ALPHABETA MAGAZINE // SUMMER POP-UP #1 // MELVIL POUPAUD

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SUMMER POP-UP #1


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M ELVI L ANYWAYS Il a tourné avec Ruiz, Rohmer, Ozon. Devant leur caméra, il a été tour à tour un gamin ambitieux, un adolescent torturé, un homme déterminé. Pour Xavier Dolan, il devient une femme dans Laurence Anyways, l’histoire d’amour entre une femme et un homme qui veut en être une. Cet acteur de talent, c’est Melvil Poupaud, et pour Alphabeta Magazine, il nous parle de son film, de ses envies... et des femmes. Rencontre.

Dernier opus du jeune québécois Xavier Dolan et sélectionné à Cannes dans la compétition Un Certain Regard, Laurence Anyways est un film émouvant et juste, que nous avons trouvé très beau. Vous l’avez vu pour la première fois en entier lors de sa première, à Montréal. En tant que protagoniste, qu’avez-vous pensé du film ?

Une fois le film terminé, quand je l’ai vu en entier lors de la première, j’étais... un peu mélangé. Mais ça m’a bluffé. Je me suis dit que personne ne pouvait trouver ça moyen : la mise en scène est très belle, il y a beaucoup de parti pris ; c’est tenu, ambitieux, la musique est super bien utilisée... Les décors, les costumes, les personnages... Au final j’ai trouvé ça super bien. Après je me suis dit « Merde, est-ce que les gens vont aimer ? Est-ce que ce n’est pas trop long ?». Mais en y réfléchissant bien, Laurence Anyways a tellement d’ambition, de

Laurence Anyways a été tourné en deux parties : deux mois en hiver

sincérité, que je me dis que chipoter devant un film pareil (et y en a

et deux mois en automne. Entre les deux, Xavier a monté la première

qui le feront), ce serait dommage.

partie et me l’a montrée quand je suis revenu pour tourner la deuxième. Pendant le tournage, j’ai vu des images mais je ne voulais

Est-ce que vous arrivez à rentrer dans un film même quand vous vous y voyez à l’écran ?

pas en voir trop : je savais que le film serait bien parce que Xavier est bon, mais je n’aimais pas trop entrer dans les détails. Sauf au montage, auquel j’ai participé avec Xavier, j’aimais bien ça, on était comme deux mômes qui jouent aux jeux vidéo.

Oui, parce que je me suis vu dans tous les sens vu que je tourne depuis que je suis petit. Je me suis vu changer à l’écran, j’ai moimême réalisé des films dans l’idée d’exorciser ce rapport à l’image,

“Laurence Anyways” a tellement d’ambition, de sincérité, que je me dis que chipoter devant un film pareil (et y en a qui le feront), ce serait dommage.

donc je me suis monté dans tous les sens : même s’il y a des moments où je trouve que je suis au plus mal, je m’en fous. C’est comme un vaccin : plus tu te sens mauvais, plus t’arrives à survivre, à t’accepter comme tu es. Il y a un côté thérapeutique dans le fait de se voir à l’écran, constamment, jusqu’à l’overdose : ça permet de mettre une distance, d’avoir l’impression que c’est pas toi. Du coup cela ne me dérange plus tellement.

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Vous qui avez commencé à tourner quand vous étiez tout petit, comment avez-vous vécu le fait de tourner justement avec quelqu’un de très jeune ?

Et puis vous avez dix ans de différence, ce qui change beaucoup le personnage que Laurence. Louis Garrel aurait peut-être été trop jeune pour ce genre de rôle...

J’ai vu un jeune bien meilleur que je l’ai été, beaucoup plus à l’aise,

On ne saura jamais ! Mais en ce qui me concerne, c’est sûr que j’étais

efficace et détendu. Mais en même temps très angoissé, névrosé, un

plus à l’aise de jouer ce rôle maintenant qu’à 30 ans. Ca donne un

peu cyclothymique. Xavier bosse tout le temps, il est dans le cinéma

autre genre de personnage, et un autre genre de couple, plus mûr.

jusqu’au cou, moi j’avais davantage une vie à côté. En fait, ça m’a fait plaisir qu’un jeune aussi talentueux que lui finisse par me trouver aussi cool. Au début pourtant ce n’était pas gagné, car c’est quelqu’un

C’est une question d’ alchimie, un mélange entre un choix de rôles excitants, intéressants à jouer mais pas complètement éloignés de moimême non plus, parce que je ne suis pas un acteur de composition.

de très exigeant avec les hommes. Autant il aime beaucoup les femmes, est indulgent avec et s’entoure beaucoup d’elles, autant avec les hommes il est plus dans le jugement, il les attend davantage au tournant. Pour Laurence Anyways je suis arrivé au dernier moment et je ne me suis pas posé de questions, j’avais envie de faire le film car je savais qu’il était bon et que j’arriverais à le faire. Mais mon challenge c’était plutôt d’obtenir son respect et sa considération, qu’il ne regrette pas de m’avoir choisi. Parce qu’en plus quand Xavier est dur, il est vraiment dur : il est jeune, et les

Qu’est-ce que le fait de jouer une femme vous a appris sur la condition féminine ? Qu’est ce qui change quand on est en femme ?

jeunes sont très exigeants. Aujourd’hui, il m’aime bien, il trouve que je ne suis pas mauvais, qu’il a bien fait de me choisir, c’est cool. C’était aussi un challenge par rapport a moi-même, de me dire que je ne suis pas un vieux mec de 40 piges figé dans son truc, de réussir à rentrer dans son univers à lui, et de faire en sorte qu’il me trouve pas trop

Déjà le regard des mecs, bien macho, bien lourdingue. En tant que

naze. Mais je suis pareil, encore maintenant, il me suffit parfois d’un

travesti, même si je n’étais pas spécialement très sexy, il y a des mecs

détail pour me dire : Ah voilà c’était un connard ce mec (rires).

qui me mataient avec un regard qui ne m’arrive pas quand je suis en homme, et j’ai vraiment détesté. Pendant le tournage je leur ai d’ailleurs demandé de sortir, car je sentais qu’il y avait des vibrations

Comme vous le dites, vous êtes arrivé au dernier moment pour endosser le rôle de Laurence, remplaçant Louis Garrel au pied levé. En comparant vos deux parcours, je me suis dit justement que Louis Garrel, c’est un peu le Melvil Poupaud des années deux mille...

dans un coin qui étaient dégueulasses, ça m’a vachement gêné. Même de la part de certaines femmes hétéro, qui venaient vers moi genre « Oh pourquoi pas finalement, une femme.. » et qui me prenaient comme un objet. Je me sentais plus fragile, plus malléable, j’ai ressenti ça comme une agression, ça m’a vraiment gêné de me sentir maté comme un bout de viande.

Oui, moi-même je me suis fait cette réflexion quand je l’ai vu arriver, je me suis dit qu’il y avait une similarité. A l’inverse, il a repris le rôle

Mais d’un autre côté ce rôle m’a changé, dans le sens où maintenant

que j’ai refusé pour Les Chansons d’Amour de Christophe Honoré,

je comprends mieux et je suis plus attiré qu’avant par les femmes plus

par exemple. C’est le même genre disons, ce n’est pas exactement

mûres. Peut-être parce que je vieillis aussi, mais avoir interprété ce

pareil mais y a quelque chose de similaire dans nos carrières. Mais

personnage, qui a quarante-cinq ans à la fin du film, fait que je trouve

je ne me compare pas, je ne me pose pas de questions car j’adore

aujourd’hui plus facilement du charme aux femmes mûres. Même si

Louis Garrel, je trouve que c’est un très bon acteur, qu’il est très

tout n’est pas parfait et lisse comme chez les jeunes, il y a chez les

charismatique.

femmes plus âgées un petit quelque chose en plus. C’est peut-être aussi le fait d’avoir côtoyé des femmes québécoises aussi : elles ont 2


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vachement de tempérament, elles sont belles plus longtemps. Elles ont un côté très dur, un côté fort

En parcourant votre carrière, de La Ville des Pirates à L’Autre Monde en passant par The Broken ou encore Le Temps qui Reste, vous choisissez des rôles souvent extrêmes, même quand le film ne l’est pas. Est-ce un choix conscient ? Est-ce plus aisé de jouer quelqu’un de différent ou de similaire à soi-même ? Bonne question (rires) ... Je ne sais pas, en fait ce n’est pas tellement les rôles qui me décident, c’est plutôt le metteur en scène. Je préfère faire un film avec un bon metteur en scène même si le rôle n’est pas très consistant, plutôt que l’inverse. C’est davantage le metteur en scène qui me donne envie de travailler avec lui. Au final le rôle

VOIR LA BANDE ANNONCE

m’importe peu : si le metteur en scène me choisit, c’est qu’il doit imaginer le rôle proche de moi, je me dis qu’il pense que je suis capable de l’interpréter : ca me motive et me donne confiance en moi pour le faire. Je préfère ramener le rôle à moi pour que je puisse y croire moi-même, plutôt que de choisir exprès des rôles à l’opposé de ce que je suis. C’est une question d’alchimie, un mélange entre un choix de rôles excitants, intéressants à jouer mais pas complètement éloignés de moi-même non plus, parce que je ne suis pas un acteur de composition.

La dernière fois que vous avez pleuré ? Devant le film de Xavier, lors la première.

Aujourd’hui, de quoi vous avez envie, cinématographiquement parlant ? J’aimerais bien refaire un film dans l’année, avec un rôle aussi prenant et intense, avec un autre metteur en scène, re-tourner avec quelqu’un de plus vieux, plus mûr, posé, qui me laisse plus de marge de manœuvre. J’aimerais jouer un clodo, un curé, un flic : des personnages bien marqués dans ce genre-là.

Photo : ABC Productions Interview par Elli Mastorou.

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