112 PROUST Marcel (1871-1922). MANUSCRIT autographe et épreuve corrigée pour Du côté de chez Swann, [1913] ; un feuillet d’épreuve imprimée de 2 pages in-8 (bord inférieur restauré), et 1 page manuscrite in-fol. (30,5 x 17 cm) composée de 3 morceaux collés bout à bout. 15 000 - 20 000 € Longue paperole sur la jalousie de Swann, pour Un amour de Swann. Ce long développement autographe est apporté sur la deuxième épreuve de Du côté de chez Swann, dont l’édition paraîtra chez Grasset le 14 novembre 1913. Il s’agit des deux premières pages (449-450) du placard 29 des secondes épreuves, portant en tête le cachet à date de l’imprimeur Ch. Colin imprimeur à Mayenne 1 sep 1913, correspondant aux pages 362-364 de l’édition Tadié dans la Bibliothèque de la Pléiade. Sur ces deux pages, Proust a porté en marge une dizaine de corrections. Une longue addition, venant s’insérer à la fin de la page 450, remplit la marge de gauche (avec un petit béquet collé), puis se poursuit sur la paperole (à l’origine collée au bas de la page), avec des ratures et corrections. Ce long ajout correspond, avec quelques petites variantes, aux pages 364 à 366 de la Pléiade. Swann, écoutant Odette, se laisse envahir par des soupçons. « Une fois elle lui parla d’une visite que Forcheville lui avait faite, le jour de la [première représentation d’adieux de Delaunay biffé] Fête de ParisMurcie. “Comment tu le connaissais déjà ! Ah ! oui c’est vrai” dit-il se reprenant pour n’avoir pas l’air de l’avoir ignoré. Et tout d’un coup il se mit à trembler à la pensée que le jour de cette fête Paris-Murcie où il avait reçu d’elle la lettre qu’il avait si précieusement gardée, elle déjeunait peut-être avec Forcheville, à la Maison [Dorée biffé] d’Or. Elle lui jura que non. “Pourtant la Maison d’Or me rappelle je ne sais quoi que j’ai su ne pas être vrai, lui dit-il pour l’effrayer”. “Oui, que je n’y étais pas allée le soir où je t’ai dit que je sortais, quand tu [m’]avais cherchée chez Prévost,
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lui répondit-elle, (croyant à son air qu’il le savait), avec une décision où il y avait, beaucoup plutôt que du cynisme, de la timidité, une peur de contrarier Swann et que par amour-propre elle voulait cacher pour le désir de lui montrer qu’elle pouvait être franche. Aussi frappa-t-elle avec une netteté et une vigueur de bourreau qui étaient exemptes de cruauté car Odette n’avait pas conscience du mal qu’elle faisait à Swann »… Elle continue à se justifier… Swann « lui sourit avec la lâcheté soudaine de l’être [faible qu’il était à ce moment biffé] sans forces qu’avaient fait de lui ces accablantes paroles. Ainsi, même dans ces mois auxquels il n’avait plus jamais osé repenser parce qu’ils avaient été trop heureux, dans ces mois où elle l’avait aimé, elle lui mentait déjà ! Aussi bien que ce moment (le premier soir qu’ils avaient “fait catleya”, où elle lui avait dit sortir de la Maison Dorée, combien devait-il y en avoir eu d’autres, receleurs eux aussi d’un mensonge que Swann n’avait pas soupçonné. Il se rappela qu’elle lui avait dit un jour “Je n’aurais qu’à dire à Madame Verdurin que ma robe n’a pas été prête, que mon cab est venu en retard. Il y a toujours moyen de s’arranger”. À lui aussi [sans doute biffé] probablement bien des fois où elle lui avait [dit qu’elle était passée chez sa couturière, que sa biffé] dit des mots qui expliquent un retard, justifient un changement d’heure dans un rendez-vous, ils avaient dû cacher sans qu’il s’en fût douté alors, quelque chose qu’elle avait à faire avec un autre »… Puis cet épisode finit par s’effacer de son esprit. « Car ce que nous croyons notre amour, notre jalousie, [ne sont pas des réalités biffé] n’est pas une même passion [constante biffé] continue, indivisible. Ils se composent d’une infinité d’amours successifs, de jalousies différentes, et qui sont éphémères mais par leur multitude ininterrompue donnent l’impression de la continuité, l’illusion de l’unité. La vie de l’amour de Swann, la fidélité de sa jalousie, étaient faites de la mort, de l’infidélité, d’innombrables désirs, d’innombrables doutes, qui avaient tous Odette pour objet. S’il était resté longtemps sans la voir, ceux qui mouraient n’auraient plus été remplacés par d’autres. Mais la présence d’Odette continuait d’ensemencer le cœur de Swann de tendresses et de soupçons alternés. Certains soirs elle redevenait tout d’un coup avec lui d’une gentillesse »… Proust a alors indiqué à l’imprimeur, au crayon bleu : « Suivre à la page suivante »…
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