Néo-Paris | L'anticipation urbaine au cœur de la dystopie

FÉVRIER 2020 MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES DE SOUS LA DIRECTION DE

Ander_Subiron_Cedarry

Sandra_PARVU

DANS LE CADRE DU SÉMINAIRE

DE3_EXPÉRIMENTAL_RENDRE VISIBLE

néo-paris

L’ANTICIPATION URBAINE AU CŒUR DE LA DYSTOPIE

Paris « Où fait-il bon même au cœur de l’orage Où fait-il clair même au cœur de la nuit L’air est alcool et le malheur courage Carreaux cassés l’espoir encore y luit Et les chansons montent des murs détruits Jamais éteint renaissant de la braise Perpétuel brûlot de la patrie Du Point-du-Jour jusqu’au Père-Lachaise Ce doux rosier au mois d’août refleuri Gens de partout c’est le sang de Paris Rien n’a l’éclat de Paris dans la poudre Rien n’est si pur que son front d’insurgé Rien n’est ni fort ni le feu ni la foudre Que mon Paris défiant les dangers Rien n’est si beau que ce Paris que j’ai Rien ne m’a fait jamais battre le cœur Rien ne m’a fait ainsi rire et pleurer Comme ce cri de mon peuple vainqueur Rien n’est si grand qu’un linceul déchiré Paris Paris soi-même libéré »

Louis Aragon, 1944

remerciements

Je ne saurais exprimer plus de gratitude que de dédier ce mémoire aux personnes qui m’ont entouré et soutenu tout au long de sa confection, depuis sa genèse jusqu’à son écriture finale.

Ainsi, je souhaite remercier :

Sandra Parvu,

Ma directrice de mémoire Maître de conférences à l’ENSA Paris Val de Seine Chercheur au Laboratoire Architecture Anthropologie LAVUE UMR 7218 CNRS (ENSA Paris La Villette)

Pour m’avoir aiguillé dans mes réflexions, pour la rigueur et la richesse de ses suggestions Stéphane Rioland,

Mon enseignant de « Ville en Utopie » Docteur du GRHis et Maître de conférences associé à l’Université de Rouen Enseignant associé à l’ENSA Paris Val de Seine Co-créateur et gérant des Éditions Point de Vues

Pour la transmission de son savoir et sa passion inaltérable Laura Hily, Antoine Leriche, Ma colocataire et mon ami Étudiants à l’ENSA Paris Val de Seine

Pour notre constante entraide et toutes ces conversations qui ont nourri mes recherches Anemiren Cedarry, Philippe Subiron, Mes parents

Pour leur amour et soutien inconditionnel

table des matières

AVANT- PROPOS

9

INTRODUCTION

15

I - LA SPATIALITÉ DES NÉO-PARIS, HÉRITAGE ET ÉMANCIPATION

23

L’IMPORTANCE DE LA REPRÉSENTATION SPATIALE

25

L’EMPRISE GÉOGRAPHIQUE D’UN UNIVERS

31

LE PARCOURS URBAIN COMME VECTEUR RÉFLEXIF

41

UNE STRATIFICATION URBAINE

47

II - LA DYSTOPIE PARISIENNE AU CONTACT DE L’INTEMPORALITÉ

49

AUX RACINES DE LA DYSTOPIE PARISIENNE

55

LES PARALLÈLES DE L’ANTICIPATION

67

AUX CONFINS DE LA RÉALITÉ

75

CONCLUSION

81

LA REPRÉSENTATION DE PARIS, ENTRE DIVERGENCES ET DUALITÉ

83

LE GRAND-PARIS EXPRESS, DÉJÀ UNE DYSTOPIE ?

85

ANNEXES

87

BIBLIOGRAPHIE

117

8

avant-propos Avant d’entamer la lecture de ce mémoire, il est important de revenir sur les raisons m’ayant poussé à ce choix thématique. J’ai de tout temps été fasciné par la science-fiction, tant dans la qualité de son réservoir que par la puissance libératrice des imaginaires qu’il dépeint. Cependant, jusqu’à récemment, je semblais mettre une forme de distance intellectuelle entre moi et elle, avec cette certitude enfantine et déraisonnée que je ne pourrais pas m’appuyer suffisamment dessus pour ancrer un travail académique.

Je souhaitais un sous-genre spécifique de la science-fiction qui soulèverait tant des interrogations d’ordre philosophique que sociologique, anthropologique, politique tout en faisant écho à mes propres questionnements intérieurs. Ayant un fort attrait pour les récits d’anticipation ainsi que l’univers cyberpunk, j’en suis finalement venu à considérer la notion de “dystopie”, intrinsèque à cet univers. Et c’est par ce qu’elle propose de combiner en terme de prospective urbaine, transformation architecturale, d’enjeux éthiques et esthétiques, de conscience citoyenne que mon choix s’est finalement porté sur elle.

« Avec le désenchantement du mythe du progrès infini et de la rationalité toute-puissante, les cités utopiques ont trouvé leur revers dans des sociétés infernales, qui massifient, déshumanisent, et robotisent les individus. »

(1)

Si le mot utopia, inventé par Thomas More au début du XVIème siècle, provient essentiellement de la littérature, son pendant négatif dystopia, lui, n’aurait pas connu, comme l’annonce Clément Dessy et Valérie Stiénon, « sa première occurrence [...] dans un discours politique de l’économiste John Stuart Mill [...] en 1868 »

(2)

. En effet, des

recherches complémentaires m’ont permis de retracer sa toute première apparition à un poème anglophone de 1748, ironiquement appelée Utopia (3) :

« [...] So venomous, that some had rather Have, in their stead, the toad or adder.

Unhappy isle ! scarce known to fame; Dystopia was its slighted name.

Pure incense was her only boast Best product of her pious coast [...] »

(1)

BRAGA, Corin (2010). Du paradis perdu à l’antiutopie aux XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Éditions Classiques Garnier, p. 9.

(2)

DESSY, Clément & STIÉNON,Valérie (dir.) (2015). (Bé)vues du futur. Les imaginaires visuels de la dystopie (1840-1940),Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, pp. 11-24.

(3)

NICHOLS, John & CAVE, Edward. The Gentleman’s Magazine, 1748, Volume 18, Londres, scanné par l’Université du Michigan, p. 399401

9

Fig 1. Photographie personnelle de la géante coupe réalisée pour l’exposition Haute Agora. Pavillon de l’Arsenal (2019)

Fig 2. Le Triforium Mécanique. Coupe du niveau 115. Proposition d’Aldric Beckmann Architectes pour l’exposition Haute Agora. Pavillon de l’Arsenal (2019)

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Son étymologie est issue du grec par l’association du préfixe dys - δυσ (signifiant « mauvais » ou « difficile » ) au radical topos - τόπος (signifiant « lieu ») (1). Il s’est donc toujours vu attribuer une connotation négative puisqu’il se traduit par « lieu néfaste » et s’oppose au terme d’utopie qui, lui, connote à la fois « étymologiquement un lieu heureux et un lieu inexistant ».

L’intérêt personnel que je porte à l’égard de ce sous-genre est initialement lié au paradoxe qu’il soulève : Outre les avenirs obscurs scénarisés qu’il génère, on y trouve une grande richesse esthétique qui ne nous laisse jamais indifférente. À ceci s’ajoute également sa nécessité de convaincre auprès d’une audience qui pourrait vite se voir démobilisée devant tant de pessimisme. Ainsi, la dystopie dépend en grande partie de la crédibilité, de la cohérence et je dirais même, de l’attractivité visuelle de son univers. Sous toutes ses formes de représentation, qu’elles soient cinématographiques ou autres (bande dessinée, jeu vidéo, illustration, scénographie théâtrale, ...), elle permet en tout cas une vaste liberté d’approche dans le contenu créatif.

Si j’extrapole cette intuition, je crois que ce qui m’anime et me rend curieux à la fois, c’est cette magnificence chaotique issue d’une société qui pourrait être au bord de la rupture ou qui le serait déjà. Lors de mon année de césure, et dans le cadre de mes missions au sein de l’agence Aldric Beckmann Architectes, j’ai d’ailleurs été amené à pouvoir m’essayer à ce jeu esthétique de la contre-utopie. En vue de l’exposition Haute Agora au Pavillon de l’Arsenal et de l’étude menée avec les ingénieurs du bureau Bollinger + Grohmann, Jean-Christophe Quinton nous avait proposé de participer à son cadavre exquis (2). Mettant en scène une véritable tour structurelle babylonienne, les étages s’empilent de façon protéiforme et offrent une succession d’ambiances pouvant faire pâlir les mystères entourant La Tour de Schuiten et Peeters ou encore High Rise de J.G Ballard.

Afin de répondre à ce melting-pot artistique où chaque étage était confié à différentes équipes d’architectes, de graphistes ou autres, je me suis aventuré, au nom de l’agence, dans l’illustration d’un parking gothique décadent et futuriste pour la coupe du niveau 115. Cette aventure m’a permis de me rendre compte de la minutie dont il faut faire appel quand on aborde ce genre déjà très référencé. Je me suis d’ailleurs basé sur de nombreux dessins d’Enki Bilal afin de pousser le niveau de détails des ambiances et des taxis aériens.

Pour cette recherche de fin d’études, je souhaite questionner tant les valeurs esthétiques qu’éthiques afin de comprendre la nature et l’enjeu des décors urbains et architecturaux dans ces fictions prospectivistes. Cette direction que je prends, où l’analyse d’un contenu visuel est indissociable du questionnement qu’il fait naître en son lecteur, qu’il soit philosophique, sociologique, anthropologique ou autre, me paraît essentiel. N’étant (1)

Pour plus de précision, WIKIPEDIA. Dystopie < https://fr.wikipedia.org/wiki/Dystopie#Étymologie_du_mot_dystopie >

(2)

Le cadavre exquis serait « un jeu graphique ou d’écriture collectif inventé par les surréalistes, en particulier Jacques Prévert et Yves Tanguy, vers 1925 ». WIKIPEDIA. < https://fr.wikipedia.org/wiki/Cadavre_exquis >

11

12

pas étudiant en sciences humaines et sociales, il est évident que je ne prétends pas baser mon écrit sur des questions proprement de cet ordre là mais elles résident dans mes pensées au moment où j’écris ces lignes.

Le cadre dystopique du corpus d’études que je vais étudier pose la question de la moralité dans l’art. Dans un article publié sur une revue européenne d’éthique et de philosophie politique

(1)

, Emmanuelle Glon annonce

l’existence d’une dualité d’approche sur ce questionnement: « l’autonomisme prônant l’indépendance de l’art à l’égard de tout jugement de valeur morale et le moralisme visant au contraire à impliquer la morale parmi les qualités esthétiques d’une œuvre ». Si je me situe en accord avec la première, c’est en revanche la seconde qui m’interpelle et a fait naître en moi l’idée d’écrire ce mémoire.

Le travail de recherche et d’analyse qui suit est le prolongement de ma fascination pour la science-fiction. Au cours de l’introduction, je reviendrai sur la présentation des trois cas d’études sur lesquels j’ai porté mon dévolu pour ce mémoire ainsi que les enjeux qu’ils soulèvent au regard des études d’architecture que je vais conclure en cette année 2020.

(1)

GLON, Emmanuelle. L’art peut-il être immoral ?. « Raison Publique » (en ligne), 27 janvier 2011. < https://www.raison-publique.fr/

article397.html >

13

14

introduction La crainte de la fin du monde est un thème récurrent dans l’histoire de l’humanité. Un thème qui n’a de visage que celui qu’on souhaite lui donner puisqu’il dépend entièrement de nous de lui en apporter une représentation. Les dystopies se situent en amont de cette fatalité puisqu’elles proposent d’observer des scénarios extrêmes sans pour autant annoncer la fin de toute existence. Une dystopie est un procédé fictionnel qui présente une société actuelle se retrouvant à la dérive dans un temps futur. Afin d’accomplir cette projection, elle extrapole ses défauts, en accentue sa perversité et structure un récit autour. La force de ce sous-genre de science-fiction est donc de réussir à matérialiser une pensée critique sur le monde contemporain tout en n’oubliant pas que son succès dépend aussi du divertissement qu’il procure. Un paradoxe qui lui a valu d’être pendant très longtemps un thème polémique au sein du milieu de la littérature française classique, et peu accessible du grand public. Il a d’ailleurs fallu attendre le XIXème siècle et le courant romantique pour qu’il trouve une place dans la science-fiction française et qu’il puisse conquérir la curiosité des lecteurs.

Ce mémoire a d’ailleurs pour objectif de parler de dystopie exclusivement dans le milieu francophone afin de restreindre le champ de la représentation à des situations et à une culture qui me sont familières. Je trouve également ce parti-pris intéressant car peu de monde s’évertue finalement à se pencher sur ce sous-genre en France. Les cas d’études souvent étudiés se cantonnent pour la plupart au domaine cinématographique alors que le propre de la dystopie depuis ses origines est d’avoir su convoquer une pluridisciplinarité. Je vais donc décider d’enquêter sur des exemples moins connus et sur des supports spécifiques tels que le jeu-vidéo, la BD et le film d’animation pour tisser des liens avec le domaine de l’architecture.

Yannick Rumpala, chercheur en sciences politiques a récemment sorti un ouvrage intitulé Hors des Décombres du Monde - Écologie, science-fiction et éthique du futur qui étudie la science-fiction comme outil d’exploration du large spectre des avenirs peu désirables. Il y défend notamment une possibilité de « problématiser non seulement des évolutions dans le domaine de la science [...] mais aussi, et peut-être surtout, leurs conséquences plus ou moins directes sur les systèmes sociaux et politiques. » (1). Un peu plus loin, il évoque aussi la nécessité de ne plus penser les enjeux écologiques de demain avec des œillères : « Les enjeux écologiques sont des enjeux évolutifs et ne peuvent être simplement pensés sur le court terme. La science-fiction les rend moins abstraits, notamment quant à leurs possibles devenirs. » (2). Dans une démarche similaire, je me demande si ce potentiel de réflexivité ne pourrait pas également s’appliquer à des champs qui nous concernent particulièrement à savoir l’urbanisme, l’architecture, l’aménagement du territoire, du paysage ou des espaces publics. Car si les dystopies conviennent d’une société spécifique, elles imaginent également la transformation du lieu qui lui est intrinsèquement lié. L’objet de ce mémoire est donc d’analyser ces lieux futurs et d’en observer l’organisation pour en ressortir un enseignement.

(1)

RUMPALA,Yannick (2018). Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Ceyzérieu, Champ Vallon, p. 23

(2)

Ibid., p. 25

15

Époque

Néo-Paris, 2054

Parution

Mars 2006

Distribution Réalisateur Scénaristes

Pathé Christian Volckmann Alexandre de la Patellière Mathieu Delaporte

Époque

Néo-Paris, 2084

Parution

Juin 2013

Développeur Directeur Créatif Directeurs Artistiques

Dontnod Entertainment Jean-Maxime Moris Aleksi Briclot Michel Koch

Directeur Narratif

Époque

Néo-Paris, 2119

Parution

Février 2019

Éditeur Scénario & Storyboard Dessin Couleurs

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Alain Damasio

Rue de Sèvres ZEP Dominique Bertail Gaétan Georges et Dominique Bertail

corpus

Les trois cas d’études que j’ai décidé de choisir ont tous la particularité de s’appuyer sur la société parisienne pour mettre en exergue leur univers prospectif dystopique. Sans doute, ce choix géographique est-il si stratégique puisque bénéficiant d’une silhouette immédiatement reconnaissable, Paris fait l’objet d’un terrain de jeu idéal afin de plonger l’audience dans un univers qui lui est familier.

Bien que la dystopie soit une désignation qui découle habituellement d’une certaine tradition narrative (littérature, cinéma), elle fait également appel à un imaginaire visuel qui relève aussi d’autres formes artistiques tels que la bande dessinée ou les jeux-vidéos. Dans ce milieu marqué par les références internationales de haut vol (tels que Metropolis, Blade Runner, Akira, Farenheit 451 ou bien 1984), j’ai pour ma part sélectionné trois cas d’études eux aussi acclamés par la critique mais peu connus du grand public. Appartenant à trois registres artistiques ayant leur propre code, ils révèlent la nature transdisciplinaire de la dystopie. Celle-ci permet de décloisonner les habitudes et offrent un panel d’expressivité riche à analyser. À travers ce corpus varié, chacune des œuvres offre une manière singulière d’interagir et de s’ancrer dans un Paris métamorphosé et futuriste : •

REGARDER. Renaissance, réalisé par Christian Volckmann et paru en 2006, est un film d’animation réalisé intégralement en noir et blanc. Il nous plonge dans un polar noir futuriste avec un Paris inondé comme support de décor. Il rappelle à bien des égards l’univers des films « Sin City » qui étaient eux-mêmes adaptés d’une série de Comics de Frank Miller.

•

JOUER. Remember Me, est un jeu-vidéo construit par les studios Dontnod Entertainment et sorti en 2013. Si auparavant, les scénarios et imaginaires se limitaient à leur potentiel de représentation, désormais ils se libèrent de ce poids, conjuguent puissance narrative tout en alliant les graphismes ultra-réalistes issus des dernières technologies. Ce jeu a par ailleurs la particularité d’avoir été supervisé par l’écrivain de science fiction Alain Damasio (co-fondateur du studio) qui a écrit une bible narrative comme support littéraire pour ce Néo-Paris dystopique.

•

LIRE. Paris 2119, publié en 2019, est une bande dessinée écrite par ZEP et mis en image par Dominique Bertail. Datant seulement de l’année dernière, cette BD d’anticipation montre à quel point la contre-utopie prend toujours une place majeure dans l’imaginaire collectif. Loin des visions utopistes et apaisées de Revoir Paris de Schuiten et Peeters, ZEP révèle ici une ambiance drastiquement plus macabre de Paris et ses différents quartiers.

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2054

Fig 1. Vue de Karas pourchassant un suspect. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 0h38m27s

2084

Fig 2. Vue de Nilin sur un balcon. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

2119

Fig 3. Vues de Tristan qui accède au métro. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p. 9

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résumé

Renaissance L’histoire se déroule en 2054 dans un Paris contrôlé par l’entreprise de cosmétique Avalon qui inonde la ville de ses publicités. Une jeune scientifique de cette entreprise, Ilona Tasuiev, est kidnappée dans des circonstances mystérieuses. À travers tout le film, on est amené à suivre les péripéties du détective Karas, chargé de mener l’enquête. Parcourant les moindres recoins d’un Paris énigmatique et labyrinthique à la recherche d’indices, il sent progressivement qu’il n’est pas tout seul à vouloir la retrouver. S’ensuit une course contre la montre pour retrouver celle qui semble avoir percé les recherches scientifiques sur l’immortalité, un dossier épineux et tabou pour la société surpuissante Avalon qui est prête à tout pour en retrouver les résultats.

Remember Me L’histoire se déroule durant une journée à Paris en 2084. La société est contrôlée par l’entreprise Memorize, qui possède la banque de données des souvenirs numérisés de toute la population. On y suit le parcours du personnage féminin de Nilin qui se réveille amnésique dans un mystérieux centre de recherche/détention au sein de la forteresse de la Bastille. Elle décide de partir à la recherche de son passé volé ce qui va l’amener à se battre pour le groupe des Erroristes, des réfractaires du système qui tentent à tout prix de détruire Memorize ainsi que son monopole.

Paris 2119 L’histoire se déroule en 2119 dans un Paris contrôlé par l’entreprise Transcore, responsable des cabines de téléportation présentes un peu partout en ville. On y suit Tristan, personnage nostalgique d’une époque moins technologique, qui flâne dans les rues de la capitale jusqu’au moment où il est témoin d’un drame. Une personne ayant utilisé une cabine est dépossédée de ses moyens et Tristan décide de l’emmener dans une clinique.

Il se trouve en réalité qu’elle est le clone numérique d’une fille en Italie. La société Transcore essaye alors de trouver Karas pour le faire taire indéfiniment tandis que lui veut aller au bout du secret.

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2054

Fig 1. Vue du Trocadéro depuis la rive gauche. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 1h23m20s

2084

Fig 2. Vue rehaussée des quais du Néo-Paris. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

2119

Fig 3. Vue des bureaux de Transcore. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.61

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questionnements Ces trois fictions dystopiques découlent d’un médium différent et possèdent un rapport privilégié au dessin, à l’art, aux technologies. Ce choix a été effectué dans l’optique de croiser et comparer les approches pour en déceler les similarités, originalités voire les unicités. À défaut d’appartenir à un support varié : jeu vidéo, bande dessinée et film d’animation, ils prennent Paris comme ancrage spatial et possèdent donc une base de travail similaire au regard du contexte urbain qu’ils vont mettre en exergue. Si leur singularité est vertueuse en matière de production artistique, se pose tout de même la question de savoir s’ils proposent une matière à cogiter autre que celle promue par les blockbusters américains qui n’innovent plus beaucoup (1).

Ce mémoire a pour objectif de traverser la notion de contre-utopie en la sortant de son simple statut de fiction pour la faire intervenir sur des questions concrètes d’intrusivité spatiale, morphologie urbaine, de transformation architecturale ainsi que sur la perception des espaces publics et des nouvelles technologies en ville.

Dans ces exemples, le récit a besoin de s’agglutiner à un contexte spatial fort pour ancrer son univers et son scénario. Paris joue donc le rôle d’un terrain de jeu proverbial, omniprésent et fédérateur afin d’imaginer notre société future. Après tout, la ville est le reflet direct de la société comme le rappelle Damien Augias dans un article (2), où il compare les approches du sociologue Max Weber et du philosophe Georg Simmel avec le plus contemporain Yankel Fijalkow. Si la dystopie est bel et bien la description de l’effondrement de cette dernière, la ville se voit donc métamorphosée en simultanée. Dans ces cas d’études, le Paris que l’on connaît n’est plus et y apparaît à sa place une nouvelle entité que l’on conviendra d’appeler Néo-Paris. Cette appellation a été donnée par l’équipe du jeu Remember Me en hommage à Katsuhiro Otomo, légende vivante de la science-fiction japonaise et en particulier des contre-utopies depuis la création du Néo-Tokyo dans le film animé Akira (3).

Quel rôle joue ces trois représentations du Néo-Paris dans la transformation physique et mentale du Paris contemporain ?

Pour répondre à cette question, nous étudierons d’abord la spatialité des Néo-Paris afin de faire surgir les enjeux issus de leur géographie, la résonance historique de leur contour et la réorganisation urbaine qu’elles entreprennent. Nous retracerons ensuite l’histoire des imaginaires visuels de la dystopie parisienne qui se dresse en amont des cas d’études pour en comparer l’approche et le contenu prospectif.

ROBERTSON, Adi. « The Verge » (en ligne), 12 février 2018, Altered Carbon’s Blade Runner rehash misses the point of cyberpunk. An aesthetic isn’t the same thing as a world < https://www.theverge.com/2018/2/12/17004210/altered-carbon-netflix-blade-runner-aesthetic-cyberpunk-retro-futurism > (1)

(2)

AUGIAS, Damien. La ville, miroir de la société. « Nonfiction » (en ligne), 4 février 2014. < https://www.nonfiction.fr/article-6902-la-ville-

miroir-de-la-societe.htm > UTOPIALES de Nantes. 14ème édition du Festival International de Science-Fiction (2013). Cycle de conférence autour du thème « Autre(s) Monde(s)». Présentation du jeu Remember Me par Jean-Maxime Moris et Aleksi Briclot (Dontnod Entertainment) (3)

21

«Toutes ces terres s’abîment, l’une après l’autre, dans les flammes rénovatrices, pour en renaître et y retomber encore, écoulement monotone d’un sablier qui se retourne et se vide éternellement lui-même. C’est du nouveau toujours vieux et du vieux toujours nouveau. »

BLANQUI, Auguste (1872). L’Éternité par les astres - Hypothèse astronomique, Paris, G. Baillière, p.47

22

La spatialité des néo-paris, Héritage et émancipation

La représentation spatiale de l’action humaine est de tout temps un enjeu considérable dans le domaine de la science-fiction. Plus qu’un décor, la ville est un personnage à part entière au sein de l’anticipation avec ses propres modes de vie, sa géographie, sa morphologie urbaine, son écriture architecturale...Tout cet ensemble est interconnecté et indispensable afin de véhiculer une crédibilité du monde futuriste. L’objectif de cette partie sera donc d’analyser ces visions alternatives de l’agglomération parisienne de demain, d’en comprendre leur genèse et leur langage. Les Néo-Paris offrent-ils une réinterprétation décomplexée de Paris en s’affranchissant de tous codes ou puisent-ils dans les traces du passé pour naître ?

23

Fig 1. Carte des objets du désir. MORETTI, Franco ; traduit de l’italien par Jérôme Nicolas (2000).

Atlas du roman européen, 1800-1900, Paris, Éditions du Seuil, p. 110

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importance de la représentation spatiale À chaque production fictionnelle se rattache un territoire ou en tout cas un contexte spatial, qu’il soit lui aussi fictif ou bien empreint de réalité. Que ce soit à la plume, à l’écran, sous la forme de vignettes ou manette en main, la narration et son imaginaire se nourrissent toujours d’un lien symbiotique avec la géographie, la cartographie.

Au-delà d’être un support de narration, la spatialité a longtemps corroboré et amplifié la puissance du récit qui le fait naître. C’est toute la thématique de réflexion qu’offre le chercheur et écrivain italien Franco Moretti dans son Atlas du Roman Européen où il étudie la relation entre littérature, cartes et représentation urbaine.

Plus spécifiquement, il décide d’y recenser les grands romans européens du XIXème siècle, d’en comprendre leur contexte et d’en extraire des cartographies de la ville qu’ils dépeignent. Les petites cartes thématiques qu’il réalise permettent de transcrire spatialement les enjeux littéraires propres à plusieurs romans afin de mettre en correspondance ou non les actions des différents protagonistes. Nous voyons par exemple dans la fig.1 le répertoriage des personnages ainsi que la localisation exacte de leur désir.

L’écrivain manie à sa façon le lien entre la narration et le cadre spatial dans lequel elle s’insère. Il peut donc décider d’en omettre une représentation et de laisser le lecteur avoir sa propre interprétation. Ceci peut à la fois frustrer tout comme renforcer la puissance de l’écriture, l’imaginaire qui découle de sa lecture. Dans les deux cas, la géographie interpelle, dérange, suscite de la curiosité et peut pousser à de nouvelles réflexions. Dans son introduction Vers une géographie de la littérature, Franco Moretti précise que « la géographie est [...] une force active, concrète, qui imprime sa marque sur les textes, sur les intrigues, sur les systèmes d’attente. » avant de rappeler : « Mettre en rapport la géographie et la littérature [...] signifie donc révéler des aspects du champ littéraire qui nous étaient restés jusqu’à présent cachés. » (1). En apportant une matérialisation géographique des univers littéraires de romans du XIXème siècle, Il rend ainsi visible l’espace urbain qui était alors uniquement sous-entendu dans l’écriture de ces romans.

Si chez Moretti, cette matérialisation concerne des villes bien réelles, il est intéressant de noter qu’une telle démarche a déjà été effectuée pour un lieu fictif. Prenons l’exemple du mythe utopique de l’Atlantide développé par Platon dans le Timée puis le Critias aux alentours de 360 avant J.-C. Couplé à une richesse de détails descriptifs sur sa faune, sa flore ainsi que sur la civilisation qui y aurait habitée, « On s’est longtemps demandé si le mythe de l’Atlantide était un récit digne de foi, renvoyant à des événements réels dont le souvenir aurait été déformé par le temps » (2). Le recul que l’on possède aujourd’hui ne nous permet en effet pas de comprendre à quel point ce mythe a troublé l’opinion publique et scientifique. Longtemps délaissée et ignorée à l’Antiquité tout comme au Moyen-Âge, son histoire refait pourtant surface sous la Renaissance avec la découverte du Nouveau Monde

(1)

MORETTI, Franco ; traduit de l’italien par Jérôme Nicolas (2000). Atlas du roman européen, 1800-1900, Paris, Éditions du Seuil, p. 9

MÉRY, Lisa. « Sociétés réelles, sociétés rêvées : Une histoire de l’utopie » (en ligne), Utopie et cité idéale : l’Atlantide platonicienne < http:// une-histoire-de-lutopie.edel.univ-poitiers.fr/exhibits/show/sources/sources-antiques/atlantide > (2)

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Fig 1. Représentation supposée de l’Atlantide. Imprimée dans le Mundus Subterraneus d’Athanasius Kircher. 1665

Fig 2. La carte du Territoire des Cités Obscures. SCHUITEN, François & PEETERS, Benoît (1996). Les Cités Obscures : le Guide des Cités, Bruxelles, Casterman, 2011, 208 p.

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qui réintroduit la possibilité de l’existence d’une terre d’abondance digne du paradis. Dans la continuité de ce sursaut fantasmagorique, et faisant suite à sa représentation du Jardin d’Eden, Athanasius Kircher décide au XVIIème d’en définir les contours (fig.1). Tout comme avec l’Atlas du Roman Européen, la représentation picturale de l’Atlantide n’est pas effectuée au moment de l’écrit mais bel et bien ultérieurement, dans un temps qui parfois s’espace de plusieurs siècles de l’œuvre originelle. Ceci est dû à la résonance et au regain d’intérêt qu’une œuvre peut susciter selon l’époque à laquelle elle est lue.

Cette nécessité d’ancrer géographiquement les racines d’un récit ou d’un univers semble être un réflexe intemporel tant l’humain a besoin de s’identifier à un lieu pour s’y développer. Avec l’apparition de lieux fictifs, cet ancrage est d’autant plus important car il fournit les éléments qui permettront au lecteur d’imaginer le contexte spatial afin de s’y propulser. Cependant, que signifie délimiter l’espace, poser les contours d’un récit mythique, fictif ? Comment offrir une représentation fidèle à ce que l’auteur présageait lorsqu’il la fait naître ? Ne dénature t-elle pas la puissance de l’œuvre première ? Ou au contraire, permet-elle une régénérescence qui lui donne un nouvel angle de lecture, lui donne plus de visibilité ?

En littérature, cette force géographique reste enfouie dans la tête de l’écrivain au moment de la genèse de son ouvrage, et se transmet alors uniquement par la puissance de son écriture descriptive. Cependant, cette tendance s’opère d’une toute autre façon dans d’autres milieux tel que celui de la bande dessinée. Ici, l’écrit ne suffit pas. Il faut imager les propos, les mettre en mouvement . « De tous temps, la représentation des espaces de l’action humaine invite à la rêverie » (1)

Prenons l’exemple des Cités Obscures : ces bandes dessinées, espacées en 4 volumes et presque 30 ans de création explorent un univers fantastique, parallèle au notre, comportant des cités fictives dont les BD s’évertuent de montrer les mystères. Avec la parution de l’ouvrage intitulé « Le Guide des Cités », le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters vont cependant bien plus loin et s’attaquent à donner une substance profonde et cohérente à leur collection des Cités Obscures. À ce sujet, Gilles Ciment écrit : « Réunissant à la fois l’Œuvre et son commentaire, diégèse et exégèse, ce guide, comme les précédents écrits et propos des deux auteurs, [offre] [...] un univers dont le propre [est], pour le lecteur, la grande richesse des possibles »

(2)

. Parallèlement à la

mythologie, l’exubérance de détails et anecdotes présentes dans ce guide, ils signent d’abord une carte localisant le continent sur lequel se développe ces Cités Obscures (fig.2). Cette carte permet ainsi, dés le début du guide, de convenir d’une étendue facilement identifiable qui nous fait rentrer dans le vif de l’univers. Elle situe et met en correspondance toutes les cités obscures afin que l’on puise dans nos souvenirs et qu’on associe mentalement ces cités dans un dialogue spatial.

(1)

DOUVRY, Jean-François (1992). Le grand atlas des pays imaginaires de la bande dessinée, Grenoble, Phoenix, Préface

(2)

CIMENT, Gilles (1997). « Neuvième Art », La lumière sur les Cités obscures, No2, Janvier 1997, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image

27

Fig 1. La Planète Paris. Co-création de François Schuiten et Dassault Systèmes. 2014

Fig 2. Zoom de La Planète Paris. Co-création de François Schuiten et Dassault Systèmes. 2014

28

L’enjeu de la représentation cartographique et géographique est cher à Schuiten et Peeters. Si elle transparaît principalement à travers la restitution d’œuvres fictives (cf. les Cités Obscures), elle s’exprime également pour des lieux bien réels. En 2014, ils publient Revoir Paris, une BD imaginant le devenir de la métropole parisienne en 2156. Constituant un défi de taille, ils profitent du fait de n’être ni architecte, ni urbaniste pour proposer un imaginaire décomplexé de la capitale. La vision développée dans cet album se prolongera ensuite sous la forme d’une exposition à la Cité de l’architecture & du patrimoine.

Parmi les éléments scénographiques présents au sein de l’exposition, « un immense écran circulaire [permet au] visiteur [d’être] convié à [...] une promenade interactive entre passé, présent et avenir autour de plusieurs sites emblématiques (Notre-Dame, la Tour Eiffel et La Défense) » (1). Bien loin de la représentation en 2D de l’Atlas des Cités Obscures, le dessinateur François Schuiten se saisit cette fois-ci de l’outil 3D pour asseoir son anticipation dans un rapport au temps mais aussi à l’espace. Fruit d’une collaboration avec l’Institut Passion for Innovation de Dassault Systèmes, cette expérience permet aux visiteurs d’interagir avec l’outil géographique. À l’aide d’une table tactile, il s’approprie le dispositif et maîtrise la découverte spatiale de la ville à son rythme.

Au sein de ce dispositif, on aperçoit en premier lieu une vision élargie et galactique de Paris qui prend la forme d’une planète à elle seule (fig.1). Dans un article de Télérama, Dassault systèmes explique les raisons de cet esthétique : « “La ville monde’’ est une expression qui s’emploie beaucoup dans les discours urbains et politiques à propos de très grandes villes. François s’est amusé à la prendre au pied de la lettre et a imaginé ce qui se passerait si on projetait le plan de Paris sur un globe. » (2). Plus que l’incarnation simplificatrice d’un terme conventionnel, c’est toute la symbolique unificatrice que recherche François Schuiten qui est intéressante : « L’idée d’une ville monde consisterait à redonner à tous les Parisiens - au sens large - un sentiment d’appartenance à une même chose. Aujourd’hui, Paris est davantage construit sur un système d’exclusion, ceux qui habitent de l’autre côté du périphérique n’ont peut-être pas l’impression de vivre dans cette ville-monde. ». Ici, la représentation spatiale joue donc, au delà de son aspect ludique et informatif, un rôle politique et critique sur l’aménagement de la capitale et son rapport aux proches et lointaines banlieues qui gravitent autour d’elle.

Les différents exemples cités précédemment mettent en évidence des représentations définitives de géographies fictives ou réelles. Lorsqu’elles ne sont pas réalisées par l’auteur lui-même, se pose alors la question de leur légitimité puisqu’elles ne sont qu’une interprétation de ce qu’elles sont sensées retranscrire. Néanmoins, elles permettent l’appropriation mentale ou physique d’un récit tout en ouvrant son champ des possibles.

Indépendamment de l’époque ou des technologies mises à leur disposition, les artistes font le pari d’offrir des contours et du volume à des villes simplement esquissées à l’encre. De quelle façon cette relation se manifeste-t-elle à travers les cas d’études et les spécificités de chaque médium ?

(1)

LÉVY, Hervé. Planète Paris. « Magazine Poly » (en ligne), 4 Décembre 2014. < https://www.poly.fr/planete-paris/ >

(2)

BRUNNER, Vincent. Le Paris fantasmé de Schuiten et Peeters. « Télérama » (en ligne), 21 Décembre 2014. < https://www.telerama.fr/

sortir/le-paris-fantasme-de-schuiten-et-peeters,120691.php

29

2054

Fig 1. Représentation cartographique de Paris. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 0h35m22s

2084

Fig 2. Représentation aérienne du Néo-Paris. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

2119

Fig 3. Vision lointaine du Néo-Paris. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.80 30

l’emprise géographique d’un univers À la différence de Schuiten et Peeters, les artistes derrière Renaissance ou Paris 2119 ne réalisent pas d’atlas montrant l’étalement de leur univers parisien. Ils n’offrent jamais de visions de la ville dans son ensemble ou de la relation qu’elle entretiendrait avec le reste du territoire francilien. Anticiper l’ambiance urbaine future du centre-ville parisien est une chose mais porter un positionnement global sur tout son territoire limitrophe ainsi que ses aspirations n’est pas l’intention première de ces deux œuvres. Au-delà des capacités et du risque prospectif qui seraient mobilisés, cela nécessiterait une matière de travail conséquente qui ne saurait être contenue dans le format de ces deux œuvres. Comme pour le Guide des Cités Obscures, si cette production existait, elle consacrerait tout un ouvrage pour pouvoir être approfondie et appréciée à sa juste valeur.

On ne connaît donc ni les limites exactes, ni la composition de ces Néo-Paris puisque l’action se développe à travers des séquences rapprochées dans la ville. La capture d’image issue de Renaissance (fig. 1) est l’un des rares passages du film où l’enchaînement des lieux est identifiable et cartographié. La spatialité se manifeste par le biais indirect d’un plan aérien présent sur l’écran situé devant les protagonistes. Il remplit donc une double vocation, servir de repères visuels pour les deux personnages au premier plan, et nous partager par la même occasion la localisation de la course poursuite qui s’installe sur les quais de Seine dans les scènes suivantes.

Dans Paris 2119, les seules vues élargies de Paris se situent aux deux extrémités de la narration, par le biais de la bulle introductive et la bulle qui conclue l’histoire (fig.3). Cette dernière, s’oriente depuis le périphérique délaissé autour de la capitale et ne laisse entrevoir qu’une silhouette lointaine de Paris. Si l’on oublie la végétation qui reprend ses droits sur le minéral au premier plan ainsi que les éléments intrusifs comme les drones et les spots lumineux au loin, il ne semble pas que la morphologie urbaine soit si dramatiquement opposée de la situation existante.

Dans le cas du jeu vidéo Remember Me, l’affaire se révèle plus complexe. Il n’y a là pas non plus de carte précise livrée avec le jeu qui permettrait de donner une avant-première des espaces que le joueur sera amené à rencontrer. En revanche, c’est lorsqu’on explore l’Artwork façonné pour ce jeu qu’on se rend compte que des tentatives de visions à grande échelle de ce Néo-Paris ont été effectuées. Cette image à gauche (fig.2) dépeint une ville emprise par la multitude de ses flux. Compte tenu de la noirceur graphique du document, les axes lumineux ressortent et offrent une lecture par le négatif des îlots urbains. Cependant il est difficile à cette échelle de pouvoir observer les bâtiments tant ils sont plongés dans l’obscurité. On pourrait d’ailleurs les confondre avec l’eau qui semble être une composante essentielle de cette métropole futuriste. Outre les flux, seuls les excroissances verticales bleutées sont discernables. Elles semblent s’agglomérer dans un même quartier au Nord, Nord-Est de la ville à une localisation qui coïnciderait aux abords de la Villette. Cette zone de forte densité est surprenante puisqu’elle rappelle à bien des égards le secteur actuel des tours de la Défense.

GAUTHIER, Pierre. « Poptronics » (en ligne), Alain Damasio, un écrivain se prend au jeu < https://www.poptronics.fr/Alain-Damasioun-ecrivain-se-prend > (1)

31

Sorties successives des cinq tomes de la BD Polka sur un Paris dystopique en 2038

2005

1995 - 2005

Appel pour la création d’un atelier du de la métropole parisienne lancé par un groupe d’urbanistes, d’architectes et d’experts

2006 Sortie du film Renaissance sur un Paris dystopique en 2054

2007 Illustration de François Schuiten pour le journal Libération d’un Paris futur mis sous cloche (p.82)

2008

2008

Fondation du studio Dontnod Entertainment par Hervé Bonin, Aleksi Briclot, Alain Damasio, Oskar Guilbert et Jean-Maxime Moris

Lancement officiel de la consultation internationale sur le Grand-Paris avec 10 équipes d’architectes urbanistes: Richard Rogers, Yves Lion, Klouche, Portzamparc, Grumbach, Nouvel, Studio 08, Roland Castro, Geipel-Andi et MVRDV

2010 Création de l’Atelier International du Grand-Paris afin de fédérer les travaux des 10 équipes.

2013

2013

Sortie de leur 1er jeu-vidéo Remember Me nous plongeant dans un Paris dystopique en 2084

Nouveau schéma directeur de la région Île-de-France

2014 Lancement de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris sur 23 sites parisiens (1ère édition)

2014-2015 Exposition Revoir Paris de Schuiten et Peeters à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine sur Paris en 2156

2016 Naissance de la métropole du Grand Paris qui se compose de 12 territoires et 150 communes soit 7 millions d’habitants

2017 Lancement de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris sur 34 sites parisiens (2nde édition)

2019 Sortie de la BD Paris 2119

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Métropole du grand paris Avant de s’étendre sur la vision spatiale proposée pour le jeu vidéo Remember Me qui possède une substance méritant d’être plus approfondie, il me semble pertinent de faire un petit détour par la case du Grand Paris.

En effet, comment parler de prospective urbaine au XXIème siècle sans mentionner ce chantier réflexif colossal du début de siècle ?

La consultation internationale du Grand-Paris a été lancée en 2008 par le Ministre de la Culture après que dix équipes pluridisciplinaires (placées sous la responsabilité d’un architecte-urbaniste) furent choisies pour plancher dessus. L’objectif ? produire dans un premier temps une pensée territoriale générale sur la thématique de la métropole du XXIème siècle de l’après-Kyoto pour ensuite, dans un second temps, façonner l’agglomération parisienne. La frise chronologique de la page gauche retrace brièvement les grandes étapes de cette aventure tout en la mettant en relation avec la chronologie des anticipations fictives de Paris au même moment. Il m’a en effet paru crucial de contextualiser la naissance de tous ces univers fictifs et audacieux puisqu’ils sont contemporains et parallèles aux réflexions menées autour du Grand Paris.

Tout récit fictionnel tire une part de vérité dans son ancrage au réel. Que ce soit sous la forme d’utopies avec Revoir Paris ou des nombreuses contre-utopies présentes sur la page de gauche, l’anticipation ne constitue pas un travail prospectif purement auto-centré. Elle interroge forcément les questions sociétales et urbaines de son temps pour permettre de bâtir un récit, qu’il soit en réaction ou en continuité avec celles-ci. Cependant, dans le débat métropolitain, la fiction reste fiction, elle connaît son rôle et sa place. Comme l’explique François Schuiten dans une interview, « On ne cherche pas à concurrencer les architectes. On n’a pas envie d’aller sur leur terrain. On cherche plutôt à créer un espace imaginaire, aujourd’hui désinvesti. L’audace, même dure et violente, est parfois nécessaire. » (1). Je pense que cette prise de parole serait surement partagée par les créateurs et créatrices derrière Renaissance, Remember Me, ou Paris 2119. À défaut de traiter du devenir d’une même ville, le parallèle que j’effectue entre cette production fictionnelle du début du XXIème et les propositions plus institutionnelles du Grand Paris à cette même période ne constitue pas un affrontement de deux entités intellectuelles en soit. Je me positionne plutôt dans la lignée de ce que Yannick Rumpala dit lorsqu’il caractérise la science-fiction de « réservoir cognitif » (2). Il pense que la « voie fictionnelle peut [...] devenir à la fois un procédé et une ressource pour réinterpréter des problèmes et des situations, pour avancer des formes d’interrogations et explorer des propositions par un déplacement dans un monde différent, reconfiguré. » Je crois en effet que ces deux entités se complètent et se nourrissent l’une et l’autre en vue d’offrir des propositions d’avenir les plus riches possibles.

(1)

MAO, Blaise. Schuiten & Peeters : « l’absence de vision à long terme est la pire des choses » . « Usbek & Rica » (en ligne), 30 août 2016. <

https://usbeketrica.com/article/schuiten-peeters-l-absence-de-vision-a-long-terme-est-la-pire-des-choses > (2)

RUMPALA,Yannick (2018). Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Ceyzérieu, Champ Vallon, p.8

33

Fig 1. Les propriétés de Lucifer. Secchi & Viganò. Atlas du Grand Paris. 2013

Fig 2 et 3. Proposition Seine Métropole pour le Grand Paris. Antoine Grumbach & Associés. 2009 34

Les multiples ateliers de recherche ont permis de réunir autour de la même table un grand nombre de professions qui d’habitude ne se côtoient pas ou peu : historiens, géographes, chercheurs en sciences humaines et sociales, ingénieurs liés au transport, écologues, économistes, paysagistes... Ces séances ont permis de délivrer, par la qualité des échanges, de nombreuses propositions innovantes qui possède leur lot de documents graphiques. Lorsque je suis allé me pencher sur cette vaste production et en particulier cartographique, j’ai pu y remarquer des similarités esthétiques avec celle de mes cas d’études. Les deux exemples que j’ai choisi de commenter concernent les démarches de l’équipe Secchi-Viganò (Studio 09) et Grumbach & Associés (fig.2,3).

Au sein du travail produit par l’équipe du Studio 09, une carte en particulier a retenu mon attention, celle de des propriétés de Lucifer (fig.1). Marquée par son contraste en noir et blanc, elle m’a tout de suite évoquée le graphisme du film Renaissance et en particulier le plan aérien présenté précédemment. Ce minimalisme dans la représentation spatiale interpelle car s’il est compréhensible du point de vue du parti-pris artistique pour le film, quelle raison justifie son utilisation dans une production graphique liée au Grand-Paris ? et c’est cet aspect précisément qui m’a conduit à m’intéresser de plus prés à son contenu. Dans les mots des architectes-urbanistes, ces propriétés de Lucifer sont sensées représenter des « zones où les caractères négatifs assument une valeur extrême, des zones [...] qui sont de véritables enfers pour les gens qui y habitent ou sont obligés d’y habiter : proximité de zones d’activités lourdes, bruyantes et polluantes, proximité d’infrastructures bruyantes et polluantes, zones enclavées et peu accessibles. ». Elles réunissent donc des « lieux déplaisants (aéroports, voies ferrées, autoroutes, zones industrielles, cimetières, grands ensembles dégradés), qui rendent compte des zones d’ombre du Grand Paris. » (1).

Nul besoin donc d’imaginer des ambiances dystopiques pour ces espaces qui respirent déjà le chaos.

La proposition de Grumbach & Associés (fig.2 et 3) a elle, fait beaucoup parler d’elle pour son originalité et son ambition étonnante de relier Paris au Havre. Elle prévoyait que la métropole du Grand-Paris soit reliée à un grand port stratégique pour pouvoir exister et rayonner. Elle symbolise donc la prise de décision radicale vis-àvis du modèle concentrique parisien actuel en proposant de structurer l’extension de la ville et de ses activités le long du parcours sinueux de la Seine. Si le contenu est en effet percutant, le graphisme rappelle à bien des égards la vue aérienne de Remember Me. À l’échelle du plan reliant Paris à Rouen puis au Havre, ce sont les axes orthogonaux à la Seine mis en évidence par des halos lumineux qui révèlent le futur contexte urbain ainsi que son étendue. Dans le jeu-vidéo, les halos suivent le tracé des artères de circulation et c’est cette juxtaposition de flux qui semble générer la ville et son aspect organique, tentaculaire. Cet enjeu des tracés directeurs, tant existants que projetés, est donc au cœur du discours métropolitain dans les deux exemples. Cependant, chez Grumbach, on pense Paris au-delà de ses limites historiques alors que dans le Néo-Paris dystopique, la ville reste contrainte par une enceinte périphérique. Malgré une approche graphique cousine dans l’atténuation du décor urbain et l’obscurité du fond cartographique, les deux discours véhiculés s’opposent en matière de prospection territoriale.

SECCHI, Bernardo & VIGANÒ, Paola (2009). Le diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne. Consultation internationale de recherche et développement sur le grand pari de l’agglomération parisienne. la ville “poreuse”: chantier 2, Milan, 164 p.

(1)

35

Fig 1. Représentation aérienne du Néo-Paris. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 2. Vue de la Place de la Bastille en pré-production. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 3. Représentation aérienne du Mériphérique en pré-production. Dontnod Entertainment (2013).

Remember Me. Capcom

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Une barrière lié aux risques Si la représentation spatiale du Néo-Paris tisse des liens graphiques avec certaines propositions de la première phase de consultation du Grand Paris, elle n’en partage pas pour autant son contenu comme nous venons de le découvrir. Les projets institutionnels comme celui de Grumbach pensent l’aménagement du territoire francilien au-delà du simple Paris intra-muros, en s’affranchissant du Périphérique qui cloisonne la ville et la met à distance de ses espaces périurbains ou de ses banlieues depuis bien trop longtemps. Comme le rappelle cette recontextualisation aérienne et lointaine (fig.1), la morphologie générale de la ville dans Remember Me est pensée de façon insulaire vis-à-vis de sa périphérie puisqu’une enceinte imposante la ceinture. Pourquoi avoir choisi cette nouvelle barrière physique dans la vision de Paris en 2084 ? Le tracé de ce contour est-il identifiable et localisable au regard de l’existant et de l’histoire de Paris ?

Le choix d’un Paris renfermé sur lui-même n’est pas fait au hasard puisqu’il est consistant avec la chronologie fictionnelle établie entre la sortie du jeu en 2013 et le 2084 mis en avant dans Remember Me (voir annexe).

Cette chronologie est parallèle à la « bible narrative » (1) de 1000 pages A4 écrite pour l’occasion par l’écrivain de science-fiction Alain Damasio, épaulé par une équipe de scénaristes. Elle liste les différents événements mondiaux, européens et nationaux majeurs établis pour corroborer l’univers épileptique de Remember Me. Tout comme pour le Guide des Cités Obscures, les artistes désirent installer une cohérence globale de leur univers dans une narration qui précise le cadre spatio-temporel et apporte les éléments permettant d’y croire à une juste mesure. Cette dimension n’est pas aussi poussée dans les deux autres cas d’études puisque seul les interviews des artistes permettent d’en apprendre plus sur le contexte de Paris 2119 et Renaissance.

Au début du projet concocté par le studio Dontod Entertainment, la thématique est celle de la dérive d’où le titre originel « Adrift » choisie pour le jeu. Ils imaginent un Paris futuriste décadent soumis à la montée des eaux et aux dérèglements climatiques comme on peut le remarquer sur la vision de la place de la Bastille en pré-production (fig.2). La ville se retrouve donc entourée d’eau et protégée par un ouvrage massif dénommé le “ Mériphérique ’’ haut de 70 mètres et épais de 50 mètres (fig.3). En contrebas, « où circulent des bateaux, se déploient des sortes d’îlots de survie. Ceux-ci sont peuplés de réfugiés climatiques qui tentent de s’approcher de la digue et de pénétrer dans la ville via les égouts. » Si la densité de l’ouvrage permet essentiellement de retenir des volumes d’eau considérables et de repousser les orages, il remplit pourtant un second rôle propre à la dystopie : garder un contrôle sur la population résidant dans le Néo-Paris. En établissant une frontière encore plus imposante et imperméable que le périphérique, les créateurs poussent au paroxysme le caractère auto-centré du Paris actuel. Maintenant que nous avons établi que cette création avait été élaborée pour répondre à une menace climatique, sur quels éléments historiques se sont-ils basés pour délimiter la taille et l’emprise de cette frontière ?

(1)

GAUTHIER, Pierre. Alain Damasio, un écrivain se prend au jeu. « Poptronics » (en ligne), 13 Mai 2015. < https://www.poptronics.fr/

Alain-Damasio-un-ecrivain-se-prend >

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Fig 1. Vue de la Porte de Vincennes. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Aujourd’hui Enceinte de Thiers Mur des Fermiers Généraux Enceinte de Louis XIII Enceinte de Charles V Enceinte de Philippe Auguste Enceinte Carolingienne Enceinte Gallo-romaine

Fig 2. Les limites de Paris du IVème siècle à aujourd’hui

Fig 3. Photographie de l’enceinte Thiers. Agence Rol. 1913 38

Un tracé historique Depuis l’implantation de la cité gauloise Lutèce à l’emplacement de l’île de la Cité actuelle, Paris est une ville qui n’a cessé de croître et d’étendre ses limites sous les différents régimes qui l’ont gouvernée. Il est d’ailleurs intéressant de souligner le parti-pris de l’inondation dans Remember Me quand on connaît l’importance que l’eau a eu aux origines de la ville sur sa morphologie et son développement économique. Comme le rappelle Philippe Simon dans son ouvrage Paris Visite Guidée, Paris est « d’abord un fleuve, avec ses îles dont la plupart ont disparu, avec son bras mort longtemps resté à l’écart de marécage et ses affluents oubliés que seule la Bièvre ranime à nos souvenirs »

(1)

. Malheureusement, si cette présence de l’eau est historiquement endémique au lieu, son

abondance n’est pas vécue et représentée comme une aubaine dans le jeu-vidéo. Elle résulte ici de problèmes écologiques planétaires liés à l’action de l’Homme et participent donc à convenir d’un environnement particulièrement menaçant.

Cette ambiance anxiogène que véhiculent les images de la ville tentaculaire dans Remember Me est sans doute liée à la présence du Mériphérique précédemment abordé qui clôture la ville. Ce nom n’est d’ailleurs pas laissé au hasard et constitue un évident clin d’œil au périphérique actuel qui est une fracture importante dans le paysage parisien. L’image de gauche présentant la Porte de Vincennes (fig.1) permet d’affirmer que ce nom n’est pas purement symbolique puisque le Mériphérique partage également le tracé du périphérique actuel et conserve la localisation de ses sorties principales. Il est important de rappeler que cette infrastructure routière lourde construite entre 1958 et 1973 s’était installée en bordure extérieure de l’Enceinte de Thiers dont on aperçoit le contour sur ce schéma (fig.2) et l’impact topographique sur cette photographie (fig.3). La forme hexagonale du Mériphérique qui englobe la totalité de la capitale sur les illustrations des pages précédentes serait donc une réédition géométrique et transposition futuriste de l’Enceinte de Thiers au XXIème siècle.

L’anticipation propre à l’univers de Remember Me n’est donc pas décontextualisée puisqu’elle s’appuie sur une succession d’éléments ainsi que de détails qui assurent la cohérence historique de l’ensemble. En mettant en valeur les 34km de tracés d’une enceinte érigée en 1841 puis désaffectée et détruite moins d’un siècle plus tard, les créateurs derrière Remember Me font resurgir le passé douloureux et tumultueux des enceintes ayant successivement entourées Paris. En ce qui concerne celle votée par le gouvernement de Louis-Philippe et d’Adolphe Thiers, sa commande était originellement militaire puisqu’il ne fallait plus connaître l’invasion de Paris de 1814 ni d’éventuelles révoltes provenant de l’intérieur. Hors, la raison de la nouvelle barrière fictive dans le jeu-vidéo résulte plutôt de l’alarme climatique, menace qui prend ses racines dans l’inquiétude scientifique et sociétale de notre ère. Leur fonction peut être différente mais leur impact géologique et leur emprise géographique partage la même violence pour leur époque respective en matière de transformation du sol, du paysage et d’organisation urbaine. Au cours de cette partie, nous avons donc pu noter à quel point l’analyse historique et géographique dans une œuvre de fiction est essentielle si l’on veut saisir les passerelles réflexives que les médiums tels que le jeu-vidéo la BD ou le film d’animation décident d’esquisser avec la réalité.

(1)

SIMON, Philippe (2007). Paris Visite Guidée. Architecture, urbanisme, histoires et actualités, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, p.17

39

Fig 1. Illustration des déplacements dans le film Retour vers le futur réalisé par Robert Zemeckis.

DEGRAFF, Andrew & JAMESON, A.D. (2017). Cinemaps. An atlas of 35 great movies, Philadelphie, Quirk Books

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le parcours urbain comme vecteur réflexif Si deux des trois cas d’études présentent une absence cartographique qui ne facilite pas la compréhension de la métamorphose urbaine de Paris au regard de son existant, il paraît pertinent de suggérer une nouvelle approche d’analyse qui permette d’en rendre compte. Ces trois fictions plébiscitent le mouvement d’un personnage principal comme moyen scénographique et visuel à part entière pour nous plonger dans l’action et les intrigues. Suivre son avancée et comprendre de quelle manière le décor urbain gravite autour de lui, s’efface et se renouvelle nous permettra peut-être d’y révéler une logique. L’accent donné à cette analyse aura pour donc objet de tirer profit des déplacements, de les souligner pour enfin les situer, ou non, dans la géographie de notre Paris actuel.

Cette démarche d’accroche spatiale s’inspire et s’apparente à de nombreux travaux de chercheurs, auteurs ou artistes. En littérature, l’Atlas du Roman Européen précédemment cité est singulier pour son époque. Franco Moretti est convaincu que « Situer un phénomène littéraire dans son espace propre n’est pas la conclusion du travail géographique, ce n’en est que le début. C’est même à ce stade que commence la plus belle partie de l’affaire (et la plus difficile) : on regarde la carte géographique et on réfléchit dessus. » (1) Ainsi, la réalisation des cartes retraçant le déplacement ne se veut pas être un complément graphique mais constitue réellement un outil d’analyse pour permettre de pousser la réflexion de ce mémoire.

Dans une démarche plus contemporaine et graphiquement saisissante, l’illustrateur Andrew Degraff a choisi 35 films iconiques et décident de souligner le parcours de chacun des personnages dans une sorte de diagramme explosée de la ville sur laquelle se développe le récit (2). Dans le fond, mon analyse se rapproche plus de Andrew Degraff car je m’intéresse spécifiquement à suivre et situer le parcours du protagoniste principal dans chaque cas d’études. Cependant, dans la forme, elle s’apparente à ce que Franco Moretti a effectué dans l’Atlas du Roman Européen avec la succession de cartographies d’analyse sur Paris.

Avec ces deux références à l’esprit, le but de cette démarche ne sera pas de déconstruire ou dévaloriser l’univers futuriste mis en exergue par les artistes mais de tisser des liens avec l’existant. Paris est une ville où se mouvoir est essentiel pour s’approprier et comprendre son fonctionnement. L’empirisme de cette ébauche de travail permettra sans doute de révéler une certaine logique spatiale dans le choix des déplacements ou alors d’en remarquer une décontextualisation. À la différence du travail de Degraff et des films qu’il a étudié, il n’y aura pour notre part qu’une seule personne à suivre dans son parcours. Certes, cela peut paraître plus simple mis à part que ces parcours ne sont pas aussi limpides et logiques que dans les œuvres cinématographiques qu’il a pris en cas d’études.

(1)

MORETTI, Franco (2000). op. cit., p.14

(2)

DEGRAFF, Andrew & JAMESON, A.D. (2017). Cinemaps. An atlas of 35 great movies, Philadelphie, Quirk Books, 160 p.

41

Fig 1. Superposition des dĂŠplacements de Nilin dans Remember Me

Fig 2. Superposition des dĂŠplacements de Tristan dans Paris 2119

42

une rive gauche oubliée L’intégralité de l’analyse spatiale que j’ai effectuée pour Renaissance, Paris 2119 et Remember Me se trouve en annexe à la fin du mémoire. Elle ne pouvait s’inscrire de manière fluide avec le corps principal du texte en raison de sa nature répétitive et synoptique. Les deux cartes réalisées à gauche sont en revanche une synthèse de cette analyse puisque j’y ai superposé tous les lieux principaux de l’histoire ainsi que les déplacements qui les relient. Nous n’y voyons pas ceux du film de Christian Volckmann car je me suis rendu compte en analysant le film qu’aucune indication de lieux n’était promulguée clairement dans l’enchaînement de l’action.

La première préoccupation que j’ai eu en effectuant cette démarche empirique a été non seulement de baliser des lieux reconnaissables mais de comprendre si le passage de l’un à l’autre possédait une cohérence au regard du déplacement. Le parcours de Tristan dans Paris 2119 est symptomatique d’une logique spatiale (fig.2). Au cours de l’histoire, il marche de lieux en lieux qui sont à proximité l’un de l’autre (Saint-Lazare => Madeleine) ou prend le métro pour des distances plus longues (Franklin-Roosevelt => Bastille). En tout cas, le parcours fait toujours intervenir des lieux identifiables et facilement connectés, qu’on pourrait aisément réaliser dans le paris actuel. Le parcours que ZEP retranscrit, par des références visuelles ponctuelles, est donc essentiel à l’immersion et la familiarisation du contexte parisien en 2119. En revanche, dans Remember Me, cette notion n’est pas aussi rigoureuse (fig.1). L’héroine Nilin ne se balade qu’en marchant ou escaladant et effectue pourtant des trajets qui ne sont pas les plus évident (Bastille => Montmartre). Certes ils pourraient être entrepris malgré la durée importante du trajet mais cet ensemble ne renforce pas la cohérence de l’univers. C’est là que le propre du jeu-vidéo se fait sentir : son succès dépend de sa jouabilité et l’interactivité immédiate qu’elle procure aux joueur. Ainsi le studio Dontnod Entertainment ont omis les espaces intermédiaires : on passe d’un point géographique de Paris à son opposé en seulement quelques rues arpentées et bâtiments escaladés par soucis d’efficacité.

Ce processus de superposition m’a également permis de découvrir à quel point l’action a tendance à se concentrer sur une seule rive de Paris. En effet, lorsqu’on observe la concentration des balises rouges, on note rapidement que la rive gauche est entièrement dégarnie à l’exception de la Tour Eiffel, de Saint-Michel ou du périphérique sud. Ces deux premiers lieux hautement touristiques sont les seuls qui ravivent l’existence de la Rive Gauche dans ce Paris fictif. C’est une donnée importante car en exécutant ce choix, les créateurs cassent cette relation forte des deux rives. C’est comme si la capitale perdait sa moitié, son équilibre identitaire. La Rive Gauche est pourtant marquée elle-aussi d’une topographie unique (Montagne Sainte-Geneviève et Panthéon) ou de lieux parisiens essentiels ou historiques (Gare Montparnasse, Quartier Latin, Jardin des Plantes...). Cela montre à quel point ces exemples de science-fiction perpétuent à véhiculer cette image simpliste et mondialisée de Paris, qui se résume à des lieux clichés et internationalement reconnus au détriment d’autres lieux plus intimistes et discrets qui donnent à Paris tout son charme.

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Fig 1. Synthèse schématique des zones d’intérêts parcourues par Karas dans Renaissance

Fig 2. Synthèse schématique des zones d’intérêts parcourues par Nilin dans Remember Me

Fig 3. Synthèse schématique des zones d’intérêts parcourues par Tristan dans Paris 2119

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une polarisation autour d’éléments symboliques Nous avons premièrement découvert la spatialité par le prisme de la cohérence du déplacement physique du protagoniste dans la ville. Voyons à présent ce que nous apporte la synthétisation des zones principales où se déroule l’action dans les trois cas d’études. Existe-t-il une hiérarchie dans le passage d’une zone à une autre ?

Quels sont les espaces les plus représentés et à quelle fin ?

Malgré l’aspect énigmatique et volontairement trouble du Néo-Paris dans Renaissance, quelques bâtiments iconiques comme Notre-Dame, la Tour Eiffel ou le Sacré-Cœur permettent tout de même d’établir une triangularisation des espaces autour desquels s’élabore le récit (fig.1). Le plateau de l’arche de la Défense, réinventé pour l’occasion, n’est visible qu’une seule fois dans le film donc ne constitue pas une zone d’aller-retours au même titre que les autres. Ce qui est en tout cas sûr est cette polarité incessante entre trois zones marquées par un édifice symbolique. Les passages de l’une à l’autre sont relativement équilibrés et n’accentuent pas la dominance d’une zone sur les autres. Si la Rive gauche s’en trouve ici aussi oubliée, la course-poursuite qui longe la Seine et s’achève au pied de Notre-Dame met à l’honneur le dialogue des deux rives et l’importance du fleuve dans l’imaginaire visuel urbain parisien.

Au cœur de Remember Me, réside également une articulation spatiale déclinée en triptyque mais les espaces y sont plus rapprochés, moins cryptiques tout en s’étendant sur de plus grandes surfaces de parcours reconnaissables. Une quatrième zone additionnelle liée aux lieux de pouvoir fait elle aussi son apparition tout en ne contredisant pas le trio de tête : elle correspond à une zone de forte densité verticale proche de la Villette.

L’autre différence notable est le fait que les espaces servant de transition soient accessibles et visibles : l’héroïne emprunte par exemple le tunnel de métro abandonné de la ligne 3 entre Nation et République ou le réseau des différentes galeries marchandes partant de Châtelet jusqu’aux grands boulevards. Ils sont utilisés dans la narration comme procédés immersifs dans les différentes ambiances et strates de la ville : le souterrain dangereux peuplé des Leapers (des junkies addicts à leur implant Sensen, aggressifs et déformés physiquement) ou le quartier bourgeois préservé des montées d’eaux.

La synthèse fait apparaître une hiérarchie bien différente au sein de Paris 2119. La superposition des balises a en effet permis d’établir une aire d’influence majoritaire, où plusieurs quartiers convergent : le 8ème, le 9ème et le 1er arrondissement. C’est là où Tristan marche souvent, de l’appartement de sa copine proche des Champs-Elysées jusqu’à son lieu de travail vers l’Opéra Garnier. Et c’est donc depuis cette zone que gravite ensuite des allées et venues dans des directions multiples. Cette seconde partie d’analyse confirme d’une certaine façon ce qu’on avait observer précédemment dans la BD. C’est le cas d’étude qui ancre le plus ses repères spatiaux dans notre Paris contemporain : cette unique zone de convergence symbolise ce que l’on pourrait vivre au quotidien dans une vie de quartier à Paris. Si cet état des lieux a permis de mettre en évidence le développé spatial de la narration sur carte de l’existant, étudions désormais le parti-pris urbanistique opéré pour chacune des visions du Néo-Paris, ce qu’il conserve au regard du contexte actuel tout comme ce qu’il métamorphose.

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2054

Fig 1. Vue du Sacré-Cœur prise au ras des toitures. Volckmann, Christian (2006). Renaissance.

0h15m00s

2084

Fig 2. Vue rehaussée du quartier de Montmartre et de ses environs. Dontnod Entertainment (2013).

Remember Me. Capcom

2119

Fig 3. Vue d’une rue descendante de la Butte Montmartre. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.45

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une stratification urbaine Nous avons remarqué que la butte du Sacré-Cœur était l’une des parties les plus exhaustives mis en avant dans les Néo-Paris des trois cas d’études. Les créateurs artistiques s’y sont attaqués frontalement et c’est une aubaine pour pouvoir comparer ce que la présence de cette butte et de ce monument cristallise en terme d’esthétique, d’organisation urbaine, de choix patrimoniaux ou de vision du lointain.

La première image de Renaissance (fig.1) semble être prise au ras des dernières toitures jouxtant la butte de Montmartre. Cette particularité montre l’impact que possède la topographie et en particulier la basilique en son sommet sur le paysage urbain parisien. Ce choix évalue l’intention première de rendre compte efficacement d’un quartier de Paris et de nouer avec une certaine familiarité que l’audience pourrait tisser avec lui.

Cette position de caméra n’est ainsi pas liée à une localisation précise d’un protagoniste au sein de ce quartier.

Elle dessert une contextualisation géographique plus générale de l’action qui précède ou suit ce moment. Et plus encore, cette prise de vue permet clairement de jauger en quoi ce Paris est dystopique et différent de l’existant. On remarque ainsi la cohabitation de deux densités, deux architectures qui ressortent visuellement et s’opposent: une partie haussmannienne en premier plan assez typique de Paris, et une zone en second plan marquée par une verticalité imposante, une nouvelle densité d’habitat autour de la basilique. Cette seconde zone a aussi la particularité de placer une nuée de surextensions lumineuses aux derniers étages des bâtiments faisant office de lucioles dans la noirceur graphique imposée pour ce film.

Dans cette image issue de Remember Me (fig.2), la prise de vue est plus basse et plus rapprochée de la basilique que précédemment. On suit cette fois-ci l’épisode d’escalade de la protagoniste principale ce qui met en liaison son mouvement et son avancée vis-à-vis du quartier qui l’entoure. À la différence de Renaissance, ici la topographie ne se sent plus car la basilique prédomine sans gradation des bâtiments amenant à elle. Le découpage successif dans la profondeur de l’image nous permet d’identifier différentes hauteurs, typologies et écritures urbaines : une première couche hybride en avant-plan où règne tant l’ambiance des favelas que l’architecture industrielle des cargos, une seconde couche où l’on reconnaît tout de même la silhouette des toitures haussmanniennes dominée par l’apparition de la basilique et enfin à l’arrière, une étendue de gratte-ciels éparses qui viennent concurrencer la sacralité du monument qui les précède.

Cette bulle de Paris 2119 (fig.3) est sans doute moins évidente tant sa mise en situation paraît cryptique. En effet, seul le bout de la coupole de la basilique y est visible car la vue est prise à hauteur d’œil. C’est également là que la topographie se rend encore une fois utile puisqu’on sent la pente de la rue et donc le sentiment de descente propre aux rues culminantes de la butte Montmartre. Quant aux bâtiments, leur architecture ne choque pas au regard de l’existant et le tout semble homogène sans différenciation de l’urbanité existante et dessinée. L’autre particularité notable est la dégradation et l’état d’abandon dont semble faire sujet la basilique à travers cette représentation de la coupole bien abîmée. Conformément à cette ambiance de désuétude se rajoute une sensation d’insécurité : quatre poissons volants métalliques aux allures brutalistes naviguent au milieu de la rue de façon imposante tels des drones de surveillance et le regard déviant du personnage en dit long sur leur présence.

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2054

Fig 1. Vue d’un appartement en excroissance et la Tour Eiffel en arrière-plan. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 0h12m28s

2084

Fig 2. Vue panoramique de Paris, de ses toitures classiques jusqu’aux nouvelles tours vertigineuses.

Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

2119

Fig 3. Vue aérienne du Panthéon et de la Tour Eiffel. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.43

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une silhouette sous cloche ? À travers cette description d’images, on remarque que la Basilique du Sacré Cœur n’est jamais montrée de prés et dans toute son entièreté. Elle reste à distance et fait uniquement émerger ses toitures les plus discernables.

Faisant ainsi office de simple décor lointain, son rôle permet de signifier indirectement une localisation dans Paris. Si la BD de ZEP ne semble pas dénaturer profondément l’architecture à proprement dit du quartier de Montmartre, Renaissance et Remember Me s’en donne à cœur joie en imbriquant différents registres urbains avec plus ou moins d’intensité. Que ce soit à travers l’apparition de grands gestes urbains caricaturaux ou de micro-objets intrusifs, la fidélité de l’univers futuriste et décadent est conservée.

La part de conservation de l’existant est donc propre à chaque cas d’étude, il n’existe pas de consensus sur ce que le Paris futuriste et dystopique devrait s’assurer de transformer, dégrader ou laisser tel quel. Ceci vient aussi apporter des éléments de réponse quant à l’évolutivité des périodes décrites dans ces trois médiums : les dates 2054, 2084 et 2119 ne semblent pas intrinsèquement liées et les dessinateurs/artistes ne se font pas référence les uns aux autres dans la création de leur Paris fictif. Regardons à présent des visions plus lointaines et élargies afin de confirmer ou non ces déductions et de les compléter par d’autres pistes d’approfondissement.

Les images qui suivent présentent la particularité d’avoir été choisie pour leur angle de vue similaire, à savoir qu’elles sont toutes situées au ras de toitures tel que précédemment abordé. Ce choix a été effectué afin de pouvoir rendre compte assez notablement et instantanément de leur différence.

Au premier regard, on découvre deux approches qui s’opposent : la première pense la ville dans sa continuité et ne dénature pas l’uniformité du paysage urbain (fig.1 & 3); la seconde fait fi de l’homogénéité parisienne actuelle et pose un cadre futuriste hybride et hétéroclite (fig.2). Bien que séparé théoriquement de 65 ans, les visions du Néo-Paris proposées dans Renaissance et Paris 2119 se rejoignent sur l’aspect de la silhouette générale de la ville. Sur les images extraites des deux œuvres, on lit une succession de toitures qui se chevauchent dans la profondeur et aucun nouveau bâtiment ne vient rompre cette horizontalité. L’ensemble est aplani de façon crédible au regard de l’existant et seuls les monuments (ici la Tour Eiffel et les Invalides) ajoutent des ponctualités verticales. En s’extirpant de la masse haussmannienne, ces derniers permettent par ailleurs de communiquer tant au public local qu’international un visage familier de Paris. Outre ce rapport similaire au contexte général, comment ses visions se différencient-elles et permettent d’apprécier des approches prospectivistes liées à deux dates précises ?

Si cette première lecture assimile et associe les deux univers, on peut également soulever des différences de fond dans leur approche futuriste.Ainsi, on se rend compte par le biais de la fig.1 qu’on a affaire à une vision très proche du Paris existant. Deux éléments contrastent cependant, ce sont la présence d’un panneau télévisuel /

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Fig 1. Vue de Notre-Dame et des tours vertigineuses. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 2. Vue du quartier Saint-Michel. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 3. Vue des quais de mĂŠtro abandonnĂŠs. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

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publicitaire accroché au faîtage de la toiture et l’apparition d’une sur-extension de logement, aérienne et indépendante. Butée sur deux pilonnes structurels jaillissant de la pente de toiture, l’extension permet à elle seule de rendre compte d’un certain futurisme. Dans la fig.2, ce n’est pas par l’ajout d’architecture que passe l’impression d’une vision futuriste. C’est plutôt à travers le travail de l’ambiance urbaine que se transmet l’innovation et se comprend le choc temporel. La première couche d’ajout consiste à occuper spatialement le ciel de Paris : de nombreuses formes abstraites font office de drones et deux figures humaines furtives viennent traverser et naviguer arbitrairement dans les airs. La seconde couche, quant à elle révèle deux formes volumiques transparentes venus mettre en lumière les monuments mais pas dans leur globalité. Ces projections lumineuses aux formes géométriques affirmées seraient la symbolisation parfaite de la mise en cloche intemporelle du Paris des musées au détriment du reste de la ville, plongée sous la pluie et l’obscurité.

Dans une toute autre vision à long terme du relief de la skyline parisienne, Remember Me opte pour une coexistence de langages urbains différents. Ceux-ci imaginent construire la ville sur la ville, laisser l’existant comme simple témoin historique pour ensuite le compléter d’ajouts contemporains tels que des gratte-ciels impersonnels en arrière plan. Se joue également, à la différence des autres cas d’études, une notion de profondeur et un jeu de topographie plus subtil et complexe. Ainsi, l’organisation spatiale imaginée par Alain Damasio laisse observer une stratification très élaborée où se chevauchent trois niveaux de vie, trois rapports à la ville, propres au Néo-Paris dystopique : Un Mid-Paris émergé et piéton qui se rapproche le plus du centre-ville actuel et qui profite d’un dynamisme économique et culturel grâce à ses commerces et musées (fig.2), un Deep-Paris immergé et souterrain où figureraient des métros abandonnés et une population de junkies agressifs (fig.3), et enfin à l’opposé, un High-Paris aérien et récent qui serait structuré par une série de tours célestes et méconnaissables se diffusant dans l’obscurité du ciel pluvieux dystopique (fig.1).

Ces comparaisons d’images ont permis de mettre en lumière des certitudes en terme de prises de risques, dénaturations architecturales ou de conservation haussmannienne qui sont propres à chaque médium malgré certaines positions équivalentes entre le film d’animation et la BD. Elles permettent également d’apporter au débat de nouvelles aspirations d’approfondissement : Le fait de placer constamment en arrière-plan les monuments parisiens n’est-il pas symptomatique d’une essence de Paris que l’on souhaite garder au détriment d’autres éléments de renouveau urbain ? Pourquoi conserver les monuments et non d’autres micro-endroits qui sont tout aussi iconiques afin de convenir d’une localisation ? Est-ce par souci d’efficacité, de simplicité dans la mise en œuvre ou est-ce dans un désir de proposer des images chocs afin de convenir d’une image universelle et lucrative de Paris ?

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« La modernité, on le sait, se fonde dans la douleur au prix du désenchantement, la dévaluation de l’ancien [...] comme repère de la fondation, comme référence engendre la valse, le manège du nouveau qui s’emballe dans la succession de plus en plus rapide des nouveautés et sécrète la mélancolie d’un âge d’or. »

BERNARD, Jean-Pierre Arthur (2001). Les deux Paris : les représentations de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle, Seyssel, Champ vallon, p. 177

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La dystopie parisienne au contact de l’intemporalité La partie précédente a soulevé la force que possède la fiction d’anticipation à proposer une réécriture systématique de la géographie, de l’architecture, de l’urbanisme et de l’histoire d’un lieu. Elle a également fait émerger la relation contemporaine qu’entretient les études prospectives du GrandParis avec les visions plus lointaines proposées dans les cas d’études. Cependant, que ce soit dans Renaissance, Remember Me ou bien Paris 2119, on remarque que les allusions au Paris du XIXème siècle et notamment aux transformations urbaines opérées sous le Second Empire sont nombreuses. À tel point qu’il convient désormais de s’interroger sur le rapport qu’entretient ces récits d’anticipation dystopiques avec ce XIXème siècle devenu éternel.

Ces travaux d’Haussmann ont eu non seulement un impact physique sur la ville et son organisation mais également un impact mental sur sa population et notamment sur les chefs de file de la science-fiction française à cette époque là. Nous allons donc en premier lieu dresser un état des lieux historique des imaginaires dystopiques apparus en parallèle de ces évenements majeurs. Ce travail de recherche et de recontextualisation nous permettra par la suite d’interroger les similitudes qui existent entre la production de cette période et celle de notre XXIème siècle. Nous verrons enfin que ces liens qui se développent dans les univers fictifs font également intervenir des questions sociétales beaucoup plus larges et sérieuses.

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Paris depuis ses origines Les ruines de Paris en 4875

jusqu’en l’an 3000

Paris au XXème siècle

Émile Souvestre

Ernest Louis Tavernier

Léo Claretie & Albert Robida

Jules Verne

1846

1875

1886

1894

Le monde tel qu’il sera

1870-1871

1883

Les ruines de Paris et

Le XXème siècle

de ses environs

Albert Robida

Antoine Liébert & Alfred Aunay

54

1890

1894

La vie électrique Albert Robida

La fin du monde Camille Flammarion

XIXème Siècle - XXème siècle

Les récits d’anticipation à tendance dystopique prenant Paris comme support semblent naître sous le Second Empire et les travaux d’Haussmann, période à laquelle la ville se développe et connaît son âge d’or. Les frises chronologiques qui suivent font apparaître la discontinuité de l’apparition de ces univers dystopiques au cours du temps dans le domaine artistique francophone (liste non exhaustive).

Malgré une production dense au XIXème siècle qui se prolonge jusqu’au début du XXème, elle disparaît pendant près de 50 ans pour ne réapparaître qu’à trois occurrences dans la seconde moitié du XXème. C’est par le biais de nouveaux outils de représentation et de grands noms de la cinématographie (Godart et Tati) ou de la bande dessinée française (Enki Bilal) qu’elle connaît un second souffle.

L’automobile et la guerre fu-

Alphaville, une étrange aventure

ture

de Lemmy Caution

La Trilogie Nikopol

Marquis de Dion & Albert Robida

Jean-Luc Godart

Enki Bilal

1906

1965

1912

1967

Paris en l’an 3000 Henri Maigrot

Jacques Tati

Playtime

55

1980

1992

Nikopol: la Foire La série de BD Polka Siro & Convard

1995

2005

Banlieue 13

Rendez-Vous à Paris

aux Immortels

Ultimatum

Enki Bilal

White Birds Productions

Patrick Alessandrin

2006

2008

2009

1999

2004

2006

Peut-être

Banlieue 13

Renaissance

Zone Cinglée

Cédric Klapisch

Pierre Morel

Christian Volckmann

Kaoutar Harchi

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2009

XXIème Siècle

Suite à ce renouveau de la fin du XXème s’enchaîne une période très fournie en terme de fictions s’établissant dans un Paris futuriste dystopique. En seulement 20 ans, on aperçoit une production aussi consistante si ce n’est voire plus qu’en un siècle et demi ! Cette intensité créative est comparable à celle de la deuxième moitié du XIXème siècle à la différence qu’elle bénéficie cette foisci de nombreux champs disciplinaires pour pouvoir s’exprimer et exulter : bande dessinée, longmétrage, long-métrage d’animation, roman, jeu-vidéo... Reste à savoir si cette période connaîtra elle aussi un arrêt ou si les angoisses de notre temps continueront à bercer indéfiniment les imaginaires pessimistes.

EgoVox,Tome 3

Holy Motors

Arès

Dans la Brume

Paris 2119

Céka & Yigaël

Leos Carax

Jean-Patrick Benes

Daniel Roby

ZEP & Bertail

2012

2012

2016

2018

2019

2010

2012

La Ballade de Trash Jeanne-A. Debats

2013

2017

2019

René

Remember Me

Bug,Tome 1

Bug,Tome 2

Disiz

Dontnod Entertainment

Enki Bilal

Enki Bilal

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Fig. 1. Gravure retouchée par Numa fils sur les incendies communards survenus à Paris en 1871

Fig. 2. Photographie d’un accident ferroviaire survenu à la Gare Montparnasse, 1895

58

aux racines de la dystopie parisienne Ville lumière, Paris s’est souvent vu adosser l’étiquette d’une ville figée dans le temps, une ville du XIXème siècle.

En ce qui concerne sa représentation picturale, cette intemporalité semble avoir inspirée l’œuvre de tous ceux qui s’y sont attaqués. L’univers uchronique

(1)

qu’a scénarisé et dessiné Jacques Tardi pour le film d’animation

Avril et le Monde truqué en est surement l’incarnation. Installée en 1941 dans un Paris resté au temps de la vapeur et du charbon, sous la gouvernance de Napoléon V, l’histoire fictive prend ici clairement racines dans la matérialisation littérale de cette subsistance propre au XIXème siècle. Dans un entretien qui lui ait accordé autour de Jacques Tardi justement, Jean-Pierre Arthur Bernard précise que « L’œuvre de Tardi [qui] vit, [...] semblet-il, dans cette intemporalité, [...] celle de ce qu’on appelle la modernité - le XIXe siècle dans sa seconde moitié – [...] installe la capitale, grâce à la littérature, dans le mythe moderne, aussi puissant que le mythe antique [...] et qu’il s’agisse de 1871 (avec Le Cri du peuple), de 1900 (avec Adèle Blanc-Sec) ou de 1950 (dans les adaptations de Léo Malet), [...] demeure dans la même temporalité, celle d’un XIXe siècle devenu éternel. » (2).

Et pour cause, c’est à cette période précisément que Paris connaît ses plus grands chamboulements urbains, marqués par de nombreuses destructions et restructurations d’îlots depuis les premières percées de Rambuteau jusqu’aux travaux du Baron Haussmann. Si cet effort a pour vocation de combattre l‘insalubrité faubourienne, elle crée toutefois une ambiance de dévastation qui marque les mentalités et choque l’opinion publique. Ce sont pourtant ces aménagements qui définissent encore aujourd‘hui les formes de la ville et l‘identité urbaine parisienne. En amont et en parallèle de ces métamorphoses spatiales s’opèrent également des drames, des accidents, des événements sociétaux et politiques qui embrasent le pessimisme propre à cette période: •

En mars 1832, l’épidémie de choléra née en Inde se propage à la capitale et fait presque 19000 victimes en l’espace de 6 mois. L’insalubrité de la ville couplée à un accroissement démographique important n’a pas aidé à la canaliser.

•

En mai 1871, suite à l’assiègement des prussiens, la commune se soulève face à l’armistice promulguée par Versailles et préfère brûler Paris plutôt que de la rendre. S’ensuit une série de mises à feu des différents lieux de pouvoirs au cœur de Paris.

•

En octobre 1895, un accident ferroviaire spectaculaire a lieu en Gare Montparnasse. Un train express venant de Granville cherche à rattraper son retard mais ne parvenant pas à stopper sa vitesse, il déboule à une vitesse de 40km/h, détruit le butoir en fin de quais et perce à travers le terre-plein et la façade.

« Dans la fiction, l’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé. “Uchronie’’ est un néologisme du XIXème siècle créé par Charles Renouvier fondé sur le modèle d’utopie, qui [...] étymologiquement [...] désigne [...] un “nontemps’’ , un temps qui n’existe pas. » < https://fr.wikipedia.org/wiki/Uchronie > (1)

BERNARD, Jean-Pierre Arthur. Le Paris de Tardi, un XIXème siècle éternel ? . « Sociétés et Représentations » (en ligne), no29, mai 2010, p.

41-49. < https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2010-1-page-41.htm > (2)

59

Fig 1. Huile sur toile, Fléau !, d’Henri-Camille Danger, 1901

Fig 2. François Nicolas Chifflart, Attaque de Notre-Dame illustrée pour Victor Hugo, 1876

Fig 3. Albert Robida, illustration pour André Muller, Ci-gît Lutèce, extrait du guide Joanne de l’année 3014, La Vie parisienne, Paris, 1914

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désacralisation de symboles Ces quelques drames paraissent énonciateurs d’un malheur propre à cette ville passée d’une structure médiévale à un statut de ville moderne en très peu de temps. Ils s’accompagnent, en complément, d’une ambiance ténébreuse liée au processus d’industrialisation qui rajoute des nuisances, marque le paysage et le quotidien des Parisiens. Malgré que la Belle Époque vienne frapper à la porte, les tensions restent palpables et nourrissent un peu plus l’imaginaire insatiable de ces illustres habitants devenus penseurs, peintres, écrivains, romanciers, poètes ou photographes : Gustave Doré, Albert Franklin, Albert Robida, Léo Claretie, Camille Flammarion, George Méliès, Alphonse Liébert, Louis Bonnier, Jules Adeline, Jules Verne. Ils rendent compte de cette période trouble, s’interrogent sur le devenir de Paris et lui associe une sombre destinée.

Les illustrations adossées rendent compte de cette représentation chaotique de la capitale. Paris est touchée immatériellement en son antre par la dégradation ou la destruction de ses symboles. On le voit notamment avec François Nicolas Chifflart et sa Notre-Dame attaquée de toute part pour l’illustration du roman de Victor Hugo (fig.2) ou bien avec Albert Robida et sa Tour Eiffel renversée (fig.3). Au sujet de cette dernière, Jean-Pierre Arthur Bernard considère qu’elle est le « stigmate d’un modernisme haï, [qui] fait souvent l’objet d’un règlement de comptes [et où] l’image s’en empare en général pour la malmener »

(1)

. Ainsi, intervient encore et

toujours cette notion de temporalité : les artistes, par le biais de leurs illustrations, semblent faire une critique de la modernité et de la vitesse par laquelle elle s’est imposée dans leur environnement. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec le romantisme français qui naît de son opposition au classicisme. Ainsi ces deux phénomènes sont tous deux issus d’une réaction, d’un rejet vis-à-vis d’un ordre ou d’un dogme pré-établi. Pour symboliser à quel point leur anticonformisme respectif s’aligne, il est intéressant de noter que les ouvrages romantiques sont le support privilégié d’un grand nombre d’illustrations dystopiques (ceux de Victor-Hugo figurant en tête de liste comme la fig.2 l’indique).

Au travers de ces visuels, c’est tout l’imaginaire qu’on se fait de la capitale qui se délite puisque ces monuments sont une personnification de l’âme de Paris aux yeux des artistes. Dans cette décadence matérielle et immatérielle d’une cité iconique, il y aurait finalement cette comparaison à faire vis-à-vis des cités antiques, leur grandeur et leur prédétermination à s’effondrer. Et ceci n’échappe pas à Jean-Pierre Arthur Bernard qui précise : « Dans l’idéalisation d’un Paris disparu il y a un versant athénien, quand la pensée et l’art étaient tout entiers empreints de noblesse et de gravité, on peut aussi y trouver un versant spartiate, quand les mœurs étaient austères et pures, fantasmes antagonistes et complémentaires d’un Paris-Athènes et d’un Paris-Sparte également imaginaires. » (2).

La peinture (fig.3) d’Henri-Camille Danger est représentative de ce discours : on y remarque un décor embrasé et ensanglanté, empreint de références architecturales antiques, et qui se trouve parsemé de cadavres.

(1)

ROUSSIER, Marianne. (2019). Le Voyage aux Ruines de Paris : un topos érudit, fantaisiste et satirique dans la fiction d’anticipation aux XIXème et XXème siècles. Belphégor [En ligne], mis en ligne le 16 avril 2019, < http://journals.openedition.org/belphegor/1953 > (2)

BERNARD, Jean-Pierre Arthur (2001). Les deux Paris : les représentations de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle, Seyssel, Champ vallon, p. 216

61

Fig 1. Jules Andrieu, Désastres de la Guerre, Hôtel de Ville, Galerie des Fêtes, vers 1870, Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa

Fig 2, 3, 4. Illustrations d’Henri Lanos pour Octave Béliard, Une Expédition polaire aux Ruines de Paris, Lectures pour Tous, Paris, 1911

62

Archéologie future Parallèlement aux destructions généralisées d’îlots par Haussmann, la semaine sanglante du printemps 1871 est l’autre évènement majeur qui vient renforcer et banaliser le sentiment d’un patrimoine en perdition. En effet, lors de celle-ci, de nombreux bâtiments parisiens se voient vandalisés, incendiés, détruits. Marianne Roussier, chercheuse associée à l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités ( UMR 5317 IHRIM ) et spécialiste de cette période, énonce dans un article que « Même si les lieux parisiens attaqués ne sont pas nécessairement des monuments de premier plan, leur agression reste perçue comme un attentat sacrilège contre un absolu patrimonial. » (1). Parmi ces monuments mineurs figurent tout de même : le Ministère des Finances, le Palais des Tuileries, le Palais de la Légion d’Honneur, la Porte Saint-Martin. Ironiquement, bien que le vandalisme choque, les ruines issues des décombres de la semaine sanglante font rapidement l’objet d’une étonnante fascination qui résulte dans les mots de Marianne Roussier en une forme de tourisme inédite : « Paris détruit : un oxymore qui résume ce choc improbable entre barbarie et civilisation, ce jamais-vu qui attire les touristes.» (1). Un tourisme qui a tout l’air d’un tourisme ordinaire puisque des ouvrages comme le Guide à travers les ruines : Paris et ses environs (2) sont produits afin de guider les visiteurs sur un parcours initiatique balisé.

Dans ce contexte de dégradation, ce sont en premier lieu les photographes qui participent à l’entretien de la mystification des ruines parisiennes, eux « dont l’œil a souvent été éduqué par les hiérarchies classiques des beauxarts » (3). En témoigne ce cliché prit par Jules Andrieu à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de ville entièrement calcinée (fig.1). Ainsi, ils ne voient pas dans cet état une fatalité mais bien au contraire une opportunité artistique « digne de la ruine antique [où l’on] photographie les murs calcinés des palais de l’Empire comme l’on photographie les vestiges archéologiques de Rome, Naples ou Athènes. »

(3)

. Ceux qui favorisent l’illustration, la gravure ou la

peinture vont cependant emmener le concept un peu plus loin en inscrivant leur créativité au profit de l’anticipation. En se projetant dans un temps futur, ils imaginent que l’on reviendrait découvrir Paris, cette « ville perçue comme disparue dans son actualité triomphante » (1). La nouvelle d’Octave Béliard intitulée Une expédition Polaire Aux Ruines De Paris et illustrée par Henri Lanos (fig.2,3,4) en résume bien la démarche (4). L’histoire se déroule durant une période de glaciation qui pousse les humains à partir se réfugier dans des hémisphères plus chauds. L’expédition scientifique qu’entament trois scientifiques est le prétexte établi pour redécouvrir les vestiges d’un Paris glacé. Ils y découvrent à leur grande surprise, un peuple de troglodytes s’étant réfugié dans les profondeurs de la ville pour survivre.

(1)

ROUSSIER, Marianne. (2019). Le Voyage aux Ruines de Paris : un topos érudit, fantaisiste et satirique dans la fiction d’anticipation aux XIXème et XXème siècles. Belphégor [En ligne], mis en ligne le 16 avril 2019, < http://journals.openedition.org/belphegor/1953 > (2)

HANS, Ludovic & BLANC, J.J. (1871). Guide à travers les ruines: Paris et ses environs, Paris, A. Lemerre, 116 p.

(3)

PECCADILLE, L’esthétique de la ruine. Paris, 1871, photographies des lendemains de la Commune, « Orion en aéroplane » (en ligne), 15 septembre 2014. < http://peccadille.net/2014/09/15/photographies-commune-paris-1871/ > (4)

BÉLIARD, Octave (1911). Une expédition Polaire Aux Ruines De Paris, « Lecture pour tous », Juin 1911, Numéro 9, p. 797-808

63

Fig. 1. Gérard Seguin, Illustration pour Les Voies Intérieures; et les rayons et les ombres de Victor Hugo, 1868

Fig. 2. Edouard Riou, À l’Arc de Triomphe, illustration pour la nouvelle édition des œuvres complètes de Victor Hugo, Paris, Hetzel, 1880

Fig 3. Vue de l’Arc de triomphe. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.78

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un illustre exemple La nouvelle d’Octave Béliard, sorte d’hommage à Jules Verne et Victor Hugo, est caractéristique de la production dystopique de cette période. Dans la capitale ensevelie sous la neige, seuls les monuments parisiens s’extirpent du paysage et sont reconnaissables. Encore une fois, la dégradation des monuments apparaît comme l’outil de prédilection pour convaincre et immerger le lecteur efficacement dans un état futur de la civilisation.

En revanche, contrairement aux exemples d’illustrations précédemment abordés, on note l’apparition de deux nouveaux outils pour renforcer la crédibilité de l’anticipation : la présence d’un aéroplane (invention encore récente pour cette période) et l’idée d’une catastrophe climatique pour justifier la migration de l’humanité.

Qu’en est-il des cas d’études dystopiques du XXIème siècle ? Présentent-ils des similitudes, tant dans le fond que la forme avec les visions futuristes développées un siècle avant eux ? Le reste de cette partie se propose de l’étudier en décrivant et comparant des images portant sur des éléments convergents.

La construction de l’Arc de Triomphe, décidée par Napoléon 1er en 1806 et achevée en 1836 sous Louis-Philippe, est représentative de l’impact temporel qu’un tel chantier peut avoir sur ses quartiers juxtaposés et leur population. Situé à la croisée du 8ème, 16ème et 17ème arrondissement, cet édifice colossal se voulait être le lieu de commémoration par excellence pour célébrer les victoires militaires françaises depuis la Bataille d’Austerlitz.

S’il n’a pas toujours fait l’unanimité au sein des régimes l’ayant fait construire, son imposante stature en a fait un monument incontournable du paysage touristique parisien et donc un objet privilégié à triturer dans les imaginaires visuels dystopiques.

Les deux illustrations adossées (fig. 1 et 2) s’inscrivent dans cette lignée propre au XIXème siècle où l’on représente un état très lointain de l’humanité : on pourrait par exemple citer Albert Franklin qui en 1875, publie son ouvrage intitulé Les Ruines de Paris en 4875. Dans ces images, l’Arc de Triomphe se retrouve ainsi à l’état archéologique, dégradé plutôt par « la patine du temps [que par] la violence des hommes » (1). La végétation y est pléthorique puisqu’elle investit la Place de l’Étoile et reprend ses droits sur l’objet monolithique jusqu’à son sommet. Dans la bulle de Paris 2119, qui se situe dans un futur plus proche, la Place de l’Étoile semble cette fois-ci très minérale et investie d’abris de 1ères nécessité sculpturaux. Le monument est quant à lui découpé en deux : une partie à gauche où la façade est infectée de pics obscures comme si l’architecture était atteinte d’une sorte de virus, et une partie à droite où la façade est rayonnante et intacte. Il est important de noter que le monument est entouré d’un contexte urbain dans la figure 3 alors qu’il se trouve complètement isolé dans les figures 1 et 2. Malgré ces différences, les visions prospectives semblent toutefois présenter le monument comme étant un élément scénographique indispensable peut importe les scénarios et la temporalité qu’on soumet à la ville. Marianne Roussier, de manière poétique, va jusqu’à penser qu’il « offre aussi une forme de présence consolatrice et sublime » (2) qui rassure tout en offrant un point de repère au milieu de ces univers défaitistes.

(1)

ROUSSIER, Marianne. (2019). Le Voyage aux Ruines de Paris : un topos érudit, fantaisiste et satirique dans la fiction d’anticipation aux XIXème et XXème siècles. Belphégor [En ligne], mis en ligne le 16 avril 2019, < http://journals.openedition.org/belphegor/1953 >

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Fig 1. Paris Futur, Les Grands Boulevards. Carte postale colorisée d’anticipation représentant Paris et ses moyens de transport dans le futur. 1905. Auteur anonyme. © IM/Kharbine Tapabor

Fig 2. Illustration d’Henri Lanos pour L’automobile reine du monde du Marquis De Dion. Revue « Je Sais Tout » N°14. 15 Mars 1906.

Fig 3. Illustration d’Albert Robida - Les Tubes.

Gare du Tube du Sud à Paris

Fig 4. Illustration d’Albert Robida - Paris la nuit (1883)

Fig 5. Illustration d’Albert Robida - La sortie de l’opéra en l’an 2000 (1883)

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les parallèles dans l’anticipation Nous avons jusqu’à présent soulevé une partie très spécifique de la production dystopique de cette période, à savoir celle qui anticipe un futur très lointain, où une forme de cataclysme aurait réduit à néant nos villes et notre civilisation. Dans ce contexte post-apocalyptique, seule la survie de certains bâtiments illustres du Paris au XIXème siècle conserve un témoignage amer de notre présence sur terre. Cette première forme de dystopie s’est avant tout développée en opposition à la politique urbaine du Second Empire et à sa gestion du patrimoine. Afin d’approcher d’autres sujets que celui de la ruine anticipée, la suite des exemples se focalisera sur l’autre versant de l’anticipation parisienne : celle qui puise dans les défauts de la société industrielle et des nouvelles découvertes scientifiques et techniques pour extrapoler des visions du XXème siècle.

Produit des révolutions industrielles du XIXème siècle, les transports démocratisent les sciences et techniques à l’échelle de la ville entière. Ils changent le rapport que les gens possèdent avec l’espace public. Désormais, avec la multitude des moyens de mobilité et leur différence de vitesse, la voirie risque de devenir plus dangereuse.

Le photo-montage futuriste réalisé sur un grand boulevard parisien (fig.1) en 1905 dépeint bien cette crainte.

On y aperçoit un accident au premier plan survenu entre une cycliste et un automobiliste et l’encombrement que cela génère. On note également l’apparition de nouvelles mobilités aériennes puisque le ciel est rempli d’un téléphérique, d’un zeppelin, d’une montgolfière et d’une sorte de cycliste volant. Ce patchwork d’idées fait référence à tout le travail prospectif réalisé en amont par des artistes et écrivains comme Jules Verne avec Paris au XXème siècle (1863) ; Albert Robida et sa trilogie d’anticipation : Le Vingtième Siècle (1883), La Guerre au vingtième siècle (1887), Le Vingtième Siècle ou encore son ouvrage La Vie Électrique (1890) ; Henri Lanos et le Marquis de Dion avec leur article l’Automobile Reine du Monde (1906).

Au-delà de la décadence sociale, politique et économique présente au sein de ces anticipations, les artistes prophétisent déjà tous l’omniprésence et la banalisation de l’automobile comme locomotion terrestre la plus répandue. On en voit un exemple avec cette illustration d’Henri Lanos qui montre la congestion de ce mode de transport du futur (fig.2). Étant tous au courant des dernières avancées techniques de leur temps, ils expérimentent également des nouveaux modes de transports que la société de 1950 ou 1960 utiliserait régulièrement: « Nous passions devant les ascenseurs de la station aérienne du boulevard Haussmann. Que de monde! A mi-hauteur, les uns prenaient les tubes électriques banlieusards pour Rouen, Tours ou Compiègne, les autres montaient jusqu’à l’embarcadère des aéronefs de Breta­gne, de Normandie, des Vosges ou du Midi. »

(1)

. Dans cette nouvelle,

Albert Robida imagine une coexistence de plusieurs modes de transports fantaisistes qui va des tubes électropneumatiques (fig.3) jusqu’aux aéronefs et autres objets volants bénéficiant des toitures parisiennes comme quais d’amarrage (fig.4 et 5). Cette richesse des possibles est-elle aussi présente dans les cas d’études ?

(1)

ROBIDA, Albert (1908). L’automobile en 1950. « Annales politiques et littéraire » N° 1331, 27 Décembre 1908

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2054

Fig 1. Vue de la voiture Citroën lors d’une course-poursuite sur les quais. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 0h36m38s

2084

Fig 2. Visuel des canaux. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

2119

Fig 3.4.5. Les transports collectifs et individuels. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.11 - p.19 - p.33

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l’enjeu de la mobilité Le Néo-Paris de 2054 ne pousse pas la question des transports plus loin que de réactualiser la situation existante. En effet, les voitures sont toujours présentes en nombre dans le centre-ville (fig.1) et le métro est toujours actif. La sensation futuriste passe alors par la subtilité du design et des détails tant pour les voitures que pour le mobilier urbain. Les équipes artistiques de Renaissance ont d’ailleurs travaillé conjointement avec les équipes de design et d’ingénierie de Citroën pour imaginer une anticipation cohérente de ce point de vue là. Lors d’une discussion avec Gilles Ciment au Forum des Images, Christian Volckmann évoque la manière de fonctionnement de Citroën qui est assez similaire de la leur : « les designers travaillent eux-même dans cette projection du futur. Quand une voiture sort, elle a déjà été conçue 5-6 ans auparavant dans les ateliers » (1). Les services de création au sein des fabricants de voitures réfléchissent ainsi à des scénarios prospectifs comparables à ceux de la science-fiction, en anticipant : les attentes esthétiques qui pourront exister à une période prédéterminée, les technologies qui devraient se développer entre temps ...

Dans Remember Me, les différentes strates urbaines et socio-économiques ont de par leur fonction et leur position dans la ville un rapport singulier avec des formes de transports adéquates. L’anticipation de la mobilité y est donc rigoureuse et cohérente sans pour autant innover. Dans le High-Paris, les classes dominantes et dirigeantes utilisent des vaisseaux aériens pour facilement pouvoir se déplacer de tours en tours sans rencontrer le peuple. Le choix du transport véhicule ainsi une forme de communautarisme et de discrimination sociale puisque les gens aux pouvoirs ne restent qu’entre eux et les personnes ne disposant pas des bonnes autorisations sont vouées à rester à leur place. Au sein du Mid-Paris qui se rapproche le plus du Paris actuel, le déplacement s’effectue soit à pied dans les espaces immergés proches du centre historique muséal, soit par barques dans les espaces périphériques où la gestion de l’eau n’est pas maîtrisée et où les habitations s’agrègent au bord des canaux (fig.2). Enfin, le Deep-Paris ne se fait évidemment qu’à pied puisqu’il regorge d’endroits souterrains difficiles d’accès.

Au sein du Paris en 2119, comme l’annonce ZEP dés les premières pages (fig.3), « Plus personne ne se déplace [en métro]. À part quelques touristes. Plus personne ne se déplace physiquement d’ailleurs... depuis cette saloperie de Transcore. » Le métro est donc toujours actif mais uniquement les nostalgiques et les réfractaires l’empruntent.

Les gens préfèrent utiliser des cabines de téléportation appelées Transcore qui sont présentes un peu partout dans la ville, tant sur des grandes places publiques comme la Place des Victoires dans le 1er arrondissement (fig. 4) qu’au rez-de-chaussée de son immeuble en lieu et place des actuels ascenseurs haussmanniens (fig.5).

Les artistes procèdent ainsi à la fois à une volonté de préserver un système de transports publics déjà existant mais d’imaginer en supplément une concurrence avec la mise en place d’un nouveau dispositif technologique avancé, dont l’enjeu et le fonctionnement sont d’ailleurs au cœur de l’intrigue.

(1)

CIMENT, Gilles & VOLCKMANN, Christian. Conférence-Discussion autour du film Remaissance, Forum des Images, 6 juin 2007. Extrait situé à 1h02m15s - 1h02m50s. < https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/toutes-les-rencontres/renaissance-de-christian-volckman >

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Fig 1. Sur les Toits, Illustration d’Albert Robida dans le Vingtième Siècle, 1883

Fig 2. Vue de l’espion transparent depuis une toiture. Volckmann, Christian (2006). Renaissance.

0h27m52s

Fig 3. Vue de Tristan sur les gouttières de son appartement. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.43

Fig 4. Vue de Nilin escaladant les toitures.

Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

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les toitures, un terrain de jeu onirique Loin des profondeurs abyssales du souterrain parisien ou du vacarme des rues, les toitures ont toujours constitué un espace cognitif à part entière dans la vie parisienne. Les tentatives de les inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco en 2015 en dit long sur leur importance dans la conscience collective. Au-delà de sa fonction première d’ordre pratique (assurer l’étanchéité du bâtiment), la toiture constitue un réel belvédère sur l’environnement proche et lointain. La hauteur similaire des bâtiments haussmanniens permet en plus de déporter la topographie du sol au ras des toitures et à la vue de tous. On se rend compte ainsi de la géographie parisienne par un simple regard : en ayant nos yeux rivés sur l’horizon dessiné par cette succession et chevauchement de toitures, on prend conscience des changements topographiques propres à chaque quartier de la ville. Par ce biais immédiat, les citadins s’associent spatialement à leur ville et font corps avec elle, ce qui confère aux toitures un prisme éducatif important.

Ayant perpétuellement inspiré un nombre pléthorique de poètes, écrivains, photographes, peintres, cinéastes, cette 5ème façade nourrie la créativité de ceux qui entreprennent de la représenter. Dans les anticipations futuristes mettant en exergue Paris, elle devient un support de narration à part entière : « Dans les villes futures décrites avec brio par nos anticipateurs, le ciel est sillonné par un ballet incessant de véhicules aériens de toutes sortes.

L’architecture démesurée se compose d’immeubles immenses dont les toits font office de pont d’envol où des engins divers et variés déversent un flot continu de passagers. Les transports aériens avec son cortège d’aérocabs, aérochalets, omnibus aériens, sont le moyen le plus sûr de se déplacer dans un monde frémissant et bouillonnant, envahi par un progrès qui ne cesse de transformer notre vie » (1). Dans ces visions futuristes, l’ensemble des toitures ne constitue plus un « océan inerte de zinc et d’ardoise » (2), elle accueille un tout autre usage à savoir le stationnement des transports aériens. C’est un geste fort et innovant pour l’époque : on exulte de chez soi et entame son quotidien en allant côtoyer les cieux pour bénéficier d’une vision périphérique de Paris. En revanche, cet espace alternatif qui concurrence les rues et commerces au niveau des trottoirs devient par la force des choses un nouveau porte-étendard du capitalisme et du monde publicitaire qui lui est associé (fig.1).

Dans les cas d’études, ce rapport aux toitures est moins fantaisiste. Elles ne sont utilisées qu’au cours du déplacement des protagonistes et servent donc un rôle bien plus limité et conventionnel que dans les fictions inventées par Albert Robida. Le transport aérien n’étant pas le moyen de mobilité principal dans les Néo-Paris, les toitures se retrouvent dépourvues d’un second usage. Elles incarnent avant tout un dispositif scénographique qui permet de donner de donner une possibilité aux personnages de s’échapper d’un endroit (fig.3), d’espionner sans attirer l’attention (fig.2) ou bien de parcourir la ville librement en escaladant ses bâtiments (fig.4).

Ce terrain de jeu complémentaire à l’enrobé des trottoirs offre une alternative pour dérouler l’action sans transcender son usage. Ainsi, l’anticipation se veut beaucoup plus mesurée et réaliste dans ces cas d’études que l’imaginaire débordant d’enthousiasme et d’ingéniosité des artistes du XIXème siècle.

(1)

ANONYME. Dossier Illustrations: « La Station Centrale Des Aéronefs » Par Albert Robida. « Le Chasseur des Chimères » (en ligne), 10 Mars 2012. < http://merveilleuxscientifiqueunblogfr.unblog.fr/2012/03/dossier-illustrations-la-station-centrale-des-aeronefs-par-albert-robida/ > (2)

CHABERT, Chrystel. Toits de Paris : un «océan» de zinc et d’ardoise au patrimoine de l’Unesco ? . « France Info Culture » (en ligne), 9 Février 2015. < francetvinfo.fr/culture/arts-expos/toits-de-paris-un-ocean-de-zinc-et-d-ardoise-au-patrimoine-de-l-unesco_32939.html >

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Fig 1. Le Théâtre chez soi par le Téléphonoscope, Albert Robida, Le Vingtième Siècle, Paris, Georges Decaux, 1883, p. 56

Fig 2. Les Parisiens assistant par le Téléphonoscope aux horreurs du sac de Pékin, Albert Robida, op.cit. , p. 200

Fig 3. Le centre commercial sous le parvis de Notre-Dame. Volckmann, Christian (2006). Renaissance. 0h37m50s

Fig 4. Les drones et leur suggestion de plats, Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 5.6. Les hologrammes et policiers hypersoniques. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.13 - p.72

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intrusivité futuriste Participer à la création d’un univers fictif revient à penser à toutes ces petites idées, créations ou détails qui rendent l’immersion la plus complète possible. Dans le monde de la prospective, ces ajouts qui ne sont pas à priori indispensables au déroulé de la narration principale ne demeurent pas pour autant des gadgets tant ils permettent de crédibiliser le futur et d’en approfondir son contenu. Cette apparition d’éléments secondaires est intemporelle puisqu’on la retrouve tant dans les œuvres d’Albert Robida ou d’Henri Lanos que dans Renaissance, Remember Me ou bien Paris 2119. Les questions qui restent alors à poser sont les suivantes : sous quelle forme ces intrusions apparaissent-elles et que traduisent-elles à l’échelle de la société ? Bercés par les découvertes scientifiques perpétuelles de leur époque, Albert Robida s’inspire de la moindre recherche pour esquisser les objets de demain. En 1880, l’ingénieur Maurice Blanc énonce les principes de la télévision telle que l’on la connaît aujourd’hui avec l’invention d’un analyseur d’images. 3 ans plus tard, Robida imagine un écran circulaire dénommé le Téléphonoscope qui transmet des images, dans le cadre d’un divertissement privé (fig.1) mais aussi public avec son apparition dans les rues de Paris à la vue de tous (fig.2).

Au cours du film Renaissance, l’intrusivité futuriste se traduit avant tout par le design d’objets ou la transformation de lieux clés de Paris : le parvis et les quais de Notre-Dame deviennent un grand centre-commercial surmonté d’une verrière gigantesque (fig.3) ; la butte du Sacré-Cœur est densifiée et métamorphosée, les affiches de publicité sur les quais du métro sont remplacées par des écrans... Dans Remember Me, c’est avant tout le concept du Sensen qui est innovant même s’il rappelle en partie le dispositif « Squid » utilisé dans le film Strange Days (1). Établi dès les prémisses du scénario, cet implant qui est situé à l’arrière de la nuque permet de digitaliser sa mémoire, ses souvenirs, de les partager voir de les supprimer. Parallèlement à ce système, on retrouve également dans les espaces publics des dispositifs plus communs comme des drones, écrans ou popup publicitaires qui interagissent avec le personnage (fig.4). Enfin, dans Paris 2119, on aperçoit une variété de dispositifs qui ponctuent la découverte du Néo-Paris : un hologramme de requin surplombe les trottoirs des Champs-Élysées (fig. 5) et certains policiers sont équipés d’une combinaison spéciale qui les propulsent à une vitesse drastique (fig. 6). D’autres exemples sont aussi apparus précédemment comme les capsules de téléportation ou les systèmes de reconnaissance faciale à l’entrée des immeubles ou du métro.

Si nous avons vu que ces éléments intrusifs sont chez Robida et Lanos d’une ingéniosité sans précédent pour la période à laquelle ils sont révélés, les cas d’études du XXIème siècle ne font, eux, que ressortir des idées de la science-fiction de la fin du XXème siècle. Ils communiquent néanmoins une sensation d’omnipotence des objets technologiques qui permet de servir au récit dystopique : les multinationales se servent de ces outils pour pouvoir contrôler la population jusque dans son intimité la plus profonde.

(1)

Strange Days est un film d’anticipation dystopique sorti en 1995 et réalisé par Kathryn Bigelow. Il appartient comme Remember Me au courant cyberpunk. On y retrouve une technologie « Squid » qui à l’aide de sondes, analyse ton flux cérébral et te permet d’enregistrer tes souvenirs à la première personne. Ces souvenirs sont ensuite injectés dans une sorte de cassette que d’autres personnes vont pouvoir acheter et visionner. Le trafic de souvenirs est présenté dans le film comme une économie underground, un black market qui est au cœur des péripéties narratives.

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Fig 1. Vue panoramique sur la zone de Saint-Ouen, 1940. Tirage argentique. Photographe anonyme.

Fig 2. La Zone, Porte de Choisy, 1940. Tirage argentique. Photographe anonyme.

Fig 3. Baraque sur la zone de Saint-Ouen, 1940.

Tirage argentique. Photographe anonyme.

Fig 4. Visuel des favelas au bord du Mériphérique. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 5. Vue des dortoirs individuels aux Puces de Saint-Ouen. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.74

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aux confins de la réalité La science-fiction n’est pas seulement un acte d’artifice créatif détaché de tout contexte ou vérité. Elle convoque souvent des situations qui ne nous étonnent pas tant que ça puisqu’elles sont déjà apparues au cours de l’histoire sous d’autres formes. Les univers des cas d’études dystopiques ne sont pas exempts de cette réalité et on peut le remarquer avec l’apparition de nouvelles zones d’habitat populaires et précaires. Que ce soit dans Remember Me avec les baraquements qui s’accolent au Mériphérique (fig.4) ou dans Paris 2119 avec les dortoirs/capsules de Saint-Ouen (fig.5), la misère est omniprésente et occupe une place importante dans la représentation du Néo-Paris. Cette représentation des zones défavorisées s’effectuent encore et toujours en bordure de la ville, loin des espaces historiques et culturels du centre de Paris. Cette forme de constance dans l’imaginaire urbain de la société du futur force la comparaison avec le passé et notamment tous ces bidonvilles qui se sont installés en lisière de Paris.

L’un des plus marquants a été « La Zone » : un bidonville à ciel ouvert qui couvrait la bande de terrains vagues s’étalant le long des 34 km de fortifications érigées autour de Paris en 1844 avec l’Enceinte Thiers.

Quand on regarde spécifiquement la composition organique et chaotique des favelas dans le jeu-vidéo, on ne peut s’empêcher de penser aux photographies prises de cette Zone (fig.1,2,3). Ces photographies argentiques, prises anonymement et exposées lors d’une exposition en 2018 (1), montrent l’immensité de ce bidonville qui devenait un univers à part entière en bordure de Paris. Large de 250 m, ce territoire était originellement une zone militaire inconstructible qui permettait de laisser un champ dégagé à l’artillerie, mais très vite, ce système de défense de la capitale s’est avéré inefficace et fut abandonné. La population démunie de l’époque, exclue de la ville et de ses logements, en a donc profité pour s’y installer. On compte jusqu’à 40 000 personnes qui y auraient habité au cours de l’entre-deux guerres. Il faudra attendre le régime de Vichy pour que les expulsions commencent et c’est réellement avec la construction du périphérique dans les années 1960 que ces bidonvilles insalubres qui inquiétaient la bourgeoisie vont être rasés.

Cette résurgence des problématiques urbaines et sociales d’autrefois dans les œuvres de science-fiction montrent à quel point c’est un sujet universel auquel l’humanité sera perpétuellement confronté. Au-delà du désespoir que ces îlots de pauvreté représentent, les photographies et visuels font toutefois apparaître une forme de brio constructif. Elles offrent également des renseignements précieux sur les manières d’habiter d’antan et du futur qui ne sont finalement pas très éloignées. Elles symbolisent aussi un art de la récupération des matériaux et une liberté de construire qui échappe aux normes urbaines de leur époque respective. L’exemple de Paris 2119 (fig.5) et des capsules-dortoirs est particulièrement intéressant car il démontre que ces zones ne sont pas figées quant à leur représentation. Peu importe la temporalité qui leur est rattachée, elles constituent une source d’inspiration en perpétuel renouveau et ce, même au sein d’un chaos urbain, car l’architecture autodidacte s’y étend de façon incontrôlée et sous de nombreuses formes.

(1)

GRANIER, Anne. La Zone, Exposition à la Galerie Lumière des Roses, du 26 septembre au 8 décembre 2018.

75

Fig 1. Exemples de gabarits-enveloppes en bordure de voie selon la nature du filet de couleur. Figure 10 extraite du Plan Local d’Urbanisme. Approuvé par délibération du Conseil de Paris des 4, 5, 6 et 7 juillet 2016.

Fig 2. Gabarit-enveloppe en vis-à-vis sur un même terrain. Figure 17 extraite du Plan Local d’Urbanisme. Approuvé par délibération du Conseil de Paris des 4, 5, 6 et 7 juillet 2016.

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Les antécédents d’une restriction Si ces bordures du Néo-Paris échappent à toutes formes de réglementation urbaine, qu’en est-il du cœur historique ou de toutes ces zones de Paris marquées par l’Haussmannisation ? Mais avant de se plonger dans ce que propose les cas d’études, il est d’abord important de revenir sur l’état actuel des formes urbaines générées par Haussmann et la réglementation qui les encadre.

Comme le rappelle Usbek et Rica dans un article, « 60 % du tissu parisien actuel a été construit entre 1850 et 1914, par le baron Haussmann et ses successeurs.»

(1)

. Dire que Paris est une ville figée dans le XIXème siècle

comme nous avons pu l’énoncer dans les sous-parties précédentes n’est donc pas si aberrant puisque cette statistique prouve que son essence urbaine physique date de cette ère là. Sa densité ne rime pas avec une hauteur imposante de construction mais s’opère plutôt par la compacité de ses îlots haussmanniens ainsi qu’un coefficient élevé d’occupation du sol au détriment des espaces libres. Étant donné que ces îlots constituent la majeure surface de la ville, cette compacité entraîne une homogénéisation du tissu urbain parisien au grand désintérêt des contextes parfois uniques de chaque quartier. Cette addition d’éléments font que Paris est aujourd’hui marquée par une « densité intra-muros [qui figure] parmi les plus élevées au monde » (21 154 hab/km2), bien devant Tokyo (13 500 hab/km2) ou encore Londres (5 700 hab/ km2).

Usbek et Rica précise également que « Cent ans après, le schéma haussmannien est un modèle de résilience ».

Cette résilience est en effet toujours d’actualité car les textes de lois encadrant sa réglementation sont très protecteurs et rigides. Il est intéressant de noter que le gabarit haussmannien régit encore aujourd’hui le règlement du Plan Local d’Urbanisme ( PLU ) bien qu’il ait été établi il y a un siècle et demi. Toutes les nouvelles constructions y sont confrontées et doivent s’y soumettre. On peut par exemple citer dans le PLU le cas du gabarit-enveloppe en bordure de voie qui, en fonction de la largeur de la rue et du quartier, détermine un volume maximal que la nouvelle construction ne doit pas dépasser (fig.1). Cette règle, malgré les différentes solutions architecturales qu’on peut lui apporter dans un projet, impose tout de même une esthétique et une identité volumique qui se calque sur Haussmann. Prenons un autre exemple : le calcul des prospects que doit répondre toute nouvelle construction sur un même terrain dans sa profondeur ou largeur (fig.2). Cette règle régule le volume maximal d’un bâtiment ou d’une extension en fonction de son vis-à-vis et son espacement avec lui. Même si elle permet aux nouvelles constructions d’avoir un bon ensoleillement dans les premiers étages et une meilleure qualité de vie au sein d’îlots déjà très compacts, elle empêche une hétérogénéité des hauteurs à l’échelle de la ville et impose une déclivité des volumes depuis la rue jusqu’au fond de parcelle. En plus de définir son volume général et d’entretenir un archétype d’antan, le gabarit haussmannien contrôle donc la hauteur générale des constructions futures et maintient une forme d’horizontalité sur la silhouette urbaine future. Mais si cette homogénéité peut paraître réductrice, elle a pourtant de tout temps constitué le charme propre à cette ville. Qui ne s’est pas déjà trouvé à hauteur de toiture à admirer le paysage urbain parisien dans sa profondeur et son immensité ?

(1)

USBEK & RICA. Et si on parlait de densité urbaine ?. « Demain la ville » (en ligne), 9 octobre 2017. < https://www.demainlaville.com/ parlait-de-densite-urbaine/ >

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Fig 1. Vue des excroissances vitrées sur le toit des immeubles haussmanniens. Volckmann, Christian (2006). Renaissance.

Fig 2. Les Galeries Lafayette transformées. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.20

Fig 3. Un immeuble néo-haussmannien classiique. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

Fig 4. Des bâtiments haussmanniens hybrides. Dontnod Entertainment (2013). Remember Me. Capcom

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le territoire de l’émancipation Paris n’est donc pas seulement une ville dont l’imaginaire urbain reste figé dans le XIXème siècle puisque les règlements et codes d’urbanisme régissant les nouvelles opérations le sont aussi. En laissant le gabarit-enveloppe ou le prospect faire loi, la ville ne connaît que rarement une diversité dans ses formes urbaines et ses changements de verticalité. Toujours dans le même article, Usbek et Rica annonce que « L’îlot [haussmannien] tel qu’il a été conçu et systématisé résiste au temps et au changement en évoluant sur lui-même. Le bâtiment a survécu à l’arrivée de l’ascenseur qui a revalorisé les derniers étages les plus lumineux. Il a prouvé son adaptation aux critères environnementaux contemporains grâce à l’isolation thermique de la pierre de taille. Il a su se transformer d’habitat à bureau et inversement selon les besoins. ». S’il s’est réinventé en changeant de fonction ou en se transformant de l’intérieur, personne ne sait s’il continuera de survivre dans les décennies et siècles qui suivront. Comment ces récits d’anticipation se sont-ils positionnés face à ce défi ? Se sont-ils émancipés des données conventionnelles et institutionnelles ou les ont-ils perpétuées à leur tour ?

Comme nous l’avons vu dans la première partie du mémoire, les visions urbaines que proposent Renaissance et Paris 2119 ne sont finalement pas si éloignées l’une de l’autre. Elles anticipent un état de Paris où la morphologie haussmannienne, tant spatiale que volumique, régit encore l’urbanisation de la ville. Les créateurs procèdent alors à des soupçons de futurisme par-ci par-là, dans le design des objets, des lumières, des voitures, des ambiances pour crédibiliser leur univers. Il leur arrive cependant de proposer des petits changements architecturaux notables comme le changement de densité qu’on avait pu observer pour le quartier de Montmartre dans Renaissance ou l’ajout de sculptures brutalistes à certains monuments ou espaces publics dans Paris 2119.

Outre ces exemples, ils réinventent aussi l’immeuble haussmannien de différentes façons : intérieurement par la transformation d’édifices notables comme les Galeries Lafayette et leur reconversion en siège social d’entreprise (fig.2) ou par l’ajout de serres ou extensions au-dessus des immeubles haussmanniens (fig.1).

Dans Remember Me, l’approche est radicalement différente avec l’exubérance des gratte-ciels qui changent complètement l’aspect historique de la capitale. Cette multiplication de tours est décontextualisée tant elle pourrait se trouver dans n’importe quelle métropole mondiale. Mais le travail artistique ne s’est pas cantonné à ça et propose aussi une sacré innovation quant au devenir des immeubles haussmanniens. Par leur vision, ils ont cherché à combattre le destin immuable qui leur est associé dans les autres cas d’études. On remarque d’une part des tentatives où l’aspect d’un immeuble classique a légèrement été modifié (fig.3) par l’ajout d’une baie vitrée verticale en façade qui vient rendre transparent la cage d’escalier et d’ascenseur. On note à l’inverse des métamorphoses plus profondes qui changent complètement l’identité haussmannienne sur ses façades : des greffons architecturaux aux courbes futuristes viennent recouvrir les bâtiments dans leur intégralité et modifient la trame des ouvertures classiques (fig.4). Ces changements, qui s’apparentent fortement à l’architecture de Zaha Hadid, réinventent tant le rapport à la rue que le rapport vertical avec des nouveaux étages et terrasses en surplomb. Même si l’avenir dépeint dans Remember Me n’est pas radieux, l’esthétique prononcée des visuels montrent un désir d’aller plus loin que le propos dystopique et de réinventer ce que peuvent être les bâtiments parisiens de demain, plus que simplement des ruines.

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« Il existait maintenant deux Paris.

Paris I, comme on l’appelait celui des Tours, des ministères et des sociétés anonymes ... dont les profondeurs étaient capables de résister à l’atome le plus virulent comme un incendie, à l’eau, aux rats, aux termites, aux scorpions, aux bactéries et à la poussière dont on traquait le moindre grain. Le monde des affaires occupait ce qu’on nommait jadis La Défense, en bien plus grand : le pouvoir politique siégeait à Saint-Denis.

Il y avait Paris II, Paris des jardins, des monuments, des musées, Paris de la Seine et des ponts, Paris de l’air de Paris. On avait décidé d’y diminuer très fort l’électricité publique : la nuit écologique avait habillé l’affaire. Du coup, la Ville lumière était devenue la Ville pénombre, la Ville abat-jour tamisée. Et ça lui allait bien au teint, ce maquillage léger d’ambre lunaire. »

BERNARD, Jean-Pierre Arthur (2012). Paris en 2040, Paris, Parigramme, 4ème de couverture

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conclusion

Les comparaisons répétées à l’antiquité, vues avec Jean-Pierre Arthur Bernard notamment, permettent d’inscrire Paris dans une mémoire collective transcendant les âges. Malgré les nombreuses anticipations visuelles et narratives dans la seconde moitié du XIXème siècle qui pensent l’après-modernité, il y aurait comme une finalité à l’évolution de Paris, comme si tout état futur ne serait plus que le Paris d’autrefois dont les artistes font scintiller la nostalgie. Est-il possible de s’émanciper totalement de cette intemporalité ?

Quelle image veut-on préserver de cette ville mondiale iconique ayant écumée une grande partie de l’histoire de l’humanité ? Le lien autour de la gestion du patrimoine et de sa conservation sont inhérentes à ces réflexions. Doit-on mettre Paris sous cloche comme ce qui a été voulu politiquement depuis de nombreuses décennies ou doit-on opérer à des changements autres que le Grand Paris, en particulier sur le cœur de ville et sa densité en vue de combattre l’étalement urbain et la transformation profonde du territoire ? Ces cas d’études permettent en tout cas de se poser toutes ces questions concrètes mais avec un certain détachement et une grande liberté. Il est désormais temps de conclure et d’ouvrir le débat à d’autres pistes de réflexions.

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Fig 1. Paris sous globe, dessin de François Schuiten réalisé en 2007 pour le cahier ville de Libération et présenté à l’exposition Revoir Paris.

Fig 2. Vue rapprochée du Paris historique sous cloche. François Schuiten & Benoît Peeters (2018).

Revoir Paris : édition intégrale. Bruxelles , Casterman, 2018, 143 p.

Fig 3. Le marché aux puces de Saint-Ouen. ZEP & Bertail (2019). Paris 2119, Paris, Rue de Sèvres, p.73

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la représentation de paris, entre divergences et dualité Au cours de l’approfondissement des cas études du XXIème siècle mais également des dystopies du XIXème siècle, nous avons pu observer qu’une tendance se dégage, celle d’une dualité dans la représentation de Paris.

D’un côté, un Paris muséifié mis sous cloche et de l’autre un Paris repoussant, insalubre qui se développe en périphérie de cette zone historique. De nombreux écrivains, penseurs ou artistes réalisent cette conjecture : que ce soit Jean-Pierre Arthur Bernard avec son roman d’anticipation Paris en 2040, ou bien le fameux duo François Schuiten et Benoît Peeters qui en jouent littéralement avec leur vision de la capitale sous cloche dans Revoir Paris (fig.1).

Malgré tout, si cette dualité paraît limpide à travers les choix opérés dans Renaissance et Paris 2119, l’approche choisie par Dontnod et Alain Damasio semble dépasser et s’affranchir de ce poids. En effet, l’univers de Remember Me mélange différentes strates urbaines de Paris qui ne suivent pas cette binarité. En l’espace d’une journée qui est la durée pendant laquelle l’histoire se déroule, les zones à priori préservées comme le quartier de Saint-Michel et de Notre-Dame passent d’un état resplendissant à un chaos urbain dû à l’inondation. Paris y est donc à la fois obscurité et lumière, et parfois les deux en simultané. Cette prise de parti est significative car elle tend à démontrer que le jeu-vidéo prend plus de risque et diverge des autres œuvres dystopiques dans sa représentation. Cela pourrait s’expliquer par les exigences techniques, le niveau de réalisme et des détails nécessaires pour que les joueurs interagissent avec la ville future et prennent plaisir à la découvrir. Je pense ainsi que le processus artistique à l’origine des jeux-vidéos, de la BD ou du film d’animation diverge malgré qu’il fasse appel à des procédés similaires tels que la capture du mouvement, la pratique du story-board, du dessin, de la modélisation... Il y aurait une thématique de recherche passionnante pour pousser le sujet de la représentation de la dystopie plus loin : comment les procédés et techniques créatifs propres au milieu de la bande dessinée, du jeu-vidéo ou du film d’animation influencent-ils la représentation d’un monde fictif au cœur d’un récit d’anticipation dystopique ?

Enfin, je dirais qu’il existe une dualité qui dépasse les notions classiques de ville-musée ou de ville-misère, celle de la coexistence du « Paris matériel » et du « Paris immatériel » dont parle souvent Jean-Pierre Arthur Bernard dans ses livres : « un corps physique périssable [....] toujours baigné d’images, de symboles » et un corps qui possède une « part du spirituel, du symbole [...] qui est lui immortel [et] impalpable, fait d’air, d’esprit, d’émotions » (1). Les cas d’études sont intrinsèquement liés à ces deux versants, tant l’audace et le réalisme des visions des Néo-Paris tentent de réinventer l’entité matérielle et qui en même temps offrent une multitude de références historiques ou symboliques qui participent à entretenir la part intemporelle de l’inattendu et du familier. Il existerait peut-être, à cet égard, une tentation commune à l’architecte et à l’urbaniste d’un côté, et au concepteur de jeu, bande dessinée ou film d’animation de l’autre : celle du démiurge, faiseur de mondes et d’atmosphères, qui se projette dans l’avenir, en imagine les possibles et s’en sert pour restituer une expérience hors du commun.

(1)

BERNARD, Jean-Pierre Arthur (2001). Les deux Paris : les représentations de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle, Seyssel, Champ vallon, p. 12

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Fig 1. L’Empilement des déchets générés par les chantiers du Grand Paris d’ici 2026 VS les monuments parisiens. LP/Infographie. Publié le 17 juin 2015

Fig 2. Le tunnelier du Grand-Paris Armelle à Aulnay-sous-Bois. LP/H.H. Publié le 15 septembre 2019

Fig 3. Des buttes constituées de terres excavées du Grand-Paris Express. Objectif Grand-Paris Magazine. Publié le 18 Avril 2017

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le grand paris express, déjà une dystopie ?

Au cours de la première partie de ce mémoire, nous avons pu observer des travaux réalisés dans le cadre de la consultation internationale pour le Grand-Paris. Cette phase a démontré une grande qualité dans les propositions qui étaient apportées ainsi que dans la variété des approches. Nous nous situons 10 ans après ce travail réflexif fait par les 10 équipes d’architecte-urbaniste et le seul vestige qui ait tenu est ce grand réseau de transport souterrain appelé Grand-Paris Express. Ce choix de nature politique et économique s’est effectué au grand désarroi des architectes qui avaient plutôt envisagé une multitude de transports à faible consommation énergétiques à la surface (bus, tramway) et avec leur voirie dédiée. Fort d’un soutien politique et économique, ce projet s’est imposé malgré une forte opposition. N’assisterions-nous pas à l’apparition d’une réelle dystopie en construction ?

Alors que nous traversons une période de crise environnementale et de basculement vers un état inédit que l’on appelle l’Anthropocène (1), les acteurs du Grand-Paris-Express demeurent fiers de leur projet alors que ce chantier est un désastre écologique sans précédent. À l’aide de tunneliers aux proportions ahurissantes (fig.2) qu’on a même décidé de baptiser d’un nom pour l’occasion pour les rendre moins impressionnantes, nous sommes en train de creuser des volumes astronomiques de terre au sein du sol parisien. Le journal du Parisien s’est amusé à représenter le volume colossal que représente cette extraction du sol et à la comparer aux tailles des plus grands monuments parisiens (fig.1). Ce volume ferait d’ici 2026 un cône d’une hauteur de 329m et de 500m de diamètre, ensevelissant ainsi les monuments jusqu’à ne plus en distinguer que leur extrémité.

Au-delà du futur usage que pose cette terre excavée que l’on amasse en périphérie de Paris sous forme de buttes, ce sont avant tout les questions d’étalement urbain qui préoccupent le plus. On note en effet l’apparition de nouvelles gares qui « ne [desservent] aucune habitation dans un rayon de 800 mètres »

(2)

et qui donc

ne peuvent résulter qu’en une « urbanisation accélérée » des zones autour de ces gares alors que l’on souhaite justement de plus en plus stopper cet étalement. Le pire dans cette histoire est que ce non sens est suivi d’un autre, celui de la désirabilité d’habiter en Île-de-France : « C’est sans doute la principale question à se poser, ce qu’aucun acteur ou élu ne fait. Selon un sondage réalisé en avril, 50% des Franciliens quitteraient la région pour habiter ailleurs s’ils le pouvaient » (3). Alors pourquoi persévérer et continuer de « couvrir d’infrastructures, de logements et d’emplois une région que la moitié de ses habitants veulent quitter, alors qu’il existe, dans toute la France, des villes moyennes et petites qui se dévitalisent, des régions qui aimeraient revivre, des infrastructures à rénover ? ». Cette question marque à elle seule le sort funeste qui attend le déploiement de ce nouveau réseau de transport parisien.

Au vu des exemples que nous avons étudié dans ces fictions d’anticipation, peut-être que la dystopie s’est immiscée cette fois-ci au sein de notre propre monde réel. l’Anthropocène désigne ce nouvel état géologique dans lequel nous sommes entrés depuis la révolution thermo-industrielle en raison de l’impact et du pouvoir destructeur de notre action sur le sol terrestre et ses écosystèmes.

(1)

RAZEMON, Olivier. 10 questions iconoclastes sur le Grand Paris Express. « Le Monde » (en ligne), 27 Juin 2018. < https://www.lemonde. fr/blog/transports/2018/06/27/10-questions-iconoclastes-grand-paris-express/ > (2)

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annexes

Cette section comprend : •

La chronologie des évenements historiques majeurs scénarisés par Alain Damasio et Stéphane Beauverger en amont de 2084 et ceux imaginés dans Remember Me.

•

L’analyse spatio-temporelle du parcours de Karas dans Renaissance sur une carte du Paris actuel

•

L’analyse spatio-temporelle du parcours de Nilin dans Remember Me sur une carte du Paris actuel

•

L’analyse spatio-temporelle du parcours de Tristan dans Paris 2119 sur une carte du Paris actuel

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chronologie avant remember me résumé chronologique de 2013 à 2084

2013 Antoine Cartier-Wells fonde Memorize à San Francisco où il commence à formuler le concept derrière la Sensation Engine technology, alias Sensen.

2035 En Égypte, le Nil s’assèche considérablement. Le Bangladesh commence à souffrir d’une répétition accrue d’inondations. L’Arctique vit son premier été sans glace.

2036 Le Sensen est accusé d’une invasion de la vie privée par les blogueurs alors que les usines de Memorize commencent la production massive de tablettes Sensen.

2039 Charles Cartier-Wells est né.

Le Tunnel de la Manche et le siège de l’Union Européenne sont victimes d’une attaque terroriste simultanée. Les séparatistes britanniques seraient les principaux suspects. Des émeutes commencent à se propager à Paris. Les parents d’Antoine Cartier-Wells sont tués au cours de ces émeutes.

2041 Le gouvernement français tombe.

Une première version de l’unité de la S.A.B.R.E. Force est créée pour protéger la population européenne des émeutes qui continuent de s’étendre à travers l’Europe. Memorize signe un accord pour que les militaires utilisent la technologie du Sensen pour améliorer la défense de la sécurité intérieure. Le Sensen utilise les informations personnelles de ses utilisateurs pour tracer leur déplacements à travers la ville.

2042 La population européenne commence à migrer massivement. Les autorités mettent en place un périmètre de défense militarisé le long des frontières de la Bourgogne et de l’Alsace.

2043 Memorize initie un programme pour rester chez soi afin d’éviter que les gens n’empruntent les rues et ne manifestent.

2044 La Russie défend ses 2700 km de frontières. Les réfugiés allemands approchent ces frontières pacifiquement et désarmés.

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2046 Vienne est détruite par une bombe sismique lancée par la Russie. L’explosion entraîne des tremblements de terre jusqu’en France. Des suites de ses séismes, l’atmosphère devient toxique. La Russie ferme ses frontières au reste de l’Europe.

2047 Du 9 au 12 Septembre, Paris est attaquée par plusieurs bombes sismiques.

Le gouvernement français et les autorités locales abandonnent Paris.

2050 La crise alimentaire commence à affecter l’Europe à l’aube de nouvelles émeutes et coups d’Etats.

Memorize commence à surveiller les retombées émotionnelles des utilisateurs au lendemain des attaques sismiques.

2052 Des manifestations anti-Memorize apparaissent pour dénoncer l’exploitation des atrocités de Vienne et Paris.

Les ventes du Sensen connaissent une augmentation jamais vue auparavant.

Le Maire de Paris charge Antoine Cartier-Wells de revenir s’installer dans le Paris ravagé.

2058 Antoine tente de faire éliminer le sentiment de haine dans la mémoire humaine. L’expérimentation échoue car Antoine n’arrive pas à isoler l’impulsion auquelle elle réagit.

2059 Nilin Cartier-Wells née le 29 Juin.

2061 Cinq entreprises s’engagent à aider Memorize à reconstruire un nouveau Paris sur les décombres de l’ancien, un « Néo-Paris ».

2062 Antoine crée une intelligence artificielle capable de générer de nouveaux souvenirs en utilisant les anciens. Il le surnomme « Memory Remixing ».

2064 Charles prolonge le travail de son père et perfectionne les techniques du « Memory Remixing ».

Scylla and Nilin sont victimes d’un accident de voiture : Scylla perd sa jambe et la remplace par une prothèse. Charles utilise Nilin comme d’un sujet test pour le « Memory Remixing ».

2065 La première tentative d’implantation du Senwall a lieu. L’implant est inséré chirurgicalement et diffusé mondialement sur les réseaux sociaux.

90

2072 Vincent Applan est la première victime officielle enregistrée par un effacement de sa mémoire. La spéculation est qu’il se serait suicidé. Memorize annonce de ne pas être responsable des altérations qui pourraient subvenir sur les implants Senwall.

2073 Memorize continue de faire de la publicité pour le Sensen alors que les Leapers commencent à apparaître : une tranche de la population accro au dispositif devient défigurée physiquement et aliénée mentalement.

2074 Antoine Cartier-Wells démissionne de Memorize. Il sommence à adapter le Sensen en un fichier open source.

Le mouvement des Erroristes né.

Memorize est hackée par un groupe anonyme que les autorités attribuent aux Erroristes.

2076 Les Junkies de la mémoire commence à peupler les bas-fonds du Néo-Paris, désormais appelés le « Bidonville 404 ». Antoine Cartier-Wells fait parti d’eux. Les Erroristes font savoir leur présence par des transmissions auditives.

2078 Memorize avertit la population du Néo-Paris de la présence des Leapers.

Charles propose à son père de remixer ses souvenirs. Nilin devient une chasseuse de souvenirs.

2080 Antoine rencontre la jeune Nilin pour la première fois lorsque son fils lui rend visite dans le « Bidonville 404 ».

2083 Antoine découvre la réputation et la vocation de sa fille avant de mourir lors d’une procédure de remixage de ses souvenirs.

2084 Nilin est engagée pour remixer la mémoire d’un certain Frank Forlan. Convaincu d’avoir tué sa femme, Alexia, Forland se suicide.

Memorize met une prime sur la tête de Nilin. L’unité S.A.B.R.E. Force découvre son refuge, l’arrête et l’emmène à la Bastille. Sa mémoire est effacée.

91

journée du 17 au 18 septembre 2084

•

Nilin ré-entre dans la Forteresse de la Bastille afin de voler les souvenirs du Sergeant Vaughn et de Madame, la directrice de la prison.

•

Nilin combat Madame et parvient à libérer tous les souvenirs des prisonniers, ce

Nilin s’échappe de la Forteresse de la

qui déclenche une révolte généralisée où

Bastille, aidé par les conseils auditifs d’un

ils prennent le contrôle d’une partie de

dénommé Edge.

la forteresse.

7h18

17h42

9h37 •

Nilin vole les souvenirs de l’architecte

13h36 •

Nilin entre dans le souterrain à la recherche

Kaori Sheridan et les transmet à son

d’un certain Johnny Greenteeth, ancien-

mystérieux camarade Edge.

nement docteur au centre de recherche/ détention de la Bastille et vivant désormais

•

Edge ouvre le barrage de Saint-Michel

dans le métro abandonné.

et inonde le Mid et Deep-Paris.

•

Nilin vole les souvenirs de Greenteeth, devenu chef des Leapers dans le Deep Paris.

92

évenements dans remember me

•

Nilin accède aux serveurs centraux et découvre que H3O, l’intelligence

•

Nilin retourne à la Bastille. Elle est de-

artificielle tachée de rassembler tous

vancée par Johnny Greenteeth qui tue

les souvenirs est en réalité le per-

son ancien associé Sebastian Quaid, chef

sonnage Edge qui l’a aidée depuis le

du service médical et scientifique de la

début.

forteresse.

• •

Nilin le détruit pour abréger ses

Nilin tue Johnny Greenteeth et s’échappe

souffrances et libère tous les souve-

de là avant la fin du processus d’au-

nirs qu’il avait emmagasiné des utili-

to-destruction. La Bastille est détruite.

sateurs du Sensen.

22h19

00h52

20h23 •

•

•

Nilin est chassée à travers Paris par le

23h37 •

Nilin atteint les hauteurs de Mnemopolis,

capitaine de la S.A.B.R.E. Force, Gabriel

la plus haute tour du Néo-Paris où seuls

Trace. Elle parvient à s’en sortir et lui

les plus privilégiés vivent. Elle résout le

vole ses souvenirs ce qui lui permet

code crypté pour accéder au Cube de

d’infiltrer le siège de Memorize dans le

la Conception, lieu où son père Charles

secteur de la Villette.

Cartier Wells travaille.

Nilin remixe les souvenirs de Scylla Car-

•

Nilin remixe les souvenirs de son père

tier-Wells, la présidente associée de Me-

en lui faisant croire qu’il est à l’origine

morize. Elle découvre qu’elle est sa fille

de son accident. Scylla les rejoint et

et remixe le souvenir de leur accident de

convainc également son mari Charles de

voiture.

mettre un terme à Memorize.

Scylla annonce l’arrêt définitif du projet « Reconversion » qui avait pour but de manipuler et d’asservir la population des Leapers.

93

94

parcours spatial dans renaissance 1er Épisode

0 - 12m20s

Le découpage temporel réalisé ici est purement subjectif compte tenu du manque d’éléments visuels ou prononcés. Il me permet en tout cas de hiérarchiser la découverte de certains secteurs de ce Néo-Paris par épisodes temporels liés à la narration. On commence le film par une descente vers un Paris des profondeurs, métallique, froid comme si tout un secteur se retrouvait excavé.

Le film d’animation se révèle être plus cryptique sur sa façon d’aborder la spatialité. On ne découvre la ville non plus à travers la focale du personnage principal comme pour Paris 2119 mais par des vues semi-aériennes successives. Celles-ci ne laissent percevoir en aucun cas une localisation précise, c’est un amas de silhouettes haussmanniennes dé-contextualisées avec la Tour Eiffel en arrière plan.

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2ème épisode

12m20s - 29m03s

Cet épisode semble correspondre au lendemain des événements précédents. Contrairement aux scènes de nuit, le travail en noir et blanc fait ici apparaître la présence du jour par une mise en lumière inversée des volumes bâtis et du ciel. Cet épisode révèle en revanche plus d’espaces géolocalisés qu’auparavant: Notre-Dame, la station de métro Abbesses et enfin la butte du Sacré-cœur.

Finalement, ce passage annonce un triptyque de quartiers que ce film mettra en évidence par la suite : une zone autour de la Tour Eiffel (entre le 7ème et 15ème), les quais proches de Notre-Dame et enfin le secteur de Montmartre. Cette polarité a sans doute été choisie pour l’emprise visuelle que crée chacun de ces bâtiments emblématiques.

97

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3ème épisode

29m03s - 51m36

Une longue course-poursuite s’installe dans la zone centrale de Paris autour de Notre-Dame. Celle-ci enchaîne des plans en mouvement où différents ponts et zones de quais s’identifient facilement. Cependant, il n’y a pas de continuité dans un seul sens des quais, les plans cinématographiques mélangent tant des arrivées par l’Est que par l’Ouest.

Cette période du film est très riche en passages où l’architecture s’impose au-delà d’être un simple décor. Que ce soit un bureau vitré sous une nouvelle arche de la Défense courbée, ou des bassins qui pourraient se situer dans la Grande Mosquée de Paris, les références sont multiples mais pas toujours explicites.

99

100

4ème épisode

51m36 - 1h37m10s

Cela conclut la démarche observée au cours de cette analyse: le choix des dispositifs urbains mis en avant au cours du film ne plébiscite pas la cohérence et la familiarité des déplacements comme dans Paris 2119. Pourtant, ce parti pris de désorientation géographique voir même d’anarchisation spatiale a en tout cas le mérite de desservir l’intrigue de ce polar noir futuriste.

Similairement à ce qui a déjà été dit pour le début du film, cette dernière temporalité nous propose un amoncellement de plans décontextualisés où seul le parvis de la Tour Eiffel est localisable en vis-à-vis du Trocadéro.

101

102

parcours spatial dans remember me

matin-midi

103

104

APRÈS-MIDI - SOIRÉE

105

Porte de Champerret (Ligne 3) Trois options s’offraient à l’interprétation pour cette image.

En effet l’écriteau «P..te .e ch.....» pouvait laisser présager la Porte de Charenton ou bien la Porte de Choisy. Cependant le design du métro ainsi que la connexion stratégique depuis Champerret jusqu’à Saint-Lazare permettent d’identifier la ligne 3.

1

2

Saint Lazare (Ligne 3)

Église de la Madeleine En arrière-plan sur la deuxième vignette, l’Église de la Madeleine semble se distinguer par son architecture néoclassique ainsi que l’inscription latine nichée sur sa frise au dessus des chapiteaux.

3

Champs-Élysées

4

5 Appartement 8ème Arrondissement En connexion directe avec les vignettes du dessus, le protagoniste semble entrer dans un immeuble propre à ce quartier (devanture avec auvent, cage d’ascenseur et escalier majestueux...)

106

parcours spatial dans paris 2119 1ÈRE JOURNÉE

P. 10-18

Après une première page de l’ouvrage consacrée à placer un décor parisien décontextualisé (vue aérienne du derrière des Invalides, bouche de métro quelconque de style « Art Nouveau »), une hiérarchie semble apparaître grâce aux noms des stations de métro.

Comme relevé sur la carte, les déplacements possèdent un certain réalisme parisien si nous étions amené à les reproduire de nos jours. Un mélange de déplacement direct en métro est poursuivi par un épisode de balade possédant une destination précise.

107

1

Appartement 8ème Arrondissement

2

Galeries Lafayette

3

Station Franklin Roosevelt (Ligne 1)

4

Place de la Bastille

5

Appartement Montmartre

108

2ème journée

P. 19-28

Il convient de préciser pour le reste de l’analyse que toute les péripéties ainsi que la découverte de Paris s’opèrent à travers la seule focale du protagoniste principal Tristan Heys.

Suite à la nuit passée chez son amoureuse, il part dans l’actuel établissement des Galeries La Fayette transformées pour l’occasion en bureaux (un ministère de l’éducation ?). Une fois encore, les déplacements majeurs sont réalistes même si de nombreux endroits intermédiaires sont enlevés du récit pour une meilleure fluidité narrative.

109

1

Appartement Montmartre

2

3

Galeries Lafayette et Palais Garnier

4

5

Autour de la Place des Victoires

6

7

Appartement Montmartre

8

Appartement 8ème Arrondissement

110

3ÈME JOURNÉE

P. 29-48

Plus l’histoire avance et le rythme accélère, plus le parcours s’agrémente d’une multitudes d’espaces localisables dont j’ai résumé ici l’avancement et le regroupement. On y découvre notamment les abords du Palais Garnier puis plus tard la Galerie Vivienne ou encore la zone autour de la Bastille.

On remarque également que certains endroits notoires se répètent que ce soit les bureaux aux Galeries La Fayette ou bien les appartements des personnages principaux qui marquent notamment alternativement le début et l’arrêt des journées.

111

1

Appartement 8ème Arrondissement

2

Place de la Concorde

3

JaurĂŠs / Stalingrad

4

Gare du Nord / Eurostar

112

4ÈME JOURNÉE

P. 49-52

Les péripéties se calment quand Tristan doit rester incognito et éviter les forces de l’ordre. Ainsi le parcours se concentre sur des endroits clés où le personnage trouve refuge que ce soit vers Jaurès au niveau de la ligne 2 aérienne dans un cybercafé ou en partant rencontrer un contact à Londres. Pour l’anecdote, il est aussi intéressant de remarquer sur la vignette de la Place de la Concorde la conservation de la perspective de l’axe royal avec notamment l’arc de triomphe et les nouvelles tours célestes de la Défense en arrière-plan.

113

Gare du Nord / Eurostar

1

2

3

4

Tour Eiffel et les quais

5

6

Marché aux puces de Saint-Ouen

7

Arc de Triomphe

8

Periphérique et Parc des Princes

9

Autoroute vers le Sud

114

5ÈME JOURNÉE

P. 59-80

Cette dernière journée marque les règlements de compte et l’aboutissement du récit. Au retour de Londres, le personnage connaît une course poursuite du pont Iéna jusqu’à la pointe de l’île de la cité avant de se diriger vers les Puces de Saint-Ouen et enfin d’aller chercher son amoureuse pour fuir la ville.

115

116

bibliographie

BASTARACHE, Kassandre (2017). L’utopie désenchantée : anti-utopie et pessimisme anthropologique chez Swift et Desfontaines, Paris, Hermann, 145 p.

BOWIE, Karen (2001). La modernité avant Haussmann : formes de l’espace urbain à Paris, 1801-1853, Paris, Éditions Recherches, 407 p.

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SCHUITEN, François & PEETERS, Benoît. Revoir Paris, Exposition à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015.

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Comment parler de Paris encore et encore, le Paris culte, indémodable, sous l’emprise de l’histoire et pourtant sans cesse renouvelé ?

Cet n’ouvrage ne compte pas parler d’un Paris mais de plusieurs: le Paris de l’anticipation, le Paris de la mémoire, le Paris du Futur, le Paris d’autrefois. Bref le Paris des imaginaires, le pari entrepris par la Science-Fiction au siècle romantique comme aux temps d’aujourd’hui. Afin d’en souligner l’héritage mais aussi les singularités, qui, naissant de l’esprit et d’une créativité débordante, font apparaître les visions moroses du Paris de demain. La dystopie permet ce cadre, celui qui ose imaginer les pires situations pour que nous puissions les anticiper et nous en prémunir en élevant notre niveau social, politique, économique, humain.. Ou en tout cas, qu’il nous incite à réagir et esquisser des questionnements sur des sujets déterminants comme l’écologie, l’urbanisme, sa densité et son étalement, le patrimoine architectural et culturel, les changements climatiques, les conséquences de l’Anthropocène ...

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