Carnets Nordestins

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CARNETS NORDESTINS O Nordeste (le nord-est), pays dans le pays, grande région où la culture est partout, et berceau du Brésil. C’est de là que j’ai rapporté les images

qui constituent cette exposition, durant deux séjours d’un mois et demi, effectués dans le cadre de missions scientifiques d’étude de l’atmosphère.

Certaines ont été glanées au quotidien à Teresina, capitale de l’état de Piauí, où était basée la mission : déambulations dans la ville tôt le matin, avant la cohue et la chaleur, ou dans la lumière douce de la fin de journée.

D’autres en forêt, dans les environs de Teresina, ou à São Luis, capitale du Maranhão, les rares jours de repos. D’autres enfin à Fortaleza, capitale du Ceará, en transit entre deux avions.

Conçue comme un carnet de voyage, regard volontairement différent de l’image conventionnelle du Brésil, cette exposition se veut un témoignage de la vie au quotidien dans cette région pauvre : contraste entre la ville bouillonnante et la précarité des villages en forêt ; contraste entre les

vestiges d’une histoire flamboyante et tourmentée, et le dur labeur pour survivre au jour le jour ; parti pris esthétique des couleurs et lumières sur les lieux et objets familiers.

A.L.


La ville Ville moderne

01, 02, 03 – Teresina – Du point de vue de l’urbanisme, les grandes villes sont construites selon un plan quadrillé à l’américaine. S’y mélangent de modestes maisons basses de briques à toits de tuiles (02), et les tours au look 1970 des quartiers aisés (01). Les rues sont très animées dès le petit matin, et la foule envahit les grandes artères comme ici (03) lors de la Marche pour la Paix qui réunit plus de 60.000 personnes.


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La ville Ville moderne

04, 05, 06 – Fortaleza – Plus ancienne que Teresina, Fortaleza mêle avec bonheur l’ancien et le moderne (04), osant dès les années 60 une architecture plus audacieuse, plus décalée (05 – Centre culturel Dragão do Mar), et ménage des lieux vivants investis par les habitants (06 – sous le planétarium du complexe culturel de la Torre do Café).


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La ville Ville historique

07, 08 – Fortaleza – Port historique de la conquête du Brésil, la ville a conservé de nombreuses maisons des XVIIIe et XIXe siècles, dans le style portugais aux vives couleurs.


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La ville Ville historique

09, 10 – Teresina – Fondée en 1852, Teresina n’a pas à montrer de vestiges d’un passé glorieux. Parmi les plus anciens bâtiments, le Palais Karnak (09), ancien palais du gouverneur, aujourd’hui pitoyable musée depuis qu’un locataire peu scrupuleux est parti avec les meubles et la collection de tableaux qu’il contenait. Dans ce pays très catholique, il y a pléthore d’églises, toutes dans le style ibérique sud-américain (10 – église São Benedito).


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La ville Ville historique

11, 12 – São Luis – Fondée au nom du futur Louis XIII par le français Daniel de la Touche, c’est la ville historique du Nordeste par excellence. Son minuscule centre historique abrite nombre d’édifices et quelque 2500 maisons, classés au patrimoine mondial par l’Unesco, mais souvent plus délabrés les uns que les autres : leur restauration n’est pas dans les priorités du quotidien.


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La ville Ville historique

13 – Alcántara – Située sur la rive opposée de la Baía São Marco, à une heure de bateau, c’était la résidence de l’aristocratie et de la bourgeoisie de São Luis. Abandonné lors de l’essor de la ville moderne, ce village fantôme attire aujourd’hui les touristes en mal de paradis perdus, et ses airs de fin de règne ont bien du mal à masquer la pauvreté de ses rares habitants.


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La ville La ville au quotidien

14, 15, 16, 17 – Teresina, le marché – Dès 6h du matin, les rues du centre de Teresina sont le siège des marchés. Autour du Mercado Central, on trouve les marchands de fruits et légumes (14), le marché artisanal avec ses airs de souk (15), et les quincailleries (16) qui regorgent d’articles en aluminium comme dans la France des années 50. Tous les matins, la Rua Simplício est entièrement occupée par une multitude d’échoppes multicolores (17) vendant vêtements, accessoires de pacotille, et CD « génériques » (c’est-à-dire gravés maison, avec jaquette photocopiée), le tout sur fond de musique à vous éclater les tympans.


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La ville La ville au quotidien

18, 19, 20, 21 – Dans les rues de Teresina – Deux occupants notoires de la ville : le vélo, de préférence costaud, lourd et grinçant, et la lanchonete, sorte de bar où l’on peut manger sur le pouce (18). O orelhão (la grosse oreille, 19), c’est le surnom des cabines téléphoniques qui équipent toutes les rues, tous les quartiers, même les plus pauvres. Le marchand de journaux à même le trottoir (20) se fait aussi librairie et vend des fascicules d’enseignement. A égalité avec le café, la bière (21) est la boisson populaire par excellence : aux bouteilles individuelles servies dans les restaurants chics, vous préfèrerez la garrafa de 60 cl, qu’on vous apporte dans un étui isotherme et avec autant de verres que de convives, ajoutant au plaisir de la fraîcheur celui du partage.


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La ville L'art dans la ville

L’art est populaire et ancré dans la vie, avec une simplicité et une naïveté vivifiantes, à cent lieues de l’élitisme et du snobisme occidental : atelier de potier (22) et cavalier des origines (23) au centre artisanal de Teresina, évocation de la légende du fleuve (24) au confluent du Parnaíba et du Rio Poty, pêcheurs immobiles (25) sur la Praia São Marco à São Luis, pin-up et statue contemporaines (26) sur la plage Iracema à Fortaleza.


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L'eau, la forêt

Dans les abattis

Dès que l’on sort de la ville, c’est le règne de la forêt tropicale. Là, au milieu de la végétation luxuriante, vivent de petites communautés agricoles, qui ont édifié leurs villages dans les clairières gagnées sur la forêt, au bout d’interminables pistes de latérite. Dans la lumière paisible et dorée de la fin de l’après-midi, on se croirait dans les paysages polynésiens des tableaux de Gauguin, comme un état de nature jamais vraiment perdu. Sauf que derrière leurs airs de paradis sauvages, ces sitios ne sont pour leurs habitants que dur labeur et vie précaire. Maisons de palme et de torchis (27) et traction animale (28) quelque part entre Altos et José de Freitas. Foyer en plein air (29, 30) au Sitio Recanto dos Passaros. Tout l’été, le défrichage par le feu occasionne quotidiennement des incendies de forêt (31). Rizières près du Parnaíba (32), entre Miguel Alves et Duque Bacelar.


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L'eau, la forêt Le fleuve

Teresina est située au confluent du fleuve Parnaíba et du Rio Poty, deux cours d’eau qui font partie la vie de la ville. Le Parnaíba, puissant et imprévisible, charrie des bancs de sables qui sont autant de décors mouvants (33, 34), colonisés par les enfants, les pêcheurs (35). Des paillotes les envahissent à la belle saison (36), guinguettes populaires où l’on mange, boit et danse jusque tard dans la nuit. Plutôt que de faire le détour par les ponts rares et encombrés, on y navigue sur diverses embarcations (37 – barque et bac sur le Parnaíba, 38 – barques de pêche sur le Rio Poty).


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L'eau, la forêt

Bateaux

39, 40, 41 – Bateaux à Alcántara – Il y a bien une route qui va de São Luis à Alcántara, mais au prix d’un détour de 400 km, alors le moyen de locomotion reste le bateau. A voile ou à moteur, proclamant la foi de son propriétaire, il tient souvent par l’opération du Saint-Esprit


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L'eau, la forêt

Bateaux

42, 43, 44 – Bateaux à Raposa – Village de pêcheurs à l’est de São Luis, maisons de bois sur pilotis gagnées sur la mangrove, il montre des conditions de vie bien précaires. Depuis le port envasé sur la rivière, jusqu’aux baïnes bientôt coupées de la mer par une langue de sable poussée par le courant d’est, tout ici crie la misère de ceux dont le métier ancestral est en passe de ne plus les faire vivre.


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Portraits

45, 46 – La petite dame en jaune – Je l’ai repérée en attendant le bateau pour Alcántara. Enceinte jusqu’aux yeux, elle commandait un morceau de gâteau et une boisson à la lanchonete du quai. Comme le serveur n’allait pas assez vite, elle le pressait en indiquant le bateau sur le point de partir, avec les mimiques et les gestes qu’on fait quand on a une grosse envie et qu’il y a quelqu’un dans les toilettes. Avec sa bobine expressive et drôle, elle discute toute la traversée sur le pont, confortablement adossée dans les bras de son homme. Ils quittent le débarcadère sous le soleil déjà de plomb, chargés de sacs et de cartons.


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Portraits

47 – Le garçon sur le bateau – Au confluent du Parnaíba et du Rio Poty, un bateau épique mais pittoresque, avec son moteur cacochyme, le patron qui pilote encadré d’images de la Vierge, et la patronne qui écope avec une assiette, emmène les touristes en promenade. Le gamin est-il de la famille ? Etait-il monté, comme nous, juste pour la balade ? N’empêche qu’il est resté silencieux sur sa banquette, me jetant des regards noirs et courroucés quand je lui tirais le portrait.


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Portraits

48 – Sieste au balneario – C’est à 20 ou 30 km de la ville, au bout d’une piste s’enfonçant au cœur de la forêt. Là, dans un espace défriché, il y a une piscine en ciment peint de bleu, avec une cascade artificielle, et un restaurant. Ce n’est pas le luxe, c’est populaire, sympathique et bon enfant. Les gens viennent dans ce genre d’établissement, ouvert uniquement le week-end, en famille ou avec des amis. Ils y passent la journée à manger la cuisine traditionnelle servie sur les tables de bois, se baigner, écouter de la musique – très fort : la sono de la voiture fait 1000W – danser, faire la sieste dans les hamacs. Dimanche au bord de l’eau, mais pas sur la Marne : au milieu des palmiers et des manguiers.


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ANDRÉ LAURENS Photographe

Mes premières photos, à l'âge de douze ans, sont pour la brique rouge d'Albi où je suis né. A quatorze ans, je découvre les joies du 6×6 et à dixsept, celles du labo et du tirage noir et blanc. Après avoir été longtemps un adepte inconditionnel du film argentique, 24x36 et moyen format, je suis venu à la photographie numérique tout en gardant une pratique classique : pas de retouche à l'ordinateur, recours exceptionnel au recadrage. Je vois avant tout le photoscope comme un formidable outil dont le capteur ultra sensible sait attraper le moindre grain de lumière, qui me permet des prises de vue dans des conditions d'éclairement extrêmes.

http://atelier.alizarine.pagesperso-orange.fr/ © André Laurens - 2005


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