il met

robinet qui n’est pas relié à l’eau courante, un

sur une journée, de notre arrivée matinale sur

en scène le quotient de Ragnar, un ouvrier

four, de multiples rangements et ustensiles de

le site, à notre départ le soir. Ce défilement du

forestier à la retraite. La réalisatrice Nina

cuisine et enfin la table à manger où il passe

temps est marqué par la tripartition du film et

Hedenius est connue pour ses films poétiques

une grande partie de son temps à effectuer les

par les lumières changeantes du paysage.

et empathiques sur la vie dans la campagne

tâches quotidiennes et manger. Dans la même

suédoise. Elle est née le 16 septembre 1942

pièce, nous trouvons le sofa dans lequel il dort

à Solna en Suède. Elle commence des études

et où il est né, comme son père et son grand-

de photographie à Stockholm, qu’elle arrêtera

père avant lui.

pour travailler dans une chaîne télévisuelle

Les meubles sont marqués par

suédoise. Dans ses films documentaires,

l’usure, la répétition de leur utilisation au

elle dirige toutes les étapes : la rédaction

cours de l’année. Nina Hedenius nous guide 91

En haut: The Old Man In The Cottage, Gubben I Stugan, Nina Hedenius, 1996.

En bas: Studio house in Rumisberg, BE, 2014 Peter Märkli

92

93

Axonométrie The Old Man In The Cottage, Gubben I Stugan, Nina Hedenius, 1996.

94

Axonométrie Studio house in Rumisberg, BE, 2014 Peter Märkli

95

Détail The Old Man In The Cottage, Gubben I Stugan, Nina Hedenius, 1996.

96

Détail Studio house in Rumisberg, BE, 2014 Peter Märkli

97

Maquette 1:33 The Old Man In The Cottage, Gubben I Stugan, Nina Hedenius, 1996.

98

Maquette 1:33 Studio house in Rumisberg, BE, 2014 Peter Märkli

99

PHILIPP ESCH

Arno Bovard, Zacharie Cabaud, François Decurtins, Anne-Sophie De Pesters, Lilou Erb, Piero Fumagalli, Flavio Gorgone, Constantin Guichard, Basil Merz, Maxime Theuvenat, Aurélie Thill

DER TURM AM SEE Carl Gustav Jung Bollingen, Lake Zürich, SG, 1922

“Carl Gustav Jung erzählt von seinem

an sein 16.Lebensjahr verfilmt. In dieser

Turm: Immer wieder einmal ist er eine Woche

Erinnerung ist die Küche der zentrale Ort des

AMARCORD

und länger allein in Bollingen, da hört er

Familienlebens. Rund um den langen Tisch

Federico Fellini,

eines Nachts die Stimmen und Gesänge einer

ist es laut. Eigentlich unerträglich laut, weil

F.C. Produizini, France Productions et Editions cinématogra-

Prozession, die vor seinem Haus vorbeizieht, das

alle reden und keiner zuhört. Es wird gierig

phiques françaises, Italie et France, 1973.

doch allein inmitten von Wasser und Wald liegt.

gegessen und getrunken, während auf dem Feuer

Ob er halluziniert nach der länge Einsamkeit?

die Wäsche kocht. Es wird gestritten, gezischt,

Im Gegenteil, sagt Jung: erst die Woche abseits

gebrüllt. Die Anspannung ist mit Händen zu

des Geschäftigkeit der Welt hat sein Gehör

greifen. Keine Idylle, im Gegenteil. Es gibt

soweit geschärft, dass er die Stimmen der Toten

keine Mittellage, nur übergrosse Fürsorge oder

hören kann, die uns umgeben und gemeinsam

übergrosse Vorwürfe. Dieses Leben ist gespei-

mit uns die Welt befolgen.

chert in den Wänden, den Oberflächen und

Auch in meiner eigenen Erinnerung

Gegenständen der Küche. Kein anderer Raum

schärft die Stille des Jung’schen Hauses das

enthält annähernd so viel Leben. Dann stirbt

Gehör. In der Küche und davor, im Hof,

die Mutter, und mit ihr, man ahnt es, stirbt das

sind die Geräusche besonders eindringlich.

Leben in der Küche dem Haus. Die Küche, in

Das Klacken beim Pumpen des Wassers, das

die sich der weinende Vater zurückgezogen hat,

schwere Schlagen der Türen, das Summen der

wird zum Ort der Trauer.”

abendlicher Mückenschwärme, das Knallen fliegender Funken im Kamin der Sommerküche, und hinter der schützenden Mauer die ununterbrochene sachte Bewegung das Wassers.

Federico Fellini hat die Erinnerung 100

Philipp Esch, 2021 Discussion avec les étudiants, sous-titrage en français dans la vidéo.

Retranscrit par Arno Bovard, Zacharie Cabaud, François Decurtins, Anne-Sophie De Pesters, Lilou Erb, Piero Fumagalli, Flavio Gorgone, Constantin Guichard, Basil Merz, Maxime Theuvenat, Aurélie Thill

Figée dans le temps, la maison semble

en tête. Collectivement, on assemble nos

tenir en son cœur des souvenirs illisibles.

pensées de la journée, riches mais néanmoins

Daniel, le petit fils de Carl Gustav Jung, la

incomplètes et subjectives. La maquette, grâce

dégèle par sa mémoire. Nous faisons voltiger

à sa matérialité abstraite, devient le théâtre

de la poussière, nous activons la pompe à

de discussions qui stimulent nos souvenirs

eau, nous allumons le feu. L'eau chauffe,

sensoriels et se bâtit sous l’impulsion du ballet

nous installons une table et des chaises. Nous

de nos gestes. L’espace se définit autour de ce

parlons de la maison, mais nous parlons

que l’on fait.

bientôt de nous. Nous l’animons de notre

La tour, plutôt froide et sombre,

mémoire et la composons par la même occa-

cède son rôle de cuisine à la cour extérieure,

sion. Agité, l’édifice transpire de récits. Nous

ensoleillée et accueillante. Au même titre,

imitions, par les mêmes gestes, les repas d’il y

la salle d’apparat de Fellini, sous le poids de

a des années.

sa fonction représentative, se vide de toute

Une journée s’est écoulée et la maison

vitalité au profit d’un bouillonnant rassemble-

garde le souvenir particulier de cette scène

ment au plus près de l’agitation générale des

printanière. De ces moments, il reste onze

fourneaux.

esprits gardiens, prêts à arpenter leur mémoire pour restituer le souvenir de ce lieu.

Bientôt, l'ambiance se recrée à nouveau. En modelant les éléments, on retranscrit nos impressions, nos sensations. On s'en souvient. Les formes, couleurs, textures,

Photographie

matières, ou seules quelques cicatrices restent

Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

101

En haut: Amarcord, Federico Fellini, 1973 En bas : Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

102

103

TCHEN

AXO Axonométrie Amarcord, Federico Fellini, 1973.

104

GSPublisherVersion 0.2.100.100

Axonométrie Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

105

Plan de situation Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

106

Détail Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

107

Maquette 1:20 Amarcord, Federico Fellini, 1973.

108

Maquette 1:20 Der Turm am See, Carl Gustav Jung, Bollingen, SG, 1922

109

STÉPHANIE BENDER ET PHILIPPE BÉBOUX

Noriyuki Buccellati, Baptiste Burget, Kévin Campigotto, Camille Duriez, Lauriane Lagrange, Nathan Schulte, Anne Steullet, Roberto Trivelli, Tanguy Vandenberghe, Pauline Viennot-Bourgin,

Le foyer donne vie à la maison. Le

« Nous touchons à des thèmes qui nous

feu est au centre de toute l’existence humaine.

semblent presque fondamentaux à certains

L’homme s’est mis à bâtir pour assurer avant

archaïsmes. La question du foyer a toujours

tout la protection du feu et lui donne par

été un élément central du développement de

conséquent une place centrale. Élément archi-

l’architecture, puisque la première architecture

tectural archétypique de l’Arc-Alpin, la borne

est une forme d’abri pour le feu. De plus, à

est une centrale énergétique, une machine

travers l'observation d'architectures ancestrales et

de productivité dans la maison. Cheminée

de formes d'habitats rudimentaires, tels que les

ouverte aux proportions extraordinaires, elle

huttes, les tentes, les igloos, les yourtes, etc., nous

THE COOK, THE THIEF, HIS WIFE AND

traverse l’espace de la maison dans toute sa

retrouvons toujours ce foyer qui est au centre de

HER LOVER

verticalité. Tel une prolongation naturelle

l'habitat. La question de la borne nous intéres-

Peter Greenaway,

et logique de la cuisine et du foyer, la borne

sait fortement, d'une part, car c’est un élément

Elsevier-Vendex Film Beheer, Royaume-Uni et France, 1989.

symbolise le cœur de la maison. Perméable

archétypique de l’Arc-alpin, et même du Jura,

aux différentes activités et flux des occupants,

et d'autre part, parce que c'est un élément qui a

la cuisine presque sacrée, rythme nos espaces

plusieurs fonctionnalités.

Till Zerkaulen

LA BORNE Cuisine-cheminée ouverte, archétype de l'arc Alpin.

et nos vies.

Nous trouvons les bornes au centre de

La cuisine articule la vie culinaire

la maison, avant tout afin de la chauffer. Nous

et sociale en proposant un espace que l’on

pouvons également considérer la maison comme

peut traverser de part en part, à l’image de

étant un objet productif, une machine. Nous

la cuisine, de Peter Greenaway. Les espaces

l'observons en s'y baladant : les solutions, la

se succèdent et les fonctions sont embrassées

typologie sont organisées autour d’une producti-

les unes après les autres. En rentrant dans la

vité de la maison : on y vit, on y travaille, on

cuisine, on pénètre dans un lieu bouillonnant,

fume la viande. La raison de cette borne est

mais rationnel. Composée en une succession

d'également concentrer l’énergie, c’est-à-dire la

logique de fonctions.

chaleur donnée par le foyer. De façon radiante, nous trouvons différentes pièces qui s'organisent autour de cet objet traversant toute la hauteur de la maison. Par ailleurs, d'un point de vue

110

plus personnel, ce qui nous intéressait aussi,

le film n’est pas constante dans tout le récit du

l'influence que cela peut avoir sur la perception

c’était finalement de vous permettre de revenir

film. Nous y voyions néanmoins plusieurs raisons

des espaces.

à ces questions du vernaculaire. Qu’est-ce que

de les confronter. La première raison est peut-être

Dans nos échanges, vous parliez de cette horizon-

nous pouvons prendre dans ce vernaculaire,

la question temporelle. Peter Greenaway est un

talité ressentie. Nous retiendrons nous aussi cette

qui est souvent très proches de nous, qu’on ne

cinéaste qui était très important pour nous, pour

notion de spatialité dissociée, mais continue ;

regarde parfois plus ou pas suffisamment. Dans

notre génération. Selon nous, c’est quelqu’un qui

on transite très rarement dans le film par des

ce cas, précisément, nous trouvions qu’il y avait

s’intéresse à notre perception de la ville et des

couloirs. C’est-à-dire que l’on passe d’un espace

plusieurs éléments qui étaient intéressants : cette

bâtiments. Dans ce film « The cook, the tief, his

à l’autre, avec ce que nous nommons des plans en

organisation spatiale, cette typologie sans couloir

wife and his lover », ce qui nous intéressait, c’est

pavages ; des plans où l’on passe d’une spatialité

où il y a une sorte d’assemblage de pièces autour

que le cœur du récit est finalement cette cuisine.

à une autre de manière presque brutale. Quand

de cette borne, cette cuisine-cheminée ouverte.

Parallèlement, dans le chalet, le cœur de la

nous questionnons la cheminée, nous question-

Alors bien sûr, aujourd'hui, en 2021, la fonc-

spatialité est également cette cuisine par laquelle

nons notre archaïsme, l’histoire de l’humanité,

tion originale de cette cuisine n’est plus active

nous n’arrêtons pas de « transiter » entre l’exté-

le feu. L’humanité, c’est le feu certains diront

dans ce bâtiment. Mais lorsqu'elle l'était, le feu

rieur, la cuisine et la grande salle où l’on mange.

que l'humanité, c’est de l’architecture. Ce qui

contenu dans le foyer ouvert était volontairement

La cuisine du film semblait entrer en résonnance

selon nous peut être vrai, si l'on considère que les

et activement maintenu en permanence pour

avec ce principe typologique de la borne comme

premières traces d'humanité, les premiers gestes

fumer les denrées. Au-delà de ces caractéristiques

objet central. Dans le film, nous ne percevons en

architecturaux sont avant tout de construire

productives et des différentes fonctionnalités

revanche pas la hauteur de la cuisine. Le foyer,

un abri pour le feu. Dans le film, nous avons

que la borne regroupe, elle implique également

central lui aussi, n'est pas directement ouvert. Il

cette présence du foyer en permanence. Mais

une gestion spatiale. Dans ces habitats alpins,

y a ces deux chapeaux qui le surplombent et il

nous avons aussi cette présence constante de

nous sommes souvent confrontés à des spatialités

est positionné presque comme un autel, avec la

l’archaïsme, avec une violence qui a un caractère

relativement basses ; la borne nous confronte de

présence d'un petit emmarchement. Le film ques-

primitif et qui tisse des liens avec cet archétype

manière soudaine à une dimension totalement

tionne beaucoup de traits liés à l’architecture. Il

primitif de l’élément d’architecture qu’est le

hors échelle. Toute la verticalité du bâtiment

y a une très forte importance donnée à la chro-

foyer. »

est présente et peut-être ressentie, ce que nous

matique des scènes, avec des moments d’espaces

n’avons pas l’habitude de vivre dans l’habitat

quasiment monochromes. Nous connaissons tous

Philippe Béboux, 2021 Discussion avec les étudiants

traditionnel.

le pouvoir que peuvent avoir les choix matériels

La résonnance entre l’objet, la borne, et

et les choix chromatiques dans un projet et

Retranscrit par Noriyuki Buccellati, Baptiste Burget, Kévin Campigotto, Camille Duriez, Lauriane Lagrange, Nathan Schulte, Anne Steullet, Roberto Trivelli, Tanguy Vandenberghe, Pauline Viennot-Bourgin, Till Zerkaulen

111

En haut: The Cook, The Thied, His Wife And Her Lover Peter Greenaway, 1989.

En bas: La borne, Cuisine-cheminée ouverte, archétype de l'arc Alpin.

112

113

Axonométrie The Cook, The Thied, His Wife And Her Lover, Peter Greenaway, 1989.

114

Axonométrie - Maison Martin 1 : 50

Axonométrie La borne, Cuisine-cheminée ouverte, archétype de l'arc Alpin.

115

Maquette 1:33 The Cook, The Thied, His Wife And Her Lover, Peter Greenaway, 1989.

116

Maquette 1:33 La borne, Cuisine-cheminée ouverte, archétype de l'arc Alpin.

117

ERIC LAPIERRE

Belaich Yonah, Bosman Axelle, De Britto Tavares Pablo, Deschamps Timothé, Eichenberger Brigitte, Gilliéron Jean-Marc, Jaton Doriand Andrzej, Karameta Lundrim, Kolesnikov Gleb, Monnier Malaury Vanessa

LA MAISON BLANCHE Le Corbusier La Chaux-de-Fonds, 1912

“Je recherche avec une véritable avidité

cette nature morte, en “gros plan”, nous aurions

A WOMAN UNDER THE INFLUENCE

ces maisons qui sont des « maisons d’hommes »

un témoin de pure harmonie. Sans blague ?

John Cassavetes

et non pas des maisons d’architectes. La question

Oui, et malheureux sont ceux qui recherchent

Faces International Films, Etats-Unis, 1974.

est grave. On peut dire qu’une maison d’homme

des harmonies fausses, truquées, à recettes, des

est amour. Laissez-moi préciser par ceci qui

harmonies académiques de Vignole, de 1925 ou

concerne le cinéma : Observez un jour, non pas

dernier bateau. Je retrouve dans ce que j’appelle

dans un restaurant de luxe où l’intervention

la « Maison des hommes » ces dispositions

arbitraire des garçons et des sommeliers détruit

fatales.”

mon poème, observez dans un petit casse-croûte populaire, deux ou trois convives ayant pris leur café et causant. La table est couverte encore de verres, de bouteilles, d’assiettes, d'huilier, le sel, le poivre, la serviette, le rond de serviette, etc.

Voyez l’ordre fatal qui met tous ces objets en rapport les uns avec les autres ; ils ont tous servi, ils ont été saisis par la main de l’un ou de l’autre des convives ; les distances qui les séparent sont la mesure même de la vie. C’est une composition mathématiquement agencée ; il n’y a pas un lieu faux, un hiatus, une tromperie. Si un cinéaste non halluciné par Hollywood était là, tournant 118

Le Corbusier Précision sur un état présent de l'architecture et de l'urbanisme, Paris, éditions Vincent, Fréal et cie, 1930.

À la manière d’une troupe de théâtre,

l’on arrive à avoir une grande spontanéité

les protagonistes d’un repas agissent comme

dans les mouvements et dans la disposition

s’ils suivaient une chorégraphie maîtrisée et

des éléments constituant le repas de ces deux

précise. L’arrivée des convives, les allers-re-

maisons d’hommes.

tours vers la cuisine, le passage des assiettes,

Parallèlement aux mouvements, les

les discussions. Toutes ces choses ont lieu dans

sons sont eux aussi cruciaux. Dans la villa

un espace et lui sont propres. Ainsi, un repas

Jeanneret, on imagine : Marie-Charlotte-

dans un film de Cassavetes ou un dîner dans

Amélie Perret-Jeanneret en train de terminer

la maison familiale de la famille Jeanneret ont

une pièce au piano, tandis que les plats arrivent

chacun leurs manières d'être conduits. Mais

sur la table et que les convives se rendent

bien qu’ayant des scénographies contrastées,

progressivement dans la salle à manger pour

on retrouve conceptuellement plusieurs

y partager un repas. Chez Cassavetes : plus

ressemblances, dont la première puise sa

d’une dizaine de personnes assis à table, parta-

source dans la définition-même des deux

geant les ragots, les inquiétudes, les bonheurs

lieux.

et les questionnements.

Nous avons là deux maisons fami-

Les mots scandent le silence à la

liales, où l'on cuisine et mange de manière

manière des notes de musique. Les compo-

conviviale et chaleureuse, loin des étiquettes

sitions visuelles et sonores dansent ensemble

des restaurants chics ou autres espaces plus

et peignent un tableau de vie. La mélodie du

publics. C’est typiquement cette convivialité

repas.

et cette ambiance décontractée qui font que 119

En haut: A Woman Under The Influence, 1974.

En bas: La maison blanche, Le Corbusier, La Chaux de fond, 1912

120

121

Group 11 Eric Lapierre Magma & Principes

Axonométrie A Woman Under The Influence, John Cassavetes, 1974.

122

Axonometry 1:50 22.06.2021

La Maison Blanche GSEducationalVersion

Group 11 Eric Lapierre Magma & Principes

Axonometry

1:50 22.06.2021

Axonométrie La maison blanche, Le Corbusier, La Chaux de fond, 1912

123

Maquette 1:20 A Woman Under The Influence, John Cassavetes, 1974.

124

Maquette 1:20 La maison blanche, Le Corbusier, La Chaux de fond, 1912

125

DIOGO FRONSESCA LOPES

Paulo Batista Cordeiro, Marilyn Brühlmann, Flavien Ducor, Alexandre Gameiro, Tobias

Le Printemps tardif est un film

Corbusier. Si Ozu présente la scène familiale

datant de 1949 et réalisé par Yasujiro Ozu.

à travers un film en noir et blanc, jouant avec

Cette œuvre met en scène la vie quotidienne

des plans et des jeux de lumière, Le Corbusier,

d’une famille japonaise, dont le père veuf vit

quant à lui, la travaille directement avec son

seul avec sa fille. Le père cherche à trouver

architecture. Il propose un environnement

un gendre idéal pour sa fille, convaincu qu’il

calme et paisible, aux bords du lac Léman,

est temps pour elle de se marier, tandis que

où la vie semble prendre une autre allure.

VILLA LE LAC

celle-ci s’inquiète de la solitude que pourrait

L’espace libre de la villa est, d’une certaine

Le Corbusier

ressentir son père après son départ. C’est alors

manière, séquencé par une enfilade de pièces

Corseaux, 1923

que le père prend l’occasion d’en discuter lors

accordant le libre mouvement du corps et

d’un repas. Ayant trouvé un jeune homme

du regard. Les multiples cadrages invitent la

qui pourrait lui plaire, il demande l’avis de sa

vision à s’échapper vers la grande source de

fille à propos de cette personne. Celle-ci éclate

lumière que représente le lac. La maîtrise de la

de rire lorsqu’elle apprend l’intention de son

lumière est exceptionnelle, tant dans la cuisine

père, lui expliquant alors qu’il est déjà fiancé à

que dans le séjour, là où longe la fenêtre en

une autre femme.

longueur. La chambre d’ami est éclairée par

Helmersson, Héloïse Lauret, Ricky Lee, Abigaël Schaller, Jacques Schmidt, Pierluigi Surano, Gaël Tuchschmid

LATE SPRING Yasujirô Ozu Shôchiku, Japon, 1949

126

Yasujiro Ozu réalise cette séquence

une fenêtre zénithale juste avant de rentrer

du film uniquement à l’aide de plans fixes,

dans la salle de verdure. Quant à Ozu, ce sont

vacillant entre cadrage frontal et cadrage en

les cloisons en papier de riz, qui une fois illu-

diagonal. Toute la préparation avant le début

minées par les différentes sources lumineuses,

du repas, notamment le dressage de la table,

artificielles et naturelles, définissent la scène.

est filmée frontalement en superposant les

Le repas est, dans cette œuvre, présenté au

diverses couches spatiales de la pièce. Puis,

milieu d’un espace traversant, qui manifeste

une alternance des deux types permet de

une grande sensation d’intériorité. Les prises

présenter le repas et la discussion entre le

de vues dévoilent les patios aux extrémités

père et sa fille. Les protagonistes se baladent

de la pièce, mais reflètent le cadre urbain très

ainsi dans un espace intérieur, divisé par des

dense de la ville de Tokyo. Le Corbusier,

cloisons traditionnelles, mettant en valeur

pour sa part, formalise le repas à travers une

le rythme de la vie quotidienne. Cette

table en béton, et un mur cadrant le paysage

thématique de la séquence peut également

lointain. La salle de verdure est la finalité

être interprétée à La Villa « Le Lac » de Le

d’une séquence spatiale, tout comme la villa

au bord de l’eau est la finalité d’une série de

et ainsi de suite. Les bruits et les odeurs font

un repas avec des amis à l’extérieur autour

maisons sur la colline. Cette pièce ambiguë, à

rêver ceux qui attendent à table. Chaque

de la fameuse table en béton, pendant que

la fois intérieure et extérieure, invite tout un

repas est différent et crée des souvenirs divers

les parents s’occupent de préparer à manger

chacun à prendre place pour admirer la vue et

et variés. Un repas à l’extérieur est différent

dans la cuisine. Cela peut raviver des souve-

passer un bon moment. Tous les ingrédients

d’un repas à l’intérieur, tout comme celui que

nirs d’enfance pour certains, notamment des

sont réunis pour valoriser le repas. Ces deux

nous prenons avec nos amis est distinct d’un

repas de familles à l’extérieur ou des fêtes

œuvres permettent de méditer sur le rythme

repas de famille. Le repas favorise l’interaction

d’été. D’autres se souviennent peut-être de

de vie et notre relation par rapport au repas.

sociale. Il est central dans l’habitat et même

la bonne humeur et des cris de joie. Prenons

Elles proposent de ralentir notre allure et

dans notre vie. N’est-il pas le lieu parfait pour

alors le temps d’apprécier ces moments et de

de prendre notre temps. Le repas est trop

prendre des décisions ? Discuter ou annoncer

vivre chaque instant présent. La vie est une

souvent vécu comme une nécessité de se

des nouvelles ? C’est d’ailleurs ce que font les

séquence, tout comme le repas qui suit une

nourrir. Pourtant, il peut être expérimenté

protagonistes du Printemps tardif.

succession d'entrées, plats et desserts.

comme une action signifiante de la vie quoti-

Dans le cas de la Villa « Le Lac »,

L’architecture de Le Corbusier est un

dienne. Un bon repas nécessite du temps, que

la salle de verdure, encadrée par trois murs,

artefact culturel appartenant à une époque,

ce soit pour l’apprécier ou le préparer. Ozu

produit une atmosphère spéciale entre inté-

où le rapport à la nature est fortement lié à la

le montre en filmant la préparation : le père,

rieur et extérieur. La nature est sous contrôle

vision et au cadrage. La « salle à manger » exté-

qui vient de rentrer à la maison, se change

et influence sur l’espace. L’arbre actuel

rieure est fortement formalisée par le mobilier

pendant que sa fille s’occupe de dresser la

contribue à cela, bien qu’il soit plus jeune que

fixe. La table, le mur et son ouverture sont

table. Il existe une espèce de rituel avant le

l’original. L’ancien arbre était amplement plus

un ensemble d’objets qui caractérise l’espace,

repas et celui-ci tend à disparaître maladroi-

imposant, générant des ombres plus fortes.

mais le contraint simultanément. A contrario,

tement dans le quotidien. Le travail et le

Par ailleurs, son tronc était bien plus épais,

l’espace traversant du film de Ozu, permet

manque de temps prennent parfois le dessus.

impactant ainsi la sensation de l’espace. Il est

des dispositions plus libres. Le père et sa fille

Manger rapidement un sandwich devant

clair qu’en architecture, une colonne de dix

peuvent éventuellement rapprocher la table

son ordinateur devient commun. Le plaisir,

centimètres de diamètre ne peut rivaliser avec

du patio sans aucune difficulté. Il est alors

quant à lui, n’est plus. Il est important de se

une autre qui en fait soixante. En ce lieu, le

peut-être temps de s’échapper de cette forma-

réapproprier ce rituel. Le temps est nécessaire

rituel est d’une certaine manière facilité par

lité datant de l’époque des modernes, et de se

pour apprécier un bon repas. Sa préparation

la distanciation entre cette salle de verdure

libérer du cadrage visuel, pour se rapprocher

déclenche une série de mouvements dans

et la cuisine. Elle permet de créer un temps

de la nature. Posons-nous alors sur le muret,

l’espace tout aussi appréciable. Cuisiner, c’est

d’attente, ou plutôt, d’offrir la possibilité

détachés de tous ces murs, et écoutons le bruit

couper des aliments, boire un petit verre d’eau

d’apprécier le temps présent dans cet environ-

de l’eau plus fort que jamais.

entre deux tâches, discuter, dresser la table,

nement. Il est tout à fait possible d’imaginer 127

En haut: Late Spring, Yasujirô Ozu, 1949 En bas: La Villa Le Lac, Corseaux, 1923

128

129

Axonométrie Late Spring, Yasujirô Ozu, 1949

130

Axonométrie La Villa Le Lac, Corseaux, 1923

131

Maquette 1:20 Late Spring, Yasujirô Ozu, 1949

132

Maquette 1:20 La Villa Le Lac, Corseaux, 1923

133

JEAN-BAPTISTE BRUDERER

Mélanie Baptista de Sousa, Thibault De Oliveira, Simone Morelli, Jonathan Kiener, Delphine Klumpp, Loris Milius, Julien Porret, Lionel Progin, Filippo Rattazzi, Leonne-Zoë Vögelin

LE TRIGON Heidi et Peter Wenger Rosswald, VS, 1955

Les deux séquences spatiales propo-

plateau repas intact. Elle rentre alors chez elle

sées par le protagoniste sont la cuisine du

avec les restes du repas, mais est elle-même

Chalet Trigon, construit en 1955-56 par les

incapable de les manger.

LAST REQUESTS

architectes Peter et Heidi Wenger à Saflisch

Concernant la cuisine du Chalet

Courtenay Johnson

(VS), ainsi que la cuisine du court-métrage

Trigon, elle a subi de nombreuses modifi-

Warren Etheredge, Kerry Girvin, Courtney Johnson, Michael

Last Request, réalisé par Courtenay Johnson

cations. En effet, en 1955, il s’agissait d’une

Lapp, Etats-unis, 2017.

en 2017.

cuisine traditionnelle en double barres, située

134

Ce dernier met en scène la prépara-

au milieu de la petite maison de vacances. En

tion du dernier repas d’un détenu de prison

1966, elle est déplacée plus à l’arrière afin de

par la cuisinière Miss Maggie et son aide

créer un bloc composé des salles d’eau. Quatre

cuisinière Nancy, avant sa mise à mort. Les

ans plus tard, le principe reste mais la cuisine

détenus condamnés peuvent faire la requête

change à nouveau puisqu’elle est orientée

d’un menu personnalisé pour leur dernier

dans la longueur de la pièce. C’est finalement

repas, qui sera dans ce cas-ci un rôti de

en 1998 que l’idée d’un îlot de cuisine circu-

poulet, de la purée de pomme de terre, des

laire fit son apparition. Dans l’ensemble de

brocolis, ainsi qu’une American pie. Lors de

ces modifications, il est possible de remarquer

la préparation du repas, Nancy ne comprend

que la cuisine coupait et perturbait l’espace

pas l’implication excessive de Miss Maggie et

interne dès le début et c’est pourquoi les

essaie de remettre en question son investis-

architectes ont sans cesse essayé de la replacer

sement personnel et son empathie envers le

dans une position plus fluide avec l’espace.

prisonnier. En parallèle, le détenu est préparé

Premièrement, la taille et l’utilisation

pour la mise à mort en se faisant raser les

des deux cuisines sont très différentes. Dans le

cheveux. Finalement, il ne touchera pas à son

film, la cuisine de la prison possède une capa-

dernier repas et Miss Maggie retrouvera le

cité logistique permettant de cuisiner pour un

grand nombre de personnes, alors que pour

Dans Last Request, la préparation du

vouloir, au travers du dernier repas du prison-

Le Trigon, il s’agit d’une petite cuisine-îlot

repas est fortement liée à la mort imminente

nier, donner à son mari défunt ‘’son’’ dernier

circulaire servant à cuisiner pour un nombre

du détenu. Il y a donc un rappel constant de

repas qu'il n’a pas eu avant son décès. On

de personnes beaucoup plus restreint. De ce

la mort, de la question du bien et du mal,

comprend donc son implication émotion-

fait, les mouvements internes dans l’espace

de la thématique de l’empathie ainsi que du

nelle et physique intense dans la préparation

sont bien différents. Dans la cuisine de Last

pardon entre les deux femmes. Les cuisinières

du repas. C’est dans cette brèche que nous

Request, les cuisinières font un aller-retour

et le garde prison font une prière sur le plateau

pouvons user du repas des deux séquences

constant entre l’îlot central rectangulaire

avant de l’amener au prisonnier. Le dernier

comme moyen de connexion entre ces deux

et les éléments de cuisine se trouvant sur le

repas est en quelque sorte sacralisé, il repré-

mondes de Last Request et du Trigon. Comme

pourtour de la pièce, essentiellement sur deux

sente le dernier goût à la vie que le détenu a le

si Miss Maggie, dans ses moments d’égare-

murs, contenant les appareils électroménagers

droit avant de mourir.

ment, se projetait dans la cuisine du Trigon.

tels que les fours, plaques de cuisson, éviers ou les réfrigérateurs.

Concernant la cuisine et le repas au Trigon, le long cheminement ardu à parcourir

Concernant la cuisine du Trigon,

jusqu’au chalet peut être perçu comme une

l’îlot circulaire pourtant petit comprend toute

quête vers soi, un voyage spirituel en relation

la logistique nécessaire à l’élaboration d’un

directe à la nature avoisinante.

repas avec un évier et deux plaques de cuisson

Ensuite, la forme du chalet en triangle

intégrés. De plus, l’îlot peut tourner sur

a une forte connotation métaphysique. La

lui-même d’un angle approximatif de 270°,

forme de triangle pouvant représenter la

ce qui permet au protagoniste de cuisiner sans

Trinité divine, une forme de stabilité et

se déplacer, mais en le faisant simplement

d’équilibre.

tourner, afin que les aliments viennent à lui.

Finalement, il est possible de relier les

Les deux cuisines ont une étroite symbolique

deux cuisines par le détournement de l’usage.

avec la métaphysique.

Dans Last Request, Miss Maggie semble 135

En haut: Last Request, Courtenay Johnson, Etats-unis, 2017.

En bas: Le Trigon, Heidi et Peter Wenger, Rosswald, VS, 1955

136

137

Axonométrie et détail Last Request, Courtenay Johnson, 2017.

138 Last requests | Axonométrie

Détail et axonométrie Le Trigon, Heidi et Peter Wenger, Rosswald, VS, 1955

139

Ried-Brig

Trigon

Rosswald

Plan de situation Le Trigon, Heidi et Peter Wenger, Rosswald, VS, 1955

140

Le voyage passait par Brig, avec un

contexte environnant et nous préparer. De

cuisine, nous avons dû nous libérer des plans

téléphérique jusqu'à Rosswald. De là, seul un

plus, le téléphérique ne fonctionne que quatre

imaginés. Les conditions étaient plus bruyantes

sentier raide de piste de ski, encore recouvert

fois par jour, à 8.45, 11.00, 14.00 et 17.15. Les

et plus encombrées de personnes que prévues et

d'une importante couche de neige en ce mois

conditions météorologiques, le temps limité

l’absence de four se trouvait être un problème

de mai, menait au Trigon qui était bien caché

dont nous disposions et l'incertitude quant à

supplémentaire, nous qui devions préparer un

dans la forêt et difficile à trouver sans connais-

ce qui nous attendait, ainsi que les possibilités

poulet rôti. C'est devenu une chorégraphie

sances préalables. Le fait que le Trigon soit une

et l’équipement se trouvant sur place, étaient

consistant à ouvrir, fermer et faire tourner l'îlot

propriété privée et les restrictions concernant le

des facteurs à prendre en compte lors de la

de cuisine pour saisir toutes les opportunités

Covid-19 ont longtemps retardé la possibilité

planification de la journée. En raison de ces

qu’il pouvait nous offrir. En bas de la colline,

de faire l'expérience physique du Trigon,

nombreuses incertitudes, nous avons dû rester

prenant le téléphérique dans la vallée au-dessus

encore incertaine peu avant le voyage. Jusqu'à

flexibles et nous nous sommes mis en route

de Brig, nous avons pris le chemin du retour.

ce qu’avec une équipe de trois personnes,

avec l’intention de capturer tout ce qui était

nous puissions rejoindre le Studio Graf à la

possible. Indiqué uniquement de manière

mi-mai. Munis des accessoires nécessaires dans

schématique sur les cartes, nous avons trouvé la

nos sacs ; un poulet cuit, un poulet cru, des

position de la petite maison grâce à un drone;

citrons, de la pâte à gâteau, un american pie,

nous avons enregistré des photos extérieures

des casseroles et d'autres ustensiles de cuisine,

et avons été invités chez un voisin pour le

nous nous sommes frayés un chemin dans la

thé, ayant pitié de nous qui attendions dans

neige, quelques heures avant le reste du groupe,

le froid. Lorsque nous avons eu l'occasion de

afin de documenter le parcours, capturer le

filmer l'objet principal du film, c’est-à-dire la 141

Maquette 1:20 Last Request, Courtenay Johnson, 2017.

142

Maquette 1:20 Le Trigon, Heidi et Peter Wenger, Rosswald, VS, 1955

143

ADRIEN VERSCHUERE

Jasiqi Erblin, Casile Antoine, Wüst Arno, Rodriguez Amor David, Dubois Charles, Giorla Lara, Gysler Fabio, Conforti Louis, Maiurano Pedro, Pham Vinh, Paillat Quentin

"Ce lieu, je pense, qui est quand même

potentiellement les montagnes avec le Salève en

assez incroyable de part sa position dans la ville.

arrière-plan. Et on a cette faculté en architecture

Dans son caractère très générique, ce n'est pas

de pouvoir articuler les choses. Entre être assis à

vraiment une architecture emblématique ou

une table et presque sentir l’ampleur du lac et

2001: A SPACE ODYSSEY

très bavarde, donc c’est finalement un lieu très

des montagnes qu’on peut retrouver autour de

Stanley Kubrick

urbain. J’ai l’impression que c’est ça, la force

nous, mais également des échelles intermédiaires,

Metro-Goldwyn-Mayer, Polaris, Royaume-uni Etats-unis,

de ce lieu. C’est de pouvoir manger presque au

puisque quand on passe d’une rive à l’autre avec

1968.

milieu du lac et en présence de la ville, avec un

les mouettes, on a encore une tout autre sensation

point de vue qui est assez incroyable. Donc ce

d’espace. On a presque l'impression que c’est un

n'est pas tant une question d’architecture, mais

lac dans la ville. Il y a ces différentes couches

plus une question infrastructurelle, puisque ce

qui s’articulent au sein d’un lieu, qui est celui

lieu est associé à la rade. En fait, il se lit très

du bains des Pâquis. Il y a cette chose très puis-

peu comme un morceau d’architecture, mais

sante sur la question d'une infrastructure plutôt

bien plus comme un ponton parmi d’autres. Et

qu’une architecture et sur une dimension presque

c'est ce qui est assez plaisant. Pour moi, ce n’est

inter-scalaire que nous pouvons engager en tant

pas que je voulais spécialement éviter de parler

qu’architecte pour ne pas simplement qu'une

d’architecture, mais plutôt que je trouve inté-

architecture se lise d’elle même, mais qu'elle

ressant de pouvoir comprendre qu’un moment

s’ouvre sur d’autres choses. En somme, la cuisine

d’architecture s’inscrit aussi dans des moments

est totalement un prétexte ; ce n'est certainement

très urbains. D’une certaine manière, l’archi-

pas le sujet majeur de ce bâtiment-là.”

CANTINE DES BAINS DES PAQUIS Genève, GE, 1932

tecture disparaît totalement, puisque ce n’est pas non plus un lieu emblématique de gastronomie, mais plus un lieu de sociabilité : on n’y fait pas que manger, on s’y baigne. Et donc c’est riche et cela permet d’articuler plusieurs échelles, tels que l’architecture, mais aussi la ville et le lac et 144

Adrien Verschuere, 2021 Dicsussion avec les étudiants Retranscrit par Jasiqi Erblin, Casile Antoine, Wüst Arno, Rodriguez Amor David, Dubois Charles, Giorla Lara, Gysler Fabio, Conforti Louis, Maiurano Pedro, Pham Vinh, Paillat Quentin

Depuis plus de 100 ans, les Bains des

proposent une domesticité alternative que les

repas devient secondaire, comme un épisode

Pâquis accueillent les Genevois·es. Iconique et

habitant·e·s de Genève, de par la densité de

anecdotique. Au milieu de la scène, les

fédérateur, ce lieu à l’échelle de la ville offre une

cette ville, ne retrouvent pas forcément dans

programmes s’emboîtent sans délimitations

domesticité alternative à celle présente dans

leurs logements. A contrario, dans la scène

claires et engendrent des séquences d’actions

l’imaginaire collectif qui tendrait à raccrocher

du repas dans 2001: A Space Odyssey—se

extraordinaires. Le silence absolu, le bruit de

cette dernière à l’habitat. Pour autant, faut-il

déroulant dans une pièce richement meublée,

l’eau et du vent… puis un regard tourné vers

réellement qu’un espace, un lieu ou une

décorée et ornée mais tout de même relative-

le monde extérieur.

infrastructure s’inscrivent dans le logement

ment impersonnelle—, le jeu d’acteur associé

pour y trouver une forme de domesticité ? Si

à la scénographie procurent ensemble une

l’on part du postulat que les actions rendent

ambiance aseptisée et froide.

un lieu domestique, une certaine ambiguïté

Notre travail repose sur la mise en

dans la définition de cette dernière s’installe.

relation et en contraste entre ces deux formes,

Un jeu d’échelle, entre infrastructure, humain

non-traditionnelles, de domesticité. C’est

et ville, soulève certaines questions tempo-

sur un travail d’échelles que nous avons mis

relles et spatiales. Adrien Verschuere propose

en contraste ces deux lieux diamétralement

une mise en relation de ces bains avec le film

opposés d’un point de vue architectural. La

de Kubrick, 2001: A Space Odyssey. Ces deux

vidéo nous à permis de comparer cette domes-

lieux choisis, liés aux moments du repas, ont

ticité, l’une calme, l’autre bruyante; l’un

la particularité de proposer une vision peu

refermé sur lui-même, l’autre qui s'ouvre sur

traditionnelle de la notion de domesticité.

le lac et la ville; finalement une domesticité

Comme le souligne Michel Rautenberg, ”une

solitaire et l’autre collective.

culture domestique ne se réduit certainement

Le contraste entre le quotidien de

pas à ses éléments matériels. Elle est aussi

nos protagonistes est fortement marqué au

enchaînement de pratiques quotidiennes et

moment du dîner. Chacun est encapsulé dans

de valeurs” . C’est donc à travers ces pratiques

une échelle spatiale différente qui retranscrit

et ces valeurs que les Bains des Pâquis 1

une domesticité singulière où l'événement du 145

En haut: 2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968.

En bas: Cantine des bains des Paquis, Genève, GE, 1932

146

147

AXONOM

Détail et axonométrie 2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968.

148

5:1 - LIATÉD

AXONOMÉTRIE - 1:100

Détail et axonométrie Cantine des bains des Paquis, Genève, GE, 1932

149

Maquette Cantine des bains des Paquis, Genève, GE, 1932

150

Maquette 1:20 2001: A Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968.

151

EDITORIAL BOARD

PROTAGONISTS

MARCO BAKKER (NL) & ALEXANDRE BLANC (CH) Marco Bakker, born in Harlingen, studied architecture at the TU Delft, Alexandre Blanc, originally from Geneva, finished his studies at the EPFL. In 1992 they founded BABL with current offices in Lausanne and Zurich, since 2009 both are teaching architecture at the EPFL and are in charge of Magma & Principes.

JEAN-PAUL JACCAUD (CH) Before founding Jean-Paul Jaccaud Architectes in Geneva in 2004 (renamed Jaccaud Spicher Architectes Associés in 2015), Jean-Paul Jaccaud collaborated with Bernard Huet, David Chipperfield and Herzog et de Meuron. He is president of the urban planning commission of the canton of Geneva and of the Geneva section of the FAS.

MARIE-LUCE JAQUIER (CH) After an exchange in the Karlsruher Institute of Technology, she graduated from the EPFL in 2014.

She collaborated a few years for the office Meier Hug, in Zürich. In 2017, she started her own practice and in paralell she is a research and teaching assistant at the MANSLAB since 2016.

ADRIEN GROMETTO (CH) Studied Architecture at the EPFL and the Accademia di Mendriso. His diploma in 2016 focused on the details of the domesticity in housing. He collaborated in the office of Von Ballmoos Krucker, in Zürich. In 2018, he started his own practice and several collaborations. He is a teaching assistant at the MANSLAB since 2019.

TANYA ZEIN (CH) After several years of experience between Lisbon, London, Beirut and Geneva, Tanya Zein was associated for almost 10 years with Sylvie Pfaehler and Jeanne Della Casa in the L-architects office in Lausanne. After a stay in London, Veronique Favre and herself founded the office FAZ architectes in Geneva.

LUCA ORTELLI (CH) Born in Ticino in 1956, Luca Ortelli has a degree of Architecture from the Facoltà di Architettura del Politecnico di Milano and is a Full Professor of Architecture and Design in the School of Architecture, Civil and Environmental Engineering at EPFL since 1997. Luca Ortelli has also been a very active member of numerouscommittees and editorial boards. At EPFL, Luca Ortelli heads the Laboratoire de Construction et Conservation (LCC).

Luca Ortelli's research focuses on collective living, urban and architectural renewal, Scandinavian architecture, and architecture and archaeology.

KARSTEN FÖDINGER (DE) Born 1978 in Mönchengladbach (DE), is a Berlin-based sculptor and installation artist. He studied at the Akademie der Bildenden Künste Karlsruhe and developed a sculptural syntax of gravity, physics and materiality of the anthropocene. About his residency in Verbier, he stated that he doesn’t

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see himself as the only author of his works, but as a catalyst between the forces of nature and the logics of material. As a result of this residency, he produced an architectural sculpture referencin swiss engineer Robert Maillart as well as Frank Lloyd Wright, reminiscent of his architectural sensibilities.

IRINA DAVIDOVICI (RO) Studied Architecture at the London Metropolitan University, followed by a PhD in History and Philosophy of Architecture at the University of Cambridge. She is lecturer and senior researcher at the gta institute of the ETHZ. Her research straddles urban housing studies, the history of housing cooperatives, commons theory, and histories of recent architectures in Europe.

JONATHAN SERGISON (GB) He graduated from the Architectural Association School of Architecture in 1989 and gained professional experience working for David Chipperfield and Tony Fretton. Together with Stephen Bates he founded Sergison Bates architects in 1996 in London. He has taught at a number of schools of architecture. Since 2008 he has been Professor if Design and construction at the Accademia di Mendrisio.

MARIA & BERNARD ZURBUCHEN (CH) Graduated from EPFL in 1986 and 1984 respectively, the couple opened their architecture studio in 1986. Their office carries out architectural and urban planning projects, organizes architectural competitions, does research in the fields of housing, public space and landscape and publishes articles in various architectural journals. They investigate the theme of housing and how to approach the issue from the inside out, whether during the creation or the transformation process. They teach these principals in different universities as professors.

RAOUL SIGL (CH) Raoul Sigl pursued his architecture bachelor diploma at the EPFL and finished his master’s diploma

at the ETHZ between 1999 and 2005. In 2009 he performed as an architecture professor assistant at the EPFL for professors Buchner and Bründler. He then continued as an architecture professor assistant from 2010-2015 at the ETHZ, for professors Christ and Gantenbein. In 2011 the Conen Sigl GmbH architecture office was founded. He has been a visiting professor from 2016 onwards, in three different universities, at the Technical University of Munich, the TU Dresden and the EPFL. CATHERINE GAY MENZEL (CH) Born in Zurich, Catherine Gay Menzel grew up in Valais. She studied at ETHZ and obtained her architectural degree in 1999. In January 2003, she moved to New York and worked for Leslie Gill Architect. At the same time, she is self-employed with Götz Menzel. In 2013, she co-founded the architectural firm GayMenzel.

GÖTZ MENZEL (DE) Born in Hamburg, Götz Menzel grew up in Germany and England. He studied architecture at the University of Stuttgart and EPFL. After graduating from Stuttgart in 2000, he worked in New York at CDR Studio for five years and at the same time in collaboration with Catherine Gay Menzel. In 2013, he co-founded the architectural firm GayMenzel.

JO TAILLEU (BE) Professor at EPFL, director and manager of his own office, Jo Taillieu plays many parts yet he is first and foremost an architect. After working with different international architecture firms, Jo Taillieu founded his eponyomous office in 2004, which he has been leading since. The practice evolved in 2009 to a collaboration with Jan De Vylder and Inge Vinck, with whom he lead the office architecten de vylder vinck taillieu ADVVT for a decade. In 2018 ADVVT won the Silver Lion for Promising Young Participant at the 16th Biennale of Venice and was one of the five finalists for the Mies Van der Rohe Award 2019.

PHILIPP ESCH (CH) Born in Göttingen in 1968 and studied at ETHZ and CEPT University in India. He worked for Morger Degelo Architekten in Basel and HPP in Berlin and then was assistant for Morger and Boesch at ETHZ and EPFL until 2002. He wrote articles for WBW magazine until 2004. In 2008, he started teaching at the HSLU and he started his independent practice with Stephan Sintzel. He is a member of BSA since 2008 and of the panel for urban design in Winterthur since 2016. From 2017 to 2020, he taught at the ZHAW Winterthur and is curently teaching in the Academia di Mendrisio from 2021.

STÉPHANIE BENDER ET PHILIPPE BÉBOUX (CH) Graduated from the EPFL in 1996 and 1997, Stephanie Bender and Philippe Béboux founded 2b architectes in 1998 in Lausanne, Switzerland.

Since 2000, they taught as guest and visiting professor at the EPFL, the Bern University of Applied Sciences and the University of Stuttgart D. They regularly participate to juries for competitions and Stephanie also sit in various academic or writing committees. Their work responds to contradictory demands, to existing physical and cultural contexts, to make form a consequence, to use constraints, constantly investing in new areas of exploration, questioning the meaning, offering specific answers.

ERIC LAPIERRE (FR) Eric Lapierre is architect and theoretician of architecture. He is the founder of Eric Lapierre Experience ELEX, a Paris based organization that cordinates both Eric Lapierre Architecture ELA, Eric Lapierre Text EL Text and Eric Lapierre Sound EL Sound). Since 1998 he as develloped an academic activity teaching history, theory and architecture project in numerous schools as : l’ENSA Marnela-Vallée, Academia di Mendrisio, Université du Québec, Université de Montréal, KU Leuven and EPFL. Among other books he as edited Identifica-

tion d’une Ville in 2002, Architecture of the Real in 2004 Guide d’architecture de Paris 1900-2008 in 2008 and Le point du Jour in 2011.

DIOGO FONSESCA LOPES (PT) Diogo Fonseca Lopes (Coimbra, 1988) is an architect graduated from University of Coimbra. He collaborated in the offices of Jean-Paul Jaccaud, in Geneva and London, and Christ & Gantenbein in Basel. In 2019, together with Fanny Noël, he founded the architectural office Cabinet in Geneva.

Alongside his practice, he is engaged with teaching, having integrated the studio of professors Bakker et Blanc and Job Floris at EPFL. He has participated in crits and lectures in different universities such as Harvard GSD, FAUP or TU Dresden and occasionally contributes to architecture publications.

JEAN-BAPTISTE BRUDERER (CH) Jean-Baptiste Bruderer est né à Fribourg en 1974.

Il est diplômé en architecture à l'ETHZ, puis assistant d'enseignement à l'EPFL de 2012 à 2016. Il a travaillé au Mexique, au Chili et en Suisse avant d'établir son bureau à Genève en 2009. En 2020,il déplace son activité dans le canton de Zoug.

ADRIEN VERSCHUERE (BE) Born in Brussels in 1976, Adrien Verschuere graduated at the young age of 23 years old at the École secondaire artistique Saint-Luc Tournai. Enrolled in Rotterdam at the Office for Metropolitan Architecture until 2001, he then moved to Basel as design architect at Herzog & de Meuron from 2000 to 2003. He also co-founded the Geneva firm MadeIn. In 2010, he established the firm BAUKUNST in Belgium and in 2017 in Lausanne. He has been regularly a guest critic in the FAUP Porto, IRGE Universität Stuttgart, Berlage Institute Rotterdam, Academia di Mendrisio, Kyoto Design Lab and ETHZ, but also a visiting professor at EPFL since 2019.

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Acknowledgments

Lecturers

Editorial Board

We would like to thank all those whose

Raoul Seigneur (CH)

MANSLAB

valuable contribution has made the

Paris based independent head operator and

Marco Bakker, Alexandre Blanc,

publishing of this book possible.

director of photography.

Adrien Grometto, Marie-Luce Jaquier,

We are immensly grateful to the protagonists,

Cyril Moulin (CH)

Graphic Design

lecturers and all the participants of

Lausanne based film editor.

Marco Bakker, Pauline Seigneur, Marie-Luce

Magma & Principes in 2021 who helped the

Jaquier, Adrien Grometto

reflection of the edition; Tempus Edendi.

Richard Copans (FR) Paris based film producer and director.

Introduction texts Marco Bakker, Marie-Luce Jaquier, Adrien Grometto

Proofreading Mana Michlig

154

Copyright

Printing

Morceaux de domesticité

texts © 2021 authors.

Number of Copies

Tempus Edendi

The bibliography of the books used by the

250

Magma & Principes

authors is references in the text notes.

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Although every effort has been made to identify and contact copyright holders, in a

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52x1050cm Precedent issues of Magma & Principes: Architectura Ludens The Element of Play in Architecture In Servire Domino Client-Architecture Relationships Corpora Delicti The Significant Detail in Architecture In Flagranti The Significant Moment in Architecture Arcitectura Procidens The Fall in Architecture In Via Accidit Trajectories in Architecture Scaena in Domo Staging the Domestic (Covid Lock down 1) Some copies are still available by contacting MANSLAB rima.barmada@epfl.ch 155

Tempus Edendi isbn 978-2-8399-3427-5

ISBN 978-2-8399-3427-5

9 782839 934275

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